Théâtre National de l'Opéra de Paris

(Palais Garnier)

 

 

le Nouvel Opéra, boulevard des Capucines (lithographie)

 

=> Histoire de l'Opéra de Paris

=> les ateliers et magasins de décors, boulevard Berthier

 

Après avoir occupé différentes salles, le Théâtre de l'Opéra s'installa dans l'immeuble dû à l'architecte Charles Garnier, construit de 1861 à 1874 et inauguré en 1875. Sa façade principale comprend un rez-de-chaussée élevé au-dessus des marches d'un perron et percé de sept arcades. Il est surmonté d'une loggia avec seize grandes colonnes monolithes en pierre, reliées par des balcons et accompagnées par dix-huit colonnes en marbre. Le tout est surmonté d'un attique richement sculpté. Cette façade polychrome est très richement ornée de bustes, de statues et de groupes. Citons : le Drame, de Falguière ; le Chant, de Dubois ; l'Idylle, d’Aizelin ; la Cantate, de Chapu ; la Musique, de Guillaume ; la Poésie lyrique, de Jouffroy ; le Drame lyrique, de Perraud ; la Danse, de Carpeaux. Les deux angles des avant-corps sont surmontés de groupes dorés représentant la Musique et la Poésie avec les Muses, par Gumery. Le dôme qui s'élève au centre de l'édifice est orné d'un Apollon de Millet. Quant aux façades latérales, où se trouvent des pavillons, elles sont décorées de bustes de musiciens et de figures symboliques. A l'intérieur du théâtre, on admire surtout le grand escalier d'honneur, qui est un chef-d’œuvre, avec ses trente colonnes monolithes en marbre, et les fresques du plafond, par Pils. La salle, à cinq étages, est d'une riche ornementation et entourée d'une belle frise de Lenepveu. La scène, qui a 60 mètres de hauteur sur 55 de largeur et 25 de profondeur, communique avec le foyer de la danse décoré de peintures par Boulanger. Le foyer du public, très vaste et très beau (54 m. de long, 18 m. de haut et 13 m. de large), est décoré de statues dorées et de peintures renommées dues à Paul Baudry. La bibliothèque est l'une des plus riches du monde. Le musée conserve des souvenirs d'artistes célèbres, ainsi que des manuscrits, des portraits, des maquettes.

 

Un décret, du 29 septembre 1860, déclara d'utilité publique la construction, sur un emplacement qui lui fut spécialement affecté - celui de la place de l'Opéra - d'une très belle salle destinée à remplacer l'Opéra de la rue Le Peletier.

Un délai d'un mois seulement avait été accordé aux architectes pour fournir leurs projets ; les concurrents en présentèrent 171, sur lesquels 43, puis 16, puis 7 et, enfin, 5, furent retenus. Charles Garnier fut désigné à l'unanimité comme lauréat du nouveau concours chargé de départager les auteurs de ces cinq derniers projets. Il reçut 1 500 francs pour le sien.

La première pierre de l'Opéra fut posée le 21 juillet 1862. Dès le début, les travaux furent contrariés par les eaux du sous-sol pouvant provenir de la nappe d'infiltration de l'ancien bras de la Seine qui, jadis, passait dans le voisinage. Huit pompes à vapeur travaillèrent huit mois à épuiser l'eau ; des puits furent forés à 7,50 mètres au-dessous du niveau moyen de cette nappe afin de permettre la construction de la cuve étanche, en béton, ciment, briques et bitume, voûtée en berceau, qui coiffe un petit lac souterrain et qui supporte actuellement le bâtiment de la scène avec ses « dessous » et ses « grils ».

Pendant le siège de Paris, la salle, inachevée, servit d'entrepôt à 4 500 tonnes de vivres ; peu après, sous la Commune, les Versaillais l'utilisèrent pour tirer sur les Fédérés qui avaient établi des barricades rue Meyerbeer.

Le théâtre fut inauguré le mardi 5 janvier 1875, en présence du maréchal de Mac-Mahon, du jeune roi d'Espagne Alphonse XII, de sa mère, la reine Isabelle, de l'ex-roi de Hanovre, du lord-maire de Londres qui fit une entrée éclatante et du bourgmestre d'Amsterdam. On y joua des passages de la Juive, de la Muette de Portici de Guillaume Tell, des Huguenots et le ballet la Source, de Delibes. Charles Garnier avait dû payer sa place, une deuxième loge (120 francs).

L'Opéra est, par sa superficie, le plus grand théâtre du monde. Dimensions : 172 mètres de long, 101 de large, 79 de haut depuis le sol du cinquième dessous jusqu'au sommet de la lyre d'Apollon, d'Aimé Maillet, qui domine le pignon de la scène. Il contient 5 « dessous », 3 « grils » pour la manœuvre des décors 5 « services » ou passerelles, un grand réservoir d'eau ou « grand secours » alimenté par le réservoir de Montmartre, pouvant déverser 420 mètres cubes d'eau par heure. Il contient 2 156 places ; on y compte 1 606 portes, 7 593 clefs, 334 loges d'artistes, 450 cheminées et 6 319 marches. Coût : 35 400 000 francs sur lesquels Garnier toucha 2 % d'honoraires.

Façade principale sur la place de l'Opéra : vestibule de sept arcades décorées de statues, dont la Danse de Carpeaux qui souleva d'ardentes polémiques au point qu'un mécontent brisa contre ce groupe un encrier ; loggia à colonnes corinthiennes ; attique bordé de masques.

Façade latérale sur les rues Halévy et Gluck avec le pavillon de l'entrée des abonnés.

Façade nord sur les rues Gluck et Auber avec l'entrée de l'administration, du personnel et des décors.

Façade latérale sur les rues Auber et Scribe avec le pavillon d'honneur (aujourd'hui musée et bibliothèque de l'Opéra) prévu pour Napoléon III et qui communiquait avec sa loge.

A l'intérieur : le grand escalier, le grand foyer (54 m de long, 13 m de large, 18 m de haut), la salle, rouge et or, à cinq étages de loges, la scène (26 m de large, 52 m de profondeur et 60 m de haut) communiquant avec le foyer de la danse.

Théâtre restauré et modernisé en 1936-1937 et 1952. Deux seuls accidents à noter depuis qu'il a été construit : la chute d'un contrepoids du lustre qui tua une spectatrice des quatrièmes galeries, le 20 mai 1896, et un incendie, le 23 décembre 1950, qui fut maîtrisé en un quart d'heure. La première illumination de sa façade eut lieu en 1900 ; elle coûta 600 francs.

 

 

plan de l'Opéra

 

coupe transversale de l'Opéra, plan de Charles Garnier

 

Coupe longitudinale de l'Opéra, dessin de Karl Fichot et Henri Meyer, gravure de F. Méaulle (le Journal Illustré, 28 février 1875). De gauche à droite : l'entrée, le grand foyer, le grand escalier, la salle, les décors et la scène, les foyers du chant et de la danse.

 

esquisse réalisée par le bureau de Charles Garnier de l'entrée du musée et de la bibliothèque de l'Opéra, initialement prévue pour les salons de Napoléon III

 

 

 

un aspect de l'Opéra en construction

 

 

 

 

état des travaux en 1865

 

 

 

 

derrière cet immense écran, on travaille à la décoration extérieure de la façade

 

 

 

 

le percement de l'avenue de l'Opéra en 1867 ; l'arasement de la butte des Moulins découvre la façade de l'édifice non encore achevé

 

 

 

 

travaux en cours vers 1870

 

 

 

 

Les toits ne sont pas terminés ; les travaux dureront de longs mois encore.

 

construction de la façade ouest, rue Auber (1874)

 

 

 

 

Nouvel Opéra.

Incessamment vont être repris les travaux qui restent à terminer au nouvel Opéra, lesquels consistent dans l’achèvement de quelques travaux de décoration intérieure, l’aménagement de certaines pièces des dépendances, la décoration du foyer-glacier, la construction de l’ascenseur qui doit servir à monter, jusqu’au dernier étage des places, les personnes âgées ou infirmes. – On mettrait aussi en état le pavillon de gauche où l’on ne voit que la pierre brute. Ce pavillon, qui était destiné au chef de l’Etat, devait être très richement décoré, et les travaux artistiques avoir une grande importance.

(la Semaine des constructeurs, 10 février 1877)

 

Les travaux du nouvel Opéra.

Le budget des travaux publics ne prévoit en 1878 aucune allocation spéciale aux travaux qui peuvent être reconnus nécessaires au nouvel Opéra.

Il en est cependant qui, en raison de circonstances particulières, présentent un caractère d’urgence et qu’il conviendrait de ne pas ajourner indéfiniment.

Le foyer et le grand escalier sont en communication avec une galerie occupée par le glacier. Cette galerie a un parquet en planches de sapin usées et effondrées, des murs sales recouverts de papier gris, un plafond inachevé, un mobilier d’un aspect misérable. Il serait convenable qu’elle fût immédiatement mise en état de recevoir les visiteurs qu’attirera à Paris l’Exposition de 1878, et par ces motifs la commission du budget a proposé de consacrer, l’année prochaine, à cette amélioration une somme de 100.000 francs.

Depuis 1870, on n’a affecté aux travaux que les sommes nécessaires pour mettre l’édifice en état de remplir son rôle d’Académie de musique. On a laissé inachevées les parties appropriées, d’après le programme du concours, au service particulier du chef de l’Etat. Après 1870, on s’est borné à terminer le gros œuvre de l’intérieur, et le pavillon de gauche, resté inachevé, n’a encore reçu aucune destination.

Il serait possible cependant d’utiliser les dépenses faites, en installant dans ce pavillon indépendant la riche bibliothèque musicale et dramatique, les précieuses collections d’estampes et de costumes que possède l’Opéra et dont la garde est confiée à un archiviste et à un bibliothécaire nommés par le ministre des beaux-arts.

La commission du budget recommande donc au gouvernement l’étude de ces dispositions, qui permettraient d’enrichir Paris, peu à peu et sans grandes dépenses, d’une nouvelle bibliothèque publique consacrée à l’histoire du théâtre et de la musique.

(la Semaine des constructeurs, 09 juin 1877)

 

Le nettoyage de l’Opéra.

Depuis quelques jours, des échafaudages de badigeonneurs ont été descendus du faîte de l’Opéra le long de sa façade, et l’on a opéré le nettoyage de certaines parties du monument de M. Garnier. On sait que la façade de notre Académie de musique se compose d’éléments différents ; la pierre s’y trouve côtoyée par le marbre, le bronze et la dorure ; aussi emploi-t-on pour chacune de ces parties des procédés de nettoyage différents.

La pierre est lavée soit à l’eau simple, soit à l’eau seconde, soit même frottée à la pierre ponce ; les bustes de nos grands musiciens sont passés à l’huile, pour déjouer les attaques de la pluie ; quant aux colonnes en marbre, elles sont lavées d’abord avec le plus grand soin, ensuite passées à l’encaustique, ce qui leur donne un brillant des plus agréables.

Il n’est pas question, pour le moment, de nettoyer les dorures ; elles font bon effet, d’ailleurs, bien que le grand air les ait quelque peu altérées, et par cela même d’après l’opinion de l’architecte.

(la Semaine des constructeurs, 28 juillet 1877)

 

 

 

 

l'Opéra de Paris photographié par Charles Marville (1813-1879)

 

 

 

 

Avant que l'incendie du 28 octobre 1873 eût détruit la salle de la rue Le Peletier, on s'était préoccupé de faire bâtir un théâtre plus vaste et plus digne de sa destination. Un décret du 29 septembre 1860 avait déclaré d'utilité publique la construction d'une nouvelle salle d'Opéra sur un emplacement sis entra le boulevard des Capucines, la rue de la Chaussée-d'Antin, la rue Neuve-des-Mathurins et le passage Sandrié. Un arrêté du 29 décembre de la même année ouvrit un concours et en détermina les conditions. Au bout d'un mois, délai accordé aux concurrents, 171 projets, formant un total de 700 dessins et vues, furent présentés et exposés. M. Charles Nuitter, archiviste de l'Opéra, nous fournit sur ce concours les détails suivants : 43 projets furent retenus d'abord, puis, par de nouveaux examens, les admissions furent réduites à 16 et enfin à 7. Voici les devises et les noms des auteurs de ces premiers projets :
N° 6. Denique sit quodvis simplex duntaxat et unum. (M. Ginain.)
N° 17. L'art élève l'âme. (M. Garnaud.)
N° 29. Forum ædibus, non autem ædes foro. (M. Duc.)
N° 31. L'architecture est l'histoire vivante des nations. (M. Hénard.)
N° 34. Nourri dans le sérail, j'en connais les détours. (MM. Botrel et Crépinet.)
N° 38. Bramo assai, poco spero. (M. Ch. Garnier.)
N° 40. Rudis indigestaque moles. (M.Tètaz.)
Cette dernière décision n'accordait pas le grand prix.
Le jury supprima encore deux projets, le n° 31 et le n° 40, et exprima le vœu qu'un nouveau concours, qui aurait pour récompense l'exécution de l'édifice, fût ouvert entre les auteurs des cinq derniers projets réservés et primés.
A la suite de ce concours définitif, M. Ch. Garnier fut choisi à l'unanimité par le jury, composé, sous la présidence de M. le comte Walewski, de MM. Lebas, Gilbert, Caristie, Duban, de Gisors, Hellorf, Lesueur et Lefuel, membres de l'Académie des beaux-arts (section d'architecture), et MM. de Cardaillac, Questel, Lenormand et Constant Dufeux, membres du conseil général des bâtiments civils. Dès le lendemain, de cette décision,M. Ch. Garnier se mit à l'œuvre et fit les premières études d'exécution.
M. Ch. Nuitter fait ainsi qu'il suit l'historique de la construction.
« Au mois de juillet 1861, les géomètres de la ville procédèrent au tracé des rues et déterminèrent le périmètre de l'édifice. En août, on commença les fouilles. En même temps, on avait construit à la hâte un petit bâtiment élevé d'un seul étage. C'était l'agence des travaux. Cette modeste bâtisse était l'âme du nouvel Opéra. Bicoque provisoire dont quelques coups de pioche devaient disperser les débris, c'était comme l'œuf d'où allait sortir, pour se développer et dominer Paris, l'immense ensemble des constructions du nouvel édifice. »
C'est dans cette agence des travaux que s'accomplit un labeur incessant ; c'est là que furent conçus et exécutés ces innombrables dessins, plans, coupes, élévations, détails et croquis de toute sorte, qui retraçaient au centième, au dixième, puis à grandeur d'exécution, toutes les parties du bâtiment, toutes les sculptures, tous les ornements, tons les profils. Dès 1866, on avait atteint le chiffre prodigieux de 30.000 dessins grand aigle, représentant une longueur de 33 kilomètres.
Dès le début de ces vastes travaux, on avait à lutter avec une des principales difficultés de l'entreprise. On savait que dans le sol, on allait rencontrer les eaux. Il était, toutefois, impossible de prévoir l'abondance de la nappe, sa hauteur, sa vitesse. Les constructions édifiées dans les environs ne pouvaient fournir une base aux calculs, car une partie des fondations du nouvel Opéra devait être poussée à une profondeur exceptionnelle.
Un théâtre dont les dessous ne doivent se prêter qu'à des manœuvres restreintes, dit M. Ch. Nuitter, est un édifice comme un autre et peut être construit dans telles conditions qu'imposé à l'architecte la nature du terrain ou la volonté des propriétaires. Les différents théâtres de Paris offrent à cet égard une diversité parfaite. Dans les uns, le parterre est de niveau ou à peu près avec la voie publique. Tels sont les Variétés, le Gymnase-Dramatique, le Vaudeville. Le public doit monter une douzaine de marches à l'Opéra-Comique, aux Français, à la Gaîté.
Certains théâtres, comme le Palais-Royal, les Bouffes-Parisiens, la Renaissance, sont édifiés au-dessus de passages, de cafés, etc.
Dans ceux-ci, les dessous ne sont, en réalité, qu'un entresol, où le plus grand effet des machines consiste à faire paraître ou disparaître un personnage ou un meuble. Une seule salle, celle de l'Athénée, est placée en contrebas. Le niveau de la rue correspond à celui des deuxièmes loges. Malgré cette disposition exceptionnelle, les dessous ne pénètrent pas au delà des profondeurs d'une cave ordinaire. Au nouvel Opéra, les dessous, construits en prévision des effets les plus compliqués de la mise en scène, devaient permettre de faire disparaître d'une seule pièce et sans brisure un décor haut de 15 mètres. Il fallait donc, en ajoutant à ce chiffre la hauteur des constructions nécessaires pour établir le sol des dessous, que l'ensemble fût porté à 20 mètres au-dessous du niveau de la scène, et, d'autre part, afin que le public n'eût pas trop d'étages à monter, il convenait que le niveau de la scène ne fût pas trop élevé.
A la salle de la rue Le Peletier, il y avait soixante-trois marches pour arriver du vestibule aux premières loges. Au nouvel Opéra, ce nombre n'a pas été modifié. Par contre, les dessous, qui dans l'ancienne salle pénétraient à une profondeur de 11 mètres, ont dans celle-ci une profondeur de 15 mètres, non compris les fondations inférieures.
C'est donc, dit M. Nuitter, au milieu d'un sol envahi par les eaux qu'il fallait faire pénétrer un ensemble de fondations à la fois parfaitement solide, puisque certaines parties devaient soutenir un poids de 10 millions de kilogrammes, et parfaitement asséché, puisque ces vastes sous-sols devaient abriter des toiles, des bois couverts de peintures et de dorures et des agents mécaniques multiples et délicats, sans que l'éclat des unes et la précision des autres eussent à souffrir de l'humidité. Ce fut le travail d'un an. L'épuisement eut lieu au moyen de huit machines à vapeur d'une force totale de quarante-huit chevaux ; les puits avaient été forés à 7 mètres et demi au-dessous du niveau moyen de la nappe d'eau. Ce travail fut continué jour et nuit, sans interruption, du 2 mars au 13 octobre. On avait pu constater alors que la nappe d'eau contre laquelle il fallait lutter avait 5 mètres de hauteur. Pour se faire une idée du volume d'eau expulsé, il faut se représenter en surface la cour du Louvre et en hauteur une fois et demie les tours de Notre-Dame. A la suite de ces travaux, tous les puits du quartier furent taris dans un rayon de plus de 1 kilomètre. Le battage des pieux fut opéré au moyen de deux sonnettes à déclic, mues à bras d'hommes et de deux sonnettes à vapeur. Ce travail dura du 6 novembre 1861 au 21 mai 1862.
Le 21 juillet 1862, le comte Walewski, ministre d'Etat, avait procédé a la pose de la première pierre apparente du nouvel Opéra. A la fin de l'année, les travaux des fondations étaient terminés. On y avait employé 165.000 journées d'ouvrier, dont 130.000 pour la maçonnerie, et de plus de 2.300 nuits pour les travaux d'épuisement.
Les travaux furent poussés simultanément sur tous les points du bâtiment, sans autre interruption que celles qui pouvaient être imposées par les gelées ou par l'insuffisance des crédits. Toutes les parties de l'édifice devaient être, autant que possible, élevées de niveau, afin d'éviter les tassements. Dès le début, il avait fallu, en outre, prévoir et étudier les exigences de la dernière heure ; réserver dans les murs et dans les voûtes les vides nécessaires pour organiser plus tard le chauffage et la ventilation ; en même temps, les travaux artistiques étaient commandés. Dès 1863, MM. Perraud, Lequesne, Gumery, Guillaume, Jouffroy, Carpeaux étaient désignés pour les travaux de sculpture ; MM. Baudry, Pils, Lenepveu, Boulanger, pour les travaux de peinture.
En 1863, l'édifice était monté au-dessus du bandeau du premier étage. En 1864, les murs des pavillons étaient élevés, les colonnes de la façade étaient à peu près terminées. En les pavillons et les bâtiments de l'administration étaient couronnés de leur entablement. En 1866, on en était aux ravalements du sixième étage. Les grandes poutres des combles de la scène étaient arrivées à pied d'œuvre. En 1867, les crédits ayant été restreints, tous les efforts furent portés sur l'achèvement extérieur. Malgré tout, en 1868, la couverture était encore inachevée. Le bâtiment ne fut couvert qu'en 1869. A cette époque, les journées des ouvriers employés depuis le commencement des travaux s'élevaient à 1.107.632, à quoi il fallait ajouter 2.359 nuits pour les travaux d'épuisement de 1862 à 1863.
Les événements de 1870 vinrent interrompre les travaux du nouvel Opéra au moment où ils pouvaient prendre le plus vif essor. L'édifice allait recevoir, pendant quelques mois, des destinations bien diverses et bien inattendues. D'abord, les médecins du théâtre se réunirent pour étudier l'organisation d'une ambulance ; bientôt, l'investissement s'opérant, l'Opéra devint un vaste magasin militaire, où furent entassés les approvisionnements les plus divers. L'ensemble des marchandises et des approvisionnements ainsi emmagasinés représentait le poids total de 4 millions et demi de kilogrammes. Nous en donnons le détail à la fin de notre article.L'Opéra n'eut à souffrir ni du siège ni de la Commune. Il s'élevait et se terminait de façon à être livré le 1er janvier 1876. L'incendie de l'ancienne salle, survenu le 28 octobre 1873, fit activer les travaux dans une proportion inusitée, et M. Garnier put livrer l'édifice au mois de décembre 1874. Il fut inauguré en plein ordre moral, le 5 janvier 1875, sous le ministère de M. de Cumont.
Passons à la description de l'édifice.
La façade principale de l'Opéra est d'un effet saisissant. Au-dessus des marches du perron, en pierre de Saint-Ylie, s'élève le rez-de-chaussée en liais, orné de ses groupes et de ses statues. Au-dessus s'étend la loggia. Les seize colonnes monolithes, en pierre de Bavière, ressortent sur un fond en pierre rouge du Jura. Au premier jour, leur blancheur éblouissante tranchait d'une façon trop crue sur le reste ; mais l'architecte savait bien que, pour ces colonnes comme pour d'autres parties de l'œuvre, le temps se chargerait d'adoucir les tons et de les ramener à leur juste valeur. Comme l'a si justement dit M. Charles Garnier dans son ouvrage A travers les arts, l'architecte fait les monuments, mais c'est le temps qui les parfait. Ces colonnes sont reliées par des balcons en pierre polie de l'Echaillon, portées sur des balustres en marbre vert de Suède. Elles sont accompagnées par dix-huit colonnes en marbre fleur de pêcher, aux chapiteaux en bronze doré de deux ors. Ces dernières colonnes soutiennent un rideau en pierre du Jura, percé d'œils-de-bœuf où sont placés des bustes en bronze doré, et orné de consoles, simple motif de décoration qui ne remplit pas l'office de soutien, mais seulement celui de tenture polychrome, destinée à abriter la loggia et ses promeneurs. Le fond des sculptures de la façade principale est incrusté de mosaïques dorées qui, selon les effets du soleil ou par un beau clair de lune, animent l'ornementation de leurs reflets changeants, tantôt scintillant vivement, tantôt découpant à travers une sorte de transparence les arabesques et les figures. Plus haut règne, sur toute la façade, une rangée de masques antiques en bronze doré. Enfin, au-dessus de bandeaux en marbre de brocatelle violette s'élèvent de chaque côté les groupes, également en bronze doré, qui dominent les angles. Plus loin, enfin, s'élève le grand pignon de la scène, terminé de chaque côté par les Pégases de M. Lequesne et dominé par le groupe de M. Millet, qui représente Apollon élevant sa lyre d'or.
Les groupes en bronze doré de l'attique représentant. l'Harmonie et la Poésie sont l'œuvre de Gumery. Les masques sont la dernière œuvre de M. Klagman. Les figures des frontons des avant-corps, l'Architecture et l'Industrie d'un côté, la Peinture et la Sculpture de l'autre, ont été sculptées par MM. Petit et Gruyère. Celles qui soutiennent les médaillons de l'attique sont de M. Maillet. Les sculptures d'ornement qui les entourent sont de M. Villeminot. MM. Chabaud et Evrard ont été chargés de l'exécution des sept bustes en bronze doré des œils-de-bœuf de la façade, représentant : Mozart, Beethoven, Spontini, Auber, Rossini, Meyerbeer et Halévy. Dans les tympans du rez-de-chaussée, les quatre médaillons représentant les profils de Bach, Haydn, Pergolèse et Cimarosa ont été sculptés par Gumery.
Les quatre statues du perron personnifient le Drame (M. Falguière), le Chant (MM. Dubois et Valsinelle), l'Idylle (M. Aiselin), la Cantate (M. Chapu).
Enfin, les quatre groupes sont l'œuvre de M. Guillaume (la Musique), de M. Jouffroy (la Poésie lyrique), de M. Perraud (le Drame lyrique) et de M. Carpeaux (la Danse). On a souvent reproché à M. Garnier le luxe qu'il a mis à décorer la façade principale du nouvel Opéra. On lui a fait un crime d'avoir prodigué l'or, d'avoir recherché des effets d'un goût discutable au moyen de tons criards.
Le savant architecte a fait bonne justice de ces accusations dans le livre qu'il a publié sur l'Opéra.
Tous ceux qui, sans parti pris et de bonne foi, ont examiné attentivement chacune des parties de la façade principale donneront raison à M. Garnier contre ses détracteurs. Nul avant lui n'avait mieux fait ; nul aujourd'hui, parmi tous les jaloux qu'il a ameutés, ne ferait aussi bien. Ainsi que M. Garnier l'avait prévu, quelques années ont suffi pour donner à son œuvre la teinte qu'il avait voulu réaliser. L'œuvre est de tous points parfaite.
Nous n'y reviendrons que pour ajouter que la façade principale est éclairée par quatre grands candélabres en bronze exécutés, d'après les dessins de l'architecte, par MM. Corbon et Hurpin. Réparons aussi une omission en disant que M. Ernest Barrias a sculpté les masques placés au bas des consoles en pierre du Jura.
Les façades latérales sont d'une ornementation plus sobre que celle de la façade principale. L'emploi des marbres y est plus rare. Les balustrades des fenêtres sont, au rez-de-chaussée, en pierre de Sampax ; au premier étage, en marbre vert de Suède. Sous la corniche court un bandeau de marbre de Serravezza. Le chéneau est en bronze. Tout le reste est en pierre.
Parmi les obligations imposées par le programme, on demandait à l'architecte une entrée pour le chef de l'Etat, absolument distincte des autres services et donnant accès, en montant un petit nombre de marches, au point le plus rapproché de la loge d'avant-scène. On demandait aussi une entrée à couvert pour les voitures du public. On demandait enfin que ces entrées fussent placées latéralement et en retraite de la façade principale.
Ces exigences, dit avec raison M. Charles Nuitter, ne laissaient pas que de créer d'assez grandes difficultés. M. Garnier s'en est tiré de la manière la plus heureuse en imaginant les pavillons, qui donnent un aspect si élégant aux façades latérales.
Le pavillon placé du côté de la rue Scribe est muni d'une double rampe qui permet aux voitures de s'arrêter dans le vestibule clos et couvert, situé à la hauteur des loges du rez-de-chaussée et d'où quelques marches conduisent à la loge de l'avant-scène.
Chaque façade latérale est décorée de douze bustes de musiciens, placés dans une niche circulaire dont le fond est revêtu de marbre rouge du Jura. Aux extrémités des façades latérales, les frontons sont ornés de figures, qui personnifient la Comédie et le Drame, la Science et l'Art, le Chant et la Poésie, la Musique et la Danse. De chaque côté, l'enceinte périmétrique du bâtiment est déterminée par une balustrade en pierre polie de Saint-Ylie, avec balustres en marbre bleu turquin pâle, placée à l'alignement des rues Gluck, Halévy, Auber et Scribe. Ces balustrades sont coupées par onze entrées de grilles de simple caractère ; elles sont surmontées de vingt-deux statues lampadaires en bronze et de huit colonnes en marbre bleu turquin foncé qui portent chacune trois lanternes.
Du côté gauche, dont la double rampe carrossable a modifié nécessairement l'aspect, deux colonnes rostrales en granit d'Ecosse ornent l'entrée du pavillon. La façade postérieure a un aspect tout particulier. De ce côté, l'édifice est borné par un mur circulaire. Une grande porte monumentale, deux autres fermées par de simples grilles et servant à l'entrée et à la sortie des chariots de décors, enfin deux petites portes latérales donnent accès dans la cour de l'administration. C'est par là que l'on pénètre dans les dépendances où sont installés les innombrables services du théâtre, les bureaux, une partie des loges d'artistes et des magasins.
La toiture du nouvel Opéra présente dans son ensemble une surface de 15.000 mètres. La crête d'un toit est ordinairement un étroit espace où les couvreurs et les fumistes ne circulent qu'avec quelques précautions. Sur la scène de l'Opéra, la toiture est terminée par une longue plate-forme de plus de 2 mètres de large, où l'on peut se promener à l'aise ; elle est bornée d'ailleurs par de gros murs de 1m,50 d'épaisseur, qui, s'élevant au-dessus de la pente, donnent une impression de sécurité complète et permettent de considérer sans vertige l'immense panorama qui se déroule de tous côtés.

