Georges BIZET

 

Georges Bizet âgé d'environ 25 ans [photo Nadar]

 

 

Alexandre César Léopold BIZET dit Georges BIZET

 

compositeur français

(26 rue de La-Tour-d’Auvergne [auj. rue Louise-Emilie-de-La-Tour-d'Auvergne], Paris ancien 2e [auj. 9e], 25 octobre 1838* Bougival, Seine-et-Oise [auj. Yvelines], 03 juin 1875*), baptisé le 16 mars 1840 en l'église Notre-Dame-de-Lorette sous le prénom de Georges.

 

Fils d’Adolphe Armand BIZET (Rouen, Seine-Inférieure [auj. Seine-Maritime], 18 août 1810 – Paris 8e, 20 décembre 1886*), professeur de chant [fils de Guillaume Michel Jérôme BIZET (Yvetot, Seine-Inférieure [auj. Seine-Maritime], 05 mai 1777 Rouen, 1824), toilier, et de Catherine Geneviève CORNU (Yvetot, 27 juin 1774 – Paris ancien 2e, 25 novembre 1841)], et d’Aimée Marie Louise Léopoldine DELSARTE (Cambrai, Nord, 22 décembre 1815* – Paris 9e, 08 septembre 1861*), pianiste [sœur de François DELSARTE, professeur de chant], mariés à Paris le 26 décembre 1837*.

Epouse à Paris 9e le 03 juin 1869* Marie Geneviève Raphaëlle HALÉVY (31 rue de La-Rochefoucault, Paris ancien 2e, 26 février 1849* – Paris 8e, 22 décembre 1926*) [fille de Fromental HALÉVY, compositeur, et de Léonie Hannah RODRIGUES-HENRIQUÈS], remariée à Paris 9e le 07 octobre 1886* avec Émile STRAUS (Paris, 17 février 1844 – 13 février 1939), avocat.

Parents de Jacques BIZET (Paris 9e, 10 juillet 1872* – Paris 8e, 03 novembre 1922*), littérateur [épouse 1. à Paris 17e le 14 juin 1898* Madeleine Camille BREGUET (Paris, 19 décembre 1878 – Antony, Seine [auj. Hauts-de-Seine], 15 octobre 1900), fille d’Antoine BREGUET (Paris, 26 janvier 1851 – Paris, 08 juillet 1882), inventeur, et de Marie Eugénie DUBOIS (18581903) ; épouse 2. à Paris 17e le 05 juillet 1904* (divorce le 26 mars 1919) Alice FRANCKEL (Hambourg, 04 janvier 1869 – Neuilly-sur-Seine, Seine [auj. Hauts-de-Seine], 11 avril 1953)].

 

 

Son enfance s’écoula dans un milieu familial favorable à la musique. Il entra au Conservatoire de Paris à l’âge de neuf ans (1848), et remporta, pendant les dix années qu’il y resta, récompense sur récompense. Il y eut pour maîtres Zimmermann (harmonie), que suppléait parfois Gounod, Marmontel (piano), Benoist (orgue), et Fromental Halévy (composition) ; il y fit une carrière exceptionnellement brillante, et remporta, avant même d’avoir accompli sa dix-neuvième année, le premier grand prix de Rome (1857). Quelques mois auparavant, il avait été, en compagnie de Lecocq, lauréat du concours d’opérette organisé par Offenbach, et son œuvre, le Docteur Miracle, avait été représentée aux Bouffes-Parisiens. Doué d’aptitudes musicales merveilleuses, Bizet alla passer le temps règlementaire à Rome, d’où il fit exactement à l’Institut les envois ordinaires : un opéra bouffe italien intitulé Don Procopio ; une symphonie, une ouverture qui avait pour titre la Chasse d’Ossian, et un opéra-comique en un acte, la Guzla de l’émir. De retour en France, il se livra d’abord à l’enseignement, tout en écrivant des mélodies, de nombreux morceaux de genre et des opéras. En 1863, il donnait au Théâtre-Lyrique les Pêcheurs de perles, opéra en trois actes, et en 1867, au même théâtre, la Jolie Fille de Perth, opéra en quatre actes. En 1872, il abordait la scène de l’Opéra-Comique, avec un petit acte intitulé Djamileh. Mais sa personnalité ne se dégagea que dans l’Arlésienne (1872), une partition symphonique et chorale, écrite pour le drame d’Alphonse Daudet, et qui est un chef-d’œuvre d’émotion, de grâce et de poésie. Deux suites de morceaux de l’Arlésienne, réunis en vue du concert, contribuèrent pour une large part à répandre le nom de l’auteur. Dans le même temps, il faisait exécuté aux Concerts populaires sa superbe ouverture de Patrie. A partir de ce moment, Bizet était maître de lui, et il écrivit Carmen, qui parut à l’Opéra-Comique en 1875 et qui peut être considérée comme l’une des œuvres les plus caractéristiques de la musique dramatique contemporaine. Cette musique vivante, directe, nerveuse, pittoresque, dont le succès devait être considérable, et qui demeure un des monuments du répertoire, ne fut pas immédiatement comprise. Trois mois après l’apparition de Carmen, il mourait subitement, d’une maladie de cœur, alors que son génie était en plein essor. Ses chefs-d’œuvre, Carmen et l’Arlésienne, ne connurent de son vivant que froideur, indifférence, ou parfois un succès d’estime. En dehors du théâtre, Bizet a publié un assez grand nombre de morceaux de chant et de piano ; entre autres, plusieurs séries de transcriptions sur des opéras célèbres, et une suite exquise à quatre mains, Jeux d’enfants. Bizet avait épousé la fille de son maître Halévy. Il avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur le 03 février 1875. Un buste de Bizet a été placé en 1900 dans le foyer de l’Opéra-Comique.

Bizet avait un sens génial du théâtre et de la couleur ; chez lui, la mélodie coule de source et témoigne souvent d’un charme et d’une sensibilité rares. Ce compositeur sait faire chatoyer les timbres de l’orchestre, et sa musique reste toujours lumineuse et brillante. La clarté, la transparence ne sont pas les moindres qualités de ce musicien dont le talent s’efface derrière maint trait de génie : un génie bien français, que Liszt et Berlioz apprécièrent et que Nietzsche, dans son enthousiasme pour Carmen, voulut opposer à Wagner comme le représentant authentique de cette musique « méditerranéisée » à laquelle il songeait.

En 1869, avant son mariage, il habitait avec son père 32 rue Fontaine à Paris 9e. Il est décédé en 1875 à trente-six ans dans sa maison de campagne 5 rue de Mesme à Bougival, étant domicilié depuis son mariage 22 rue de Douai à Paris 9e. Il a été enterré le 05 juin 1875 au cimetière de Montmartre, et transporté le 08 juin 1876 au Père-Lachaise (tombeau par Charles Garnier, 1880 ; buste en bronze ; 68e division).

 

=> Lettres de Georges Bizet : Impressions de Rome (1857-1860), la Commune (1871), préface de Louis Ganderax (1908)

=> Lettres à un ami (1865-1872), introduction d'Edmond Galabert (1909)

=> Lettres inédites de Georges Bizet : lettres à Paul Lacombe (1866-1874), publiées par Hugues Imbert (1894)

=> Georges Bizet (Musiciens du passé, du présent et de l'avenir), par Henri Blaze de Bury (1880)

=> Georges Bizet par Albert Wolff (la Gloire à Paris, 1886)

=> Georges Bizet et son œuvre, par Charles Pigot (1912)

=> Bizet, par Henry Gauthier-Villars (1928)

=> Exposition Georges Bizet à l'Opéra (octobre-novembre 1938)

 

 

 

 

Georges Bizet par Charles-François Sellier (1857)

 

 

 

œuvres lyriques

 

la Maison du Docteur, opéra-comique en 1 acte (1852-1855), livret d'Henry Boisseaux

David, cantate pour le Prix de Rome (17 mai-09 juin 1856), livret de Gaston d'Albano [Julia Chevallier de Montréal] (Institut de France, 04 octobre 1856 avec Mlle Henrion [Michol], MM. Jourdan [David], Battaille [Saül], sous la direction de Battu)

le Docteur Miracle, opéra-comique en 1 acte (septembre-décembre 1856), livret de Léon Battu et Ludovic Halévy (Bouffes-Parisiens, 09 avril 1857) => fiche technique

Clovis et Clotilde, cantate pour le Prix de Rome (16 mai-09 juin 1857), livret d'Amédée Burion (Institut de France, 09 juin 1857)

Don Procopio, opéra bouffe en 2 actes (juin 1858‑mars 1859), livret de Carlo Cambiaggio (1798-1880), version française de Paul Collin et Paul Bérel [Paul de Choudens], révision musicale de Charles Malherbe (Théâtre de Monte-Carlo, 10 mars 1906 avec Mmes Angèle Pornot [Bettina], Jane Morlet [Donna Eufemia], MM. Jean Périer [Don Procopio], Charles Rousselière [Odoardo], Max Bouvet [Ernesto], Victor Chalmin [Don Andronico], Paolo Ananian [Pasquino], sous la direction de Léon Jehin) => partition livret

     [Le texte est une adaptation de I Pretendenti delusi de Previdali, mis en musique par Luigi Mosca en 1811. Créé après la mort de Bizet sous la direction de Charles Malherbe, d'après une révision musicale de celui-ci, et dans une traduction française. Représenté dans la version originale en italien au Théâtre municipal de Strasbourg le 06 février 1958. C'est une œuvre de jeunesse de Bizet, agréable, écrite dans le style italien du temps. Le sujet, très classique, est fourni par les mésaventures d'un tuteur surveillant une jolie pupille, que courtisent à la fois un prétendant grotesque (don Procopio) et un séduisant officier. La partition, composée à Rome en 1858 par Bizet, alors pensionnaire de la villa Médicis, devait être présentée à l'Institut. Mais Auber, directeur du Conservatoire, refusa de l'admettre, sous prétexte que le règlement exigeait des prix de Rome l'envoi non d'un opéra-comique, mais d'une messe. La partition, égarée par Auber, fut oubliée, et retrouvée seulement après un demi-siècle dans la bibliothèque du Conservatoire.] => manuscrit

la Guzla de l'Émir, opéra-comique en 1 acte (juin-septembre 1862, partition perdue), livret de Jules Barbier et Michel Carré (non représenté)

