Carmen

 

affiche de Leray pour la création de Carmen (1875)

 

 

Opéra-comique en quatre actes, livret d'Henri MEILHAC et Ludovic HALÉVY, d'après Carmen (1845), nouvelle de Prosper MÉRIMÉE (Paris, 28 septembre 1803 Cannes, Alpes-Maritimes, 23 septembre 1870*), musique de Georges BIZET (1873-1874). Pour la première à Vienne le 23 octobre 1875 (dans une version allemande de J. Hoppl), Ernest GUIRAUD composa des récitatifs pour remplacer les textes parlés.

 

=> Carmen par Charles Gaudier (1922)

=> Carmen par Henry Malherbe (1951)

 

 

 

partition de Carmen dédicacée à Jules Pasdeloup par Georges Bizet ["au parrain de mes quatre enfants avec les témoignages de ma meilleure affection"]

 

 

   partition (orchestre)

Dédiée à Jules Pasdeloup

 

   partition (version originale)

 

   partition (version avec récitatifs)

 

 

 

 

 

 

   partition manuscrite (acte I)

   partition manuscrite (acte II)

   partition manuscrite (acte III)

   partition manuscrite (acte IV)

 

 

 

 

 

 

 

Prosper Mérimée en 1852, pastel de Simon Jacques Rochard (musée Carnavalet)

 

 

Création à l'Opéra-Comique (2e salle Favart) le 03 mars 1875 ; mise en scène de Charles Ponchard ; décors d’Emile Daran, Marcel Jambon et Alexandre Bailly ; costumes de Georges Clairin (Paris, 11 septembre 1843 Belle-Ile-en-Mer, Morbihan, 02 septembre 1919), et d’Edouard Detaille (Paris, 05 octobre 1848 – Paris, 23 décembre 1912) pour les tenues des dragons.

Représenté 48 fois l'année de sa création, cet ouvrage disparut de l'affiche jusqu'en 1883.

 

Repris à l’Opéra-Comique (salle du Châtelet) le 11 décembre 1890 avec les récitatifs mis en musique par Ernest Guiraud.

 

Deuxième production le 08 décembre 1898, pour l'inauguration de la 3e salle Favart, mise en scène d'Albert Carré, décors de Lucien Jusseaume.

 

Troisième production le 25 octobre 1938, pour le centenaire de Georges Bizet, mise en scène de Jean Mercier, décors et costumes d'André Dignimont.

 

Le 04 mai 1959, dernière représentation à l'Opéra-Comique, et l'œuvre entre le 10 novembre 1959 au répertoire de l'Opéra de Paris.

 

2607 représentations à l’Opéra-Comique au 31.12.1950 (dont 1808 entre le 01.01.1900 et le 31.12.1950), 36 en 1951, 31 en 1952, 34 en 1953, 39 en 1954, 36 en 1955, 37 en 1956, 32 en 1957, 38 en 1958, 12 en 1959, soit 2902 (ou 2942) au 04.05.1959.

 

 

=> Critiques     => Livret et enregistrements

 

 

 

Galli-Marié (Carmen) et Paul Lhérie (Don José) au 2e acte, lors de la création

 

 

 

Galli-Marié (Carmen) au 3e acte, lors de la création, estampe d'Antonin Chatinière (1875)

 

 

 

Galli-Marié (Carmen) et Alice Ducasse (Frasquita) au 4e acte, lors de la création

 

 

 

Marguerite Chapuy (Micaëla) lors de la création

 

 

 

Paul Lhérie (Don José) au 3e acte, lors de la création, lithographie d'Antonin Chatinière (1875)

 

 

Jacques Bouhy (Escamillo) lors de la création, lithographie d'Antonin Chatinière (1875)

 

 

 

 

personnages

emplois

Opéra-Comique

03 mars 1875

(création)

Opéra-Comique

23 avril 1883

(49e)

Opéra-Comique

22 décembre 1883

(100e)

Opéra-Comique

21 octobre 1891

(500e)

Opéra-Comique

04 avril 1897

 

Opéra-Comique

08 décembre 1898*

(756e)

Opéra-Comique

23 décembre 1904

(1.000e)

Opéra-Comique

27 septembre 1908

 

Carmen

mezzo-soprano

Mmes GALLI-MARIÉ

Mmes Adèle ISAAC

Mmes GALLI-MARIÉ

Mmes Jeanne-Eugénie NARDI

Mmes Nina PACK

Mmes Georgette LEBLANC

Mmes Emma CALVÉ

Mmes Geneviève VIX

Micaëla

soprano

Marguerite CHAPUY

Cécile MERGUILLIER

Juliette BILBAUT-VAUCHELET

Zoé MOLÉ-TRUFFIER

Zoé MOLÉ-TRUFFIER

Julia GUIRAUDON

Marie THIÉRY

Berthe MENDÈS

Frasquita

soprano

Alice DUCASSE

Lucie DUPUIS

Adèle REMY

FALIZE

Jeanne TIPHAINE

Cécile EYREAMS

Jeanne TIPHAINE

Marthe BAKKERS

Mercédès

mezzo-soprano

Esther CHEVALIER

Esther CHEVALIER

Esther CHEVALIER

Suzanne ELVEN

Marie DELORN

Jeanne MARIÉ DE L'ISLE

Alice COSTÈS

Malcy COLAS

Don José

ténor

MM. Paul LHÉRIE

MM. Théodore STEPHANNE

MM. MAURAS

MM. Albert LUBERT

MM. Henri JÉROME

MM. Léon BEYLE

MM. Edmond CLÉMENT

MM. Thomas SALIGNAC

Escamillo

baryton

Jacques BOUHY

Emile-Alexandre TASKIN

Emile-Alexandre TASKIN

Hippolyte BELHOMME

François MONDAUD

Max BOUVET

Hector DUFRANNE

BLANCARD

le Dancaïre

baryton

Armand POTEL

Octave LABIS

Etienne TROY

Etienne TROY

César BERNAERT

César BERNAERT

Maurice CAZENEUVE

Maurice CAZENEUVE

le Remendado

ténor

Paul BARNOLT

Paul BARNOLT

Paul BARNOLT

Paul BARNOLT

Paul BARNOLT

Paul BARNOLT

Georges MESMAECKER

DUMONTIER

Zuniga, lieutenant

basse

Eugène DUFRICHE

Louis Alfred MARIS

Octave LABIS

FIERENS

MARC-NOHEL

Michel DUFOUR

Félix VIEUILLE

Paul PAYAN

Moralès, brigadier

baryton

Edmond DUVERNOY

Lucien COLLIN

Lucien COLLIN

César BERNAERT

E. THOMAS

E. THOMAS

Gabriel-Valentin SOULACROIX

Daniel VIGNEAU

Lillas Pastia

rôle parlé

Elias NATHAN

François BERNARD

François BERNARD

LONATI GOURDON Georges DURAND

GOURDON

GOURDON

un Guide

rôle parlé

TESTE

TESTE

TESTE

LONATI

Etienne TROY

Etienne TROY

Etienne TROY

 

la Flamenca (danse au 2e acte)

 

Mlles BLANDINI et Aline ANCKTÉ

         

Mlle Régina BADET

Mlle Régina BADET

Chef d'orchestre

 

M. Adolphe DELOFFRE

Charles LAMOUREUX

Jules DANBÉ

Jules DANBÉ

  Alexandre LUIGINI

M. Alexandre LUIGINI

M. François RÜHLMANN

 

* Inauguration de la 3e salle Favart ; deuxième production : mise en scène d'Albert Carré, décors de Lucien Jusseaume.

 

 

personnages

Opéra-Comique

19 novembre 1909*

 

Opéra-Comique

15 septembre 1912

 

Opéra-Comique

18 novembre 1912*

 

Opéra-Comique

13 juillet 1919**

(1.538e)

Opéra-Comique

11 septembre 1919***

(1.549e)

Opéra-Comique

30 avril 1923****

(1.700e)

Opéra-Comique

10 décembre 1925

(50e anniversaire)

Opéra-Comique

14 février 1927*****

(1.861e)

Opéra-Comique

29 juin 1930

(2.000e)

Carmen

Mmes Suzanne BROHLY

Mmes Marthe CHENAL

Mmes Marie LAFARGUE

Mmes Madeleine MATHIEU

Mmes Madeleine MATHIEU

Mmes Suzanne BROHLY

Mmes Marthe CHENAL

Mmes Lucy PERELLI

Mmes Lucy PERELLI

Micaëla

Lucy VAUTHRIN

Nelly MARTYL

Madeleine MÉNARD

Yvonne BROTHIER

FRANCESCA

Yvonne BROTHIER

Marcelle RAGON

Maguy GONDY

Germaine CORNEY

Frasquita

Marie TISSIER

Marie TISSIER

Marie TISSIER

GAYAS

GAYAS

Nette FERRARI

 

Milly MORÈRE

LAFFITTE

Mercédès

Georgette JURAND

Jeanne BILLA-AZÉMA

ARNÉ

Geneviève DELAMARE

Jeanne BILLA-AZÉMA

Madeleine SIBILLE

 

Yvonne DUCUING

Marinette FENOYER

Don José

MM. Maurice SENS

MM. Thomas SALIGNAC

MM. Fernand FRANCELL

MM. David DEVRIÈS

MM. Charles FONTAINE

MM. Lucien MURATORE

MM. Franz KAISIN

MM. Franz KAISIN

MM. Gaston MICHELETTI

Escamillo

JENNOTTE

Raymond BOULOGNE

Daniel VIGNEAU

Julien LAFONT

Hubert AUDOIN

Hubert AUDOIN

José BECKMANS

Henri ESPIRAC

Roger BOURDIN

le Dancaïre

Maurice CAZENEUVE

Eugène DE CREUS

Maurice CAZENEUVE

Hippolyte BELHOMME

Hippolyte BELHOMME

Fernand ROUSSEL

 

Fernand ROUSSEL

Fernand ROUSSEL

le Remendado

Georges MESMAECKER

Georges MESMAECKER

Georges MESMAECKER

René HÉRENT

René HÉRENT

Georges MESMAECKER

 

Georges MESMAECKER

DERROJA

Zuniga

Paul GUILLAMAT

Pierre DUPRÉ

Pierre DUPRÉ

Louis ROSSEL

Raymond GILLES

Louis MORTURIER

Raymond GILLES

Louis MORTURIER

Raymond GILLES

Moralès

Louis VAURS

Pierre ANDAL

Pierre ANDAL

Pierre DÉLOGER

Maurice SAUVAGEOT

André GOAVEC

Paul PAYEN

Emile ROUSSEAU

Emile ROUSSEAU

Lillas Pastia

GOURDON

ÉLOI

ÉLOI

ÉLOI ÉLOI ÉLOI   ÉLOI ÉLOI

un Guide

 

 

 

ÉLOI

ÉLOI

ÉLOI

 

ÉLOI

ÉLOI

la Flamenca (danse)

Mlle Régina BADET

Mlle Yetta RIANZA Mlle Yetta RIANZA Mlle Sonia PAVLOFF Mlle Sonia PAVLOFF

Mlle Mona PAÏVA

 

Mlle Andrée COMTE

M. MARCO

Mlle Andrée COMTE

VELTCHEK

Chef d'orchestre

M. Eugène PICHERAN

M. Eugène PICHERAN

M. Eugène PICHERAN

M. Albert WOLFF

M. Félix HESSE

M. Albert WOLFF

Maurice FRIGARA

M. Maurice FRIGARA

M. Albert WOLFF

 

* Au 2e acte : la Flamenca, réglée par Mme Mariquita.

** Au 2e acte : la Flamenca, dansée par Mlle Sonia Pavloff. Au 4e acte, Danses populaires : Mlle Collin et le corps de ballet. Boléro chanté par Mme BILLA-AZÉMA. Danses réglées par Mme Mariquita.

*** Au 2e acte : la Flamenca, dansée par Mlle Sonia Pavloff. Au 4e acte, Danses populaires : Mlle André et le corps de ballet. Boléro chanté par Mlle FAMIN. Danses réglées par Mme Mariquita. Décors de Bailly.

**** Gala donné avec les récitatifs écrits par Ernest Guiraud.

***** Au 2e acte : la Flamenca, réglée par Louise Virard. Au 4e acte : Défilé de la Corrida, décors de MM. Jambon et Bailly.

 

 

personnages

Opéra-Comique

01 février 1931*

(2.026e)

Opéra-Comique

27 septembre 1931**

(2.058e)

Opéra-Comique

11 novembre 1931***

(2.064e)

Opéra-Comique

28 avril 1935

(2.174e)

Opéra-Comique

30 octobre 1935

(2.184e)

Opéra-Comique

23 avril 1936

 

Opéra-Comique

25 octobre 1938****

(2.271e)

Opéra-Comique

01 juin 1947

(2.500e) (matinée)

Opéra-Comique

28 septembre 1947

(2.510e)

Carmen

Mmes Madeleine SIBILLE

Mmes Madeleine SIBILLE

Mmes Rose POCIDALO

Mmes Rose POCIDALO

Mmes Renée GILLY

Mmes Renée GILLY Mmes Renée GILLY

Mmes Solange MICHEL

Mmes Solange MICHEL

Micaëla

Odette ERTAUD

Odette ERTAUD

Jane ROLLAND

Lillie GRANDVAL

Janine MICHEAU

Janine MICHEAU Solange DELMAS

Jacqueline BRUMAIRE

Martha ANGELICI

Frasquita

Andrée VAVON

Andrée VAVON

Denise PERRY

Suzanne VIDAL

Germaine CHELLET

Germaine CHELLET

Madeleine DROUOT

Germaine CHELLET

Germaine CHELLET

Mercédès

Marinette FENOYER

Marinette FENOYER

Andrée BERNADET

Jeanne MATTIO

Jeanne MATTIO

Jeanne MATTIO Jeanne MATTIO

Raymonde NOTTI-PAGÈS

Jeanne MATTIO

Don José

MM. Jean NEQUEÇAUR

MM. René VERDIÈRE

MM. Gaston MICHELETTI

MM. René VERDIÈRE

MM. Georges THILL

MM. Gaston MICHELETTI

MM. Mario ALTÉRY

MM. Edouard KRIFF

MM. Edouard KRIFF

Escamillo

José BECKMANS

José BECKMANS

André GAUDIN

Louis MUSY

José LANZONE

André GAUDIN

Martial SINGHER

Julien GIOVANNETTI

Serge GIORGETTI

le Dancaïre

Fernand ROUSSEL

Fernand ROUSSEL

Fernand ROUSSEL

Alban DERROJA

Alban DERROJA

POUJOLS

POUJOLS

René LAPELLETRIE

René LAPELLETRIE

le Remendado

Frédéric LE PRIN

Frédéric LE PRIN

Frédéric LE PRIN

Frédéric LE PRIN

René HÉRENT

René HÉRENT

René HÉRENT

Frédéric LE PRIN

Henry BUCK

Zuniga

André BALBON

Louis MORTURIER

Louis MORTURIER

Victor AUTRAN

Georges BOUVIER

Georges BOUVIER

André BALBON

Xavier SMATI

Jean ENIA

Moralès

Emile ROUSSEAU

Paul PAYEN

Paul PAYEN

Paul PAYEN

Emile ROUSSEAU

Emile ROUSSEAU

Emile ROUSSEAU

Julien THIRACHE

Julien THIRACHE

Lillas Pastia

POUJOLS

POUJOLS

Alban DERROJA

André DUDOUET Raymond GILLES André DUDOUET Alban DERROJA

Raymond GILLES

Raymond GILLES

un Guide

POUJOLS

POUJOLS

POUJOLS

 

    Alban DERROJA

Raymond GILLES

 

la Flamenca (danse)

Mlle GRANADOS

Mlle Mariette DE RAUWERA

Mlle Mariette DE RAUWERA Mlle Solange SCHWARZ Mlle Solange SCHWARZ Mlle Solange SCHWARZ Mlle la TÉRÉSINA

 

Mlle Colette SIGNORELLI

Chef d'orchestre

M. Maurice FRIGARA

M. Maurice FRIGARA

M. Maurice FRIGARA

M. Elie COHEN

M. Albert WOLFF

M. Albert WOLFF M. Eugène BIGOT Francis CEBRON M. Pierre DERVAUX

 

* Au 2e acte, « La Flamenca » réglée par Louise Virard. Au 4e acte, « Défilé de la Corrida » décors de MM. Jambon et Bailly.

** Au 2e acte, « La Flamenca » réglée par Robert Quinault. Au 4e acte, « Défilé de la Corrida » décors de MM. Jambon et Bailly.

*** Au 2e acte, « Divertissement espagnol » réglée par Robert Quinault, dansé par Mariette De Rauwera, Robert Quinault et les Dames du Corps de Ballet. Au 4e acte, « Défilé de la Corrida » décors de MM. Jambon et Bailly.

**** Gala du Centenaire de Georges Bizet, en présence d'Albert Lebrun, Président de la République ; troisième production : mise en scène de Jean Mercier, décors et costumes d'André Dignimont. Georges Thill était programmé dans Don José et c'est Mario Altéry qui l'a remplacé.

