Jean RICHEPIN
Auguste Jules RICHEPIN dit Jean RICHEPIN
écrivain français
(Médéa, Algérie française, 04 février 1849* – Paris 16e, 12 décembre 1926*)
Fils de Jules Auguste RICHEPIN (Ohis, Aisne, 13 août 1816 – La Fère, Aisne, 20 décembre 1888), chirurgien, et de Rose Pauline BESCHEPOIX (Crécy-Couvé, Eure-et-Loir, 19 mars 1826 – La Fère, 05 février 1893), légitimé par leur mariage à Belleville, Seine [auj. dans Paris], le 27 septembre 1856.
Epouse 1. à Marseille, Bouches-du-Rhône, le 17 juin 1879 (divorce le 10 juillet 1902) Eugénie Adèle CONSTANT (Manosque, Alpes-de-Haute-Provence, 12 avril 1856* – Paris 17e, 08 avril 1934*) ; parents de Jacques RICHEPIN (1880–1946), poète dramatique ; de Tiarko RICHEPIN (1884–1973), compositeur ; de Sacha Raoule Miarka Jeanne RICHEPIN (Paris 17e, 02 janvier 1892* – Paris 15e, 21 décembre 1906*).
Epouse 2. à Paris 5e le 01 décembre 1902* Marianne Emmanuele Justine, comtesse de STEMPOWSKA (Lemberg, Autriche-Hongrie, 20 août 1873 – 1953).
Un moment élève de l'Ecole normale supérieure (1868), il sert pendant la guerre de 1870 dans les francs-tireurs, puis retourne à Paris et collabore à divers journaux. Il mène la vie de bohème, et attire sur lui l'attention par son mépris des conventions sociales et par sa recherche de la singularité ; son premier recueil poétique, la Chanson des gueux (1876), le fait condamner à un mois de prison et 500 francs d'amende. Après avoir été quelque temps marin et débardeur, il publie encore des vers : les Caresses (1877), les Blasphèmes (1884), la Mer (1886), Mes paradis (1894), la Bombarde, contes à chanter (1899). Ses nombreux romans et recueils d'impressions traduisent un tempérament de réfractaire, admirateur de Jules Vallès : les Etapes d'un réfractaire (1872), la Glu (1881), le Pavé (1883), Miarka, la fille à l'ourse (1883), Sophie Monnier (1884), les Braves Gens (1886), Césarine (1888), le Cadet (1890), Truandailles (1890), Flamboche (1895), Lagibasse (1899), Paysages et coins de rue (1900), la Clique (1917). Au théâtre, il donne l'Etoile, avec André Gill (1873), la Glu (1883) ; Nana Sahib (1883), drame dans lequel il joue auprès de Sarah Bernhardt ; Monsieur Scapin (1886), le Flibustier (comédie en 3 actes, Comédie-Française, 15 mai 1888), le Chien de garde (1889), le Mage, opéra (1891), Par le glaive (1894), le Chemineau, sorte d'épopée rustique (drame en 5 actes, Odéon, 16 février 1897), les Truands (1899), la Gitane (1900), Don Quichotte (1905). Il donna à l'Opéra-Comique Miarka, où l'on retrouve, dans la partition d'Alexandre Georges, ces délicieuses mélodies bohémiennes qui sont un des charmes de son roman. On lui doit également la révision du livret du Roi malgré lui de Chabrier. La langue de Jean Richepin est d'une truculence où il y a du romantisme, le goût du « blasphème », une rhétorique incandescente et une part de jeu ou de procédé. Ses derniers recueils poétiques : Interludes (1922), le Glas (1923), sont toutefois inspirés par des sentiments plus profonds. Il est entré à l'Académie française en 1908 et fut nommé chevalier (31 décembre 1909), officier (23 juillet 1912), puis commandeur (28 février 1924) de la Légion d'honneur.