Ivan IV ou Ivan le Terrible, opéra en 4 actes (1864‑1865), livret d'Hippolyte Leroy et Henri Trianon (révision musicale d’Henri Büsser, Grand Théâtre de Bordeaux, 12 octobre 1951) => fiche technique

les Pêcheurs de perles, opéra en 3 actes (1863), livret de Michel Carré et Eugène Cormon (Théâtre-Lyrique, 30 septembre 1863 ; Opéra-Comique, 24 avril 1893) => fiche technique

la Prêtresse, opérette en 1 acte (automne 1864), livret de Philippe Gille (non représentée)

la Jolie fille de Perth, opéra en 4 actes (1866), livret d'Henri de Saint-Georges et Jules Adenis (Théâtre-Lyrique, 26 décembre 1867) => fiche technique

Malbrough s'en va-t-en guerre, opéra bouffe en 4 actes (fin 1867), avec Emile Jonas, Edouard Legouix et Léo Delibes (acte I écrit par Bizet), livret de Paul Siraudin et William Busnach (Athénée, 13 décembre 1867)

la Coupe du roi de Thulé, opéra en 3 actes (août 1868-février 1869, ne reste que des fragments), livret de Louis Gallet et Edouard Blau (non représenté)

Noé, opéra biblique en 3 actes et 4 tableaux, musique inachevée de Fromental Halévy, terminée par Georges Bizet (août-novembre 1869), livret d'Henri de Saint-Georges (Noah, version allemande de Gustav von Putlitz, Carlsruhe, 05 avril 1885, sous la direction de Felix Mottl) => partition

     « Halévy n'avait pu mettre tout à fait la dernière main à la partition de cet ouvrage, que Bizet, son élève et son gendre, se chargea de terminer. Bizet lui-même mourut avant la représentation de Noé, qui obtint en diverses villes d'Allemagne un succès très honorable, mais non retentissant ; il faut toutefois excepter Cologne, où l'ouvrage, joué vers la fin de 1886, fut accueilli de la façon la plus chaleureuse. »

Clarisse Harlowe, opéra-comique en 3 actes (1870-1871), livret de Philippe Gille et Adolphe Jaime (inachevé)

Grisélidis, opéra-comique en 4 actes (1870‑1871, inachevé), livret de Victorien Sardou

Djamileh, opéra-comique en 1 acte (op. 24, 1871) livret de Louis Gallet (Opéra-Comique, 22 mai 1872) => fiche technique

l'Arlésienne, mélodrame en 3 actes d'Alphonse Daudet, musique de scène (Vaudeville, 01 octobre 1872) => fiche technique

Sol-si-ré-pif-pan, bouffonnerie musicale en 1 acte, sous le pseudonyme d'Henri Vincent (1872, probablement détruit), livret de William Busnach (théâtre du Château-d'Eau, 16 novembre 1872)

Don Rodrigue, opéra en 5 actes (1873, inachevé), livret de Louis Gallet et Edouard Blau

Carmen, opéra-comique en 4 actes (1873‑1874), livret d'Henri Meilhac et Ludovic Halévy (Opéra-Comique, 03 mars 1875 ; Opéra, 29 décembre 1907) => fiche technique

 

musique vocale

 

Chanson du rouet (la), chœur pour voix solo, chœur et piano (1857)

Fuite (la), duo, poésie de Théophile Gautier (1870) => partition

Golfe de Baïa (le), chœur pour soprano ou ténor, chœur et piano (1856)

Mort s'avance (la), chœur et orchestre (1869)

Retour (le) ; Rêvons ; les Nymphes des bois, duos (1868/1872)

Te Deum, pour soli, chœurs et orchestre (1858)

Vasco de Gama, ode-symphonie, paroles de Louis Delâtre (1859‑1860) => partition

 

mélodies

 

Mélodies avec piano (1854-1873), dont 6 Feuilles d'album (1866) ; Vingt Mélodies, op. 21 (1873) ; 16 Mélodies (recueil posthume de mélodies dont la plupart sont empruntées à des opéras inachevés, 1886).

A une fleur, poésie d'Alfred de Musset (Feuilles d'album, 1866) => partition

Abandonnée (l'), poésie de Catulle Mendès (1868/1873) => partition

Absence, poésie de Théophile Gautier (1868/1873) => partition

Adieux à Suzon, poésie d'Alfred de Musset (Feuilles d'album, 1866) => partition

Adieux de l'hôtesse arabe, poésie de Victor Hugo (1866) => partition

Agnus Dei, mélodie religieuse sur la musique de l'Arlésienne (1872) => fiche technique

Aimons, rêvons !, poésie de Paul Ferrier (1868/1873) => partition

Après l’hiver, poésie de Victor Hugo (1867) => partition

Aubade, poésie de Paul Ferrier (1868/1873) => partition

Berceuse, sur un vieil air, poésie de Marceline Desbordes-Valmore (1868) => partition

Chanson d’avril, poésie de Louis Bouilhet (1867) => partition

Chanson de la rose (la), poésie de Jules Barbier (1868/1873) => partition

Chanson du fou (la), poésie de Victor Hugo (1868) => partition

Chant d’amour, poésie d'Alphonse de Lamartine (1872) => partition

Chants des Pyrénées, six mélodies populaires (1867)

Coccinelle (la), poésie de Victor Hugo (1868) => partition

Colibri (le), poésie de Marie Alexandre Flan (1868/1873)

Conte, poésie de Paul Ferrier (1868/1873) => partition

Douce mer, poésie d'Alphonse de Lamartine (1867) => partition

Doute ! (le), poésie de Paul Ferrier (1868/1873) => partition

Esprit saint (l'), hymne (1869) => partition

Foi, l'Espérance et la Charité (la), poésie de Rousseau de Lagrave (1854)

Fuite (la), poésie de Théophile Gautier (1870) => partition

Gascon (le), poésie de Catulle Mendès (1868/1873)

Grillon (le), poésie d'Alphonse de Lamartine (Feuilles d'album, 1866) => partition

Guitare, poésie de Victor Hugo (Feuilles d'album, 1866) => fiche technique

J’aime l’amour !, extrait de Djamileh => partition

Je n’en dirai rien !, extrait de la Jolie fille de Perth => partition

Ma vie a son secret, sonnet de Félix d’Arvers (1868) => partition

Matin (le), mélodie de l'Arlésienne (1873) => partition

N'oublions pas !, poésie de Jules Barbier (1868/1873) => partition

Nuit (la), poésie de Paul Ferrier (1868/1873) => partition

Oiseau d'or (l')

 

    

 

Ouvre ton cœur, sérénade espagnole de Louis Delâtre (extrait de Vasco de Gama, 1860) => fiche technique

Pastel, poésie de Philippe Gille (1868/1873) => partition

Pastorale, poésie de Jean-François Regnard (juillet 1868) => fiche technique

Petite Marguerite, romance, poésie d'Olivier Rolland (1854 ?)

Pourquoi pleurer, poésie de H. de Saint-Georges (extrait de Noé) => partition

Qui donc t’aimera mieux ?, poésie de H. de Saint-Georges (extrait de Noé) => partition

Rêve de la bien-aimée, poésie de Louis de Courmont (1868) => partition

Rose d'amour, poésie de Charles Millevoye (Feuilles d'album, 1866) => partition

Rose et l'Abeille (la), poésie d'Olivier Rolland (1854 ?)

Sérénade : Oh ! quand je dors, poésie de Victor Hugo (1868/1873)

Si vous aimez !, poésie de Philippe Gille (1868/1873) => partition

Sirène (la), poésie de Catulle Mendès (1868) => partition

Sonnet, poésie de Pierre de Ronsard (Feuilles d'album, 1866) => partition

Tarentelle, poésie d'Edouard Pailleron (1868/1873) => partition

Vieille chanson, poésie de Charles Millevoye (1865) => partition

Vœu, poésie de Victor Hugo (1868/1873)

Vous ne priez pas, poésie de Casimir Delavigne (1868/1873) => partition

Voyage, poésie de Philippe Gille (1868/1873) => partition

 

œuvres instrumentales

 

Quatre Préludes, Valse, Thème brillant, Romance sans paroles, Deux Caprices, pour piano (avant 1854)

Nocturne, fa majeur, pour piano (1854)

Grande Valse de Concert, op. 1, pour piano (1854)

Ouverture, en la mineur (1855)

Symphonie en ut majeur (1855) [On en a tiré le ballet le Palais de Cristal (Opéra, 28 juillet 1947)] => fiche technique

Trois Esquisses musicales, pour piano, op. 33 (1858 ?) [1. Ronde turque ; 2. Sérénade ; 3. Caprice] => partition

Symphonie « Roma », ut majeur (1860‑1871) => partition

la Chasse fantastique, pour piano (1865) => partition

Trois Esquisses musicales, pour piano ou harmonium (1865)

Chants du Rhin, six lieder sans paroles d'après des stances de Joseph Méry, pour piano (1866) [1. l’Aurore ; 2. le Départ ; 3. les Rêves ; 4. la Bohémienne ; 5. les Confidences ; 6. le Retour] => partition

Variations chromatiques de concert, pour piano (1868)

Marine, pour piano (1868 ?) => partition

Premier Nocturne en ré majeur, pour piano (1868) => partition

Variations chromatiques, ut mineur, pour piano (1868) => partition

Marche funèbre, si mineur (ouverture de la Coupe du Roi de Thulé, 1868‑1869)

Promenade au clair de lune, pour piano (après 1869)

Causerie sentimentale, pour piano (après 1869)

Finale de Roma, pour 2 pianos (1871)

