le Docteur Miracle

 

 

 

Titre de deux opérettes en un acte, sur le même livret de Léon BATTU et Ludovic HALÉVY, l'une sur une musique de Georges BIZET (composée de septembre à décembre 1856).

Une opérette fut composée sur le même livret par Charles Lecocq.

 

 

Création aux Bouffes-Parisiens les 08 (celle de Bizet) et 09 avril 1857 (celle de Lecocq), sous la direction de Jacques Offenbach.

 

Fondateur et directeur des Bouffes-Parisiens, Offenbach avait organisé un concours à l’intention des jeunes compositeurs français, sur ce livret imposé du Docteur Miracle. Deux candidats sur environ soixante-dix, Bizet et Lecocq, remportèrent le premier prix ex aequo. Leurs ouvrages furent créés à vingt-quatre heure d’intervalle et joués, avec les mêmes interprètes, un jour sur deux pendant un mois, soit 15 représentations chacun.

 

 

 

 

personnages créateurs
Véronique, femme du Podestat Mmes Marguerite MACÉ [MACÉ-MONTROUGE]
Laurette, fille du Podestat Marie DALMONT
le Podestat MM. PRADEAU
le Capitaine Silvio [Pasquin] GERPRÉ

 

La scène se passe en Italie, au temps jadis.

 

 

Catalogue des morceaux

 

  Ouverture    
01 Trio La drôle de musique Laurette, Véronique, le Podestat
01bis Fanfare    
02 Romance Ne me grondez pas pour cela Laurette
03 Couplets Je sais monter les escaliers Pasquin
04 Quatuor Voici l'omelette ! Laurette, Véronique, Pasquin, le Podestat
05 Duo et Trio En votre aimable compagnie Laurette, Pasquin, le Podestat
05bis Entrée du Docteur Miracle    
06 Quatuor final Mon enfant, si tu m'aimes bien Laurette, Véronique, Pasquin, le Podestat

 

Orchestre : 2 flûtes (1 petite flûte), hautbois, 2 clarinettes, basson, 2 cors, 2 cornets à pistons, trombone, timbales, triangle, cordes ; dans les coulisses : clarinette, trombone, grosse caisse et cymbales.

 

 

 

LIVRET

 

 

Enregistrement accompagnant le livret

 

- Version intégrale 1973 : Liliane Berton (Laurette) ; Lina Dachary (Véronique) ; Jean-Christophe Benoît (le Podestat) ; Rémy Corazza (Silvio [Pasquin]) ; Orchestre Lyrique de l'ORTF dir Antonio de Almeida ; enr. en 1973.

 

 

(édition de 1857 ; en rouge, les parties chantées)

 

 

ACTE UNIQUE

 

 

Le théâtre représente une salle chez le podestat.

 

Ouverture

 

 

 

Ouverture

intégrale 1973

distribution

 

 

 

01 - Trio

intégrale 1973

distribution

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

LAURETTE, LE PODESTAT, VÉRONIQUE.

(Au lever du rideau, la scène est vide. On entend au dehors une symphonie criarde.)

 

Terzetto

LAURETTE, entrant par la droite.

La drôle de musique !

Qui donc vient si matin

Sur la place publique

Sonner un tel tocsin ?

 

LE PODESTAT et VÉRONIQUE, entrant par la gauche.

Le jour vient de paraître

Depuis quelques instants,

Déjà sous la fenêtre

Rôdent quelques galants.

 

LAURETTE, LE PODESTAT, VÉRONIQUE.

Quels accords perçants !

C'est un guet-apens

D'éveiller les gens

Par de tels accents !

 

LAURETTE.

Approchons, et par la fenêtre

Voyons ce que cela peut être.

 

LE PODESTAT, l'arrêtant.

Déjà sur pieds !... je vous y prends !

 

VÉRONIQUE.

Où courez-vous, quand tout sommeille ?

 

LE PODESTAT.

Ah ! vous venez prêter l'oreille

Aux tendres accents des galants !

 

LAURETTE, riant.

Ça ! de tendres accents !

Ce tintamarre unique !

C'est un bruit diabolique

A briser le tympan !

C'est la musique de Satan !

 

LE PODESTAT.

C'est la musique d'un amant !

 

LAURETTE.

Mais non, mon père !

 

VÉRONIQUE.

Alors, ma chère,

En ces lieux, que veniez-vous faire ?

 

LAURETTE.

Je voulais voir d'où vient ce bruit.

 

LE PODESTAT.

Cela se devine sans peine :

Qui viendrait roucouler la nuit

Sous vos fenêtres, sinon lui...

 

LAURETTE.

Qui, lui ?

 

LE PODESTAT.

            Parbleu ! le capitaine !

 

LAURETTE.

Ce n'est pas lui !

 

VÉRONIQUE.

            Qu'en savez-vous ?

 

LAURETTE.

Ses chants, à lui, sont bien plus doux.

(La musique reprend au dehors.)

 

LE PODESTAT.

Il recommence !... attends ! attends !

Je vais un peu calmer tes sens !

(Il prend une carafe et va pour la verser par la fenêtre ; s'arrêtant.)

Tiens ! tiens ! ce n'est pas un galant !

Ma fille avait raison vraiment.

 

LAURETTE et VÉRONIQUE.

Qu'est-ce donc ?

 

LE PODESTAT.

            C'est un charlatan !

 

[ VÉRONIQUE, LAURETTE.

[ Pour lui, quelle surprise !

[ Je ris de sa méprise :

[ Prendre pour un amant

[ Un simple charlatan !

[

[ LE PODESTAT.

[ Pour moi, quelle surprise !

[ Je ris de ma méprise :

[ Prendre pour un amant

[ Un simple charlatan !

 

LAURETTE.

Ainsi vous me grondiez, mon père,

Et je ne le méritais pas !...

 

LE PODESTAT.

Eh !... c'est une avance, ma chère,

Pour quand tu le mériteras.

 

VÉRONIQUE, qui regarde par la fenêtre.

Ce charlatan vient pour la fête

Et s'est installé cette nuit,

Car déjà sa baraque est prête ;

Mais dessus qu'a-t-il donc écrit ?