En 1880, il habitait 1 rue Séguier à Paris 6e ; en 1884, 9 rue Galvani à Paris 17e ; en 1924, 8 villa Guibert (83-85 rue de la Tour) à Paris 16e, où il est décédé en 1926 à soixante-dix-sept ans. Il est enterré à Pléneuf-Val-André.
livrets
Pierrot assassin, pantomime en 3 tableaux, musique de F. Pardon (Palais du Trocadéro, 28 avril 1883) Nana-Sahib, drame en vers en 7 tableaux, musique de scène de Jules Massenet (Porte-Saint-Martin, 20 septembre 1883) => livret la Sulamite, scène lyrique, musique d'Emmanuel Chabrier (Concerts Lamoureux, 15 mars 1885) le Mage, opéra en 4 actes, musique de Jules Massenet (Opéra, 16 mars 1891) => fiche technique le Flibustier, comédie lyrique en 3 actes, d'après sa comédie, musique de César Cui (Opéra-Comique, 22 janvier 1894) l'Impératrice, ballet-féerie, musique de Paul Vidal (Olympia, 06 avril 1901) Mademoiselle Napoléon, comédie musicale (Etats-Unis, 1903) Miarka, comédie lyrique en 4 actes et 5 tableaux, d'après son roman, musique d'Alexandre Georges (Opéra-Comique, 07 novembre 1905 ; Opéra, 16 janvier 1925) => fiche technique le Chemineau, drame lyrique en 4 actes, d'après son drame, musique de Xavier Leroux (Opéra-Comique, 06 novembre 1907) la Glu, drame musical populaire en 4 actes, avec Henri Cain, musique de Gabriel Dupont (Nice, 24 janvier 1910) le Carillonneur, pièce lyrique en 4 actes, musique de Xavier Leroux (Opéra-Comique, 20 mars 1913) la Plus forte, drame lyrique en 4 actes, avec Paul de Choudens, musique de Xavier Leroux terminée par Henri Büsser (Opéra-Comique, 11 janvier 1924)
mélodies
A la dérive, musique de Gustave Huberti Achetez mes belles violettes, chanson, musique de Désiré Dihau (1886) => partition, illustration de Toulouse-Lautrec Adieu, barcarolle, musique de Désiré Dihau (1886) => partition, illustration de Toulouse-Lautrec Aimez !, musique d'Ange Flégier Au cimetière, extrait de la Mer, musique de Gabriel Fauré (1888) Au jardin de mon cœur, musique de Désiré Dihau (1898) => partition Ballade de Noël, ballade, musique de Désiré Dihau (1888) => partition, illustration de Toulouse-Lautrec Bateau noir (le), musique de Georges Hüe Bateau rose (le), musique d'André Messager (vers 1892) Berceuse, berceuse, musique de Désiré Dihau (1886) => partition, illustration de Toulouse-Lautrec Bouquet (le), musique de Justin Clérice Brume de midi, musique de Gustave Huberti Ce que dit la pluie, chanson, musique de Désiré Dihau => illustration de Toulouse-Lautrec Chanson de la glu (la), légende bretonne, musique de Charles Gounod (1883) => partition Chanson du matin, musique d'Henri Moreau Chansons de Miarka (les), poèmes extraits de son roman, musique d'Alexandre Georges (1888) [01. Hymne à la Rivière ; 02. Hymne au Soleil ; 03. les Deux Baisers ; 04. Marche Romané ; 05. le Savoir ; 06. l'Eau qui court ; 07. la Parole ; 08. Nuages ; 09. la Poussière ; 10. la Pluie ; 11. Hymne des Morts ; 12. Fête Nuptiale ; 13. Cantique d'Amour ; 14. Miarka s'en va] => partition Chansons de Miarka, poèmes extraits de son roman, musique d'Ernest Chausson (1888) [01. les Morts ; 02. la Pluie] Déclaration, musique de Gustave Michiels Deux ménétriers (les), galop macabre, musique de Lucien Durand En ramant !..., chanson de pêcheurs, musique de Désiré Dihau => partition Etoiles filantes, musique de Désiré Dihau (1890) => partition, illustration de Toulouse-Lautrec Floréal, grande valse, musique de Désiré Dihau (1886) => partition, illustration de Toulouse-Lautrec Fou (le), chanson, musique de Désiré Dihau (1886) => partition Glu (la), légende bretonne, musique de Georges Fragerolle Hareng saur (l’), chanson, musique de Désiré Dihau (1886) => partition, illustration de Toulouse-Lautrec Hirondelles de mer (les), chanson, musique de Désiré Dihau (1886) => partition, illustration de Toulouse-Lautrec Iles roses (les), musique de César Cui (1907-1908) Larmes, extrait de la Mer, musique de Gabriel Fauré (1888) Larmes (les), lamento, musique d'Ange Flégier Lettre de Jean-Pierre (la), musique de Xavier Leroux Noël de neige, musique de Félix Fourdrain (vers 1903) Océano nox (Nuit en mer), cantilène, musique