Djamileh
Opéra-comique en un acte, livret de Louis GALLET, d’après Namouna, poème d’Alfred de Musset (1832), musique de Georges BIZET (op. 24, composée de juillet à fin 1871).
dédiée à Camille Du Locle
Création à l'Opéra-Comique (2e salle Favart) le 22 mai 1872, avec la première du Médecin malgré lui de Gounod. 11e représentation le 29 juin 1872.
Reprise à l'Opéra-Comique du 27 octobre 1938 (12e représentation) à l'occasion du Centenaire de la Naissance de Georges Bizet ; décor et costumes d'après les maquettes de Jean Souverbie ; mise en scène de Jean Mercier.
22 représentations à l’Opéra-Comique au 31.12.1950 [11 entre le 22.05.1872 et le 29.06.1872 et 11 entre le 27.10.1938 et le 31.12.1950].
personnages |
emplois |
Opéra-Comique, 22.05.1872 (création) |
Opéra-Comique, 27.10.1938 (12e) |
Djamileh, esclave | mezzo-soprano | Mme Aline PRELLY | Mme Jenny TOUREL |
Haroun, prince | ténor | MM. Eloi DUCHESNE | MM. Louis ARNOULT |
Splendiano, son secrétaire | ténor ou baryton | Armand POTEL | Roger BOURDIN |
un Marchand d'esclaves | rôle parlé | JULIEN | Alban DERROJA |
Chœurs d'amis d'Haroun, esclaves, musiciens | |||
Danse de l'Almée | Mlle ANTONIA | Mlle JUANINA | |
Chef d'orchestre | M. Adolphe DELOFFRE | M. Gustave CLOËZ |
La scène se passe au Caire en Egypte.
La donnée du livret, tirée d'un poème d'Alfred de Musset, Namouna, n'était pas favorable à la musique. C'est la destinée de tous les livrets empruntés à ce poète, le moins naturel de tous les poètes, malgré le matérialisme qui fait le fond de ses affabulations. L'art dramatique en général, la musique dramatique surtout ne peuvent se passer des sentiments de la nature humaine, et, quelque dissimulés et déguisés qu'ils soient par une mauvaise prose ou de mauvais vers, ils suffisent souvent à inspirer le musicien et, dans tous les cas, ils donnent un certain intérêt à la pièce. MM. Louis Gallet et Bizet auront été sans doute amenés, par l'accueil fait à leur œuvre collective, à réfléchir sur ses défauts et à modifier leur itinéraire. Que peut avoir d'intéressant ce jeune Egyptien, Haroun, qui change de maîtresse, c'est-à-dire d'esclave, chaque mois, qui est sceptique, énervé, en un mot qui possède les qualités morales et physiques de ce qu'on appelle sur le boulevard « un petit crevé » ? Djamileh, sa dernière esclave, le juge plus favorablement et, au moment de recevoir son congé, elle conçoit pour lui une passion que je peux à juste titre qualifier d'insensée. Haroun ne la renvoie pas moins. La jeune personne tient bon et obtient du marchand d'esclaves que, sous un déguisement, elle sera de nouveau présentée à son maître. Touché d'une ardeur si obstinée, Haroun se décide enfin à aimer cette créature ; il le dit du moins et le rideau tombe. A cette occasion, on a cru faire une chose agréable au public en lui offrant sur la scène une reproduction du tableau de M. Giraud Un marchand d'esclaves ; comme si les véritables dilettanti et les gens de goût se souciaient de voir cette gracieuse, spirituelle et poétique scène de l'Opéra-Comique transformée en un marché de chair humaine ! Au sujet de ce livret, je ferai observer que la musique prête son langage à l'amour, à la passion, à la tendresse, comme aussi à la coquetterie, à la galanterie qui sont des formes de la grâce ; qu'on la fait servir aussi trop souvent dans le genre bouffe à des idées grivoises et à la gaudriole ; mais j'ajouterai qu'elle résiste à exprimer la volupté charnelle et les impressions grossières de l'amour physique, parce que ces choses sont hors de son domaine ; parce que là il n'y a ni sentiments, ni idées, ni esprit, ni cœur. Quels sont les cavatines, les duos, que l'Orient nous a envoyés ? Quelles sont les mélodies passionnées ou touchantes qui nous sont venues du pays des harems et de la polygamie ? C'est à nous autres, Occidentaux, qu'il revient encore de mettre en musique les amours de ces gens-là, en leur supposant notre manière de sentir, nos idées, les caprices de notre imagination, toutes choses qui leur sont étrangères. La musique que M. Georges Bizet a écrite sur ce livret est si extraordinaire, si bizarre, en un mot si désagréable, qu'on dirait qu'elle est le résultat d'une gageure. Egaré sur les traces de M. Richard Wagner, il a dépassé son modèle en bizarrerie et en étrangeté. Que la mélodie soit absente, passe encore ; c'est la faute de la muse qui souffle où elle veut : Spirat ubi vult. Mais que la succession des sons et des accords, que les procédés harmoniques de l'accompagnement n'appartiennent la plupart du temps à aucun système de composition connu et classé, c'est là une erreur du jugement fort regrettable chez un musicien habile comme l'est M. Georges Bizet. La forme rythmique de l'ouverture est des plus connues et des plus modernes ; mais la concordance des sons est si singulière, que la musique entendue au temps de Ramsès et de Sésostris ne paraîtrait pas plus extraordinaire à des oreilles modernes. Dans le cours de l'ouvrage, à peine peut-on citer une phrase d'un duo d'hommes : Que l'esclave soit brune ou blonde ; une autre phrase du trio : Je voyais au loin la mer s'étendre ; le chœur : Quelle est cette belle ? et quelques lueurs de mélodie et d'expression dans le duo final. Le reste m'a paru hérissé de dissonances et de cacophonies harmoniques, en comparaison desquelles les hardiesses de Berlioz n'étaient que jeux d'enfant. (Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément, 1872)