Intérieur de l'édifice. Du côté de la façade principale, après avoir monté les dix marches du perron, franchi les grilles qui ferment les grandes baies et dépassé les doubles portes formant tambour, on se trouve dans un grand vestibule éclairé par quatre groupes de lanternes reposant sur des gaines de marbre Beyride et ornés des quatre statues assises de Lulli, Rameau, Gluck et Hændel, qui personnifient la musique italienne, la musique française, la musique allemande et la musique anglaise. Ce grand vestibule, accompagné de deux autres vestibules de forme octogonale très remarquables par la coupe nouvelle et ingénieuse de leurs voûtes, est d'un aspect très simple et très grandiose. Dix marches en marbre vert de Suède donnent accès à un second vestibule destiné au service du contrôle et orné de gracieux candélabres et de huit panneaux sculptés et complétés par de belles plaques en marbre de Sarrancolin. Là, on voit en face de soi le grand escalier et, de chaque côté, les escaliers secondaires conduisant à tous les étages de la salle.
Lorsque l'on entre par le pavillon servant à la descente à couvert des voitures, on trouve d'abord à gauche une galerie close, chauffée l'hiver ; c'est là que l'on attend l'ouverture des bureaux. Les abonnés et ceux qui ont loué leur place à l'avance prennent un autre chemin. Traversant successivement une double série de portes à tambour, ils pénètrent dans un vaste vestibule circulaire, situé juste au-dessous de la salle. La voûte de ce vestibule est supportée par seize colonnes cannelées en pierre du Jura, ornées de chapiteaux en marbre blanc d'Italie, qui forment tout autour de la salle un portique garni de bancs. Cette salle d'attente est ornée d'appliques et de suspensions en bronze d'un bel aspect, ainsi que de vases exécutés à Sèvres sur les dessins de l'architecte. A gauche, trois galeries conduisent au grand escalier. Celle du milieu aboutit au-dessous de la voûte du palier central, où un bassin garni de fleurs est orné de la pythonisse en bronze de Marcello ; de chaque côté se présentent les rampes du grand escalier conduisant par vingt marches à la hauteur du vestibule de contrôle. Enfin, du côté de la rue des Mathurins, au fond de la cour de l'administration, une galerie ouverte donne accès du côté droit aux bureaux de la direction, au secrétariat, à la caisse. C'est l'entrée des artistes.
On a dit avec raison que le grand escalier du nouvel Opéra est lui-même un monument. Par la nouveauté de sa conception, l'habile agencement de toutes ses parties, la richesse et l'éclat des matériaux employés, le grand escalier est assurément l'une des conceptions les plus heureuses de l'édifice et de celles qui font le plus d'honneur à l'architecte.
Ici, laissons parler M. Ch. Nuitter :
« Le spectateur, qui, entré par le pavillon des abonnés, arrive aux premières marches du grand escalier, a devant les yeux l'ensemble décoratif le plus élégant et le plus pittoresque que l'on puisse imaginer. Les voûtes du palier central, les colonnes qui les soutiennent, construites en pierre de l'Echaillon, sont fouillées de fines arabesques, chargées d'ornements et d'attributs de toute sorte ; on voit se développer devant soi la première révolution de l'escalier aux marches de marbre blanc de Serravezza, bordées par une balustrade en onyx dont les balustres en marbre rouge antique reposent sur des socles de marbre vert de Suède. On voit de là, à travers les colonnes accouplées, scintiller le plafond en mosaïque vénitienne de l'avant-foyer, puis s'ouvrir les portes du foyer ; plus haut, l'œil s'arrête sur les sculptures des tympans, puis enfin sur les peintures du plafond. Il y a dans cet ensemble un effet d'autant plus saisissant que, les galeries d'accès étant relativement basses de plafond, la hauteur de l'escalier paraît d'autant plus considérable. Cette opposition produit une impression étrange et grandiose et rappelle les compositions de Bibiena, qui n'avait réalisé que par le dessin cette architecture théâtrale. Les peintres sont les premiers saisis par ces lignes harmonieuses et hardies qui s'arrangent si bien pour des motifs à figures ; aussi appellent-ils M. Garnier le Véronèse moderne. On monte, on arrive à la hauteur du vestibule de la façade ; ici, l'aspect est changé ; on se retourne et l'on a devant soi la rampe centrale de l'escalier, les deux rampes qui montent aux premières loges et celles qui descendent au vestibule circulaire. Les lignes de ces diverses rampes qui se croisent et se balancent d'une façon pittoresque attirent les regards et savent les charmer. De chaque côté, un groupe de trois figures en galvanoplastie, œuvre de M. Carrier-Belleuse, supporte des appareils d'éclairage composés de divers bouquets de lumière que soutiennent les figures. Cette ingénieuse idée, qui paraît bien simple, n'est pourtant venue à l'esprit de l'architecte qu'après de nombreuses études, qui lui paraissaient toujours imparfaites. Celle à laquelle il s'est arrêté produit un excellent effet. En haut de la rampe, à la hauteur du premier palier, des candélabres élégants animent la montée et font jouer leurs mille lumières sur les piédestaux et les rampes de marbre.
En face, une porte monumentale de grand goût et de grand air donne accès aux baignoires, à l'amphithéâtre et à l'orchestre ; cette porte, exécutée avec des marbres précieux et de grande harmonie, est décorée de deux cariatides en bronze dont les draperies sont de marbre jaune et de marbre vert de Suède ; elles soutiennent un fronton au-dessus duquel deux enfants en marbre blanc s'appuient sur les armes de la ville de Paris. Ces diverses figures sont l'œuvre de M. Jules Thomas. Elles sont un curieux exemple de la sculpture polychrome, jadis en faveur chez les anciens, et font le plus grand honneur à l'architecte qui a voulu cet effet décoratif et au sculpteur qui en a tiré un si bon parti. Ces deux cariatides représentent la Comédie et la Tragédie ; c'est M. Christofle qui a exécuté les bronzes. Quant à la marbrerie, comme toute celle de l'escalier, elle a été faite par MM. Drouet et Lozier.
A droite et à gauche de ce palier, l'escalier aboutit par une double rampe a l'étage des premières loges.
A cet étage, tout autour de la cage de l'escalier, s'élèvent trente colonnes monolithes de marbre sarrancolin, aux bases et aux chapiteaux de marbre de Saint-Béat. Du côté de l'avant-foyer, ces colonnes sont accouplées par groupes de quatre ; sur les autres faces, au droit de chaque colonne et sur le mur correspondant, est placé un pilastre en fleur de pêcher ou en brèche violette. Ces colonnes et ces pilastres soutiennent les archivoltes des arcades de la voûte. Depuis Louis XIV, il n'y avait pas eu une série de colonnes de cette dimension, et ce n'est pas sans peine que M. Garnier a décidé les marbriers de Sarrancolin à faire les découverts nécessaires à l'exploitation de pareils blocs. Mais à force de patience, il a pu parvenir à ses fins, malgré les fâcheux pronostics qui ne lui faisaient pas faute et lui prédisaient un échec complet. Il est vrai que, pour trouver ces trente colonnes de près de 5 mètres de haut, il a fallu extraire plus de cinquante blocs et en rejeter ensuite vingt, qui avaient des fils ; ces colonnes, polies et taillées, ont été payées chacune 4.200 francs. Dans les tympans des arcades, douze médaillons de marbre jaune clair sont entourés de têtes d'enfants et d'ornements sculptés par M. Chabaud. L'ornementation de l'entablement est complétée par des incrustations de marbre de diverses provenances.
La voûte est percée par douze pénétrations en forme d'arcades correspondant aux arcades inférieures. Enfin, cette voûte elle-même est décorée de quatre caissons d'une dimension de 4 mètres sur 5, où M. Pils a peint de grandes compositions représentant des sujets allégoriques.
L'entre-colonnement, qui du côté du foyer s'ouvre majestueusement jusqu'à la hauteur des arcades, est, sur les autres faces, relié à chaque étage par des balcons qui, depuis les premières loges jusqu'aux cinquièmes, permettent de jouir d'une vue d'ensemble du grand escalier et d'assister à l'entrée ou à la sortie d'une foule élégante. Au second et au troisième étage, ces balcons sont en bronze. Au premier étage, ils avancent sur la cage de l'escalier par un encorbellement d'une courbe gracieuse, dont les balustres de spath fluor et les dés de marbres divers supportent une rampe en onyx d'Algérie.
Aux cinquièmes loges, ces balcons sont en marbre de Campan et en pierre de Saint-Ylie, et supportent des pots à feu destinés à éclairer la partie supérieure de cet escalier monumental.
M. Garnier a exposé en détail dans le Théâtre les théories d'où il déduit la disposition logique qui convient le mieux à l'escalier d'une salle de spectacle ; qu'elles soient admises ou non, on doit reconnaître qu'en dehors de tout raisonnement, la pratique de son art a amené l'architecte de l'Opéra à composer un ensemble d'une grande majesté et d'un splendide aspect.
Au surplus, Charles Garnier a eu pour les escaliers une prédilection marquée. Il trouve dans ces motifs d'architecture des ressources imprévues, et il ne se contente pas, en agençant ses degrés et ses paliers, d'être un architecte et un constructeur, car, en même temps qu'il dispose les pierres et les marbres, il sait, avec l'imagination d'un poète et l'habileté d'un metteur en scène, faire agir les personnages qui doivent concourir à l'effet de son œuvre. Nous n'en voulons pour preuve que ce qu'il écrit à ce sujet dans son livre :

«...A chaque étage, les spectateurs accoudés aux balcons garnissent les murs et les rendent, pour ainsi dire, vivants, pendant que d'autres montent et descendent et ajoutent encore à la vie. Enfin, en disposant des étoffes ou des draperies tombantes, des girandoles, des candélabres ou des lustres, puis des marbres ou des fleurs, on fera de tout cet ensemble une composition somptueuse et brillante, qui rappellera en nature quelques-unes des dispositions que Véronèse a fixées sur ses toiles. La lumière qui étincellera, les toilettes qui resplendiront, les figures animées et souriantes, les rencontres qui se produiront, les saluts qui s'échangeront, tout aura un air de fête et de plaisir, et, sans se rendre compte de la part qui doit revenir à l'architecte dans cet effet magique, tout le monde en jouira et tout le monde rendra ainsi, par son impression heureuse, hommage à ce grand art, si puissant dans ses manifestations et si élevé dans ses résultats. »
La composition des escaliers du nouvel Opéra donnera raison a l'architecte, et tous les spectateurs s'empresseront de collaborer avec lui en circulant sur les degrés de marbre dont il a garni les spacieux vaisseaux qui les abritent. Alors, aux jours de grande représentation, ce ne sera pas un spectacle moins curieux que celui de la scène de contempler l'animation, le mouvement d'une foule élégante, se groupant sur les marches du grand escalier, et l'éclat des soies, du velours, des broderies, des diamants, se mêlant aux reflets de ces marbres, de ces onyx, de ces bronzes et de ces dorures. En terminant cette description succincte de ce monument dans un monument, il est juste de ne pas oublier les artistes qui ont interprété avec tant de goût les dessins d'ornement de l'architecte. M. Choiselat a exécuté les sculptures de la partie supérieure de l'escalier, à partir du niveau des premières loges. M. Corboz a exécuté toute la partie inférieure, et M. Chabaud a fait les têtes décoratives de tout l'ensemble. Quant aux candélabres, ils ont été fondus par MM. Lacarrière, Delatour et Cie et par MM. Romain et Languereau. »
Avant d'entrer dans la salle, nous allons parcourir l'avant-foyer, le foyer, les escaliers secondaires et les couloirs. Ici, d'autres merveilles nous attendent, et, cette fois encore, nous allons prendre pour guide M. Charles Nuitter.
Avant-foyer. Chacune de ses extrémités communique par un salon ouvert avec les corridors du premier étage de la salle. Le reste forme une galerie de 20 mètres de long, donnant d'un côté sur le grand escalier et de l'autre sur le grand foyer. Cette dernière partie est ornée de huit pilastres en marbre fleur de pêcher, portant des arcades dans le tympan desquelles des enfants assis sur la corniche soutiennent des médaillons. Entre les pilastres se trouvent alternativement trois portes de 7 mètres de hauteur, donnant accès sur le grand foyer, et deux panneaux garnis de glaces. Sur les pieds-droits des extrémités sont appendus quatre médaillons en émail ornés de bronze et représentant les instruments de musique de la France, de l'Italie, de l'Egypte et de la Grèce, entourés de feuillages typiques. La voûte de l'avant-foyer est entièrement revêtue de mosaïques. La décoration se compose de quatre grands caissons dont les figures, de grandeur naturelle, ont été exécutées d'après les cartons de M. Curzon et représentent Diane et Endymion, Orphée et Eurydice, l'Aurore et Céphale, Psyché et Mercure. Ces caissons, encadrés de brillantes bordures, sont entourés d'ornements de toute sorte, où des instruments de musique, des animaux, des arabesques produisent l'effet le plus varié.

Grand foyer. Il a 54 mètres de longueur sur 13 de largeur et 18 de hauteur. Cette hauteur est ce qui frappe le plus en entrant dans cette immense galerie, et les yeux s'élèvent d'abord vers la voûte qui couronne les riches parois de la salle ; mais, dans ce rapide coup d'œil, le regard passe nécessairement du sol aux-voussures et embrasse dans cette course l'ordonnance monumentale de l'ensemble.
La tonalité générale du foyer est or, non pas l'or clinquant et neuf, mais l'or vieux, qui est bien plus doux et bien plus riche de ton. L'ordonnance du foyer se compose de grandes baies monumentales, flanquées de vingt colonnes accouplées et couronnées par un solide entablement donnant naissance aux voussures. Aux angles de cet entablement sont assises des figures de 2m,90 de hauteur, qui se détachent en ronde bosse et relient les corniches. Au-dessus de chaque colonne, vingt statues dorées personnifient les qualités nécessaires à l'artiste. Voici quelles sont ces statues, avec les noms de leurs auteurs : l'Imagination (Bourgeois), l'Espérance (Bruyer), la Tradition (Cambos), la Fantaisie (Chambard), la Passion (Début), la Force (Eude), la Pensée (Franceschi), la Prudence (Frison), la Modération (Gauthier), l'Elégance (Iselin), la Volonté (Janson), la Grâce (Loison), la Science (Marcelin), la Foi (Oliva), la Dignité (Sanzel), la Beauté (Soitoux), la Sagesse (Talluet), la Philosophie (Tournois), l'Indépendance (Varnier), la Modestie (Vilain).
Aux extrémités de la partie centrale du grand foyer se trouvent deux arcs-doubleaux ornés d'une clef gigantesque composée d'une tête et de divers ornements. Les têtes représentent Mercure et Amphitrite. Au-dessus de la corniche s'épanouissent les compartiments qui entourent les peintures de Baudry. Voici, d'après M. Edmond About, le sujet de ces peintures, qui embrassent tous les arts depuis leur origine jusqu'à nos jours :
Au Parnasse, dans lequel Baudry réunit autour d'Apollon les Grâces, les Muses et jusqu'aux demi-dieux de la musique moderne, le peintre a opposé une autre toile, où les poètes de l'antiquité se groupent autour d'Homère, avec les peintres et les sculpteurs qu'ils ont inspirés, les types héroïques qu'ils ont immortalisés et les hommes primitifs qu'ils ont civilisés. La musique plane sur tout l'ensemble de la décoration dans le plafond central, où l'on a symbolisé l'union de la Mélodie et de l'Harmonie entre la Poésie et la Gloire. L'idée dramatique apparaît dans deux plafonds secondaires, dont l'un figure la Tragédie et l'autre la Comédie.
Dix grandes compositions expriment les caractères et les effets de la musique et de la danse, ainsi que le triomphe de la beauté. Les sujets choisis par le peintre sont : le Jugement de Pâris, Marsyas, l'Assaut, les Bergers, Saül et David, le Rêve de sainte Cécile, Orphée et Eurydice, Jupiter et les Corybantes, Orphée et les Ménades, Salomé. Les intervalles de ces compositions sont occupés par de grandes figures détachées qui représentent les Muses. Les grandes portes monumentales sont couronnées par un panneau ovale, dans lequel Paul Baudry a peint des enfants personnifiant la musique chez les différents peuples. Signalons dans cette partie de l'édifice les splendides tentures en soie couleur d'or, les magnifiques lambrequins exécutés à Lyon, sur les dessins de l'architecte, et de grandes glaces de 7 mètres de hauteur, fournies par Saint-Gobain.
Aux extrémités de la galerie centrale, se trouvent deux espèces de grands salons octogones largement ouverts et prolongeant la perspective. Ces salons sont ornés de deux belles cheminées monumentales en marbre de couleur. Deux superbes cariatides accompagnent ces cheminées. La partie supérieure des salons comprend trois grands tympans et un plafond ovale, enrichi de peintures harmonieuses.
Derrière les deux salons que nous venons de mentionner, se trouvent encore deux autres salons plus petits, destinés surtout aux personnes qui veulent se reposer sans voir la foule passer devant elles. Deux grandes glaces, placées sur les parois qui font face au foyer, réfléchissent à perte de vue les lustres et les lumières, ainsi que toutes les lignes architecturales de l'ensemble. De cette façon, le grand foyer semble ne pas avoir de fin, et la vue s'étend presque à l'infini.