 

 

personnages

Opéra-Comique

21 septembre 1949

(2.584e)

Opéra-Comique

04 février 1950

(2.595e)

Opéra-Comique

04 juin 1950

(2.604e)

Opéra-Comique

10 juin 1951

(2.639e)

Opéra-Comique

05 octobre 1952*

(2.679e)

Opéra-Comique

21 janvier 1953**

(2.690e)

Opéra-Comique

27 février 1955***

(2.799e)

Opéra-Comique

16 août 1956***

(2.850e)

Opéra-Comique

04 mai 1959

(2.942e et dernière)

Carmen

Mmes Solange MICHEL

Mmes Agnès DISNEY

Mmes Agnès DISNEY  

Mmes Denise SCHARLEY

Mmes Denise SCHARLEY

Mmes Lucienne ANDURAN

Mmes Solange MICHEL

Mmes Isabelle ANDRÉANI

Micaëla

Jane ROLLAND

Renée TARN

Jacqueline CELLIER  

Agnès LÉGER

Nadine RENAUX

Agnès LÉGER

Agnès LÉGER

Andréa GUIOT

Frasquita

Madeleine DROUOT

Germaine CHELLET

Madeleine DROUOT  

Madeleine DROUOT

Madeleine DROUOT

Madeleine DROUOT

Pauline SALMONA

Irène SICOT

Mercédès

Jeanne MATTIO

Raymonde NOTTI-PAGÈS

Jeanne MATTIO  

Jeanne MATTIO

Jeanne MATTIO

Andrée GABRIEL

Georgette SPANELLYS

Georgette SPANELLYS

Don José

MM. Roger GALLIA

MM. Roger GALLIA

MM. Raoul JOBIN

MM. Raoul JOBIN

MM. René VERDIÈRE

MM. José LUCCIONI

MM. José LUCCIONI

MM. André LAROZE

MM. Pierre RANCK

Escamillo

Robert JEANTET

René BIANCO

Michel DENS

Michel ROUX

Adrien LEGROS

Jean BORTHAYRE

Robert JEANTET

Julien GIOVANNETTI

Michel ROUX

le Dancaïre

Charles DAGUERRESSAR

Charles DAGUERRESSAR

René LAPELLETRIE

Charles DAGUERRESSAR

Paul PAYEN

Paul PAYEN

André NOEL

Charles DAGUERRESSAR

André NOEL

le Remendado

Frédéric LE PRIN

Frédéric LE PRIN

Frédéric LE PRIN

René HÉRENT

René HÉRENT

Frédéric LE PRIN

René HÉRENT

Serge RALLIER

Serge RALLIER

Zuniga

Jean ENIA

Xavier SMATI

Jean ENIA

Gabriel JULLIA

Gérard SERKOYAN

Gérard SERKOYAN

Gérard SERKOYAN

Xavier SMATI

Xavier SMATI

Moralès

Camille MAURANE

Camille MAURANE

Camille MAURANE

Camille MAURANE

Camille MAURANE

Camille MAURANE

Marcel ENOT

Marcel ENOT

Antoine GRIFFONI

Lillas Pastia

Gustave ARSCHODT

Gustave ARSCHODT

Gustave ARSCHODT

Gustave ARSCHODT

André NOEL André NOEL MAX-CONTI MAX-CONTI Jean GIRAUD

un Guide

                 

la Flamenca (danse)

Mlle Simone GARNIER

Mlle Colette SIGNORELLI

Mlle Colette SIGNORELLI   Mlle Espanita CORTEZ Mlle Espanita CORTEZ Mlle Espanita CORTEZ Mlle Madeleine DUPONT Mlle Espanita CORTEZ

Chef d'orchestre

   

M. Pierre DERVAUX

 

M. Pierre DERVAUX

M. Pierre DERVAUX

M. Pierre CRUCHON

M. Pierre DERVAUX

M. Pierre CRUCHON

 

* Au 2e acte : la Flamenca : Espanita Cortez ; au 4e acte : Danse : Janine Joly.

* Au 2e acte : la Flamenca : Espanita Cortez ; au 4e acte : Danse : Mona du Chateau.

* Au 2e acte : la Flamenca : Espanita Cortez ; au 4e acte : Danse : Gisèle Adloff.

 

=> Principales représentations et autres interprètes à l'Opéra-Comique

 

 

 

A l'occasion de deux Galas, Carmen fut représentée deux fois à l'Opéra de Paris (Palais Garnier), d'abord le 11 novembre 1900 (le 2e acte seulement) puis, intégralement, le 29 décembre 1907, cette fois au profit du petit personnel de l'Opéra et de l'Opéra-Comique.

 

Le 10 novembre 1959, en présence du Général de Gaulle, Président de la République, Carmen quitte l'Opéra-Comique pour entrer au répertoire du Théâtre National de l'Opéra (3e représentation au Palais Garnier) avec les récitatifs mis en musique par Ernest Guiraud ; mise en scène de Raymond Rouleau ; décors et costumes de Mlle Lila de Nobili ; chorégraphie de Lele de Triana.

 

 

personnages

Opéra

11 novembre 1900

(1re) (2e acte seul)

Opéra

29 décembre 1907

(2e) (gala)

Opéra

10 novembre 1959

(3e)

Opéra

21 mai 1960

(50e)

Opéra

01 octobre 1960

(58e) (3.000e à Paris)

Opéra

31 janvier 1962

(100e)

Opéra

04 mars 1963

(gala) (134e)

Opéra

06 avril 1965

(gala) (sans acte I)*

Opéra

14 juillet 1970

(370e)

Carmen

Mmes Marie DELNA

Mmes Marguerite MÉRENTIÉ

Mmes Jane RHODES

Mmes Denise SCHARLEY

Mmes Elise KAHN

Mmes Isabelle ANDRÉANI

Mmes Elise KAHN

Mmes Jane RHODES

Mmes Jane RHODES

Micaëla

 

Marie THIERY

Andréa GUIOT

Martha ANGELICI

Andréa GUIOT

Andréa GUIOT

Andréa GUIOT

Andréa GUIOT

Colette HERZOG

Frasquita

Jeanne TIPHAINE

Marthe BAKKERS

Georgette SPANELLYS

Caroline DUMAS

Georgette SPANELLYS

Christiane HARBELL

Georgette SPANELLYS

Christiane HARBELL

 

Mercédès

Marie DELORN

DANGÈS

Jane BERBIÉ

Jacqueline BROUDEUR

Jane BERBIÉ

Jane BERBIÉ

Jane BERBIÉ

Jane BERBIÉ

 

Don José

MM. Adolphe MARÉCHAL

MM. Thomas SALIGNAC

MM. Albert LANCE

MM. Marcel HUYLBROCK

MM. Paul FINEL

MM. Albert LANCE

MM. Dimitar OUZOUNOV

MM. Guy CHAUVET

MM. Albert LANCE

Escamillo

Hector DUFRANNE

Jean NOTÉ

Robert MASSARD

Robert MASSARD

Robert MASSARD

José FAGIANELLI

José FAGIANELLI

Robert MASSARD

Robert MASSARD

le Dancaïre

Maurice CAZENEUVE

Maurice CAZENEUVE

Jean-Christophe BENOÎT

Julien THIRACHE

Jean-Christophe BENOÎT

Jean-Christophe BENOÎT

Jean-Christophe BENOÎT

Jean-Christophe BENOÎT

 

le Remendado

Georges MESMAECKER

Georges MESMAECKER

Elie SAINT-CÔME

Raphaël ROMAGNONI

Elie SAINT-CÔME

Elie SAINT-CÔME

Elie SAINT-CÔME

Raphaël ROMAGNONI

 

Zuniga

Léon ROTHIER

Paul GUILLAMAT

José FAGIANELLI

Michel FOREL

Michel FOREL

Michel FOREL

Robert GEAY

Robert GEAY

José FAGIANELLI

Moralès

Louis VIANNENC

Daniel VIGNEAU

Pierre GERMAIN

Antoine GRIFFONI

Pierre GERMAIN

Jean BORTHAYRE

Pierre GERMAIN

Jean-Paul VAUQUELIN

Raymond STEFFNER

Lillas Pastia

GOURDON

GOURDON

 

 

         

la Flamenca (danse)

Mlle Jeanne CHASLES

Mlle Régina BADET

ballet SOL Y SOMBRA

ballet SOL Y SOMBRA

ballet SOL Y SOMBRA

ballet SOL Y SOMBRA

ballet SOL Y SOMBRA

ballet SOL Y SOMBRA

 

Chef d'orchestre

M. Alexandre LUIGINI

M. Paul VIDAL

Roberto BENZI

Louis FOURESTIER

Louis FOURESTIER

Louis FOURESTIER

Louis FOURESTIER

Pierre DERVAUX

Pierre DERVAUX

 

* Soirée de gala donnée par le Général de Gaulle en l'honneur du roi Frédéric IX et de la reine Ingrid de Danemark : 1re partie : acte II - 2e partie : actes III et IV (entre ces deux actes, l'orchestre joua l'ouverture).

 

La 3.000e représentation de l'œuvre à Paris (01 octobre 1960), étant passée inaperçue de la Régie du Théâtre, ne donna lieu à aucune manifestation.

 

370 représentations à l'Opéra au 14 juillet 1970.

 

Autres interprètes des principaux rôles à l'Opéra :

Carmen : Mmes Grace BUMBRY (1960), Geneviève SERRES (1961).

Micaëla : Mmes Irène JAUMILLOT (1959), Irène SICOT (1959), Agnès LÉGER (1960), Consuelo IBANEZ (1961), Liliane DEBATISSE (1961), Nadine SAUTEREAU (1961), Adriana MALIPONTE (1962).

Don José : MM. Robert GOUTTEBROZE (1959), Mario DEL MONACO (1960), William McALPINE (1961).

Escamillo : MM. Gabriel BACQUIER (1959), Julien GIOVANNETTI (1959), Julien HAAS (1960).

Zuniga : M. Roger SOYER (1966).

Moralès : M. Claude GENTY (1966).

 

=> Principales représentations à l'Opéra

 

=> Carmen à l'Opéra de Paris : début ; suite.

 

 

 

Première à la Monnaie de Bruxelles le 03 février 1876 avec Mmes DERIVIS (Carmen), Alice RENAUD (Micaëla), Alice REINE (Frasquita), LÉONIE (Mercédès), MM. BERTIN (Don José), MORLET (Escamillo), René NEVEU (Zuniga), CHAPPUIS (le Dancaïre), GUÉRIN (le Remendado), PELLIN (Moralès).

 

 

 

 

la Chanson du Toréador de Carmen, page autographe de Georges Bizet

 

 

Composition de l’orchestre

 

2 flûtes (2 piccolos), 2 hautbois (dont 1 cor anglais), 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors naturels, 2 cornets à pistons, 3 trombones, 2 harpes, timbales, caisse claire, grosse caisse, tambour de basque, cymbales, triangle, castagnettes, cordes.

Sur scène : 2 cornets à pistons, 3 trombones.

 

 

 

 

Résumé.

L'action se passe en Espagne, à Séville et dans la région environnante, autour de 1820.

Le soldat navarrais Don José, en garnison à Séville, est dérouté par la cigarière Carmen, qu'il laisse s'enfuir au moment où il doit la conduire en prison.

Au 2e acte, il la retrouve dans la taverne de Lillas Pastia. Une dispute éclate, au cours de laquelle il lève son épée contre le lieutenant Zuniga ! José déserte et se joint à la bande de contrebandiers dont Carmen fait partie.

Au 3e acte, dans la montagne, Micaëla, la fiancée de José, le rejoint et le décide à revenir auprès de sa mère mourante.

Au 4e acte, José, déchu et misérable, retrouve Carmen à la porte des arènes où va se produire Escamillo, un célèbre torero dont Carmen est présentement amourachée. Repoussé par Carmen, il la tue, avant de se livrer lui-même à la justice.

 

ACTE I. — Une place à Séville.

Des soldats montent la garde, non loin d'une manufacture de tabacs. Le sergent Moralès voit s'approcher une jeune fille, Micaëla, qui s'enquiert du brigadier Don José, actuellement absent ; Micaëla reviendra donc « quand la garde montante remplacera la garde descendante ». Elle s'éloigne. La garde montante arrive, suivie d'une bande d'enfants chantant le célèbre Chœur des gamins [Avec la garde montante...]. José dialogue avec le lieutenant Zuniga. La place se remplit ensuite de jeunes gens, qui viennent voir passer les cigarières [Chœur des Cigarières : La cloche a sonné...]. Carmen fait son entrée, minaudant et caquetant avec trois ou quatre jeunes gens [Habanera de Carmen : L'amour est un oiseau rebelle...]. Elle arrache une fleur de son corsage, et la lance à Don José avant d'entrer dans la manufacture. La scène se vide de nouveau ; Micaëla reparaît, apportant à José un message de sa mère [Duo José-Micaëla : Parle-moi de ma mère...]. José est visiblement ému ; Micaëla se retire. Des cris retentissent dans la manufacture : c'est Carmen qui a blessé une de ses compagnes de travail. La garde intervient ; le lieutenant Zuniga interroge Carmen. Tandis qu'il écrit l'ordre d'incarcération, la cigarière use de son pouvoir de séduction sur le pauvre José qui laisse finalement échapper la prisonnière [Finale (Carmen) : Près des remparts de Séville...].

 

ACTE II. — La taverne de Lillas Pastia, près des remparts de la ville.
Carmen, Frasquita, Mercédès, le lieutenant Zuniga, Moralès et un lieutenant achèvent de dîner. Deux bohémiennes dansent. Carmen se lève et se met à chanter [Air de Carmen : Les tringles des sistres tintaient...]. Lillas Pastia essaie de faire comprendre aux officiers qu'il est l'heure de se retirer. La scène est interrompue par un chœur chanté en coulisse : il s'agit d'une promenade aux flambeaux, en l'honneur d'Escamillo, un torero qui s'est fait remarquer aux dernières courses de Grenade. Les officiers invitent Escamillo à entrer ; celui-ci accepte [Air dit du « Toréador » : Votre toast, je peux le rendre... avec le fameux refrain : Toréador en garde...].

Escamillo échange quelques mots avec Carmen ; tout le monde sort, sauf Carmen, Frasquita et Mercédès. Lillas Pastia introduit alors le Dancaïre et le Remendado, qui proposent aux trois femmes une entreprise de contrebande [Quintette : Nous avons en tête une affaire...] où le rôle qui leur est dévolu consistera surtout à détourner habilement l'attention des douaniers pendant que les hommes passeront la marchandise.

Carmen refuse de partir, parce que, dit-elle, elle est amoureuse et qu'elle attend justement son amoureux : le soldat qui l'a laissée échapper lors de l'échauffourée de la manufacture, et qui doit sortir de prison ce jour-même. Justement le voici : on l'entend à la cantonade [Air de José : Halte-là, qui va là ? Dragon d'Almanza...]. José entre ; Carmen le reçoit aimablement. Il lui demande de danser pour lui et elle accepte [Duo Carmen-José : Je vais danser en votre honneur...]. Les clairons qui sonnent la retraite, interrompent la danse ; José veut partir. Carmen, dépitée, se fâche, et José l'assure de son amour. [Romance de José, dite « Air de la Fleur » : La fleur que tu m'avais jetée...]. Carmen veut encore le retenir. On frappe ; c'est Zuniga qui revient. Trouvant José avec Carmen, il veut faire décamper le soldat. José saute sur son sabre ; le lieutenant dégaine à moitié, et Carmen appelle au secours. Le Dancaïre et le Remendado, accourus, désarment les combattants ; ils font sortir Zuniga. José est bien obligé maintenant de déserter en suivant les contrebandiers, s'il ne veut pas encourir la condamnation que son geste malheureux entraînerait fatalement [Chœur final : Le ciel ouvert, la vie errante...].

 

ACTE III. — Un paysage rocheux, site pittoresque et sauvage, repaire des contrebandiers. Il fait nuit noire.

Les contrebandiers arrivent, chargés de lourds ballots, et s'arrêtent. Déjà Carmen semble en avoir assez de Don José ; celui-ci regrette son village où l'attend sa vieille mère, qui le croit toujours un honnête homme.

Frasquita, Mercédès et Carmen tirent les cartes [Trio dit « des Cartes » : Mêlons, Coupons !]. Carmen, qui prend le jeu à son tour, voit constamment revenir dans son jeu un présage de mort : « Moi d'abord, ensuite lui, pour tous les deux : la mort ! ».

Les contrebandiers reprennent leurs ballots. José reste en arrière. Arrive Micaëla qui se cache dans les rochers [Grand air de Micaëla : Je dis que rien ne m'épouvante...], puis Escamillo, venu relancer Carmen. Scène de jalousie de Don José et duel au couteau avec Escamillo ; Carmen l'interrompt juste à temps.

Le torero se retire en donnant rendez-vous à Carmen aux prochaines courses de Séville. Le Remendado découvre alors Micaëla ; la surprise de José est extrême. Les nouvelles que Micaëla lui apporte de sa mère le décident à partir avec la jeune fille. Mais on sent bien qu'il reviendra...

 

ACTE IV. — Une place à Séville, à l'entrée des arènes.

C'est jour de combat de taureaux. On assiste au brillant défilé des quadrilles. Carmen s'avance au bras d'Escamillo ; la foule acclame le torero qui entre dans le cirque. José paraît alors, déguenillé, défait, humble et suppliant [Duo final José-Carmen : Je ne menace pas, j'implore, je supplie...]. Carmen le repousse et veut pénétrer dans l'enceinte où l'on entend monter déjà les acclamations de la foule saluant les prouesses d'Escamillo. Alors José s'avance et poignarde Carmen, qui s'écroule. On se précipite ; José, pantelant, déclare dans un sanglot : « Vous pouvez m'arrêter, c'est moi qui l'ai tuée. O ma Carmen ! Ma Carmen adorée !... »

 

 

 

 

 

Le sujet de la pièce a été tiré de la nouvelle de Mérimée portant le même titre. Le style du romancier, exact et froid comme une photographie, le cynisme de sa pensée m'ont toujours fait regarder le succès de ses œuvres littéraires connue un symptôme alarmant de démoralisation, et, à l'exception de Colomba, dont un compositeur pourrait tirer un excellent parti, je crois qu'il n'y a aucun profit à s'associer à ses conceptions fantasques où le sentiment de la nature n'a aucune part, où ne brille aucun élan généreux, dépourvues enfin de toute inspiration lyrique. M. Bizet en a fait la cruelle expérience. Son opéra renferme de beaux fragments, mais l'étrangeté du sujet l'a lancé dans la bizarrerie et l'incohérence. Il suffit de donner ici une très sobre analyse de cette pièce pour justifier ce qui vient d'être dit. Au premier acte, la scène se passe à Séville, devant la porte d'une manufacture de tabac, près de laquelle est un corps de garde. Une jeune fille, Micaëla, se présente et demande à parler au brigadier don José, son compagnon d'enfance et son fiancé. Les cigarières sortent de la fabrique, la cigarette aux lèvres, et se mêlent effrontément à la troupe des soldats. Carmen parait bientôt ; c'est une fille de joie. Les soldats l'entourent, et c'est à qui sollicitera ses faveurs.

