Ernest GUIRAUD
Ernest Guiraud, photo Numa Blanc [musée Carnavalet]
Ernest GUIRAUD
compositeur français
(La Nouvelle‑Orléans, Louisiane, Etats-Unis, 23 juin 1837 – 15 rue du Faubourg-Poissonnière, Paris 9e, 06 mai 1892*)
Fils Jean-Baptiste GUIRAUD (Bordeaux, section centre, Gironde, 09 janvier 1804 – La Nouvelle-Orléans, 13 août 1864), compositeur, et d’Adélaïde CROISILLES (Paris, 11 novembre 1813 – La Nouvelle-Orléans, 20 mai 1848), pianiste [sœur de Louis Jules CROISILLES (Paris ancien 5e, 18 juin 1816* – Paris 10e, 03 octobre 1902*), violon solo à l’Opéra-Comique, où il était en 1855 le 3e chef d’orchestre (encore en poste en 1863)].
Son père obtint le second prix de Rome en 1826 et le premier prix en 1827 et fut ensuite professeur de musique à La Nouvelle-Orléans. Ernest Guiraud fut l’élève au Conservatoire de Paris de Marmontel, Barbereau et Halévy, obtint en piano un 1er accessit en 1855, un second prix en 1857 et un premier prix en 1858, puis le premier grand prix de Rome en 1859 avec la cantate Bajazet et le Joueur de flûte. Il fit jouer, à son retour d'Italie, trois petits ouvrages en un acte : Sylvie (1864) ; En prison (1869), et le Kobold (1870). La guerre survenant, il s'engagea. Puis il donna à l'Athénée un opéra-comique en deux actes, Madame Turlupin (1872), suivi d'un ballet à l'Opéra, Gretna-Green (1873), puis d'un ouvrage plus important, Piccolino (1876). Au Conservatoire, il fut nommé le 11 novembre 1876 professeur d'harmonie et d’accompagnement et, le 01 décembre 1880, professeur de composition. Il eut sur ses élèves, dont Paul Dukas, et notamment sur Debussy, une grande influence par sa culture, son enseignement et sa largeur d’esprit. Entre temps, il faisait exécuter aux Concerts populaires une Ouverture de concert et une Suite d'orchestre, nerveuse et colorée, dont l'un des morceaux : Carnaval, est devenu célèbre. En 1882, il reparaissait à l'Opéra‑Comique avec Galante aventure. Il publia, en 1890 un Traité pratique d'instrumentation, fut élu, en 1891, membre de l'Académie des beaux-arts. En mourant, il laissait inachevée la partition d'un opéra, Frédégonde, terminé par Saint-Saëns et joué le 18 décembre 1895. On lui doit encore un Caprice pour violon et orchestre, une Chasse fantastique d’après Victor Hugo, des mélodies, etc. Ami de Georges Bizet, il a composé les récitatifs pour remplacer les dialogues parlés de Carmen. On lui doit également les suites symphoniques de tirées de Carmen et la 2e suite tirée de l’Arlésienne. Il a terminé l’orchestration des Contes d’Hoffmann d’Offenbach et écrit une Notice sur la vie et les œuvres de L. Delibes. En mourant, il laissait inachevée la partition d'un opéra, Frédégonde, terminé par Saint-Saëns et joué le 18 décembre 1895. Nommé chevalier de la Légion d’honneur le 05 août 1878, il fut élu membre de l’Académie des beaux-arts en 1891.
En 1888, il habitait 21 rue Pigalle à Paris 9e, où il était domicilié lors de son décès survenu au Conservatoire en 1892 ; il avait alors cinquante-quatre ans et était célibataire. Il est enterré au Père-Lachaise (82e division).