de Désiré Dihau (1886) => partition, illustration de Toulouse-Lautrec Papillons (les), ronde, musique de Désiré Dihau => illustration de Toulouse-Lautrec Secret (le), musique de Désiré Dihau (1886) => partition, illustration de Toulouse-Lautrec Te souviens-tu du premier baiser ?..., musique de Georges Guiraud Trois petits oiseaux (les), musique de Gabriel Pierné (vers 1892) Vieux papillons (les), menuet, musique de Désiré Dihau (1886) => partition, illustration de Toulouse-Lautrec Vieux papillons (les), musique de Georges Fragerolle Vieux papillons (les), musique de Gustave Michiels Vingt poèmes, op. 44, musique de César Cui (1890) [extraits de la Chanson des gueux, les Caresses, les Blasphèmes, la Mer]
les Vieux Papillons, poésie de Jean Richepin, musique de Gustave Michiels publié dans la Bonne Chanson n° 7 de mai 1908 |
Jean Richepin dans son cabinet de travail, vers 1892 (photo Dornac)
La mort de Jean Richepin, qui vient de frapper si cruellement les lettres françaises, émeut douloureusement l'Université des Annales... Dans cette maison où tant de fois retentit son verbe éclatant, l'on se souviendra longtemps des magnifiques leçons données par le poète, de ses conférences vibrantes sur Victor Hugo, sur le Théâtre Grec, sur Shakespeare, sur les vieilles chansons de chez nous... Toutes ces pages, où la plus sûre érudition s'allie à une prodigieuse richesse d'images, Conferencia s'honore de les avoir publiées. Elles sont le complément de l'œuvre touffue et vivante de ce dernier des Romantiques, de ce maître du clair parler français... D'autres ont dit la qualité de l'œuvre, les dons du poète, du romancier, du dramaturge ; nul n'a mieux que le ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts évoqué avec l'humaniste, l'ami des humbles, l'amoureux de la terre de France. Dans le discours qu'il prononça aux obsèques de Jean Richepin, M. Edouard Herriot, en effet, rendit le plus bel hommage à l'écrivain disparu. Le ministre parle des influences qui ont agi sur le poète : « Votre culture était immense ; elle s'appliquait à tous les temps comme à tous les pays. Mais lorsque votre curiosité s'appliquait à ces écrivains qui, en vingt ans, des Méditations aux Burgraves, ont renouvelé tous les sujets, vous léguant au reste la formule sur laquelle votre théâtre est fondé ; lorsque vous recherchiez l'influence du romantisme chez un prestidigitateur de vers comme Banville ou chez Baudelaire, que vous ne pouvez pas renier, quelle abondance, quelle puissance de résurrection jaillissaient en vous ! Mais sous ces formes et sous le voile de ces influences, ce que vos vrais amis, mon cher Richepin, discernaient et préféraient, c'était un grand et pur poète de chez nous. Un touranien ? Mais non. Un trouvère de l’Ile-de‑France ou presque, un voisin de l’ « inoubliable » Sylvie. Le cher Barrès vous l'a dit un jour, lui qui savait distinguer l'accent de nos provinces. Et, ce jour-là, vous vous êtes réjoui. Où donc est-elle née, Miarka ? Dans un village de la Thiérache, sur la place de l'église, où la plus française des routes se rencontre avec la plus française des rivières. Et dès la Chanson des Gueux, jusqu'à certains douloureux poèmes de guerre, c'est l'âme de notre pays qui chante en vous. C'est cela qu'a d'instinct reconnu en vous ce peuple que vous aimiez, qui vous connaît et qui vous aime. C'est sur nos terres que vous avez rencontré votre chemineau. C'est là que vous avez reconnu les souffrants et les humbles, vos héros, les petits enfants bercés dans les hottes ou grelottant sur les chemins, le vieux stropiat mendiant sous la pluie, le laboureur appuyé sur les mancherons de sa charrue. C'est là que vous avez entendu la romance de la fauvette à tête noire. Ce sont nos paysages que vous avez décrits et sans cesse repris, ces paysages de France si chargés eux-mêmes de vie qu'ils ont l'air de penser, le bois qui meurt, l'eau qui passe et les plus gueux aussi de ces paysages, les sacrifiés, ces humbles terrains de banlieue que vous compariez à des lacs rouillés. » M. Herriot termine ainsi : « ... Demain, vous aurez