Je ne puis voir... Lisez, Laurette.

 

LAURETTE.

Volontiers !... Voici ce qu'on lit :

Le docteur Miracle

Guérit tous les maux

Anciens et nouveaux !

Pour lui point d'obstacle,

Tant cède à l'instant

Au remède unique

Que lui seul fabrique

Et que lui seul vend !

Allez la musique.

 

[ VÉRONIQUE, LAURETTE.

[ Pour lui, quelle surprise !

[ Je ris de sa méprise :

[ Prendre pour un amant

[ Un simple charlatan !

[

[ LE PODESTAT.

[ Pour moi, quelle surprise !

[ Je ris de ma méprise :

[ Prendre pour un amant

[ Un simple charlatan !

 

LE PODESTAT.

Eh bien, oui, je me trompais !... Ce n'était pas un soupirant... mais ce charivari n'en est pas moins fort désagréable, et je vais le chasser, ce charlatan, ce docteur Miracle. (S'arrêtant.) Ah ! si pendant mon absence, il se présentait un nouveau domestique, qu'il m'attende...

 

LAURETTE.

Un nouveau domestique ?...

 

LE PODESTAT.

Oui, mademoiselle, pour remplacer ce coquin qui vous remettait des lettres du capitaine Silvio... (Ici la musique du charlatan reprend avec plus de violence.) Ah ! le misérable !... ah ! le gueux !... Il n'a pas fini !... Attends !... attends un peu !... (Il sort en courant.)

 

 

SCÈNE II

VÉRONIQUE, LAURETTE.

 

VÉRONIQUE.

Maintenant que ton père n'est plus là, Laurette, je puis te le dire : en vérité, je ne comprends rien à ton amour pour des militaires !...

 

LAURETTE, la reprenant.

Pour un militaire !... Il n'y a pourtant rien de plus simple... Les officiers sont les plus aimables des hommes, et le capitaine Silvio est le plus aimable des officiers !...

 

VÉRONIQUE.

Fi, Laurette !... souhaiter pour mari un homme qui vous épouse le lundi et le mardi est envoyé on ne sait où, avant qu'on ait eu le temps de se marier !... Un homme qu'on est exposé à voir revenir semblable au colosse de Rhodes : une jambe à Venise et l'autre à Naples !... ça n'a pas l'ombre du sens commun... Experto crede Roberto, feu mon premier mari, tu le sais, était un militaire...

 

 

 

02 - Romance

intégrale 1973

distribution

 

 

LAURETTE.

Romance

Ne me grondez pas pour cela,

Est-ce ma faute si je l'aime ?

L'amour vient, puis l'amour s'en va,

Sait-on jamais comment soi-même ?

 

Ce que je sais c'est qu'il me plaît :

Je me trouble dès qu'il paraît,

Il part et mon cœur se désole ;

Mais, s'il revient, je me console.

Ce n'est qu'aux paroles qu'il dit

Que je puis trouver de l'esprit,

Ce n'est qu'aux regards qu'il me jette

Que je m'émeus et m'inquiète.

 

Ne me grondez pas pour cela,

Est-ce ma faute si je l'aime ?

L'amour vient, puis l'amour s'en va,

Sait-on jamais comment soi-même ?

 

Et puis, d'ailleurs, vous ne devriez pas prendre parti contre le capitaine Silvio, car je lui ai entendu dire mille fois que vous étiez la plus belle femme du monde...

 

VÉRONIQUE, charmée.

Et qui te dit qu'il ne soit pas charmant, plein de jugement et de discernement ?... C'est ton père qui s'oppose à ce mariage, et non pas moi.

 

LAURETTE.

Ma cousine Filomèle a pourtant bien épousé un officier, et elle n'en est pas plus malheureuse...

 

VÉRONIQUE.

Bon, mais quelle différence !... un officier de la milice bourgeoise !...

 

LAURETTE.

Pas du tout... un officier de dragons !...

 

VÉRONIQUE.

Non, ma fille... il était major dans la milice...

 

LAURETTE.

Vous vous trompez !

 

VÉRONIQUE.

Point !

 

LAURETTE.

Si fait !

 

VÉRONIQUE.

Je dois le savoir, moi, sa tante !

 

LAURETTE.

Et moi, sa cousine !

 

 

SCÈNE III

LES MÊMES, LE PODESTAT.


LE PODESTAT, rentrant.

Il va partir !... Ah ! Véronique, ma mie, apprêtez-vous, je vous prie, à...

 

LAURETTE.

D'ailleurs, c'est Filomèle qui me l'a dit.

 

LE PODESTAT.

Véronique, ma mie, apprêtez...

 

VÉRONIQUE.

Non, non, non... elle n'a pas pu te dire ça...

 

LAURETTE.

Comment, étant dans la milice, aurait-il reçu l'ordre de partir pour Florence ?

 

VÉRONIQUE.

Tais-toi, petite... (Au Podestat.) Vous disiez, cher ami ?...

 

LE PODESTAT, respirant.

Je vous priais, Véronique, de vous apprêter à...


VÉRONIQUE, éclatant.

A lui, l'ordre de partir pour Florence !... Il a voyagé pour sa santé, tout simplement...

 

LE PODESTAT.

Mais, Véronique !...

 

VÉRONIQUE.

Oui, mon ami !... (A Laurette.) Retenez votre langue, mademoiselle !...

 

LE PODESTAT.

Je vous priais donc de vous préparer à recevoir...

 

LAURETTE.

D'abord, je suis sûre que son uniforme...

 

LE PODESTAT.

Au diable son uniforme !... Voulez-vous m'écouter ?...


VÉRONIQUE, à Laurette.

Comment oses-tu interrompre ton père ?

 

LAURETTE.

J'écoute, mon père.

 

LE PODESTAT.

A la bonne heure, préparez-vous donc...

 

LAURETTE.

Était bleu avec parements rouges...

 

LE PODESTAT, sévèrement.

Laurette !... (Reprenant.) A recevoir le domest...

 

VÉRONIQUE.

Bleu avec parements jaunes !...

 

LE PODESTAT, avec force.

Véronique !... (Reprenant.) Le domestique que le doct...