Jeux d'enfants, 12 pièces pour piano à 4 mains (1871) [1. l'Escarpolette ; 2. la Toupie ; 3. la Poupée ; 4. les Chevaux de bois ; 5. le Volant ; 6. Trompette et Tambour ; 7. les Bulles de savon ; 8. les Quatre coins ; 9. Colin-maillard ; 10. Saute-mouton ; 11. Petit mari, petite femme ! ; 12. le Bal] => partition [On en a tiré le ballet Jeux d'enfants (Monte-Carlo, 1932 ; Opéra, 16 juillet 1941)]

Petite suite d'orchestre, op. 22, 5 pièces de Jeux d'enfants (1871) [une 6e reste inédite]

l'Arlésienne, 1re suite d'orchestre (1872) [1. Prélude ; 2. Menuet ; 3. Adagietto ; 4. Carillon] [On en a tiré le ballet Farandole (Opéra, 26 juin 1909)] => fiche technique

l'Arlésienne, 2e suite d'orchestre, réunie par Ernest Guiraud (1879) [1. Pastorale ; 2. Intermezzo ; 3. Menuet ; 4. Farandole] [On en a tiré le ballet Fête arlésienne (Opéra-Comique, 29 mai 1959)] => fiche technique

Patrie !..., ouverture dramatique, op. 19, "Episode de la Guerre de Pologne" (Bataille de Raclawice gagnée sur les Russes, par Kosciuszko, 1792) (1873) => partition

 

 

                   

 

Patrie, Grand Orchestre Symphonique dir Gustave Cloëz, Odéon 170032 et 170033, mat. XXP 6552 à 6555, enr. le 01 juin 1928

 

Duo pour basson et violoncelle (1874)

Venise, romance sans paroles pour piano

 

              

 

Venise, romance sans paroles pour piano

 

transcriptions

 

Transcription pour piano solo de Don Juan et l'Oie du Caire de Mozart

Transcription pour piano solo et piano à 4 mains de Mignon et Hamlet d'Ambroise Thomas

Transcription pour piano solo de chœurs de Gounod (chœur des soldats de Faust ; chœur des servantes et chœur des porchers d'Ulysse ; chœur des bacchantes de Philémon et Baucis ; chœur des Sabéennes de la Reine de Saba ; chœur des magnanarelles de Mireille)

le Pianiste chanteur, six séries de transcriptions pour piano solo (1re et 2e séries : les Maîtres français ; 3e et 4e séries : les Maîtres italiens ; 5e et 6e séries : les Maîtres allemands) => partition

Transcription pour piano à 4 mains de Faust de Gounod

Transcription pour piano à 4 mains de l'Ouverture de Don Juan de Mozart

Transcription pour piano à 4 mains de la Première Symphonie de Gounod

Transcription pour piano à 4 mains de la Méditation de Charles Gounod sur le premier prélude de Bach

Douze transcriptions pour piano à 4 mains (d'après Bellini, Donizetti, Grétry, Haydn, Mozart, Rossini, Weber)

Neuf transcriptions à 4 mains sur « Hamlet » d'Ambroise Thomas

Six études en forme de canon, op. 56 pour piano à pédales de Robert Schumann, transcrites pour piano à 4 mains

 

 

 

Œuvres de Georges Bizet éditées par Choudens

 

 

 

 

Georges Bizet dessiné en Italie pendant son stage à la Villa Médicis, croquis de Gaston Planté (septembre 1860)

 

 

 

 

Georges Bizet, volontaire de la Garde Nationale en juillet 1870

 

 

 

Compositeur extrêmement distingué qui était l'un des jeunes artistes qui semblaient devoir se mettre à la tête de l'école musicale française et à qui la gloire paraissait réservée. Fils d'un professeur de chant, Bizet avait été, au Conservatoire, un triomphateur précoce, et avait fait dans cet établissement des études exceptionnellement brillantes. Élève d'abord de M. Marmontel pour le piano, de M. Benoist pour l'orgue, il était entré ensuite dans la classe de composition d'Halévy après avoir travaillé l'harmonie sous la direction particulière de Zimmermann. Âgé d'environ neuf ans lorsqu'il était admis à suivre les cours de l'école il obtenait sa première récompense avant d'avoir atteint sa onzième année et voici la liste de toutes celles qu'il reçut : 1er prix de solfège (1849) ; 2e prix de piano (1851) et 1er prix (1852) ; 1er accessit d'orgue (1853), 2e prix (1854) et 1er prix (1855) ; 2e prix de fugue (1854), et 1er prix (1855) ; enfin, deuxième grand prix de Rome à l'Institut (1856), et premier grand prix en 1857.

 

Bizet, dont les tendances wagnériennes n'étaient un mystère pour personne, et qui, pendant de longues années, afficha le mépris le plus complet pour la forme et le genre de l'opéra-comique, fit cependant ses débuts de compositeur dramatique d'une façon assez singulière. M. Offenbach, alors directeur du petit théâtre des Bouffes-Parisiens, venait d'ouvrir un concours pour la musique d'une opérette et le vainqueur de ce concours devait voir représenter son œuvre sur cette scène minuscule ; soixante-dix-huit compositeurs se présentèrent, parmi lesquels, à la suite d'un épreuve préparatoire, six furent jugés dignes d'entrer définitivement en lice ; ces six concurrents étaient, par ordre de mérite, MM. Bizet, Dermerssemann, Erlanger, Charles Lecocq, Limagne et Maniquel. Tous furent chargés de mettre en musique un livret intitulé le Docteur Miracle, et au bout de quelques semaines le jury chargé de l'examen des partitions proclama vainqueurs, ex æquo, MM. Charles Lecocq et Georges Bizet. Par une sorte d'ironie du sort, il se trouvait que, de ces deux jeunes artistes, l'un, M. Lecocq, devait être le transformateur du genre de l'opérette, que tous ses efforts tendraient à faire rentrer dans le giron de l'opéra-comique, tandis que l'autre, Bizet, devait se montrer le plus mortel ennemi de cet opéra-comique et professer le plus profond dédain pour les musiciens qui l'avaient porté à son plus haut point de splendeur !

 

Ceci se passait en 1857, et les deux partitions couronnées du Docteur Miracle étaient exécutées toutes deux aux Bouffes-Parisiens, celle de M. Lecocq le 8 avril, celle de Bizet le 9 avril, sans que le public fit un accueil bien chaleureux à l'une ni à l'autre. Trois mois après, Bizet concourait de nouveau à l'Institut, obtenait son premier prix, et partait bientôt pour Rome. D'Italie, où il travailla très sérieusement, il fit avec exactitude à l'Académie des Beaux-Arts les envois que chaque élève de l'Académie de France à Rome est tenu de lui adresser par les règlements. C'est ainsi que la première année il envoya un opéra bouffe italien en 2 actes, Don Procopio (1), la troisième année deux morceaux de symphonie et une ouverture intitulée la Chasse d'Ossian, et la quatrième année un opéra-comique en un acte, la Guzla de l'Émir. De retour en France au bout de quelques années, il s'y livra d'abord au professorat, puis songea à se produire sérieusement au théâtre. Il y réussit plus promptement que beaucoup de ses confrères, et le 30 septembre 1863 il donnait au Théâtre-Lyrique les Pêcheurs de perles, grand opéra en trois actes, qui fut suivi, le 26 décembre 1867, de la Jolie Fille de Perth grand opéra en 4 actes et 5 tableaux. Ces deux ouvrages, conçus dans le style wagnérien, étaient fort remarquables au point de vue de la facture et de l'instrumentation et annonçaient un jeune maître déjà très sûr de lui sous ce rapport ; mais l'un et l'autre laissaient considérablement à désirer en ce qui concerne l'inspiration et la pensée musicale. Le public fit un froid accueil à ces deux productions, dans lesquelles l'auteur avait sacrifié à une sorte de mélopée traînante et indéfinie, parsemée d'audaces harmoniques un peu trop violentes, les deux qualités sans lesquelles il n'est point de véritable musique : je veux dire la vigueur du rythme et la franchise du sentiment tonal.

 

(1) Voici comment le rapporteur den travails envoyés de Rome appréciait cet ouvrage, dans le compte-rendu de la séance publique annuelle de l'Académie des Beaux-Arts de 1859 : « Cet ouvrage se distingue par une touche aisée et brillante, un style jeune et hardi ; qualités précieuses pour le genre comique. » Cela paraît étrange aujourd'hui, à quiconque a pu apprécier le tempérament musical de Bizet et son horreur, au moins apparente, pour le genre bouffe ou même tempéré.

 

Bizet prit une revanche en faisant exécuter à peu près dans le même temps, aux Concerts populaires, deux fragments d'une symphonie qui furent reçus avec beaucoup de faveur, et qui se faisaient remarquer par une bonne couleur et une rare vigueur de touche. Mais il revint bientôt à sa première manière en donnant à l'Opéra-Comique (22 mai 1872) un petit ouvrage eu un acte, Djamileh, production étrange dans laquelle il semblait avoir voulu accumuler à plaisir toutes les qualités les plus anti-scéniques dont un musicien puisse faire preuve au théâtre. Djamileh n'eut aucun succès. Cependant, comme Bizet n'était pas seulement un artiste d'un très grand talent au point de vue de la pratique et du savoir, mais qu'il y avait encore chez lui toute l'étoffe d'un créateur, il revint à un plus juste sentiment des nécessités de l'art en écrivant pour un joli drame de M. Alphonse Daudet, l'Arlésienne, une partition symphonique et choral qui était un petit chef-d'œuvre de grâce, de poésie, de fraîcheur et d'inspiration. A la musique de l'Arlésienne, qui fut ensuite présentée dans les concerts avec beaucoup de succès, sous forme de suite d'orchestre, succéda bientôt l'ouverture de Patrie, page nerveuse et colorée, pleine de vigueur et d'éclat, mais dans laquelle le compositeur avait encore trop sacrifié l'idée à la forme, le corps au vêtement, la pensée à l'expression. Cette ouverture fut exécutée avec succès aux Concerts populaires.

