Buste du Génie de la Danse, pierre
"DOCUMENTS D'ART ALPINA"
COLLECTION PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. FRANÇOIS GEBELIN
PAUL VITRY
LA DANSE DE CARPEAUX
La construction du Nouvel Opéra était entamée dès 1861 et Charles Garnier avait dû se préoccuper, dès le début des travaux, des sculpteurs qu'il appellerait a collaborer à son œuvre. Il est certain cependant que la commande du groupe de la Danse qui devait orner l'un des deux avant-corps de la façade principale du théâtre ne fut faite définitivement à Carpeaux que le 17 Août 1865. Dans une lettre à son ami Dutouquet datée de la fin de 1863 Carpeaux paraît déjà assuré d'en être chargé. Toutefois Jouffroy, Guillaume et Perraud, plus âgés que lui, avaient reçu certainement auparavant celle des trois autres groupes qui devaient figurer sur la façade et qui devaient représenter l'Harmonie, la Musique, et le Drame Lyrique. Le quatrième groupe était destiné à Cavelier. Mais vers 1863, celui-ci, trop occupé par les travaux de décoration du palais de Longchamp à Marseille, se récusa et Carpeaux à qui ne devait primitivement être attribuée qu'une statue pour le foyer, fut invité par le jeune architecte, qui avait été son camarade d'école, à fournir des projets pour l'un des quatre grands groupes.
La faveur de Carpeaux et sa renommée avaient d'ailleurs grandi rapidement depuis son retour de Rome en 1861. Le succès mêlé de scandale de son Ugolin, ses premiers bustes, la commande des décorations du pavillon de Flore surtout, l'avaient mis en lumière. On sait les résistances qu'il rencontra dans l'exécution de ces dernières auprès de l'architecte Lefuel et l'appui décisif de l'Empereur qui fut nécessaire pour faire accepter la Flore et sa ronde d'enfants joyeux s'enlevant sur le nu de la façade, au-dessous de la corniche. Garnier était plus compréhensif et l'art vivant et turbulent de son camarade n'était pas fait pour l'effrayer. C'est lui-même, il s'en est vanté, qui l'encouragea et le décida à donner à son groupe l'allure qui en fit le chef-d’œuvre que nous allons voir se réaliser.
Au début, sur une donnée iconographique assez vague, (il n'est pas question de sujet dans la lettre du maréchal Vaillant de 1865), Carpeaux avait esquissé un groupe de deux personnages drapés d'assez grand style : un homme appuyé sur une lyre et une femme debout, dominés par un génie volant qui couronnait la composition. Le Musée de Valenciennes possède un dessin et le Louvre a acquis en 1908 le plâtre d'une ébauche très largement modelée de cette première idée que l'on avait baptisée la Musique, sur une indication de Charles Carpeaux, le fils du sculpteur. Celui-ci dans une notice sur la Galerie Carpeaux parue chez Ollendorff en 1899, avait indiqué que ce thème avait été suggéré primitivement à Carpeaux, tandis que Guillaume aurait été chargé de la Danse, les deux sculpteurs auraient ensuite échangé leurs sujets. Mais rien n'autorise a admettre cette hypothèse : ni Carpeaux, ni Garnier n'ont jamais parlé de cet échange. Les publications définitives de Mme Clément-Carpeaux l'ont établi d'après des documents jusqu'alors inconnus et c'est plutôt le sujet du Drame lyrique qui serait un moment resté flottant entre Perraud et Carpeaux.
Quelque temps plus tard, Carpeaux reprit son esquisse et en poussa beaucoup plus loin la réalisation. Il en résulta une petite maquette très exactement agencée sur un décor d'architecture fourni évidemment par Garnier. Ce second plâtre, que nous reproduisons ici, était resté jusqu'en 1926 à l'agence des travaux de l'Opéra. Garnier le décrit encore en 1881 dans son ouvrage sur le Nouvel Opéra, en indiquant qu'il l'a sous les yeux. Il figura en 1925 à une exposition consacrée à Charles Garnier. Nous avons obtenu, depuis, son attribution au Louvre.