 

VÉRONIQUE.

D'ailleurs, mademoiselle, il vous convient fort mal de prétendre au dernier mot avec votre belle-mère !... Apprenez donc...

 

LE PODESTAT.

Allez à tous les diables, et sortez sur-le-champ l'une et l'autre !

 

VÉRONIQUE, à Laurette.

Vous entendez, mademoiselle...

 

LE PODESTAT.

Sortez aussi, ma mie ; vous ne valez pas mieux qu'elle !


LAURETTE.

Moi, je soutiens qu'ils sont rouges !...

 

LE PODESTAT, enfermant Laurette dans un cabinet à droite.

Encore !...

 

VÉRONIQUE.

Et moi, qu'ils sont jaunes !

 

LE PODESTAT.

Ah ! femelles maudites !... moulins à paroles !... (Il enferme Véronique dans un cabinet à gauche.) Elles sont carillonner le reste du jour !... La peste soit des deux bavardes !... Ah ! je pourrai dire enfin ma phrase... (Gravement.) Je vous prie, Véronique, de vous apprêter à recevoir le domestique que le docteur Julep nous a recommandé... Et le pauvre diable qui attend là... dans l'antichambre. (Allant à la porte.) Allons, viens, mon garçon, ne crains rien, il n'y a plus de femmes ici !... toutes sous clef et à double tour !

 

 

SCÈNE IV

LE PODESTAT, PASQUIN, un bandeau sur l'œil.
 

PASQUIN, entrant.

Me v'là, excellence !...

 

LE PODESTAT, le regardant.

Beau garçon, vraiment !... un peu pataud... l'air très bête... mais beau garçon !... Allons, avance donc plus près .. là... ici !

 

PASQUIN.

Ah ! j' veux bien ! J' sais marcher sans avoir appris...

 

LE PODESTAT, le faisant pirouetter.

Comme c'est établi !... comme c'est construit !... quels pieds !... quelles mains !...

 

PASQUIN.

Ah ! faut pas me faire virer comme ça, parce que je tomberais, da !

 

LE PODESTAT.

Il tomberait, da !... La rusticité de son langage m'enchante !... Mais que diable as-tu donc sur l'œil ?

 

PASQUIN.

C'est un horion que j'ai attrapé en donnant une danse à un dragon ! Je lui ai enfoncé treize côtes et brisé treize dents !

 

LE PODESTAT.

Et pourquoi ce tournoi ?

 

PASQUIN.

Pour rien... Je ne peux pas voir un militaire en face sans entrer en fureur... je deviens bleu, et je cogne !

 

LE PODESTAT, à part.

Bravo !... Je lui présenterai le capitaine Silvio ! (Haut.) Et comment te nommes-tu ?...

 

PASQUIN.

Je m'appelle Pasquin donc !

 

LE PODESTAT.

Et tu es fort ?

 

PASQUIN.

Oh que oui !... quand je donne un coup de poing, on le sent, da !... (Il applique un coup de poing sur l'épaule du Podestat.)

 

LE PODESTAT, criant.

Aïe ! aïe !... Ah ! diable, oui, tu es fort ! Je te trouve très fort !... je te trouve même un peu trop fort !

 

PASQUIN, avec une naïve fierté.

Je tue un bœuf du premier coup ! mais... (remuant son gourdin) quand je donne un coup de bâton !...

 

LE PODESTAT, lui arrêtant le bras.

C'est bien, mon ami, c'est bien ! Je le crois ! mais ne joins pas le geste à la parole... Laisse là ton gourdin !... il est assez joli, du reste, et à l'occasion il pourra servir sur des épaules que je te recommanderai... Or ça, maintenant, que sais-tu faire ?...

 

PASQUIN.

Ah ! bien des choses, allez !...

 

 

 

03 - Couplets

intégrale 1973

distribution

 

 

Couplets

I

Je sais monter les escaliers

Et je sais aussi les descendre ;

Je cire très bien les souliers ;

C' qu'on n' me donn' pas, je sais le prendre ;

Je fais avec beaucoup d' talent

Cuir' les pomme de terr' sous la cendre ;

Quant aux bûches, j'en fais serment,

Nul ne sait mieux que moi les fendre.

 

Mais, pour vous rassurer,

Je dois vous l' déclarer :

J' suis encor plus honnête

Que je n' suis bête.

 

II

Si j' n'étais pas très entêté,

J'aurais un charmant caractère ;

Mais quand on m' dit : Va d' ce coté,

J' pars tout d' suit' du côté contraire.

Ah ! nous n' sommes pas encore au bout

De tous les talents dont j' dispose

Car non seul'ment je sais fair' tout,

Mais j' sais encor' fair' bien autr' chose !

 

Ah ! pour vous rassurer,

Je dois vous l' déclarer :

J' suis encor plus honnête

Que je n' suis bête.

 

LE PODESTAT.

Allons, tu as des connaissances très variées... trop variées même... mais ton dernier argument me décide... Je te prends pour la bêtise... je veux dire pour ton honnêteté !... Ah ! quelques questions encore... Tu ne te laisseras jamais corrompre par des dons suborneurs ?...

 

PASQUIN.

Des dons suborneurs ! Qué que c'est que cette bête-là ?

 

LE PODESTAT, à part.

Touchante stupidité !... (Haut.) Je veux dire : tu ne trahiras jamais ton devoir pour de l'argent ?

 

PASQUIN, indigné.

Moi !... moi !...

 

LE PODESTAT.

Eh bien, oui, toi !...

 

PASQUIN, ému.

Mais que si vous avez sur moi des idées pareilles, il vaut mieux ne pas me prendre, d'abord...

 

LE PODESTAT.

Bon ! je te crois.

 

PASQUIN, pleurant.

C'est la première fois qu'on me dit des choses comme ça... et c'est tout de même un vilain compliment... et que je suis un honnête homme, moi, voyez-vous...

 

LE PODESTAT.

Console-toi, mon ami, je le crois.

 

PASQUIN, s'échauffant.

Et que si quelqu'un doutait de ma probité, j'aurais bientôt fait de lui casser quelque chose !... (Marchant sur le Podestat.) Ah mais ! voyez-vous...