quitté ce Paris que vous avez adoré, qui vous a donné les joies du succès, que vous pouviez contempler du haut de votre studieux refuge. J'y suis monté l'autre jour, précédé du cher ami qui accompagna toute votre vie et dont la douleur est un hommage plus précieux, vous le savez, que tous les témoignages officiels. Sur votre table, bien en vue, quelques vers étaient suspendus ; le nom de François d'Assise s'y unissait à celui de Villon. C'est comme une manière de testament ou de credo qu'ainsi, semble-t-il, vous avez voulu nous laisser ; un dernier souvenir aux humbles ou à ceux qui les ont chéris. Là-bas, des chants de matelots vous berceront ; à leur façon, ils réciteront sur vous des litanies de la mer. Et, puisque vous ne redoutiez, après la mort, que la solitude, soyez rassuré : en silence, parmi leurs labeurs, ceux qui ont comme vous connu et plaint la souffrance, ceux qui ont senti battre votre grand cœur français et humain, ceux qui dédaignent les supériorités vulgaires, mais s'inclinent, du fond de l'âme, devant un vrai lettré, un vrai poète, ceux-là vous placeront doucement dans la couronne d'étoiles que le vieil Hugo souhaitait autour de son nom. » Voici encore quelques fragments des discours prononcés sur la tombe du grand poète par les amis qui l'aimaient. Nul hommage ne dira mieux notre admiration pour celui qui fut un ami de la première heure de notre chère Université. M. Edouard Estaunié, au nom de l'Académie française, montra quel idéalisme animait l'œuvre de Richepin. « Une passion d'affranchissement s'en exhale, dit-il. Nous en goûtons la beauté musclée, dédaigneuse du sentier battu autant que fidèle aux lois savantes de l'art. Oserai-je ajouter qu'elle nous révèle, jusque dans sa fureur divine, la bonté profonde de l'inspiré qui la criait ? La lyre déposée, ce grand héritier de Villon, en effet, avait des douceurs d'enfant, ou ne connaissait de colères que pour porter aide à de plus faibles venus à lui. Précisément parce qu'il avait chanté les gueux, les chemineaux, tous les errants que la vie maltraite, Jean Richepin ne savait point refuser son secours. Parce qu'il se sentait aussi très beau, et très fort, il ne connaissait point la jalousie. Enfin, parce qu'il adorait la poésie, il était surtout pitoyable aux poètes. » M. Charles-Henry Hirsch, vice-président de la Société des Gens de Lettres, parla ensuite du journaliste, du romancier, du conteur. Enfin, M. André Rivoire, au nom de la Société des Auteurs Dramatiques, après avoir rappelé l'œuvre théâtrale du poète, lui adressa cet adieu émouvant : « Il n'avait souci que de la beauté, de la poésie, ne manquant jamais une occasion de les célébrer !... Avec quelle éloquence !... Nul mieux que lui ne savait trouver les paroles qui exaltent un confrère, à une de ces heures où les amis eux-mêmes, si sévères pourtant, éprouvaient le besoin de lui rendre justice... Jean Richepin était là, il se levait et il improvisait un de ces discours qui transportaient les foules et arrachaient à tous des applaudissements enthousiastes, dont, en souriant, le héros de la fête pouvait croire qu'ils n'allaient qu'à lui. Les morts revivaient à sa parole, quand, debout près de leur monument, il évoquait leur vie et les faisait ressurgir, comme Lazare, du sommeil de la terre... Qui ne l'a pas entendu, à l'inauguration du monument de Victorien Sardou et, il y a quelques mois, à l'inauguration du monument de Sarah Bernhardt, ne peut savoir ce qu'est le pouvoir des mots... Je voudrais aujourd'hui, maître, ami, notre maître, devant le cercueil où repose ce qui fut vous, vous que j'ai vu si vivant il y a quelques jours, il y a quelques heures à peine, trouver des mots comme il en montait de votre cœur pour regretter les autres : je voudrais vous dire quel souvenir fidèle ceux qui, admirant le poète, ont approché l'homme si bon, si généreux que vous saviez être, garderont de vous. » (Conferencia, journal de l'Université des Annales, 01 janvier 1927)
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Jean Richepin au piano (Musica, novembre 1905)
Jean Richepin et sa famille (Musica, novembre 1905)