=> Notice sur Ernest Guiraud par Emile Paladilhe (28 janvier 1893)
oeuvres lyriques
le Roi David, grand opéra, livret de Soumet et Félicien Mallefille (La Nouvelle-Orléans, vers 1852) Sylvie, opéra‑comique en 1 acte, livret de Jules Adenis et Jules Rostaing (Opéra-Comique, 11 mai 1864) => fiche technique la Coupe du roi de Thulé, opéra en 3 actes, livret de Louis Gallet et Edouard Blau (classé second au concours ouvert par le ministre des beaux-arts en 1867) En prison, opéra-comique en 1 acte, livret de Chaigneau et Boverat (Théâtre-Lyrique [place du Châtelet], 05 mars 1869 avec Mme Ducasse (Formosa), MM. Gabriel (Nigodini), Verdellet (Lélio), Auguste Legrand (Trombolino), Prosper Guyot (Cascarino), Larout (un garçon), Garcin (un messager) ; représentations au Théâtre-Lyrique : 18 en 1869, 3 en 1870) "Le livret a dû être imaginé pour les Bouffes-Parisiens ; on ne peut en donner une analyse intéressante. Il suffit qu'on sache qu'un mal de dents est le pivot de l'intrigue. La faiblesse de la pièce a nui au succès de la musique, quoiqu'elle fût l'œuvre d'un jeune compositeur qui depuis a produit des ouvrages bien plus importants. On y a remarqué divers morceaux traités avec goût et une certaine entente dramatique, entre autres la romance de ténor : Voici le jour ; l'air de soprano : J'irai chez ma tante. Cette pièce n'a pas réussi." (Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément, 1872) "Un opéra de salon perdu sur une trop grande scène et qui était loin de révéler les qualités dont le musicien a fait preuve depuis (notamment dans Madame Turlupin et dans Piccolino). M. Ernest Guiraud est le prix de Rome de l'année 1859 ; son père avait obtenu la même distinction en 1827. C'est le seul exemple connu de cette sorte d'hérédité." (Albert de Lasalle, Mémorial du Théâtre-Lyrique, 1877) le Kobold, opéra-ballet en 1 acte, livret de Charles Nuitter et Louis Gallet (Opéra-Comique [2e salle Favart], 26 juillet 1870, avec Mme Marie Heilbronn, MM. Gustave Leroy, Pierre Miral, Elias Nathan) "Le kobold est un lutin dont la fonction consiste à empêcher les jeunes garçons de contracter mariage. Jaloux de leur amitié, il veut en jouir en égoïste. Mais sa puissance n'a d'effet qu'autant qu'il reste invisible ; s'il est vu par un mortel, il perd son pouvoir et périt dans les flammes. Un garde-chasse, du nom de Frédéric, est fiancé à Catherine, fille de Pippermann. Le kobold leur joue mille tours ; mais Catherine, par ses stratagèmes, et surtout en excitant la jalousie du lutin outre mesure, l'oblige à se montrer, ce qui finit la pièce, et lui permet d'épouser Frédéric. Cette fable aurait pu fournir la matière d'une jolie fantaisie lyrique. Charles Nodier a montré, dans Trilby, le parti qu'on peut tirer de ces lutins familiers. Quant à la musique, elle a été fort goûtée, autant que le permettaient les préoccupations si graves du public, puisque, dans la même soirée, on chantait la Marseillaise et le Rhin allemand dans tous les théâtres. Les bonnes études qu'a faites le compositeur se révèlent dans l'ouverture et dans l'arrangement de l'harmonie et de l'instrumentation, sur les motifs assez simples et peu développés de la partie vocale de la partition. Les airs de ballet sont agréables. Le kobold est naturellement une danseuse ; Mlle Trévisan faisait alors partie de la troupe de l'Opéra-Comique, et la pièce a, dit-on, été faite pour elle. Cette idée a rarement réussi. Il vaut mieux que l'Opéra-Comique garde son genre." (Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément, 1872) Madame Turlupin, opéra-comique en 2 actes, livret d’Eugène Cormon et Charles Granvallet (Athénée, 23 novembre 1872 ; Opéra-Comique, 05 mars 1888) => fiche technique Gretna‑Green, ballet en 1 acte, argument de Charles Nuitter (Opéra, 05 mars 