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Notre jeune école de musique poursuit un but qui ne nous paraît pas encore bien défini, mais doit-on avoir le courage de l'en blâmer et de lui briser les ailes ? Quand il lui serait si facile de se livrer à quelques pastiches agréables des maîtres et des procédés connus, il faut lui savoir gré de ne pas nous donner une vingtième édition de Fra Diavolo et de bien vouloir chercher quelque autre chose. Dût-elle s'égarer ou ne rien trouver au bout de sa longue course, il est de notre devoir de ne point entraver absolument son essor vers les mondes inconnus qu'elle rêve. C'est ainsi que nous sommes décidé à envisager la question au sujet de Djamileh ; nous considérerons l'œuvre dernière de M. Bizet comme une nouvelle tentative vers cet idéal jusqu'à présent insaisissable, tentative encore une fois avortée, mais des plus honorables. Comme dans toute entreprise à son début, il y a nécessairement de la confusion, de l'incertitude et beaucoup de vague dans les aspirations de nos jeunes maîtres. Mais, aux lueurs qui déjà s'en échappent, nous serions surpris que de cette obscurité et de ce chaos harmonieux il n'émergeât pas, un jour, la lumière. Nous allons contre l'opinion de la majorité, je le sais, mais patience ! et, qu'on nous passe cette expression à l'adresse de nos aventureux chercheurs : laissez-les se débarbouiller. Ce n'est pas en un jour qu'on se taille des Meyerbeer, et, si nous jetons un coup d'œil sur la nouvelle école qui se lève à l'horizon français, nous n'aurons vraiment pas à en rougir : MM. Massenet, Bizet, Guiraud, Lenepveu, Saint-Saëns, Dubois, Paladilhe, Joncières, Bourgault-Ducoudray et tant d autres, ne voilà-t-il pas une aurore qui promet de beaux jours. Ce qui frappe tout d'abord, — et, disons-le, désagréablement, — dans la Djamileh de M. Bizet, c'est le manque de tonalité, avec circonstance aggravante de préméditation. C'est pousser un peu loin l'originalité ; en tous cas c'est au moins prématuré ; et il eût été préférable d'attendre pour cet essai hardi, téméraire el, audacieux, que nous soyons tout à fait enfoncés dans le Wagnérisme dernière manière. Je sais bien que dans ses moments perdus le grand Rossini a imaginé une gamme dite chinoise, d'où il a banni avec soin tous les demi-tons, et qu'à l’aide de cette gamme il a composé une mélodie, qui ne manque ni de charme, ni de saveur. Mais il ne faudrait pas prendre au sérieux ce passe-temps d'un beau génie, et, arguant de l'exemple, se passer de tonalité sous prétexte de couleur orientale. MM. Félicien David et Ernest Reyer, qui ont assez réussi dans ce genre de musique, ont-ils eu recours à pareil procédé ? Eh ! mon Dieu, M. Georges Bizet s'en serait tenu, comme échantillon de ce nouveau système, à sa petite ouverture-marche qu'on eût pu, en passant, le trouver bizarre et curieux ; mais du moment que c'est un parti pris qui s'étend à l’œuvre entière, malgré toute notre sympathie pour le jeune auteur, c'est une fantaisie contre laquelle nous devons nous élever d'autant qu'elle dépare les meilleures pages de la partition. Après la petite marche orientale assez piquante qui sert d'ouverture, l’œuvre débute par un chœur dans la coulisse, coupé par une rêverie de ténor, scène d'un effet charmant et qui est certainement le morceau capital de la partition. Nous citerons encore comme dignes d'être signalés la péroraison du duo entre Haroun et Splendiano : Celle que l'on n'attend pas, par le hasard parée, et les couplets qui suivent avec cette jolie phrase : Que l'esclave soit brune ou blonde. Après cette première partie qui est d'un musicien des plus distingués assurément, le vague s'accentue et nous tombons dans un long enchaînement d'harmonies brisées, un vrai dédale où l'oreille se fatigue, malgré quelques éclaircies comme le terzetto : L'aile d’un rêve est légère, le chœur alerte des amis d'Haroun, la chanson : La fortune est femme et les couplets de Splendiano : Il faut pour éteindre ma fièvre. Il y a aussi une sorte de mélopée orientale, intitulée Ghazel, dans la partition, sur laquelle nous n'avons pas encore d'opinion bien fixe, les intonations et le sentiment de ce morceau ayant été par trop insuffisamment rendus par Mme Prelly. Malgré tout, on voit que ce long petit acte est encore assez bien rempli, et, n'était le défaut dominant qui vient nous le gâter à chaque instant, l'absence de tonalité, il eût certainement fait son chemin. Nous devions ces vérités à M. Georges Bizet, par cela même que son talent et sa personne nous sont des plus sympathiques, étant de ceux qui croyons fermement à son avenir : nous renvoyons ceux qui en douteraient à certaines pages des Pêcheurs de perles et au superbe second acte entier de la Jolie fille de Perth. On nous permettra de ne pas insister sur le poème de M. Louis Gallet, que l'on dit inspiré d'Alfred de Musset,... d'assez loin en tous cas, sans vouloir en aucune façon nier sa valeur relative. Les directeurs de l'Opéra-Comique ont soigné la mise en scène, qui est d'une couleur générale charmante et des mieux fondues. Le plus bel ornement de cette mise en scène est assurément Mme Prelly, avec son œil noir si profond, ses beaux bras, sa chevelure abondante, et la morbidesse répandue dans toute sa gracieuse personne. Si nous abordons le côté chant, nous dirons que le rôle, avec ses harmonies incertaines, était redoutable pour une cantatrice éclose d'hier et peu rompue encore avec toutes les surprises vocales que lui réserve la nouvelle école. Aussi, comme chanteuse, s'y est-elle autant compromise qu'elle a compromis la musique de M. Georges Bizet. Mieux dirigée et aussi mieux partagée, la voix fraîche et timbrée du ténor Duchesne s'est tirée à souhait de cette scabreuse partition dont Potel a été l'amusant compère. (H. Moreno [Henri Heugel], le Ménestrel, 26 mai 1872)
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Personnages : Haroun, prince arabe ; Splendiano, son intendant, personnage grotesque ; Djamileh, esclave d'Haroun ; un marchand d'esclaves ; une almée (danseuse). La scène se passe au grand Kaire, dans le palais d'Haroun. Milieu oriental de fantaisie, évoquant les Mille et une nuits.