Jean Richepin aurait cent ans
Je l'ai vu quand il venait de rendre le dernier soupir ; malgré la maladie, il était resté beau, comme il l'avait été toute sa vie Son œuvre, qui fut retentissante, s'enfonce dans le demi-silence de l'histoire littéraire. Nous sommes bien loin de lui aujourd'hui. Nous avons pris d'autres routes. Ce n'est pas une raison pour ne pas saluer cette ombre au moment où elle passe à l'horizon, et pour ne pas rendre justice à l'auteur de la Chanson des Gueux et du Chemineau. Dans la vieillesse de Victor Hugo, les poètes s'étaient partagé d'avance l'héritage d'Alexandre : les Parnassiens avaient recueilli des mains de l'immense maître du verbe la beauté de la forme, qu'ils continuaient avec Leconte de Lisle, Banville et Heredia ; les symbolistes qui, autour de Verlaine et de Mallarmé, en se souvenant de Nerval et de Baudelaire, commençaient à se chercher et à se grouper, avaient hérité du vates le sentiment du mystère. Entre les deux groupes, quelques poètes, avec qui voisinaient d'ailleurs Coppée et parfois Sully Prudhomme, voulaient surtout être fidèles à la vérité — cette vérité au nom de laquelle, ne l'oublions pas, s'était faite la révolution romantique. Et ils avaient vu naître de leur assemblage spontané l'école des « vivants », dont le nom, qui n'a pas duré, caractérise pourtant bien le programme, et dont Jean Richepin se trouva bientôt être le représentant le plus célèbre. Pour juger un poète, il faut faire abstraction des modes actuelles et de l'ambiance intellectuelle et poétique du présent. Il faut le replacer dans son milieu, le voir dans l'évolution littéraire à son moment. Et en remontant le cours des années, en nous reportant à son temps de jeunesse et de création on peut dire que l'auteur de la Chanson des Gueux (1876), des Caresses (1877), des Blasphèmes (1884) et de la Mer (1886) fut une brillante minute de la poésie française. La Chanson des Gueux éclata telle qu'un coup de revolver sur les boulevards extérieurs : il y eut, comme sur les « fortifs », après le bruit sec du coup, une stupeur dans le silence, et puis la rumeur de la foule amassée autour de l'arme encore fumante. En quelques heures, le nom de Jean Richepin devint fameux. Et ce fut justice. On trouve dans la Chanson des Gueux des poèmes que tous les lettrés savent par cœur, et récitent encore, pour leur verve riche et leur truculence amusée, comme Fleurs de boisson, dont la fin est célèbre : Et les Batignollais verront un jour des vignes... Si humble, si basse parfois que soit sa matière — je pense, par exemple, â la célèbre ballade : Ce marloupathe pâle et mince Se nommait simplement Navet, — Richepin la transfigure toujours par la perfection de son art — si bien que davantage qu'à Villon, plus celte et moins latinisant, ses vers feraient souvent penser à un Pétrone sain, à un Juvénal joyeux. Les Caresses chantaient en vers drus l'orgueil de vivre et d'aimer. Les Blasphèmes font sonner dans l'inspiration de Jean Richepin une note nouvelle une note plus philosophique, qui éclate à la fin dans un poème épique, cette Chanson du sang où Richepin rappelle, par endroits, la Légende des siècles. Le matérialisme, ce scientisme dont Paul Bourget avait depuis créé le nom nécessaire, régnait alors avec Haeckel et Buchner en Allemagne, et, mutatis mutandis, en Angleterre, avec Spencer, qui interprétait le darwinisme pour en faire la doctrine de l'évolution. Les Blasphèmes étaient la traduction de cette philosophie en vers français — traduction passionnée par un défi à la divinité, ce défi qui lui est encore presque un hommage. Enfin, la Mer demeure un beau livre, qui sent la saumure et le goudron (on sait qu'avant de l'écrire, Richepin avait bourlingué de longs mois sur une barque de pêche : le splendide marin qu'il avait dû faire, sous le ciré à peine plus tanné que sa peau !). Tels sonnets de la Mer sur le calme plat, sur le mackrelsky où flotte une île lointaine, s'irisent des nuances confondues de l'océan et du ciel. Ils pèsent et luisent dans la main comme des poissons nacrés qu'on vient de tirer