 

LE PODESTAT.

Calme-toi, Pasquin... je ne voulais pas t'offenser.

 

PASQUIN.

A la bonne heure ! Faites-moi des excuses, alors.

 

LE PODESTAT, humblement.

Je te fais des excuses, mon ami, daigne les agréer... (A part.) Il est trop honnête, ce garçon-là ; c'est gênant... (Haut.) Écoute maintenant mes instructions sur le point le plus important : si tu vois rôder autour de la maison un certain capitaine...

 

PASQUIN, l'interrompant.

Un soldat ! il n'a qu'à bien se tenir !

 

LE PODESTAT.

S'il cherche à entrer, que feras-tu ?...

 

PASQUIN.

Je prendrai mon bâton et je taperai dessus !

 

LE PODESTAT.

Outre cela, si, par hasard, trompant ta vigilance, le capitaine approchait de ma fille...

 

PASQUIN.

Je serais là.

 

LE PODESTAT.

S'il lui parle...

 

PASQUIN.

Je saurai tout ce qu'il lui dira, comme si je le lui disais moi-même ! Tant que je serai dans la maison, il ne rôdera pas alentour ; il ne bougera pas que je ne bouge, et si jamais vous apercevez son ombre, vous pouvez être certain que je suis là tout près.

 

LE PODESTAT.

Bravo ! tu m'as compris ! ton intelligence se développe. Mais il faut maintenant que je te présente à ma femme et à ma fille.

 

 

SCÈNE V

LES MÊMES, VÉRONIQUE, LAURETTE.

 

LE PODESTAT, ouvrant la porte à Véronique.

Venez ici, Véronique, que je vous présente notre nouveau domestique.

 

VÉRONIQUE, sortant.

M'enfermer ! moi ! c'est une indignité !... Mais ça ne se passera pas ainsi !... je connais la loi, monsieur !... feu mon second mari était un procureur !...

 

LE PODESTAT, ouvrant à Laurette.

Venez aussi, Laurette !

 

LAURETTE, sortant précipitamment.

Et la preuve qu'ils sont rouges, c'est que j'ai vu chez Filomèle un portrait de son mari en uniforme... et que...

 

VÉRONIQUE.

Du tout !... moi, je soutiens...

 

LE PODESTAT.

Ah ! commencez par vous taire l'une et l'autre, ou je vais vous frotter les oreilles ! Silence à droite ! silence à gauche ! silence partout !... Avance ici Pasquin !... Voici ma femme et ma fille !

 

PASQUIN, saluant gauchement.

Salut, messieurs et dames, et toute la compagnie ! (A Véronique.) Salut, mamzelle.

 

LE PODESTAT,

Non, tu te trompes, mon garçon. (Montrant Laurette.) C'est celle-ci qui est ma fille...

 

PASQUIN, étonné.

Ah !... l'autre est mieux !

 

LAURETTE, à part.

Le butor !

 

VÉRONIQUE, à part.

Il a du goût !

 

LE PODESTAT.

Et maintenant, Pasquin, il s'agit de montrer tes petits talents : l'heure du déjeuner vient de sonner à l'horloge de mon appétit... Laurette, apprends-lui à mettre le couvert.

 

LAURETTE.

Oui, mon père... Allons, Pasquin, venez m'aider. (Elle apporte une table avec Pasquin.) Venez prendre les assiettes. (Elle prend des assiettes dans le buffet et les remet à Pasquin.)

 

LE PODESTAT, le regardant.

On voit qu'il est animé du désir de bien faire... (Pasquin, dans son ardeur, se heurte contre le Podestat qui l'admire et laisse tomber la pile d'assiettes.) Ah ! bien !... ah ! bon !... mon pauvre service de Faenza !

 

LAURETTE.

Grand maladroit !

 

VÉRONIQUE, souriant.

Il casse... mais il casse avec grâce.

 

PASQUIN, ramassant les morceaux.

Notre maître, les morceaux sont entiers.

 

LE PODESTAT.

C'est égal, fais attention une antre fois... Qu'est-ce que nous avons pour déjeuner ?

 

VÉRONIQUE.

Il fera une omelette : j'ai acheté les œufs, qui sont dans la cuisine.

 

LE PODESTAT.

Distingue-toi, Pasquin !... une omelette !... une bonne omelette !... Véronique, montrez-lui le chemin.

 

VÉRONIQUE.

Allons, venez, petit laquais !...

 

LE PODESTAT.

Et surtout, ne va pas traiter mes œufs comme mes assiettes !

 

PASQUIN.

Soyez tranquille, notre maître. Oh ! les œufs, je ne les casserai pas ! (Il sort avec Véronique.)

 

 

SCÈNE VI

LE PODESTAT, LAURETTE.

 

LE PODESTAT.

Décidément, je me félicite sous tous les rapports de mon acquisition.

 

LAURETTE.

Oui, parlons-en... elle est jolie ! un butor, laid comme tous les diables, et qui n'a qu'un œil...

 

LE PODESTAT, l'interrompant.

Oui, mais un bon !... un qui veillera sur toi, friponne !

 

LAURETTE, fièrement.

Que voulez-vous dire, mon père ?... Me ferlez-vous espionner par ce domestique borgne ?

 

LE PODESTAT, se récriant.

Te faire espionner, mignonne, toi !... mais certainement ! et si monsieur le capitaine Silvio tente quelque nouvelle entreprise, il trouvera à qui parler !

 

LAURETTE.

Mais pourquoi repousser ainsi, mon père, un homme vers lequel m'entraîne un charme irrésistible ?...

 

LE PODESTAT.

Parce que j'ai promis ta main à monsieur Bellino, le droguiste ! Et lu l'épouseras demain !

 

LAURETTE, éclatant.

Je me ferais plutôt enlever, aujourd'hui même !

 

LE PODESTAT, à part.

C'est étonnant... c'est un moment d'humeur ! Elle est habituellement pleine de soumission. (Voyant entrer Véronique et Pasquin.) Ah ! voici le déjeuner !

  

 

 

04 - Quatuor

intégrale 1973

distribution

 

 

 

SCÈNE VII

LES MÊMES, VÉRONIQUE, PASQUIN, il porte l'omelette.