 

Après tant d'essais divers, après de si nombreuses tentatives dans des genres différents, tous ceux qui avaient souci de l'avenir de la jeune école française et qui pensaient que, malgré ses erreurs passées, malgré ses dédains calculés ou exagérés pour certaines formes musicales, malgré des partis-pris évidents et fâcheux, Bizet était l'un des soutiens les plus fermes, les mieux doués et les plus intelligents de cette école, attendaient avec intérêt ce jeune maître à sa première œuvre dramatique importante. Il s'agissait, pour eux, de savoir si Bizet, s'adressant de nouveau au théâtre, voudrait se décider enfin à faire de la musique théâtrale, ou bien si, s'obstinant dans les théories anti-dramatiques de M. Richard Wagner et de ses imitateurs, il voudrait continuer à transporter à la scène ce qui lui est absolument hostile, c'est‑à-dire la rêverie, la poésie extatique et l'élément symphonique pur. C'est à ce moment qu'on annonça au théâtre de l'Opéra-Comique la prochaine apparition d'une œuvre importante du jeune compositeur, Carmen, ouvrage en 4 actes, dont MM. Henri Meilhac et Ludovic Halévy avaient tiré le livret d'une nouvelle de Prosper Mérimée portant le même titre. Or, nul n'ignorait que Bizet avait affiché hautement, en mainte occasion, une étrange antipathie pour le genre de l'opéra-comique et pour le génie d'un de ses représentants les plus glorieux dans le passé, Boieldieu. On se demandait dont avec une certaine anxiété si l'auteur des Pêcheurs de perles, rompant violemment avec des traditions plus que séculaires, allait essayer d'imposer, à la scène illustrée par tant d'aimables chefs-d'œuvre, une poétique nouvelle et incompréhensible, ou bien si, se séparant avec éclat de la petite chapelle composée de quelques impuissants et dont il était en quelque sorte le chef reconnu, il en viendrait à faire ce que ces jeunes dédaigneux par stérilité appelaient « des concessions au public », et s'il entrerait résolument dans une voie féconde et pour lui pleine d'avenir.

 

Il n'est que juste de déclarer que Bizet ne justifia en aucune façon les craintes légitimes de quelques-uns, et que son œuvre nouvelle, témoignage éclatant d'une évolution profonde qui s'était opérée dans son esprit, donnait des preuves de son désir de bien faire et de ses préoccupations en faveur d'un art rationnel, sage et parfaitement accessible à tous. La partition de Carmen n'était pas un chef d'œuvre sans doute, mais c'était une promesse brillante, et elle semblait, de la part de son auteur, comme une sorte de déclaration de principes nouveaux, comme une prise de possession d'un domaine qui lui avait paru jusqu'alors indigne de ses désirs et de ses convoitises. A ces divers égards, elle méritait de fixer l'attention du public et de la critique, qui l'accueillirent avec le plus grand plaisir. On remarqua que cette partition, inégale assurément, mais très étudiée très soignée, était écrite dans le vrai ton de l'opéra-comique, bien que l'auteur n'eût point voulu pour cela faire abstraction de son rare talent de symphoniste, et que cette préoccupation l'eût entraîné parfois un peu plus loin que de raison ; on lui reprocha aussi, assez justement, de n'avoir point assez de souci de la nature et de la limite des voix. Mais, à part quelques réserves, on dut rendre et l'on rendit pleine justice au talent déployé par le musicien, à l'excellent travail d'ordonnancement et de mise en œuvre de ses morceaux, à la couleur et au charme qu'il avait su donner à la plupart d'entre eux, à la poésie qu'il avait répandue sur certains épisodes, enfin à ses jolis effets d'instrumentation et à son rare sentiment du pittoresque. En résumé, l'élégante partition de Carmen montrait Bizet à la recherche d'horizons nouveaux, et donnait de grandes et légitimes espérances pour son avenir de compositeur dramatique.

 

C'est à ce moment que la mort vint foudroyer le jeune artiste, dans toute la force de l'intelligence et de la production. Trois mois, jour pour jour, après la première représentation de Carmen, le 3 juin 1875, il fut étouffé presque subitement par un rhumatisme au cœur, dont il était déjà depuis longtemps attaqué. Habitant Bougival avec sa famille, il rentrait d'une promenade lorsqu'il tomba tout à coup sans connaissance, ayant à peine le temps d'appeler sa jeune femme, qui accourut à ses cris ; il ne reprit pas ses sens, et mourut dans la nuit. Peu d'années après la mort d'Halévy, Bizet avait épousé l'une des filles de son maître, Mlle Geneviève Halévy ; il la laissa veuve avec un jeune orphelin de cinq ans.

 

C'est ainsi que disparut un artiste dont la carrière promettait d'être brillante, et qui, doué d'une grande intelligence et de rares facultés, aurait peut-être atteint les plus hauts sommets de la gloire. Sa mort fut une grande perte pour l'art français car elle arriva au moment où le jeune maître, devenu complètement sûr de lui-même, éclairé par une critique bienveillante, ayant mûrement réfléchi sur les nécessités qui s'imposent au musicien désireux de se faire un grand nom, aurait produit sans doute ses œuvres les plus achevées et les plus accomplies. Bizet, on peut le dire, était un artiste de race et de tempérament.

 

Bizet a publié, en dehors du théâtre, les compositions suivantes : CHANT : Feuilles d'album (1° A une fleur ; 2° Adieux à Suzon ; 3° Sonnet de Ronsard ; 4° Guitare ; 5° Rose d'Amour ; 6° le Grillon), Paris, Heugel. — Recueil de vingt Mélodies. (1° Chanson d'Avril ; 2° Viens, c'est l'Amour ; 3° Vieille chanson ; 4° les Adieux de l'hôtesse arabe ; 5° le Rêve de la bien-aimée ; 6° J'aime l'amour ; 7° Vous ne priez pas ; 8° Ma vie a son secret ; 9° Pastorale ; 10° Sérénade ; 11° Berceuse ; 12° la Chanson du fou ; 13° Absence ; 14° Douce mer ; 15° Après l'hiver ; 16° la Coccinelle ; 17° Chanson d'amour ; 18° Je n'en dirai rien ; 19° l'Esprit saint ; 20° Tarentelle), Paris, Choudens. — PIANO. Les Chants du Rhin, six lieder pour piano (1° l'Aurore ; 2° le Départ ; 3° les Rêves ; 4° la Bohémienne ; 5° les Confidences ; 6° le Retour), Paris, Heugel. — Jeux d'enfants, douze pièces (1° l'Escarpolette ; 2° la Toupie ; 3° la Poupée ; 4° les Chevaux de bois ; 5° le Volant ; 6° Trompette et tambour ; 7° les Bulles de savon ; 8° les Quatre coins ; 9° Colin‑Maillard ; 10° Saute-Mouton ; 11° Petit mari, petite femme ; 12° le Bal), Paris, Durand-Schœnewerk. — Six transcriptions sur Mignon, Paris, Heugel. — Six transcriptions sur Don Juan, Paris, Heugel. — Neuf transcriptions à quatre mains sur Hamlet, Paris, Heugel. — Danse Bohémienne, Paris, Choudens. — Venise, romance sans paroles, Paris, Choudens. — Bizet avait fait aussi les réductions pour piano seul des partitions d'Hamlet et de l'Oie du Caire, et les arrangements pour piano 4 quatre mains des partitions d'Hamlet et de Mignon. Enfin, on lui doit une très intéressante collection publiée sous ce titre : le Pianiste chanteur, célèbres œuvres des maîtres italiens, allemands et français, transcrites pour le piano, soigneusement doigtées et accentuées (150 transcriptions), Paris, Heugel.

 

Bizet a laissé en portefeuille, un certain nombre de compositions, dont plusieurs fort importantes ; parmi ces dernières se trouve un opéra entièrement terminé, Ivan le terrible, écrit sur un poème de MM. Leroy et Trianon, que M. Gounod avait entrepris de mettre en musique, pour y renoncer ensuite. Parmi ses œuvres inachevées, il faut citer un grand oratorio, Geneviève, patronne de Paris, et un drame lyrique, le Cid, dont la plus grande partie du chant seulement était écrite. Cet artiste fort distingué avait été nommé chevalier de la Légion d'honneur peu de jours avant l'apparition de sa dernière œuvre dramatique, Carmen, dont, la veille de sa mort, l'Opéra-Comique donnait la trente-unième représentation, et qui a obtenu depuis un vif succès à Vienne. Le 31 octobre 1875, un hommage public lui a été rendu à la séance de réouverture des concerts de l'Association artistique ; sous ce titre : A la mémoire de Georges Bizet, une partie de ce concert lui était consacrée, comprenant l'ouverture intitulée Patrie, l'une de ses dernières compositions ; un Lamento pour orchestre de M. Jules Massenet, son ami, écrit expressément à cette occasion ; et une pièce de vers de M. Louis Gallet, Souvenir, dite par Mme Galli‑Marié, l'interprète du rôle de Carmen à l'Opéra-Comique. Cet hommage touchant était digne de l'artiste (2).

 

(2) Je rapporterai ici deux faits peu connus. Bizet s'était livré a une fantaisie en écrivant la musique du premier acte de Malbrough s'en va-t-en guerre, grande opérette en 4 actes, représentée au théâtre de l'Athénée le 15 décembre 1867 et dont les autres avaient été faits par MM. Léo Delibes, Emile Jonas et Legouix. A la même époque, Bizet donna, sous le pseudonyme transparent de Gaston de Betzi, un certain nombre d'articles de critique musicale à un recueil important, mais depuis lors disparu, la Revue nationale.

 

(François-Joseph Fétis, Biographie universelle des musiciens, suppl. d’Arthur Pougin, 1878-1880)

 

 

 

 

 

Georges Bizet à 25 ans

 

 

 

La millième représentation de Carmen, que l'Opéra-Comique a fêtée avec tout le faste désirable, vient de remettre en éclatante lumière le nom glorieux de Georges Bizet. Il ne me paraît pas inutile de rappeler brièvement, à cette occasion, ce que fut le grand musicien dont l'apothéose a rempli les uns d'une joie sincère et tranquille, les autres d'une allégresse tumultueuse et ostentatrice, car de sa vie, de son caractère, de son travail, de ses luttes, de ses douleurs, nous pourrons sans doute tirer quelques bons et salutaires enseignements.