de l'eau. Jean Richepin était, à sa façon, un poète complet, capable de beaux romans, comme la Glu (1881) et de grandes pièces en vers, comme Nana-Sahib (1882) que, pour remplacer sur la scène un acteur défaillant, il joua lui-même, plus tard, comme Par le Glaive (1892) et la Martyre (1899), et surtout comme le charmant Monsieur Scapin (1886), et cet adorable Flibustier (1888) qui, l'un et l'autre, ont enchanté notre enfance. Nous nous sommes tous répété avec ivresse les vers du Flibustier sur le beau nuage, Berçant son ventre d'or et ses ailes d'argent. Quant à Monsieur Scapin si, d'une part, il procédait de Banville, il a précédé, d'autre part, et de dix ans, les Romanesques et Cyrano, de Rostand. A la fin de sa vie, Richepin s'était révélé comme un orateur littéraire incomparable. Il faut l'avoir entendu parler pour savoir ce qu'était chez lui le don de la parole. Il discourait, il conversait plutôt, avec une clarté, une érudition qui évoquaient l'École normale de ses débuts, et surtout une affabilité, une bonhomie racée, une naturelle facilité d'élocution, et souvent une éloquence qui créaient un enchantement. Son aspect physique, ses livres de vers, ses démêlés avec les tribunaux (la Chanson des Gueux avait été condamnée en justice), ses drames retentissants, son apparition sur les planches, ses romans (qui ne connaît au moins la Glu et Miarka la fille à l'ourse, avec la chanson : Et l’ cœur disait en roulant T'es-tu fait mal, mon enfant ?) son amitié fidèle avec le charmant apôtre Bouchor et le délicieux Ponchon, ses discours, ses conférences, ses quatre fils, orgueil de sa vieillesse, lui avaient valu, à la fin, une véritable popularité. Il était devenu une des rares figures littéraires que connût la foule. On le retrouvait chaque fois qu'un poète devait prendre la parole dans quelque cérémonie dédiée aux lettres. La dernière fois que je l'aurai entendu parler en public, c'est à l'inauguration, dans le jardin du Luxembourg, du monument élevé à la mémoire de José-Maria de Heredia. Là, Richepin avait improvisé, comme toujours, pour prononcer l'éloge de ce grand poète, et j'ai dans l'oreille sa voix encore forte et bien timbrée, dans les yeux ce geste explicatif et donné de ses mains nerveuses, dans la mémoire tout son aspect d'une virilité pleine de grâce. Cette popularité, il ne l'a pas exploitée. Il eût pu, avec quelques flatteries aux jeunes, jouer à sa façon les Pères Eternels de la poésie. Il ne l'a pas fait, et je l'en loue. Il est resté, jusqu'au bout, simple et sincère. Aussi a-t-il vieilli et est-il mort avec la même « gentillesse » — prenez ce mot dans son sens étymologique — avec la même noblesse foncière, inconsciente et comme ingénue, qu'il avait vécu toute sa vie.
(Fernand Gregh, journal Opéra, 02 février 1949)
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les auteurs du Mage (Jules Massenet et Jean Richepin), caricature de Charles Gilbert-Martin (le Don Quichotte, 21 mars 1891)
Cœur de mère
Chanson de Gillioury extraite de la Glu de Jean Richepin Musique de Charles Gounod (1883) => partition
Y avait un' fois un pauv' gas, Et lon lan laire, Et lon lan la, Y avait un' fois un pauv' gas Qu'aimait cell' qui n' l'aimait pas.
Ell' lui dit : Apport' moi d'main, Et lon lan la, Ell' lui dit : apport' moi d'main, L' cœur de ta mèr' pour mon chien.
Va chez sa mère et la tue, Et lon lan laire, Et lon lan la, Va chez sa mère et la tue, Lui prit l' cœur et s'en courut.
Comme il courait, il tomba, Et lon lan laire, Et lon lan la, Comme il courait il tomba, Et par terre l' cœur roula.
Et pendant que l' cœur roulait, Et lon lan laire, Et lon lan la, Et pendant que l' cœur roulait, Entendit l' cœur qui parlait.
Et l' cœur disait en pleurant, Et lon lan laire, Et lon lan la, Et l' cœur disait en pleurant : « T'es-tu fait mal, mon enfant ? »
la Chanson de la Glu (par. Jean Richepin / mus. Charles Gounod) Yvette Guilbert et Maurice Eisner au piano Columbia A 2735, mat. 78110-1, enr. à New York le 16 octobre 1918
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Jean Richepin par Leonetto Cappiello, 1909