 

Quartette

PASQUIN.

Voici l'omelette !

 

VÉRONIQUE.

Voici l'omelette !

 

LE PODESTAT, avec émotion.

Voici l'omelette !

 

LAURETTE, avec indifférence.

Voici l'omelette !

 

PASQUIN.

Voici l'omelette !

Pour vous je l'ai faite

Bien soigneusement,

Bien élégamment !

 

VÉRONIQUE, LAURETTE, LE PODESTAT.

Voici l'omelette !

Pour nous il l'a faite

Bien soigneusement,

Bien élégamment !

 

PASQUIN.

Elle se compose

(Notez bien la chose)

De beurre et puis d'œufs

Bien battus entre eux !

 

VÉRONIQUE, LAURETTE, LE PODESTAT.

Elle se compose

(Notons bien le chose)

De beurre et puis d'œufs

Bien battus entre eux !

 

VÉRONIQUE, LE PODESTAT, LAURETTE, PASQUIN.

Charmante omelette !

Comme elle est bien faite !

Voyez sa couleur !

Sentez : quelle odeur !

Elle est admirable !

Elle est adorable !

 

LE PODESTAT.

Mais sans plus tarder, déjeunons !

A table, allons !

(A Pasquin.)

            Et sers-nous vite !

(Ils se mettent à table. — Pasquin dépose gravement l'omelette sur la table. — Le Podestat la regarde.)

Elle n'a qu'un défaut, c'est d'être un peu petite !

Mais sans plus tarder, dégustons !...

(Au moment de manger sa première bouchée, il s'arrête, prend son assiette, se lève et chante ce qui suit.)

J'ai déjà compté dans ma vie

Plus d'un plaisir, plus d'un bonheur !

Fille tendre et femme jolie

Ont comblé les vœux de mon cœur !

Mais il n'est rien, je le déclare,

Quand j'ai bien faim, sur le matin,

Non, il n'est rien que je compare

Ace tableau presque divin

D'une omelette

Aussi bien faite

Qui me sourit

Et qui me dit :

Je suis ton déjeuner fidèle,

Viens, je t'attends ! viens, je t'appelle !

 

VÉRONIQUE.

Laissez là vos chansons,

Et déjeunons !

 

LE PODESTAT.

Oui, déjeunons !

(Le Podestat reprend sa place, et on se met a manger.)

 

PASQUIN, à part.

Ah ! voici le moment critique !

 

LE PODESTAT, après sa première bouchée.

Quel goût bizarre et singulier !

 

VÉRONIQUE.

Mais en effet, cela vous pique

Et vous déchire le gosier !

 

LE PODESTAT, à Pasquin.

Qu'as-tu mis dans cette omelette ?

 

PASQUIN, à part.

Diable ! ne perdons pas la tête !

(Haut.)

Mais j'ai mis du beurre et des œufs !

 

LE PODESTAT, à Véronique.

Nous vous serons trompés tous deux.
 

VÉRONIQUE.

Mon cher époux, c'est bien possible.

 

LE PODESTAT, après un nouvel essai.

Non, décidément, c'est horrible !

 

VÉRONIQUE et LAURETTE.

Oui, c'est horrible !

(Tous se lèvent.)

 

LE PODESTAT, furieux, à Pasquin.

Mais cette omelette

Comment l'as-tu faite ?

L'atroce couleur

Et l'affreuse odeur !

Elle est détestable !

Elle est exécrable !

 

[ PASQUIN.

[ Mais cette omelette

[ Est pourtant bien faite !

[ Voyez sa couleur !

[ Sentez : quelle odeur !

[ Elle est admirable !

[ Elle est adorable !

[

[ VÉRONIQUE, LAURETTE, LE PODESTAT.

[ Mais cette omelette

[ Comment l'as-tu faite ?

[ L'atroce couleur

[ Et l'affreuse odeur !

[ Elle est détestable !

[ Elle est exécrable !

 

LE PODESTAT.

Encore un coup, malheureux, qu'as-tu mis là dedans ?

 

PASQUIN, riant bêtement.

Ah ! je vas vous dire... c'est un secret !

 

LE PODESTAT.

Une autre fois, ne me fais plus d'omelettes à secret, je le prie... Allons, du courage!... (Il se remet à table.)

 

VÉRONIQUE.

Il en faut !

 

LAURETTE.

Il en faut tant que j'y renonce !

 

VÉRONIQUE.

Moi aussi !

 

LE PODESTAT.

Moi pas... une mauvaise omelette est bientôt mangée !... (Il mange.) A boire, Pasquin, à boire !...

(Il tend son verre. Pasquin lui verse, mais regarde Laurette, à qui il fait des signes, et verse tout sur la table.)

 

LAURETTE, à part.

A qui en a-t-il donc, avec sa pantomime ?

 

LE PODESTAT.

Ah ! je suis noyé !... Mais, malheureux, regarde donc ce que tu fais !...

 

PASQUIN.

C'est rien, notre maître, ça séchera !...

 

LE PODESTAT, furieux.

Ça séchera !... je l'espère... à la longue... Je vais aller faire un tour au soleil avec vous, Véronique. J'éprouve d'ailleurs le besoin de promener ma digestion... Cette omelette me pèse !... Je commence à avoir des regrets... Allons faire au tour à la fête...

 

LAURETTE.

Emmenez-moi, mon père !

 

LE PODESTAT.

Plus souvent... pour être suivis par le capitaine Silvio !... Vous resterez à la maison, seule... avec Pasquin !... Pasquin qui casse les assiettes, c'est vrai ; qui fait mal les omelettes, rendons-lui justice ; qui a une manière toute particulière de verser à boire, il faut le reconnaître ; mais qui veille parfaitement sur les jeunes filles amoureuses et qui ne vous quittera pas une minute... Tu entends, Pasquin ! je mets cette jeune personne sous ta garde !...

 

PASQUIN.

Oui, notre maître.

 

LAURETTE, à part.

Ah ! ce Pasquin ! je le déteste !

 

LE PODESTAT, à Véronique.