Gamin, il ressemble assez bien aux enfants prodiges qui inquiètent, déconcertent par leur précocité, leur facilité souvent très vaines et très insupportables. A neuf ans, ses prouesses extraordinaires étonnent, révolutionnent les examinateurs du Conservatoire. De onze à dix-huit, il remporte successivement les premiers prix de solfège, de piano, d'orgue, de contrepoint et fugue et de haute composition. C'est un fort en thème incomparable. Quelque temps avant de partir pour Rome, encore élève, il apprend qu'un concours d'opérette est ouvert : il écrit la partition imposée, le Docteur Miracle, et triomphe, ex æquo, avec M. Charles Lecocq. Voila donc notre petit homme auteur dramatique, obéissant, dès son adolescence, à la nature prodigieusement impulsive qui n'allait jamais cesser de le dominer.

Arrivé, installé à la Villa Médicis, il ne songe qu'au théâtre. En flânant, il aperçoit à l'étalage d'un marchand de vieux papiers, de vieux bouquins, le livret d'une bouffonnerie lyrique : Don Procopio. Vite, il l'achète, l'orne de mélodies et décide que ce sera son premier « envoi » à l'Institut. Mais Ambroise Thomas, rapporteur académique, gendarme des traditions, lui adresse la mercuriale suivante : « Nous devons blâmer M. Bizet d'avoir fait un opéra quand le règlement demandait une messe. Nous lui rappelons que les tempéraments les plus enjoués trouvent dans la méditation et l'interprétation des choses sublimes un style indispensable même dans les productions légères et sans lequel une œuvre ne saurait être durable. » Singulière nécessité stupidement grotesque et sinistre ! « Si vous n'avez pas la foi, célébrez néanmoins le Seigneur, mon ami, et mentez carrément dans votre art. Ça n'a point d'importance. » Revenu ici, il bâcle, pour débuter immédiatement à l'Opéra-Comique, un petit acte, la Guzla de l'Emir, qu'il détruit durent les répétitions afin de se consacrer entièrement aux Pêcheurs de perles que Carvalho, régnant alors place du Châtelet, lui offre de jouer. On raconte à ce sujet que le père Cormon et Michel Carré, en entendant la partition inspirée par leur pièce à Bizet, s'écrièrent : « Mais nous sommes des misérables d'avoir donné cet « ours » infâme à un garçon de pareil talent ». Rien de plus juste. Aussi la première grande partition de l'auteur de Carmen ne témoigne-t-elle d'aucune personnalité. L'influence de Gounod s'y révèle, prépondérante, n'étouffant pas cependant l'instinct de la scène qui s'y manifeste nettement.

La chute des Pêcheurs de perles, douce d'ailleurs et comme ouatée d'indifférence, ne décourage point Bizet, qui, aussitôt après, s'attaque vigoureusement aux cinq actes d’Ivan le Terrible, signés de je ne sais plus qui. Mais à peine a-t-il composé, orchestré, achevé sa musique, qu'il se rend compte de la médiocrité du poème et qu'il brûle le tout, dans un accès de clairvoyante et heureuse colère. Au tour maintenant de la Jolie Fille de Perth. Hélas ! ses nouveaux librettistes, Saint-Georges et Adenis, ne le soignent pas mieux que les autres, en cuisinant Walter Scott selon les habituelles méthodes, et voilà sa troisième œuvre de longue haleine destinée, elle aussi, à l'oubli, faute d'originalité, d'invention, d'audace. Bizet, du reste, reconnaît l'erreur où il est tombé ; il écrit, au lendemain de la représentation : « J'ai fait, cette fois encore, des concessions que je regrette, je l'avoue. L'école des flonflons, des roulades, du mensonge est morte ! Enterrons-la sans larmes, sans émotion, et... en avant ! »

« En avant ! » C'était bien le mot brave et fier qu'il fallait jeter alors. Mais comment se conformer à un tel programmer comment arrivera l’imposer au public ? Par le journalisme peut-être, qui suggère les idées aux soldats de la plume et qui sème ensuite ces idées dans les vastes champs de l'esprit humain. Bizet accepte donc une critique musicale. Son article de début contient d’excellentes choses. « Certes, dit-il, on ne peut nier que tout homme instruit, éclairé, doué de sensibilité, ait la faculté et, par conséquent, le droit de louer ou de blâmer une production artistique quelconque, j'en demeure d'accord ; mais que l'ouvrier de la pensée, continuellement préoccupé tout à la fois des questions les plus élevées et les plus spéciales de son art, ne puisse être admis à juger les œuvres de ses pairs, sous je ne sais quel prétexte de bienséance et de bonne confraternité, cela me paraît, je l’avoue, absolument illogique et souverainement injuste. » Après avoir défini le rôle qu'il aspire à jouer, il ajoute, comme s'il songeait déjà à l’Arlésienne, à Carmen, comme s'il prévoyait l'accueil qui leur serait fait : « Quand un tempérament passionné, violent, brutal même, dote l'art d'une œuvre vivante et forte, pétrie d'or, de boue, de fiel et de sang, n'allons pas lui dire froidement : « Mais, cher monsieur, cela manque de goût, cela n'est pas distingué. » Distingué ?... Est-ce que Michel-Ange, Homère, Dante, Shakespeare, Beethoven, Cervantès et Rabelais sont distingués ?... » Ayant si bien commencé, Bizet ne se risque point à continuer et abandonne sa tâche immédiatement après la publication de cet unique feuilleton. Il entreprend alors la musique de la Coupe du Roi de Thulé. Il en écrit quelques morceaux, change d'avis et ne va pas plus loin. Puis il travaille à une symphonie et s'interrompt pour donner tous ses instants à trois opéras : Calendal, Clarisse Harlowe et Grisélidis, dont il ne termine aucun. Et la guerre éclate.

Elle dicte à Bizet l'ouverture de Patrie, la première de ses œuvre marquantes, et ces belles lignes qui suffisent à éclairer une âme : « Et notre pauvre philosophie, et nos rêves de paix universelle, de fraternité cosmopolite, d'association humaine !... Au lieu de tout cela, des larmes, du sang, des monceaux de chair, des crimes sans nombre, sans fin ! Je ne puis dire dans quelle tristesse me plongent ces horreurs. Je suis Français, je m'en souviens, mais je ne puis tout à fait oublier que je suis un homme. Cette guerre coûtera à l'humanité cinq cent mille existences. Quant à la France, elle y laissera tout !.... » Nos désastres le métamorphosent, l'assagissent dans la réflexion et la raison. Séduit par la Namouna d'Alfred de Musset, il demande à Louis Gallet de lui en tirer un livret. Et Djamileh est jouée à l'Opéra-Comique. Et voilà Bizet, sous le parrainage du poète des Nuits, marié enfin à la littérature et jeté, par cela même, en pleine bataille. Jusqu'ici le succès lui a bien échappé, mais sans qu'il rencontrât sur sa route l'hostilité ni l'envie. Qu'importent des Pêcheurs de perles et une Jolie Fille de Perth ! Cela ne fait peur à personne, car de pareils sujets viennent au monde morts-nés. L’Arlésienne, Carmen, diable ! c'est différent. Alphonse Daudet, d'un côté ; de l'autre Henri Meilhac et Ludovic Halévy, s'appuyant sur Prosper Mérimée, voilà des librettistes peu ordinaires qui pourraient très bien agencer un drame solide, logique et viable. Attention ! Et chacun se met sur ses gardes.

« L'Arlésienne, hurle-t-on, ce n'est pas une pièce, ce n'est pas une musique, c'est un semblant de quelque chose ! Carmen, proteste-t-on, c'est une histoire révoltante, grossière, immorale, indigne des pudeurs, des vertus du public, c'est une partition banale, malpropre et offensante que de chastes oreilles n'écoutent pas ! » Et nul de ceux qui s'honoreraient et s'enrichiraient à la fois en défendant Carmen ne lève le petit doigt pour la secourir. Et le prude directeur de l'Opéra-Comique, Camille de Locle, conseille obligeamment au ministre des Beaux-Arts de ne pas laisser voir à sa famille, à ses enfants, l'indécent spectacle, et quand ce dernier, la veille de la représentation, attache hardiment le ruban rouge à la boutonnière du trouble-fête, tout le monde rugit : « Il l'a décoré avant, sachant bien qu'il ne pourrait plus le faire après. »

