Charles MALHERBE

 

 

 

Charles Théodore MALHERBE dit Charles MALHERBE

 

musicographe et compositeur français

(rue de la Banque, Paris ancien 3e, 21 avril 1853* Cormeilles, Eure, 06 octobre 1911*)

 

Fils de Pierre Joseph MALHERBE (Cormeilles, 14 mars 1819* – Cormeilles, 22 juin 1890*), négociant, et de Zoé Caroline MOZIN (Paris ancien 3e, 07 juillet 1832* – Paris 9e, 21 mars 1921*) [fille de Charles Louis MOZIN (Paris ancien 2e, 12 mars 1806* – Trouville-sur-Mer, Calvados, 07 novembre 1862*), peintre ; frère de Théodore Désiré MOZIN (Paris, 25 janvier 1818 – Paris, 16 novembre 1850), et fils de Benoît François MOZIN (Paris, 21 mars 1769 – Sèvres, Seine-et-Oise [auj. Hauts-de-Seine], 01 décembre 1857), compositeurs], mariés à Paris ancien 3e le 19 mai 1849*.

 

 

Après avoir étudié la composition avec Massenet, il publia un certain nombre de mélodies vocales et de morceaux de musique instrumentale, puis devint collaborateur de plusieurs revues musicales (1885‑1893). Il a publié plusieurs ouvrages importants, qui se distinguent autant par l'élégance de la forme que par un rare souci de la vérité historique : l’Œuvre dramatique de Richard Wagner (avec Albert Soubies, 1886) ; Précis de l'histoire de l'Opéra-Comique (avec Albert Soubies, 1887) ; Notice sur Esclarmonde (1889) ; Notice sur Ascanio, opéra de Camille Saint-Saëns (1890) ; Mélanges sur Richard Wagner (avec Albert Soubies, 1891) ; Histoire de l'Opéra-Comique - la seconde salle Favart [1840-1860 ; 1860-1887], avec Albert Soubies, 1892-1893) ; Centenaire de Gaetano Donizetti, catalogue bibliographique de la section française à l'Exposition de Bergame (1897) ; Notice sur la symphonie pathétique de Tchaïkovski (1899) ; Notice sur Deldevez (extrait de la Revue internationale de musique, 1899) ; les 32 sonates de piano de Beethoven.

D'abord archiviste adjoint (16 juillet 1895), archiviste (08 mars 1899-1909), puis bibliothécaire (05 février 1909-1911) de l’Opéra de Paris, il a pris une part très importante à la publication des œuvres de Jean-Philippe Rameau. De plus, conjointement avec Weingartner, il a été chargé de diriger l'édition des œuvres complètes d'Hector Berlioz qui a été entreprise en Allemagne. Sa collection d’autographes est à la Bibliothèque du Conservatoire.

Comme compositeur, il a écrit une musique de scène pour une comédie, les Yeux clos (Odéon, 1896), et celle d'un opéra-comique en un acte, l'Amour au camp, représenté au Mans en 1905, ainsi que trois opéras-comiques inédits. On lui doit une nouvelle réduction pour piano de la Damnation de Faust (1901). Il a écrit aussi des récitatifs pour un opéra bouffe de Georges Bizet, Don Procopio, dont il avait retrouvé la partition, qu’il a réduite pour piano et chant, et qu'il a fait représenter à Monte-Carlo en 1906.

En 1905, il habitait 34 rue Pigalle à Paris 9e ; il y était encore domicilié lorsqu’il est décédé en 1911, célibataire, à cinquante-huit ans, dans sa propriété du Chalet à Cormeilles. Il est enterré au cimetière de Montmartre (5e division).

 

Il n’a pas de lien de parenté avec Edmond MALHERBE, compositeur, ni avec Henry MALHERBE, qui fut directeur de l’Opéra-Comique.

 

=> Auber, par Charles Malherbe

=> Notice sur Ascanio, par Charles Malherbe (1890)

=> l'Oeuvre dramatique de Richard Wagner, par Albert Soubies et Charles Malherbe (1886)

=> Précis de l'histoire de l'Opéra-Comique, par Albert Soubies et Charles Malherbe (1887)

=> Histoire de l'Opéra-Comique, 1840-1860, par Albert Soubies et Charles Malherbe (1892)

=> Histoire de l'Opéra-Comique, 1860-1887, par Albert Soubies et Charles Malherbe (1893)

 

 

 

œuvres lyriques

 

les Yeux clos, comédie en 1 acte et en vers de Michel Carré fils, d’après une légende de Félix Régamey, musique de scène (Odéon, 01 décembre 1896) => livret

l'Amour au camp, opéra-comique en 1 acte, paroles anonymes [du général Hardy de Périni, commandant la 8e division d'infanterie] (Le Mans, 10 mars 1905)