La composition est toujours la même. Le génie inspirateur domine encore le groupe de ses ailes éployées et d'un geste enveloppant ; les deux personnages s'appuient l'un sur l'autre ; mais l'homme, nu, la tête penchée et soucieuse, tient à la main une torche renversée ; derrière lui, sur une stèle sont inscrits les noms de deux opéras célèbres Guillaume Tell, les Huguenots. C'est le Drame lyrique que l'auteur veut évidemment incarner dans ce personnage, tandis que sa compagne, également nue, mais souriante, porte un tambour de basque à la main, des ailes de papillon au dos. On a supposé qu'elle voulait représenter la Comédie légère, mais il nous semble plutôt y voir apparaître l'idée de la Danse, du ballet et des grâces souriantes qu'il apporte au milieu du drame sombre.
Très équilibrée et classique, avec un caractère italien assez prononcé, une furie michelangesque même dans la première ébauche, contemporaine des ambitieuses créations du fronton du Pavillon de Flore, une hardiesse à la Bernin dans la figure volante, une heureuse souplesse dans les figures debout, cette première composition aurait pu prêter à une magnifique réalisation plastique, si elle avait été adoptée. C'est Garnier qui n'en voulut pas. Il l'a déclaré lui-même, plaisantant, avec l'humour qui lui était habituel dans ses conversations comme dans ses écrits les plus officiels, ce groupe trop figé selon lui, et qui faisait penser, écrit-il, à quelque « Adam et Eve conseillés par le diable ».
Il avait peut-être, du reste, au moment où il le repoussa, des objections plus architecturales ; en effet, bien qu'il fut composé, comme il avait été prévu dans la lettre de commande, de trois personnages, le groupe esquissé par Carpeaux, s'accordait mal avec ceux de Jouffroy, de Perraud et de Guillaume, déjà arrêtés sans doute et dont les trois figures debout se présentaient presque de front avec une figure centrale dominante. La composition de Carpeaux eut été plus étroite, et les deux personnages côte à côte eussent dû prendre une proportion différente pour emplir le panneau. Des discussions et des tâtonnements inévitables se produisirent. Garnier prétend que c'est lui qui insista pour que le sculpteur donnât à sa composition la vie et le mouvement qu'il désirait. Carpeaux y était tout disposé et se laissa aisément persuader. L'idée de la Ronde n'était-elle pas celle sur laquelle il vivait au moment même ou il exécutait la Flore et les enfants turbulents qui tournoient autour d'elle ? On a rappelé maintes fois ses souvenirs des tarentelles napolitaines, son goût personnel pour les ébats chorégraphiques. Tout cela sans doute compte peu auprès des directives imposées par le maître d'œuvre qui voulait sur sa façade une évocation véritable de la Danse animée et joyeuse ; Garnier souffrait peut-être des collaborateurs trop sages qui s'étaient imposés à lui jusque là ; d'accord avec un camarade jeune et ardent, passionné lui-même de formes mouvementées et de décor luxuriant, il réussit un jour, après avoir soumis à Carpeaux un croquis établi par le peintre Boulanger et qu'il serait bien intéressant de connaître, à lui faire exécuter en « quelques lignes se coupant à merveille, quelques mouvements se composant le mieux du monde » l'esquisse quasi définitive de son groupe. Le sujet était arrêté, le Drame lyrique abandonné définitivement à Perraud.
Une lettre de Carpeaux, datée du 21 Novembre 1865, déborde d'enthousiasme. Elle est adressée à son protecteur le marquis de Piennes, l'écuyer de l'impératrice, qui avait été son introducteur aux Tuileries et joua un si grand rôle dans sa carrière ; elle a été publiée pour la première fois dans le livre récent, plein d'hommages pieux et de documents révélateurs, de Mme Clément-Carpeaux à la mémoire de son père. Le sculpteur y proclame son accord parfait avec l'architecte de l'Opéra et déclare que celui-ci serait tout prêt à faire recommencer les trois autres groupes.
Le Marquis de Piennes reçut aussi vers ce temps, ou plus tard, quatre feuilles de croquis pour le groupe de la Danse qu'il a légués au Musée de Valenciennes. Il en existe d'autres, dont l'un, portant une indication de mise au carreau figure au catalogue de vente de l'atelier Carpeaux en 1906 (N° 47) et passa dans la collection Doucet (1). Nous donnons ici l'un de ceux de Valenciennes. Nous y saisissons l'exécution fougueuse et prodigieusement habile de Carpeaux dessinateur et improvisateur. Dès lors, comme le disait Garnier, « le groupe était trouvé ». Suivant le désir exprimé sans doute par l'architecte il était dominé comme les trois autres, par une figure centrale formant pivot, et, chose curieuse, l'agitation de cette figure, ainsi que les contorsions des deux figures latérales, rappelaient les dispositions essentielles du groupe antique du Laocoon. Le rapprochement est assez étrange et paradoxal au premier abord, mais il nous est suggéré par la présence dans les cartons de Valenciennes d'un croquis hâtif du groupe fameux, traité du même coup de crayon et peut-être exécuté de mémoire, presque en même temps que le croquis de la Danse (2).