1873) => fiche technique Piccolino, opéra-comique en 3 actes, livret de Victorien Sardou et Charles Nuitter (Opéra-Comique, 11 avril 1876) => fiche technique Galante aventure, opéra-comique en 3 actes, livret de Louis Davyl et Armand Silvestre (Opéra-Comique, 23 mars 1882) => fiche technique le Baron Frick, opérette en 1 acte, livret d’Ernest Depré et Charles Clairville, musique d’Ernest Guiraud, Alphonse Duvernoy, Francis Thomé, André Wormser, Clément Broutin, Victorien Joncières, William Chaumet, Georges Pfeiffer, Charles de Bériot et Ferrand (Cercle Artistique de la rue Volney, 22 décembre 1885) Frédégonde, drame lyrique en 5 actes, livret de Louis Gallet, musique d’Ernest Guiraud terminée par Camille Saint‑Saëns (Opéra, 18 décembre 1895) => fiche technique
mélodies
Crépuscule D'où venez-vous ?, poésie d'Alphonse de Lamartine Mignonne, poésie de Pierre de Ronsard Rose, poésie de Paul de Choudens (1877) Sans amour, poésie de Lucien Paté Sérénade de Ruy-Blas, poésie de Victor Hugo |
Ernest Guiraud
Son père, excellent musicien et ancien prix de Rome, lui donna les premières leçons. A quinze ans, M. Ernest Guiraud, avec une audace naturelle à cet âge, s'exerçait à refaire un opéra de Mermet, le Roi David, dont, du reste, le téméraire compositeur ne connaissait que le livret. On prétend que ce second Roi David, joué à La Nouvelle-Orléans par une troupe française, y fut très bien accueilli. M. Ernest Guiraud n'en sentit pas moins la nécessité de compléter son éducation musicale et vint à Paris, où il entra au Conservatoire. Il y fit des progrès merveilleux, et, en 1859, le grand prix de Rome lui était décerné à l'unanimité pour sa cantate de Bajazet et le joueur de flûte. A Rome, M. Ernest Guiraud ne demeura pas oisif, et, dès la première année, il envoyait à l'Académie des beaux-arts une messe solennelle. L'année suivante, il envoyait un opéra bouffe italien, Gli Avventurieri, et la troisième année, un opéra-comique en un acte, Sylvie, qui fut joué à l'Opéra-Comique. M. Guiraud donna ensuite : En prison, au Théâtre-Lyrique (1869) ; le Kobold, à l'Opéra-Comique (1870) ; Madame Turlupin, à l'Athénée (1872) ; Gretna-Green, ballet, à l'Opéra (1873) ; Piccolino, au Théâtre-Lyrique (1877). En dehors de ses œuvres dramatiques, M. Ernest Guiraud a produit un certain nombre d'œuvres musicales très bien accueillies du public : Mignonne, mélodie ; la Sérénade de Ruy Blas ; Crépuscule, mélodie, etc. Il nous reste à dire un mot de M. Guiraud comme patriote. En 1870, pendant l'invasion allemande, M. Guiraud s'engagea dans un régiment de marche, et il était à Champigny, puis à Montretout, dans cette dernière convulsion de Paris où tant d'artistes payèrent de leur sang leur dévouement au devoir et à la patrie. (Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1er supplément, 1878)
Au quatrième grand festival, qui eut lieu le 11 février 1879, à l'Hippodrome, il fit entendre des fragments de son opéra inédit, intitulé le Feu. M. Guiraud donna, à la salle Favart, le 23 mars 1882, Galante Aventure, opéra-comique en trois actes, paroles de MM. Louis Davyl et Armand Silvestre. Le livret, d'un médiocre intérêt, nuisit à la partition, qui n'est pas sans mérite. M. Guiraud a été nommé, le 9 août 1877, membre de la commission supérieure des expositions internationales. Il a obtenu, comme auteur de Piccolino, le prix Morbinne, décerné pour la première fois le 19 octobre 1878. Il est professeur d'harmonie au Conservatoire et chevalier de la Légion d'honneur. (Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 2e supplément, 1888)