Donnée légère et poétique, dans un milieu riche en couleur, fait pour le rêve. Haroun est un jeune prince qui mange son patrimoine dans les plaisirs, épuisant toutes les voluptés, résolu à en finir avec la vie le jour où son dernier sequin aura été dépensé. Sa débauche est élégante et raffinée ; c'est un artiste qui se croit tout à fait désabusé, mais qui, sur ce point, s'abuse. La pièce n'a d'autre but que de nous le prouver. Parmi les règles que Haroun s'est fixées, car il a de l'ordre dans le désordre, il en est une qui régit le chapitre des femmes : chaque mois, Splendiano, intendant du prince, lui achète une esclave, la plus belle qui se puisse trouver. Tout un mois, Haroun savoure dans les bras de cette femme les plaisirs de l'amour et de la volupté. Au dernier jour, l'esclave est libérée avec un présent royal et une autre la remplace. L'esclave en fonctions au moment où se lève le rideau est Djamileh ; et nous sommes au dernier jour du mois. Haroun se persuade qu'il la voit partir sans regret et, pour couper court à celui qu'il ressent sans vouloir se l'avouer, il donne des ordres pour l'achat de la remplaçante et entend sans une protestation la requête de Splendiano, qui lui demande Djamileh pour son usage personnel. Cependant, comme la règle veut que Djamileh, son mois achevé, soit libre, c'est elle qui décidera si elle veut passer au service de l'intendant. Ce point réglé, Haroun s'apprête à souper, pour la dernière fois, avec Djamileh. Mais celle-ci aime Haroun d'amour. Tout à fait ignorante du sort qui l'attend, elle s'épanouit sous le regard du maître adoré, lui chante sa plus belle complainte et voit un nouveau gage de tendresse dans le collier que Haroun lui remet avant d'aller rejoindre ses amis à la table de jeu. Elle est froissée pourtant quand, ses amis étant venus le chercher, il leur permet de la contempler sans voile. Mais qu'est cette blessure comparée à celle que va lui infliger Splendiano ! L'intendant lui annonce, en effet, sans ménagement, que son rêve est fini et que Haroun la remplace. Avec cynisme, il lui propose de prendre la suite de son maître. Mais Djamileh souffre trop pour s'indigner ; elle ne songe qu'à mourir. Pourtant si, malgré tout, Haroun l'aimait ! Une lueur d'espoir lui reste et, quand le marchand d'esclaves vient offrir sa marchandise, entre autres une almée merveilleuse qui danse devant Haroun indifférent, elle obtient de Splendiano qu'il tente une épreuve : si celle-ci échoue, elle sera à lui. Et quand Haroun croit rencontrer la nouvelle esclave, c'est Djamileh, costumée en almée, qui s'offre à lui. Il est charmé, provoqué, piqué par la conduite réticente, par l'émotion que manifeste sa nouvelle acquisition. Tant d'amour se dégage d'elle qu'il en est lui-même ému. Soudain, un rayon de lune met les traits de Djamileh en pleine lumière et, du même coup, la lumière se fait dans l'esprit du faux blasé : il découvre son propre cœur, mais tout d'abord n'en veut rien laisser paraître et feint de chasser la pauvre fille. Brisée, Djamileh s'éloigne en lui lançant un suprême adieu, mais ses forces l'abandonnent, elle chancelle et tombe... dans les bras de Haroun, qui la console et lui avoue avoir tenté cette dernière épreuve pour s'assurer de la sincérité des sentiments de son amie. Comme on accourt au bruit, d'un geste délicat, il ramène le voile sur le visage de Djamileh. Il sort doucement avec elle sous les yeux de ses amis stupéfaits et de Splendiano furieux.
(Edouard Combe, les Chefs-d’œuvre du répertoire, 1914)
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Catalogue des morceaux
Ouverture | ||||
01 | Chœur et Rêverie | Chœur | Le soleil s'en va | Chœurs |
Rêverie | Dans la blonde fumée | Haroun | ||
02 | Duo et Couplets | Duo | Songez-y bien | Haroun, Splendiano |
Couplets | Tu veux savoir | Haroun | ||
03 | Trio et Ghazel | Trio | Quelle pâleur | Djamileh, Haroun, Splendiano |
Ghazel | Nour-Eddin, roi de Lahore | Djamileh | ||
04 | Scène et Chœur | Salut, seigneur Haroun ! | Haroun, Splendiano, Chœurs | |
05 | Chanson | La fortune est femme | Haroun | |
06 | Lamento | Sans doute l'heure est prochaine | Djamileh | |
06 bis | Mélodrame | |||
07 | L'Almée, Danse et Chœur | Froide et lente | Chœurs | |
07 bis | Mélodrame | |||
08 | Couplets | Il faut pour éteindre ma fièvre | Splendiano | |
08 bis | Mélodrame | |||
09 | Duo | Est-ce la crainte ? | Djamileh, Haroun |
Orchestre : 2 flûtes (1 petite flûte), 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 cornets à pistons, 3 trombones, timbales, triangle, tambour, cymbales, tambour de basque, harpe, cordes.
LIVRET
(en rouge, les parties chantées)
ACTE UNIQUE
La scène se passe au Caire dans le magnifique Palais d'Haroun.