Don Procopio, opéra bouffe en 2 actes (juin 1858‑mars 1859), livret de Carlo Cambiaggio, version française de Paul Collin et Paul Bérel [Paul de Choudens], révision musicale de Charles Malherbe (Théâtre de Monte-Carlo, 10 mars 1906) => détails

 

mélodies

Venise, poésie d’Alfred de Musset (1909) => partition

 

œuvres instrumentales

Duo concertant, pour piano à 4 mains (vers 1897) => partition

Entr'acte-sérénade (1896) => partition

 

 

 

 

 

 

Un homme heureux.

Au risque de surprendre la foule des mécontents qui se plaignent de leur sort, les pessimistes, les envieux, les agités, les misanthropes, je n'hésiterai pas à déclarer qu'il existe des gens heureux. Heureux, non parce qu'ils sont chargés de richesses et d'honneurs, mais parce qu'ils savent se contenter de peu, borner leur ambition, ne désirer que ce qu'ils croient pouvoir obtenir ; heureux, parce que sages, prouvant leurs joies dans le travail, leur fierté dans l'estime de leurs pairs, dépourvus de toute vanité, s'efforçant de se bien connaître eux-mêmes, ainsi que l'ordonne la vieille philosophie, et marchant d'un pas sûr vers le but qu'ils se sont assigné sans jamais se laisser distraire, sans nervosité ni inquiétude, le sourire aux lèvres.

Telles sont mes réflexions au sortir de la bibliothèque de l'Opéra, chaque fois que je viens de voir son conservateur, Charles Malherbe, le plus distingué des musiciens. le technicien le plus habile, le savant le plus consulté d'Europe ou d'Amérique, le plus gracieusement serviable des confrères, depuis plus de vingt ans vivant pour l'Art, pour la Science, ayant consacré son existence aux archives de notre Académie nationale où — sans appointements — il suppléait Reyer, bibliothécaire en titre ; depuis je ne sais combien d'années, désigné pour un bout de ruban rouge... qu'il attend toujours avec la plus parfaite sérénité, la plus philosophique sagesse, en homme heureux.

Malherbe est de vieille souche musicale : son arrière-grand-père, Benoît Mozin, pianiste réputé sous le premier Empire, professeur au Conservatoire, avait épousé la fille d'un artiste qui dirigeait, avant la Révolution, l’école où se formaient les sujets destinés à l'Opéra, le remarquable chanteur Guichard, professeur de Marie-Antoinette. — Malherbe possède encore des flambeaux de clavecin offerts à son aïeul par la reine infortunée.

Malgré cet atavisme, ses parents exigèrent qu'il s'adonnât à l'étude des lettres pour entrer soit à l'École normale, soit à l'Ecole de droit ; mais une fois licencié, se sentant peu ému par le prestige de la toge, il déclara qu'il préférait la musique : « C'est Ambroise Thomas, me disait-il, qui voulut bien, à la sollicitation des miens, se prononcer en dernier ressort sur ma vocation prétendue. Je tremblais fort en m'asseyant au piano devant l'auteur d'Hamlet qui, du reste, s'empressa de me rassurer en m'adressant, sur la manière dont je tenais mes mains, un compliment auquel je ne m'attendais guère, et qui m'avoua que, malgré son âge, il faisait encore ses gammes chaque matin, me recommandant de suivre son exemple... Je lui apportais la musique d'un ballet tiré de ce scénario de Faust que Henri Heine a si ingénieusement disposé pour la chorégraphie. Le cœur me battait fort, la sueur me perlait au front, le maître écoutait. Vous savez quelle était son indulgente patience : « Eh bien, mon enfant, ce n'est pas mal ; je ne relèverai pas vos fautes, vos incorrections, vous le ferez vous-même quand vous aurez étudié, nais vous avez ce qui ne s'apprend pas, vous avez un petit robinet musical qui ne demande qu’à couler ; laissez-le couler ; écrivez, gardez soigneusement vos idées : il vient un âge où l'on n'en a plus guère ; alors, vous les reprendrez, vous les utiliserez avec la connaissance du métier... » Puis il m'interrogea : « Avez-vous de la fortune ? — Non, répondis-je, mais, je n'ai pas de besoins. — Oh ! alors vous êtes riche. Si vous voulez entrer dans la carrière avec l'espoir d'orner bien vite votre front de lauriers, en remplissant d'or votre escarcelle, je vous crierai : Halte-là ! il n'y a qu'un gros lot, ne comptez pas en être le gagnant. Mais si vous avez la nourriture et le logis assurés, allez, travaillez, vous entrerez au Conservatoire quand vous voudrez. »