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Il offre le seul exemple connu en France d'un musicien fils de prix de Rome et ayant obtenu lui-même le prix de Rome. Plus heureux que son père, M. Guiraud a pu, non sans difficultés toutefois, se produire comme compositeur dramatique, et il est un des jeunes artistes sur lesquels la nouvelle école française a le plus droit de compter. Vivant dans un milieu très musical, M. Ernest Guiraud, qui était né avec de réelles facultés, vit ces facultés s'accroître encore sous la direction de son père, qui, tout naturellement, se chargea de son éducation artistique. Lorsqu'il fut âgé d'une douzaine d'années, celui-ci l'amena à Paris, non pour l'y fixer encore, mais dans le but de lui ouvrir l'imagination et de lui préparer les voies de l'avenir. M. Guiraud père repartit ensuite pour La Nouvelle-Orléans avec son fils, emportant avec lui un certain nombre de livrets d'opéras qu'il avait achetés dans le but de l'exercer à la composition dramatique. Parmi ces livrets se trouvait celui du Roi David, représenté à l'Opéra en 1846, et qui avait été le premier ouvrage de M. Mermet. Le jeune Guiraud, atteignant environ sa quinzième année, remit ce poème en musique, et son Roi David, joué par la troupe française de La Nouvelle-Orléans, obtint dans cette ville un succès véritable. La représentation de cet opéra fut l'adieu jeté au pays qui l'avait vu naître par M. Ernest Guiraud, qui s'apprêtait à venir s'établir définitivement dans sa véritable patrie. Il s’embarqua en effet pour la France, afin d'y continuer ses études, d'y parfaire son éducation musicale, et de s'y faire une position. Il y trouva tout naturellement d'intimes relations : les amis de son père, puis les membres de sa propre famille, parmi lesquels son oncle, M. Croisilles, violon-solo de l'Opéra-Comique, qui en prit la garde et qui veilla sur lui avec un soin tout paternel. Presque aussitôt arrivé à Paris, il entra au Conservatoire, dans la classe de piano de M. Marmontel, dont il devint rapidement l'un des meilleurs élèves. Dès 1855, obtenait un premier accessit, remportait le second prix en 1857, et le premier en 1858. En même temps il suivait un cours d'harmonie avec M. Barbereau, qui avait été chez Reicha le condisciple de son père, et entrait bientôt dans la classe de composition d’Halévy. Ses progrès y furent si rapides qu'en 1859, à son premier concours à l'Institut, il enleva d'emblée le premier prix de Rome, qui lui fut décerné à l'unanimité. La cantate de concours avait pour auteur Edouard Monnais, et pour titre Bajazet et le Joueur de flûte. M. Guiraud, qui tenait alors à l'orchestre de l'Opéra-Comique le modeste emploi de timbalier, partit donc pour Rome, comme tant d'autres ; mais son séjour dans la ville éternelle fit peut‑être plus d'impression sur son esprit qu'il n'en fait d'ordinaire sur celui de ses confrères. Nature ardente, enthousiaste, doué d'un sentiment artistique très intense et très développé, il conserva de son voyage en Italie, de la vue de cette nature généreuse et luxuriante, de la contemplation de tant de chefs-d'œuvre accumulés par les siècles, un souvenir qui, loin de lui peser, lui est toujours resté cher. M. Guiraud, du reste, ne faillit point aux obligations imposées par le règlement aux élèves de l'école de Rome, et fit exactement à l'Académie des Beaux-Arts les envois auxquels il était tenu : il envoya la première année une messe solennelle, la seconde année un opéra bouffe italien en un acte, gli Avventurieri, et la troisième un opéra-comique en un acte intitulé Sylvie. M. Guiraud commença sous d'heureux auspices sa carrière de compositeur. Au rebours de tant d'autres prix de Rome, qui ne peuvent parvenir à se faire jouer, il était à peine de retour à Paris et touchait encore les derniers mois de sa pension, lorsque l'Opéra-Comique livra au public ce petit opéra de Sylvie, précédemment envoyé par lui à l'Académie des Beaux-Arts. Représenté le 11 mai 1864, cet aimable ouvrage fut