(Au lever du rideau, Haroun et Splendiano sont en scène - Splendiano accroupi devant une table basse et écrivant – Haroun étendu et fumant.)
CHŒUR DE BATELIERS Le soleil s'en va ; ramène ta voile C'est la fin du jour Et vers l'Orient la première étoile S'allume, invitant notre âme à l'amour.
HAROUN Dans la blonde fumée Qui monte parfumée Vers le soleil mourant, Naissent de blancs atomes, Impalpables fantômes De mon rêve enivrant ; Et je vois un lumineux cortège, Je vois leurs corps de neige Flotter, flotter encore, Et des formes exquises S'ébaucher, indécises Dans la poussière d'or. (Il rêve. Splendiano s’est assoupi peu à peu.) (Djamileh entre par une porte latérale, traverse lentement la scène et disparaît après avoir jeté un regard plein de tendresse sur Haroun qui ne la remarque pas.)
CHŒUR DE BATELIERS Le soleil s'en va ; ramène ta voile C'est la fin du jour Et vers l'Orient la première étoile S'allume, invitant notre âme à l'amour.
HAROUN Hé ! Splendiano ! Raconte-moi ton rêve, je te prie.
SPLENDIANO (en sursaut) Hein ! Quoi ? Je dormais donc
HAROUN A poings fermés.
SPLENDIANO C'est possible. Vous chantiez d'une voix si pénétrante qu'en vous écoutant ....
HAROUN On s'assoupit ! Dis-moi .... Où est Djamileh ?
SPLENDIANO (montrant l'appartement voisin) Là, à côté, je pense, toujours heureuse, toujours confiante en votre amour, ce qui est vraiment dommage.
HAROUN Pourquoi ?
SPLENDIANO Parce que, si votre caprice n'a pas varié, elle a, comme on dit, fini son temps.
HAROUN Bah ! Il y a un mois qu'elle est chez nous ?
SPLENDIANO Depuis ce matin.
HAROUN Je l'avais oublié. C'est bien la première fois que ça m'arrive.
SPLENDIANO L'aimeriez-vous, par hasard ?
HAROUN Tu plaisantes ! Congédie-là puisque ce jour est venu. Après souper, je lui ferai quelques cadeaux, – tiens, justement ce collier que j'ai acheté ce matin, – puis, une fois seul avec elle, tu lui donneras la volée et iras me chercher une autre esclave.
SPLENDIANO Le cas est prévu. Notre marchand doit venir ce soir même. Il a, paraît-il, des merveilles à nous présenter.
HAROUN Il se vante. Enfin, va pour ces merveilles. Je me fie à toi.
SPLENDIANO Bien. Ceci convenu, j'ai à vous faire une confidence.
HAROUN (avec ennui) Longue ?
SPLENDIANO Trois mots. Je suis amoureux !
HAROUN Toi ?
SPLENDIANO Moi !
HAROUN Il faut soigner ça, mon cher.
SPLENDIANO Je sais bien le remède.
HAROUN C'est ?
SPLENDIANO Djamileh
HAROUN Bah ! Tu l'aimes ?
SPLENDIANO Comme un fou ! Vous m'en voulez ?
HAROUN (un instant pensif, puis gaiement) Pas le moins du monde. Djamileh sera libre dans une heure. Aime-là tout à ton aise, et, parbleu ! sois heureux, je ne m'y oppose pas.
SPLENDIANO (après l'avoir observé) Etes-vous sérieux ? Vous m'avez dit tout à l'heure un mot inquiétant.
HAROUN Lequel ?
SPLENDIANO Vous êtes étonné que le moment fût venu de renvoyer Djamileh… Vous n'avez aucun regret ?
HAROUN Aucun…
SPLENDIANO Songez-y bien. (prétentieusement) A la fleur près de naître Il ne faut qu'un rayon ou qu'une goutte d'eau. An fond de votre cœur fermé comme un tombeau Un doux germe d'amour attend aussi peut-être, Les larmes d'une femme ou son regard vermeil...
HAROUN (railleur) Vieux rhéteur. Laisse donc ta pluie et ton soleil. Mon âme est un désert et si, par aventure, Une fleur s'y cachait, il faudrait je t'assure Pour la faire sortir brillante du néant, Plus qu'une goutte d'eau, mon cher.... un océan !
SPLENDIANO Djamileh cependant est belle !
HAROUN Elle est venue Ou trop tôt ou trop tard. D'ailleurs comme toujours Elle a, destin promis aux fragiles amours, Une rivale, hélas !
SPLENDIANO Vraiment ? Et cette rivale ... c'est ?
HAROUN L'inconnue Celle que l'on n'attend pas, Qui vient à l'heure ignorée, Par le dieu Hasard parée Des plus séduisants appâts.
HAROUN et SPLENDIANO (ensemble) Oui, celle qu'on attend pas, etc....
SPLENDIANO Tout va bien !
HAROUN Aime donc Djamileh ! Quant à l'autre, Fais à ton gré, mon cher !
SPLENDIANO Mon goût n'est pas le vôtre ! L'esclave…
HAROUN Eh ! Choisis-moi celle que tu voudras. Couplets Tu veux savoir si je préfère La Mauresque aux yeux languissants, Ou bien la juive au front sévère, Ou la Grecque, ivresse des sens ! Dans mon cœur, foyer plein de cendre, Tout est glacé, je le sens bien ; Mon souvenir y peut descendre, Hélas ! il n'y rallume rien. Que l'esclave soit brune ou blonde, Je cède au charme tour à tour Je n'aime aucune femme au monde ! J'aime l'amour !
SPLENDIANO (se frottant les mains) C'est fort bien dit. Et pour le projet qui me tente, Votre morale est rassurante. Djamileh, tu m'appartiendras !