Venez, ma mie, venez ! (Il sort avec Véronique.)

 

 

SCÈNE VIII

LAURETTE, PASQUIN.

 

LAURETTE, à part.

Quel agréable tête-à-tête !...

 

 

 

05 - Duo et Trio

intégrale 1973

distribution

 

 

Duetto
LAURETTE, s'asseyant en face de Pasquin.

En votre aimable compagnie,

Puisqu'il me faut passer ma vie,

Permettez-moi, monsieur Pasquin,

De me placer sur cette chaise

Pour admirer tout à mon aise
Vos grâces jusques à demain.
 

PASQUIN.

Admirez si cela vous plaît !

 

LAURETTE, après l'avoir regardé.

Ah ! mon Dieu ! que vous êtes laid !

 

PASQUIN.

Pourtant je sais une fille,

Une fille assez gentille,

Qui pour moi se meurt d'amour.

 

LAURETTE.

En soignant sa basse-cour !

 

PASQUIN.

Non, vraiment, mademoiselle ;

Ce n'est pas là son état.

 

LAURETTE.

Et quelle est donc cette belle ?


PASQUIN.

La fille d'un podestat !

 

LAURETTE.

L'insolent ! l'insolent !

 

PASQUIN.

            Calmez cette colère !

Et puis après,

D'un œil moins sévère,

Et d'un peu plus près,

Voyez ma figure...

Voyez ma tournure !

(Se pavanant ridiculement devant elle.)

Suis-je toujours laid ?

 

LAURETTE.

Oui, je vous le jure.

 

PASQUIN, ôtant son bandeau de dessus son œil.

Suis-je toujours laid ?

 

LAURETTE.

Dieu ! cette figure !...

Silvio !... c'était toi !...

 

PASQUIN.

Oui vraiment... c'est bien moi !

 

[ SILVIO.

[ Dans mes bras je presse

[ Ma chère maîtresse !

[ A toi ma tendresse !

[ A toi tout mon cœur !

[ Après longue absence,

[ Amour et constance,

[ Voilà l'espérance,

[ Voilà le bonheur !

[

[ LAURETTE.

[ Dans ses bras il presse

[ Sa chère maîtresse !

[ A moi sa tendresse !

[ A moi tout son cœur !

[ Après longue absence,

[ Amour et constance,

[ Voilà l'espérance,

[ Voilà le bonheur !

 

LAURETTE.

Mais, cher amant, ici, que viens-tu faire ?


SILVIO, dramatiquement.

Je viens chercher Hermione en ces lieux,

La fléchir, l'enlever ou mourir à ses yeux !...

 

LAURETTE.

O ciel ! quel projet téméraire !...

 

SILVIO.

Viens, suis-moi, là-bas est le bonheur !

Et tous deux nous vivrons cœur à cœur !

 

LAURETTE.

Douce parole qui m'enivre !

Charmant projet ! riant espoir !...

Mais, hélas !... le cruel devoir

Ici me défend de te suivre...

 

SILVIO, l'entraînant.

Mais le bonheur !...

 

LAURETTE, résistant.

Oui, mais l'honneur !...

 

SILVIO, l'entraînant.

Mais le malheur !...

 

LAURETTE, résistant.

Mais la pudeur !...

(Changeant de ton.)

Ah bah !... tant pis.... enlève-moi !...

Tant pis, ma foi !...

J'ai fait assez de résistance,

Et beaucoup de filles, je pense,

En auraient fait bien moins que moi !...
 

[ SILVIO.

[ Dans mes bras je presse

[ Ma chère maîtresse !

[ A toi ma tendresse !

[ A toi tout mon cœur !

[ Après longue absence,

[ Amour et constance,

[ Voilà l'espérance,

[ Voilà le bonheur !

[

[ LAURETTE.

[ Dans ses bras il presse

[ Sa chère maîtresse !

[ A moi sa tendresse !

[ A moi tout son cœur !

[ Après longue absence,

[ Amour et constance,

[ Voilà l'espérance,

[ Voilà le bonheur !

 

SILVIO.

Allons, fuyons, partons !...

(Il l'enlève dans ses bras comme un enfant, et va pour sortir. — Le Podestat entre.)

 

 

SCÈNE IX

LES MÊMES, LE PODESTAT.


Terzetto

SILVIO.

Dieu ! son père !...

 

LAURETTE.

Dieu ! mon père !...

 

LE PODESTAT.

Oui, ma chère,

C'est ton père !

 

LAURETTE.

Ciel ! que faire ?...

 

SILVIO.

Ciel ! que faire ?...

 

LE PODESTAT.

Qu'ai je vu !

 

SILVIO.

Il m'a vu !

 

LAURETTE.

Il t'a vu !

 

LAURETTE, SILVIO, LE PODESTAT.

Qui l'eût cru !

 

LE PODESTAT.

Que faisais-tu donc là, serviteur si fidèle ?

 

SILVIO.

Je secourais mademoiselle,

Prise soudain de pamoison,

 

LE PODESTAT, à part.

Ouais !... cela sent la trahison !...

(Haut.)

Approche ici, Pasquin, pour que je t'examine...

Ton œil est donc guéri ?

(A part.)

            Je connais cette mine...

(Haut.)

Approche encor... plus près...

(A part.)

Je reconnais ces traits!...

(Il lui arrache sa perruque et le reconnaît.)

C'est lui !... le misérable !...

Déguisement du diable !...

M'oser braver ainsi !

Sortez, sortez d'ici !

A mon juste courroux,

Traître, dérobez-vous !

 

[ LE PODESTAT.

[ M'oser braver ainsi !

[ Sortez, sortez d'ici !

[ A mon juste courroux,

[ Traître, dérobez-vous !

[

[ SILVIO.

[ Me renvoyer ainsi !

[ Quoi ! me chasser d'ici !

[ Pourquoi tant de courroux ?

[ De grâce, apaisez-vous !

[

[ LAURETTE.

[ Le renvoyer ainsi !

[ Quoi ! le chasser d'ici !

[ Pourquoi tant de courroux ?

[ Mon père, écoutez-nous !

 

 

SCÈNE X

LE PODESTAT, LAURETTE.