Malgré l'amabilité de la proposition, je préférai rester chez moi, continuait Malherbe, la perspective d'une classe où, déjà grand, je coudoierais de très jeunes camarades me souriait peu. Bazin, ami de ma famille, me confia à son élève Danhauser, qui me fit prendre goût à l'harmonie et au contrepoint ; je travaillai l'orchestre et la composition avec André Wormser ; puis, tout armé pour la lutte, procédant à un sérieux examen de conscience, mesurant le poids que je pouvais porter, quid valeant humeri, comme dit Horace, me sentant entraîné vers l'art des Massé, Poise, Delibes, et voyant le monde courir sur les pas de Wagner, je sentis que je n'avais plus qu'à méditer le vers de Musset, que

 

J'étais venu trop tard dans un monde trop vieux.

 

Braver la résistance du public et l'hostilité des critiques ? à quoi bon, lorsque l'on n'est pas soutenu par cette flamme intérieure qui s'appelle le génie et qui vous fait avancer contre vents et marées. Je croyais pouvoir voler et je m'apercevais que je n'avais pas d'ailes. Je pris donc le parti de la sagesse, serrant dans des cartons mon stock mélodique, fermant le petit robinet musical dont m'avait parlé Ambroise Thomas, pour ne l'ouvrir que dans l'intimité, et je fis résolument un sacrifice qui devait m'assurer le bonheur. »

Dès lors, pour Charles Malherbe, la vie s'écoule le plus logiquement du monde ; ses connaissances acquises lui servent à mieux pénétrer l’œuvre des maîtres ; après un séjour en Allemagne, où il est allé étudier l'art nouveau, il débute dans la littérature musicale par deux volumes (en collaboration avec Albert Soubies) : l'Œuvre dramatique de Richard Wagner et Mélanges sur Richard Wagner ; puis, toujours avec Soubies, il publie l'Histoire de la seconde salle Favart, couronnée par l'Institut, puis quantité d'études, d'articles de journaux, de notes analytiques ou historiques qui le placent au tout premier rang de la critique française. Combien regrettable que pas un grand journal ne se soit attaché un collaborateur de cette autorité, de cette valeur esthétique, de cette érudition, de cette loyauté ; quels services ne rendrait-il pas à notre art en intervenant dans le brouhaha des réclames de tous ces brocanteurs, bamums et marchands de soupe, hurlant en proportion inverse de la qualité de leur marchandise ?

C'est Nuitter qui l'avait prié de le seconder dans ses fonctions d'archiviste à l'Opéra ; archiviste-adjoint après la mort de Nuitter, il fonde le petit musée dont les richesses attirent journellement tant de visiteurs à la bibliothèque de l'Opéra, organise en 1900 une exposition, jusqu'alors sans précédent, celle des autographes musicaux de tous les temps et de tous les pays, faite surtout de ses collections personnelles... et cela, sans que l'Etat ait un centime à débourser, gratuite pour le public, lui-même supportant tous les frais, mais n'en recevant du ministère ni félicitations, ni remerciements, ni récompenses, volontairement ou involontairement oublié.

La publication complète, en Allemagne, de l'œuvre de Berlioz (Breitkopf et Hartel) est due à la collaboration de Charles Malherbe et de son ami, Felix Weingartner, le chef d'orchestre réputé.

L'édition des œuvres complètes de Rameau, quinze volumes avec notes et commentaires du plus haut intérêt, entreprise colossale d'un savoir et d'une conscience sans pareils, monument glorieux destiné remettre en honneur un des plus grands musiciens que la France ait produits, nous la devons à Charles Malherbe (Durand et fils, édit.) A lui, nous devons encore ces notices qui, depuis plus de dix ans, racontent et expliquent sur les programmes du Châtelet l'histoire et le caractère des œuvres exécutées chaque dimanche, innovation qui répondait à un vif désir du public, qui a la valeur d'un enseignement et dont l'exemple a été bientôt suivi par toutes nos sociétés de concerts. Est-il un artiste, un critique, un musicien, un littérateur auquel il n'ait rendu service ? Le titre de « bibliothécaire » évoque en nous la vision d'un citoyen ordinairement jaloux de ses livres, arrivant à se figurer qu'il en est propriétaire et n'admettant qu'avec peine qu’ils servent momentanément à d'autres. Pour lui, le public c’est l’ennemi, l'usurpateur. Nous connaissons tous des fonctionnaires de cet ordre, épiant le visiteur, lisant par-dessus son épaule, cherchant à deviner le sujet de ses études pour s'approprier ses idées et le devancer chez l'éditeur auquel il apporte, à la hâte, une compilation sans intérêt, mais qui prend la place d'un ouvrage sérieux.