HAROUN Dans la coupe qu'elle caresse, Ma lèvre en feu n'a qu'un trésor : Le vin qui nous verse l'ivresse Dans l'argile comme dans l'or. Pourvu qu'il ait la même flamme. Le métal peut changer cent fois. Si l'amour parfume non âme, Qu'importe la source où je bois ! Que l'esclave soit brune ou blonde Je cède au charme tour à tour. Je n'aime aucune femme au monde ! J'aime l'amour !
HAROUN et SPLENDIANO (ensemble) Oui, celle qu'on n'attend pas. Qui vient à l'heure ignorée, Par le Hasard est parée. D'irrésistibles appâts. (Paraît Djamileh un peu pensive.)
HAROUN (en lui faisant signe de se taire) C'est elle ! Fais servir le souper, va ! Puis, tu sais…
SPLENDIANO (bas) Oui, oui (à part, en sortant) S'il l'aimait !
HAROUN (prenant la main de Djamileh) Quelle pâleur est sur ta joue ? Quelle ombre furtive a glissé Sur ton front si pur où se joue Un rayon à peine effacé ?
DJAMILEH (sombre) J'ai fait un rêve !
HAROUN (il l’embrasse au front) Enfant !
DJAMILEH (montrant un visage radieux) Ah ! tiens ! tout est passé
HAROUN Mais encore ?
DJAMILEH Je voyais au loin la mer s'étendre Et gronder autour de moi, Vainement je voulais tendre Mes bras défaillants vers toi. Sous mes mains s'ouvrait le vide Et dans le désert des flots La mer couvrait, voix perfide, Mes appels et mes sanglots.
HAROUN Folle !
DJAMILEH Haroun, tu dis vrai peut-être, j'étais folle ! Oui, je sentais en moi comme un pressentiment.
HAROUN (à part) Cette pensée en ce moment ? Peut-elle se douter ?
DJAMILEH Mais un mot, me console Et je dois bénir mon tourment Puisque le rêve qui s'envole Me rend ta voix plus douce et ton cœur plus aimant.
HAROUN (à part) De l'amour ? Pauvre enfant ! (Splendiano rentre précédant les esclaves qui portent et servent le souper.) Chère, laissons-nous vivre. Le sourire fleurit sur ta lèvre ; oublions Les rêves insensés qu'un doute pourrait suivre. Mets-toi là, près de moi, soyons gais et soupons !
SPLENDIANO (épanoui) Bien dit : bien dit : Soupons !
HAROUN L'avenir à son mystère : Qu'il soit funeste ou prospère, Je n'en suis pas soucieux. Cette heure m'est chère, Le vin rit dans mon verre Et le plaisir dans tes yeux !
SPLENDIANO Beauté pure en qui j'espère, Bientôt viendra l'heure chère Où je te dirai mes vœux ! Que le vin coule à plein verre, Philtre charmant qui doit faire Luire l'amour dans tes yeux.
DJAMILEH L'aile d'un rêve est légère Une image passagère Rendait mon front soucieux ! Mais il parle et moi j'espère, C’est un avenir prospère Que mon cœur lit dans ses yeux.
HAROUN (avec bonté) Je veux te voir heureuse, ô Djamileh, Et ton bonheur peut-être Espère encore quelque chose de moi ?
DJAMILEH (surprise) Que puis-je désirer ?
HAROUN La liberté !
DJAMILEH (simplement) Pourquoi ? Je ne demande rien, mon maître ! Je suis heureuse en ta maison ! Mon âme ne saurait connaître De plus radieux horizon De cette âme un instant troublée Toute crainte s'est envolée, Ta voix m'a rendu la raison. Non, non, je ne demande rien, mon maître !
SPLENDIANO (avec entrain, mirant son verre) Oh ! que la vie est bonne et me semble enviable Alors qu'on est à table Et que l'on voit le monde au travers de ceci.
HAROUN Il a raison, buvons ma belle Puisque dans la coupe étincelle Le vin qui charme le souci.
DJAMILEH Aucun souci ne m'inquiète Et pour avoir le cœur en fête Je n'ai besoin que d'être ici !
HAROUN Si ta lèvre repousse Cette blonde liqueur, Djamileh dis-moi quelque chanson. Notre ivresse est plus douce Quand la berce une voix au murmure enchanteur.
DJAMILEH Haroun, ta servante est prête, Ton désir est ma loi !
SPLENDIANO (qui est allé cherché un luth sur lequel il prélude comiquement) (à part) Va, chante pour lui, ma fauvette Bientôt tu chanteras pour moi ! (Il donne le luth à Djamileh.)
DJAMILEH Ghazel Nour-Eddin, roi de Lahore, Est fier comme un dieu, Il est beau comme l'aurore ; Ses veux sont de feu ! Quand son regard, flèche ardente, Est posé sur moi, Je reste toute tremblante, Je ne sais pourquoi Ainsi parlait dans son rêve La naïve enfant ; Aveu timide qu'achève Un cœur triomphant. Lorsque le roi dans la foule S'éloigne à pas lents, Un ruisseau de larmes coule Sous mes cils tremblants. D'où vient l'émoi qui m'agite Et d'où vient aussi Dès que son regard me quitte, Que je pleure ainsi ? Ainsi voulait la pauvre âme Trouver le secret De cette invisible flamme Qui la dévorait.
HAROUN (interrompant doucement Djamileh) L'histoire sans doute est des plus touchantes, J'en sais la fin ... (à part) Cherchons des images riantes. (à Djamileh) Enfant, laissons Dans les buissons La fleur flétrie Et dépensons Gaiement la vie. A nous l'ivresse et la folie Et les chansons.
DJAMILEH, HAROUN et SPLENDIANO Enfant, laissons Dans les buissons La fleur flétrie Et dépensons Gaiement la vie. A nous l'ivresse et la folie Et les chansons.
HAROUN (à Djamileh) Je t'ai interrompue tout à l'heure Tu ne m'en veux pas ?