 

Carmen ! sur tes pas nous nous pressons tous !

Carmen ! sois gentille ; au moins réponds-nous,

Et dis-nous quel jour tu nous aimeras !

 

CARMEN.

Quand je vous aimerai ? Ma foi, je ne sais pas.

Peut-être jamais ! peut-être demain !...

Mais pas aujourd'hui, c'est certain.

 

Tel est le ton de la pièce. Carmen chante une habanera, chanson espagnole : l'Amour est enfant de Bohême, etc. Elle regarde don José, va droit à lui et lui lance un bouquet qu'elle a détaché de son corsage. Voilà cet homme, à partir de ce moment, pris d'une passion insensée pour cette vile créature, et, durant quatre actes, il deviendra successivement, et presque sans remords, parjure, déserteur, bandit, voleur, contrebandier, assassin. Cependant Micaëla lui remet une lettre de sa mère, et, de sa part, naïvement, trop naïvement même pour les convenances dramatiques, lui donne un baiser que José veut bien lui rendre, comme si une mère pouvait charger une jeune fille de donner la première un baiser à son fiancé. Mais il s'agit bien de convenances dans le théâtre contemporain ! Il faut reconnaître, pour être juste, que don José sent sa passion fléchir en présence de l'honnête et pure villageoise. Mais cela ne dura que le temps de chanter un duo. Un tumulte épouvantable survient ; c'est la Carmencita qui s'est battue avec ses compagnes et a blessé l'une d'elles. L'officier Zuniga la fait arrêter, et on lui lie les mains, pendant qu'elle chante une séguedille et donne rendez-vous à son amant à l'auberge de Lillas Pastia. Restée seule avec don José, celui-ci délie les cordes qui lui serrent les mains, et, lorsqu'elle est emmenée par les soldats, elle les bouscule et s'échappe en riant aux éclats. Tel est le premier acte.

 

Le deuxième se passe chez Lillas Pastia. Je ne me rappelle pas qu'en ait vu au théâtre de l'Opéra-Comique une scène d'aussi mauvais goût que celle-ci. Des officiers sont à table avec Carmen, Frasquita, Mercédès et d'autres bohémiennes. Elles montent sur les tables, elles fument et dansent naturellement. L'officier Zuniga, le même qui avait fait arrêter Carmen, est dans les meilleurs termes avec sa prisonnière. Arrive le torero Escamillo, lequel à son tour s'empare du cœur de la bohémienne : et de trois ! en deux actes, c'est beaucoup. Le dancaïre propose ensuite un coup à faire, et les soldats partis, cette aimable société lui offre le concours de ses talents dans un quintette mouvementé. Don José vient rejoindre Carmen au rendez-vous qu'elle lui a donné au premier acte. Le clairon a beau sonner la retraite, la sirène de carrefour le retient, et, comme le brigadier veut partir, elle se fâche en ces termes :

 

Ah ! j'étais vraiment trop bête !

Je me mettais en quatre et je faisais des frais ;

Je chantais ! je dansais !

Je crois, Dieu me pardonne,

Qu'un peu plus je l'aimais !

Ta ra ta ta... c'est le clairon qui sonne !

Ta ra ta ta... Il part... il est parti !

Va-t'en donc, canari !

Tiens ! prends ton shako, ton sabre, ta giberne,

Et va-t'en, mon garçon, retourne à la caserne !

 

Et moi, qui me plaignais jadis de la négligence avec laquelle Scribe rimait les poèmes des opéras d'Auber !

 

Don José, séduit par tant d'éloquence, jure à Carmen un éternel amour, consent à déserter, et il part en campagne avec les bohémiens.

 

Au troisième acte, les contrebandiers célèbrent par leurs chants la gloire de leur état et profèrent des maximes sur l'inconstance de la fortune ; Carmen et ses compagnes se tirent les cartes. Micaëla tente un dernier effort pour arracher don José à sa vie d'aventures. Elle lui apprend que sa mère veut le voir, lui pardonner avant de mourir. Les scènes dans lesquelles paraît Micaëla sont touchantes et intéressantes ; quoiqu'elles semblent calquées sur des scènes analogues de Robert le Diable, elles sont accueillies avec un soupir de satisfaction par le spectateur. Mais don José est jaloux du toréador. Il s'est aperçu que Carmen le lui préférait. Il part cependant avec Micaëla, mais la rage dans le cœur et jurant de se venger d'Escamillo, qu'il a voulu tuer déjà, et de Carmen qu'il tuera au dernier acte. En effet, et pour terminer l'analyse de ce singulier poème d'opéra-comique, au dernier acte, Escamillo, ayant auprès de lui Carmen radieuse, se dispose à combattre dans les courses de taureaux, et il entre dans le cirque. Don José parait ; il veut emmener Carmen. Celle-ci résiste aux prières, aux menaces. Elle déclare qu'elle aime le toréador, et au moment où, l'entendant acclamé par la foule, elle s'élance vers la porte du cirque, don José la frappe d'un coup mortel, et la toile tombe après ces mots adressés à la foule sortant du cirque : Vous pouvez m'arrêter... c'est moi qui l'ai tuée ! Ah ! Carmen ! ma Carmen adorée !

 

Il paraît qu'on ne se donne même plus la peine de faire des vers, dans ce genre de livrets à l'usage des auteurs impressionnistes. La recherche du pittoresque et de la couleur locale a beaucoup trop préoccupé M. Bizet dans cet ouvrage ; en second lieu, il a voulu donner des gages aux doctrinaires qui s'intitulent les apôtres de la musique de l'avenir, en rompant avec ce qu'on regardait jusqu'ici comme les traditions du goût, la satisfaction de l'oreille, l'harmonie, dans le sens concret et spécial du mot. Enfin, lorsqu'il s'est résigné à rester lui-même, c'est-à-dire un musicien très bien doué, ayant fait de fortes études, possédant l'art d'écrire, ayant les qualités propres au compositeur français, la clarté, le tour mélodique, le goût, l'esprit, la sensibilité, il a su tirer de ce livret, aussi mauvais dans le fond que dans la forme, des idées musicales d'une valeur réelle et qui pourront survivre à la pièce. J'espère qu'un honneur posthume lui sera réservé et que son œuvre si considérable sera protégée contre la mauvaise impression laissée par le poème. Il sera nécessaire de refaire le livret, d'en retrancher les vulgarités, de lui ôter ce caractère de réalisme qui ne convient pas à une œuvre lyrique, de faire de Carmen une bohémienne capricieuse et non une fille de joie, de don José un ensorcelé d'amour, mais non pas un être vil et odieux. Les deux rôles du toréador et de Micaëla sont excellents ; aussi le musicien les a-t-il bien traités. Il a trouvé pour le premier la note énergique, franche, sonore, je dirai presque fanfaronne, et pour le second la tendresse émue et l'accent du cœur. Laissant dans les ombres de la musique sans avenir de trop longues pages de la partition, j'appellerai l'attention du lecteur sur les passages suivants :

 

Dans le premier acte, le chœur en mi majeur : Il y sera quand la garde montante remplacera la garde descendante. Que les musiciens devraient se trouver à plaindre d'avoir à mettre en musique de telles paroles ! la chanson espagnole, habanera : l'Amour est un oiseau rebelle ; le duo de Micaëla et de don José : Parle-moi de ma mère ; dans le deuxième acte, la chanson bohême : les Tringles des sistres tintaient ; le petit chœur en ut : Vivat le torero ! les couplets du toréador ; l'allegretto du duo de Carmen et de don José : Si tu m'aimais, là-bas tu me suivrais ; l'allegretto de Carmen : Bel officier ; dans le troisième acte, le chœur : Sans souci du soldat ; le trio des cartes ; l'air de Micaëla : Je vais voir de près cette femme ; la phrase : Je te tiens, fille damnée ! dans le finale ; enfin, au quatrième acte, l'allegro du duo final : Mais, moi, Carmen, je t'aime encore.

 

(Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément, 1876)

 

 

 

 

 

Comme l'écrivait Arnold Mortier, « le directeur propose et le public dispose », et traitant alors ce sujet dans ses Soirées parisiennes, le spirituel « Monsieur de l'orchestre » ajoutait : « Aussitôt que M. du Locle monte quelque chose d'inédit, les vieux habitués paraissent indignés, les vieux huissiers de l'orchestre haussent les épaules, les vieux choristes murmurent, et le vieux Nathan s'écrie : « C'est scandaleux ! » Le vieux souffleur devient mélancolique, le vieux régisseur perd la tête, et les vieux machinistes n'enlèvent qu'en rechignant les vieux décors qu'il faut faire rafistoler. Cependant, l'œuvre nouvelle est présentée au public. Eh bien, le public reste froid, quand il s'agit de musique un peu sérieuse et dit : « Ce n'est pas le genre de l'Opéra-Comique ! » Au contraire, si l'on a à faire à de vraies ariettes et à de bonnes et franches mélodies, ce qui est bien rare, on s'écrie : « Mon Dieu, que ce genre de l'Opéra-Comique a donc vieilli ! »

De ces deux opinions, la première est celle qui se fit jour dans la presse et dans le monde, le soir mémorable où parut Carmen. On fut un peu surpris, légèrement déconcerté et presque scandalisé. On n'admira pas comme il convenait le tact et la mesure avec lesquels Henri Meilhac et Ludovic Halévy avaient adaptés aux nécessités du théâtre la nouvelle sombre et brutale de Mérimée ; on se déclara choqué d'un réalisme que les librettistes (l'un d'eux en a fait l'aveu) auraient volontiers atténué, mais que le compositeur avait « férocement » maintenu ; on trouva l'action bien noire, les couleurs de la posada bien crues au second acte, et les amours de la Carmencita bien vulgaires pour le temple classique des entrevues matrimoniales. On n'apprécia guère davantage la partition, dont un seul numéro, la chanson du toréador, obtint les honneurs du bis ; les plus indulgents et les mieux disposés qualifièrent cette première audition de « laborieuse » et, tout en concédant au musicien qu'il savait son métier, jugèrent la mélodie « brumeuse », la coupe des morceaux « peu claire », les chœurs « tourmentés et ambitieux », l'ouvrage en somme « long et diffus ».

En revanche, on distingua les costumes qu'avaient dessinés Detaille pour les dragons espagnols, et Clairin pour l'héroïne de la pièce ; on approuva la mise en scène et les décors ; surtout on applaudit les interprètes, Bouhy et Mlle Chapuy, parfaits tous deux comme toréador et Micaëla, Lhérie, un José dont la voix laissait à désirer mais qui jouait avec chaleur, enfin Mme Galli-Marié, à laquelle les auteurs n'avaient pas songé tout d'abord (car ils avaient eu un moment l'idée de faire engager Mme Zulma Bouffar), et qui, par son allure, ses mines, sa grâce féline, sa hardiesse provocante et ses inflexions de voix, réalisant le type de Carmen, fit du rôle une des créations les plus complètes de sa carrière dramatique. Mais il faut bien le reconnaître, nul parmi les spectateurs n'eut alors la sensation qu'il venait d'assister à l'audition d'une œuvre de premier ordre, et que cette soirée du 3 Mars 1875 marquerait dans les annales du théâtre et de la musique, puisque Carmen est avec Mignon le succès le plus grand, le plus universel et le plus durable auquel la seconde salle Favart ait donné naissance. On sortait du théâtre avec moins d'illusions qu'en y entrant, et l'on était pas éloigné d'approuver cette boutade d'un spectateur qui, apprenant la nomination de Georges Bizet comme Chevalier de la Légion d'Honneur, le jour même de la première représentation disait avec aplomb : « On l'a décoré le matin, parce qu'on savait qu'on ne pourrait le décorer le soir ! »

Quelques années ont suffi pour retourner complètement l'opinion ; mais cet éclatant revirement, Bizet ne l'a pas connu. Né à Paris, le 25 Octobre 1838, il mourait à Bougival le mercredi soir 2 Juin 1875, brusquement, si brusquement même, qu'on se demanda si cette fin était naturelle. Les journaux publièrent qu'il avait succombé à une maladie de cœur. En réalité, personne, pas même l’ami le plus intime, ne fut admis à le voir sur son lit de mort, et cette inexplicable consigne gardée à la porte de la chambre mortuaire laissa le champ libre à bien des suppositions. Chose curieuse, alors que le compositeur paraissait plein de jeunesse et de santé, une femme avait eu le pressentiment de ce malheur, et quelque temps après, M. Ernest Reyer le racontait ainsi dans le Journal des Débats : « Un soir, pendant le trio des cartes, Mme Galli-Marié ressentit une impression inaccoutumée en lisant dans son jeu les présages de mort. Son cœur battait à se rompre ; il lui semblait qu'un grand malheur était dans l'air. Rentrée dans la coulisse, après des efforts violents pour aller jusqu'à la fin du morceau, elle s'évanouit. Quand elle revint à elle, on essaya en vain de la calmer, de la rassurer, la même pensée l'obsédait toujours, le même pressentiment la troublait. Mais ce n'était pas pour elle qu'elle avait peur ; elle chanta donc, puisqu'il fallait chanter. Le lendemain, Mme Galli-Marié apprenait que, dans la nuit, Bizet était mort ! Je sais bien que les esprits forts hausseront les épaules ; mais nous n'en étions pas moins fort ému en écoutant, l'autre soir, le trio des cartes du troisième acte de Carmen. »

L'émotion de M. Reyer fut partagée alors par le Tout-Paris artistique. Sans doute, quelques ignorants ne manquèrent pas de soutenir que Bizet appartenait à cette école « qui veut faire du Wagnérisme avec la musique française », d'autres, comme M. Wallon, feignirent de le prendre pour un débutant qui « promet » et, dans la Salle du Conservatoire où il présidait alors la distribution des prix, ce personnage officiel le déclara « enlevé par un coup soudain au renom que son talent lui avait déjà valu et aux espérances plus grandes encore qu'il faisait concevoir. »

Mais beaucoup aussi comprirent quel vide cette disparition laissait dans les rangs de notre jeune école, et l'on se pressa à l'église de la Trinité, où les obsèques furent célébrées avec une certaine solennité. Plusieurs fragments des Pêcheurs de Perles et de Carmen y furent exécutés par l'orchestre de l'Opéra-Comique ; Duchesne et Bouhy chantèrent divers morceaux religieux et, pendant le trajet au cimetière, les cordons du poêle furent tenus par MM. Gounod, Ambroise Thomas, Camille Doucet et Camille du Locle, représentant le Conservatoire, la Société des Auteurs et le théâtre qui avait fait relâche, bien qu'il n'eut joué l'œuvre de Bizet que trente-quatre fois et qu'il ignorât encore quels trésors elle contenait. Les mauvaises langues prétendirent, il est vrai, que l'hommage ne coûtait guère, car on réalisait des recettes qui couvraient à peine les frais.

(Albert Soubies et Charles Malherbe, Histoire de l'Opéra-Comique, 1893)

 

 

 

 

 

Carmen. Nouvelle, par Prosper Mérimée. Don José Navarro, Basque et bon chrétien, est brigadier de cavalerie dans le régiment d'Almanza, lorsqu'il fait la rencontre d'une gitanilla bien connue à Séville : Carmen, ou la Carmencita. Los grands yeux noirs et l'air gaillard de l'effrontée le séduisent, l'affolent : il commence par trahir sa consigne pour être agréable à la gitana, et, bientôt après, commet un crime pour conserver à lui seul les trésors que Carmen lui a donnés. De ce jour, c'est la fuite, ce sont les hasards de la vie bohémienne : don José entre dans une compagnie de contrebandiers, et bientôt, au premier meurtre, d'autres s'ajoutent. Carmen elle-même sera parmi les victimes : José, fou de jalousie (car il se voit préférer le picador Lucas), poignarde la belle fille, qui, s'étant librement donnée, entend rester libre de se reprendre ; il lui creuse une fosse dans laquelle il la couche, et va se livrer lui-même aux mains de la justice.

De cette dramatique nouvelle, Henry Meilhac et Ludovic Halévy ont tiré un opéra-comique en quatre actes, dont Georges Bizet écrivit la musique, et qui fut représenté à l'Opéra-Comique le 3 mars 1875. Le livret, intéressant et bien fait, a inspiré au compositeur une œuvre puissante et charmante à la fois, pathétique et pittoresque, foncièrement originale et bien personnelle. Il faudrait tout citer dans cette partition de Carmen, toujours belle dans son ensemble et admirable dans certaines parties : au premier acte, le chœur des soldats et celui des enfants, l'entrée si curieuse des cigarières, la habanera de Carmen, sa scène avec José ; au second, la chanson bohème, celle du toréador, et la longue scène de séduction de Carmen avec José : Si tu m'aimais, là-bas tu me suivrais, qui est traitée de main de maître dans ses divers épisodes ; au troisième, le chœur des contrebandiers, le trio pittoresque des cartes, l'air de Micaëla, l'épisode du combat d'Escamillo et de José ; enfin, au quatrième, toute l'introduction et la scène si pathétique, si variée, si puissante, de José et de Carmen, qui se termine par la mort de celle-ci.

(Nouveau Larousse Illustré, 1897-1904)

 

 

 

 

 

décor de l'acte I par Lucien Jusseaume pour la deuxième production de Carmen à l'Opéra-Comique le 08 décembre 1898

 

 

 

La 1000e de Carmen.

 

L’Opéra-Comique vient de célébrer, par une représentation de gala, qui fut en même temps une représentation modèle, la millième de Carmen.