favorablement accueilli. Son auteur dut cependant attendre cinq ans une nouvelle occasion de se produire, et ce n’est que le 5 mars 1869 que le Théâtre-Lyrique fit paraître En Prison, nouvel ouvrage en un acte dû à la plume de M. Guraud ; encore ce dernier ne fut-il joué que contre le gré du compositeur, qui, mécontent du livret de ses collaborateurs, mécontent même de sa partition, eût désiré ne leur jamais laisser voir le jour. Le jeune musicien donna, le 2 juillet 1870, à l'Opéra-Comique, un troisième ouvra en un acte, le Kobold, qui réussit à souhait, mais dont les événements vinrent arrêter la carrière. La guerre survenue, M. Guirand ne voulut pas profiter de l'exemption du service militaire à laquelle lui donnait droit son titre de prix de Rome ; il s'engagea même dans un bataillon de marche, fit son devoir jusqu'au bout, et fit bravement le coup de feu en plus d'une occasion, notamment dans les deux sanglantes journées de Champigny et de Montretout, où il vit bon nombre de ses compagnons tomber autour de lui. Plus heureux pourtant que notre brave et cher Henri Regnault, venu de si loin pour se faire tuer en héros, il ne fut pas même blessé. Une fois la paix rétablie, M. Guiraud se remit au travail. On le retrouve bientôt aux Concerts populaires, où, le 28 janvier 1872, il fait exécuter une suite d'orchestre fort remarquée et qui mérite de l'être ; cette composition le classa aussitôt dans l'opinion des artistes et du public, et vint confirmer les espérances qu'on avait conçues de son talent ; elle accusait chez son auteur une étude sérieuse et approfondie des grands maîtres, principalement dans le prélude, qui est de conception toute classique, et une grande connaissance des ressources de l'orchestre, surtout dans le finale (Carnaval), page brillante et entraînante, morceau plein d'action, de mouvement et de couleur. Le 23 novembre 1872, M. Guiraud donnait au petit théâtre de l'Athénée un opéra-comique en deux actes, Madame Turlupin, dont la partition extrêmement distinguée lui fit le plus grand honneur, et qui mériterait d'être repris sur une scène plus importante, il écrivit ensuite la musique d'un ballet en un acte, Gretna-Green, qui fut représenté à l'Opéra le 5 mai 1873, fit exécuter l'année suivante aux Concerts populaires une Ouverture de concert (1er mars 1874) et un air de ballet (6 décembre), et enfin donna à l’Opéra-Comique, le 11 avril 1876, un ouvrage en trois actes, intitulé Piccolino. Moins originale, moins neuve à mon sens que celle de Madame Turlupin, la partition de Piccolino, qui a été très bien reçue du public et de la critique, n'en est pas moins une œuvre remarquable, dont l'allure franche et hardie tranche d'une façon très heureuse avec celle de certaines productions contemporaines dont les auteurs, se rapprochant des tendances anti-scéniques de la nouvelle école allemande, voudraient acclimater au théâtre des procédés qui en sont précisément la négation pure. Au reste, et musicalement parlant, M. Ernest Guiraud n'est ni un rêveur ni un élégiaque. C'est un tempérament nerveux, chaud, vivace, qui a besoin de l'entraînement de la scène, et qui est visiblement et invinciblement attiré vers le théâtre, dont il a le sentiment inné. Sa musique a les véritables qualités qui conviennent au drame lyrique : l'action, le mouvement, la chaleur, la vie, et par conséquent, au point de vue technique, le rythme, qui est justement l’âme et l’essence de toute musique vivante. Malheureusement, et par la faute de nos administrations théâtrales, M. Guiraud n'a pu donner encore la mesure exacte de son talent, et produire une œuvre où il se soit livré tout entier. Mais ceci viendra rapidement maintenant, il faut l'espérer, et M. Guiraud n’en reste pas moins l'un des soutiens les plus fermes, les plus intelligents