DJAMILEH Moi, t'en vouloir, Maître !
HAROUN Tu es charmante !
HAROUN Ah ! je t'ai ménagé une surprise !
SPLENDIANO (avec intention) Une jolie surprise !
HAROUN (prenant des mains de Splendiano un collier qu’il passe au cou de Djamileh) Regarde !
DJAMILEH Ah! le beau collier ! Il est digne d'une reine !
SPLENDIANO (à part) Il fait bien les choses !
HAROUN (à Splendiano) Eh ! bien ?
DJAMILEH Ce que j'aime le mieux en lui pourtant c'est ...
HAROUN C'est ?
DJAMILEH La main qui le donne !
HAROUN (faisant un geste d’insouciance, puis prenant la main de Djamileh) Enfant, tu entres dans la vie ; tu es bonne et aimante ; le bonheur t'est promis sans doute, souviens-toi de moi ! (Djamileh le regarde toute interdite.)
SPLENDIANO J'entends vos amis, vous allez jouer encore ce soir ?
HAROUN Comme toujours ! il ne faut pas être inconstant ! (bas) C'est la fin de la comédie, tu m’as compris ?... (Splendiano fait un geste d’assentiment.) C'est bien ! (Haroun va à la rencontre de ses amis.)
CHŒUR DES AMIS Salut ! Seigneur Haroun !
HAROUN (leur serrant les mains) Amis, je vous salue Joyeuse bienvenue A ceux que parmi nous la fortune conduit ! Ah ! Nous allons jouer follement cette nuit ! (Djamileh, qui n’est pas voilée, s’est mise à l’écart ; les amis d’Haroun l’aperçoivent et se la montrent discrètement.)
CHŒUR DES AMIS Quelle est cette belle, Dont l'œil étincelle Et qui s'offre à nous Sans voiles jaloux ? Ses lèvres sont closes Et l'oiseau baiser Sur ce nid de roses Voudrait se poser. (Djamileh se détourne en jetant à Haroun un regard de reproche.)
HAROUN (nonchalamment) C'est Djamileh ! venez !
HAROUN et CHŒUR DES AMIS Tandis qu'une voix austère Nous invite à la prière Du haut du blanc minaret Donnons au plaisir nos heures Et chassons de nos demeures L'ennui, cet hôte indiscret.
SPLENDIANO (à part, avec une joie comique) Vivat ! ma victoire est claire Il n'est plus besoin de taire Mon amour ni mon secret. Je dis : Va-t'en ! Elle pleure. Je dis : Je t'aime ! Et sur l'heure Elle rit ! Le tour est fait ! (Haroun et ses amis sortent, Splendiano les suit.)
DJAMILEH (immobile et pensive) Pourquoi riait-il avec eux en me regardant ? Ces paroles qu'il m'a dites, elles ont retenti en moi comme un adieu. Il me demande un souvenir. A quoi bon, puisque nous ne devons jamais nous quitter ? (Splendiano reparaît.)
SPLENDIANO (à part) A nous deux ! il s'agit d'être à la fois ferme, conciliant, persuasif et... tendre.
DJAMILEH Eh bien ! Haroun ?
SPLENDIANO Il est là, avec ses amis.
DJAMILEH Je n’aime pas ces hommes. Pourquoi m'expose-t-il à leurs regards ?
SPLENDIANO Ne nous occupons pas d'eux. J'ai à te parler... le maître... (il hésite...).
DJAMILEH Où veux-tu en venir ?
SPLENDIANO Ignores-tu ses manières d'agir ?
DJAMILEH Il m'a dit qu'il m'aimait, m'en faut-il davantage ?
SPLENDIANO Il te l'a dit.... comme à d'autres.
DJAMILEH A d'autres !
SPLENDIANO Hé ! Vas-tu croire que, la première, tu as eu le privilège de le séduire. Des caprices, mais il en a de toutes les couleurs, ma chère. Ecoute : chaque mois cette porte se referme sur un vieil amour qui s'en va, et s'ouvre pour un nouvel amour qui vient ; chaque mois une esclave différente répète à Haroun les mêmes sourires et entend de lui les mêmes mensonges.
DJAMILEH Tais-toi. Oh ! Ce n'est pas vrai.
SPLENDIANO Tout est vrai et – faut-il te le rappeler ? – il y a un mois que tu es ici.
DJAMILEH Il me chasse ! Ah !
SPLENDIANO Tu l'aimes donc ?
DJAMILEH (passionnément) Si je l'aime ! Tu ne peux pas savoir à quel point. Toute ma vie est dans mon amour. Mais tu me trompes, tu me tortures à plaisir. Haroun ne me chasse pas. C'est impossible.
SPLENDIANO (gravement) Il ne te chasse pas, en effet, il te met en liberté. Il y a une nuance ; au fond, c'est la même chose. Prend cette bourse, en attendant que tu aies trouvé une autre consolation. Et si tu veux bien chercher, charmante, ce ne sera pas long. (Se posant) Regarde un peu par ici seulement.
DJAMILEH Ne me dis rien. Va t-en !
SPLENDIANO Comme tu prends les choses ! Ecoute-moi donc, je suis sérieux, moi, et capable de m'attacher éternellement.
DJAMILEH Oh ! Tais-toi ! Tais-toi !
SPLENDIANO Je me tairai si tu me parles, si tu me souris ! Haroun est bien loin maintenant. Et il t'a déjà oubliée, lui, je le jure.
DJAMILEH Oubliée, quand là, tout à l'heure... oh ! je rêve !
HAROUN et SES AMIS (dans la coulisse) La fortune est femme Pour qui la réclame. Elle a des rigueurs Et dans ses caprices Souvent aux novices Garde ses faveurs. Mais si le jeu qui nous tente Fait trouver l'heure moins lente, Bon ou mauvais soit le destin, Amis, jouons jusqu'au matin.