Les millièmes n'abondent pas au théâtre. Faust dont le succès pourrait seul contrebalancer celui de Carmen, n'a dû sa millième à l’Opéra que parce qu'on a fait entrer en ligne de compte les 306 représentations qu'en avait données le Théâtre-Lyrique. On peut donc dire que Faust n'a pas atteint sa millième à l'Académie nationale de musique ; cette millième ne sera réelle que dans le courant de l'année 1905. Il est peu probable que l’Opéra redonne une fête à cette occasion, puisqu’il a pour ainsi dire forcé il y a sept ou huit ans le chiffre réel des représentations, en l'honneur du monument de Falguière qu’il s'agissait d’inaugurer pour célébrer la mémoire de l’auteur de Faust. Entre parenthèses, ce monument git ignoré et non inauguré dans un des couloirs qui mènent à la bibliothèque et au musée de l'Opéra.

Les œuvres françaises qui sont parvenues au chiffre de mille représentations ne forment pas une liste très considérable. Il y eut : la Dame blanche, dont la première fut donnée en 1825 et la millième en 1862 ; le Pré-aux-Clercs dont la première eut lieu en 1832 et la millième en 1871, le Chalet 1834-1873 ; le Domino Noir 1837-1881, les Noces de Jeannette 1853-1895, Mignon 1866-1894 et Carmen 1875-1904. Voilà pour l’Opéra-Comique.

A l'Opéra, il n'y a guère eu que les Huguenots qui datent de 1836 et qui ont atteint leur millième en 1903, sans tambours ni trompettes, si j’ose ainsi m’exprimer pour de la musique de Meyerbeer. Il avait été question d'une fête de millième, ce ne fut qu’un projet.

Les œuvres qui approchent le plus de la millième sont la Fille du Régiment qui date de 1840 et en est actuellement à sa 986e à l’Opéra-Comique. Enfin, à l’Opéra, il y a Guillaume Tell qui est actuellement à 845 représentations ; il faudrait encore 155 représentations pour arriver à la millième : grande ævi spatium ! comme nous disions au moment où nous faisions nos humanités. Il est douteux qu’on y parvienne, surtout en un temps où les ténors ont tant de mal à « arracher Guillaume à ses fers ».

De toutes ces millièmes — ou peu s’en faut — c’est Mignon qui parcourut sa carrière le plus facilement ; il ne lui fallut en effet que vingt-sept ans pour parvenir à la millième. Mais cela provient de ce que Mignon, dès la première, fut consacré chef-d’œuvre, tandis que Carmen, qui mit vingt-neuf ans pour arriver au même but, fut loin d’avoir à l’origine le même succès que Mignon.

Ce fut encore la millième de Mignon qui, seule, eut le privilège d’être l’apothéose d’un compositeur vivant. Ambroise Thomas y assistait en effet, et a connu cette suprême joie de la manifestation triomphale d'une millième. Je me rappelle le programme de cette fête. On y joua de tout, et même un atome de Mignon. L’ouverture de Raymond, le chœur du Songe, des fragments de Psyché, le duo du Songe et le ballet d’Hamlet, formaient les attractions de cette soirée. Je vois encore le brave président Carnot dodelinant de la tête pendant l'exécution de l'Entracte-Gavotte de Mignon ; c'était la musique qui ravissait le chef de l'Etat. Tout cela se passait le 13 mai 1894 ; six semaines plus tard, le 24 juin, le pauvre président était assassiné à Lyon.

La millième de Carmen n’aura pas eu le grand honneur d’être rehaussée par la présence du président de la République. Elle a eu du moins la chance de posséder l’un des auteurs du livret, M. Ludovic Halévy. Elle a été une vraie millième ; et M. Albert Carré a profité de l’occasion, en directeur soigneux et scrupuleusement artiste, pour perfectionner la mise en scène qui fut impeccable, pour faire répéter les masses chorales, pour styler la figuration.

L’orchestre s’est surpassé sous la conduite de Luigini, les chœurs ont trouvé le moyen de se faire applaudir pour leur exécution si précise et si colorée.

C’était Mlle Calvé qui chantait le rôle de Carmen. On sait quelle attraction cette artiste exerce sur le public parisien, que ce soit pour la millième ou pour une représentation quelconque. Elle a joué Carmen avec une intensité dramatique vraiment louable. Mme Marie Thiéry avec son style impeccable, avec sa voix d’une pureté si grande, chantait Micaëla ; Mlles Tiphaine et Costès avaient été fières d’accepter les rôles de Frasquita et Mercédès. Tout le monde dans la maison avait rivalisé d’entrain et de bonne volonté : Soulacroix avait sollicité comme un honneur de chanter le petit rôle de Moralès (l’officier), pour pouvoir apporter son hommage à la mémoire de Bizet — et c’est là un élan touchant de la part de cet excellent artiste. Vieuille chantait Zuniga ; Cazeneuve faisait le Dancaïre ; Mesmaecker le Remendado ; le « père Gourdon », Lillas Pastia. C’est dire avec quel soin les plus petits rôles étaient tenus. Dufranne était Escamillo, il l’a chanté de sa belle voix pleine et sonore. Enfin et surtout Clément dans Don José fut absolument prodigieux ; jamais on n’a chanté aussi bien le bel air du deuxième acte : « La fleur que tu m'avais jetée ». Il nous semblait entendre un professeur de chant, tellement M. Clément mit de style et d'expression dans son rôle de Don José.

Le rideau se releva sur le quatrième acte pour permettre à Mme Bartet autour de laquelle étaient harmonieusement groupés les artistes de l’Opéra-Comique, de dire des vers de Jean Richepin, qui furent mieux qu'un banal à-propos. Passant par la voix de Mme Bartet, ces rimes, riches, devinrent d'or. Un chœur des Pêcheurs de Perles termina en matière de cantate cette belle soirée, digne en tous points de l'Opéra-Comique et de l'auteur de Carmen.

 

***

 

En face de ce triomphe, il serait curieux d'opposer la première de Carmen, le 3 mars 1875. Ce ne fut pas un succès, certes, ce ne fut pas non plus un insuccès au vrai sens du mot. On attendait beaucoup de Georges Bizet, en possession de toute sa maîtrise. Carmen déconcerta et les amis de la musique moderne et les amis de la musique rétrograde. Les Beckmesser de l'époque (il en est qui lancent encore aujourd’hui leur venin sur toute tentative musicale, noble et avancée) accusèrent Bizet de vouloir pousser l’école française au germanisme. Un Arthur Pougin osa écrire les lignes suivantes : « Il s'agissait de savoir si Bizet, s'adressant de nouveau au théâtre, voudrait faire de la musique théâtrale, ou bien si, s'obstinant dans les théories antidramatiques de Richard Wagner et de ses imitateurs, il voudrait continuer à transporter à la scène ce qui lui est absolument hostile, c’est-à-dire la rêverie, la poésie extatique et l'élément symphonique pur... » Les mauvais écrivains d'aujourd'hui ne peuvent plus, comme an temps de Juvénal, être condamnés à effacer leurs écrits avec la langue,

Aut rhetor lugdunensem dicturus ad aram...

on ne peut que les promener à travers leurs... produits. Par bonheur, les gens qu'ils tuent se portent admirablement. Le Pougin de l’affaire ne fut pas le seul de son avis ; et il y aurait une excursion rétrospective curieuse à faire dans les articles et les feuilletons du moment.

Ce qui est sûr, c'est que le soir de la première la salle fut glaciale. On bissa le prélude du second acte, on applaudit l'air du Toréador et le quintette du deuxième acte : « Quand il s'agit de duperie, de tromperie, de volerie ». Le restant de la partition fut accueilli avec bienveillance, sans rien de plus.

Il faut renoncer à dire la tristesse de Bizet qui s'était terré, dans un des à-côtés de la scène. Son ami le musicien Guiraud, l'auteur de Piccolino, essayait en vain de le réconforter. A la fin de la représentation, Bizet, las, écœuré de tous les compliments qui pour lui étaient des condoléances, sortit avec Guiraud et arpenta les rues de Paris, en donnant libre cours à tout le chagrin que lui causait la méconnaissance du grand public de Paris, ce public qu'il croyait si vibrant si ouvert à toute manifestation d'avant-garde.

Il est bon de rechercher les raisons de l'attitude du Paris intelligent envers Carmen. La pièce se traîna au point de vue des recettes péniblement pendant 37 représentations. Mais tout ce qui pense et réfléchit, tout ce qui est capable d’enthousiasme artistique, rendit hommage au musicien. Au fur et à mesure que l'œuvre de Bizet suivait son cours à l'Opéra-Comique, les musiciens et le public discutaient cette musique qui apportait au monde comme une chanson nouvelle. Il se produisait dans les cerveaux une graduelle incubation et certains comprenaient qu'il y avait là autre chose qu'un opéra-comique banal et coulé dans le moule suranné.

Seul, par exemple, le livret de Meilhac et Halévy ne trouva pas grâce. Tous, critiques, artistes, spectateurs s'entendaient pour le trouver immoral. Oui, immoral ! Le directeur de l’Opéra-Comique lui-même, M. du Locle, propageait cette accusation. A un ministre qui lui avait demandé une loge pour la première de Carmen afin d'y mener les siens, il envoyait une place pour la répétition générale en priant l'Excellence de venir d'abord seul pour juger s'il n'était pas inconvenant d'y conduire ses enfants.

C'était là le principal grief contre Carmen. On comprend que si le directeur n'avait pas foi dans l'œuvre qu'il montait, l'entourage ne pouvait guère opiner autrement. Il s'était formé dans le théâtre un courant de dénigrement très sérieux ; et, comme toujours, les disciples exagéraient la doctrine du maître, les employés renchérissaient sur le jugement du « patron ».

On arrivait à faire circuler cette assertion que Bizet avait certes dans sa partition des tours mélodiques inédits, des recherches harmoniques vivantes et neuves, mais qu’il avait été obligé de rabaisser le ton de sa musique à celui du sujet. On décrétait la Habanera comme étant un air canaille, et l'air du Toréador comme étant d'une dégradante vulgarité !

Le livret de Carmen avait été, fort habilement extrait par Meilhac et Halévy d'une saisissante nouvelle de Prosper Mérimée, une nouvelle criante d'amour et de cruauté, de violente passion et de rire furieux. Voici comment Mérimée a posé le personnage de Carmen, c'est une eau-forte d'une vigueur qui donne presque le frisson :

« Elle avait un jupon fort court qui laissait voir des bas de soie blancs avec plus d'un trou et des souliers mignons de maroquin attachés avec des rubans    de feu. Elle écartait sa mantille afin de montrer ses épaules et un gros bouquet de cassie qui sortait de sa chemise. Elle avait encore une fleur de cassie dans le coin de la bouche, et elle s'avançait en se balançant sur les hanches, comme une pouliche du haras de Cordoue. Dans mon pays, une femme en ce costume aurait obligé le monde à se signer. A Séville, chacun lui adressait quelque compliment gaillard sur sa tournure ; elle répondait à chacun en faisant les yeux en coulisse, le poing sur la hanche, effrontée comme une  vraie bohémienne qu’elle était... »

En face de cette figure brune si fièrement campée, Meilhac et Halévy ont esquissé la douce silhouette de Micaëla, blonde. Micaëla représente la grâce virginale et émue qui fait une poétique opposition avec les types énergiques de Carmen la bohémienne, de don José le soldat entraîné par un amour fatal, et d’Escamillo le toréador bellâtre. Micaëla est un personnage qui appartient en plein à Meilhac et Halévy.

 

***

 

Il n'entre nullement dans mes idées de vouloir analyser la partition — on n’enseigne pas ce que c’est que le soleil. Je voudrais simplement donner sur certains coins de la musique de Carmen quelques détails peu connus.

On accusait Bizet d’être wagnérien — en 1875, un wagnérien était à peu près ce qu'étaient les possédés du démon au moyen âge. Il y a, il est vrai, dans tout Carmen un leitmotiv : ce sont les cinq notes que disent les altos et les violoncelles sur des trémolos de violon et des pizzicati de contrebasses. C'est le leitmotiv de la fatalité ; il apparaît dès le prélude, il poursuit Carmen dans toutes les phases du drame, tristes ou joyeuses ; il revient obsédant au moment du trio des cartes. Il est d’une beauté déchirante. Bizet l'a importé d'Espagne ; il est comme le refrain d’une complainte dans un vieux chant populaire.

Je répète qu’il ne saurait être ici question d’une analyse. Aussi j'arrive sans transition à la Habanera.

La Habanera fut refaite treize fois. Celle qui existe aujourd'hui est la treizième version ! L'air d’entrée de Carmen était d’abord une chanson à six-huit qu’accompagnait un chœur. Galli-Marié n’en était pas contente ; elle rêvait d’un air qui campât définitivement la bohémienne. Elle cherchait un air caractéristique, vraiment espagnol ou pastiché, mais qui fût dans sa voix toute en caresses, toute en câlineries. Bizet cherchait en vain. Il s’énervait, mais il voulait néanmoins satisfaire son interprète. Il se rappela un beau jour qu’il avait eu en mains un recueil de chansons espagnoles au moment où il était dans la période d’incubation de sa Carmen, où il cherchait à s’imprégner de couleur locale. C’est dans ce recueil qu’il trouva la Habanera ; il l’harmonisa au beau milieu d’une répétition.

Mais voilà qu’après la première, l’auteur du recueil dans lequel Bizet avait puisé son air du premier acte se déchaîna contre le compositeur de Carmen. Il se nommait Yradier, le musicien qui avait réuni les chansons espagnoles pour en former le recueil en question. M. Yradier, sous menace d’un procès, força Bizet et son éditeur à mentionner sur la partition de Carmen que la Habanera était imitée d’une chanson espagnole, propriété des éditeurs du Ménestrel. Et la mention fut gravée au bas de la Habanera ! Bizet pourtant n’avait fait que prendre un air qui appartient à tout le monde et que M. Yradier avait pris lui-même tout le premier. Mais Bizet y avait implanté la griffe de son génie. Il avait coloré la chanson à sa guise et, d’un air anodin, il avait fait un chef-d’œuvre. Malgré la mention au bas de la Habanera on ignore aujourd’hui M. Yradier et c’est le nom de Bizet qui est… irradié de gloire.

Dirai-je que le prélude en mi bémol, d’un sentiment si reposant, qui ouvre le troisième acte, figurait autrefois dans l’Arlésienne, qui fut accusé d’être un plagiat du septuor du deuxième acte de l’Africaine ? Il y a en effet six notes qui rappellent un peu l’air de Meyerbeer : « Eh bien ! sois libre par l’amour… » C’est comme si on reprochait à un poète de se servir des mêmes mots qu’un de ses prédécesseurs.

Ajouterai-je que le délicieux air de Micaëla au troisième acte « Je dis que rien ne m’épouvante » date de 1871. Bizet l’avait composé pour une Grisélidis qu'il écrivait alors sur un livret de Sardou. Son œuvre était très avancée, quand tout à coup, mécontent, il la détruisit. Il en resté cet air d'une mélancolie si pathétique ; il est tout à fait à sa place au troisième acte.

 

***

 

La partition de Carmen, qui est un ensemble saisissant de mélodie inspirée et de mouvement musical et dramatique, trouva à l'origine des interprètes dignes d’elle. Galli-Marié fut l'interprète rêvée du rôle de Carmen ; personne ne l'a égalée, encore moins dépassée. Dans son costume qui avait été dessinée par Clairin elle réalisait, avec une vérité intense, la bohémienne au cœur changeant. Retirée aujourd’hui du théâtre et mariée à Nice, elle a dû, dans sa retraite, le soir de la millième, sentir passer autour d’elle un peu du frisson de la gloire qui allait à Bizet.

La touchante figure de Micaëla fut incarnée en 1875 par Mlle Marguerite Chapuy qui est aujourd'hui la femme du général André, notre ex-ministre de la guerre. Mlle Chapuy se révéla tout à fait grande artiste dans ce rôle : elle repris en octobre de la même année le rôle de Rose-de-Mai dans le Val d'Andorre de Halévy, et ce fut la dernière joie artistique qu’elle donna au public. Elle se retira du théâtre.

Don José était tenu par Lhérie, aujourd'hui professeur d'opéra-comique au Conservatoire. C'était un artiste inégal, mais un excellent chanteur ; dans Carmen, il fut supérieur, avec des qualités de charme et de déchainement qui produisirent une profonde impression.

Escamillo, c'était Bouhy qui avait fort bien compris son rôle tout de morgue et d'insolence. Bouhy vit encore et assistait tout heureux à la soirée de gala. Moralès fut créé par Edmond Duvernoy, aujourd'hui professeur de chant au Conservatoire, Zuniga par Dufriche qui barytonne à Covent-Garden. Potel, Barnolt et Nathan qui jouaient le Dancaïre, le Remendado et Lillas Pastia, sont morts.

Mlle Ducasse qui créa Frasquita donne des leçons de chant, et Mlle Esther Chevalier qui créa Mercédès est un excellent professeur de déclamation lyrique.

L'orchestre, en 1875, était dirigé par Deloffre, un fort bon musicien, mais sans grande autorité sur les artistes qu’il avait à conduire. Il arriva pourtant à réveiller la torpeur de ses exécutants, et il n’y eut qu’un seul accroc le soir de la première : la grosse caisse, comptant mal ses mesures, partit à contre-sens au milieu d’un pianissimo chanté par Galli-Marié : c’était deux mesures trop tôt. On juge de l'effet produit sur la scène ; Galli-Marie fut interloquée. La grosse caisse troublée n'eut qu'une ressource : elle ne joua pas au moment indiqué sur sa partie. Deloffre dût lui faire expier cruellement ces deux faux-départs à l’entr’acte.

Quant aux chœurs, ils furent, paraît-il, d'un ensemble déconcertant. Leurs bonnes intentions ne pouvaient suppléer au manque d’études et de discipline.

La presse entière s'accorda à louer les décors et les costumes. Et cependant M. du Locle ne croyait guère à l'œuvre qu'il présentait. Il fit cependant son devoir.

Il est évident qu'en montant Carmen comme il l'a fait depuis la réouverture de l’Opéra-Comique, M. Albert Carré a fait plus que son devoir et que le chef-d’œuvre de Bizet, acclamé à la millième, est parti pour une nouvelle série de triomphes.