On nous a montré Georges Bizet sortant du Théâtre Favart, dans la nuit du 3 au 4 mars 1875, et parcourant Paris, comme un fou, au bras d'Ernest Guiraud, témoin épouvanté de son désespoir et de ses larmes. J'ignore si cette poignante tragédie intime est exacte, mais, en tous cas, je ne doute pas des souffrances que le pauvre homme dut endurer à la suite de son suprême échec, souffrances qui, au bout de trois mois, eurent raison de son énergie, de son courage, et le tuèrent. Certes, il eut tort de ne pas rester hermétiquement cuirassé contre la méchanceté, la lâcheté, la bêtise éternelles, de se désoler d'un insuccès provisoire, de n'avoir point une foi profonde, indéracinable. en l'invincible et triomphante force du génie et de la justice. Sa disparition si terriblement prématurée permit du moins aux sottises, aux jalousies, aux vilenies de s'apaiser un moment. On s'imagina que l’Arlésienne et Carmen avaient accompagné leur auteur dans la tombe et l'on passa vite à d'autres exercices. On se trompait. Les chefs-d'œuvre sont immortels. Ceux-là sommeillaient et, quand ils se réveillèrent, leurs ennemis de jadis, désarmés, désemparés, n'eurent rien de plus pressé que de les admirer bruyamment, que de les acclamer frénétiquement. Ils étaient hier à la « millième » de Carmen, se mêlant à nous, couvrant notre voix grave de tumultueuses exclamations. Ils seront demain à la « cinq centième » de l’Arlésienne, aussi agités et turbulents, prêts à nous apprendre le chemin du cœur qu'ils méconnurent, blessèrent et torturèrent. Ce cœur, nous venons de le dévoiler en retraçant l'existence si courte et si remplie de Bizet. Nous avons vu d'abord celui-ci, dans son ardeur primesautière, dans son allègre spontanéité, aller d'un projet à un autre, sans savoir souvent auquel s'attacher. A ceux qu'il exécute, son miraculeux « métier » de parfait lauréat ne prête qu'un faux éclat, qu'un éphémère intérêt. Puis, la douleur lui apprend son devoir d'artiste. Cette douleur qui, sur des champs de carnage, extermine les peuples fraternels, creuse en lui de généreux sillons. Cette douleur, source féconde où il s’est retrempé, il veut l'exprimer à sa manière. Dès qu'une personnalité s’affirme, vous savez ce qui arrive. Celle de Bizet ne date que de l'instant où il a choisi des poèmes déclarés inacceptables par les souverains juges du bon goût. Sa gloire ne commence qu'à l'heure des insultes, des trahisons et des dénigrements. Aimons donc l'homme pour ses chagrins héroïques ; aimons le musicien pour ses nobles audaces ; aimons l’Arlésienne et Carmen pour leur durable beauté. Elles furent, ne l'oublions pas, le point de départ de l'évolution présente ; elles nous conduisirent, par les âpres chemins où se multiplièrent nos fermes vouloirs, vers la vérité, vers la lumière, vers la vie, loin desquelles toutes les ambitions, toutes les tentatives, tous les efforts ne cesseront jamais d'être vains.

(Alfred Bruneau, Musica, février 1905)

 

 

 

 

 

Georges Bizet par Félix Henri Giacomotti (1860) [musée Carnavalet]

 

 

 

Le Centenaire de Bizet.

Certes, dans l'effort de renouveau qui s'impose à ce pays, et qui devrait mettre fin à des rancœurs ou des disputes peu faites pour augmenter notre prestige aux yeux de l'étranger, le culte de nos valeurs spirituelles doit avoir sa place, — et en particulier le culte de nos grands musiciens. Quel langage, en effet, est plus susceptible de rapprocher les hommes, de les aider à se comprendre, que celui des sons ? Sait-on que Carmen, l'œuvre maîtresse de Georges Bizet, est sans doute l'œuvre lyrique française qui, à l'heure où nous sommes, a fait retentir ses accents sur le plus grand nombre de théâtres du monde entier ? Sait-on qu'elle restait dernièrement, à l'Opéra d'Etat de Berlin, la partition la plus jouée (860 représentations) distançant sensiblement les ouvrages allemands les plus favorisés ?...

Qu'en diraient les augures de la critique parisienne de 1875 qui prodiguèrent, lors de sa création, tant de sottises ?... L'histoire est d'ailleurs éternelle. Combien d'artistes de haute classe n'en ont-ils pas été, ou n'en seront-ils pas, après Georges Bizet, les victimes ?

Il n'en est pas moins vrai que si Bizet, qui devait nous quitter à trente-sept ans, avait été mieux compris, plus encouragé dès ses débuts, son tempérament ardent, sincère, aurait tout de suite compris dans quel sens il devait avant tout se dépenser. Il n'aurait sans doute pas connu certaines hésitations, certains ménagements, qui n'empêchent pas heureusement son œuvre directe, sensible, si française d'esprit, de conserver son prix. Nul plus que Bizet, d'ailleurs, ne sentait ce qu'ont d'artificiel les classements, les chicanes. Dans un article peu connu publié par la Revue Nationale, il proclamait des vérités qui n'ont pas cessé, que je sache, d'avoir cours : « On chicane au lieu d'avancer. On ergote, au lieu de produire. Les compositeurs se font rares. Mais en revanche les partis, les sectes, se multiplient à l'infini... Pour moi, il n'existe que deux musiques : la bonne et la mauvaise. L'artiste n'a pas de nom, pas de nationalité. Il est inspiré, ou il ne l'est pas. Il a du génie, du talent, ou il n'en a pas. S'il en a, il faut l'adopter, l'aimer, l'acclamer. S'il n'en a pas, il faut le respecter, le plaindre... et l'oublier. Nommez-vous Rossini, Auber, Gounod, Wagner, Berlioz, Félicien David, Verdi ou Pitanchu, que m'importe ? Charmez-moi, éblouissez-moi, transportez-moi ! Je ne vous ferai certes pas la sotte injure de vous classer, de vous étiqueter comme les coléoptères. Ne demandons pas à un grand artiste les qualités qui lui manquent sans profiter de celles qu'il possède. En vérité je vous le dis, les compositeurs sont les parias, les martyrs de la société moderne. Comme les gladiateurs antiques, ils tombent en s'écriant : Salve Popule, Morituri te salutant ! Oh ! la musique ! Quel art splendide, mais quel triste métier. Attendons, attendons... Et surtout espérons ! »

Les événements ont prouvé que Bizet, en ce qui le concerne, n'avait pas tort de faire confiance au jugement de l'avenir. Malgré l'opposition qui, de son vivant, n'a cessé de stigmatiser tour à tour son prétendu « wagnérisme », et ses concessions au goût du jour, ses œuvres essentielles ont résisté victorieusement à l'injure des ans. Carmen et l'Arlésienne sont assurées de subjuguer encore longtemps les foules par leur force de vie, leur spontanéité, et l'accent peu commun de leurs pages les plus achevées. Et les autres ouvrages, tout en portant davantage les traces de leur âge, conservent leur fraîcheur, leur musicalité, leur couleur propres. On l'a vu aux manifestations que vient d'organiser l'Opéra-Comique.

La représentation de Carmen, à vrai dire, manque un peu d'éclat quant à la distribution vocale. Mais était-il possible, avec les ressources actuelles, de faire beaucoup mieux ? N'évoquons pas de redoutables souvenirs, et les noms qui hantent nos mémoires des artistes de haute classe qui ont marqué du sceau de leur personnalités respectives les deux rôles principaux. Mme Emma Calvé, n'était-elle pas dans la salle ? Mlle Renée Gilly fait, manifestement, de son mieux. Elle a une voix sonore, un peu dure, de l'accent, des intentions scéniques louables. Mais certains aspects, malheureusement importants, du personnage de Carmen dans les épisodes de charme ou de féminité, semblent peu lui convenir. Remplaçant au pied levé M. Thill malade, une jeune recrue de la salle Favart a montré en Don José, des qualités de sincérité et de mouvement que son expérience même rend fort sympathique. Son nom est M. Alteri. Mme Solange Delmas, dont le soprano est si pur, est plus à son aise sans doute dans les effusions de Micaëla que M. Martial Singher dont vous connaissez ailleurs tous les mérites dans les couplets d'Escamillo, qui, de l'avis même de Bizet constituaient la partie la plus périssable de l'œuvre. M. Eugène Bigot dirige l'orchestre avec son autorité coutumière. Des nouveaux décors fort artistiques, de M. Dignimont, il faut signaler particulièrement celui du cabaret de Lillas Pastia pour son ingénieux agencement et très hors de pair celui du dernier acte, qui convient à merveille à son objet et au caractère de l'œuvre.

Hélas ! le manque de place ne me permet pas de m'étendre comme je le voudrais sur les autres manifestations de la célébration du Centenaire de Bizet. Le concert de gala donné à l'Opéra-Comique, le lendemain de Carmen, nous a fait connaître une Ouverture inédite, qui commence bien, est brillamment instrumentée, mais semble surtout être une esquisse de jeunesse. On a réentendu avec plaisir, outre l'ouverture de Patrie et la seconde suite de l'Arlésienne, la Symphonie en ut majeur, les nobles Variations instrumentées par M. Weingartner et les délicieux Jeux d'Enfants. Le mercredi 27 octobre, Djamileh reparaissait, avec les Pêcheurs de Perles, sur l'affiche de la salle Favart. Mlle Jenny Tourrel, MM. Arnoult et Roger Bourdin d'une part, Mlle Lily Grandval, MM. Musy, Etcheverry, Lugo, d'autre part se sont vaillamment dévoués à leur tâche sous la sûre baguette de M. Cloëz. Et il a semblé, que pour sa fraîcheur sincère, Djamileh, ressentait moins les atteintes des ans que les Pêcheurs, d'ailleurs antérieurs, et où l'influence gounodienne voire même meyerbeerienne est sensible.

(Gustave Samazeuilh, le Monde illustré, 05 novembre 1938)

 

 

 

 

statue de Georges Bizet par Alexandre Falguière, dans le hall-fumoir de l'Opéra-Comique

 

 

 

Georges Bizet par Mitterfellner [Ackermanns Kunstverlag, Munich]

 

 

 

Bizet naquit à Paris le 25 octobre 1838. Une fois qu'ils l'eurent inscrit à la mairie sous les prénoms impressionnants d'Alexandre-César-Léopold, ses père et mère l'appelèrent plus simplement Georges.

 

Extraordinairement précoce, doué comme pas un, le futur auteur de Carmen connut l'inestimable privilège de naître dans une famille d'artistes et de grandir dans un milieu favorable à l'épanouissement de ses dons. Si bien qu'ayant reçu, dès l'âge de quatre ans, ses premières leçons de musique, il vit, à neuf ans (grâce à une dispense d'âge qui équivalait à une consécration avant la lettre), les portes du Conservatoire s'ouvrir devant sa minuscule personne. Elève de Zimmermann pour le contrepoint (c'est Gounod qui, souvent, donnait la leçon), de Benoît pour l'orgue et de Marmontel pour le piano, le jeune Bizet rafla tous les premiers prix. Son prodigieux talent de pianiste l'avait désigné à l'admiration des foules, émerveillant Liszt et Berlioz : « Depuis Liszt et Mendelssohn, on a peu vu de lecteurs de sa force », nota le musicien des Troyens dans un de ses feuilletons. Mais, pour échapper à l'inévitable étiquetage, dont les effets eussent compromis sa carrière de compositeur, Bizet renonça à celle de pianiste-virtuose ; au point que, plus tard, pour vivre, il préférera écrire des solos de piston, se vengeant de la médiocrité de la besogne en orchestrant les accompagnements « plus canailles que nature ». Après la mort de Zimmermann, le jeune candidat à la maîtrise entra dans la classe de composition de Fromental Halévy — son futur beau-père. En 1856, il obtint le second Grand Prix de Rome et, l'an d'après, à 19 ans, le Grand Prix.