(1) Il est reproduit dans l'article de Madame Clément-Carpeaux de la Revue de l'Art Ancien et Moderne de Mai 1927.
(2) Il existe une peinture en grisaille, reproduite dans le livre de M. Sarradin et qui appartient à la collection de M. Fauchier Magnan dormant l'ensemble du groupe avec une des figures de femmes peinte au naturel. Mais il nous semble que c'est plutôt une fantaisie exécutée après coup qu'une véritable esquisse. La peinture est, d'ailleurs, pleine de verve et d'accent.
Sur cette donnée nouvelle Carpeaux passe rapidement à l'exécution d'une esquisse modelée qui reproduit textuellement son croquis avec l'arabesque des deux corps de femmes nues se tenant par la main en avant de la figure dominante ; les ailes éployées de celle-ci rappellent encore le génie de la première esquisse ; mais ses deux bras levés agitent un tambourin au-dessus de sa tête. Notons que dans le dessin, comme dans l'esquisse dont le Louvre a recueilli le plâtre original en 1894, à une vente de l'atelier du maître, cette figure centrale est celle d'une femme. Esquisse et dessin nous montrent également, meublant le fond de la composition, quelques draperies envolées ; déjà, deux figures de femmes ébauchées vues à mi-corps complètent la ronde indiquée par les deux premières.
Le plâtre du Louvre n'est pas le seul exemplaire connu de cette esquisse. Il en est d'autres à la même échelle, peut-être moulés sur la même terre, plus ou moins poussés, avec de légères variantes, notamment au Musée de Valenciennes ; un joli exemplaire de terre cuite, qui porte la date de 1873, et appartient aujourd'hui à Monsieur Dutilleul a été exécuté après coup dans l'atelier de Carpeaux. Des exemplaires en bronze à cire perdue ont été fondus par Hébrard d'après l'un de ces plâtres.
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Mais pour suivre la genèse de l'œuvre, il nous faut arriver maintenant au modèle à demi-grandeur d'exécution, dont le plâtre appartient également depuis 1889 au Musée du Louvre. Ici des modifications notables se sont introduites ; les figures accessoires se sont multipliées. La verve du sculpteur, une fois excitée par le maître d'œuvre, arrivait à dépasser les intentions de celui-ci, et surtout ses possibilités. Garnier a écrit, avec quelque imagination peut-être, qu'il avait été obligé de réprimer la fougue de Carpeaux qui débordait l'espace accordé et qui ne cessait d'introduire de nouvelles figures dans sa composition ; celle-ci en aurait compté un jour jusqu'à dix-sept ! Le fait est que dans le modèle du Louvre, comme dans l'exécution définitive de l'Opéra, il y a derrière chacune des danseuses du premier plan une figure accessoire presque complète et un buste en haut relief qui apparaît au milieu des draperies et des fleurs. De plus, a droite, émerge du fond une tête de faune qui semble appartenir à une sorte de terme : enfin aux pieds du génie entre les jambes des danseuses paraît un enfant renversé qui agite une marotte ; ce dernier vient boucher un trou assez sensible dans l'esquisse primitive et il a pour but d'assurer aussi peut-être la stabilité de l'ensemble prodigieusement grouillant. Cet ensemble avec ses huit ou neuf figures, donne une impression de foule en mouvement, animée et joyeuse. La masse totale dépassait légèrement le volume des autres groupes, mais la qualité expressive et plastique en était singulièrement différente. Garnier s'en rendait compte. Il discuta longuement avec Carpeaux, réduisant d'un mètre la largeur de sa composition, pour lui accorder finalement cinquante centimètres en plus. Mais il ne voulait pas, c'est lui qui l'a écrit, « au prix d'un léger défaut de symétrie, priver la France d'un morceau qui serait un chef-d'œuvre ».