SPLENDIANO Tu entends ? Tu as reconnu sa voix. Trouves-tu qu'il soit bien triste ? C'est un ingrat, va ! Tandis que moi, je n’ai qu'une pensée ....
DJAMILEH (Elle s'est prise à réfléchir. Tout à coup elle relève la tête et vient à Splendiano.) Tu prétends m'aimer, Splendiano ?
SPLENDIANO Que veux-tu faire ?
DJAMILEH Sacrifier ma liberté à Haroun. Une autre esclave doit venir ce soir ?
SPLENDIANO Oui.
DJAMILEH Eh bien ! Présente-moi à sa place. En me reconnaissant, Haroun comprendra peut-être qu'il y a au monde un bien plus précieux pour moi que cette liberté.
SPLENDIANO Et.... si je consens ?
DJAMILEH (avec effort) Si tu consens et... qu’il me repousse, eh bien j'aurai tout perdu à la fois : ma liberté et mon amour. Je serai ton esclave.
SPLENDIANO (ravi) Mon esclave ! J'accepte. Ta main.
DJAMILEH La voici !
SPLENDIANO Reste là, cachée. Dans un instant le marchand d'esclaves sera à tes ordres. Je vais tout disposer selon tes désirs (à part, en sortant) et les miens !
DJAMILEH Sans doute, l'heure est prochaine Où je mourrai de ma peine ! Puis-je être heureuse encore ? Quel arrêt vais-je entendre ? Le ciel doit-il me prendre A jamais mon trésor ! Hélas ! une frêle trame Peut-elle enchaîner cette âme ? Illusion d'un jour ! Un seul regard du maître Un seul mot va peut-être Effacer tant d'amour !
HAROUN (de mauvaise humeur) Venez puisqu'il le veut....
n°6 bis. Mélodrame
SPLENDIANO Non ! je ne veux pas vous imposer mon goût. (appelant) Arakel ! le marchand peut entrer. (à Haroun et à ses amis) Ne vous impatientez pas, vous retournerez jouer tout à l'heure. (Entrée du marchand d'esclaves et de sa suite.) Pardieu !... les belles filles !
LE MARCHAND N'est-ce pas ? oh ! le Seigneur Haroun est un homme généreux !...
SPLENDIANO Oui, oui ! nous savons cela…
LE MARCHAND Voyez Seigneur, jetez un coup d'œil sur ces trésors.
HAROUN Vantard ! allons ! je m'en vais.
LE MARCHAND Quoi ! Seigneur ! vous ne souffrirez pas que je vous dise...
HAROUN Eh ! que m'importe ! arrange-toi avec Splendiano.
LE MARCHAND Un seul regard ! (aux musiciens) Allez vous autres ! (à Haroun) Une vraie perle. Seigneur, regardez comme elle danse.
CHŒUR Froide et lente, Indolente, Et les yeux assoupis, Elle pose Son pied rose Sur les fleurs du tapis. Et comme elle Solennelle La musique s'endort. Soupir vague De la vague Baisant le sable d'or Bientôt sonne Et l'étonne L'appel du tambourin Bientôt chante Frémissante La cymbale d'airain La danseuse Paresseuse Tressaille de plaisir. C'est un rêve Qui l'enlève Et qu'elle va saisir. Elle danse Et s'élance Incessant tourbillon Son pas trace Dans l'espace Un lumineux sillon. L'amour voile Double étoile Ses regards languissants Et l'ivresse Qui la presse S'empare de nos sens ! Quand pâmée Blanche almée Elle succombe enfin, Délirante Et mourante Dans son rêve divin.
LE MARCHAND Eh bien, Seigneur !
HAROUN (indifférent) Je ne sais pas, Splendiano décidera. (à ses amis) On nous fait perdre notre temps. (Haroun et ses amis sortent.)
n°7 bis. Sortie d’Haroun et de ses Amis.
SPLENDIANO C'est parlait ! Veux-tu gagner deux cent sequins ?
LE MARCHAND (montrant la danseuse) Oh ! Celle-ci vaut dix fois plus.
SPLENDIANO En ce cas, va t-en, va ! (lui montrant la porte par laquelle est sortie Djamileh) Tu trouveras là une femme ... Obéis lui aveuglément. Elle te dira ce que nous attendons de toi !
LE MARCHAND Que je m'en aille ?
SPLENDIANO Oui. Mais reviens demain avec ta danseuse. On te l'achète. (Il pousse tout le monde hors de scène.) Cette fois Djamileh est à moi.
SPLENDIANO Il faut pour éteindre ma fièvre, Une douce réalité Et je veux boire à pleine lèvre Ta coupe ardente, ô volupté ! Je vois ma maîtresse sourire. Timide elle accepte mes lois. Rêve d'amour, ô délire !... Je ne sais plus ce que je vois ! Doucement nous errons ensemble Sous les ombrages parfumés Je presse sa main, elle tremble ; Ses yeux languissants sont fermés. Je me vois sûr de ma conquête, A peine la défend sa voix ; Rien ne m'émeut, rien ne m'arrête... Je ne dis plus ce que je vois ! (Paraît Djamileh. Elle a revêtu le costume de la danseuse. Son visage est à demi dissimulé sous le voile.) (Paraît Haroun.)
DJAMILEH Je suis prête
SPLENDIANO Tu es fort bien déguisée, il fait nuit pourquoi redouter tant cette épreuve ? (à part) Comme il va rire. Mais chut ! Voilà Haroun.
HAROUN Donne-moi de l'or Splendiano, j'ai perdu.
SPLENDIANO Prenez Seigneur. L'esclave est là.
HAROUN Ah ! jolie ?
SPLENDIANO Sans doute. Il faut pourtant vous dire...