Je ne voudrais pas terminer cette étude rétrospective précipitée sans adresser mes plus vifs remerciements à Mme Straus-Bizet et à M. Jacques Bizet, qui ont mis avec une exquise obligeance à ma disposition les intéressants documents qu’ils gardent pieusement et les attachant souvenirs qu’ils conservent du musicien de génie si prématurément enlevé et dont on pouvait légitimement attendre de nouveaux chefs-d’œuvre.

 

(Louis Schneider, Revue Illustrée, 15 janvier 1905)

 

 

 

 

 

A propos de la millième de Carmen.

Au cours de mes voyages en Allemagne, ce fut pour moi une joie profonde et vivace, que de voir flamboyer — toujours — le titre de Carmen sur les affiches des théâtres lyriques, dans toutes les villes que j'ai traversées. Cette heureuse et réconfortante surprise, je puis dire que je l'ai éprouvée partout : à Berlin, où je pus admirer une grande artiste, la Destinn ; à Cologne, à Hambourg avec la Metzger.

A l'Opéra de Berlin, on a même ajouté à l'œuvre de Bizet, certains hors-d'œuvre qui m'ont paru — ce n'est peut-être qu'un effet d'habitude — un peu burlesques. C'est ainsi qu'on a coutume d'ajouter au dernier acte une sorte de grand ballet, où toréadors, banderillos et picadores composent des quadrilles inattendus, dont la superfluité m'a fait regretter la mise en scène de M. Albert Carré.

Quoi qu'il en soit, le goût de nos voisins pour le chef-d'œuvre de Georges Bizet est évident. Sans doute la rêveuse et sentimentale Allemagne ne va pas jusqu'à partager l'opinion de Frédéric Nietzsche, qui, dans un opuscule célèbre et paradoxal, opposait l'auteur de l'Arlésienne et de Carmen au géant de Bayreuth. Il importe de nous méfier de ces parallèles exagérés ; mais pour les mélomanes allemands, Carmen est comme un prétexte pour s'évader hors du domaine de la métaphysique et de la mythologie ; c'est une fenêtre ouverte sur du soleil, sur une région où tout est mouvement, couleurs, exubérance, passions ardentes. Pour eux aussi, Carmen demeure l'incarnation d'un genre dramatique et musical : de même que la tragédie française atteint en Jean Racine son expression parfaite ; que la symphonie avec Beethoven s'élève aux plus hautes cimes de l'inspiration humaine, ou que Madame Bovary demeure le modèle classique et complet du roman naturaliste moderne ; avec Georges Bizet, trop tôt disparu, ce genre si français de l'opéra-comique, aboutit à un type qui nous paraît définitif. Oui Carmen est bien la réalisation la plus parfaite de l'opéra-comique ; il l'est par la vivacité de son action, par son heureux mélange de rires et de larmes, de fantaisie et de vérité, de tragédie et de joie, de drame et de comédie, de frénésie sensuelle et de volupté.

J'ajoute enfin que la manière dont Meilhac et Halévy adaptèrent la nouvelle de Prosper Mérimée est tout à fait remarquable ; elle restera ainsi comme le plus aimable modèle du livret joliment écrit.

Assurément, la jeune école française poursuivra ses conquêtes et ses victoires : le génie de la race ne peut pas manquer d'aboutir à d'autres réalisations, où tout en sauvegardant ses qualités primesautières et traditionnelles, une place nouvelle sera faite au sentiment de la vie moderne ; mais Carmen restera comme un type impérissable, car cette œuvre contient une formule, un alliage de mort et de volupté, un parfum de sang et d'amour que les foules, toujours, aiment à retrouver dans le spectacle de l'œuvre d'art.

(Gustave Charpentier, l’Art du Théâtre, février 1905)

 

 

 

 

 

Renseignements inédits sur Carmen et sa descendance. La gitane Carmen a existé et les gitanos conservent son souvenir. Elle s'appelait Ar Mintz (l'Indomptable), Nadushka de son nom de tribu. Elle eut une fille qui, mariée au chanteur Jarko, eut une fille, Thiécla. Celle-ci, éprise d'un sous-officier de la garnison de Gibraltar, Gresham ou Grasan, en eut une fille, qui s'appela Mintz, comme son arrière-grand-mère, et Nadushka, comme toutes les femmes de sa tribu, et qui, d'abord gitane, devint actrice, grâce à un impresario qui s'intéressa à elle. « Pendant quelques années, Mintz Nadushka chanta sur les principales [?] scènes d'Europe et d'Amérique et obtint de grands succès dans le rôle de Carmen. Puis elle disparut. Elle aurait été, nous dit-on, empoisonnée en Angleterre par des gypsies qui ne lui pardonnaient pas d'avoir trahi sa race et d'avoir chanté en gitane devant des étrangers... »

(le Télégramme de Toulouse, 10 août 1907)

 

 

 

 

 

Carmen fut représentée le 3 mars 1875. Le sujet de la pièce est tiré de la nouvelle de Mérimée, portant le même titre. Cet ouvrage, mal accueilli à ses débuts par la critique et le public des premières, à pris, depuis, une triomphal revanche !

L'œuvre toujours jeune et vibrante de Bizet est un diamant dans le riche écrin de perles fines qu'est le répertoire si riche de l'Opéra-Comique.

Il n'y a pour ainsi dire pas de semaine où une fois au moins l'affiche ne porte ce titre attirant : Carmen.

Depuis surtout que l'éminent directeur actuel, M Albert Carré, a renouvelé tous les décors et galvanisé la mise en scène de ce chef-d’œuvre, Carmen semble rajeunir à chaque audition nouvelle.

Parmi tant de pages qui sont dans la mémoire du monde entier, il faut retenir le chœur en mi majeur, si pittoresque, dans le premier acte :

Il y sera quand la garde montante

Remplacera la garde descendante.

La chanson espagnole : L'amour est un oiseau rebelle. — Le duo de Micaëla et de José. — Dans le 2e acte : La chanson bohème ; les couplets du Toréador... et le duo d'un charme si enveloppant de Carmen et de José :

Si tu m'aimais, là-bas, tu me suivrais,

et l'allegretto de Carmen : Bel officier. — Dans le 3e acte : le fameux trio des cartes. — L'air de Micaëla : Je vais voir de près cette femme... et la phrase si pittoresque du finale : je te tiens fille damnée !

Enfin au 4e acte, l'allegro du duo final :

Mais moi, Carmen, je t'aime encore.

(Programme de l’Opéra-Comique, septembre 1907)

 

 

 

 

 

Documents Inédits.

A considérer aujourd'hui la place d'honneur que tient Carmen dans l'histoire musicale du dix-neuvième siècle, on s'étonne à bon droit de l'insuccès de ce chef-d’œuvre à sa création, et on s'explique le grand chagrin qui frappa le maître et le coucha dans la tombe, à l'âge de 37 ans, alors qu'on pouvait fonder sur lui les plus brillantes espérances.

Après une jeunesse studieuse, il s'était vu, à son retour de Rome, obligé de donner des leçons pour vivre, d'écrire des arrangements qui lui étaient payés chichement, de lutter contre la malchance.

Ce n'est qu'en 1863 qu'il allait commencer réellement sa carrière théâtrale. Ses Pêcheurs de Perles donnés au Théâtre-Lyrique n'eurent que dix-huit représentations. Bizet se savait incompris lorsqu'il écrivait :

« Si j'avais le même goût que le public, je n'aurais pas écrit mes pauvres Pêcheurs de Perles, opéra qui a été, il faut l'avouer, hélas ! fort peu du goût du public. Requiescat in pace ». En 1867, au même théâtre, la Jolie Fille de Perth n'obtenait que vingt-une représentations. Alors Bizet voulut viser plus haut, il composa un Ivan le Terrible pour l'Opéra, sans jamais réussir à faire jouer cette œuvre. Dans une heure de profonde amertume, il confiait à un ami : « Si je crève d'ennui, de découragement et aussi de faim un de ces matins, on aura peut-être l'idée de faire quelque chose de la Jolie Fille de Perth et d'Ivan. Si ces ouvrages ont jamais quelque succès, ce sera un enseignement inutile pour l'avenir et on continuera, comme par le passé, les admirations de coterie. Les bénisseurs ont encore de beaux jours, les usuriers aussi. »

Des années passèrent. Bizet se maria avec la fille de son maître Halévy, il connut la joie familiale à défaut de la gloire.

Enfin, en 1872, il abordait la scène de l'Opéra-Comique avec Djamileh (une Namouna de M. du Locle, maladroitement remaniée par M. Gallet). Ce petit chef-d’œuvre, malgré la bienveillance de la presse, disparaissait au bout de quatre représentations. Dans un beau mouvement d'orgueil, le jeune maître déclarait alors : « J'ai la certitude absolue d'avoir trouvé ma voie. Je sais ce que je fais ». Cependant l'Arlésienne elle-même ne sut pas plaire à la foule.

Souvent découragé, nais doué néanmoins d’une grande volonté, Bizet entreprit d'écrire la partition de Carmen. Comme il la travailla avec amour, cette partition dramatique et pittoresque à la fois, qui devait devenir si populaire plus tard ! Comme il était satisfait, à bon droit, du livret de ses collaborateurs !

Dès le commencement de 1873, on songea à engager Mme Zulma Bouffar pour créer le rôle de l'héroïne, mais sur les conseils du directeur, M. du Locle, des pourparlers s'engagèrent avec Mme Galli-Marié, l'inoubliable créatrice de Mignon. Le 18 décembre 1873, cette admirable artiste écrivait à son directeur : « Oui, cher Monsieur, j'accepte 2.500 fr. par mois — quatre mois — octobre 1874, novembre, décembre et janvier — 12 fois par mois pour créer Carmen de MM. Bizet, Meilhac et Halévy.

Est-ce cela ? Etes-vous content ? Cela fait de jolies représentations à 208 fr. 33 !! Misère ! comme on dit au faubourg Antoine ! Mais, par exemple, si la pièce réussit et si vous prolongez mon engagement, je veux un peu plus et vous ne trouverez pas que je suis injuste, n'est-ce pas (si vous faites, mettons 5.000 en moyenne) en vous demandant 300 fr. par soirée, puisque si elle ne réussit pas, tout est fini entre nous ! »

Et elle ajoutait, en manière de post-scriptum : « Mes meilleurs compliments à M. Bizet. Je suis sûre qu'il dînera bien ce soir ! »

Le vaillant compositeur se montra heureux en effet, mais il se laissa influencer par le souvenir de Mignon et n'écrivit pas le rôle de Carmen à la convenance de son interprète. Aussi Mme Galli-Marié, de passage à Gand, le 2 Janvier 1874, écrit-elle à du Locle : « Quant à venir à Paris causer avec les braves auteurs de Carmen, je ne peux pas vous assigner de jour ! Déjà avant-hier j'ai perdu un cachet pour venir passer quelques heures dans ma bonne ville ! Que M. Bizet se base sur la tessiture de Marguerite pour m'écrire ce qu'il n'a pas encore fait. Sa tessiture de Mignon est trop terre-à-terre et me gêne plutôt. »

Les répétitions furent longues, ardues, parfois même douloureuses. Bizet, convaincu de la beauté de son œuvre, ne voulait pas faire de concessions. On arriva ainsi au Samedi 27 Février. Alors le musicien, presque à la veille de livrer sa grande bataille, eut un scrupule d'honnête homme et de fier artiste : « Mon cher du Locle, écrivait-il à son directeur, puisque vous faites de grands sacrifices pour Carmen, permettez-moi d'en faire un tout petit pour assurer la bonne exécution de mes deux chœurs de femmes du Ier acte. Meilhac et Halévy voudraient des figures et moi je voudrais des voix ! il y a là une lacune, laissez-moi la combler, je vous en supplie ! Autorisez-moi à prendre six Iers dessus et quatre 2e dessus en supplément. J'ai dans l'oreille l'exécution de Mireille et je sens ce qu'une interprétation semblable me donnera d'effet pour mes deux chœurs de cigarières.

Que l'exécution soit brillante aux trois premières représentations ; il suffira qu'elle soit convenable aux suivantes. Ce que je vous demande ne peut pas vous retarder de cinq minutes. Les femmes sont là. Je les ferai répéter moi-même demain dimanche, après-demain lundi ; elle prendront leurs places en scène mardi. Je ferai tout ce qu'il faut pour qu'en trois jours les chœurs soient prêts. Je vous demande pardon de ma fièvre, mais ne me croyez pas égoïste, si j'étais seul devant l'ennemi, je serais moins ému.

Mais vous y êtes avec moi, vous y risquez plus que moi, je sens là victoire possible, probable, et je ne me consolerais pas de ne pas avoir mis toutes les chances de notre côté ; vous avez eu confiance en moi pour une grosse partie, j'en suis profondément touché, croyez-le bien, et je veux que vous en soyez récompensé. C'est une affaire d'honneur et aussi, cher ami, une affaire de sentiment ».

A la première, ce fut presque une débâcle.

Le coup fut dur pour Bizet que le gouvernement avait décoré le matin même de la première. A propos de cette décoration, et pour prouver que les amis du maître comptaient sur un succès, je veux citer un passage d'une lettre qu'à quelques jours de là, Charles Garnier envoyait de Bordighera à Camille du Locle, sur le ton plaisant qui lui était coutumier : « Je lis la décoration de Bizet et comme je trouve qu'elle n'est pas volée, je voudrais lui en faire tous mes compliments, mais je ne sais pas où il demeure et j'ai peur qu'en écrivant seulement à M. Bizet à Paris ça ne cause un retard à ma lettre et que le nouveau chevalier ne la reçoive que dans deux ans. Je vous charge donc de lui faire de ma part tous mes bons compliments et tâchez de tourner cela de façon à ce que ça ne soit pas banal. Dites lui ça dans ce genre là : Sarpejeu, ma petite vieille, le sauvage de Bordighera a peigné sa perruque en apprenant votre macheu rouge il était tout naturel qu'après avoir fait Carmen on vous donna un ruban carmin ! etc. etc. Mais n'oubliez pas d'embrasser sa femme pour moi, en voilà une que je ferais commandeur avec mes deux bras en guise de cravate... Carmen a-t-il du succès ?... »

Hélas ! le succès, Bizet ne le connut pas.

(Martial Teneo, 1912)

 

 

 

 

 

« Opéra-comique », ce sombre drame ! Ainsi le veut une classification qui démontre surtout combien le genre opéra-comique a dévié de sa tendance première. A part les scènes du Dancaïre et du Remendado, ce chef de contrebandiers et son compère, il y a bien peu qui fasse rire dans l'histoire de l'amour, de la déchéance et de la perdition de don José.

Ce don José est un brave Navarrais, qui s'est engagé après une rixe de village et qui se trouve tenir garnison à Séville. Sa vieille mère n'attend que sa libération et son retour au village pour l'unir à Micaëla, une orpheline qu'elle a élevée et qui accepterait cette union avec joie. José l'accepterait aussi de bon cœur, car Micaëla fut son amie dès l'enfance, ayant été élevée à ses côtés, à son propre foyer. Mais la fatalité en a décidé autrement.

A peine avons-nous assisté à la rencontre de José et de Micaëla devant le poste de dragons qui fait face à la cigarerie, à peine l'avons-nous vu s'émouvoir aux nouvelles que la jeune fille lui apporte de sa mère, que la fatalité entre en scène sous forme de la bohémienne Carmen, cigarière. Une bataille à l'intérieur de la fabrique a amené l'intervention du brigadier José et de deux de ses hommes. Ils ramènent la coupable, qui vient de tailler en croix la figure d'une de ses compagnes avec son couteau de travail. Carmen a regardé José et l'a trouvé à son goût. Impulsivement, animalement, elle a jeté son dévolu sur ce beau garçon. A ses agaceries, José commence par ne rien répondre, mais il a cependant subi le charme de la femme fatale et, quand elle lui révèle son amour et lui donne rendez-vous le soir même chez le cabaretier Lillas Pastia, le malheureux fait un premier pas sur la pente glissante et devient complice : il laisse échapper la prisonnière confiée à sa garde.

Il ne peut cependant se rendre au rendez-vous et un mois s'est écoulé entre le premier et le second acte. Les chefs de José n'ont pas voulu admettre qu'une femme ait si facilement échappé au soldat chargé de sa surveillance et qui avait reçu l'ordre de lui lier les mains. Aussi ont-ils envoyé le coupable en prison pour un mois. Au moment où le rideau se relève sur l'hôtellerie de Lillas Pastia, endroit louche où se réunissent les contrebandiers de la région, José vient d'achever sa peine et d'être remis en liberté. Carmen est là et l'attend, sûre de sa puissance, sûre qu'il viendra. Il aurait pu venir plus tôt, car elle lui a fait passer une lime pour s'évader et une pièce d'or pour se travestir, mais José n'a pas encore renié tout sentiment d'honneur et de devoir ; il a refusé de déserter.

Tandis que d'un pas allègre il s'achemine vers le lieu du rendez-vous, chez Lillas Pastia on festoie et l'on danse. Le lieutenant de José courtise Carmen, d'autres officiers courtisent ses compagnes. Mais Carmen n'a pour l'instant que José en tète et refuse toutes les avances du lieutenant. Pourtant celui-ci s'obstine et annonce qu'après la retraite il reviendra.

Un bruyant cortège passe dans la rue : on conduit en triomphe le toréador Escamillo. Invité par les officiers, celui-ci entre et trinque avec les assistants. Il remarque Carmen et lui débite quelques galanteries ; celle-ci ne reste pas indifférente, mais pour l'instant elle n'est pas libre : Escamillo, ce sera pour plus tard !

A grand' peine, Lillas Pastia a fait sortir ses hôtes, car il est l'heure de police. Les volets mis, une scène d'un nouveau genre se déroule sous nos yeux : le Dancaïre et le Remendado, qui étaient cachés dans la pièce voisine, sortent et arrangent avec les femmes, qui sont restées, une expédition de contrebande aux environs de Gibraltar. Seule Carmen refuse de partir : elle est amoureuse ! Cette excuse fait pouffer toute la compagnie, mais Carmen est inébranlable. Le Dancaïre lui suggère alors d'emmener son amoureux. C'est une idée : Carmen y songera.