Quant au Génie central qui rétablit de sa ligne verticale l'unité de la composition et l'apparie quand même avec celles des autres groupes, de femme qu'il était au début il se transforma à l'exécution en un corps svelte d'adolescent emporté et comme soulevé dans le ronde vertigineuse qu'il dirige et qu'il rythme. On croit entendre les coups sourds de son tambourin, le tintement de ses cuivres et ses cris aigus dominant les rires éclatants des femmes. La ligne si pure et si nette de ce corps élégant et nerveux, dressé au milieu des chairs épanouies et qui s'abandonnent, a certainement donné à l'ensemble infiniment plus d'accent et de vigueur que la jolie danseuse-étoile de l'esquisse originale : la substitution était heureuse.
A quel moment s'est-elle faite ? Nous ne le savons pas. Mais c'est sans doute au cours de l'année 1866, cette année qui vit l'apparition au Salon des modèles du pavillon de Flore et où le labeur acharné de Carpeaux dressa la grande maquette de la Danse. Nous savons le nom du modèle masculin qui intervint vers ce temps dans l'atelier et dont les qualités plastiques servirent singulièrement le sculpteur. C'était un menuisier nommé Sébastien Visat ; la danseuse couronnée de roses fut posée par la petite Miette du Palais Royal ; nous savons aussi que la tête du génie fut inspirée tout au moins de la figure d'une femme charmante à l'existence assez aventureuse, allemande d'origine, la princesse Hélène de Racovitza dont le marquis de Piennes avait fait faire la connaissance à Carpeaux. Celui-ci fit son buste dont le plâtre est aujourd'hui à Copenhague et il s'en servit en l'interprétant pour créer le masque étincelant de l'éphèbe au sourire aigu d'androgyne qui domine son chef-d'œuvre. Or la princesse ne vint à Paris qu'en 1867 et c'est sans doute de cette année-là que Carpeaux dut terminer son modèle ; la figure du Génie est déjà arrêtée dans sa forme définitive dans le plâtre du Louvre.
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Restait à passer à l'exécution, qui devait être en pierre d'Echaillon comme celle des trois autres groupes. Le théâtre n'avait pu être prêt pour l'exposition de 1867. C'est pendant les années 1868 et 1869 que la pierre de la Danse s'exécuta sur place à la façade de l'Opéra. Mais le budget affecté à la construction et à la décoration de l'édifice s'épuisait. Garnier avait vu grand et riche et il avait de la peine à réaliser son programme : il ne pouvait plus suivre les dépassements de crédit de ses collaborateurs. Il avait entraîné lui-même Carpeaux à modifier sa maquette dans un sens qui en rendait l'exécution plus coûteuse. Il fallait pour cette exécution des praticiens éprouvés et nombreux. Une somme de trente mille francs avait été prévue comme pour chaque groupe. Quelques tranches supplémentaires augmentèrent la somme de huit mille francs. Mais il vint un moment où la dépense entière, qui atteignit, paraît-il, jusqu'à 90.000 francs, incomba au sculpteur. Or celui-ci s'était marié en Avril 1869. Pendant les premiers mois de son mariage, sa jeune femme venait s'installer avec joie à côté de lui dans la baraque de l'Opéra, dans un coin fleuri qu'il avait fait aménager pour elle. Mais la fortune des jeunes époux fut gravement compromise par les dépenses imprévues de l'exécution. On avait espéré un prix de 100.000 francs accordé par l'empereur. Le prix fut attribué à l'architecte Duc et, pour Carpeaux et sa femme, dont la dot y passa, ce fut la ruine.
Carpeaux cependant se dépensait ardemment et sans compter au milieu de ses ouvriers, « travaillant du compas et du ciseau », c'est Charles Garnier qui en témoigne et nous assure de la collaboration effective de l'auteur à l'exécution matérielle de la pierre. Celle-ci évidemment n'est qu'une traduction du modèle original où il avait mis tout son génie de modeleur prestigieux et que le plâtre du Louvre nous conserve (3). Garnier a écrit qu'elle ne fut peut-être pas poussée, faute de crédits, jusqu'au point ou l'auteur l'avait rêvé ; mais elle a été surveillée et dirigée par Carpeaux et sa qualité nous est précieuse à ce titre : certains accents, certaines interprétations dans la matière définitive lui donnent nettement aussi valeur d'original.
(3) Vers 1873 Carpeaux fit exécuter dans son atelier d'après ce modèle une terre cuite sensiblement de la même taille qui était demeurée entre les mains de ses héritiers. Elle est passée au Musée de Copenhague.