 

Mais voilà bien le jeune impatient que se sont accordés à portraiturer ses biographes : à l'époque même où il se soumettait à l'austère discipline dont l'enjeu était le séjour de Rome, Bizet prenait part à un concours d'opérettes organisé par Offenbach. Les concurrents devaient mettre en musique un livret imposé, le Docteur Miracle. Bizet sortit premier, de compte à demi avec Charles Lecocq ; les partitions des deux lauréats furent jouées alternativement. Lecocq avait trouvé sa voie ; quant à Bizet, cette expérience dans un genre mineur mais nullement méprisable, lui avait permis d'éprouver ses dons scéniques. Car il fut musicien de théâtre, essentiellement : « Tu peux faire autre chose que du théâtre ; moi, je ne peux pas », dit-il un jour à Saint-Saëns. Aussi bien est-ce sa production lyrique qu'il sied d'étudier ici, afin de situer ce grand maître à sa place exacte dans l'évolution de la musique française contemporaine. Mentionnons auparavant ses autres œuvres (les omettre équivaudrait à être incomplet) : c'est la charmante suite pour piano, Jeux d'enfants, dont Bizet orchestra quelques numéros (les Ballets russes de Monte-Carlo en firent naguère un acte dansé) ; ce sont les Chants du Rhin, pour piano également, l'ouverture de Patrie, vingt mélodies pour chant, qui mériteraient d'être moins oubliées — sans compter l'étonnante Symphonie en ut, dont le manuscrit fut découvert en 1935 par Félix Weingartner : l'on y voit Bizet, âgé de 17 ans, faire preuve d'une fraîcheur d'invention, d'une netteté d'écriture à proprement parler étourdissantes. La précocité de l'artiste, la fougue de son tempérament se manifestent dans cette symphonie avec (que l'on me passe le mot), une impertinence idoine à enthousiasmer l'esprit le plus rétréci. Mais l'invention n'est pas « symphonique », c'est déjà l'homme de théâtre qui s'exprime.

 

La vie de Bizet fut courte et le musicien, qui en avait sans doute prescience, dut travailler sans merci pour léguer aux hommes un Œuvre numériquement peu abondant, mais dont la valeur s'inscrit dans le temps, en une courbe franchement ascendante.

 

Des Pêcheurs de perles (1863), il nous est resté un célèbre duo, ce qui n'est pas rien. Dans son ensemble, cet ouvrage sacrifie délibérément au goût italien ; mais le plus grand tort de Bizet en cette affaire, fut sans doute d'avoir accueilli un livret d'une médiocrité indéfendable. A l'exception de Berlioz, qui avait décelé la valeur de son jeune confrère, la presse se montra hargneuse et certains de ses représentants, crispés dans une attitude de parti pris somme toute assez flatteuse, allèrent jusqu'à blâmer le musicien d'être venu saluer sur la scène !

 

En 1867, la Jolie fille de Perth ne fut pas mieux reçue. Il semble bien que cette partition soit la moins bonne de Bizet ; ce dernier l'écrivit en l'espace de six mois, en ne se dérobant pour le surplus à aucune des concessions propres à flatter les goûts du public. Et pourtant ! Regardons-y d'un peu plus près : oui, c'est bien le maître de Carmen qui, au long de ces quatre actes solidement charpentés, fait déjà sentir sa « patte » ; la ligne ascendante n'est pas altérée.

 

Bizet avait atteint la trentaine. Le 3 juin 1869, il épousa Geneviève Halévy, fille du célèbre auteur de la Juive, son ancien maître. Devenue veuve jour pour jour six ans plus tard, elle devait convoler en secondes noces avec l'avocat Straus, que l'on dit apparenté à l'un des barons de Rothschild. Selon Ferdinand Bac, qui la vit encore pendant la guerre de 1914, la veuve de Bizet avait une « réputation justifiée d'esprit ». C'est auprès de cette femme d'élite que Bizet, vivant ses dernières années, brisa ses chaînes pour nous donner trois chefs-d'œuvre, et premièrement, en 1872, un petit ouvrage en un acte, Djamileh. Cette fois-ci encore, notre musicien avait mal enfourné son affaire : le livret que Louis Gallet composa en s'inspirant de la Namouna de Musset, est à proprement parler imbuvable. Mais public et critiques n'en furent pas moins conquis par la partition, tellement en sont fraîche l'inspiration et souveraine la facture. Bizet fut jugé par un journaliste, comme l'« un des musiciens les plus remarquables de notre temps ».

 

Quatre mois plus tard, le 1er octobre 1872, eut lieu, sur le Théâtre du Vaudeville, la première de l'Arlésienne, drame en trois actes d'Alphonse Daudet, avec une musique de scène de Bizet. Ce fut un échec complet. Surmené, sa résistance physique épuisée, le compositeur (il avait pourtant obtenu l'adhésion de ses pairs), se montra fort affligé de cet insuccès, dû à la médiocrité d'esprit des uns, non moins qu'à la méchanceté des autres. « Devant ce four épais, noir, imprévu (écrivait le lendemain Daudet à Camille Bellaigue), il nous semblait, à Bizet et à moi, nous noyer avec un collier de pierreries autour du cou ! » En raison de ses qualités, probablement, l'Arlésienne eut en effet le don d'exaspérer certaines gens — un peu comme ces êtres trop délicats, trop émotifs, et dont la seule présence « énerve » leur entourage : « Villemessant (nota plus tard Léon Daudet), Villemessant, directeur du Figaro, haïssait l'Arlésienne. Il faisait faire, chaque jour, un écho pour en dénoncer la bêtise. » Lors de la reprise, en 1885, justice ayant été rendue entre temps à Bizet (il avait fallu pour cela qu'il mourût !), le directeur Camille Du Locle, faisant preuve, à défaut de flair professionnel, d'une rare faculté de localisation géographique, qualifiait encore cette merveilleuse musique de ...cochinchinoise !

 

« Heureux les chefs-d'œuvre inaccessibles, où le public n'entre qu'avec peine ! », écrivit un jour M. François Mauriac. Ç'avait été le sort (enviable à ce point de vue), de l'Arlésienne : ç'allait être encore celui de Carmen, dont la première représentation, le 3 mars 1875, donna lieu à une manière de scandale, passé au rang d'historique.

 

Trois mois plus tard, jour pour jour (3 juin), Bizet mourut d'une crise cardiaque consécutive au surmenage, et nullement, comme on l'a trop laissé croire, au chagrin que lui avait causé le demi-échec de Carmen. Alors, il n'y eut de trompettes assez cuivrées, d'orgues assez puissantes, de mots assez sonores pour proclamer ses mérites aux quatre points cardinaux.

 

Mais il s'en fallait encore de beaucoup que le génie de Bizet fût reconnu — en France du moins, car les Allemands, pour leur compte, ne s'y étaient point trompés ; Brahms, qui détestait le théâtre, ne manquait pas une représentation de Carmen. Mais à Paris, Bizet n'avait rien qui pût l'imposer. Cet homme né en pleine époque de délire romantique et dont la vie fut celle d'un petit bourgeois besogneux et effacé, cet homme n'avait pas d'histoire. Massenet, « donneur de bonjours », Saint-Saëns, hargneux et désagréable, Debussy, distant et condescendant, Ravel, exquis et ironique, ces hommes pouvaient plaire ou ne pas plaire : ils ne laissaient personne indifférent. Bizet, au contraire, n'attirait point ; l'on a dit de son caractère qu'il était plutôt antipathique et cette opinion paraît moins sujette à caution que celle de son biographe Charles Pigot, aimable graphomane qu'un parti pris de louanges inconditionnelles et permanentes a conduit tout droit à une redoutable incontinence de vocabulaire laudatif.

 

Le public qui, au soir du 3 mars 1875, emplissait le Théâtre de l'Opéra-Comique, ne pouvait donc se douter qu'il assistait à l'un des événements capitaux de l'histoire de la musique française. L'œuvre, de surcroît, le dépassait. La raison profonde de l'échec de Carmen, lors de sa création, ce n'est point, comme on l'a dit, « l'indécence » de son livret, mettant en scène des filles et des bandits sans aveu, ni les quelques audaces harmoniques (comme la fameuse cadence ponctuant l'air de Don José), perceptibles d'entrée de jeu. Il faut chercher plus profondément : Carmen est écrite en parties réelles ; d'un bout à l'autre, cette partition est contrepointée. Mesure-t-on combien une telle écriture, qui met en œuvre tous les procédés hérités de la science de J.-S. Bach, dut dérouter, voire exaspérer les spectateurs de l'époque ? Ces gens étaient accoutumés aux quiètes délices de la mélodie accompagnée, telle que, d'Auber à Gounod, la leur avaient dispensée leurs auteurs favoris. Les pages ibérisantes de la partition firent le reste. Il s'ensuivit que les auditeurs de 1875 (comme aussi, ceux — les mêmes ! — de l'Arlésienne), n'entendirent point la mélodie. Or, Bizet avait le don fort rare et combien enviable de « trouver le motif » et, avec Carmen, son exploit le plus singulier fut bien de réussir ce fameux compromis : écrire une musique qui pût s'assurer tout à la fois le consentement des masses et celui des clercs.