Cet amoureux n'est plus bien loin. Déjà on entend sa chanson au bout de la rue. Laissée seule avec lui, Carmen déploie devant José toutes ses séductions. Pour lui, elle chante, elle danse. Mais qu'est ceci ? La retraite a retenti au loin et le soldat s'apprête à partir. Quand elle comprend qu'il la veut quitter, Carmen est prise de rage et agonise le malheureux des outrages les plus cinglants. Il résisterait cependant si, juste à ce moment, on ne frappait à la porte : c’est le lieutenant qui, fidèle à sa promesse, vient retrouver Carmen. Il reconnaît José et le traite avec mépris. Cette fois la coupe déborde : le dé en est jeté. José n'est plus soldat, il n'est plus qu'homme amoureux et jaloux. Il tire son sabre et le lève sur son supérieur, et bien que les adversaires soient aussitôt séparés par les contrebandiers accourus à l'appel de Carmen, le malheureux n'a plus le choix qu'entre la mort par le peloton d'exécution ou la désertion et la vie d'un hors la loi. Il suivra donc les contrebandiers et liera son sort à celui de sa maîtresse.

Quand nous le retrouvons au troisième acte, dans un nid de rochers où les contrebandiers ont leur repaire, il est bien changé. Carmen aussi du reste. José est toujours plus amoureux de la femme à laquelle il a tout sacrifié. Et cette femme ne l'aime plus ! Elle est impatiente du joug de son amant, devenu jaloux et tyrannique. Elle s'est souvenue des avances d'Escamillo et le nouvel amour a chassé l'ancien. Superstitieuse, elle croit, elle sait que la mort la guette et qu'elle lui viendra de José. Les cartes le lui ont révélé. Mais elle est aussi fataliste que superstitieuse et accepte son sort sans essayer même de résister à l'instinct bestial qui l'entraîne.

Les contrebandiers, et Carmen avec eux, sont partis pour essayer de faire passer leurs marchandises dans la ville. José est resté seul en sentinelle près des ballots.

Arrive Micaëla. Domptant sa peur, elle s'est fait guider jusqu'en ce lieu sauvage, car elle sait y retrouver le pauvre José qu'elle aime encore quoique déchu, et elle doit lui porter une grave nouvelle : sa mère se meurt et ne voudrait pas mourir sans l'avoir revu, sans avoir pardonné. Elle va l'aborder quand une détonation lui fait gagner le couvert d'une roche. C'est José qui a tiré sur un intrus, et cet intrus n'est autre qu'Escamillo qui vient jusqu'en ce lieu relancer la bohémienne. Terrible explication entre les deux hommes et duel au couteau, duel qui aurait une issue fatale sans le retour des contrebandiers. En furetant de droite et de gauche, ils découvrent aussi la pauvre Micaëla toute tremblante. Celle-ci délivre son message et, en apprenant que sa mère va mourir, José oublie tout le reste et part avec la jeune fille. Carmen le lui conseille, du reste, et ce conseil donné en présence de son rival, le fait hésiter un instant. L'amour filial l'emporte toutefois, mais s'il part on sent bien qu'il reviendra.

Le dernier acte se passe à Séville devant la Plaza de Toros. C'est jour de grande course à mort et Escamillo est le héros du jour. Carmen l'attend. En vain les avertissements lui viennent-ils de droite et de gauche : José est là, dans la foule, qui la guette. Elle n'en a cure et marche impassible à son destin. Brillant défilé de la cuadrilla. En passant, Escamillo lance à Carmen une parole d'amour. Tout le monde s'engouffre à la suite du cortège dans la Plaza. Carmen demeure : José est là, il faut en finir. José l'aborde, il est méconnaissable ; c'est maintenant un brigand, sur le bord du crime. Une dernière fois il supplie, il implore. Brutalement, Carmen refuse de le suivre et lui déclare qu'elle ne l'aime plus. On entend les acclamations qui partent du cirque et vont au toréador victorieux ; ces acclamations mettent une flamme dans les yeux de la bohémienne. Dédaigneuse du danger, elle va pour entrer dans les arènes, mais José lui barre le passage ; Carmen veut l'écarter, elle lui crache à la face son amour pour l'autre ! C'en est trop, le bras de José s'abaisse et Carmen tombe comme une masse, percée au cœur, au moment précis où la foule excitée débouche à flots pressés sur la place. Et ce flot s'arrête figé en voyant le meurtrier pleurant sur le cadavre de sa victime : « Vous pouvez m'arrêter, c'est moi qui l'ai tuée. O ma Carmen, ma Carmen adorée ! »

 

(Edouard Combe, les Chefs-d’œuvre du répertoire, 1914)

 

 

 

 

 

Il y a beaucoup de pièces « nées condamnées », tuées par la critique — et qui se portent assez bien : Carmen, Madame Sans-Gêne et les Cloches de Corneville en constituent les plus retentissants exemples... Dès leurs premiers sons, il fut entendu que « les Cloches » ne carillonneraient pas pendant plus de huit jours — et voilà cinquante ans qu'elles tintent joyeusement au campanile de l'Opérette. — Lorsqu'il s'est agi de promener en tournée triomphale l'immortelle Madame Sans-Gêne, l'impresario ne put trouver pour la publicité habituelle un seul article favorable parmi tous les comptes rendus de la première. Quant à Carmen...

L'insuccès de la création fut-il aussi notoire que l'on a bien voulu le répéter, ou y eut-il là-dessous une légende exagérée ?... La vérité, c'est que les auteurs ont rencontré dès le début cette opposition plus ou moins sourde, à laquelle se heurtent tous les novateurs, et la pièce eut une presse déplorable : on jugea d'abord le sujet beaucoup trop scabreux pour le public de l'Opéra-Comique, la salle des « familles » par excellence, le temple classique des « entrevues de mariage »... « Nous avons tous les soirs cinq ou six loges louées pour ces entrevues ! » déclaraient fièrement les directeurs, MM. de Leuven et du Locle. Or, il s'agissait d'une histoire de séduction brutalement charnelle, se déroulant dans un milieu de voleurs, de filles perdues, et terminée — pour la première fois sur une telle scène — par un meurtre, passionnel encore !... Et le doux Théodore de Banville de s'écrier, dans un feuilleton quelque peu narquois : « Voile-toi, ombre de Scribe ! Le théâtre de l'Opéra-Comique, le théâtre des brigands vertueux, des demoiselles langoureuses, des amours à l'eau de rose, a été forcé, violé, pris d'assaut par une bande effrénée de romantiques !... »

Cependant, les recettes des premières représentations n'accusent pas un désastre. Carmen a été créée le 3 mars 1875 par la célèbre Galli-Marié qui a laissé son nom à tout un emploi de soprani. Elle fut jouée d'abord une cinquantaine de fois ; sans doute, l'accueil incertain qui lui a été fait ne permet pas de la ranger parmi les succès foudroyants, et elle disparut en 1876 de l'affiche jusqu'à la reprise vengeresse de 1883. Mais, dès son apparition, l'étranger l'applaudit chaleureusement ; Vienne donna le signal en 1875 même. La « millième » a été célébrée en 1905, et on peut aujourd'hui considérer cette œuvre comme une des « pierres d'angle » du répertoire. Il faut admettre aussi que les véritables connaisseurs ne l'auront jamais dédaignée. Peut-être y a-t-il donc un certain excès d'imagination à voir dans son départ pénible la cause de la mort de Bizet, miné par la dépression morale et physique consécutive à cet échec, auquel il n'a pu survivre plus de quatre mois.

L'Opéra-Comique fit relâche le jour des obsèques : La veille on jouait Carmen ; « pendant le trio des cartes — raconte M. Ernest Reyer dans le Journal des Débats, Mme Galli-Marié ressentit une impression inaccoutumée en lisant dans son jeu des présages de mort... Son cœur battait à se rompre. Il lui semblait qu'un grand malheur était dans l'air. Rentrée dans la coulisse, après des efforts violents pour aller jusqu'à la fin du morceau, elle s'évanouit. Quand elle revint à elle, on essaya vainement de la rassurer et de la calmer ; la même pensée l'obsédait toujours, le même pressentiment la troublait — mais ce n'était pas pour elle qu'elle avait peur. Elle chanta donc, puisqu'il fallait chanter. Le lendemain, Mme Galli-Marié apprenait que, dans la nuit, Bizet était mort... Je sais bien que les esprits forts hausseront les épaules ; mais nous n'en étions pas moins fort ému en écoutant, le soir de la reprise, au 3e acte, le fatidique trio. »

Georges Bizet s'était primitivement fait connaître comme symphoniste. Il avait un merveilleux sens de la « mélodie de théâtre » ; il donna successivement la partition des Pêcheurs de Perles, de la Jolie Fille de Perth et de Djamileh, d'après la « Namouna », d'Alfred de Musset. Son chef-d'œuvre est, avec Carmen, l'admirable musique de scène de l'Arlésienne.

C'est lui qui eut l'idée de tirer un livret de la « Carmencita », de Prosper Mérimée, l'étincelant conteur de « Colomba » et de « Matteo Falcone », le chaud coloriste de la « Chronique du règne de Charles IX » — ces Huguenots du roman — l'auteur de l'inoubliable théâtre « de Clara Gazul ». Bizet s'adressa pour l'adaptation à Meilhac et Halévy.

L'idée pouvait sembler bizarre de confier l'affabulation d'un drame lyrique aussi farouche aux premiers humoristes de l'époque, aux pères de l'opéra bouffe — qui avaient déjà fait cascader, sur les flonflons d'Offenbach, des Brigands et carabiniers d'une poétique un peu différente. Mais Bizet était un ami de Ludovic Halévy, dont il épousa la cousine. L'auteur de « la Famille Cardinal » avait grandi dans les coulisses de l'Opéra, où son oncle Fromental était chef de chant et comptait parmi ses élèves le petit Georges Bizet, alors âgé de quatorze ans : Halévy accepta la proposition de son camarade d'enfance. Il a publié lui-même, dans « le Théâtre » de janvier 1905, un historique très complet de la genèse de Carmen.

Les deux collaborateurs dépensèrent à la rédaction de la pièce ces qualités académiques de dialogue, aujourd'hui encore si rares dans le texte d'une œuvre lyrique et que l'enseignement du Conservatoire de musique n'est pas fait pour mettre en valeur au point de vue de la déclamation, toujours si conventionnelle et négligée en la matière. Mais à cette date, ce souci de littérature n'était pas la moindre des innovations apportées à la forme traditionnelle de l'Opéra-Comique, par cette œuvre si vivante, si « grouillante », dans sa mise en scène vite accusée de « naturalisme réaliste »... Il y avait pourtant de notables différences entre la sanglante nouvelle de Mérimée et le livret d'où n'est pas exclue la note sensible d'émotion, d'attendrissement, de pitié.

 

***

 

Brigadier au régiment des « dragons d'Alcala », qui tient garnison sous les remparts de Séville, Don José n'est qu'un brave garçon. Sa consigne d'abord. Une fois libéré du service, il se retirera en Navarre, chez lui, pour assister sa vieille mère et se marier tranquillement avec la douce Micaëla, sa petite amie d'enfance — qui a justement fait le voyage à seule fin de lui apporter des nouvelles et de remporter un baiser. Tout est pour le mieux… Mais voici qu'éclate, comme un grondement d'orage lointain, le vacarme d'une bataille de femmes : dans la cigarerie voisine travaillent quelques centaines de ces filles « légères au pourchas et hardies à la rencontre », dont on fait plus facilement des poissardes et des tricoteuses que des ouvrières — surtout en Espagne, terre classique de l'oisiveté, où elles ont si vite lâché l'atelier, préalablement transformé en antichambre de l'enfer. Deux d'entre elles se sont expliquées à coups de couteau. Les dragons interviennent. On sépare les combattantes, pour éviter que la rixe ne dégénère et ne divise en deux camps ennemis cette agglomération de sorcières, qui en sont bientôt venues aux mains — et l'on fait un exemple en la personne de la bohémienne Carmen, qui s'est particulièrement signalée par sa dextérité à l'arme blanche. Elle a été laissée, ligotée dans les règles, sous la garde de Don José... En quelques instants, avec un sourire et un déhanchement lascifs, la diabolique gitane a fasciné le malheureux. Déjà, tout à l'heure, au passage, elle l'avait visé comme une proie, troublé à son insu d'une œillade et d'une roulade, marqué de son choix détestable en lui lançant — flèche... ou mouchoir — la fleur sauvage de cassis qu'elle mordillait de ses dents cruelles. Et Don José, pris, est perdu.

De ce moment, le charme opère. Le brigadier a facilité l'évasion de sa prisonnière. Cassé de son grade, puni de prison, son idée fixe était de rejoindre l'ensorceleuse. Il la retrouve au rendez-vous indiqué par elle : la « posada » suspecte du senor Lillas Pastia — maison de danses et repaire de contrebandiers (qui avait si fort choqué les spectateurs de la « première »). Carmen repousse provisoirement les avances du lieutenant de dragons et même d'Escamillo, toréador bellâtre... José arrive, et la bohémienne, peut-être amoureuse, déploiera pour lui l'appareil varié de la séduction — grâce à quoi elle compte bien engourdir ses scrupules et l'amener à déserter pour la suivre dans la montagne avec ses complices de contrebande à main armée... Cependant, le sentiment du devoir n'est pas mort chez ce soldat, aussi, lorsque sonne la retraite, son premier mouvement est-il de s'éloigner. La Carmencita, furieuse, hurle des imprécations... Tout à coup, on frappe à la porte ; c'est le lieutenant Zuniga qui a voulu tenter par surprise l'assaut de la belle. Mordu par la jalousie, Don José se dresse contre son chef. Sa tête s'égare ; il dégaine. Carmen donne un coup de sifflet ; les contrebandiers accourent, l'officier est vivement réduit à l'impuissance... et José, saisi par un engrenage de fatalité, n'a plus qu'à baisser la tête et à suivre la pente funeste.

Dès lors, le roman n'est qu'une abominable suite de déchéances vilaines, banales. On peut blâmer José, le condamner — mais son cœur saigne. Il y a étouffé la voix de l'honneur et de l'amour pur... Ombrageux, douloureux, il voit Carmen se détacher insensiblement de lui. Au contact quotidien, la divergence des deux natures s'est accusée ; et le spectacle en est pénible. Errant, hors la loi, lié au sort des contrebandiers par la responsabilité de ses fautes militaires et sociales, le Navarrais subit les derniers sursauts de conscience, d'honnêteté. Carmen s'en irrite ; José l'importune : ce n'est qu'un pauvre criminel. Quand elle interroge le sort, superstitieuse et fataliste comme toutes les filles de Bohème, elle accepte l'image de mort que lui présente inexorablement son jeu de cartes, et n'essaie pas de résister à ses instincts — et puis Escamillo, le tueur de taureaux, est là qui rôde et qui la guette... Don José le découvre ; une lutte violente s'engage ; soudain paraît Micaëla. La pauvre petite, brisée, vient, à travers mille périls, apprendre à celui qui l'a délaissée que sa mère, mourante, ne veut pas s'en aller sans l'avoir embrassé pour la dernière fois. La piété filiale est le seul bon sentiment qui n'est pas tout à fait éteint dans l'âme du misérable... il s'éloigne, soutenu par la jeune fille, mais avec des mots de menace.

A la plaza de toros, Escamillo associe Carmen à son triomphe bestial... Carmen l'attend. Mais tout à coup, comme un fantôme, José surgit devant elle. C'est l'esclavage ou l'abîme. La gitana n'hésite point : elle renie le passé, férocement, avec cynisme — et à l'appel des acclamations enthousiastes qui s'élèvent des arènes rouges, va se précipiter vers son nouveau caprice... José lève sa navaja et frappe, et Carmen tombe... et le public applaudit, ce qui est une façon de voter l'acquittement.

.   .   .   .   .   .   .

Des tragiques amours de Carmen et de Don José, nous avons vu naître la Femme et le Pantin. »

 

(Roger Tournefeuille, les Grands succès lyriques, 1927)

 

 

 

 

  

 

 

la nouvelle présentation de Carmen à l'Opéra-Comique (décor de Dignimont)

 

 

Le Centenaire de Bizet à l’Opéra-Comique

(Figaro Théâtre, 25 octobre 1938)

 

Les Interprètes de Carmen.

 

Georges Bizet, mort à trente-six ans, le 3 juin 1875, exactement trois mois après la première représentation de Carmen, tient une place d'honneur, l'une des toutes premières, parmi les musiciens de théâtre de son époque. Il a laissé un chef-d’œuvre qui n'est plus contesté par personne, devant quoi s'inclinent toutes les écoles, toutes les chapelles : Carmen. Henri Gauthier-Villars a pu écrire avec raison que c'est la seule œuvre humaine qui échappe actuellement à toute discussion.

On ne pouvait donc mieux commencer les festivités musicales organisées pour la célébration du centenaire de Bizet que par une représentation de l'opéra qui a assuré sa gloire posthume.

Il nous a paru intéressant, en parlant brièvement des plus célèbres interprètes de l'inquiétante héroïne de Mérimée, transformée en personnage d'opéra-comique, de retracer l'histoire même de Carmen à travers les Carmen qui se sont succédées depuis soixante-trois ans sur la scène de l’Opéra-Comique.

Carmen vit le jour le 3 mars 1875.

Le rôle de Carmen, écrit spécifiquement pour un mezzo-soprano de demi-caractère, fut à la création interprété par Galli-Marié, qui devait attacher son nom à l’emploi pendant un demi-siècle. Elle obtint dans le rôle titulaire un succès considérable et, pendant la première série de représentations, tant que le chef-d'œuvre de Bizet était discuté, et même décrié, elle ne l'abandonna pas une fois.

Ceux qui l'ont entendue affirment qu'elle fut et restera l'interprète-type sous tous égards du personnage de Carmen.

Mme Adèle Isaac chanta Carmen à la reprise de l'ouvrage en 1883. Ce fut le premier soprano qui interpréta ce rôle envié, que mezzo-soprani, contralti et même soprani se sont partagés depuis lors. La partition comporte, en effet, un certain nombre de pointages, d'indications, même de transpositions plus ou moins recommandables à l'usage des voix élevées.