 

LAURETTE, pleurant.

Ah ! j'en mourrai ! j'en mourrai !

 

LE PODESTAT, résolument.

Je vais écrire au grand duc pour le prier de supprimer la garnison de Padoue !

 

LAURETTE, pleurant toujours.

Père cruel ! vous pleurerez sur mes mânes !...

 

LE PODESTAT.

Et le docteur Julep, qui me présente ce faux Pasquin connue un honnête et naïf campagnard !... A qui se fier désormais ? Demain, ma fille sera au couvent.

 

LAURETTE.

C'est tout ce que je demande.

 

LE PODESTAT.

Tes vœux seront comblés, alors !... De bonnes grilles me répondront de toi... A qui, à qui se fier ?...

 

 

SCÈNE XI

LES MÊMES, VÉRONIQUE.

 

LE PODESTAT, à Véronique.

Ah ! c'est vous, tendre amie, apprenez...

 

VÉRONIQUE, une lettre à la main.

Une lettre pour le seigneur Podestat.

 

LE PODESTAT.

J'ai bien la tête à lire des lettres !... qui a apporté celle-ci ?

 

VÉRONIQUE.

C'est un soldat.

 

LE PODESTAT.

Un soldat !... qu'on la lui rende après l'avoir brûlée...

 

VÉRONIQUE.

Mais il faut lire ! (Lisant.) « Podestat, la vengeance est douce... »

 

LE PODESTAT.

A qui le dit-il ?

 

VÉRONIQUE, poussant un grand cri et tombant évanouie sur une chaise à gauche.

Ah !

 

LAURETTE.

Qu'est-ce donc, ma mère ? (Elle ramasse la lettre que Véronique a laissée tomber et lit :) « Podestat, la vengeance est douce... »


LE PODESTAT.

Après !

 

LAURETTE, poussant un grand cri et tombant évanouie sur une chaise à droite.

Ah !

 

LE PODESTAT.

Mais qu'est-ce donc ?... (Il ramasse la lettre que Laurette a laissée tomber et lit :) « Podestat, la vengeance est douce... » (poussant en grand cri.) Ah ! (Il tombe évanoui sur une chaise au milieu.)


VÉRONIQUE, revenant à elle brusquement.

Mon pauvre mari !

 

LAURETTE, de même.

Mon pauvre père !

 

LE PODESTAT, de même.

Ai-je bien lu ?... hélas ! oui. (Lisant.) « Déçu dans mes projets sur votre fille, je me suis vengé sur vous, père dénaturé ; j'ai eu l'honneur et le plaisir de vous administrer ce matin dans votre omelette une forte dose de poison ! »

 

LAURETTE, VÉRONIQUE.

Une forte dose de poison !...

 

LE PODESTAT.

« Ne cherchez pas de remède, les secours de la science seraient inutiles ! » (Silence. — Avec accablement.) Je m'explique maintenant le goût qu'elle avait !...

 

VÉRONIQUE.

Quel bonheur que je n'aie fait qu'y goûter !

 

LE PODESTAT, d'une voix éteinte.

Ah ! mes enfants !... je me sens bien mal... (Avec force.) Et vous qui restez là à me regarder au lieu de courir chercher du secours ! Trouvez un médecin ! amenez un médecin !

 

VÉRONIQUE, parlant très tranquillement.

Ah ! mon ami, vous l'avez lu ! tous les secours de la science seraient inutiles !... Ce n'est pas le docteur qu'il vous faut !... c'est le notaire !... le notaire, pour lui confirmer votre testament... ce testament que vous avez toujours dû faire pour m'instituer... (éclatant tout à coup en sanglots.) votre légataire universelle !

 

LE PODESTAT, criant à tue-tête.

Un docteur !... un docteur !... je veux un docteur !...


VÉRONIQUE.

Votre voix est si sourde qu'on ne vous entend plus...


LE PODESTAT.

Je ne rends déjà plus aucun son !... Ci-git le podestat de Padoue !...

 

VÉRONIQUE, très paisiblement.

Hélas ! hélas !... (A ce moment on entend la musique du charlatan.)

 

LE PODESTAT, effrayé.

Quoi ! déjà les trompettes du jugement dernier !....


LAURETTE.

Rassurez-vous, mon père... c'est ce charlatan que vous vouliez chasser...

 

LE PODESTAT.

C'est l'homme dont j'ai besoin ! qu'on l'appelle ! qu'on l'appelle !

 

VÉRONIQUE.

Il y a à quelques lieues d'ici un excellent médecin ; en le faisant demander demain, il viendra après-demain, et...


LE PODESTAT, criant.

Véronique, appelez ce charlatan ! qu'il monte avec sa musique et ses chevaux, je payerai tout ce qu'il faudra.

 

LAURETTE, après avoir fait signe par la fenêtre.

Je lui ai fait signe et il vient, mon père.

 

LE PODESTAT.

Ma fortune est à lui, si j'en réchappe.

 

 

SCÈNE XII

LES MÊMES, LE DOCTEUR MIRACLE.

(Il a une robe noire, un bonnet pointu, une longue barbe et de grandes lunettes bleues.)
 

MIRACLE.

Quid ?

 

VÉRONIQUE.

Charlatan, mon ami, le podestat que voici...

 

LE PODESTAT.

Vous ordonne de le sauver !

 

MIRACLE, lui tâtant le pouls.

Pisonatus !

 

LE PODESTAT.

Nous sommes perdus !... il parle latin !...

 

VÉRONIQUE.

Mais je sais le latin, moi !... feu mon troisième mari était apothicaire...

 

LE PODESTAT, suppliant.

Alors traduisez, Véronique... Que dit-il ? que dit-il ?...

 

VÉRONIQUE.

Eh bien, il dit que vous êtes empoisonné !

 

LE PODESTAT.

La belle malice !... je le sais bien !

 

MIRACLE.

Pisonatus per poisonem innocentem in seipso, sed gravem in omeletta.

 

VÉRONIQUE.

Par un poison anodin en lui-même, mais pernicieux dès qu'il est servi en omelette.

 

LE PODESTAT.

En omelette ! c'est bien cela !... Mais en réchapperai-je ?...