et les mieux doués de la jeune école française. Voici la liste des œuvres gravées de M. Guiraud : 1° Sylvie, un acte (Paris, Lemoine) ; 2° Madame Turlupin, 2 actes (Paris, Escudier) ; 3° Gretna-Green, ballet en un acte (Paris, Durand-Schœnewerk) ; 4° Piccolino, 3 actes (id., id.) ; 6° Suite d'orchestre en quatre parties, partition d'orchestre et arrangement à 4 mains (id., id.) ; 7° Mignonne, mélodie, Sérénade de Ruy‑Blas (Paris, Choudens) ; Crépuscule, mélodie (dans la Revue de la musique). Au mois de novembre 1876, M. Guiraud a été nommé professeur d'harmonie et accompagnement au Conservatoire, en remplacement d’Edouard Baptiste, qui venait de mourir. (François-Joseph Fétis, Biographie universelle des musiciens, suppl. d’Arthur Pougin, 1878-1880)
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Ernest Guiraud était né à La Nouvelle-Orléans le 23 juin 1837. Il est mort à Paris le 6 mai 1892. Son existence, à dix-huit mois d'intervalle, aura eu la même durée que celle de l'auteur de Lakmé. Il était, comme lui, par ses origines, un enfant de la balle. Et pour s'adonner à cet art infiniment complexe qu'est la musique, ceci n’est point toujours inutile. A son arrivée à Paris, il entra au Conservatoire, où il fut l'élève de Marmontel, Barbereau et Halévy. Ses études sanctionnées par diverses récompenses, se virent couronnées en 1859 par le grand prix de Rome, décerné à sa cantate Bajazet et le joueur de flûte. Il avait fait, à l'âge de quinze ans, représenter dans sa ville natale son premier opéra, le Roi David. Il débuta à l'Opéra-Comique le 11 mai 1864 avec un opéra en un acte, Sylvie, qu'il avait écrit à Rome et qui fut suivi, cinq ans après, au Théâtre-lyrique, d'En prison, en un acte également, et, en 1870, du Kobold. Mobilisé pendant la guerre, Guiraud fit vaillamment son devoir. Le théâtre le reprit bientôt et il lui donna, en 1872, Madame Turlupin, en 1873, le ballet de Gretna-Green, en 1876, Piccolino. Galante Aventure, d'après le livret assez scabreux d'Armand Silvestre et Louis Davy, échoua à l'Opéra-Comique en 1882. Entre temps, Guiraud avait écrit deux Suites d'orchestre, l'ouverture d'Arteveld, un Caprice pour violon et orchestre joué par Sarasate et, en 1885, une nouvelle Suite d'orchestre en quatre mouvements qui fit sensation. Dédiée à Jules Pasdeloup qui l'exécutait, elle est traitée comme une libre symphonie. L'andante, avec la grâce de son contour mélodique, est plein d'ingénieux détails et le finale, d'allure brillante, intitulé Carnaval, où se déploie un luxe d'instrumentation inusité, enleva les applaudissements du public. L'opéra posthume Frédégonde, terminé par Saint-Saëns en collaboration avec Paul Dukas, ne réussit que médiocrement à l'Opéra, en 1895. On doit également à Guiraud un traité d'instrumentation. Il avait succédé à Batiste comme professeur d'harmonie et d'accompagnement au Conservatoire en 1876. Enfin, en 1878, il remplaçait Victor Massé dans sa classe de composition et, en 1891, il était appelé à siéger à l'Académie des Beaux-Arts dans le fauteuil de Léo Delibes. Une telle nomenclature semble démentir la réputation qu'on a faite à Guiraud de s'être abandonné à une apathie, pour ne pas dire à une paresse, à laquelle Bizet, son ami, s'efforçait de l'arracher. Non pas la paresse des oisifs, certes, mais la paresse d'un La Fontaine, celle des contemplatifs, peut-être cette sorte d'effroi devant la réalisation qui fait qu'un Léonard de Vinci ne prenait jamais, dit-on, ses pinceaux sans trembler. La production de Guiraud eût pu être plus abondante ou plus laborieuse. On lui a reproché de se satisfaire du nombre plutôt que de la valeur des idées. Mais, à défaut, ce semble d'une personnalité essentiellement originale qui ne s'est sans doute pas assez cherchée, il y a dans