Mlle Galli-Marié reprit ensuite Carmen pendant un laps de temps assez long, puis Mme Nardi l'interpréta à son tour.

De 1888 à 1891, Mme Deschamps-Jehin, qui venait de créer Margared du Roi d'Ys, voix de mezzo très étendue, riche de timbre et d'un rare volume, chanta plus de quatre-vingt fois Carmen à Paris avec un succès qui ne se démentit jamais. Elle fut vocalement l'une des Carmen que l'on a pu préférer. Elle était malheureusement loin d'avoir la plastique du personnage et ne répondait nullement au portrait fait par Mérimée de l'héroïne de son roman.

Mme Tarquini-d'Or — un mezzo — succéda à Mme Deschamps-Jehin.

 

***

 

Emma Calvé aborda Carmen en décembre 1892. La prise de possession du rôle par la célèbre artiste fut, à l'époque, sensationnelle. Pendant deux années, elle chanta le rôle en vedette, devant des salles qui ne désemplissaient pas.

Charlotte Wyns, que nos deux scènes lyriques nationales devaient se disputer à sa sortie du Conservatoire, fut à son tour Carmen dans les derniers mois de 1894, après un excellent début dans Mignon. Elle personnifia Carmen pendant plusieurs « saisons », partageant par la suite le rôle avec Mlle Nina Pack, soprano dramatique au visage expressif.

Eléna Sanz, authentique Espagnole qu'une amitié très vive avait liée, a-t-on dit, à un Grand d'Espagne, y parut également et y fut appréciée au cours de quelques représentations. Mme de Nuovina, soprano dramatique, fut l'interprète de Carmen au cours d'une représentation de gala donnée en 1897, avec le concours du ténor Saléza.

Mlle Marie Bréma s'essaya à son tour dans Carmen : grande voix, jeu conventionnel. Au soir d'inauguration de la nouvelle salle Favart, le 9 décembre 1898, le deuxième acte de Carmen figurait au programme. Mme Georgette Leblanc était Carmen, l'une des Carmen les plus originales et les plus près de la vérité du personnage qu'il ait été donné de voir. La voix était malheureusement assez déficiente.

Mentionnons ensuite Marie Delna dont les belles notes graves sonnèrent à souhait dans traduction vocale du rôle, mais dont la composition scénique ne fut pas très heureuse.

Mlle Marié de l'Isle vint à son tour attacher son nom, après celui de la créatrice, au rôle de Carmen. On revenait avec elle, non seulement à la conception primitive du personnage lyrique, mais à l'emploi vocal auquel il se rattache directement : un mezzo-soprano assez étendu de demi-caractère, souple et chaudement coloré, sans ampleur excessive. Marié de l'Isle en resta l'une des titulaires de 1902 à 1910. Après elle vinrent, sous la direction de M. Albert Carré : Mlles Suzanne Brohly, qui chanta la millième représentation de Carmen en décembre 1904, avec Edmond Clément, Cécile Thévenet, Jenny Passama, Sylva, Vix, Sigrid Arnoldson, Charbonnel ; Mlle Mérentié parut dans l'opéra de Bizet au cours d'une représentation de gala à l'Opéra le 29 décembre 1897.

Lucienne Bréval, tragédienne lyrique de grande classe, dans des costumes dessinés par Zuloaga, a réalisé une Carmen curieuse et, au dernier acte, puissamment dramatique. On peut dire qu’elle a transposé le personnage sans le trahir, pour l'élever jusqu'à elle, s'y montrant remarquable même dans l'erreur.

Nous sommes maintenant en 1911. La jeune gloire de Marthe Chenal a déjà connu tous les succès : Chrysis, d'Aphrodite, après Floria Tosca, après Brunehilde de Sigurd, Marguerite de Faust, et sa création du Miracle à l'Opéra. Aussi lorsque M. Albert Carré lui demanda d'ajouter son nom à la série déjà longue des Carmen, elle accepta d'affronter à son tour l'épreuve de la critique et du public dans ce rôle fameux. Le public qui l'aimait, fut heureux de l'y voir et de l'y applaudir pendant plusieurs lustres.

 

***

 

Il faut encore citer Alice Raveau, dont le contralto faisait merveille dans l'air des cartes, et Mlle Davelli ; puis, depuis 1919, avec Chenal et Brohly déjà nommées, Lise Charny, Estève, Bourguignon, Lucy Perelli, Rose Pocidalo, et notre grande Ninon Vallin qui avait été au début de sa carrière une Micaëla modèle avant de prêter à Carmen sa belle voix et ses dons d'interprète lyrique. Le 29 juin 1930, la 2.000e représentation de Carmen eut pour interprètes, sous la direction musicale d'Albert Wolff, MM. Masson et Ricou étant directeurs de l'Opéra-Comique, Mlles Perelli, Germaine Corney, MM. Micheletti et Roger Bourdin dans le quatuor des rôles principaux. On devait apprécier trois ans plus tard, sous les traits de la cigarière, la belle et sensible Conchita Supervia, prématurément disparue depuis. Il aurait fallu citer auparavant deux Carmen maintes fois applaudies, Mmes Madeleine Mathieu et Madeleine Sibille, qui comptent encore parmi les titulaires actuelles du rôle à l'Opéra-Comique, avec Mmes Lucienne Anduran, Jennie Tourel, et avec l'artiste élue qui, clôturant cette longue série des Carmen, aura l'honneur d'attacher son nom ce soir à la représentation du centenaire de Georges Bizet : Mme Renée Gilly. Celle-ci aura pour partenaires M. Georges Thill en Don José, Mme Solange Delmas (Micaëla), M. Martial Singher (Escamillo), M. André Balbon (Zuniga), et Mmes Madeleine Drouot, Mattio, MM. Poujols, Hérent, Rousseau et Derroja. C'est la Teresina qui, pour la circonstance, dansera au 2e acte la Flamenca chez Lillas Pastia. L'orchestre sera sous la direction de M. Eugène Bigot.

(Almaviva)

 

 

 

costumes pour Carmen (Mlle Renée Gilly) et pour Don José (M. Georges Thill) par Dignimont

 

Dignimont peintre de théâtre.

 

Le théâtre a fait une bonne recrue avec Dignimont. On se souvient de la façon dont il a composé les costumes et les décors de la Grisi à l'Opéra. Il avait fait revivre le Paris des crinolines et des équipages, des élégants à favoris, des meubles capitonnés de l'Opéra de la rue Lepeletier.

Ce soir, nous verrons comment il a « habillé » Carmen. Nous sommes allés lui demander comment il avait conçu ces décors et ces costumes dans la maison qu'il habite rue Boutarel, sur les quais.

A le voir dans l'intérieur qu’il s’est créé et qu’il enrichit sans cesse après chacune de ses  visites chez les antiquaires et au marché aux puces, on comprend tout de suite pourquoi sa décoration de la Grisi fut une réussite complète. On comprend aussi quel sentiment l’animait quand il s'est attaqué à Carmen.

Il nous a dit, en effet :

— J’ai essayé, avant tout, de créer l'atmosphère de la création de l'œuvre de Bizet et de la nouvelle de Mérimée. Je n’ai pas cherché à évoquer l'Espagne d'une façon réaliste, naturaliste et j'ai fait tout ce que j'ai pu pour me garder de l'Espagne conventionnelle des cartes postales en couleur et des danseuses de music-hall. Mon guide a été le Voyage en Espagne de Gustave Doré. J’ai essayé de faire revivre l'Espagne telle que l'ont connue Bizet et Mérimée. C'est un très gros travail, il y avait plus de cent costumes, et je n'ai pas eu beaucoup de temps. Enfin, j'ai fait de mon mieux.

Nous n'en doutons pas, mon cher Dig, et nous sommera bien certain que, ce soir, Carmen sera pour les yeux un enchantement.

(A. W.)

 

 

La première de Carmen fut-elle un « four » ?

 

Il y a de cela soixante-trois ans et la querelle dure encore... La première de Carmen fut-elle un four ou un succès ? Les deux thèses ont eu leurs partisans et encore aujourd'hui, à l'occasion du centenaire de Georges Bizet, des articles ont été publiés qui défendent le pour et le contre.

Ceux qui estiment que cette première fut un succès se basent sur le fait que la pièce fut jouée trente-trois fois en trois mois, cinquante fois en un an, « avec des recettes honorables dépassant généralement celles des pièces du répertoire ». Ce qui est plus qu'une honnête moyenne.

La créatrice du rôle de Carmen, Mme Galli-Marié, d'autre part, parlait à tout propos de la « triomphante Carmen ».

Par contre, les comptes rendus de la première apportent un autre son et plus encore les critiques publiées le lendemain.

Henri Rochefort, dans le Figaro, racontait que Carmen fut copieusement sifflée ; la plupart des soiristes, après avoir décrit la salle qui était extrêmement brillante, constatent plutôt que le public resta froid et que le rideau tomba sur une indifférence générale, tandis que, dans les coulisses, les figurantes, habituées aux calmes entrées de la Dame Blanche, étaient indignées qu'on' les ait fait se battre et fumer la cigarette.

La critique ne fut pas bonne. « Carmen, disait l’un, n’est qu’une hideuse drôlesse qui, pour être empruntée au roman de Prosper Mérimée, n'en fait pas moins mauvaise figure sur une scène habituée à plus de respect pour la morale et la pudeur. Que pensez-vous, chastes mères de famille, bon bourgeois qui comptez sur la foi du passé, régaler vos femmes et vos filles d'une petite soirée anodine et décente, que pensez-vous, dis-je, d'une ignoble gueuse offrant d'un regard provocant son amour à quiconque a le don de lui plaire — et Dieu sait si le nombre est grand de ces mortels favorisés ! — Convolant d'un muletier à un dragon, d'un dragon à un toréador... Ce rôle infect de cette Célimène de trottoir est joué par Mme Galli-Marié... »

Paul de Saint-Victor, dans le Moniteur, reprochait à Bizet d'appartenir à la « secte wagnérienne » dont « la doctrine consiste à vaporiser l'idée musicale ».

Oscar Comettant, dans le Siècle, déclarait : « M. Bizet n'a pas encore trouvé sa voie. Il lui faudra désapprendre bien des choses pour devenir un compositeur dramatique ». Et F. Oswald, dans le Gaulois, affirmait : « M. Bizet appartient à l'école du civet sans lièvre ; il remplace par un talent énorme et une révolution complète la sève mélodique... Mme Galli-Marié semble prendre plaisir à accentuer le côté scabreux de son rôle si dangereux. Pour ceux qui aiment la note égrillarde, cette création lui fera honneur, car il est difficile d'aller plus loin sur la route des amours cavalières sans provoquer l'intervention des sergents de ville. »

Seul Reyer, dans le Journal des Débats vit clair lorsqu'il écrivait : « Carmen n'est pas morte, et à l'Opéra-Comique on en a vu bien d'autres qui sont revenus d'aussi loin. »

Georges Bizet mourait trois mois après la première, à l’âge de trente-six ans.

(André Warnod)

 

 

Au programme du festival Georges Bizet, qui sera donné demain soir [26 octobre 1938], à l’Opéra-Comique, figurent notamment la Symphonie en ut, une ouverture inédite et une suite (avec chœurs) sur l’Arlésienne, qui seront dirigés par M. Eugène Bigot ; l’ouverture de Patrie et les Variations Chromatiques, sous la direction de M. G. Cloëz ; Jeux d’Enfants, que dirigera M. Roger Désormière, et quelques mélodies que le maître Reynaldo Hahn accompagnera à Mme Ninon Vallin.

 

(Figaro Théâtre, 25 octobre 1938)

 

 

 

 

 

décor de l'acte II par André Dignimont pour la troisième production de Carmen à l'Opéra-Comique le 25 octobre 1938

 

 

 

Opéra-Comique. Pour le Centenaire de Bizet : Carmen

Les galas Carmen commencent à faire nombre. Nous en avons eu à l'Opéra comme à l'Opéra-Comique. Le plus ancien est resté le plus sensationnel. C'était en 1890, le 11 décembre : une fois encore, Galli-Marié, depuis longtemps retirée, parut dans le rôle qu'elle avait créé, et c'est Jean de Reszké qui fut Don José, Lassalle qui fut Escamillo, Nellie Melba enfin qui incarna la douce Micaëla. Comme pour toutes les œuvres de Bizet, les destinées extraordinaires de Carmen ne se dessinèrent pas tout de suite ; mais c'est encore elle dont le succès fut le plus significatif, — sans doute parce qu'elle fut la plus discutée. Les Pêcheurs de perles, la Jolie fille de Perth, Djamileh, n'avaient fait que passer. Carmen, à partir du 3 mars 1875, obtint 50 représentations d'affilée. Mais il fallut ensuite en attendre huit ans la suite. La reprise eut lieu le 24 avril 1883, et dès lors il n'est plus question d'arrêt : 56, 86, 63... tels sont les chiffres de représentations désormais enregistrés d'année en année. Etablir le tableau des interprètes serait conter toute l'histoire de l'Opéra-Comique depuis soixante ans. On noterait plutôt les ténors, les barytons, les sopranos ou mezzo-sopranos qui n'ont pas tenu à chanter Carmen ! On sait que les créateurs des quatre rôles furent Mmes Galli-Marié et Chapuy, avec Lhérie et Bouhy. A la reprise, ce furent Mmes Isaac et Merguillier, avec Stéphanne et Taskin. Mais Galli-Marié, déjà retirée, consentit à donner, la même année 1883, des représentations qui, pour le coup, m'ont permis de garder son souvenir. Parmi les Carmen qui lui succédèrent, et ne sont plus, comme elle, qu'un souvenir, je n'en vois pas de plus remarquables qu'Emma Calvé (1892), de Nuovina (1897), Marié de l'Isle (1899), et, en ces dernières années, la pauvre Conchita Supervia. Quel José fut plus vrai, plus émouvant que Saléza (1898), ou Salignac (1905) ; quel Escamillo plus magnifique que Taskin (1883), ou Dufranne (1900) ; quelle Micaëla plus délicieuse que Mme Bilbaut-Vauchelet (1883)... Mais tant d'autres devraient être cités. Le « gala » d'hier a groupé plusieurs des artistes les plus qualifiés sur nos deux scènes lyriques, dont une Carmen souvent applaudie déjà, Mme Renée Gilly et un nouveau Don José, M Altéry, qui a été excellent. C'est Mlle Solange Delmas qui fut Micaëla, et M. Singher Escamillo. La grande nouveauté était la mise en scène renouvelée (décors et costumes de M. Dignimont) où il y' a de vraies trouvailles et des aperçus pittoresques (le premier décor de ville, par exemple, et le dernier, le long de la plaza de Toros), tout à fait appréciables. La Teresina s'est fait acclamer aux danses du second acte. C'est M. Eugène Bigot qui dirigea l'orchestre.

(Henri de Curzon, Journal des débats, 27 octobre 1938)

 

 

 

 

 

Carmen, opéra en quatre actes (1), de Bizet, sur un livret d'Henri Meilhac et Ludovic Halévy, est une adaptation dramatique de la célèbre nouvelle que Prosper Mérimée avait publiée en 1845. La première représentation a eu lieu le 3 mars 1875, à l'Opéra-Comique de Paris, avec un succès indécis. Trois mois plus tard, Bizet mourait subitement, à peine âgé de trente-sept ans. Une reprise de l'œuvre, en 1883, en assura le triomphe définitif, qui s'étendit au monde entier et, depuis lors, ne s'est pas affaibli. A la veille de la dernière guerre, Carmen était l'ouvrage le plus souvent représenté sur les scènes allemandes, avant ceux même de Weber, Wagner, Verdi ou Puccini.

 

(1) Malgré ce titre d’ « opéra », Carmen est en réalité un « opéra-comique », suivant la tradition qui, en France, réserve ce nom aux ouvrages où le dialogue parlé alterne avec la musique. Après la mort de Bizet, son condisciple et ami Ernest Guiraud a remplacé ce parlé par les récitatifs pour les théâtres dont la troupe ne compte pas de chanteurs rompus au dialogue.

 

L'œuvre mérite cette faveur par sa verve et son relief mélodiques, la couleur de son harmonie et de ses timbres, son mouvement scénique, la variété de son accent dramatique, en un mot par sa vie prodigieuse. Le drame passionnel ne cesse de s'y encadrer avec une aisance parfaite dans les tableaux de place publique, de cabaret, de contrebande montagnarde, de « corridas » qui font de Carmen, bien avant l'invention de ce terme et la fortune de cette formule, mais sans les concessions que lui a imposées parfois l'asservissement au goût public, le premier en date (et en valeur) des opéras « véristes ». C'est en tout cas, le plus vivant dans son genre qui ait paru sur la scène musicale depuis Don Juan (2). Faut-il rappeler que Nietzsche, d'abord inféodé à Wagner, a vu au contraire dans Carmen l'œuvre chaude, jaillissante, spontanée, dont l'éclat naturel, astre de l'art « méditerranéen », libérait la musique de l'emprise wagnérienne ?

 

(2) Le critique allemand Paul Bekker a pu traiter Carmen de « Don Juan féminin ».

 

***

 

Dans Carmen, l'ouverture n'est rien qu'un fulgurant prélude où se succèdent quelques-uns des motifs essentiels de la partition, celui de la « corrida », puis le chant, devenu populaire, du Toréador. C'est sur la fin seulement qu'intervient le motif tour à tour (selon les formes que lui imposeront divers épisodes de l'opéra) capricieux ou tragique, provocant ou âpre et qui, annonçant plus tard sur un rythme de défi la première apparition de Carmen, assimile l'héroïne du drame à la Fatalité et à la Mort, dont elle-même finit par être la victime, après en avoir été l'instrument.