Loggia. Cinq grandes portes vitrées séparent la loggia de la partie centrale du foyer ; mais ces portes, par lesquelles on peut apercevoir la place de l'Opéra, sont condamnées. Aux deux extrémités du foyer, deux sorties, convenablement munies de tambours préservateurs, par lesquelles on peut aller sur la loggia, ont été ménagées. La description technique de cette partie de l'Opéra peut se résumer par ces mots : portes monumentales ornées de colonnes de marbre et couronnées par un cartouche et des enfants modelés par Gumery ; meneaux, en fonte de grande élégance ; candélabres originaux portés sur des consoles en pierre sculptée et plafonds en plates-bandes de diverses nuances, contenant des médaillons en mosaïques d'émaux représentant des masques antiques au milieu de divers attributs. Des balcons de la loggia, on voit l'avenue qui relie l'Opéra aux Tuileries. Un fumoir et un glacier ont été construits des deux côtés de la loggia. Ces deux pièces sont, par leur ornementation, dignes de l'ensemble de l'édifice.
Escaliers secondaires. Pour aller du foyer à la salle, on côtoie le grand escalier par de longs couloirs, fort simples comme décoration, mais cependant ayant grand aspect, à cause des vues qui y sont ménagées sur le grand escalier et sur les escaliers secondaires. Dans beaucoup de salles, dit M. Nuitter, ces escaliers secondaires suffiraient pour constituer des escaliers d'honneur. Ils se composent de cinq rampes droites en marbre blanc d'Italie, supportées par un quinconce de colonnes couronnées de chapiteaux en fonte polie. Ces colonnes décroissent de hauteur et de coloration au fur et à mesure qu'elles s'élèvent. Au rez-de-chaussée, elles sont en granit des Vosges ; à l'entresol, en granit d'Aberdeen ; au-dessus, en jaspe du mont Blanc ; au dessus encore, en marbre de Sampan, puis en pierre du
Jura grain d'orge, puis enfin en saint-ylie ordinaire.
Dans les paliers de ces escaliers, de gracieuses gaines supportant des lampes d'éclairage et des bancs placés dans les ébrasements suivent aussi cette gradation ; et, exécutés en sampan rouge ardent au rez-de-chaussée, ils sont en saint-ylie pâle au dernier étage.
Des rampes de dessin de grand style en fer forgé flanquent les degrés de marbre, et des mosaïques vénitiennes forment les sols des paliers. De ces escaliers latéraux, la vue s'étend à travers le grand escalier d'honneur jusqu'aux rampes placées du côté opposé, et cette immense perspective, qui n'a pas moins de 60 mètres de longueur, est sans contredit une des parties les plus typiques du nouvel Opéra.
Couloirs. Les couloirs de la salle sont assez simples ; mais les appliques d'éclairage, les portes des loges en acajou et surtout les gaines de marbre qui y sont placées contribuent à leur donner un aspect, assez mouvementé pour que l'œil soit satisfait.

Entrons maintenant dans la salle.
Salle. Les regards sont tout d'abord attirés vers le grand entablement qui couronne la salle du nouvel Opéra. On est saisi par ce morceau architectural. De là, le regard se porte tour à tour vers le splendide plafond de Lenepveu, vers les quatre tympans modelés par Hiolle, Barthélemy, Samson et Mercier, et vers le grand arc-doubleau de l'avant-scène.
La salle a des dimensions à peu près égales à celles des théâtres de la Scala, à Milan, et de San-Carlos à Naples. Le plafond est une œuvre immense. Elle est due, nous l'avons dit, à M. Lenepveu, actuellement directeur de l'Académie de France, à Rome. Cette peinture, qui n'occupe pas moins de 200 mètres de superficie, représente les heures du jour et de la nuit ; le soleil au-dessus de la scène, la lune de l'autre côté, puis à droite et à gauche l'aurore et le crépuscule. C'est dans ces différents effets de lumière que se meuvent toutes les figures plafonnantes exécutées par M. Lenepveu. Vingt-quatre panneaux, formant un segment de sphère, composent l'ensemble de cette voussure. Cette calotte de cuivre est suspendue par des aiguilles de fer aux combles supérieurs, de façon à permettre une dilatation facile et une vibration sans obstacle. Au-dessous de cette coupole de cuivre, on remarque le riche couronnement qui se compose de douze espèces d'œils-de-bœuf ornés de grilles en forme de lyre et de douze panneaux à jour également grillés. Ces œils-de-bœuf sont surmontés de douze belles têtes représentant : Iris, Amphitrite, Hébé, Flore, Pandore, Psyché, Thétis, Pomone, Daphné, Clélie, Galatée et Aréthuse.
L'entablement qui soutient ce couronnement est garni d'une rangée de globes éclairés au gaz, qui forment comme une ceinture de perles ; dans les frises, des médaillons à jour sont remplis par des espèces de pierres précieuses, également éclairées au gaz. On dirait un diadème de topazes et d'émeraudes. Cet éclairage est complété par le grand et magnifique lustre central, qui, lui, par les feux de ses cristaux, représente les diamants. Ce lustre est vraiment remarquable. La forme en est simple et grande, et ses trois cent quarante lumières sont admirablement disposées.
L'arc-doubleau de l'avant-scène, d'une grande ampleur de composition, renferme dans ses compartiments deux grandes têtes modelées par M. Chabaud, Vénus et Diane. A la retombée de cet arc-doubleau, quatre autres têtes, dues au même artiste, couronnent l'entablement ; elles représentent : à droite, l'Epopée et la Féerie ; à gauche l'Histoire et la Fable.
Au-dessous de l'arc-doubleau se présentent les avant-scènes. Sur un fond de pilastres en pierre jaune d'Echaillon se détachent deux grands motifs formant l'entourage des loges. Ils se composent de cariatides en bronze et en marbre de couleur, soutenant un couronnement doré, représentant de jeunes enfants portant un cartouche. Huit grandes colonnes en échaillon poli, dorées en divers points, supportent la partie supérieure de la salle et forment la grande ossature du vaisseau. Mentionnons les élégants balcons qui contournent la salle et les belles voussures des quatrièmes loges, exécutées dans le caractère général que l'architecte a su partout imposer.

Le rouge et l'or forment le fond de la couleur de la salle. Dans son livre, le Théâtre, M. Garnier explique les raisons artistiques et scientifiques qui l'ont conduit à faire choix de ce parti de coloration. M. Garnier a voulu songer surtout aux dames et faire valoir leur toilette et leur beauté.
Terminons la description de la salle en disant que tout a été combiné de façon que tous les spectateurs puissent voir non seulement toute la scène, mais même toute la salle.
Scène. La scène du nouvel Opéra est la plus grande des scènes actuelles ; sinon dans le sens de la profondeur, au moins en largeur et en hauteur. Ces dernières dimensions sont d'ailleurs les seules qui exigent un très ample développement, car l'art du décorateur, pas plus que l'art du metteur en scène, n'a pas besoin d'une grande profondeur. « Pour les décors, dit M. Garnier dans son ouvrage, c'est surtout le dessin perspectif et la science du clair-obscur qui permettent de créer et de varier les effets, et les artistes décorateurs, qui connaissent mieux que personne les exigences et les ressources de leur art, ne demandent jamais une profondeur considérable pour faire naître l'illusion. Quant à la mise en scène, lorsque les lointains sont très profonds et que les artistes peuvent remonter jusqu'à la toile de fond, les proportions générales sont détruites ; les lois de la perspective amenant à diminuer de beaucoup la grandeur des objets peints aux derniers plans, les acteurs, qui, à quelque distance qu'ils se trouvent, diminuent fort peu à la vue, paraissent beaucoup trop grands pour les décorations s'ils en deviennent trop voisins. On a essayé parfois, surtout sur des théâtres étrangers, de faire passer au fond des enfants ; mais quelque soin que l'on prenne de graduer leurs tailles et même de changer le ton de leurs costumes, l'œil ne s'y trompe pas, et l'enfant ne paraît pas un homme vu de loin. Aussi, dans les effets de lointain, a-t-on grand soin de ne jamais laisser remonter les acteurs jusqu'à une certaine distance de la toile de fond et les fait-on tenir aux premiers plans du théâtre, là où les décors ont encore à peu près les dimensions réelles des objets représentés. » On a prévu cependant, au nouvel Opéra, le cas où, pour des effets spéciaux, une profondeur exceptionnelle pourrait devenir utile. Derrière la scène règne un vaste couloir de 6 mètres de largeur. Plus loin, dans l'axe du théâtre, est placé le foyer de la danse. Eu utilisant ces espaces, on peut porter la profondeur de la scène à près de 50 mètres.
Les dessous du théâtre du nouvel Opéra sont des plus intéressants à visiter. D'abord, ils sont dégagés de presque tous les poteaux qui encombrent les autres théâtres et qui nuisent à la facilité de la circulation. Ce résultat a été atteint en changeant le mode de construction jusqu'ici adopté et en remplaçant le bois par le fer. On a ainsi plus de rigidité et des portées plus grandes, qui ont permis la suppression d'un grand nombre de supports. De plus, ceux qui subsistent encore sont naturellement plus élancés que s'ils étaient en bois, de sorte que ces dessous sont entièrement libres et que le service s'y fait avec une grande facilité. Quant aux nombreux engins qui garnissant les dessous, ils sont devenus également moins encombrants. Ils ont été construits en fer au lieu de bois, ce qui diminue leurs dimensions au moins de moitié. Les treuils, les cassettes, les chariots, tout cela est devenu élégant et léger d'aspect, et au lieu de l'espèce de confusion que présentent ordinairement les dessous d'un théâtre, on trouve au nouvel Opéra un ordre parfait et une complète sécurité. En outre, la construction en fer des dessous et des engins fait disparaître une des grandes causes d'incendie. A droite et à gauche de la scène proprement dite sont placés les tas, espèces de cases où se déposent les décors des pièces en cours de représentation ; puis, adossées à ceux-ci, les cheminées à contrepoids, gigantesques cloisons à jour, qui, des fondations de l'édifice, s'élèvent jusqu'au comble ; enfin, derrière ces cheminées, les magasins de décors qui peuvent contenir huit à dix pièces du répertoire courant. Au fond de la scène, de grandes étagères flanquent, à toutes les hauteurs des corridors, le mur du lointain et sont destinées à recevoir les grands rideaux roulés qui ne doivent plus être utilisés. A ce même mur, un rideau et des portes de fer séparent la scène de l'administration, tandis qu'au devant, au mur de face, un autre rideau de fer maillé sépare la scène de la salle. A 20 mètres au-dessus du plancher du théâtre commencent les équipes des cintres, composés de herses d'éclairage, de ponts volants et de grils, le tout accompagné de tambours de treuils, de fils, de contrepoids, de moufles, de crochets, de tuyaux et de ces mille engins qui foisonnent au nouvel Opéra et qui font de cette scène un vrai modèle du genre. Ajoutez à cela les conduits pour l'incendie, les réservoirs, les tonnes de compression, les calorifères, les bouches de chaleur, les conduits de gaz, les sonnettes électriques, les trappes, les trappillons, les portants, les mâts, les praticables, les fermes, les accessoires de toute sorte et tant d'autres choses encore que nous ne pouvons, faute d'espace, décrire ici, et vous aurez une idée de cette vaste usine, de cet établissement grandiose qui compose la scène de l'Opéra.
Foyer de la danse. Le foyer de la danse a, dans les habitudes de l'Opéra, une importance toute particulière. C'est un lieu de réunion où un certain public est admis. Dans les autres théâtres, la porte de communication ne s'ouvre que pour le personnel de l'administration. Parmi les personnes étrangères au service, les auteurs seuls ont le droit d'entrer dans les coulisses. A l'Opéra, ce droit existe aussi pour les abonnés des trois jours de la semaine qui, dans les entr'actes, se rendent au foyer de la danse.
Cet usage, dit M. Nuitter, remonte à la construction de la seconde salle du Palais-Royal, en 1770. Moreau, qui, pour la première fois, avait réservé un foyer au public, n'eut pas moins de prévenance pour le personnel du théâtre. Voici ce qu'on lit à cet égard dans les Mémoires secrets de Bachaumont : « Le foyer le plus recherché est le foyer intérieur, qui est près du théâtre. Il est carré et trop petit pour son usage, sans aucune décoration. C'est là qu'après l'opéra les actrices se retrouvent et se mettent en spectacle sur des banquettes qui en forment le pourtour. Elles y reçoivent les hommages des spectateurs, qui s'y rendent en foule, et chacun peut en liberté approcher de ces divinités. »
Le 5 avril 1774, une ordonnance du roi, affichée à toutes les portes de l'Opéra et dans l'intérieur de ce spectacle, interdit ce genre de communication et défendit de laisser pénétrer le public dans les foyers. Cette ordonnance ne fut pas longtemps exécutée, et l'usage, convenablement réglementé, s'est conservé jusqu'à nos jours. Il vient de recevoir une consécration nouvelle par le luxe avec lequel a été décoré, dans le nouvel Opéra, le foyer de la danse.

Le mur du fond est entièrement revêtu de glaces. Il n'existait pas à Saint-Gobain de table assez vaste pour couler d'un seul morceau une glace de cette étendue. Il a fallu se résigner à joindre trois morceaux. Ce sont les limites de la fabrication actuelle. Dans ces glaces se reflète un lustre en bronze doré de 104 lumières. Le foyer est orné de chaque côté de six colonnes cannelées en spirale, surmontées de chapiteaux, où des papillons aux ailes déployées remplacent l'épanouissement des feuilles d'acanthe. Le plafond est double, orné, au milieu, de caissons entourés de guirlandes de fleurs et de grelots ; il est encadré par une voussure représentant un ciel d'été dans lequel des enfants ailés poursuivent des papillons et des oiseaux. Cette voussure et les autres peintures du foyer sont l'œuvre de M. Boulanger. Au-dessous règne une seconde voussure ornée de lyres qui s'y découpent en plein relief et de vingt statues d'enfants, encadrant vingt médaillons ovales, où M. Boulanger a peint les portraits des vingt danseuses les plus célèbres depuis l'origine de l'Opéra. C'est d'abord Mlle de La Fontaine (1681-1692), la première femme qui ai dansé sur la scène de l'Opéra. Dès le début, il y avait eu des chanteuses ; mais jusqu'alors, dans la danse, les rôles de femme étaient remplis par des danseurs travestis.
Ensuite viennent : Mlle Subligny (1690-1705). Mlle Prévôt (1705-1730). Mlle Sallé (1721-1740). Mlle Camargo (1726-1735). Mme Vestris (1751-1767). Mlle Guimard (1762-1781). Mlle Heinel (1768-1781). Mme Gardel (1786-1816). Mlle Clotilde (1793-1819). Mlle Bigottini (1801-1823). Mlle Noblet (1817-1842). Mme Montessu (1821-1836). Mlle Julia (1823-1838). Mlle Taglioni (1828-1837). Mlle Duvernay (1832-1837). Mlle Elssler (1834-1841). Mlle Carlotta Grisi (1841-1849). Mme Cerrito (1848-1855). Mme Rosati (1854-1859).
Ces portraits, fidèlement exécutés d'après des peintures ou des gravures du temps, représentent les célébrités de la danse, tantôt en habit de théâtre, tantôt en habit de ville. C'est une sorte de galerie historique du costume, où, depuis les mouches de Mlle Subligny jusqu'aux boas de la Restauration et aux robes de nos jours, on retrouve des échantillons des modes et des coiffures qui se sont succédé depuis près de deux cents ans.
Au-dessous de ces portraits, quatre grands panneaux peints par M. Boulanger représentent la Danse guerrière, la Danse champêtre, la Danse amoureuse, la Danse bachique.
Dans des médaillons placés au-dessus de ces panneaux sont inscrits les noms des chorégraphes qui ont composé avec le plus de succès des ballets pour l'Opéra. C'est d'abord Noverre, le créateur du genre, car jusqu'à lui il y avait eu des danses de toutes sortes, mais point de ballet d'action. Le premier ballet de ce genre (Apelle et Campaspe) fut représenté en 1776. Les autres noms inscrits au foyer de la danse sont ceux de Gardel, Mazilier, Saint-Léon.
C'est dans ce foyer que les danseuses viennent s'exercer, ou, pour parler leur langage, se mettre en train. Les premières danseuses ont dans leurs loges des barres qui leur permettent de se tourner, de se mettre en dehors, de faire des battements, des pliés ; mais les exercices qui demandent du parcours ou de l'élévation ne peuvent se faire qu'au foyer. Là aussi, des barres recouvertes de velours sont placées à hauteur d'appui pour les exercices. Le plancher, qui n'est pas ciré, reproduit exactement la pente du théâtre, ce qui est nécessaire pour que les conditions d'équilibre soient les mêmes. Ce foyer sert pendant le jour aux répétitions de ballet, pour les scènes ou les pas qui n'exigent pas un personnel trop nombreux. Quant aux répétitions d'ensemble, elles n'ont lieu que sur le théâtre.
Foyer du chant. Le foyer du chant est placé au premier étage, du côté de la rue Scribe. Il est vaste ; la décoration principale est formée de trente panneaux, où sont placés les portraits des principaux artistes du chant depuis l'origine de l'Opéra.

Dépendances de la scène. Elles occupent aux différents étages un espace considérable. Il faut, en effet, pourvoir aux besoins du service pour un personnel nombreux : machinistes, tapissiers de la scène, gaziers, lampistes, sapeurs-pompiers, garçons de théâtre, avertisseurs, ustensiliers, habilleuses, tailleurs, coiffeurs, comparses, régisseurs, chefs du chant, des chœurs, souffleurs, musiciens de l'orchestre, artistes, etc. Pour le service de cet immense personnel, il existe au nouvel Opéra 80 loges, destinées aux sujets du chant et de la danse.
Ces loges, réparties dans l'étendue de deux étages, se composent chacune d'une petite antichambre, de la loge proprement dite et d'un petit cabinet de toilette. La loge est garnie de deux glaces, dont une, placée à peu de hauteur du sol, permet de se voir des pieds à la tête ; de quatre becs de gaz, placés de chaque côté des glaces ; deux de ces becs, ajustés à un tube-souple, glissent le long d'une tringle, où ils peuvent être maintenus à telle hauteur qu'on le désire. Enfin, il y a dans chaque loge une cheminée et une bouche de calorifère, afin que l'artiste puisse choisir à son gré la chaleur sèche ou la chaleur humide.
Outre les loges des sujets, il existe : une grande loge de 60 places, avec autant d'armoires pour les chœurs d'hommes ; une loge de 50 places, avec 50 toilettes pour les chœurs de dames ; une loge de 12 places pour les élèves du chant ; une loge de 12 places pour les enfants des chœurs ; une loge de 34 places, avec autant d'armoires pour le corps de ballet (hommes) ; une loge de 20 places, avec autant de toilettes pour les danseuses ; une loge de 20 toilettes pour les danseuses du premier quadrille ; une loge de 20 toilettes pour les danseuses du deuxième quadrille ; une loge de 20 toilettes pour les danseuses élèves ; une loge de 20 toilettes pour les marcheuses ; une loge de 190 places pour les comparses. C'est, comme on le voit, un personnel de 538 personnes, pour lesquelles est organisé le service de l'habillement.

Les musiciens de l'orchestre ont aussi un foyer garni de 100 armoires, dans lesquelles ils peuvent déposer leurs instruments ; un foyer vestiaire a été de même réservé pour les musiciens de la bande militaire. A proximité des loges se trouvent deux postes pour les coiffeurs et deux, postes à chaque étage pour les avertisseurs.
Outre les grands foyers dont nous avons parlé, il existe un foyer des rôles qui sont aux études.
Ateliers et magasins. Deux grands ateliers, l'un pour les tailleurs, l'autre pour les couturières, sont situés au sixième étage ; ils sont munis de tous les appareils et ustensiles nécessaires. Il y a place pour soixante ouvriers et ouvrières. A côté de chacun des ateliers est placé le cabinet du chef tailleur ou de la maîtresse couturière.
Au même étage se trouve le magasin central des costumes. Il est entouré d'une double rangée d'armoires et de tiroirs, où peuvent être classés les costumes de tout pays et de toute époque, qui servent à la représentation des divers opéras et ballets.
Il y a aussi des magasins spéciaux pour la chapellerie et pour les chaussures.