Tel n'est point le cas de Malherbe, le reproche qu’on pourrait lui adresser. Tout autre sa conception de l'homme heureux. « Etre utile au prochain » lui semble un devoir philosophique, le premier axiome de la sagesse. Quant à prendre les idées d'autrui, il n'en a jamais eu la tentation, jamais éprouvé le besoin. Solide est son cerveau, rien de comparable aux creuses cellules d'une ruche de frelons. Il a travaillé pour les uns et les autres dans tous les pays civilisés ; consulté, pris comme arbitre par la plupart des États européens, il a été récompensé, honoré, décoré par la Russie, la Prusse, l’Italie, la Belgique, l'Espagne, tous, sauf la France où, depuis dix ans, on lui annonce la croix… pour la prochaine promotion. La liste est là portant son nom et n'attendant plus que la signature du ministre, quand, à l'avant-dernière minute, se glisse un chemineau qui, discrètement, substitue son propre nom au sien ; à la dernière, entre son Excellence qui signe.

« Contre un fait aussi monstrueux, quel recours ? demandais-je un matin à feu mon ami Ranc ? — Gueuler » répondit-il.

« Quel dommage que la parfaite éducation de Malherbe répugne à un moyen si pratique et si sûr ! » affirmait Ranc. Quel regret de constater tant de patience en face de tant d'injustice ! La patience est-elle donc, elle aussi, condition première de la sagesse, d'absolue nécessité pour être heureux ? En tout cas, nous qui n'avons point atteint les sommets de ce platonisme sans nerfs et qui désespérons d'y atteindre jamais, nous, les amis, ne nous sera-t-il point permis de montrer moins de vertu et de commencer par crier un peu… pour finir par gueuler, après quelque entraînement ?

(Charles-Marie Widor, Comœdia illustré, 15 décembre 1908)

 

 

 

 

Charles Malherbe en 1904

 

 

 

Il fit des études de droit, mais aussitôt après avoir pris sa licence s'adonna à la musique, sous la direction de Danhauser, Wormser et Massenet. En 1880, Malherbe accompagna son maître Danhauser dans un voyage d'études à travers la Belgique, la Hollande et la Suisse. C'est à partir de ce moment qu'il a collaboré à divers journaux et revues (« Revue d'art dramatique », « Ménestrel », « Guide musical », « Progrès artistique », « Revue internationale de musique », et surtout le « Monde artiste » [1885-1893]). Nommé en 1896 archiviste-adjoint de l'Opéra de Paris, Malherbe a succédé, en mars 1899, à Charles Nuitter, comme archiviste. Mais ce qui a contribué le plus à répandre son nom, c'est sa très riche collection particulière d'autographes, qu'il a léguée à la Bibliothèque de l'Opéra de Paris. Tous les noms des maîtres, de quelque notoriété, y sont représentés (et le plus souvent très largement), de Bach à Wagner et aux contemporains. En outre, Malherbe possédait une collection de tous les journaux illustrés publiés à Paris depuis le commencement du XIXe s., et une collection spéciale de titres de musique. En tant que compositeur, Malherbe a donné des œuvres pour piano à 2 et à 4 mains, pour orgue, pour violon, pour orchestre, puis des mélodies vocales, de la musique de chambre, des opéras-comiques (inédits : l'Ordonnance, la Barbière de cette ville, les Trois commères), de la musique de scène pour les Yeux clos (Paris, Odéon, 1896), et des transcriptions nombreuses. Parmi les ouvrages de musicographie, nous noterons : des notices sur Esclarmonde (1889) et sur Ascanio (1890), le Catalogue bibliographique des œuvres de Donizetti (1897) puis, en collaboration avec A. Soubies : l'Œuvre dramatique de Richard Wagner (1886) ; Précis d'histoire de l’Opéra-Comique [1840-1887] (1887, sous le pseudonyme de B. de Lomagne) ; Mélanges sur R. Wagner (1891) ; Histoire de la seconde Salle Favart [Opéra-Comique] (2 vol., 1892 et 1893 ; couronnés par l'Institut) ; P. Tchaïkovski (1901 ; à propos de la VIe symphonie) ; etc. Malherbe a dirigé avec Saint-Saëns les travaux pour l'édition complète des œuvres de Rameau (Paris, Durand), et donné des conférences à l' « Ecole des hautes études sociales ».

(Hugo Riemann, Dictionnaire de Musique, édition française de Georges Humbert, 1913)

 

 

 

 

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