HAROUN C’est bien, plus tard… on m'attend. (apercevant Djamileh) Tiens, c'est la danseuse !
n°8 bis. Mélodrame
SPLENDIANO Si vous saviez…
HAROUN Vas-tu me laisser tranquille ?... Qu’est-ce que tu me veux donc ? (regardant Djamileh) Tout à l'heure si provocante et maintenant tremblante et inquiète ! c'est singulier ! Hé ! mignonne, t'aurait-t-on dit du mal de moi ? (Il veut la prendre dans ses bras, elle se dérobe et s’enfuit vers le fond.)
SPLENDIANO Voulez-vous… il ne m’écoute pas !
HAROUN (la poursuivant) Sauvage ! comme elle s'enfuit ! (il s’arrête puis riant) Mais c'est délicieux cette révolte ! Je reste !
SPLENDIANO Un mot, je vous prie…
HAROUN (vivement, donnant sa bourse à Splendiano) Prends cet or, va jouer à ma place, va.
SPLENDIANO Mais...
HAROUN (impatienté) Obéis donc et tais-toi.
SPLENDIANO (à part, sortant) Après tout je suis tranquille ! je sais bien qu'il la congédiera.
HAROUN (à part) Est-ce la crainte, est-ce un caprice Qui l'éloigne de moi ? J'en veux faire l'épreuve.
DJAMILEH Nuit, sois-moi propice, Protège mon audace !
HAROUN (avec entrain, à Djamileh) Elle a peur, sur ma foi ! Nous sommes seuls : le ciel est plein d'étoiles C'est l'heure qui plaît à l'amour ; Ne tremble pas, laisse tomber tes voiles, Le temps du bonheur est si court.
DJAMILEH (suppliant) Seigneur, de grâce, Laissez, laissez Mes yeux baissés. De pleurs récents vous dérober la trace.
HAROUN Ici le plaisir doit remplacer la douleur ; Tes larmes ! je les veux essuyer de mes lèvres, Et ces regards dont tu me sèvres Je veux en éprouver la magique douceur.
DJAMILEH La frayeur me glace !
HAROUN L'esclave dont tu prends ici la place Avait moins de rigueur Et je l'aimais.
DJAMILEH (vivement) Seigneur, si vous l'aimiez, Pourquoi l'avoir bannie ? (à part) Ah ! je crains de m'être trahie !...
HAROUN Si j'ai dit que j'aimais, ma chère, entendons-nous… Je n'ai pas enchaîné ma vie. Etre libre est un bien plus doux. Lorsque ma maîtresse est partie, Il ne restait rien entre nous, Rien... qu'un souvenir de tendresse. Avec sa dernière caresse Nos liens s'étaient brisés tous ! (Djamileh essuie furtivement une larme.) (Haroun surpris) Elle pleure ! (allant vers elle) Pourquoi pleurer ? T'ai-je offensée ?
DJAMILEH (entraînée) Ah ! vous êtes cruel ! (Elle s’éloigne.)
HAROUN Mais, qu'as-tu donc ? Quoi ! tu me fuis encor ? (Il la suit. Un rayon de lune éclaire soudainement Djamileh.) (frappé d’étonnement) (presque parlé) Ah ! Djamileh !... Oui c'est elle !... Insensée, Elle m'aimait !
DJAMILEH (à part, douloureusement) J'espère en vain… son cœur est mort !
HAROUN (à part, avec passion) Si l'amour était un mensonge, Me sentirais-je ainsi troublé ? Bonheur qui me souris, si tu viens dans un songe Ah ! que je meure avant qu'il se soit envolé.
DJAMILEH (à part) Qu'à ma tremblante voix sa colère réponde. Que m'importe aujourd'hui ? Avant d'aller dormir sous la vague profonde, Je veux me révéler à lui. (avec intention) Cherchant des monts à la plaine Son cœur envolé. Elle allait contrant sa peine Au ciel étoilé. Et sans qu'on en su la cause, Cette fleur d'amour Se flétrit comme une rose Aux ardeurs du jour. Ainsi mourut l'innocente Dans soir rêve d'or, A sa vision charmante Souriant encore. (à part) Il se tait ! (allant vers lui et d’un ton suppliant) Maître ! Grâce !
HAROUN Ah ! je t'ai reconnue ! (luttant contre lui-même) Mais non ! En vain tu seras revenue... Je ne veux pas aimer. (à part) Non, ce mot qu'elle attend Je ne le dirai pas. (résolument et avec violence) Va-t'en !
DJAMILEH (avec désespoir) Il se jouait de moi ! (d’une voix brisée) L'amour était ma vie Mon espérance m'est ravie. Mieux que la liberté, c'était toi que j'aimais ! Adieu maître !... adieu pour jamais ! (Elle s’éloigne puis chancelle et tombe dans les bras d’Haroun accouru pour la recevoir.)
HAROUN (hors de lui) Ah ! chère enfant, c'était une épreuve, Djamileh ! mon âme, mon seul bien ! Il ne me faut plus d'autre preuve. En comprenant ton cœur, j'ai retrouvé le mien. Ta lèvre parfumée Peut cesser de mentir ; mon doute est terrassé, Douce bien-aimée, Revenons pour jamais aux beaux jours du passé ! Oui, c'est trop, je cède Au plus doux transport. L'amour me possède. Mon cœur n'est pas mort.
DJAMILEH Je triomphe. Il cède A son doux transport. L'amour le possède Son cœur n'est pas mort
HAROUN et DJAMILEH Pour toi je veux vivre Ta voix qui m'enivre A fixé mon sort.
DJAMILEH Ta voix chérie, ta voix m'enivre Je veux vivre pour t'aimer Ah viens !
HAROUN Je t'aime Ah viens ! (Splendiano a paru, il fait un geste de désespoir comique. Derrière lui se montrent les amis d’Haroun, à leur vue, Haroun ramène sur le visage de Djamileh le voile qu’elle avait laissé tomber sur ses épaules, puis il passe doucement avec elle.) (Rideau.)
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