Les armures constituent une des richesses de l'Opéra. Exécutées avec un soin tout spécial, d'après des modèles de l'époque ou d'après les documents historiques les plus certains, ce sont, dit M. Nuitter, de véritables objets d'art. Le magasin d'armes du nouvel Opéra constitue une sorte de musée d'artillerie.
Administration. De vastes bureaux, des cabinets parfaitement organisés sont réservés au service de l'administration. Il y a une entrée particulière et un concierge spécial. Ces bureaux se composent du cabinet du directeur, précédé d'une salle d'attente, et du bureau de l'huissier de la direction ; du cabinet du secrétaire général, avec antichambre pour le garçon de bureau. Viennent ensuite le bureau de la comptabilité, celui des abonnements, la caisse, avec antichambre pour le garçon de caisse. L'architecte et ses inspecteurs conservent également leurs bureaux dans les bâtiments. Mentionnons encore les cabinets du directeur de la scène, des chefs du chant, du régisseur général, du régisseur de la scène, du régisseur de la danse, du maître de ballet, du chef d'orchestre, du machiniste en chef, et, pour que notre énumération soit complète, n'oublions ni la chambre des comptes, où chaque matin se règlent les recettes et les dépenses de la veille, ni le bureau de location.
L'emplacement réservé aux archives et à la bibliothèque, dans le nouvel Opéra, comprend, au-dessus des salons du glacier, une galerie qui occupe toute la longueur du bâtiment, une grande salle circulaire et diverses dépendances. L'ensemble présente un développement de tablettes de plus de 3.000 mètres.
Archives. Les documents existant aux archives rie l'Opéra ne remontent guère, dit M. Ch. Nuitter, au delà de la moitié du XVIIIe siècle. Tandis qu'à la Comédie-Française ou à là Comédie-Italienne la nécessité de compter entre sociétaires a contribué à faire conserver, dès l'origine, les délibérations, les registres de recettes et de dépenses, etc., à l'Opéra, les nombreuses directions qui ont succédé à Lulli ont fini tour à tour par des liquidations désastreuses, au milieu desquelles les pièces de toute sorte ont été dispersées. On ne paraît pas, du reste, avoir attaché un grand intérêt à leur conservation. Il résulte de l'inventaire de 1748, le plus ancien que possède l'Opéra, qu'à cette époque, sauf un état des opéras représentés depuis 1713, les plus anciens documents ne remontaient pas au delà de 1721, et, après les avoir décrits sommairement, le commissaire-examinateur ajoute, dans son procès-verbal de récolement : « Sommes ensuite passé à l'examen des registres et papiers... par l'événement duquel avons reconnu, ainsi que toutes les parties présentes, leur inutilité. »
Ces papiers réputés inutiles furent néanmoins conservés dans les bureaux de la maison du roi. Ils s'y trouvaient encore en l'an III, quand la commission des titres fit détruire une grande quantité de documents considérés comme relatifs à la féodalité et à l'ancien régime. A cette époque, un patient érudit qui, depuis plusieurs années déjà, collectionnait toutes les pièces relatives à Molière, à Quinault, à Lulli, à l'histoire de l'Opéra et de la musique, Beffara, se fit donner les papiers qui concernaient l'Académie royale de musique. Ces nombreuses liasses, ainsi sauvées de la destruction en l'an III, ont péri en 1871, dans l'incendie de l'Hôtel de ville, dont la bibliothèque avait reçu le legs de presque tous les papiers de Beffara, précieux recueil formant plus de 80 volumes in-fol. et in-4°.
Les plus anciens registres conservés aux archives de l'Opéra remontent à 1735. En 1749, l'administration de l'Académie royale de musique est placée dans les attributions de la ville de Paris, sous la surveillance du prévôt des marchands. L'ordre se fait, le contrôle s'établit, les pièces qui existaient dans les bureaux sont conservées. Déposées au magasin de l'Opéra, rue Saint-Nicaise, elles échappent aux incendies de 1763 et 1781. Elles s'accroissent avec le temps, sans que l'on prenne grand souci de leur classement. En 1815, un rapport constate que les archives encombrent les greniers du théâtre : « Depuis la Révolution, il n'a pas été possible, par le défaut de local, de donner une classification aux papiers de l'administration. Il y a, dans cette partie essentielle, un désordre qu'il est indispensable de faire cesser. » Il ne paraît pas que ces réclamations aient été suivies d'effet ; en 1860, c'est encore dans un grenier, au-dessus du foyer du public, qu'étaient déposés les vieux papiers.
A cette époque, on commença à en prendre soin. Un inventaire sommaire fut dressé. En 1861, dans le programme rédigé pour la construction du nouvel Opéra, l'installation de la bibliothèque et des archives fut prévue et M. Garnier prit soin d'y pourvoir avec toute l'extension et l'élégance désirables. Ces deux services furent définitivement organisés par l'arrêté du 16 mai 1866, portant réglementation du cahier des charges de l'Opéra.
Les archives de l'Opéra se composent aujourd'hui de : 340 cartons, 1.150 registres et 900 liasses et portefeuilles.
Bibliothèque musicale. La bibliothèque musicale de l'Opéra possède la collection à peu près complète de tous les opéras et ballets qui ont été représentés sur le théàtre de l'Opéra depuis son origine. Ce dépôt a une importance considérable. Il peut tenir son rang à côté des riches collections musicales de la Bibliothèque nationale et du Conservatoire, car il offre à l'étude des ressources que l'on chercherait vainement ailleurs. En effet, la bibliothèque de l'Opéra possède un grand nombre d'ouvrages qui n'ont jamais été gravés, et beaucoup de partitions sont des manuscrits uniques. Dans le nombre, on peut citer le répertoire révolutionnaire presque tout entier ; c'est là que se retrouvent la Rosière républicaine et Denys le Tyran, de Grétry, et bien d'autres opéras de Gossec, de Méhul, de Candeille, de Rouget de l'Isle, etc., curieux ouvrages où des représentants du peuple, des officiers municipaux revêtus de leur écharpe, où des curés sans-culottes remplacent au dénouement les dieux de l'Olympe et où la déesse Raison danse la Carmagnole et chante le Ça ira. D'autres ouvrages non seulement sont inédits, mais n'ont même pas été exécutés. Dans le nombre se trouvent des partitions de Philidor, de Monsigny, de Candeille, de Langlé, de Gomis, d'Halévy, etc. Les copies en ont été faites, les répétitions ont eu lieu ; divers événements en ont empêché la représentation.
Enfin, toutes les partitions de ballet jusqu'en 1869 sont inédites. Les noms illustres ne font pourtant pas défaut dans la liste de leurs auteurs. Mozart a écrit pour Noverre la partition des Petits riens. Plus tard, Méhul, Cherubini, Kreutzer, Berton, Hérold, Halévy, Adam ont écrit la plupart des ballets représentés sur la scène de l'Opéra.
Les partitions gravées qui font partie de la bibliothèque de l'Opéra offrent elles-mêmes un intérêt tout particulier, en ce que la plupart ayant servi aux répétitions et aux représentations, portant aux endroits difficiles la trace des coups de bâton frappés par le batteur de mesure, contiennent de nombreux changements manuscrits, souvent autographes. Au dernier siècle surtout, les chefs d'orchestre, les directeurs de la musique rajeunissaient a leur gré les anciens ouvrages, et souvent, sous le nom de l'auteur primitif, c'est la musique de Rebel ou de Francœur qui était exécutée.
La bibliothèque de l'Opéra a reçu du dépôt des Beaux-arts 320 partitions gravées et une collection de plus de 300 morceaux de musique (cantates, hymnes, etc.).
Par arrêté du 14 février 1873, rendu sur la proposition de M. Vaucorbeil, commissaire du gouvernement, une précieuse collection de partitions et de musique ancienne, provenant de la bibliothèque de la Sorbonne, a été partagée entre la bibliothèque du Conservatoire de musique et celle de l'Opéra, qui s'est ainsi enrichie de 179 partitions, depuis Lulli jusqu'à Gluck, et de 82 recueils de parties d'orchestre ayant appartenu, ainsi que la plupart des partitions, à M. le marquis de La Salle.
Bibliothèque dramatique. La bibliothèque dramatique de l'Opéra est de création récente ; formée depuis une dizaine d'années, à l'aide de ressources très restreintes, elle possède en ce moment plus de 4.000 volumes ou brochures et plus de 30.000 estampes, qui proviennent en grande partie d'attributions faites par les ministères des Beaux-Arts, de l'Instruction publique, etc. Cette bibliothèque spéciale, complément naturel de la bibliothèque musicale, comprend la collection des livres relatifs à l'histoire du théâtre, de la musique et de la danse ; les recueils des costumes, les ouvrages d'architecture, les relations de voyages, pouvant fournir des documents aux décorateurs ; les journaux de théâtre et de musique, les lois et règlements concernant le théâtre.
Services spéciaux. Le gaz est réparti à tous les étages du théâtre par des colonnes montantes doubles. Une seule suffirait, en cas d'accident, à alimenter tous les conduits.
L'éclairage se divise en « éclairage des représentations », où tous les becs fonctionnent, et éclairage permanent de jour et de nuit, pour les parties obscures du bâtiment, ou « service des veilleuses », établi pour les rondes des pompiers et des surveillants.
L'ensemble des conduites de gaz, tubes en fer, tuyaux en plomb, en cuivre rouge ou jaune, représente une longueur de 25 kilomètres, sur lesquels sont ajustés 714 robinets divers.
Une partie des vastes sous-sols du nouvel Opéra est occupée par 14 calorifères, les uns à l'eau chaude, chauffant l'administration, la scène et les loges des artistes, les autres à l'air chaud, pour le service de la salle, des foyers et des escaliers. Chacun de ces calorifères occupe une surface de plus de 20 mètres, et, quand ils sont tous allumés, la consommation journalière du charbon de terre peut être évaluée à 10.000 kilogrammes, à quoi il faut ajouter le bois que l'on brûle dans 450 cheminées.
La canalisation de l'eau dans les caves se compose de 2 conduites alimentées l'une par l'eau de l'Ourcq, l'autre par l'eau de la Seine. 9 réservoirs et 2 tonnes permettent de tenir en réserve plus de 100.000 litres d'eau.
L'Opéra pendant le Siège. Par réquisition du gouvernement de la Défense nationale, en date du 13 septembre 1870, le nouvel Opéra fut mis à la disposition du service des subsistances pour y loger des approvisionnements.
Un magasin et un service de distribution y furent installés et fonctionnèrent comme annexes de la manutention militaire, depuis le 17 septembre jusqu'au départ de l'armée pour Versailles. Un officier d'administration, un détachement d'ouvriers et des bureaux y furent établis à demeure pendant les six mois qu'a duré cette occupation. Les denrées emmagasinées au nouvel Opéra se sont élevées aux quantités ci-dessous :
Blé : 17.028 kilogrammes.
Farine : 624.442 kg.
Pain : 3.030.756 rations.
Biscuit : 280.181 kg.
Légumes secs : 21.988 kg.
Sel : 36.450 kg.
Sucre : 50.235 kg.
Café : 40,876 kg.
Lard salé : 99.763 kg.
Bœuf salé : 186.340 kg.
Cheval salé : 15.207 kg.
Poisson salé : 4.433 kg.
Saucisson de cheval : 1.490 kg.
Fromage : 6.729 kg.
Julienne : 4.244 kg.
Pommes de terre : 5.000 kg.
Conserves diverses : 47.314 kg.
Tabac : 1.230 kg.
Gruau : 2.694 kg.
Avoine : 2.700 kg.
Son : 3.500 kg.
Vin : 1.134.780 litres.
Eau-de-vie : 511.138 kg.
(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1er supplément, 1878)

 

 

 

 

 

 

arrivée du lord-maire de Londres, lors de l'inauguration du Palais Garnier, le 05 janvier 1875, gouache sur papier d'Edouard Detaille (1878) [château de Versailles]

 

 

 

affiche de la soirée d'inauguration du Palais Garnier, le 05 janvier 1875

 

 

 

la salle vue de la scène lors de l'inauguration du Palais Garnier, le 05 janvier 1875 (dessin de Scott et Lix)

 

 

 

scène de la bénédiction des poignards des Huguenots lors de la soirée d'inauguration du Palais Garnier, le 05 janvier 1875 (lithographie)

 

 

 

grand escalier de l'Opéra

 

 

 

grand escalier de l'Opéra

 

 

 

grand escalier du Nouvel Opéra, dessin et lithographie de Fichot

 

 

 

 

le foyer de l'Opéra

 

 

 

 

Les travaux au dépôt des décors de l’Opéra.

 

On vient de commencer, dans le bâtiment de remise des décors de l’Opéra, les travaux d’édification d’un grand hall en fer.

Ces travaux, qui s’exécutent sous la direction de M. Charles Garnier, ont pour but d’utiliser toutes les parties à ciel ouvert qui étaient encore disponibles dans le dépôt en question.

Le dépôt aux décors de l’Opéra, situé au n° 6 de la rue Richer, près la rue du Faubourg-Poissonnière, est une ancienne dépendance de l’hôtel des Menus, au siècle dernier, dont le bâtiment principal est affecté au Conservatoire de musique et de déclamation.

La superficie de ces bâtiments est de 740 m., dont moitié environ est couverte de constructions. Le hall que l’on construit en ce moment aura 12 mètres de large et sera supporté par des colonnes en fonte, sur lesquelles reposeront cinq fermes en fer, à une hauteur maxima de 14 mètres.

Grâce à ces agrandissements, tous les décors du répertoire de l’Opéra pourront être remisés dans la rue Richer, alors que jusqu’ici on était obligé d’en laisser une grande partie au théâtre, où ils gênent notablement la mise en scène.

 

(la Semaine des constructeurs, 22 novembre 1879)

 

 

 

 

 

dessin de Tofani pour le Petit Journal

 

C'est au cours de l'un des bals de l'Opéra, le 06 janvier 1894, que l'on apprit la disparition sous les flammes du magasin de décors de l'Opéra, installé rue Richer ; une trentaine de décors disparurent.

 

 

 

 

 

l'Atelier de menuiserie ou Magasin des décors du Boulevard Berthier en 1904 [revue l'Opéra, mars 1904]

 

 

 

Est-ce à l'admirable monument de Charles Garnier, est-ce à la salle infiniment plus modeste de la rue Le Peletier que le IXe arrondissement doit, depuis 1860, son titre administratif ? Aux deux, sans doute, car à cette date la construction était déjà décidée d'un édifice destiné à remplacer la salle Le Peletier, ouverte « provisoirement » en 1821, et sa place déjà fixée au point sur lequel il s'élève. En 1857, le second Empire était à l'apogée de sa puissance. Paris, depuis quelque temps, s'ouvrait à la lumière, dans le sens propre du mot, — par des percements, bien conçus pour la plupart, et indispensables. C'est alors que Napoléon III invita son ministre d'Etat, M. Fould, à faire étudier un projet de nouvel Opéra. Ce fut l'architecte ordinaire de l'Opéra, Rohault de Fleury, que l'on en chargea. Dans ses Mémoires, le baron Haussmann a raconté avec quelque mauvaise humeur comment les choses tournèrent :

 

Après approbation des plans, M. Fould conclut avec la Ville un traité qui la chargeait de l'expropriation des terrains nécessaires à l'emplacement du théâtre et des bâtiments l'entourant de trois côtés ; à l'établissement de la grande place sur laquelle s'élevait, comme aujourd'hui, la façade principale, et de celles qu'on voit sur les côtés et sur le derrière du monument, où débouchaient la cour de l'empereur, la cour des abonnés et la cour de l'administration ; enfin, à l'ouverture des rues Auber, Scribe, Halévy et Meyerbeer qui, reliant ces diverses places, encadraient les autres parties de cet énorme ensemble de constructions, affectant la forme octogonale.

Les expropriations ont lieu, les voies publiques demandées sont établies ; des constructions privées, le Grand-Hôtel, entre autres, s'élèvent suivant le type fourni par l'architecte de l'Etat, type se raccordant avec celui de ses bâtiments secondaires.

Cependant, une question de budget retarde la mise à exécution des plans adoptés. M. Fould est remplacé ; son successeur (Walewski), sans tenir compte de cette approbation, ni des faits accomplis, ouvre un concours. Le projet de M. Charles Garnier, alors architecte ordinaire de la Ville, aujourd'hui mon très aimable confrère à l'Institut, l'emporte, et quand son Opéra s'élève triomphalement au fond de la place ménagée sur le boulevard des Capucines, dans l'axe de l'avenue Napoléon (aujourd'hui avenue de l'Opéra), il se trouve médiocrement en harmonie, pour ne dire rien de plus, avec le cadre préparé pour un autre monument, et l'architecture imposée à toutes les maisons voisines n'a plus de raisons d'être.

 

Ce couplet... académique, encore que peu aimable pour un « très aimable confrère à l'Institut », méritait d'être cité pour plusieurs raisons. D'abord il nous fait connaître — au moins sommairement — l'historique de la fondation du nouvel Opéra, les rues projetées dès lors, et dont le tracé a été réalisé — puis, il montre que les hommes descendus du pouvoir sont trop souvent enclins à l'amertume, « pour ne dire rien de plus ». En quoi la construction dont Paris a lieu de s'enorgueillir n'est-elle pas en harmonie avec le cadre environnant, et quelle physionomie fallait-il donc rêver pour les larges voies dessinées tout autour ? Les maisons qui les bordent — et qui font honneur à leurs architectes et à leur époque — ne pouvaient cependant pas avoir la prétention de rivaliser de luxe avec un édifice que l'on avait raison de souhaiter sans rival possible. D'autre part, n'était-il pas équitable de désirer que le dessin d'un pareil édifice fût mis au concours, sollicitât l'activité, le talent des cerveaux les plus dignes de le concevoir ? Napoléon III et son ministre d'Etat furent donc bien inspirés en le comprenant ; notre ville n'a pu qu'y gagner.

Rappelons maintenant que c'est en 1863 que le projet présenté par Charles Garnier fut accueilli avec enthousiasme. Son auteur est mort dans le courant de l'été de 1898 ; on est donc à l'aise pour le louer largement, même avec quelques réserves.

Ce n'est pas, en effet, une faible gloire pour un homme d'avoir élevé le plus beau monument civil de Paris après le Louvre, nous dirions même à l'égal du Louvre, si nos grands artistes de la Renaissance pouvaient avoir des égaux. Ce que l'on admire tout d'abord à l'Opéra, c'est la façade, d'une si riche et large ordonnance, formée, après un perron de quelques marches, d'une galerie voûtée que surmonte la colonnade de la loggia, composée de seize colonnes monolithes, surmontée elle-même d'un attique chargé de sculptures et complété par deux groupes en bronze doré, la Poésie, l'Harmonie, sculptés par Gumery. Au premier plan de cette façade, quatre groupes de sculptures symbolisant les arts musicaux : la Danse, de Carpeaux (le plus remarquable par sa beauté et son audace) ; la Musique, par Eug. Guillaume ; la Poésie lyrique, par Jouffroy ; le Drame lyrique, par Perraud.

Les deux autres merveilles de l'Opéra sont le grand escalier et le foyer. L'escalier aurait à lui seul suffi à la gloire de Garnier. Sa majesté le rend digne des palais les plus orgueilleux, digne d'un conte des Mille et une nuits. Il est seulement regrettable qu'au premier palier l'accès de l'amphithéâtre soit fait d'une baie un peu étriquée et que la double révolution qui conduit aux premières loges ne comporte pas une nouvelle révolution se terminant aux portes mêmes du foyer, qui paraît ainsi séparé et pour ainsi dire indépendant du théâtre. Combien cependant il mérite d'en être partie intégrante ! Si l'escalier est la gloire de Garnier, le foyer assure celle de Paul Baudry par les admirables peintures dont il l'a décoré, se traduisant toutes en apothéose de l'art.

La salle est simplement belle, spacieusement disposée et d'acoustique suffisante. Le plafond est l'œuvre de Lenepveu.

On doit convenir que si les façades latérales sont inspirées du même goût heureux que la façade principale, celle de l'administration, sur le boulevard Haussmann, est vraiment trop peu en accord avec elles. L'architecte l'a négligée, et le mal est irréparable de transmettre aux siècles futurs un monument ainsi manquant d'homogénéité. De même, tout en reconnaissant quelles exigences la décoration imposait pour les proportions de la scène, il faut bien reconnaître que cette toiture d'une hauteur démesurée, ces surfaces nues vues du dehors, ne sont pas d'un heureux effet ; elles écrasent l'édifice que l'on voudrait parfaitement harmonieux dans toutes ses parties. Au fond, ce sont là de minces critiques ; elles n'infirment pas l'admiration que l'on doit à ce superbe spécimen de notre architecture nationale.

Commencée en 1863, l'œuvre ne fut menée que lentement, tant l'architecte avait souci de ne réunir que des matériaux rares, de n'imposer aucune hâte à ses collaborateurs artistiques. Puis, la guerre survint, et nos désastres, pour bien des causes, ralentirent le travail après l'avoir, même, un moment, fait cesser complètement.

L'incendie de la salle Le Peletier, dans la nuit du 28 au 29 octobre 1873, réveilla l'ardeur, et finalement la nouvelle salle fut inaugurée le 5 janvier 1875. Ce fut une soirée de grand gala donnée en présence du maréchal de Mac-Mahon, président de la République, et d'illustres hôtes étrangers : le jeune roi d'Espagne et sa mère Isabelle, le lord maire, le bourgmestre d'Amsterdam. Il va sans dire que tout ce que notre pays compte de notabilités y était convié. La représentation fut composée de fragments d'œuvres diverses, ce qu'on appelle un spectacle coupé : deux actes de la Juive, deux actes de Guillaume Tell, la bénédiction des poignards des Huguenots, etc.

Depuis lors, l'Opéra n'a pas démérité ; il emploie noblement, pour l'honneur de l'art et le bon renom de la France, la subvention annuelle de 800.000 francs qui lui est allouée sur le budget de l'Etat.

Rappelons encore que l'Opéra renferme une bibliothèque et un musée contenant une grande quantité de documents précieux : autographes de compositeurs, maquettes de décors, portraits d'artistes, archives administratives, etc.

 

(Fernand Bournon, Paris-Atlas, 1900)

 

 

 

 

 

matinée gratuite à l'Opéra à l'occasion du 14 juillet 1899

 

 

 

charge sur l'Opéra par Charles Giraud, 1899

 

 

 

 

Les urnes de l’Opéra.

 

Le 24 décembre 1907 et le 13 juin 1912, des disques de la Compagnie du Gramophone furent enfermés dans des urnes enfouies dans les caves de l’Opéra pour une durée de cent ans.

 

 

 

la cérémonie de 1907

 

  

Une étrange cérémonie.

J'étais fort intrigué, je l'avoue, en me rendant hier à l'invitation que m'avait adressée Charles Malherbe, le très distingué bibliothécaire de l'Opéra. « Soyez à deux heures et demie précises, m'avait-il écrit, au musée de l'Opéra. Suivez l'homme qui vous y attendra et vous assisterez à une curieuse cérémonie, dont je vous réserve la surprise. »

Cet infatigable fureteur, pensai-je, vient encore de dénicher un précieux manuscrit musical qu'il se propose de dépouiller devant quelques amis... Et pourtant le libellé de son invitation me laissait perplexe... pourquoi tant de mystère ?

A l'entrée du musée, « l'homme » m'attendait. Un homme grave, vêtu de noir, coiffé d'une casquette rabattue sur les yeux et dont le galon portait en lettres presque effacées ces mots engageants : Beaux-Arts.

— M. Malherbe ? Demandai-je le plus aimablement du monde.

— Suivez-moi, me répondit-il froidement.

Nous traversâmes d’abord une pièce vaste et somptueuse, véritable salle d'armes, où s'évoquaient les épopées légendaires, les époques héroïques, les drames sombres : ici l'armure de Lohengrin, les casques des Walkyries, les épées des Huguenots, la flèche de Guillaume Tell, plus loin les boucliers des Barbares et les brûle-parfums de Salammbô. J'étais en plein rêve. C'était charmant. Brusquement une voix brève me réveilla.

— Attendez-moi, je vais allumer une lanterne... En même temps l'homme disparaissait, revenait avec une lanterne, ouvrait une porte dissimulée dans le mur, m'entraînait dans un escalier noir, à travers des corridors étroits et silencieux, puis dans un autre escalier en spirale... Nous descendions, descendions toujours ; nos pas résonnaient lugubrement sous des voûtes immenses ; des tuyaux bizarres couraient le long des murs ; des fils d'acier innombrables s'enchevêtraient au-dessus de nos têtes ; je songeais à l'Affaire des Poisons que j'avais vue la veille ; je songeais à ces armures formidables, à ces épées flamboyantes que je venais d'apercevoir là-haut. Je me rappelais aussi — que ne se rappelle-t-on en de pareils moments ! — le triste sort du Masque de Fer, la mort du duc d'Enghien. Bref, je n'étais pas du tout rassuré.

Etait-ce un complot ? une messe noire ? Impossible, je connaissais trop Malherbe pour m'arrêter à de pareilles hypothèses. Et puis quoi, en plein jour, en plein Paris ?

Un jet de lumière électrique, une voûte éclairée, des bruits de voix me détournèrent du sombre chemin où s'engageait mon imagination troublée.

Des messieurs en redingote et chapeau haut de forme, assis en cercle, écoutaient Charles Malherbe qui lisait un papier devant une grille entrouverte.

— Voilà les conjurés, pensai-je. A moins que ce ne soit le Conseil des Dix...

Engagé dans l'aventure il me fallait la suivre jusqu'au bout. Rassemblant tout mon courage, je m'avançai. Oh ! stupeur, je reconnus dans ces ombres mystérieuses MM. Adrien Bernheim, Gailhard, Gheusi, Georges Boyer, Banès, Pioch et quelques amis de l'Opéra. J’aperçus enfin sur une table un phonographe, une pile de disques, des marmites en cuivre et des bandelettes...

J'étais du coup rassuré. Mais que signifiaient cette réunion souterraine et ces accessoires... inattendus ? Un éloquent discours de M. Malherbe allait me l'apprendre.

Le bibliothécaire de l'Opéra recevait, au commencement de l'année, la visite d'un Américain, M. Alfred Clark, qui lui tenait le langage suivant :

« Croyez-vous qu'il y aurait pour nous intérêt à savoir d'une manière précise comment Molière récitait ses comédies, comment Talma, déclamait les vers de Corneille ou de Racine, comment Mozart exécutait une de ses sonates, comment Sophie Arnould chantait un air de Rameau ou de Gluck ? Oui, n'est-ce pas ? Eh bien, ce que nos ascendants n'ont pu faire pour nous, nous pouvons le faire pour nos descendants. Nous pouvons enregistrer une collection de pièces instrumentales et vocales figurant au répertoire de l'Opéra, par exemple, et les transmettre de telle manière que les Français du vingt et unième siècle connaissent exactement dans quel mouvement le chef d'orchestre faisait prendre ce morceau-ci et avec quelle expression le chanteur interprétait ce morceau-là. Je vais vous remettre un appareil et des disques ; nous les enfermerons dans une boîte scellée dont la clef restera dans vos archives, et qu'on ouvrira dans... cent ans ! Donnez-moi la place nécessaire, et je me charge du reste. »

Séduit par l'originalité et la nouveauté de cette proposition, conscient de l'inestimable service que sa réalisation pouvait rendre à l'histoire musicale et à l'art, M. Malherbe s'empressa de l'accepter et d'obtenir le consentement de M. Dujardin-Beaumetz. Restait à en assurer l'exécution. Il importait en effet de préparer l'emplacement de ce dépôt précieux, surtout de soustraire les disques à l'action du temps, sans quoi on risquait de ne retrouver, dans cent ans, qu'une poussière informe...

On construisit donc une sorte de cellier dans les caves de l'Opéra, pendant que l’éminent  chimiste, M. Bardy, résolvait le problème de la conservation intacte des disques en introduisant une matière nouvelle dans leur composition chimique. Et c'est ainsi, qu'hier, en présence du gouvernement, représenté par MM. Adrien Bernheim, Etienne Port et Gabriel Faure, chefs de cabinet de Briand et Dujardin-Beaumetz, de la direction de l'Opéra, personnifiée par MM. Gailhard et Gheusi, et du généreux promoteur de cette originale idée, M. Clark, on procéda à l'émouvante et curieuse cérémonie de l' « Enfouissement » de ces choses inanimées et pourtant parlantes et qui parleront encore longtemps après que ceux dont elles reproduisent si merveilleusement la voix seront rentrés dans l'éternel silence !