La pierre malheureusement depuis soixante dix ans qu'elle a été livrée aux intempéries du climat parisien a mal résisté à celles-ci. En pleine saillie sur l'architecture, sous de légères corniches qui ne lui assurent aucune protection, qui ont laissé se déverser sur elle à certains moments, au contraire, des coulées d'eau chargées de poussières, elle a blanchi par endroits, noirci par d'autres ; certaines parties saillantes se sont rongées, surtout peut-être dans le dernier quart de siècle, où l'atmosphère de Paris, chargée de fumées et d'acides, est devenue de plus en plus nocive. Les joints qui séparent les assises de pierre et coupent déplorablement les figures se sont accusés fâcheusement. Certains nettoyages, certains essais de patines protectrices n'ont eu qu'un effet temporaire et la question a été posée à plusieurs reprises devant l'opinion publique du sauvetage nécessaire de l'œuvre de Carpeaux.
Les représentants de la famille du maître, les commissions d'architectes consultées ont toujours manifesté leur répugnance à la mise à l'abri du groupe déjà atteint et à son remplacement par une copie coûteuse, forcément plus éloignée de la pensée du maître disparu, et qui dans un temps plus ou moins long, subirait le même sort. Il nous paraît également que l'opération est pour le moment inutile et que l'œuvre architecturale de Garnier, dont la conception n'est pas évidemment indemne de toute critique quant à l'adaptation de la sculpture décorative aux masses de la construction, doit rester cependant intacte telle qu'il l'a conçue, avec la parure des morceaux même qui furent exécutés sous sa direction par les collaborateurs qu'il a dirigés et tels que ceux-ci les ont réalisés. Une précaution utile a été prise il y a quelques années, un peu tardivement peut-être ; la Danse a été moulée et sa reproduction fidèle figurera dans le nouveau Musée des Monuments français. Si jamais quelque accident brutal, ou l'usure lente des agents extérieurs de plus en plus grave, rendait indispensable d'en établir une répétition, ce moulage et le modèle original a demi grandeur du Louvre permettraient de la faire aussi exacte et fidèle que possible.
L'examen technique du groupe en pierre et de sa destinée nous a entrainés bien au-delà de la date du 27 Juillet 1869 où il fut révélé au public parisien. Bien des gens, amateurs ou critiques, gens de lettres ou gens de cour, amis ou indifférents, avaient déjà vu certainement la composition dans l'atelier du sculpteur. Mais le grand public l'ignorait encore. Ce fut un beau tapage dans la presse. Le Temps et les Débats, la Gazette des Beaux-Arts, l’Univers et le Gaulois crièrent à l'immoralité, les uns reprochant à l'architecte et au sculpteur de trahir la vertueuse dignité de leur temps, l'innocence des spectatrices et la vertu du corps de ballet, les autres prenant prétexte de l'œuvre pour attaquer le régime déjà ébranlé et stigmatiser la décadence des mœurs. Beaucoup de sottises solennelles furent proférées et, conséquence presque fatale de l'excitation des esprits, un attentat stupide, un mois après le dévoilement du monument, le souilla d'une énorme tâche d'encre. Les amis et les défenseurs de Garnier et de Carpeaux ne furent pas, d'ailleurs, très heureux, semble-t-il, dans leur argumentation et le mot d'Alexandre Dumas sur « la Marseillaise de la Danse » n'est guère pertinent.
On chercha à intéresser l'Empereur qui avait déjà soutenu Carpeaux, mais il avait d'autres soucis et le monde officiel s'inquiétait. Le Maréchal Vaillant, Garnier lui-même faillirent céder et accepter le retrait de l'œuvre à l'intérieur de l'Opéra et son remplacement par un autre groupe. Il eut peut-être été politique de la part de Carpeaux de s'y prêter et d'accepter une nouvelle commande, qui l'eut dédommagé financièrement du désastre de la première. Son intransigeance s'y refusa et c'est le sculpteur Gumery qui recueillit la commande d'un nouveau groupe, lequel ne fut jamais utilisé. La guerre, la chute de l'Empire, la Commune firent oublier l'affaire. Elle fut reprise plus tard en 1872 et les critiques recommencèrent, mais avec moins de passion et finalement l'œuvre de Carpeaux resta en place.