MIRACLE.

Mors imminens !

 

LE PODESTAT, attéré.

Mort imminente !

 

VÉRONIQUE, à part, gaiement.

Feu mon quatrième mari était podestat de Padoue.


LE PODESTAT.

Mais son remède infaillible, universel ?

 

MIRACLE.

Remedium coutat quinque millia ducatos.

 

VÉRONIQUE.

Ce remède coûte cinq mille ducats !... Cinq mille cordes plutôt pour le pendre !

 

LE PODESTAT.

Cinq mille ducats ! A l'assassin ! il vent me faire mourir deux fois !...

 

VÉRONIQUE.

Vous avez raison, cher trésor ! mourez vingt fois plutôt que d'être victime d'une telle avidité !

 

MIRACLE, regardant Laurette.

Moribundus est pater familias ?

 

LE PODESTAT.

Ah ! il fait de nouvelles propositions !

 

VÉRONIQUE.

Non, il demande si vous ôtes père de famille. Oui, charlatan, il était père de la jeune personne que voici !... (Elle montre Laurette.) Moi, je pourrais être sa fille, mais je suis sa veuve.

 

MIRACLE, regardant Laurette.

Pulcherrima !

 

VERONIQUE, au Podestat.

Il trouve Laurette à son goût.

 

MIRACLE.

Moribundum gueribo...

 

VÉRONIQUE.

Il vous guérira.

 

MIRACLE.

Si...

 

LE PODESTAT

Si ?...

 

MIRACLE.

Si mihi filiam accordat in matrimonium !

 

VÉRONIQUE.

Si vous lui accordez la main de votre fille !

 

LE PODESTAT.

Mais ce souhait comble mes vœux ! Qu'est-ce que je demande ? guérir et me débarrasser de mon enfant, pourvu que ce ne soit pas en faveur d'un soldat... Il n'est pas soldat ! ma fille est à lui !...

 

LAURETTE.

Quoi ! mon père...

 

 

 

06 - Quatuor final

intégrale 1973

distribution

 

 

Finale

LE PODESTAT, à Laurette.

Mon enfant, si tu m'aimes bien,

Prends-le pour époux, je te prie ;

Ton bonheur ne me touche en rien,

Mais, hélas ! je tiens à la vie !

 

VÉRONIQUE, à Laurette.

Quoi ! tu trahirais ton serment !

 

LE PODESTAT, à Véronique.

Voulez-vous vous taire un moment !...

 

VÉRONIQUE, à Laurette.

Rappelle-toi donc ton serment

De n'aimer jamais sur la terre

Que Silvio...

 

LE PODESTAT, à Véronique.

            Voulez vous bien vous taire...

(A Laurette.)

Sauve ton père, ô mon enfant !

Il t'en supplie en cet instant !

 

LAURETTE.

Je dois, pour vous sauver la vie,

Mon père, oublier en ce jour,

Par une noble perfidie,

Et mes serments et mon amour !

 

LE PODESTAT, ému.

La pauvre enfant se sacrifie !

 

LAURETTE, au docteur.

Monsieur, tenez, voici ma main ;

Je me résigne à ce cruel destin !

 

LE PODESTAT, au docteur.

Et maintenant, donnez votre ordonnance.

 

MIRACLE.

Scribat consesum !

 

LE PODESTAT.

            Quoi ?

 

VÉRONIQUE.

                        Votre consentement.

(Laurette met une table au milieu de la scène ; le Podestat et le Docteur s'y placent tous deux face à face.)

 

LE PODESTAT.

Très volontiers ! donnant, donnant,

Écrivons simultanément.

Je commence... et vous ?

 

LAURETTE.

            Il commence.

(Ils écrivent.)

 

LE PODESTAT, écrivant.

Ah ! mais son nom ?

 

LAURETTE.

            Laissez la place en blanc !

 

LE PODESTAT.

C'est juste. J'ai fini...

 

LAURETTE.

            Lui de même !

 

LE PODESTAT.

                        Échangeons !

(Ils échangent leurs papiers.)

 

MIRACLE.

Merci !

 

LE PODESTAT.

            Merci !

 

MIRACLE.

                        Lisez !

 

LE PODESTAT.

                                   Lisons !

(Parlé.)

Tiens le voilà qui parle chrétien maintenant !... (Il lit. —Tremolo à l'orchestre.) « En lisant cette ordonnance, vous êtes guéri radicalement par votre affectionné gendre le capitaine Silvio, qui n'a jamais eu l'intention d'attenter à vos jours. »

 

LE PODESTAT, qui a lu la lettre d'une voix mourante, avec force.

Comment, de moi l'on s'est joué !

(Furieux.)

Je ne suis pas empoisonné !

 

VÉRONIQUE, navrée.

Ciel !... il n'est pas empoisonné !

 

LE PODESTAT, à Silvio.

Vous me le paierez, je le jure !

 

SILVIO, qui a ôté sa barbe, ses lunettes, son grand chapeau et sa robe, paraissant en costume d'officier.

Allons ! j'ai votre signature,

Vous entendez, vous comprenez !

 

LE PODESTAT.

Jamais vous ne l'épouserez !

 

LAURETTE,

Plus de colère,

Et moins sévère,

Apaisez-sous !

Pardonnez-nous !

 

LAURETTE et SILVIO.

Plus de colère,

Et moins sévère,

Apaisez-sous !

Pardonnez-nous !

 

LE PODESTAT, ébranlé, à Véronique.

Qu'en penses-tu ? que faut-il faire ?

 

VÉRONIQUE.

Cher trésor, laissez-vous toucher...

(Bas.)

Il faut souffrir ce que l'on ne peut empêcher.

 

[ LAURETTE et SILVIO.

[ A notre bonheur en ce jour

[ Nous ne trouverons plus d'obstacle,

[ Grâce au savant docteur Miracle,

[ Grâce au miracle de l'amour !

[

[ VÉRONIQUE et LE PODESTAT.

[ A votre bonheur en ce jour

[ Vous ne trouverez plus d'obstacle,

[ Grâce au savant docteur Miracle,

[ Grâce au miracle de l'amour !

 

 

 

 

 

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