Aussi bien, lorsqu'en entendant pour la dernière fois, avant qu'ils fussent enfermés, les disques reproduisant successivement les voix de la Patti, de Tamagno, de Caruso, de Plançon, de Calvé, de Melba, de Mérentié et tutti quanti, dont les résonances sous ces voûtes sonores offraient l'apparence de la plus saisissante réalité ; lorsque ensuite ces disques, soigneusement isolés, entourés de bandelettes d'amiante, comme jadis les momies d'Egypte, furent déposés et scellés dans leurs caisses de cuivre, lorsque nous apposâmes nos signatures au bas du parchemin qui les devait suivre dans leurs étranges cercueils, et où sont rappelées la cérémonie d'aujourd'hui et les indications nécessaires pour la mise en mouvement de l'appareil, lorsque enfin la lourde porte de fer fut refermée, personne, je vous assure, ne songea à se défendre d'un peu de mélancolique émotion et de vague effroi. Il semblait que nous assistions à nos propres funérailles...

(René Lara, le Figaro, 25 décembre 1907)

 

 

Une intéressante cérémonie a réuni mardi quelques invités dans les caves de l'Opéra. Des disques de gramophone des plus illustres chanteurs contemporains ont été disposés de manière à ne pas être en contact immédiat les uns avec les autres. Les disques avant été établis avec des matières résineuses, pour que trop de sécheresse ne leur nuise pas, on a décidé d'exercer sur eux un séjour prolongé dans les caves de l'Opéra : la privation de lumière et d'air contribuera au bon état de leur conservation. Entre deux piliers un mur a donc été construit, et, dans l'intervalle, des casiers métalliques ont été disposés de manière si recevoir les caisses de disques, à mesure qu'elles parviendront. Lorsqu'un progrès aura été réalisé, le témoignage en sera apporté dans les caveaux et les armoires se garniront, afin d'aboutir à ces deux résultats pour nos descendants :

1° Montrer quel était l'un des aspects de la musique du vingtième siècle, ce que chantaient et comment chantaient les principaux artistes de notre Opéra ;

2° Montrer quelle aura été la marche ascendante d'une des inventions les plus géniales de ce temps, en en suivant, pour ainsi dire, pas à pas, les progrès pendant une centaine d’années.

Il est entendu que les caisses de disques ne devront être ouvertes qu'au bout d'un siècle. Un parchemin spécial donne la liste détaillée des morceaux contenus dans les caisses et toutes les indications nécessaires pour mettre en mouvement la machine et ses accessoires, car au cours d'un si long espace de temps bien des détails se seront forcément modifiés, et il importe que les ouvriers d'alors, munis des outils nouveaux, ne soient pas embarrassés pour manier ceux que l’âge aura plus ou moins démodés. Cette liste est la suivante :

Tamagno, Caruso, Scotti, Plançon, Battistini, de Lucia, Mme Huguet, Mme Patti, Mme Melba, Mme Schumann-Heink, Mme Boninsegna, Mlle Calvé, Kubelik, Mlle Mérentié, Mme Auguez de Montalant, Mlle Lindsay, M. Affre, M. Renaud, M. Noté, M. Beyle, M. Dufranne, M. Pugno, Mme Selma Kurz, Mlle Korsoff.

MM. Briand et Dujardin-Beaumetz s'étaient fait représenter par leurs chefs de cabinet, MM. Etienne Port et Gabriel Faure, à cette cérémonie â laquelle assistaient MM. Gailhard, directeur de l'Opéra, le chimiste Bardy, M. Clark, le promoteur de l'idée, etc. En réponse au discours de M. Malherbe, conservateur du musée de l'Opéra, M. Adrien Bernheim, commissaire du gouvernement auprès des théâtres subventionnés, a prononcé une allocution très goûtée. Une audition des principaux disques en service a ensuite eu lieu, clôturant cette impressionnante et originale cérémonie.

(le Ménestrel, 28 décembre 1907)

 

  

Mercredi dernier, dans l'après-midi, une cérémonie singulière et tout à fait inédite rassemblait quelques invités dans les sous-sols de l'Opéra. Sous ces voûtes silencieuses, dans ces souterrains qui, pour la circonstance, avaient pris un aspect de crypte ou de catacombes, on procéda – si l'on peut dire – à la mise en cave des voix de nos plus illustres chanteurs contemporains. En présence de M. Malherbe, bibliothécaire de l'Opéra, du chimiste Bardy, de M. Clark, promoteur de l'idée, des représentants du ministre de l'Instruction publique et du sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts, des disques de gramophone enregistrés furent déposés de manière à ne pas se trouver en contact immédiat les uns avec les autres, et placés dans une double boîte où l'on fit le vide ; ce récipient soudé a pris place dans l'un des casiers métalliques aménagés dans un mur construit exprès pour recevoir les caisses de disques à mesure qu'elles parviendront. [...] Les caisses de disques ne pourront être ouvertes que dans cent ans.

(l’Illustration, 28 décembre 1907)

 

 

 

 

la cérémonie de 1907

 

 

Les voix endormies.

Au fond d'un caveau souterrain de l'Opéra, mystérieusement incluses en la cire des disques d'un gramophone, les voix de la Patti, de Tamagno, de Caruso, celles de Mmes Calvé, Melba, Mérentié et bien d'autres encore, dormaient silencieuses, depuis le mois de décembre 1907. Cet après-midi (jeudi), le repos de ces belles endormies sera, quelques instants, troublé. Car l'enchanteur à qui elles doivent leur réclusion s'apprête à leur donner des compagnes qui, ainsi qu'elles-mêmes, n'auront pas le droit de rompre le silence avant un siècle révolu.

En présence de M. Léon Bérard, sous-secrétaire d'État aux beaux-arts, des directeurs de l'Opéra et du personnel de la bibliothèque et des archives, M. Alfred Clark qui, en 1907, avait offert aux archives de l'Opéra une première collection de phonogrammes, procédera avec le même cérémonial que la première fois à la remise d'une série nouvelle. Il n'est pas besoin d'insister sur l'importance que présenteront pour les musicographes du vingt et unième siècle ces documents précis sur le talent et le style des grands artistes de nos jours.

(le Figaro, 13 juin 1912)

 

  

Dans les sous-sols de l’Opéra on enfouit des voix célèbres. Le gramophone les révèlera dans cent ans.

On se souvient que le 24 décembre 1907, il avait été procédé dans les sous-sols de l'Opéra, à l'enfouissement d'une vingtaine de disques de gramophone, sur lesquels étaient gravées les voix de quelques-uns de nos chanteurs les plus célèbres.

Parmi ces chanteurs on comptait : Tamagno, la Patti, Mme Calvé, MM. Plançon et Renaud.

Soigneusement enfermés dans d'épaisses urnes de fonte soudées, lesquelles sont elles-mêmes enfouies dans un caveau spécial dont M. Banès, bibliothécaire de l'Opéra a seul la clé, ces précieux disques ne doivent revoir le jour que dans cent années.

Ce sera là un instant de belle émotion pour nos petits-fils, et l'on peut supposer aisément celle que nous éprouverions s'il nous était donné d'entendre le clavecin de Mozart, le piano de Liszt, la déclamation de Talma et la voix de la Malibran.

Une cérémonie analogue eut lieu hier à la même place. A trois heures de l'après-midi, M. Bérard, suivi de son chef de cabinet, M. Maurice Reclus, arrivait à la bibliothèque de l'Opéra, lieu de réunion de tous les invités.

Le Sous-Secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts devait, en effet, présider à cet enfouissement et sceller de sa propre main, avec le sceau de l'Etat, les deux urnes contenant les disques nouvellement gravés.

Dans l'assistance, assez nombreuse, on remarquait MM. Messager et Broussan, Marius Gabion, Pierre Soulaine, Maurice Lefèvre, Paul Vidal, Croze, Bozonet, Schneider, Ecorcheville et de Curzon...

... Puis, comme le cortège s'enfonçait dans les profondeurs du sol, M. Demange, chef électricien de l'Opéra, profita du passage du Sous-Secrétaire d'Etat devant l'immense installation électrique, pour lui en expliquer le minutieux fonctionnement ; ce qui parut l'intéresser prodigieusement.

Enfin, après de longs détours sous de sombres arcades, nous arrivâmes dans une sorte de caveau où plusieurs rangées de fauteuils avaient été installées. Il y régnait une fraîcheur humide qui glaça quelques crânes, aussi M. Bérard crut-il répondre au désir de plusieurs assistants en couvrant son chef ministériel. Il fut aussitôt imité.

Sur une table ornée d'un tapis rouge, les disques avaient été préparés. En face, la tombe attendait, grande ouverte, laissant deviner dans ses sombres profondeurs, les deux urnes déposées en 1907.

Voici les noms des artistes dont les voix allaient connaître l'honneur de se voir vouées à une postérité centenaire :

MM. Gémier, Journet, Mme Tetrazzini, MM. Campagnola, Beyle, Reynaldo Hahn, Vigneau, Mlle Brohly, Mme Auguez de Montalant, Mlle Korsoff, MM. Franz, Caruso, Amato, Chaliapine, Mlle Farrar, Mme Melba et M. Scotti.

Il y eut aussi des instrumentistes : MM. Kubelik, déjà enfoui en 1907 ; Kreisler également violoniste, et Paderewski.

Ne croyez pas que tout ceci se passât sans solennité, voire sans émotion. Avant de les enfermer à jamais - du moins pour nous - on mit sur un appareil installé exprès, le disque de M. Gémier. C'était une allocution au ministre. Puis, ou entendit la belle voix de M. Franz dans le « récit du Graal ». Elle était reconnaissable dans ses moindres inflexions. Mlle Brohly chanta « Samson et Dalila ». M. Kubelik termina ce concert. A près quoi, dûment enveloppés, cachetés et soudés, les disques disparurent.

« On ne les entendra plus qu'en 2012 » dit quelqu'un. Chacun se regarda. Personne ne souriait.

Le procès-verbal, sur parchemin, fut signé par tous les assistants, et le stylographe circulait de main en main comme un goupillon qui laisserait tomber de l'eau bénite sur une tombe encore ouverte.

(L. Borgex, Comœdia, 14 juin 1912)

 

 

Ainsi que nous l’avions annoncé, c’est jeudi de la semaine dernière qu’a eu lieu à l’Opéra la cérémonie, présidée par notre intendant des Beaux-Arts, M. Léon Bérard, de l’ensevelissement des disques phonographiques qu’on ne devra exhumer que dans cent ans… si l’on y pense encore ! M. Bérard, entouré de MM. Messager, Broussan, Gabion, Soulaine, Maurice Lefebvre, M. Reclus, Antoine Banès et Alfred Clark, scella les urnes-marmites contenant les voix de Mlle Brohly, de MM. Franz et Gémier et aussi une exécution pianistique de M. Paderewski et une violonistique de M. Kubelik.

(le Ménestrel, 22 juin 1912)

 

 

 

 

 

l'Opéra de Paris, photo vers 1889

 

 

 

 

l'Opéra de Paris, photo vers 1890

 

 

 

Le Cinquantenaire de l’Opéra.

 

L'Opéra a célébré, le 6 janvier 1925, à un jour près, son cinquantenaire. Un décret en date du 29 septembre 1861 avait déclaré d'utilité publique la construction d'une nouvelle salle d'opéra sur un emplacement délimité par le boulevard des Capucines, la rue Neuve-des-Mathurins et la rue de la Chaussée-d'Antin. Le 29 décembre, un arrêté avait fixé les conditions d'un concours ouvert à cet effet. Cent soixante et onze projets furent exposés l'année suivante. On sait comment le jury, en ayant d'abord retenu seize, puis sept, réduisit enfin à cinq le nombre des candidats, dont Charles Garnier demeura le vainqueur. L'ancien Opéra de la rue Le Peletier ayant été détruit par le feu le 28 octobre 1873, le directeur en exercice, Halanzier, s'entendit avec les directeurs du Théâtre-Italien, Merelli et Strakosch, pour donner les représentations de l'Opéra dans leur salle de la rue Ventadour jusqu'au jour où le nouveau bâtiment en construction serait achevé.

 

La nouvelle salle, enfin prête, fut inaugurée le 5 janvier 1875, par une représentation de gala à laquelle assistaient le lord-maire de Londres, en costume de grande cérémonie, et de nombreux personnages officiels : le maréchal de Mac-Mahon, le président de l'Assemblée nationale, les souverains d'Espagne, le roi de Hanovre, le maréchal Canrobert.

 

Les spectateurs furent frappés, plus encore que par le style pompeux de l'édifice, par les dimensions considérables de l'Opéra de Garnier, qui tiennent surtout au développement donné à l'entrée avec le foyer du public et le célèbre escalier monumental, ainsi qu'aux dépendances de la scène, qui contiennent environ cinq cents loges d'artiste et des foyers d'étude pour la danse et le chant. Cependant, ni la scène ni la salle ne dépassent sensiblement en ampleur les dimensions de l'Opéra de la rue Le Peletier. La scène actuelle a 15 m. 10 en hauteur et, en largeur d'ouverture au cadre, 52 m. 90 de largeur totale. La salle a 20 m. 59 de largeur, 25 m. 65 de profondeur et 20 mètres de hauteur. Elle contenait à l'origine 2.156 places, dont le tarif (reste en vigueur jusqu'en 1914), oscillait entre 2 fr. 50 (cinquièmes loges ; 3 fr. en location) et 15 francs (premières loges ; 17 fr. en location).

 

De 1875 à 1925, les directeurs de l'Opéra se sont succédé de la façon suivante : Halanzier (qui avait succédé lui-même à Emile Perrin en 1871) jusqu'en 1879 ; Vaucorbeil, de 1879 à 1884 ; des Chapelles, commissaire du gouvernement, à la suite du décès de Vaucorbeil, survenu deux mois avant la fin de son privilège ; Ritt et Gailhard (1884-1891) ; Bertrand (1891-1893) ; Bertrand et Gailhard, puis Gailhard seul jusqu'en 1908 ; Messager et Broussan (1908-1914) ; enfin Jacques Rouché. On voit qu'en fait l'Opéra n'a changé que cinq fois de direction, Gailhard étant resté au pouvoir pendant vingt-trois ans.

 

Avec Halanzier, l'Opéra, bien que sa subvention ne fût plus que de 800.000 francs au lieu de 900.000 (et si paradoxal que paraisse le fait, elle n'a pas augmenté depuis lors !) retrouva son ancienne prospérité. Reyer disait de lui qu' « il avait un grand avantage sur quelques-uns de ses confrères : il ne savait pas la musique, mais, là, pas du tout ». Il ne fut pas, cependant, trop maladroit, puisque c'est lui qui fit jouer Gretna Green, de Guiraud (1873) ; Sylvia, de Delibes (1876) ; le Roi de Lahore, de Massenet (1877) ; Polyeucte, de Gounod (1878). Vaucorbeil, qui savait la musique (il a laissé plusieurs œuvres de musique de chambre et un opéra, Mahomet, qu'il eut la modestie de ne pas faire représenter sur la scène qu'il dirigeait), obtint que Aïda, de Verdi (créée au Caire dix ans plus tôt), fût inscrite au répertoire de l'Opéra (1880) ; fit reprendre la même année le Comte Ory, de Rossini ; créa la Korrigane, de Widor (1880) ; le Tribut de Zamora, de Gounod (1881) ; Namouna, de Lalo, et Françoise de Rimini, d'Ambroise Thomas (1882) ; Henri VIII, de Saint-Saëns, et la Farandole, de Théodore Dubois (1883) ; une version nouvelle de la Sapho de Gounod (1884), et commanda à André Messager le ballet des Deux Pigeons, qui fut monté par la direction suivante. C'est à Pedro Gailhard que revient le mérite d'avoir accueilli Sigurd, de Reyer (1885) ; Patrie !, de Paladilhe (1886) ; Roméo et Juliette, de Gounod (1888) ; Salammbô, de Reyer (1892), précédemment créée à Bruxelles ; Samson et Dalila, de Saint-Saëns (1892), d'abord créé à Weimar en 1877, puis joué à Rouen en 1890 ; Thaïs, de Massenet, en 1894.

 

A partir de cette date, l'Opéra tomba en décadence. On a souvent fait remarquer que, durant les treize années que dura encore la direction Gailhard, aucun opéra nouveau n'échappa à l'insuccès. Qui, à part les musicologues et les vieux abonnés, se souvient encore de la Montagne Noire, d'Augusta Holmès (1895), ou de Hallé, de Duvernoy (1896) ou de Lancelot, de Victorin Joncières (1900), ou d'Astarté, de Xavier Leroux ? Des œuvres meilleures, mais mal comprises de la direction et mal présentées, ne purent se maintenir : de Chabrier, Gwendoline (1893) et Briséis (1899) ; Messidor, de Bruneau (1897) ; l'Etranger, de V. d'Indy (1902). Aussi, en 1904, Romain Rolland pouvait-il écrire : « En dépit du changement de goût et des campagnes de presse, l'Opéra est resté jusqu'à ce jour le théâtre de Meyerbeer et de Gounod, ainsi que de leurs disciples. Un tel théâtre ne compte plus dans l'histoire de la musique française, et il faudra à ses nouveaux directeurs beaucoup d'énergie et d'ingéniosité pour faire rentrer un semblant de vie dans ce colosse mort. »

 

Depuis 1908 avec Messager, puis avec Rouché, l'Opéra a repris dans la vie musicale française la place qu'il n'aurait jamais dû perdre : Fervaal, de V. d'Indy (1913) ; Scemo, de Bachelet (1914) ; la Légende de saint Christophe, de V. d'Indy (1920) ; Antar, de Gabriel Dupont (1921) ; l'Heure espagnole, de Ravel (1921) ; le Martyre de saint Sébastien, de Debussy (1922) [ces deux derniers créés auparavant sur d'autres scènes] ; Padmâvati, d'Albert Roussel (1923) ; et, parmi les ballets : España, de Chabrier (1911) ; la Tragédie de Salomé, de Florent Schmitt (1919) ; la Péri, de Paul Dukas (1921) ; Daphnis et Chloé, de Ravel (1922), etc. Berlioz, dont la Prise de Troie avait reparu sur l'affiche en 1900, a enfin droit de cité désormais avec la Damnation de Faust, adaptée à la scène en 1910, et les Troyens, repris sous la direction Rouché en 1921. Moussorgski figure au répertoire avec Boris Godounov (1922) et la Khovanchtchina (1923). Richard Strauss y a vu jouer Salomé (1910) et la Légende de Joseph (1914). Le Falstaff de Verdi a été accueilli en 1922. Rameau a été remis en honneur avec Hippolyte et Aricie et Castor et Pollux. Quant à Wagner, il a conquis lentement, mais sûrement, sa place : après la mémorable création de Tannhäuser, en 1861, ce fut l'apparition, sous la direction Vaucorbeil, de Lohengrin (1891) ; sous la direction Bertrand et Gailhard, de la Walkyrie (1893) et des Maîtres Chanteurs (1897) ; sous la direction Gailhard, de Siegfried (1902) et de Tristan (1904) ; sous la direction Messager et Broussan, du Crépuscule des Dieux (1908), de l'Or du Rhin (1909) et de Parsifal (1914).

 

 

 

l'Opéra de Charles Garnier. Coupe longitudinale du monument, d'après un dessin d'A. Deroy (le Monde illustré, 6 février 1875)

 

 

Parmi les chanteurs qui ont illustré ces cinquante années, il faut rappeler le souvenir de la célèbre Mme Krauss et de son partenaire, le baryton J.-B. Faure, illustres prédécesseurs de Van Dyck, de Jean et Edouard de Reszké et des chanteurs actuels, dont les noms sont familiers à tous. La liste n'est pas moins longue des danseurs et danseuses, depuis Mérante et Rosita Mauri jusqu'à Aveline et Carlotta Zambelli. Quant aux chefs d'orchestre, la baguette a passé successivement des mains de Lamoureux et de Colonne dans celles de Taffanel, de Messager, de Chevillard, de Gaubert, Rühlmann, Büsser, Grovlez.

 

Pour la représentation de gala de l'inauguration, Halanzier avait eu recours au spectacle en usage dans ces sortes de cérémonies : comme il s'agit d'y faire entrer ce que la maison peut offrir de plus célèbre ou de plus brillant, on utilise un « spectacle coupé », c'est-à-dire que le programme réunit des fragments d'ouvrages divers. En 1875, il comportait deux actes de la Juive, d'Halévy ; la Bénédiction des Poignards, des Huguenots, de Meyerbeer ; un tableau de la Source, ballet de Delibes, et les ouvertures de la Muette de Portici et de Guillaume Tell. En 1925, en présence du président de la République, de presque tout le corps diplomatique et de nombreux parlementaires, un spectacle analogue réunissait la Bénédiction des Poignards (terriblement vieillie), l'acte (non moins vétuste) d'Ophélie dans Hamlet, d'Ambroise Thomas ; un acte (toujours frais et vivant) de Sylvia, ballet de Delibes, et la reprise du Triomphe de l'Amour, de Lully.

 

Cette reprise est d'une importance capitale, car elle fait revivre une forme d'art qui est celle-là même qui paraît le mieux convenir au gigantesque monument et aux possibilités de la musique, à condition, bien entendu, de l'adapter, comme a su le faire Albert Roussel avec Padmâvati, aux nécessités de l'esthétique et de la syntaxe musicales contemporaines.

 

Aussi, en ranimant cet opéra-ballet de Lulli qui n'avait pas été repris depuis 1705, la direction de l'Opéra a fait un geste qui va bien au delà des vœux des musicologues : elle a planté un solide jalon sur une route rajeunie.

 

On sait que le Triomphe de l'Amour, commandé par Louis XIV à Lulli et à Quinault, fut le ballet de cour du Carnaval de l'an 1681. Depuis plusieurs années, les opéras, qui faisaient fureur, avaient remplacé les ballets, aux divertissements du Carnaval. Lulli, en revenant à cette forme, ranimait la tradition du ballet, qu'il avait lui-même abondamment illustrée déjà. Mais cette nouvelle œuvre ne ressemblait nullement aux anciennes. La danse n'y reste pas au premier plan ; elle cède le pas à la musique : les chœurs, les airs, les « symphonies » occupent désormais une place prépondérante. A la cour, on se plaignit qu'il y eût trop de musique : l'orchestre empêchait d'entendre les castagnettes de Mlle de Nantes. La danse cède aussi le pas au spectacle : Lulli avait résolu de monter la pièce avec une extraordinaire magnificence. Déjà à Saint-Germain, où le Triomphe de l'Amour fut représenté pour la première fois le 21 janvier 1681, les décors et costumes élégants et fastueux de Berain excitèrent l'enthousiasme. Lorsque l'œuvre fut donnée à Paris, Lulli voulut plus de magnificence encore. De Bologne il fit venir le machiniste Ravini, qui multiplia les apothéoses. Il eut même l'idée de confier à des ballerines les entrées, qui, aux représentations de Saint-Germain, avaient été dansées par des dames de la cour. Jusqu'alors, on n'avait eu recours, sur la scène de l'Opéra, qu'à des hommes travestis en femmes. On admira cette « nouveauté toute singulière »...

 

 

 

Inauguration de l'Opéra. Ovation à M. Garnier à sa sortie de l'Opéra. Dessin de M. Lix (le Monde illustré, 16 janvier 1875)

 

 

Le livret a les qualités ordinaires et réelles de Quinault : tendre mollesse, aisance du style, souplesse de la versification. Le sujet est agréable, avec quelques idées de vrai poète. Les dieux paraissent et, par leur exemple, célèbrent les hauts faits de l'Amour. Vénus, son orgueilleuse mère, appelle Dryades, Naïades, Nymphes et Plaisirs. Mars et ses compagnons d'armes voient leur ardeur guerrière désarmée par la cohorte des Amours. Amphitrite cède à Neptune, acharné à la poursuivre. Borée enlève Orythie à ses compagnes athéniennes. Diane, rebelle, sent fléchir sa rigueur à l'approche d'Endymion. A l'Amour qui triomphe, la Nuit vient apporter son mystère. Mais les peuplades de Carie s'étonnent de ne point voir au ciel l'astre accoutumé. Ce présage sinistre excite leurs clameurs. En vain : le jour va reparaître sans que Diane ait éclairé la nuit. Déjà. Bacchus ramène une Ariane domptée. Mercure annonce l'approche d'Apollon avec ses bergers, de Pan avec ses Sylvains, de Flore, de Zéphire et des Nymphes. Enfin voici l'Amour suivi de la Jeunesse, qu'accompagnent les Jeux. Une Gloire lumineuse paraît dans le ciel, où s'étagent Jupiter et les Olympiens. Les voix de l'univers célèbrent l'apothéose du jeune Amour, auquel tous les dieux rendent hommage.