A quoi bon nous attarder à reprendre point par point cette polémique qui nous paraît si désuète ? L'œuvre de Carpeaux est saine ; nous en avons aujourd'hui l'intime conviction. Elle n'exprime que la joie de vivre et la santé joyeuse. L'emportement de ce tourbillon humain nous ravit, sans parvenir à nous indigner. D'autres conceptions plastiques ont pu succéder à celle de Carpeaux et peuvent aujourd'hui nous paraître plus convenables à la sculpture monumentale, Nous ne pouvons nous empêcher d'être séduits par la vie prodigieuse qui se dégage de sa création, par le sens du mouvement qu'il a réintroduit, à la suite de Rude, dans notre statuaire. Cette qualité essentielle de son œuvre tout entière s'exprime au plus haut degré en ce morceau illustre qui est réellement son chef-d’œuvre type, entre la Flore qui en est comme l'ébauche annonciatrice et la Fontaine de l'Observatoire, où un sentiment d'équilibre plus statique vient déjà réfréner la verve endiablée et la fougue exubérante et joyeuse de la Danse de l'Opéra.
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE
Jules Claretie : J.-B. Carpeaux. Paris, Lib. illustrée, 1875, in-16.
Ernest Chesneau : le Statuaire Carpeaux, sa vie et ses œuvres. Paris, Quantin, 1880, in-8°.
Charles Carpeaux : la Galerie Carpeaux. Paris, Ollendorff, 1899, in-8° (1er fascicule).
Léon Riotor : Carpeaux. Paris, Laurens, 1906, in-8° (Coll. les Grands artistes).
Paul Vitry : Carpeaux. Paris, Librairie centrale des beaux-arts, s. d. [1913], in-16 (Coll. l'Art de notre temps). [Notices de Jean Laran et Lebas].
Victor Margueritte : J.-B. Carpeaux, 1827-1875. Paris, Iribe, s-d. [1913], in-folio.
André Mabille de Poncheville : Carpeaux inconnu ou la Tradition recueillie. Paris, Van Oest, 1921, in-4°.
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Ed. Sarradin : Carpeaux. Paris, Rieder, 1927, in-16 (Coll. Maîtres de l'art moderne).
Georges Lecomte : la Vie héroïque et glorieuse de Carpeaux. Paris, Plon, 1928, in-16 (Coll. le Roman des grandes existences, N° 22).
Louise Clément-Carpeaux : la Vérité sur l'œuvre et la vie de J.-B. Carpeaux. Paris, Dousset et Bigerelle, 1934-1935, 2 vol. in-4°.
Catalogue des sculptures modernes du Musée du Louvre 1922. Supplément 1933.
Catalogue du Musée de Valenciennes par Foucart 1884. Edition du Centenaire avec biographie de Carpeaux par Louise Clément.
De Salelles : le Groupe de la Danse jugé au point de vue de la morale. Paris, Dentu, 1869, in-8° de 16 pages.
Maurice Guillemot : le Plâtre de la Danse, dans la Patrie, 25 novembre 1889.
Paul Vitry : Une esquisse pour la Danse de Carpeaux au Musée du Louvre, dans Beaux-arts, 1er mai 1928, et dans le Bulletin de la Société de l'Histoire de l'art français, 1926.
Louise Clément-Carpeaux : la Genèse du Groupe de la Danse, dans la Revue de l'art ancien et moderne, mai 1927.
Marcelle Fauchier-Delavigne : le Sourire de la Danse (Vie de la princesse Hélène de Racovitza). Paris, Plon, 1933, in-16.
Cet album, le premier de la collection "les Documents d'arts Alpina" a été imprimé en septembre 1938 d'après les originaux photographiques exécutés en vue de cette édition par Jean ROUBIER.
Projet primitif pour le groupe de l'Opéra, plâtre (musée du Louvre)
Croquis de l'ensemble du groupe, 1865 (musée de Valenciennes)
Esquisse du groupe, plâtre (musée du Louvre)
Modèle du groupe à demi-grandeur, plâtre (musée du Louvre)
Détail du modèle, plâtre (musée du Louvre)
Détail du modèle, plâtre (musée du Louvre)
Détail du modèle, plâtre (musée du Louvre)
Ensemble du groupe, pierre
Ensemble du groupe, pierre
Vue partielle du groupe, pierre
Vue partielle du groupe, pierre
Buste et tête du Génie, pierre
Buste et tête du Génie, pierre
Buste et tête du Génie, pierre
Torse et jambes de la danseuse de gauche, pierre
Torse et jambes de la danseuse de gauche, pierre
Détail des danseuses de droite, pierre
Détail des danseuses de droite, pierre
Détail des danseuses de droite, pierre
Détail des danseuses de droite, pierre
Détail des danseuses de droite, pierre
L'amour à la folie, pierre
Buste d'une des danseuses de gauche, plâtre