Piccolino, dans Gretna-Green, voire dans Galante aventure, des qualités qui ont classé Guiraud parmi les musiciens les plus remarquables de son temps et ont assuré à certains de ses ouvrages une enviable carrière. On connaît l'histoire de ce forgeron de Gretna-Green, juge de paix à ses heures, qui mariait les jeunes gens malgré l'opposition de leurs parents. De ce ballet, dont plusieurs épisodes dénotent une rare habileté, un certain nombre de pages subsistent encore sous forme de suites d'orchestre. Les trois actes de Piccolino sont extraits d'une pièce romantique de Sardou dont l'idée première, — le stratagème d'une jeune fille qui, abandonnée par son fiancé, le suit à l'étranger sous un déguisement et parvient à le reconquérir — est empruntée à la Claudine de Florian. La partition est écrite avec un soin qu'on ne retrouve pas toujours ailleurs au même degré dans Madame Turlupin, par exemple, qui fut cependant un des grands succès de l'Athénée en 1872. Guiraud y a introduit le Carnaval tiré de sa dernière Suite d'orchestre et qui prépara la fortune de la pièce à l'Opéra. De Piccolino on peut citer la pastorale, la sérénade, un chœur de Noël, le finale avec sa joyeuse saltarelle, sans oublier le mélodrame dont l'intimité fait songer à l'Adagietto de l'Arlésienne. Esprit fin, lettré, cultivé, humaniste distingué, Guiraud était apte à tout comprendre. Il a aimé Wagner et César Franck. Il était par son éclectisme et son intuition d'autrui un professeur — ne disons pas un pédagogue — incomparable. Nous connaissons, par les échos que nous a transmis leur auditeur privilégié, M. Maurice Emmanuel, au cours de sa pénétrante étude sur Pelléas et Mélisande, les entretiens passionnants qui se déroulaient dans l'arrière-salle d'un marchand de vins entre Guiraud et Debussy, le maître écoutant, non sans émoi, mais avec complaisance, son disciple développer ses idées subversives touchant l'esthétique wagnérienne, les formes et les conventions classiques et déclarer « Ma règle est ce que j'aime ». — « A condition, répondait Guiraud, que vous placiez bien vos amours ». Guiraud, qui avait deviné Debussy, l'a encouragé et soutenu à l'Académie des Beaux-Arts lorsqu'il s'agit de faire triompher la candidature du futur auteur de l'Après-midi d'un Faune, au concours de Rome. Et tout ceci n'est pas le moindre de ses titres à notre gratitude. Son amabilité, sa douceur, sa timidité qui, par un singulier paradoxe l'a dissuadé de rechercher pour son compte les audaces qu'il admirait ailleurs, allaient parfois jusqu'à la faiblesse. Nul n'a été ni moins intrigant ni moins intéressé, plus sympathiquement distrait, au point d'oublier dans une vieille malle les mandats-poste qu'il était chargé de rassembler en vue de l'érection d'un monument à Marmontel et de les laisser périmer. Et, lorsqu'ayant refusé d'accepter pour quelques leçons particulières la moindre rémunération, il reçut de son élève, bourguignon pur sang, un fût d'excellent Pommard, il l'abandonna, par principe, exposé dans sa cour au soleil et à la pluie jusqu'à ce qu'il fût devenu imbuvable. Tout en admirant ce trait de stoïcisme, les amis de Guiraud ne manquèrent pas d'en déplorer l'austérité. En un moment critique, où l'âge mûr lui-même ne songe plus à revendiquer le droit au repos, les scènes lyriques les plus riches d'une longue tradition hésitent à la croisée des chemins. Le retour aux classiques vient de faire ses preuves ailleurs. Qui sait si la vertu ne serait pas récompensée qui tirerait de l'oubli tant de pages savoureuses faites du meilleur de notre substance ? Aussi bien, n'est-ce pas une façon, et non la moins efficace, de rajeunir que de ressusciter le passé ? (Paul Locard, Histoire du Théâtre Lyrique en France, 1936)
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