 

Spectacle heureux, souriant, mais monotone. L'intérêt dramatique manque. Beaucoup de scènes se ressemblent ; les entrées des Nymphes, des Naïades, des Plaisirs et des Jeux ne sont pas différenciées : aussi prit-on le parti, à l'Opéra — et l'on ne saurait blâmer cette audace, — d'en laisser de côté quelques-unes. La musique ne va pas, elle non plus, sans quelque monotonie ; plus encore que l'agencement du livret, l'interprétation en est responsable. Les phrases de Lulli ne se doivent pas chanter comme des phrases de cantate. C'est une grave erreur que de donner à ces chants, sous prétexte que le spectacle est pompeux et conventionnel, une allure de déesse trop majestueuse. On risque d'étouffer une partition qui renferme quelques-uns des morceaux les plus parfaits que le Florentin ait écrits et où il a mis, pour remplacer le récitatif déclamé qui n'y pouvait guère trouver place, le plus de pure musique. Le Nocturne, avec le murmure vaporeux de ses violons, sur lequel vient se poser un chant d'une exquise douceur, est une des merveilles symphoniques du XVIIe siècle. En plaçant la célébration du cinquantenaire sous l'égide de Lulli, qui, ayant racheté à Perrin son privilège, fut le premier directeur effectif de l'Opéra en France, l'Opéra de 1925 a su rendre à la fois hommage à l'Histoire et à l'Art.

 

(André Cœuroy, Larousse Mensuel Illustré, avril 1925)

 

 

 

 

 

 

la place de l'Opéra vers 1900 [photo M. P. Jousset]

 

 

 

 

l'Opéra de Paris vers 1910

 

 

 

 

la façade latérale

 

 

 

la foule attendant lors d'une représentation gratuite du 14 juillet

 

 

 

la place de l'Opéra le 14 juillet 1919 [photo Hunters, Buxton]

 

 

 

la place de l'Opéra vers 1920 [photo Braun et Cie]

 

 

 

la place de l'Opéra en 1950

 

 

 

Le progrès technique à l'Opéra

 

Commencés en avril 1936, les travaux de l’Opéra vont être terminés prochainement et l’inauguration officielle du palais Garnier modernisé aura sans doute lieu avant la fin de février. Sous la haute direction de M. Jacques Rouché, ces travaux d’une ampleur considérable ont été dirigés par M. J. Marrast*, architecte en chef des monuments nationaux, avec la collaboration de tous les instants de M. Pierre Chereau, régisseur général de l’Opéra. Une telle collaboration entre un architecte éminent, parfaitement documenté, qui sait réaliser, et un homme de théâtre accompli, qui sait ce qu’il faut réaliser, ne peut manquer d’être féconde.

Dans l'immense scène de l'Opéra 1937, il n'y a plus — les décors mis à part — que le plancher qui soit en bois, en sapin de Lorraine. Les trois grils superposés, les magasins latéraux de décors, tous les dessus sont maintenant métalliques. Tous les planchers, sauf le plancher de scène, sont en béton armé ou en caillebotis métallique. M. Marrast a fait abondamment usage de ce caillebotis en tôle d'acier perforée parce qu'il offre plusieurs avantages. Il pouvait être établi en planches faciles à substituer aux planches de bois existantes, il est incombustible et, en cas d'incendie, il laisse passer par ses trous l'eau s'écoulant des 28 déversoirs du grand jeu. Ce dispositif, qui avait été déjà installé en partie à la fin de 1935, a fait ses preuves au cours du dernier incendie. Généralisé maintenant à tout plancher surplombant la scène, le caillebotis métallique serait d'une grande utilité en cas de sinistre. Car l'eau ne manque pas sur la scène de l'Opéra. Le grand jeu est alimenté par deux canalisations, l'une de 30, l'autre de 20 centimètres de dia­mètre, issues du réservoir de Montmartre et assurant un débit de 420 mètres cubes à l'heure. L'essentiel est que l'eau coulant des déversoirs puisse atteindre les parties de décors en feu. Cette condition est remplie grâce au caillebotis métallique.

Le nouveau rideau de fer, qui date égale­ment de la tranche des travaux achevée en décembre 1935, a prouvé lui aussi sa résis­tance et son efficacité au cours du malen­contreux incendie de septembre dernier.

Tous les tambours des grils et des parties supérieures de la scène ont été supprimés, et, bien entendu, leurs fils de chanvre. M. Mar­rast leur a substitué des équipes à l'allemande, avec fils de manœuvre en acier et contre­poids.

Une grande innovation sur la scène, dont bénéficiera largement la présentation des décors d'extérieur, c'est le panorama. Car il n'y avait pas de panorama à l'Opéra. Celui qu'a réalisé M. Marrast a une forme elliptique qui embrasse tout le décor. Il est en tôle d'acier ployée et emboutie et revêtu de panneaux d'un aggloméré spécial d'amiante et de mica. Cette composition est incombustible et son coefficient d'absorption du son est aussi élevé que celui de la toile. Elle est en outre d'une densité réduite. Ceci n'est pas négligeable, puisque le panorama pèse cepen­dant plus de 20 tonnes. Et cette masse énorme est constamment suspendue au troisième gril — le plus haut. Quand il n'est pas utilisé, le panorama est rangé tout en haut et, lorsqu'il est en service, il doit encore demeurer sus­pendu derrière le décor à deux mètres au-dessus du plancher de scène pour laisser le passage libre au personnel. Un emploi ingénieux de fils, de poulies et de contre­poids facilite énormément la tâche des moteurs électriques pendant les manœuvres qui sont obligatoirement très rapides.

Sur le revêtement d'amiante et de mica du panorama est marouflée une toile peinte couleur d'azur. Mais à l'Opéra le temps se gâte souvent. Ce sont alors des lanternes électriques qui troublent le ciel en y projetant des cumulus, ou l'assombrissent avec des faisceaux de lumière judicieusement colorée. Dans ce domaine magique, M. Marrast a installé de nouvelles lanternes carrées, dotées d'écrans de toutes les couleurs, même de toutes les teintes, et qui, aussi bien pour l'éclairage par projection des décors que du panorama, marquent un progrès appréciable sur l'ancien procédé consistant à jouer avec l'éclairement relatif des lampes blanches, rouges et bleues portées par les herses.

Quant au jeu d'orgue — qui ne pouvait guère être comparé à un orgue qu'au siècle du gaz, lorsque les canalisations étaient des tuyaux, — M. Marrast l'a établi suivant une formule due à l'ingénieur italien Bordoni, qui supprime l'emploi des résistances et utilise exclusivement des transformateurs. Il est enfermé dans une chambre en béton armé, placée non plus sous l'orchestre, mais sous l'avant-scène.

Il y a maintenant des ascenseurs à l'Opéra. Ascenseurs pour les spectateurs et ascenseurs pour les décors. Ces derniers, au nombre de deux et d'une puissance de 1.500 kilos, faciliteront considérablement le service des magasins latéraux de décors qui se super­posent en cinq étages et sur 45 mètres de hauteur.

Comment cette usine de l'Opéra est-elle alimentée en énergie électrique ? Le courant arrive à la cabine de transformation sous la tension de 12.000 volts. En deux câbles : l'un en service, l'autre en réserve. Ces deux câbles ne sont d'ailleurs pas issus de la même centrale électrique. Un conjoncteur-disjoncteur automatique assure immédiatement l'alimentation par le câble de secours en cas de défaillance du câble en service. La puissance absorbée est actuellement de 1.800 kilowatts, et répartie en trois groupes de 600 kilowatts chacun qui se mettent automatiquement en service par relais, le deuxième dès que les besoins du théâtre dépassent le chiffre de 600, le troisième dès que ces besoins franchissent le palier de 1.200 kilowatts. L'installation est prévue de telle sorte que la puissance totale puisse être portée ultérieurement à 2.400 kilowatts.

Dans la salle, en dehors de la remise en état des peintures, des dorures, des tapisseries, les spectateurs constateront un certain nombre de modifications. Pour améliorer la visibilité des places élevées, le lustre a été relevé — il a été en même temps débarrassé de ses globes à becs de gaz qu'il portait encore. Pour améliorer la visibilité des premiers rangs de l'orchestre, l'ancienne rampe a été supprimée et remplacée par une rampe en contrebas dont le réflecteur ne fait plus saillie au-dessus du plancher de scène. Et les trois boîtes, du souffleur, du chef électricien et du maître de ballet, ont disparu ; seulement aux yeux du public évidemment.

La fosse de l'orchestre, enfin, a été sensiblement modifiée. Elle comporte maintenant quatre gradins descendant, sous l'avant-scène, la batterie devant occuper le gradin le plus bas. La hauteur de ces gradins a été calculée pour qu'il soit désormais impossible que les lampes des musiciens gênent la vision du public. Toutes les précautions techniques ont été prises, en outre, par M. Marrast pour que le rendement acoustique de la nouvelle fosse d'orchestre soit excellent.

Bref, un gros effort vient d'être accompli, un effort averti et méthodique. L'Opéra de Paris est à présent une des scènes les plus modernes du monde.

 

(C.-G. Bossière, le Temps, 03 février 1937)

 

[* Gautier Joseph Eugène MARRAST (Paris, 09 juillet 1881 - 26 septembre 1971), frère du chef d'orchestre Walther Straram.]

 

 

 

 

 

la place de l'Opéra

 

 

 

Le nouvel Opéra

 

Le monument bâti sur les plans de Garnier et inauguré le 5 janvier 1875 passe à juste titre pour un des plus magnifiques palais qui jamais aient été offerts aux arts réunis de la musique, du théâtre et de la danse. Sa masse imposante, mais de proportions harmonieuses, sa façade où les groupes de Carpeaux font vivre et danser la pierre, son escalier de marbre, d'une majesté souveraine, le foyer à l'étage des premières loges, doublé de sa riche loggia, la salle où brillent le pourpre et l'or, la scène qui a 16 mètres en hauteur et largeur d'ouverture, 32 mètres en profondeur d'aspects célèbres et déjà presque légendaires, que tout étranger de passage veut avoir contemplés ; on en parle en toutes les langues et leur renom est mondial.

Depuis cette année, un nouvel intérêt s'y ajoute : entièrement remis à neuf, l'Opéra, en son noble édifice, loge un appareillage scénique d'une puissance et d'une perfection sans égales.

L'appareil qui distribue sur la scène les lumières diversement colorées et qu'on appelle jeu d'orgues (un souvenir de l'ancien éclairage au gaz et de ses tuyaux juxtaposés) est actuellement le plus grand du monde. Une énergie électrique de 2.400 kw. s'y trouve à volonté répartie sur 300 circuits.

Pour tous les décors de plein air, les toiles de fond, qui s'éclairent mal, font des plis et prennent la poussière, ont été remplacées par un panorama, c'est-à-dire par un demi-cylindre rigide, qui a la forme de l'horizon et procure à s'y méprendre l'illusion du ciel. Construit en tôle d'acier ployée et emboutie, celui-ci pèse 22 tonnes. S'il n'est pas en service, il reste suspendu à trente mètres de hauteur au-dessus de la scène. S'il est en action, on le voit doucement descendre.

La manœuvre est silencieuse et s'accomplit en moins d'une minute.

La surface intérieure de ce cylindre, qui est de 940 mètres carrés, est revêtue d'un enduit d'amiante et de mica, dont le coefficient d'absorption du son est aussi élevé que celui de la toile. Les projecteurs y répandent à volonté le calme de l'azur, les rougeurs de l'aurore, les pourpres crépusculaires, comme ils y précipitent la course échevelée des nuées orageuses ou y allument dans une transparence ténébreuse les étoiles nocturnes. Tout peut s'y accomplir.

 

 

 

une vue de la salle de l'Opéra pendant les récents travaux [photo Chevojon]

 

 

Si l'on vient à l'Opéra, c'est d'abord, sans aucun doute, pour écouter la musique ; mais il faut que le spectacle l'illustre : telle est la règle du genre ; ni la réforme de Wagner, ni les innovations de la musique moderne ne l'ont abolie. On s'efforce, comme le disait déjà La Bruyère, de « tenir les yeux, l'esprit et les oreilles dans un égal enchantement ». A l'Opéra, les plus récents progrès de la science, employés avec une ampleur et une ingéniosité sans précédent, concourent mieux que jamais à cet effort magique.

La salle et ses annexes, c'est-à-dire la partie du monument accessible au public, ont été également remises en état. On a ravivé l'éclat des fonds éteints, la chaleur des ors, révélant à nouveau le magnifique plafond de Lenepveu dans la salle, les fresques de Baudry dans le grand foyer.

Les travaux, commencés en juillet dernier, ont duré un peu plus de six mois et exigé le concours de 22 entreprises différentes, employant 700 ouvriers. Les peintures ont couvert une surface de 200.000 mètres carrés et les dorures ont consommé 4 kilos d'or. On a posé plus de 500 kilomètres de câbles et fils électriques, 44 kilomètres de filins métalliques pour les manœuvres, 500 tonnes de charpente métallique et 34 kilomètres de dallage en tôle ondulée pour remplacer sur la scène l'ancien équipement en bois, entièrement enlevé, et dont le volume était de 12.000 stères. On ne sera pas surpris de l'énormité de ces chiffres si l'on songe que dans l'espace occupé derrière le rideau pour la scène de l'Opéra et ses coulisses, depuis le plancher jusqu'au faîtage, tiendrait tout l'édifice de la Comédie-Française.

La dépense totale a atteint 24 millions. Elle n'a rien d'exagéré si l'on songe que pour construire un monument pareil à l'Opéra, il faudrait, d'après les évaluations les plus modérées, au moins 400 millions de francs.

 

(Académie Nationale de Musique et de Danse, programme du 04 décembre 1937)

 

 

 

 

le grand escalier d'honneur

 

 

 

le grand escalier d'honneur

 

soubassement du grand escalier

 

 

 

 

le grand foyer

 

 

 

                   

 

monument à Charles Garnier

 

 

 

un acrotère du Théâtre de l'Opéra

 

 

 

le Palais Garnier vu du ciel

 

 

 

Un siècle d’opéra au Palais Garnier

 

Le 29 septembre 1860, la construction d'un nouvel édifice, destiné à abriter l'Opéra de Paris, est décidé par le gouvernement.

Depuis l'incendie du Palais Royal, le 8 juin 1781, l'idée de doter Paris d'une salle digne de sa réputation revient régulièrement, mais c'est probablement l'attentat manqué du 14 janvier 1858 qui décide Napoléon III à l'envisager sérieusement.

En effet, ce jour là, l'Empereur faillit tomber sous les bombes de l'anarchiste Orsini, alors qu'il se rendait à une représentation de l'Opéra à la Salle Le Peletier.

L'étroitesse de la rue Le Peletier, par laquelle on accédait au théâtre, avait facilité l'attentat, Napoléon III qui aimait tout à la fois la sécurité, bien sûr, et le faste, commence à songer à la construction d'un théâtre digne de son règne. Il sera proche des Tuileries, à proximité de la Comédie-Française et on l'atteindra par une voie impériale, propice tout à la fois aux mesures de sécurité et aux déploiements de cortèges spectaculaires.

Lorsque le gouvernement prend sa décision, deux projets sont étudiés. L'un place la nouvelle salle entre les rues Le Peletier et Drouot, l'autre qui émane du baron Haussmann alors préfet de Paris, situe le bâtiment à l'emplacement où il est effectivement.

Un concours ouvert par le Ministère d'État aux Beaux-Arts, réunit cent soixante et onze projets. Cinq sont retenus et leurs auteurs invités à concourir une nouvelle fois.

Un jeune architecte, assez peu connu, Charles Garnier l'emporte à l'unanimité.

Lorsque Garnier vient présenter son projet à l'Empereur, l'Impératrice Eugénie critique le style du bâtiment, estimant que ce n'était ni du Louis XV, ni du moderne ; « mais c'est du Napoléon III » répond Garnier à l'Impératrice.

Il ne croit pas si bien dire. Cent ans après, le colossale édifice symbolise au cœur de notre capitale cette époque brillante à plus d'un titre.

C'est au mois d'août 1861 que les travaux de terrassement commencent. Pendant le même temps, le baron Haussmann trace ce qui deviendra l'avenue de l'Opéra et imagine une immense esplanade de 14 000 m2, faisant ainsi abattre un lot entier d'immeubles.

Les premières difficultés se présentent à l'architecte. Une énorme nappe d'eau souterraine doit être asséchée pour pouvoir poser les assises de la bâtisse.

Ce travail énorme dure des mois et lorsqu'il s'achève, l'eau qui provient des hauteurs de Ménilmontant — alors qu'on pense que ces infiltrations étaient dues à un ruisseau souterrain — s'infiltre toujours. Garnier, pour sauvegarder son futur édifice, décide de le faire reposer sur une immense double cuve, isolant ainsi ses bases des infiltrations.

Après l'achèvement de ces travaux préparatoires, le comte Walewski, fils naturel de Napoléon Ier et alors Ministre d'État, pose la première pierre le 21 juillet 1862.

La toiture et la coupole sont achevées en 1869, mais la guerre de 1870 va interrompre les travaux qui ne seront repris qu'après la Commune.

L'Empire est tombé, la guerre puis la révolution ont tourné les pages de l'histoire de France et, lorsque le 5 janvier 1875, on inaugure le Palais Garnier, c'est le maréchal de Mac-Mahon, premier président de la 3ème République qui préside cette cérémonie.

Des spectateurs de l'Europe entière sont là pour assister à la première représentation du Palais Garnier.

Lorsqu'à 20h 10, Monsieur Halanzier premier directeur, frappe les trois coups, les fauteuils de l'orchestre s'ornent de tout ce qui est célèbre en France et au hasard des loges on découvre le jeune Roi d'Espagne Alphonse XII qui vient d'être couronné, la Reine Isabelle, sa mère, le Lord Maire de Londres, l'ex-Roi de Hanovre ... et une multitude de toilettes somptueuses et d'uniformes chamarrés.

L'architecte Charles Garnier, sans aucun doute héros de cette grande première, n'a eu droit, pour sa part, qu'à une seconde loge et encore dut-il la payer !

Pour cette soirée de gala, la direct ion a mis à l'affiche un acte de la Juive avec Madame Krauss et Monsieur Villaret, la bénédiction des poignards des Huguenots avec Monsieur Pedro Gailhard qui deviendra, quelques années plus tard, directeur de l'Opéra.

Le programme comporte, en outre, un ballet de Léo Delibes : la Source, les ouvertures de la Muette de Portici et de Guillaume Tell.

Les invités auraient dû entendre un acte de Faust et un acte de Hamlet, mais pour des raisons de préséance, Madame Christine Nilsson, titulaire des rôles de Marguerite et d'Ophélie, refuse de paraître en scène. La tradition des querelles internes commence le jour même de l'inauguration !

Chacun des interprètes de cette soirée inaugurale reçoit sa part d'applaudissements, mais il ne faut pas s'y tromper, les spectateurs, dont certains ont payé jusqu'à mille francs un fauteuil d'orchestre, sont venus pour découvrir cette merveilleuse salle.

Garnier a conçu son théâtre, comme une salle de spectacle enchâssée dans un palais féérique, de 11 000 m2 de velours, d'or, de marbre, de bois précieux et de toiles de maîtres.

Le grand escalier s'élance avec ses marches de marbre blanc de 10 mètres de large et de rampes d'onyx, vers les fresques élégiaques de Pils.

Le foyer, merveilleux ensemble de cinquante quatre mètres de long, treize mètres de large et dix-huit mètres de haut, s'ouvre sur une loggia extérieure par sept porches monumentaux.

Le foyer de la danse, la rotonde des abonnés, sans parler des grands salons particuliers qui devaient, dans le projet initial, servir aux réceptions de l'Empereur et qui abritent maintenant la bibliothèque et le musée de l'Opéra sont à l'image de cet ensemble fastueux.

La scène elle même, possède des dimensions grandioses : trente-six mètres de haut, vingt-six mètres de profondeur et cinquante-trois mètres de largeur. Elle est la plus grande du monde, le théâtre de la Comédie-Française pourrait y tenir en entier.

Il est amusant de noter que, par un fait du hasard, cette scène occupe exactement l'emplacement du petit théâtre privé que la célèbre danseuse Guimard avait fait aménager dans son hôtel particulier de la Chaussée d'Antin.

Enfin, au cœur de l'édifice, la salle : chef-d'œuvre du style second Empire. Elle comprend cinq étages de loges, huit colonnes dorées, et un lustre de six tonnes illumine le plafond de Lenepveu, représentant les heures éclairées par le soleil, la lune, l'aurore et le crépuscule. C'est ce plafond que Monsieur André Malraux, Ministre d'Etat aux Beaux Arts en 1964, faisait recouvrir par celui de Marc Chagall.

Il faut toutefois signaler que les peintures de Lenepveu n'ont pas été détruites, l'œuvre de Marc Chagall ayant été posée sous forme de faux plafond, préservant ainsi celui déjà existant.

Trente peintres, soixante-treize sculpteurs participent à la décoration du Palais Garnier et parmi eux, Jean-Baptiste Carpeaux dont le merveilleux groupe la Danse provoque un tel scandale que l'on envisage, pendant un temps, de le remplacer par une autre composition. La revue le Théâtre va même jusqu'à parler de prostitution, un groupe de « bien pensants » jette sur le chef-d'œuvre de Carpeaux de l'encre que l'on ne pourra jamais faire totalement disparaître.

De plus, endommagé également par les intempéries, il trouve refuge au Musée du Louvre ; il est remplacé par une réplique exacte due au sculpteur Paul Belmondo, père du comédien.

Les représentations publiques commencent le 8 janvier 1875 avec la Juive de Halévy et comprenant la distribution suivante : Mesdames Krauss (Rachel), Belval (Eudoxie), Messieurs Villaret (Éléazar), Belval (Duc de Brogni), Vergnet (Léopold), Gaspard (Ruggiero), Auguez (Albert), sous la direction d'Ernest Deldevez.

Monsieur Halanzier, pour assurer le démarrage du nouveau théâtre, dispose d'une quarantaine d'artistes consacrés et possède un répertoire d'une soixantaine d'ouvrages.

Malheureusement, l'incendie de la salle Le Peletier en 1873 a détruit la quasi totalité des costumes et un grand nombre de décors. Ceux existants, n'étant pas à la dimension de la nouvelle scène, deviennent totalement inutilisables.

Il est donc nécessaire de tout recréer. C’est très certainement la raison pour laquelle on ne donne, la première année, que dix ouvrages : huit opéras : la Juive (8 janvier), la Favorite (25 janvier), Guillaume Tell (26 février), Hamlet (31 mars), les Huguenots (26 avril), Faust (6 septembre), Don Juan (29 novembre) et deux ballets de Léo Delibes : la Source (5 janvier), Coppélia (5 juin).

Le 25 janvier la Favorite, premier opéra intégral est donné, la mise en scène est de Léon Carvalho, le célèbre baryton Faure chante Alphonse. Le 26 février, reprise de Guillaume Tell dans une mise en scène du même Carvalho, Marie Belval est Mathilde, Faure est Guillaume.