Le rideau se lève sur une place de Séville, entre une manufacture de tabac et un corps de garde. Des badauds et les hommes du poste, dont le chœur et l'orchestre dessinent à miracle la flânerie (3), attendent la relève de la garde. Une jeune fille paraît, hésite, semblant chercher quelqu'un. Le sergent l'interroge, avec un accent délicieusement rendu de coquetterie galante et un peu face. Celui qu'elle cherche, le brigadier Don José, n'arrivera que tout à l'heure, 'avec la garde montante. La jeune fille s'éloigne. La garde montante débouche en effet, annoncée par des trompettes et des fifres, accompagnée par un chœur de gamins qui trottent au pas en jouant aux soldats. Le son grêle de ces fifres s'harmonise à souhait avec les voix aigrelettes et les silhouettes maigrichonnes de ces Poulbots sévillans. C'est maintenant l'heure d'une autre cérémonie quotidienne, la sortie des cigarières de la manufacture voisine. Rien de mieux venu encore que la nonchalance caressante du chœur, qui semble suivre les lentes spirales de la fumée. Mais tous sont impatients de voir sortir, parmi les cigarières, la plus connue de tous, Carmen, « La Carmencita ». Elle paraît, précédée à l'orchestre par le motif qui la caractérisera toujours et prend ici une allure provocante. Carmen repousse tous les galants qui la pressent... Elle n'écoute en amour que le caprice passager : « L'amour est enfant de Bohème », chante-t-elle, dans les deux couplets d'une habanera lentement déhanchée, seul thème de la partition que Bizet ait emprunté au folklore espagnol. Coquette, Carmen est avec cela indifférente pour tous parce qu'elle vient de distinguer, parmi l'escouade de la garde, le brigadier Don José à qui, avant de rentrer à la manufacture, elle lance en plein front une fleur de grenade, qu'il ramasse...

 

(3) La flânerie, dis-je, à condition que l'on observe le mouvement indiqué par Bizet, au lieu de le précipiter étourdiment comme font aujourd'hui presque tous les chefs d'orchestre, en particulier ceux de la Radio... Une première édition de Carmen, dont les exemplaires sont rares, contient ici des scènes que Bizet a plus tard sacrifiées avec raison.

 

Cigarières et badauds s'étant éloignés, la jeune fille qui tout à l'heure cherchait Don José, Micaëla, vient le trouver, lui apportant les messages et un baiser de sa mère. Dans un duo d'une candeur affectueuse, José se croit sauvé du maléfice dont il se sentait menacé par les agaceries de Carmen.

Mais un tapage soudain éclate dans la manufacture : au cours d'une dispute, une cigarière a blessé une de ses camarades. En un chœur étourdissant (dont le rythme rappelle un peu d'abord le premier finale de Guillaume Tell) les ouvrières se partagent en deux clans babillards et criards. Dépêché par le sergent Zuniga pour rétablir l'ordre, José ramène la coupable, Carmen, plus narquoise et insolente que jamais.

Elle ira en prison et Zuniga la remet, les mains liées derrière le dos, à la garde de José. Restée seule avec lui, Carmen, jouant l'insouciance et fredonnant d'un air d'indifférence une capiteuse séguedille, a vite fait d'enjôler son gardien, qui résiste à peine : qu'il la laisse échapper, qu'il la rejoigne ensuite dans la taverne d'un certain Lillas Pastia et elle l'aimera.

José se laisse faire. Il dénoue la cordelette aux poignets de Carmen qui, lorsqu'on la mène en prison, bouscule son gardien trop complaisant et s'échappe, pantomime admirablement dessinée par l'orchestre, en particulier avec un rappel du chœur de la dispute.

Au deuxième acte, l'action continue de se dérouler au milieu des scènes les plus pittoresques.

Le prélude est construit sur une chanson militaire, la chanson du dragon d'Alcala, variée avec le même art que la Marche des Rois dans l'Arlésienne et qui, bientôt, annoncera l'arrivée de José. Le rideau se lève sur l'auberge de Lillas Pastia, repaire de contrebandiers où se trouve pourtant le sergent Zuniga, Carmen, avec deux de ses compagnes, Frasquita (4) et Mercédès, souligne de son chant une danse de bohémiennes, un entraînant refrain tzigane, ponctué de castagnettes et qui tourne au vertige. Tout au cours de l'ouvrage, presque tous les chants de Carmen sont associés ou apparentés à une danse, pour rendre visible ou tangible, par la musique même non moins que par le jeu, cette séduction du corps qui est avant tout la sienne.

 

(4) Le rôle de Carmen est écrit pour un mezzo-soprano, dont le timbre chaud, mais parfois un peu étouffé, « sombré », farouche, convient aux ombres de son caractère. Cette tessiture grave ou moyenne donne à l'accent musical de l'héroïne, dans le quintette du deuxième acte et dans l'ensemble des contrebandiers, au troisième (comme à celui de Maddalena dans le quatuor de Rigoletto) le relief le plus frappant d'indépendance gouailleuse, fringante et provocante et, dans le trio des cartes, de tragique fatalité. Les rôles de Frasquita et de Mercédès sont des sopranos. En France, on les abandonne volontiers à des « utilités » aigrelettes et nasillardes. En Allemagne, celui de Frasquita, qui domine les ensembles vocaux, est toujours confié, pour assurer à ces ensembles tout leur éclat, à la première chanteuse lyrique du théâtre, celle qui, la veille ou le lendemain, chante Agathe, Senta, Elisabeth, Sieglinde, Marguerite...

 

Un toréador, l'avantageux Escamillo, fait son entrée dans la taverne. Acclamé, il répond avec fatuité dans un air célèbre, souvent taxé à la légère de vulgarité et qui, avec plus de « distinction », aurait moins de caractère et de vérité. Escamillo fait à Carmen une déclaration que celle-ci élude ou ajourne : Zuniga ne vient-il pas de lui apprendre que José, jeté en prison pour l'avoir laissée échapper, est aujourd'hui libéré et va la rejoindre ?

A ce moment, deux contrebandiers, le Remendado et le Dancaïre, demandent à Carmen, à Frasquita et à Mercédès de les seconder pour une expédition dans la montagne. La scène prend la forme d'un quintette furtif, prodigieux de verve, d'esprit, de finesse... et d'art symphonique, une des pages les plus étincelantes de Carmen et de tout le théâtre musical. Carmen refuse de prendre part à l'affaire : elle est amoureuse et attend celui qu'elle aime. Les contrebandiers s'esclaffent : amoureuse ? Qu'à cela ne tienne. Elle n'a qu'à enrôler son amoureux pour l'aventure. Soit, elle essayera.

José, annoncé dès la coulisse par sa chanson du « dragon d'Alcala », vient en effet rejoindre Carmen. Pour l'ensorceler, elle danse devant lui. A ce moment sonnent au loin les trompettes de la retraite. José veut rentrer à la caserne. Carmen le raille, le nargue, le retient : qu'il déserte pour la suivre dans les montagnes et y mener avec elle la libre vie errante (dessinée d'un trait génial, à l'arrière-plan, par un rythme de bondissante chevauchée). Après cet admirable duo où s'affrontent les hésitations de José et les cajoleries de Carmen, José, surpris par Zuniga, n'a plus en effet qu'à suivre dans la montagne la bohémienne et les contrebandiers. Après une scène charmante où ceux-ci séquestrent Zuniga pour n'être pas dénoncés par lui, un court finale reprend la « chevauchée » du duo précédent.

La page symphonique qui précède le troisième acte est d'un calme où la flûte prend une limpidité lunaire, d'une poésie ravissante ; destiné d'abord à l'Arlésienne, cet intermezzo chante aussi bien la sérénité d'une nuit dans la « sierra » que nous montrera le lever du rideau. Les contrebandiers campent dans un défilé rocheux. Orchestre, sextuor vocal et chœur, une musique incroyable à la fois d'exactitude et de mystère, grâce à quelques-unes de ces touches harmoniques où se révèle en trois notes le génie de Bizet, semble évoquer une ascension précautionneuse dans des sentiers abrupts.

Les deux compagnes de Carmen, Frasquita et Mercédès, se tirent les cartes qui, sur une musique légère, leur promettent amour et fortune. Carmen se joint à elles pour interroger le sort à son tour. Mais le motif de la fatalité, qui la personnifie, chante ici un présage de malheur : les tarots s'obstinent à lui prédire en effet la mort, encore la mort, toujours la mort, d'abord pour « elle », ensuite pour « lui »...

Le moment est venu de se mettre en route, pour passer les ballots à la barbe des douaniers, dont les jeunes femmes s'engagent à détourner l'attention. La troupe d'ébranle, dans un ensemble d'une bonne humeur et d'un entrain merveilleux de crânerie gouailleuse.

La scène reste vide. Micaëla paraît, bravant l'effroi pour porter encore une fois à José un message de sa mère. L'air qu’elle chante alors, emprunté par Bizet à une autre œuvre par lui abandonnée, est la seule page banale de la partition. Elle reste étrangère à la veine si puissante, si riche, si colorée d'où émane le reste... Mais un coup de feu retentit et Micaëla s'éloigne en courant.

C'est Escamillo qui se risquait à rejoindre Carmen et que José, sentinelle des contrebandiers, a mis en joue. Dans un duo où les deux hommes font assaut de crânerie (5), ils se reconnaissent pour rivaux et tirent leurs poignards. Celui du toréador se brise ; José va le frapper, mais Carmen surgit et dégage Escamillo.

 

(5) Dans le manuscrit de Bizet et dans la partition originale, ce duo est plus développé que dans la partition définitive.

 

Micaëla, revenant à son tour, annonce à José que sa mère va mourir. Il la suit, non sans avoir maudit et brutalisé Carmen, dans une scène brève, violente, pathétique. Ainsi s'achève le troisième acte.

L'entr'acte suivant est une sorte de séguedille, d'une couleur sombre et d'un accent de désolation qui, une fois encore, haussent le drame bien au-dessus de l'anecdote et lui donnent un caractère d'humanité nationale, très supérieur aussi à celui de la simple « couleur locale ». Le rideau se relève sur une place de Séville, devant l'entrée des arènes avant une course de taureaux où doit briller Escamillo. Des marchands ambulants offrent leurs bibelots et leurs friandises à la foule qui se presse avec animation. Quelques théâtres croient devoir insérer ici un ballet dont ils empruntent la musique à d'autres œuvres de Bizet (notamment à une page charmante de la Jolie fille de Perth). C'est une erreur, ce divertissement postiche (qui fait d'ailleurs double emploi avec la danse bohémienne du deuxième acte) retardant un drame musical si haletant.

Le thème bondissant qui éclatait au début du premier prélude annonce l'arrivée des toreros : la chanson d'Escamillo, entonnée par le chœur, salue son entrée. Lui-même paraît au bras de Carmen, qu'il aime, dont il est aimé aujourd'hui et avec laquelle il échange des phrases de tendresse heureuse. Frasquita et Mercédès mettent Carmen en garde : Don José rôde et guette dans la foule. Carmen repousse leurs conseils de prudence et, sur la place vide maintenant, elle attend Don José. Bizet, pour terminer l'œuvre, a réussi ce tour de force d'un second duo qui ne répète pas celui du deuxième acte. José, d'abord humble et désolé, supplie Carmen de reprendre leur vie commune. Elle refuse et le défie. Peu à peu, avec une gradation dont la parole seule n'aurait pas su marquer le progrès, le désespoir de José tourne à la colère et, tandis que, dans la coulisse, des acclamations saluent le triomphe d'Escamillo, que Carmen veut rejoindre, José la poignarde et, dans un dernier cri d'amour pour celle qu'il vient de tuer, se livre aux gens accourus, alors que retentit à l'orchestre, sous la forme large et dramatique qu'il avait dès le prélude du premier acte, le thème fatal de Carmen...

 

(Jean Chantavoine, Petit guide de l’auditeur de musique, Cent opéras célèbres, 1948)

 

 

 

 

 

 

 

Denise Scharley interprète Carmen pour la 2.700e représentation à l'Opéra-Comique

 

 

On a peine à concevoir aujourd'hui que la Carmen de Bizet, acclamée par les fervents de l'art lyrique sur toutes les scènes du monde, ait reçu à ses débuts un accueil réservé. De notables critiques de l'époque ne cachèrent pas leur hostilité lors de la création, qui eut lieu à l'Opéra-Comique le 3 mars 1875. Le rôle-titre était tenu par Galli-Marié.

Représentée constamment devant des auditoires toujours nombreux et enthousiastes, Carmen vient d'être jouée pour la 2.700e fois salle Favart. C'est Mlle Denise Scharley, que l'on a applaudie au cours de cette soirée dans l'opéra de Georges Bizet, chef-d’œuvre d'un compositeur disparu à trente-sept ans.

(revue l'Opéra de Paris n° 7, 2e trimestre 1953)

 

 

 

 

 

 

 

décor d'André Boll (Paris, 25 avril 1896 - Paris 7e, 01 mai 1983) pour le 1er acte de Carmen

 

 

Carmen et ses décorateurs.

 

Le privilège des chefs-d'œuvre de théâtre est qu'ils s'accommodent de n'importe quelle présentation décorative. Ils demeurent immuables dans leur souveraine beauté et supportent allègrement la manière dont la fantaisie d'un peintre se complaît à les travestir. Ils subissent, au cours des années, les courants esthétiques qui se succèdent, les innovations de la mode, les révolutions scéniques tous et toutes vieillissent, seul le chef-d’œuvre conserve son éternelle jeunesse.

Tel est le cas de la Carmen de Bizet.

Toutefois nous ne pensons pas, si un chef-d’œuvre s'accommode de n'importe quelle présentation visuelle, qu'il convienne, pour autant, de l'accommoder à n'importe quel style décoratif, en style cinéma comme les Allemands l'ont fait, en 1943, justement pour Carmen.

Un choix heureux peut être opéré. De même que l'écrin met en valeur le bijou, le cadre le tableau, de même une partition de théâtre peut s'épanouir plus ou moins heureusement selon le climat pictural dans laquelle elle est écoutée.

En réalité, il s'agit de mariage — mariage de raison s'il ne peut pas être d'amour — entre deux artistes, entre le musicien et le peintre, étant entendu que c'est le musicien qui est le maître d'œuvre et que le peintre doit modestement s'effacer devant lui.

Effectivement, en art lyrique plus qu'en art dramatique, il s'agit avant toute chose de rechercher une concordance heureuse entre sons et couleurs, entre rythmes musicaux et mouvements, attitudes scéniques, entre le climat musical et le climat visuel, c'est en quelque sorte trouver une table de résonnances plastiques et mouvantes aux sonorités vocales, aux rythmes orchestraux, un synchronisme émotif « images-sons ».

De telles préoccupations n'existaient guère en 1875, au temps de la naissance de Carmen à la scène. Les décors des théâtres d'Etat étaient l'œuvre d'artisans habiles, connaissant fort bien les ressources techniques d'un plateau, mais trop peu artistes — ils n'étaient pas les seuls ! — pour déceler et ressentir les beautés révolutionnaires de l'ouvrage de Bizet. D'ailleurs, leur faisait-on entendre la partition au piano avant qu'ils ne prennent leurs pinceaux et ne commencent à découper les bouts de carton de la maquette ? Je ne le crois pas. Toujours est-il que ce sont des spécialistes du genre, aux noms de Jambon, Bailly et Daran qui eurent l'insigne honneur de décorer Carmen pour la première fois. On avait demandé à Edouard Detaille, peintre officiel de batailles, de dessiner et de colorier les costumes des dragons d'Almanza et à Clairin, autre peintre officiel, d'habiller Carmen.

Ces décors furent refaits sous la direction Albert Carré : ils remplaçaient les anciens par des neufs sans guère en changer l'esprit.

Puis, après l'expérience du « théâtre libre » d'André Antoine, eut lieu, au commencement de ce siècle, la révolution esthétique du décor (Fuchs, Craig, Appia, Reinhardt), suivie de ce qu'on a appelé, à la suite des « Ballets russes » de Diaghilev, « l'aventure des peintres au théâtre ». Comme le faisait alors remarquer judicieusement Jacques Rouché : « Un décor peut aussi bien être réaliste que fantaisiste, symboliste que synthétique. » C'est donc le caractère de l’œuvre qui dicte le caractère du décor. Ainsi la Tosca demande un décor réaliste, tandis qu'Obéron réclame un cadre féerique, Pelléas et Mélisande des images poétiques.

Et Carmen ? Carmen, ai-je écrit lorsqu'il m'advint de présenter avec Pierre Monteux, avant la guerre, ce chef-d’œuvre à Amsterdam, est un drame passionnel réaliste mais d'un réalisme magnifié par la musique, et accessoirement espagnol. L'Espagne de Carmen est une Espagne déformée ; celle qu'exaltait le romantisme français de 1860. Même musicalement — à côté des rythmes barbares et exacerbés d'un Albéniz, d'un Granados, d'un de Falla — le folklorisme de Bizet est édulcoré. « J'adore la France et les Français, se plaisait à dire le grand écrivain espagnol Blasco Ibanez, mais je ne leur pardonnerai jamais de considérer Carmen comme une évocation même lointaine de mon pays natal. » Il faut délibérément, ajoutai-je, dans les décors de Carmen, négliger toute vérité historique, renoncer à tout vain pittoresque. Au contraire, il faut s'évertuer à conserver l'aspect touchant et naïf d'une Espagne de convention sans pour cela se priver des éléments plastiques d'un spectacle qui réclame d'être brillant.

Aujourd'hui, à l'Opéra-Comique, Carmen se joue dans des décors harmonieux, pittoresques sans excès, « francisés » à souhait dus au peintre Dignimont. Ils ont en eux une vertu suprême : ils permettent d'écouter, sans sollicitation visuelle indiscrète, l'admirable partition de Bizet.

 

(André Boll, revue l’Opéra de Paris n° 10, 4e trimestre 1954)

 

 

 

Denise Scharley dans Carmen (Carmen) à l'Opéra-Comique

 

 

 

René Verdière (Don José, assis au 1er plan) et Denise Scharley (Carmen) au 1er acte de Carmen dans les décors d'André Dignimont à l'Opéra-Comique

 

 

 

l'Acte IV de Carmen à l'Opéra-Comique

 

 

 

=> Livret et enregistrements

 

 

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