 

Que les masses n'aient pas adhéré d'emblée, cela se conçoit, et pour la raison de toujours : l'œuvre était en avance sur son époque. Quant aux clercs, leurs avis furent partagés, comme il se doit. On connaît à ce propos la ridicule accusation de wagnérisme, portée, dès l'apparition de ses premières œuvres, contre Bizet ; on ne lui pardonnait point d'avoir rompu, au lieu d'en faire une nouvelle ressucée, avec tous les Monsigny et Boieldieu de la création ! Et pourtant, Bizet n'adopta jamais le procédé de la « mélodie continue » inventé et exploité à fond par Wagner. Mais, à cette époque, chacun était peu ou prou le wagnérien de quelqu'un ; le rare, c'est que Bizet, accusé de wagnérisme par ses adversaires parisiens, fut institué par Nietzsche « champion de l'art méditerranéen », et cela, par opposition à ce même wagnérisme !

 

Il convient de remarquer que le musicien de Carmen ne fut point un novateur au sens absolu du terme : il ne créa ni une langue ni un style nouveaux. A l'encontre d'un Chabrier, dont les néologismes préfigurent Ravel, ses trouvailles harmoniques et polyphoniques n'exigèrent pas autre chose que les matériaux en usage à son époque. Mais, le grand Art, c'est précisément cela. C'est avec les accords consignés dans le poussiéreux traité de Reber, que Bizet écrivit, par exemple, les successions de 7mes de quatrième espèce que l'on trouve dans Djamileh, les résolutions exceptionnelles de 7mes de l'Arlésienne, sans compter les audaces qui confèrent déjà une si prometteuse originalité à ses premières partitions. Son orchestration est un miracle de science, d'intuition et d'économie des moyens, miracle que seul un Ravel put faire une seconde fois. L'avènement de l'impressionnisme musical, qui brisa les atomes sonores, empêcha l'orchestre de l'Arlésienne et de Carmen de faire école ; signe des temps : ceux qui, aujourd'hui, ne veulent pas couper les cheveux en huit, y reviennent.

 

La place occupée par Bizet est remarquable. Après Rameau, la musique française n'avait compté que des petits-maîtres et des suiveurs (le lieu n'est pas ici de discuter le « cas » de Berlioz, immense génie, certes, mais « beethovénien », si je puis ainsi parler). Depuis Haydn, le pôle d'intensité de l'art musical s'était fixé dans les pays germaniques. En France, la mode était aux Italiens, à Bellini, à Spontini et à leurs imitateurs — à moins que cela ne fût à Meyerbeer. Quoique nourri des classiques et des romantiques allemands (modèles suprêmes !), Bizet fut l'un des premiers, avec Gounod et Lalo (on pensera à Namouna et non au Roi d'Ys), à retrouver la sensibilité vraie de la musique française. Enfin, on n'écrivit plus pour le théâtre, après lui, comme on l'avait fait avant.

 

Le 3 mars 1875, Gabriel Fauré (on oublie trop ce détail), œuvrait déjà ; Debussy avait treize ans et il ne fallait plus que quatre jours de patience à Ravel... pour voir la lumière du soleil !

 

L'on a dit que l'unité politique et spirituelle de la France n'avait pu se faire que grâce à la conjonction des provinces du nord et du sud de la Loire. De même, si Pelléas apparaît aujourd'hui comme le pôle « langue d'oïl » de la musique française, Carmen en est bien le pôle « langue d'oc ». Et l'un des moindres droits de Bizet à notre admiration n'est pas d'avoir atteint ce pôle occitan sans quitter sa robe de chambre et son cabinet de travail de Bougival.

 

Contrairement aux amusantes prédictions de Jean-Jacques, la France a une musique ; et parmi ses musiciens, il en est qui sont, comme dit M. Charles Kœchlin, « des classiques au même titre que Mozart et J.-S. Bach » : ce sont Fauré, Debussy, Ravel et Georges Bizet.

 

(Amy Châtelain, les Musiciens célèbres, 1946)

 

 

 

 

 

Jacques Bizet, fils du compositeur et littérateur

 

 

 

 

Geneviève Halévy, fille du compositeur Fromental Halévy et épouse de Georges Bizet, devenue Mme Straus-Bizet

 

 

 

 

dernière photographie de Georges Bizet exécutée par Etienne Carjat quelques mois avant sa mort

 

 

 

Georges Bizet par Henri Büsser de l’Institut

 

Carmen et les Pêcheurs de Perles sont les deux premiers ouvrages que j'ai vus à l'Opéra-Comique en 1885-86, alors que j'étais tout jeune élève à l'École Niedermeyer. C'est d'ailleurs à la musique de Bizet que je dois la bonne fortune d'être venu à Paris à l'âge de 14 ans. Voici comment : m'étant présenté au Conservatoire de Toulouse (ma ville natale), j'eus la honte d'être « blackboulé » à la suite d'un mauvais déchiffrage au piano de l'ouverture de Carmen, morceau fort périlleux à lire. Après cet échec — miraculeux pour ma future carrière — je décidai mes parents à m'envoyer à Paris à cette fameuse Ecole Niedermeyer dont les professeurs et examinateurs se nommaient Saint-Saëns, Gabriel Fauré, Alexandre Georges et Messager.

L'audition de Carmen fut pour moi une surprise de tous les instants, un véritable éblouissement ! Jusqu'alors, je n'avais entendu au Théâtre du Capitole, à Toulouse, que les opéras de Meyerbeer et Halévy, les opéras-comiques d'Auber et de Herold. Quel contraste : c'étaient Blanche Deschamps à la riche voix de contralto, le ténor Lubert et le baryton Taskin — tous deux excellents — qui chantaient les rôles de Carmen, de Don José et d'Escamillo. Je fus particulièrement séduit par la jolie voix de Mlle Molé-Truffier, ravissante Micaëla, et fort amusé par les chanteurs comédiens Grivot et Barnolt, dans les personnages tout neufs du Dancaïre et du Remendado. Jules Danbé, à la bonne tête de bouledogue, dirigeait un vaillant orchestre que je trouvais très supérieur à celui de mon cher Capitole toulousain. Peu après, j'entendis les Pêcheurs de Perles avec Emma Calvé, jeune, belle, à la voix d'or ! Elle avait pour partenaires Lubert et Taskin, déjà appréciés dans Carmen. En 1890 étant devenu l'élève d'Ernest Guiraud, dans sa classe de composition au Conservatoire, j'ai lu et analysé la partition d'orchestre de Carmen. Ernest Guiraud, nous le savions, avait été l'ami, le camarade à Rome de Bizet et sur sa demande, il écrivit les « récits musicaux » qui devaient remplacer les « textes parlés » pour les représentations de Carmen à l'étranger. C'est dire avec quelle abondance de détails notre professeur nous faisait apprécier page par page les beautés de l'ouvrage, particulièrement le thème incisif de « cinq notes qui terminent l'ouverture » et qui est en quelque sorte le « leitmotiv » fatal, implacable, annonciateur de la fin tragique de l'héroïne.

Charles Gounod, dont Bizet a été le premier disciple, avait assisté à la répétition générale de Carmen dans la loge même de l'auteur assis à ses côtés. Il m'a souvent raconté que l'œuvre avait reçu un accueil assez réservé à cause surtout du livret jugé « outrancier » pour l'époque. La musique obtint un très vif succès. D'ailleurs l'ouvrage fut joué trente-sept fois consécutives puis repris treize fois à l'ouverture de la saison 1875-76, ce qui donnait un total de cinquante représentations. La critique se montra malveillante comme elle le fut pour Faust en 1859 et, plus près de nous en 1902 pour Pelléas et Mélisande de Debussy. Les temps n'ont rien changé. Des maîtres tels que Gluck ou Wagner en ont fait la dure expérience. En général, les critiques musicaux, surtout quand ils sont des littérateurs, parlent de la musique « comme les aveugles des couleurs... »

Gounod m'a aussi raconté que Bizet avait eu beaucoup de mal à composer l'air de Don José « La fleur que tu m'avais jetée » dans le duo avec Carmen au 2e acte. Il eut l'idée de reprendre une mélodie écrite à Rome « Viens près de moi, ma bien-aimée... » et d'y adapter les nouvelles paroles : c'est une page bien venue que MM. les Ténors ont le tort de donner à pleine voix mais que certains artistes tels qu'Edmond Clément ou David Devriès chantaient piano, ce qui est plus conforme au désir du musicien. Chose curieuse, ce morceau faisait partie d'un Envoi de Rome sur lequel Hector Berlioz fit un rapport élogieux à l'Académie des Beaux-Arts. En écoutant l'air de Micaëla au 3e acte, Gounod dit en souriant à Bizet : « Ça, mon petit, c'est à Papa ! »

Etant chef d'orchestre à l'Opéra-Comique de 1902 à 1905 j'ai dirigé souvent Carmen en alternance avec mes collègues Alexandre Luigini et Georges Marty, deux chefs éminents qui ont guidé mes pas dans la carrière. Quel grand nombre d'interprètes j'ai eu la joie de conduire au succès : Claire Friché, Marie Delna, Marié de l'Isle, — nièce de Galli-Marié — et même l'admirable Emma Calvé qui jouait et chantait d'une manière si personnelle. Je n'aurais garde d'oublier Lyse Charny, interprète passionnée de ce rôle qui convenait si bien à son beau physique et à sa voix richement timbrée.

En terminant cet hommage, je tiens à citer cette phrase d'Ernest Guiraud : « De Carmen, Bizet n'a connu que les fatigues, les énervements des répétitions, et les déceptions qui ont suivi les premières représentations. Il est mort avant d'avoir pu entrevoir la place considérable qu'occuperait un jour sur les scènes lyriques du monde entier cette œuvre si colorée, si originale, écrite par la plume d'un grand musicien et avec le cœur d'un grand artiste ».

 

(Henri Büsser, revue l’Opéra de Paris n° 18, 4e trimestre 1959)

 

 

 

 

 

Georges Bizet à la fin de sa vie

 

 

 

buste de Georges Bizet par Paul Dubois

 

 

 

la maison où mourut Bizet à Bougival

 

 

 

le mausolée de Georges Bizet au Père-Lachaise

 

 

 

 

 

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