Le 31 mai, c'est Hamlet, même mise en scène, Madame Miolan-Carvallo, créatrice de Faust, chante Ophélie, Faure est Hamlet, le roi est incarné par Pedro Gailhard. Les Huguenots dont un extrait a été donné lors de la soirée d'inauguration sont repris intégralement le 26 avril, tous les artistes en renom du Palais Garnier y participent : Madame Carvalho, G. Krauss, Messieurs Villaret, Faure, Gailhard.

Le 30 mai un gala au profit des Pupilles de la guerre est organisé, on y donne la scène de la prison de Faust et le trio du 5e acte, mais détail amusant, les décors n'étant pas encore prêts, ce sont ceux de Guillaume Tell qui sont utilisés. Ensuite se succèdent Coppélia le 5 juin et un acte du Trouvère le 3 juillet. La reprise intégrale de Faust a lieu le 6 septembre, dans la mise en scène de Léon Carvalho, Madame Miolan-Carvalho, la créatrice de 1859 est encore Marguerite, Daram est Siébel, Faust est chanté par Vergnet, Manoury interprète Valentin, Pedro Gaillard campe un redoutable Méphisto, c'est la cent-soixantaine représentation du chef-d'œuvre de Gounod qui deviendra l'œuvre la plus jouée au Palais Garnier (2300 fois).

Le 29 novembre, c'est la deux-cent-dixième représentation de Don Juan à l'Opéra et la reprise au Palais Garnier, encore une fois, tous les artistes ayant produit le spectacle au cours de l'année 1875 sont affichés. Le maître Ernest Deldevez a dirigé toutes les reprises de l'année.

En 1876, commence véritablement la vie féconde du théâtre avec sa première création : Jeanne d’Arc de Mermet, suit la première mondiale de Sylvia de Léo Delibes, Rita Sangalli incarne Sylvia, le Freischütz est repris le 3 juillet dans la version française de E. Pacini et Hector Berlioz, puis le Prophète. Robert le Diable est créé le 6 décembre 1876, avec une distribution éblouissante réunissant G. Krauss, Miolan-Carvalho, Messieurs Salomon, Vergnet, Boudouresque.

Après deux années d'exploitation, Monsieur Halanzier, et malgré les dépenses considérables dues à la refonte de tout le matériel, fait de remarquables bénéfices.

Effectivement, chaque parisien, chaque provincial. chaque étranger veut voir ce monument unique. Monsieur Halanzier institue même des visites organisées, couronnées d'un énorme succès. L'Assemblée Nationale s'en émeut et demande au directeur de se défendre lors de la session sur le budget fin 1875, on envisage de lui réduire de moitié ses bénéfices, mais finalement les députés lui laissent leur confiance et sa subvention est préservée intégralement pour un temps encore. Il peut présenter la création du Roi de Lahore le 27 avril 1877, la reprise de la Reine de Chypre le 6 août, il crée le Fandango et reprend pour la première fois au Palais Garnier le 17 novembre 1877 l’Africaine de Giacomo Meyerbeer, qui marque les débuts d'un chef prestigieux, Charles Lamoureux. C’est également ce dernier qui crée en première mondiale au Palais Garnier, Polyeucte de Gounod le 7 octobre 1878, Madame Krauss, Lassalle et Salomon en sont les principaux interprètes. Le 27 décembre 1878, le Palais Garnier voit la création de la Reine Berthe qui fait une carrière éphémère de cinq représentations puis la première de Yedda a lieu le 17 janvier 1879, c'est le dernier ouvrage, présenté par Monsieur Halanzier, qui vraiment réussit trop bien ... On le remercie. Monsieur Vaucorbeil, homme de ministère, le remplace, sa direction assez malheureuse ne laissera pas un grand souvenir, par exemple : lors de son passage à l'Éducation Nationale, il fait campagne pour la création du Roi d’Ys et le refuse catégoriquement lorsqu'il est nommé directeur. Étrange personnage !

Toutefois, il est l'auteur de quelques premières techniques assez sensationnelles pour l'époque.

Son mandat débute par la cinq-centième de la Favorite, le 21 juillet 1879, suivie le 8 septembre par la reprise de la Muette de Portici.

Le 22 mars 1880, un grand événement est célébré au Palais Garnier, l'illustrissime Maître Giuseppe Verdi crée son opéra : Aïda, qui déjà a remporté un triomphe sur toutes les scènes mondiales depuis la première au Caire en 1871. Madame Krauss est Aïda, Monsieur Sellier Radamès, Monsieur Maurel Amonasro et Monsieur Boudouresque Ramfis, Giuseppe Verdi est au pupitre, c'est une soirée inoubliable. Il est intéressant de noter que les costumes de E. Lacoste ont été réalisés avec le concours de Maspero, le plus important égyptologue de l'époque. Des trompettes de Sax sont spécialement conçues et réalisées pour la scène triomphale de l'œuvre. C'est une des plus grandioses représentations que connaît l'Opéra de Paris.

Le 15 octobre de la même année, une prouesse technique va marquer un tournant dans l'histoire du Palais Garnier, le congrès de l'électricité se tient dans le théâtre et, pour la première fois, la salle est éclairée électriquement. On joue Aïda.

C'est la même année que la première retransmission par téléphone, entre le magasin des décors rue Richer et la salle, est tentée lors d'une représentation du Tribut de Zamora.

En 1884 Monsieur Vaucorbeil meurt subitement. On nomme pour le remplacer un ancien savetier, basse célèbre du Palais Garnier : Pedro Gailhard.

C'est indiscutablement un grand directeur. On lui doit entre autre réussite, le courage d'avoir osé présenter Lohengrin en 1891.

Mais auparavant, le 28 novembre 1888, il engage la plus fabuleuse cantatrice de cette fin du 19ème siècle : Adelina Patti qui fait ses débuts sur la scène du Palais Garnier en créant Roméo et Juliette de Charles Gounod, œuvre maîtresse du théâtre lyrique français et de l'Opéra de Paris.

L'apparition de la grande Patti, dans le rôle de Juliette, intervient après des passages à New York, à Londres et, bien sûr, dans différents théâtres d'Italie. Elle est l'interprète de plus de trente rôles dans les œuvres de Rossini, Bellini, Donizetti, Verdi, Meyerbeer. Elle est la créatrice à Londres d'Aïda et de Juliette.

Elle est la cantatrice la plus payée de son époque. Elle obtient deux cents guinées par représentation à Londres et plus de cinq mille dollars aux États-Unis.

Bien qu'elle soit essentiellement un soprano coloratura, elle chante de nombreux airs lyriques, tels que Faust, le Trouvère et même dramatique comme Aïda. L'étendue de sa voix va du do au fa3. La souplesse et l'égalité de sa tessiture sont absolument parfaites. Elle est indiscutablement sans rivale pour la beauté et la pureté du son. Aux côtés d'Adelina Patti, Jean de Reszké incarne Roméo, Melchissedec : Mercutio, Edouard de Reszké : frère Laurent. La direction musicale de cette création inoubliable est assurée par l'auteur lui-même : Charles Gounod. Pedro Gailhard assure la mise en scène de l'ouvrage.

Lorsque Lohengrin est affiché en 1891, l'initiative de Pedro Gailhard de présenter un opéra de Richard Wagner paraît folle. Des boules puantes sont jetées dans la salle pendant le spectacle et des manifestations, se transformant en émeutes, se déroulent sur la place de l'Opéra provoquant une intervention armée.

Mais Pedro Gailhard, obstiné, ne renoncera pas à afficher Richard Wagner dans son théâtre. C'est lui qui fait inscrire pour la première fois, le nom du chef d'orchestre sur les affiches et qui oblige ce dernier à assurer toute la représentation. Effectivement, il n'était pas rare de voir le chef titulaire passer la baguette à son adjoint et rentrer chez lui le plus simplement du monde entre le deuxième et le troisième acte.

Le 1er février 1907, autre initiative : le pupitre du chef d'orchestre est, définitivement placé à l'endroit où il se trouve aujourd'hui, puisque jusqu'à cette date, le chef se tenait contre le trou du souffleur, face à la scène et ne se tournait vers les musiciens que pour diriger les ouvertures des œuvres représentées.

André Messager et Broussan succèdent à Pedro Gailhard en 1908. Si le bilan financier de leur gestion s'avère difficile, leur activité musicale s'inscrit parmi les plus bénéfiques. Ce sont eux qui amènent à l'Opéra la presque totalité du répertoire wagnérien et qui rendent un immense service à l'art lyrique en supprimant — du moins officiellement — la claque, obligeant ainsi ses organisateurs à se réfugier dans la clandestinité pour, finalement, disparaître progressivement.

Curieuse institution que cette claque qui n'était autre qu'une forme d'escroquerie et de chantage (si l'on peut dire !) envers les artistes du théâtre. Pour une somme de cent cinquante francs or, le chef de claque assurait avec son équipe disséminée dans la salle un véritable triomphe au chanteur qui avait payé, mais inversement pouvait monter une véritable cabale envers celui qui refusait ce marché peu scrupuleux.

Les chanteurs n'ayant pas « acquitté leurs taxes » et qui malgré tout obtenaient des applaudissements spontanés de la part du public et bissaient leur air, devaient payer une compensation de cinquante francs. On imagine le nombre de bis dont les spectateurs ont été privés pendant des dizaines d'années.

Au lendemain du triomphe de Parsifal, la guerre de 1914 interrompt la direction de Messager et Broussan. Jacques Rouché est désigné pour leur succéder. Il assurera ses fonctions jusqu'en 1944. Jacques Rouché nous apparaît, indiscutablement, comme le plus grand directeur du Palais Garnier. Il le dirigera avec autorité, avec amour, mais surtout avec compétence.

Sa fortune personnelle lui permet de ne jamais réclamer une augmentation de la subvention qui lui est accordée. Lorsqu'il se trouve devant une difficulté financière, il comble lui-même de ses deniers le déficit, uniquement parce qu'il considère que là est son devoir de directeur. Certes, Jacques Rouché en procédant de cette façon, ne s'enrichira jamais, mais par contre enrichira considérablement le Palais Garnier, qui ne connaît sous son règne que des soirées de qualités et souvent exceptionnelles.

En trente années de direction, Jacques Rouché, en plus des reprises d'une dizaine de grands classiques, assure la création de soixante-et-onze ouvrages lyriques et soixante-treize ballets. Il accueille dans son théâtre les ballets russes de Serge de Diaghilev, les réalisations d'Ida Rubinstein. Il fait débuter celui qui marqua de son empreinte tout le ballet en France : Serge Lifar, le corps du ballet, jusque là un peu négligé, prend sa véritable place sous l'impulsion de son grand directeur.

Il construit la plus fantastique troupe de chanteurs que connaît un théâtre à cette période.

Rappelons que Germaine Lubin, Suzanne Juyol, Fanny Heldy, Lily Pons, Ninon Vallin, Georges Thill, Charles Cambon, José Luccioni, Albert Huberty, André Pernet, Endrèze, Paul Cabanel et bien d'autres encore ont débuté et appartenu à la troupe de l'Opéra sous la direction de Jacques Rouché.

En 1938, une loi décide de la Réunion des Théâtre Lyriques Nationaux. La guerre et la pression de Jacques Rouché empêchent de rendre cette union véritablement concrète, mais en 1944 le départ de l'éminent directeur amène l'application textuelle de la loi et ainsi que l'avait prédit Jacques Rouché, cette application s'avérera désastreuse.

 

(Jacques Bertrand, 1975)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le grand escalier d'honneur

 

 

 

le grand escalier d'honneur

 

 

 

 

 

 

 

 

les grandes dates du Palais Garnier

 

 

05 janvier 1875 - Inauguration du Palais Garnier.

 

08 janvier 1875 - la Juive (Halévy) - Soirée qui inaugurait les représentations publiques du Nouvel Opéra.

 

06 septembre 1875 - Faust (Gounod) - Reprise du rôle de Marguerite par Mme Miolan-Carvalho, créatrice de Faust en 1859.

 

14 juin 1876 - Première de Sylvia (Delibes) - Rita Sangalli, crée le rôle de Sylvia.

 

17 décembre 1877 - Reprise de l'Africaine (Meyerbeer) - Gabrielle Krauss incarne Sélika, Charles Lamoureux effectue ses débuts au Palais Garnier.

 

07 octobre 1878 - Création de Polyeucte (Gounod).

 

21 juillet 1879 - 500e de la Favorite (Donizetti).

 

22 mars 1880 - Première d'Aïda (Verdi) - Verdi dirige son ouvrage. Des trompettes de Sax ont été spécialement conçues et réalisées à l'occasion de cette représentation.

 

15 octobre 1881 - Congrès de l'électricité - La salle est pour la première fois éclairée électriquement, on joue le 4e acte d'Aïda et de Sylvia.

 

18 mai 1881 - Expérience de retransmission de spectacle - C'est la première tentative de retransmission par téléphone entre la salle et le magasin des décors, rue Richer.

 

27 février 1885 - Première de Rigoletto (Verdi) - Gabrielle Krauss crée le rôle de Gilda, la mise en scène est due au Directeur du Théâtre, Pedro Gailhard.

 

12 juin 1885 - Première de Sigurd (Reyer) - Brunehilde est incarné par la grande Rose Caron qui effectue ses débuts sur la scène de l'Opéra.

 

30 novembre 1885 - Création du Cid (Massenet) - Jean de Reszké fait ses débuts et chante en compagnie de son frère, Edouard de Reszké.

 

19 décembre 1885 - 100e de Coppelia (Delibes) - Le rôle de Swanilda est tenu par Julia Subra.

 

01 février 1886 - 500e de la Juive (Halévy) - Le rôle d’Eléazar est chanté par le formidable ténor, Léonce Antoine Escalaïs.

 

22 février 1887 - Première matinée au Palais Garnier - On jouait Faust.

 

23 novembre 1887 - 500e de Faust (Gounod).

 

29 mars 1888 - Première du Requiem (Verdi).

 

28 novembre 1888 - Première de Roméo et Juliette (Gounod) - La plus fabuleuse cantatrice de cette fin du XIXe siècle : Adelina Patti, incarne Juliette, Jean de Reszké, Roméo, et Charles Gounod dirige son œuvre, c'est une des soirées inoubliables du Palais Garnier.

 

09 décembre 1889 - Reprise de Lucia de Lammermoor (Donizetti) - Le rôle de Lucie est incarné par Nellie Melba.

 

16 septembre 1891 - Première de Lohengrin (Wagner) - Rose Caron, interprète Elsa, Van Dyck, Lohengrin. La direction d'orchestre est confiée à Charles Lamoureux.

 

14 novembre 1891 - Centenaire de Meyerbeer - Gala où sont donnés des extraits de l'Africaine, le Prophète, Robert le Diable, et les Huguenots.

 

29 février 1892 - Centenaire de Rossini - On jouait Guillaume Tell, Edouard Colonne était au pupitre.

 

23 novembre 1892 - Première de Samson et Dalila (Saint-Saëns) - Blanche Deschamps-Jehin, est la première Dalila à l'Opéra de Paris.

 

06 mai 1893 - Première audition à deux pianos de l'Or du Rhin (Wagner) - Les pianistes étaient : Raoul Pugno et Claude Debussy.

 

12 mai 1893 - Première de la Walkyrie (Wagner) - Brunnhilde était Lucienne Bréval, Sieglinde, Rose Caron, Fricka, Blanche Deschamps-Jehin. La direction de l'orchestre, avait été confiée à Édouard Colonne.

 

16 mars 1894 - Création de Thaïs (Massenet)

 

10 octobre 1894 - Première d'Othello (Verdi) - Rose Caron est Desdémone, Saléza, Othello, et Victor Maurel, le créateur du rôle à la Scala, est Iago. C'est au cours de cette soirée et en présence du Président de la République, Monsieur Casimir Perrier, que le Maître Giuseppe Verdi, fut élevé à la Dignité de Grand Croix de la Légion d'Honneur.

 

13 mai 1895 - Première de Tannhäuser (Wagner) - Paul Taffanel dirigeait l'orchestre.

 

21 février 1897 - Première audition, en oratorio, de la Damnation de Faust (Berlioz) - Lucienne Bréval, incarnait Marguerite.

 

10 novembre 1897 - Première des Maîtres chanteurs de Nuremberg (Wagner)

 

18 mars 1899 - Gala, première du Bourgeois gentilhomme de Molière - C. Coquelin interprétait Monsieur Jourdain, le divertissement était dansé par Mesdemoiselles Subra et Zambelli.

 

15 novembre 1899 - la Prise de Troie (Berlioz) - Marie Delna était Cassandre.

 

14 décembre 1902 - Première de Paillasse (Leoncavallo).

 

21 mars 1903 - 1000e des Huguenots (Meyerbeer).

 

01 décembre 1903 - Première de l'Enlèvement au sérail (Mozart).

 

11 décembre 1904 - Première de Tristan et Isolde (Wagner) - Albert Alvarez était Tristan.

 

28 juillet 1905 - 1.000e de Faust (Gounod).

 

29 décembre 1907 - Gala : Carmen (Bizet) - Créée à l'Opéra-Comique, le 3 mars 1875, Carmen était pour la première fois, joué intégralement au Palais Garnier.

 

19 mai 1908 - Première de Boris Godounov (Moussorgski) - Cette représentation, en version originale, donnée par la Troupe de l'Opéra Impérial de Moscou, voit les débuts du fantastique Fédor Chaliapine dans le rôle de Boris, les chœurs étaient également de l'Opéra de Moscou.

 

11 juin 1908 - Gala au bénéfice de la Caisse de la Société des Auteurs, on y jouait Rigoletto (Verdi) - Ce gala, toutefois exceptionnel, voyait les débuts de Enrico Caruso dans le rôle du Duc, il avait comme partenaire, Nellie Melba dans le rôle de Gilda. Le grand Tullio Serafin débutait à la direction de l'orchestre.

 

23 octobre 1908 - Première du Crépuscule des dieux (Wagner) - André Messager dirigeait cette première.

 

14 janvier 1909 - la Vestale (Spontini) - Cette œuvre fut reprise par les artistes de la Scala de Milan. Riccardo Stracciari interprétait Cinna, et Nino de Angelis le Grand Pontife.

 

14 novembre 1909 - Première de l'Or du Rhin (Wagner) - L'orchestre était dirigé par André Messager.

 

03 mai 1910 - Première de Salomé (Strauss) - Mary Garden crée le rôle de Salomé. La direction de l'orchestre était assurée par André Messager.

 

04 juin 1910 - Première représentation de la Compagnie des Ballets russes de Serge de Diaghilev, première de Shéhérazade (Rimski-Korsakov) - Ida Rubinstein dansait Zobéide, Nijinski interprétait le Nègre Favori.

 

18 juin 1910 - Première de Giselle (Adam) - Création au Palais Garnier dans le cadre des Ballets Russes de Serge de Diaghilev, Mlle Karsavina était Giselle, Nijinski interprétait Loÿs.

 

19 juin 1910 - Gala : 2e acte de Tristan et Isolde (Wagner) et 4e acte d'Otello (Verdi) - Ce gala a été dirigé par Arturo Toscanini c'est la seule fois où le grand chef italien dirigea au Palais Garnier.

 

10 au 29 juin 1911 - Deux cycles de l'Anneau du Nibelung (Wagner) - La direction de l'orchestré du premier de ces deux cycles, était assurée par Felix Weingartner, la seconde par Arthur Nikisch.

 

09 au 26 mai 1912 - Représentations de l'Opéra de Monte-Carlo - Sont donnés : Mefistolele avec Chaliapine dans le rôle principal, sous la direction de Tullio Serafin — Rigoletto avec Caruso (le Duc) et Tita Ruffo (Rigoletto) — la Fille du Far West avec également Caruso et Ruffo — le Barbier de Séville avec Elvira de Hidalgo (Rosine), Titta Ruffo (Figaro), Chaliapine (Basile).

 

04 janvier 1914 - Première de Parsifal (Wagner) - Le rôle de Parsifal est interprété par Paul Franz, l'œuvre était dirigée par André Messager.

 

24 mai 1914 - Première du Coq d'Or (Rimski-Korsakov) - Le Roi Dodon était chanté par B. Petroff, et dansé par A. Boulgakov, l'orchestre et les chœurs de l'Opéra Impérial de Moscou étaient dirigés par Pierre Monteux.

 

11 novembre 1918 - Armistice - Les musiciens de l'Opéra sont en grève, les spectacles interrompus, cependant, après l'annonce de l'Armistice, Madame G. Lubin chante la Marseillaise sur les marches du Palais Garnier au cours de l'après-midi. Le soir sur le péristyle du théâtre, face à la place de l'Opéra, sont chantés successivement avec le concours des chœurs de l'Opéra et d'un accompagnement au piano : la Marseillaise par Marthe Chenal, la Brabançonne par Jean Noté et l'hymne américain par André Gresse.

 

07 juin 1921 - Première des Troyens (Berlioz) - Paul Franz incarnait Enée, Philippe Gaubert dirigeait l'orchestre.

 

20 juin 1921 - Première de Daphnis et Chloé (Ravel) - Daphnis était dansé par M. Fokine et Chloé par V. Fokina.

 

05 décembre 1921 - Première de l'Heure espagnole (Ravel) - Fanny Heldy, interprétait Conception.

 

22 décembre 1921 - Première d'Hérodiade (Massenet) - Fanny Heldy, et Paul Franz étaient les deux interprètes principaux.

 

17 janvier 1922 - Tri-centenaire de Molière - Le Malade imaginaire, le Misanthrope : Lucien Guitry interprétait Alceste.

 

24 mars 1922 - Création de Petite Suite (Debussy) - C'est la première soirée de Ballets au Palais Garnier.

 

03 avril 1922 - Première de Falstaff (Verdi) - Albert Huberty interprétait le rôle de Falstaff.

 

23 mai 1922 - Prélude à l'après-midi d'un faune (Debussy) - Interprété par la Compagnie des Ballets Russes, de Serge de Diaghilev dans une chorégraphie de Nijinski, la direction d'orchestre était assurée par Ernest Ansermet.

 

17 juin 1922 - Première du Martyre de saint Sébastien (Debussy) - Ida Rubinstein, créatrice en 1911, était Sébastien.

 

22 décembre 1922 - Première de la Flûte enchantée (Mozart) - Ritter-Ciampi interprétait Pamina, Albert Huberty, Sarastro, la direction de l'orchestre était confiée à Reynaldo Hahn.

 

13 avril 1923 - Première de la Khovanchtchina (Moussorgski) - Marcel Journet créait le rôle de Dosiféi.

 

24 février 1924 - Thaïs (Massenet) - Début sur la scène du Palais Garnier du plus illustre des ténors français : Georges Thill.

 

26 novembre 1924 - Reprise de Giselle (Adam) - Le rôle de Giselle était tenu par Spessivtseva, et celui d'Albert par Aveline.

 

29 mars 1925 - 1.500e de Faust (Gounod).

 

24 novembre 1925 - Première, à l'occasion d'un gala, de la Tosca (Puccini).

 

15 février 1926 - Première de Fidelio (Beethoven).

 

24 décembre 1926 - Première de la Traviata (Verdi) - Fanny Heldy était Violetta, et Georges Thill était Rodolphe. La direction de l'orchestre était assurée par Henri Büsser.

 

08 février 1927 - Première du Chevalier à la rose (Strauss) - La mise en scène était de Jacques Rouché.

 

29 mars 1928 - Première de Turandot (Puccini) - Le rôle du Prince Inconnu était chanté par Georges Thill.

 

06 au 13 mai 1928 - Représentation exceptionnelle de l'Opéra de Vienne - On y joue successivement : Fidelio, Don Juan, les Noces de Figaro, la Servante maîtresse, l'Enlèvement au Sérail, Tristan et Isolde.

 

21 juin 1928 - Première de Mârouf, savetier du Caire (Rabaud) - Le rôle de Mârouf était interprété par Georges Thill et celui du Sultan par Marcel Journet.

 

30 décembre 1929 - Première des Créatures de Prométhée (Beethoven) - Ce ballet dansé par Olga Spessivtseva, marque les débuts d'un des plus grands danseurs et chorégraphes : Serge Lifar.

 

02 avril 1930 - Première de l'Italienne à Alger (Rossini) - Le rôle d'Isabelle était interprété par Conchita Supervia.

 

22 mai 1931 - Création de Bacchus et Ariane (Roussel) - Ce ballet était créé par O. Spessivtseva et Serge Lifar.

 

27 juin 1931 - Première d'Iphigénie en Tauride (Gluck) - G. Lubin chantait Iphigénie, le ballet était réglé par A. Aveline, la direction de l'orchestre était assurée par P. Monteux.

 

25 février 1932 - Première d'Elektra (Strauss) - Le rôle d'Elektra était tenu par Germaine Lubin, il est à noter que le rôle secondaire du jeune serviteur, était interprété par le ténor qui allait devenir un des plus célèbres que la France ait connu : José Luccioni.

 

19 août 1932 - Premier essai de Radiodiffusion - On jouait Mârouf, savetier du Caire.

 

31 décembre 1934 - 2000e à Paris de Faust (Gounod) - Cette 2000e représentation à Paris (1809e à l'Opéra), a été fêtée au cours d'un gala particulièrement somptueux, les artistes principaux étaient : Y. Gall (Marguerite), G. Thill (Faust), A. Pernet (Méphisto). C'est très certainement la meilleure distribution qu'ait connue l'Opéra de Paris pour cet ouvrage qui détient le record absolu des représentations.

 

21 mars 1935 - Création du Marchand de Venise (Hahn) - Avec Fanny Heldy et André Pernet.

 

15 mai 1935 - Reprise de Lucia di Lammermoor (Donizetti) - Lily Pons, faisait ses débuts sur la scène de l'Opéra dans le rôle de Lucie.

 

11 juin 1935 - Première de Norma (Bellini) par le Teatro Communale de Firenze - Cette représentation tout à fait exceptionnelle réunit les plus grands artistes lyriques du moment : Gina Cigna (Norma), Gianna Pederzini (Aldagisa), Francesco Merli (Pollione), Tancredi Pasero (Oroveso). La direction de l'orchestre était assurée par Vittorio Gui.

 

04 juillet 1935 - Falstaff (Verdi) - Représentation de gala, réunissant les plus grands artistes italiens : Pia Tassinari, Irene Minghini-Cattaneo et surtout celui qui fut considéré comme le plus grand Falstaff depuis la création : Mariano Stabile. L'orchestre était dirigé par Tullio Serafin.

 

09 juillet 1935 - Création d'Icare (Lifar) - Ce ballet a été composé par Serge Lifar, il est l'auteur de la chorégraphie et des rythmes, il interprétait le rôle d'Icare.

 

22 janvier 1936 - Première du Lac des Cygnes (2e acte) (Tchaïkovski) - La chorégraphie et l'interprétation étaient de Serge Lifar.

 

27 décembre 1937 - Première du Vaisseau fantôme (Wagner).

 

21 mars 1938 - Inauguration du monument de Saint-Saëns, Samson et Dalila - Deux des plus grands artistes de la troupe de l'Opéra, Lucienne Anduran qui fait ses débuts et José Luccioni sont respectivement Dalila et Samson.

 

16 mars 1939 - Création de la Chartreuse de Parme (Sauguet) - Une distribution éblouissante : Germaine Lubin, (Gina), Raoul Jobin (Del Dongo), Endrèze (Comte Mosca), Albert Huberty (Général Conti), Cambon (une voix).

 

17 mai 1939 - Première de l'Enfant et les Sortilèges (Ravel).

 

01 janvier 1940 - Réunion des Théâtres Lyriques Nationaux (RTLN) - C'est à partir de cette date que l'Opéra et l'Opéra-Comique sont regroupés, Jacques Rouché, précédemment directeur de l'Opéra, devient Administrateur.

 

02 juillet 1941 - Création du Chevalier et la Damoiselle (Gaubert) - La Damoiselle était S. Schwarz, une noble dame : Y. Chauviré, le Chevalier : S. Lifar.

 

10 juillet 1942 - Création de Joan de Zarissa (Egk) - Les rôles principaux étaient dansés par : Darsonval, Ivanoff, Dynalix et S. Lifar.

 

23 juillet 1943 - Première de Suite en blanc (Lalo) - Les rôles principaux étaient dansés par Mesdemoiselles Darsonval, Schwarz, Chauviré, Messieurs S. Lifar et Fenonjois.

 

08 novembre 1943 - 100e d'Othello (Verdi) - Geori Boué interprétait Desdémone, José Luccioni, Othello, et Pierre Nougaro, Iago.

 

27 février 1945 - Première de Roméo et Juliette (Tchaïkovski) - Mlle Darsonval : Juliette, M. Perrault : Roméo, chorégraphie de S. Lifar.

 

12 mai 1950 - Création de Bolivar (Milhaud) - J. Micheau était Manuela. La direction d'orchestre était confiée à A. Cluytens.

 

14 juin 1950 - Création de Phèdre (Auric) - T. Toumanova (Phèdre), L. Darsonval (Oenone), D. Daydé (Aricie) et S. Lifar interprétaient cette œuvre.

 

18 décembre 1950 - Première de Jeanne au bûcher (Honegger) - Le rôle de Jeanne était tenu par C. Nollier et celui de Frère Dominique par J. Vilar.

 

30 juin 1951 - Première de Jeanne d'Arc (Verdi) - Cette représentation exceptionnelle était donnée par les artistes, chœurs et Orchestre du Théâtre San Carlo de Naples. Le rôle de Jeanne est chanté par Renata Tebaldi. L'orchestre était dirigé par Gabriele Santini.

 

01 juillet 1951 - Première d'Un bal masqué (Verdi) - Cette représentation est également donnée par la Troupe du San Carlo de Naples. Le rôle d’Ulrica, était tenu par la grande Ebbe Stignani et celui de Gustave III par Ferruccio Tagliavini.

 

18 juin 1952 - Première des Indes galantes (Rameau) - Ces représentations qui vont s'échelonner sur 9 ans, sont en fait les premières reprises depuis la création absolue le 23 août 1735. L'œuvre a été révisée par Paul Dukas et Henri Büsser, on peut considérer que tous les artistes du chant et de la danse ont été affichés dans cet ouvrage de 1952 à 1961, citons toutefois les principaux artistes de la création de 1952 : Mmes Castelli, Micheau, Boué, MM. Giraudeau, Bianco, Luccioni, Jobin, Huc Santana. Pour la danse : Mlles Daydé, Vyroubova et MM. S. Lifar, Renault.

 

09 mars 1955 - Reprise de Fidelio (Beethoven) - Le rôle de Florestan était chanté par W. Windgassen. L'orchestre était dirigé par F. Leitner.

 

11 au 27 mai 1955 - Deux cycles de l'Anneau du Nibelung (Wagner) - Ces représentations données par des artistes allemands, étaient placées sous la direction d'un des plus grands chefs wagnériens : Hans Knappertsbusch.

 

28 décembre 1955 - Première de Roméo et Juliette (Prokofiev) - La mise en scène et la chorégraphie étaient de S. Lifar.

 

21 juin 1957 - Première de Dialogues des Carmélites (Poulenc) - La quasi totalité des artistes de l'Opéra interprétaient cette création.

 

30 mai au 15 juin 1958 - Ballet du Théâtre du Bolchoï de Moscou - Ce corps de ballet prestigieux était en tournée en Europe. Lors de leur passage au Palais Garnier, ils ont interprété : Roméo et Juliette, le Lac des Cygnes, Mirandoline et Giselle. Les spectateurs présents à ces spectacles réservèrent un véritable triomphe à ces représentations.

 

19 décembre 1958 - Récital Maria Callas - Au cours de ce gala, donné en la présence de René Coty, président de la République, la grande cantatrice interprétait des extraits de la Norma et le 2e acte de la Tosca, elle avait pour partenaire A. Lance, et Tito Gobbi dans le rôle de Scarpia. Il est à noter que ce gala fut télévisé en direct.

 

23 mars 1959 - 2336e représentation à l'Opéra et Centenaire de la création de Faust (Gounod) - Cet anniversaire était marqué par une distribution multiple qui variait à chaque tableau. C'est ainsi qu'il y eut trois Marguerite, trois Faust, deux Méphisto. Toutefois Gabriel Bacquier a assuré l'intégralité du spectacle dans le rôle de Valentin.

 

10 novembre 1959 - Carmen (Bizet) - En présence du général de Gaulle, président de la République, Carmen entrait officiellement au répertoire du Théâtre National de l'Opéra au Palais Garnier ; la mise en scène était de R. Rouleau, les rôles principaux étaient interprétés par J. Rhodes (Carmen), A. Guiot (Micaëla), A. Lance (Don José), R. Massard (Escamillo), l'orchestre était dirigé par Roberto Benzi. Ce spectacle fut intégralement retransmis par la télévision française.

 

10 juin 1960 - Reprise de Samson et Dalila (Saint-Saëns) - Denise Charley était Dalila, Mario Del Monaco, Samson.

 

01 juin 1962 - Première de Médée (Cherubini) - Médée était chanté par Rita Gorr, elle avait pour partenaire Albert Lance, René Bianco. L'orchestre de l'Opéra était placé sous la direction de Georges Prêtre.

 

23 novembre 1963 - Première de Wozzeck (Berg) - La mise en scène était de Jean-Louis Barrault, la direction musicale de l'œuvre, était confiée à Pierre Boulez.

 

13 mars 1964 - Reprise de la Damnation de Faust (Berlioz) - Maurice Béjart a signé la mise en scène et la chorégraphie, l'orchestre était dirigé par Igor Markevitch.

 

22 mai 1964 - Norma (Bellini) - 2 représentations en 1935 avaient déjà été données par une troupe italienne et hors répertoire. Cette création de 1964 comprenait les artistes suivants : Maria Callas (Norma), Fiorenza Cossotto (Adalgisa), Franco Corelli (Pollione), la mise en scène était de Franco Zeffirelli. L'orchestre était dirigé par Georges Prêtre.

 

15 juin 1964 - Reprise de Don Carlo (Verdi) - Cette représentation marquait les débuts d'une des plus grandes basses de l'après guerre : Nicolaï Ghiaurov. Il est intéressant de noter qu'après l'air de Philippe II, Ghiaurov eut 37 rappels ! Ses partenaires étaient : Franco Corelli et Rita Gorr, c'est une des soirées inoubliables du Palais Garnier.

 

01 juillet 1964 - Première de Sarracenia (Bartók) - Ce ballet était construit sur la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók, Claude Bessy, Claire Motte et Attilio Labis en étaient les principaux interprètes.

 

19 février au 08 mars 1965 - Tosca (Puccini) - Série de représentations dans une mise en scène de Zeffirelli et interprétées par Maria Callas et Tito Gobbi.

 

28 juin au 03 juillet 1965 - New York City Ballet - Représentation exceptionnelle de cette troupe américaine où furent représentées : Tarentelles, Raymonde, Méditation.

 

11 novembre 1965 - Création de Notre-Dame de Paris (Jarre) - Ce ballet a été créé par Claire Motte, Roland Petit et Jean-Pierre Bonnefous, la chorégraphie était de Roland Petit.

 

25 février 1966 - Tristan et Isolde (Wagner) - Ce spectacle tout à fait exceptionnel, et certainement le plus brillant qu'ait connu le Palais Garnier depuis la fin de la guerre, était dû au petit-fils de R. Wagner : Wieland Wagner ; la distribution tout aussi éblouissante, réunissait : Wolfgang Windgassen (Tristan), Birgit Nilsson (Isolde), Hans Hotter (le roi Marke), Rita Gorr (Brangaene). L'orchestre était placé sous la direction de George Sebastian.

 

26 mai 1967 - la Walkyrie (Wagner) - Encore une représentation exceptionnelle, due à Wieland Wagner, la distribution regroupait : A. Cilga (Brunnhilde), R. Crespin (Sieglinde), J. Thomas (Siegmund), T. Adam (Wotan).

 

07 janvier 1968 - Faust (Gounod) - 2.500e représentation au Palais Garnier, record absolu.

 

19 janvier 1968 - Reprise de Turandot (Puccini) - Cet ouvrage n'avait pas été joué sur la scène de l'Opéra depuis la création de G. Thill en 1926, c'était une nouvelle présentation de Margherita Wallmann. Birgit Nilsson a démontré après ces triomphales représentations au Metropolitan Opera, qu'elle était la princesse Turandot la plus extraordinaire que l'on ait connue depuis la création mondiale à Milan en 1926.

 

21 avril 1968 - Première du Prisonnier (Dallapiccola).

 

21 juin 1968 - Première de Turangalila (Messiaen) - La chorégraphie de ce ballet était de Roland Petit.

 

16 mai 1969 - Reprise du Martyre de saint Sébastien (Debussy) - Ludmilla Tchérina dansait le Saint, la chorégraphie était de Serge Lifar.

 

29 avril 1970 - Reprise de Falstaff (Verdi) - Cette nouvelle présentation a été mise en scène par Tito Gobbi, les décors et les costumes étaient dus à Franco Zeffirelli, c'est au cours de cette série de spectacles que les parisiens purent applaudirent pour la dernière fois un des plus grandes mezzo-sopranos de ce siècle dans le rôle de Mrs Quickly : Fedora Barbieri.

 

18 mai 1972 - Première de Benvenuto Cellini (Berlioz) - Les interprètes principaux de cette première étaient Andréa Guiot (Teresa), Jane Berbié (Ascanio), Alain Vanzo (Benvenuto Cellini), Robert Massard (Fieramosca).

 

 

 

 

 

plan de la salle utilisé pour la location des places

 

 

 

 

la salle

 

 

 

 

la salle et le rideau de scène

 

 

 

 

esquisse du plafond de la salle par Jules Eugène Lenepveu

 

 

 

plafond de la salle par Jules Eugène Lenepveu, camouflé depuis 1964 par l'œuvre de Marc Chagall ci-dessous

 

 

 

 

 

 

le nouveau plafond de l'Opéra (les Actualités françaises, 23 septembre 1964)

 

inauguration du nouveau plafond de l'Opéra (24 septembre 1964) [document muet]

 

 

 

 

le grand foyer

 

 

 

 

le foyer de la danse

 

 

 

 

le foyer de la danse

 

 

 

 

 

 

 

la Danse

 

=> la Danse de Carpeaux, par Paul Vitry (Documents d'art Alpina, 1938)

=> Aventures et mésaventures de la "Danse" de Carpeaux (Henri Gaubert, 1955)

 

 

Groupe sculpté (H : 4,20 ; L : 2,98 ; P : 1,45) par Jean-Baptiste Carpeaux (Valenciennes, Nord, 1827 - château de Bécon, près de Courbevoie, Hauts-de-Seine, 1875), sur la façade de l'Opéra de Paris. Mis en place en 1869, il suscita le plus violent scandale. La pudeur des ballerines de l'Opéra s'alarma du réalisme, jugé indécent, de cette ronde, et un inconnu traduisit l'indignation publique en jetant sur la sculpture une bouteille d'encre. Un groupe plus chaste (musée d'Angers) fut commandé à Charles-Alphonse-Achille Gumery (1827-1871), pour le remplacer, mais la guerre de 1870 sauva le chef-d'œuvre de Carpeaux. Très abîmé par la pollution, le groupe fut déposé au Louvre et remplacé par une copie de Paul Belmondo en 1964.

 

 

Ces ménades aux chairs flasques, molles et usées, aux seins tombants, au ventre plissé (oh! rien n'a été omis), dont les bras et les mains peuvent à peine s'entrelacer, dont les jambes qui fléchissent, semblent s'avachir en quelque sorte sous leur corps fatigué, ces ménades, dis-je, ne sont-elles pas ivres ? N'ont-elles pas abusé de tout ? (...) Elles sentent le vice et puent le vin.

(C. A. de Salelles, le Groupe de la Danse de M. Carpeaux jugé au point de vue de la morale, ou Essai sur la façade du Nouvel Opéra, 1869).

 

 

Eh ! mon Dieu ! c'est bien simple : le groupe de M. Carpeaux, c'est l'empire ; c'est la satire violente de la danse contemporaine, cette danse furieuse des millions, des femmes à vendre et des hommes vendus.

Sur cette façade bête et prétentieuse du nouvel Opéra, au beau milieu de cette architecture bâtarde, de ce style Napoléon III, honteusement vulgaire, éclate le symbole vrai du règne.

Les colonnes ont une lourdeur mensongère ; les autres groupes sont là, raides, figés, déguisés pour tromper l'Histoire ; le monument entier, avec ses lignes froides, son luxe bourgeois, son air de Prud'homme endimanché semble bâti pour dire à nos petits-fils : « Voyez ces statues de carton : vos pères étaient chastes. Et voyez ces marbres de couleur maçonnés sans goût : vos pères étaient cossus, mais honnêtes. » Tout ment dans cette grande bâtisse, l'empire y cache ses nuits chaudes sous un peinturlurage de jouet à treize sous.

Mais tout à coup, des corps vivants de femmes sortent de cette grande boîte à momie, barbouillée de jaune et de rouge. Imaginez un sénateur se déshabillant en plein Sénat, montrant ses plaies, se livrant aux culbutes joyeuses qu'il exécute dans l'alcôve de Melle Gredinette. Ou bien encore imaginez un ministre pris de folie, et pinçant le cancan de sa jeunesse au milieu d'une réception officielle. C'est absolument l'effet que me produit le groupe de Carpeaux.

Il crie : Et ta sœur ! dans la façade morne. Il « engueule » les autres groupes : « Eh ! les amis, ne faites pas tant votre tête ! Nous sommes tous aussi soûls les uns que les autres, et vous êtes encore de rudes canailles, de rester là à faire de la dignité ! » Il se déhanche, il se pâme, il vit seul la vie de l'empire, au bas du grand mensonge de l'édifice.

Parfois l'art a de ces cris inconscients de vérité. On croit avoir soigneusement tiré les rideaux de l'alcôve ; on s'imagine les avoir drapés d'une façon chastement grave. Et voilà que des jambes de fille passent brusquement, toutes frémissantes.

(Emile Zola, la Cloche, 22 avril 1870)

 

 

Groupe allégorique, par M. Carpeaux ; péristyle du théâtre de l'Opéra, à Paris. Ce groupe, une des œuvres les plus originales, les plus fougueuses de la statuaire contemporaine, a été découvert au mois d'août et a obtenu à ce moment un grand succès de curiosité. Voici quelle en est la composition : le Génie de la chorégraphie, ange par les ailes, démon par l'expression cynique du visage et de l'attitude, lève les bras en l'air et semble prêt à prendre son élan. D'une main il agite un tambour de basque, de l'autre il fait un geste pour exciter des danseuses qui tourbillonnent autour de lui. Celles-ci sont au nombre de six : deux d'entre elles, absolument nues, se détachent entièrement du fond, l'une se présentant de face, l'autre de profil, toutes deux se tenant la main et trébuchant comme des bacchantes possédées par leur dieu. Presque sous leurs pieds, un Amour folâtre secoue une marotte. « Ce qui frappe tout d'abord dans ce groupe, a dit M. Marius Chaumelin (l'Art contemporain), c'est son mouvement endiablé, c'est l'entrain, c'est la vie qui anime toutes les figures. Jamais la pierre n'a été taillée, modelée, tourmentée avec plus d'énergie et de fougue. Cette ronde s'agite, tournoie, se déchaîne et va se précipiter en bas du piédestal. Il n'y a que les maîtres qui sachent donner ainsi l'apparence de la vie et du mouvement à la matière inerte. Sous ce rapport, l'œuvre de M. Carpeaux ne saurait être assez admirée. Après cela, il faut bien reconnaître qu'au point de vue plastique, les figures n'ont rien de commun avec l'idéal académique. Le Génie a la poitrine et les flancs amaigris, comme il convient à un danseur effréné ; son visage, quelque peu vieilli, porte l'empreinte de la débauche ; ses yeux, qu'il baisse vers les danseuses, et sa bouche qui sourit, expriment la lubricité. Quant aux danseuses, elles n'ont des bacchantes antiques que l'ivresse ; ce sont des courtisanes modernes aux larges hanches, aux appas plantureux. Celle qui est à droite et qui se renverse en arrière, soutenue par une de ses compagnes dont la main s'enfonce dans des chairs épaisses et moelleuses, nous a remis en mémoire la célèbre Baigneuse de M. Courbet, qui fit tant de bruit au Salon de 1857. » Il est certain que les danseuses de M. Carpeaux n'ont pas l'élégance, la sveltesse, la distinction que l'on a coutume d'exiger des figures nues enfantées par la peinture et la statuaire ; mais, dans leurs formes plantureuses et luxuriantes, on sent des tressaillements de vie et l'on reconnaît une science de modelé qui défie les plus habiles.

Reste à examiner si cette œuvre, d'une tournure si énergique, d'une exécution si magistrale, traduit bien l'idée qu'avait à exprimer le statuaire et convient à sa destination. C'était évidemment la danse théâtrale, la danse classique, réglée par les chorégraphes, l'art des Vestris, des Gardel, de la Camargo, de la Guimard, de Fanny Elssler, de Carlotta Grisi, de Taglioni, de Cerrito, de Rosati, qu'il s'agissait de représenter, sous forme allégorique, à l'entrée de l'Opéra. Tout devait être cadence, mesure, grâce, harmonie, dans ce troupe. A la pureté des formes, à la souplesse des mouvements, les danseuses étaient tenues de joindre cette décence aimable, plus provocante et plus séduisante que les mines lascives des courtisanes. Au lieu de cela, M. Carpeaux nous a offert la danse contorsionnée, échevelée, effrontée des bastringues ; il a déshabillé les virtuoses du cancan et leur a fait les honneurs d'un piédestal. Aurait-il voulu faire une satire de l'Académie impériale de musique, où l'art de la chorégraphie perd tous les jours de sa correction, classique, de sa grâce décente ? ou fixer un souvenir des galops vertigineux du bal de l'Opéra ? « Toujours est-il, dit encore M. Chaumelin, que ce groupe si réaliste fait une étrange, une terrible figure, sur le seuil du monument ; il frappe, il saisit, il étonne ; il déborde des lignes architecturales, il se penche, il arrête les gens au passage ; il éclate, il détonne sur cette masse de pierres multicolores ; il écrase tout ce qui l'entoure. Au point de vue du goût, on ne peut que condamner cette exubérance, cet empiétement de la décoration sur l'édifice. La ronde de M. Carpeaux est déplacée à l'Opéra : elle eût fait merveille à Mabille ou au Château-des-Fleurs. » Suivant M. Albert Wolff, du Figaro, « la Danse de M. Carpeaux est une œuvre très étonnante, pleine de hardiesse et d'entrain ; il y a même trop d'entrain ; on dirait une ronde fantaisiste à l'heure où le municipal est parti ; cela fait rêver au jardin Bullier bien plus qu'à l'Académie impériale de musique... Le Clodoche autour duquel sautent quelques cascadeuses dont les contorsions rappellent à merveille les audaces chorégraphiques de Fille de l'Air ou de Louise la Blanchisseuse, ce Clodoche est comme le reste d'un mouvement enragé. »

Tel a été le jugement de tous les hommes de goût. Mais les critiques soulevées par cette œuvre ne sauraient jamais justifier l'acte de stupide vandalisme accompli dans les derniers jours d'août 1869. Nous voulons parler de cette bouteille d'encre brisée contre le groupe par une main habituée sans aucun doute à manier le goupillon. Les maculatures ont été fort heureusement enlevées, et de ces taches, comme des caleçons verts infligés aux danseuses par la Restauration, il ne reste plus que le souvenir.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1866-1876)

 

 

 

              

 

 

 

 

 

 

publicité de 1908

 

 

 

publicité de 1958

 

 

 

Encylopédie