Marie Justine FAVART

 

Madame Favart, gravure de Jean-Jacques Flipart d'après Charles Nicolas Cochin, 1762

 

 

Marie Justine Benoîte CABARET DU RONCERAY dite Madame FAVART

 

soprano français

(Avignon, Vaucluse, 15 juin 1727 – Belleville, Seine [auj. dans Paris], 20 avril 1772)

 

Fille d'André René CABARET DU RONCERAY, musicien, et de Perrette Claudine BIED, cantatrice.

Epouse à Paris le 12 décembre 1745 Charles Simon FAVART (1710–1792), auteur dramatique ; parents de Charles Nicolas FAVART (1749–1806), auteur dramatique.

 

 

Elle fut élevée à Lunéville, où ses parents étaient attachés à la musique du roi de Pologne, Stanislas. Son père avait été musicien de la chapelle du roi, et sa mère était cantatrice de la chapelle du roi Stanislas. Douée d'une figure charmante, de beaucoup de talent et de grâces, elle obtint les plus grands succès lorsqu'elle débuta à Paris, en 1745 sur le théâtre de l'Opéra-Comique (foire Saint-Laurent), sous le nom de Mlle de Chantilly, avec le titre de « première danseuse du roi de Pologne ». Petite et assez mal faite, elle avait les yeux vifs, la peau blanche, de la coquetterie, des grâces maniérées, et se montrait délicieuse dans les travestis. La naïveté de son jeu, ce qu'on appelait alors la beauté de son chant, et les grâces piquantes de sa danse, procurèrent une telle vogue à l'Opéra-Comique, que les grands théâtres, jaloux de cette prospérité, demandèrent et obtinrent la suppression de ce genre de spectacle. La même année, à dix-huit ans, elle épousa Favart, et, presque aussitôt, ses aventures défrayèrent la chronique de la cour et de la ville. Engagée, avec son mari, dans la troupe de théâtre que le maréchal Maurice de Saxe emmenait en Flandre, elle devint la maîtresse du maréchal, en fut au désespoir, et combina bientôt une évasion romanesque (1747). Le maréchal, pris de fureur, se vengea des Favart avec des procédés d'homme de loi et de policier. Le 05 août 1749, Madame Favart reparut à la Comédie-Italienne, où le public lui fit fête. Le 1er février 1762, la troupe de ce théâtre fusionna avec celle de l'Opéra-Comique. Elle avait peu de voix, mais chantait avec esprit ; elle déclamait avec finesse et enjouement ; elle dansait assez bien. Elle eut le mérite d'introduire au théâtre la vérité dans le costume, et de jouer les soubrettes et les paysannes avec leurs vêtements ordinaires. Elle avait sans doute collaboré à bon nombre des pièces de son mari. Elle avait su grouper autour d'elle tout un cercle d'amis : gens de lettres, compositeurs, grands seigneurs, qui se réunissaient dans sa propriété de Belleville, près de Paris. En juin 1771, elle tomba malade et mourut l'année suivante, à l'âge de quarante-quatre ans.

Chivot et Duru en ont fait l'héroïne de leur opéra-comique Madame Favart, musique d'Offenbach (1878).

 

=> Madame Favart par Arthur Pougin (1912)

 

 

 

Sa carrière à l'Opéra-Comique

 

Elle y débuta sous le nom de Mlle de Chantilly en 1745 à la Foire Saint-Laurent dans les Fêtes publiques (Laurence) de Favart, Laujon et Parvi.

 

Elle rentra dans la troupe le 01 février 1762 lors de la fusion de celle-ci avec la Comédie-Italienne.

 

Elle y chanta la Chercheuse d'esprit (Nicette) ; la Servante maîtresse (Zerline) ; Annette et Lubin (Annette) ; les Amours de Bastien et Bastienne (Bastienne) ; les Trois Sultanes (Roxelane) ; la Fée Urgèle (la Fée) ; l'Amitié à l'épreuve (lady Juliette) ; le Coq du village (Thérèse).

 

 

 

 

 

 

 

Madame Favart, préparation au pastel (à g.) et pastel (à dr.) de Quentin de La Tour [musée de Saint-Quentin]

 

 

 

De toutes les actrices qui ont embelli de leurs talents la scène de l'Opéra‑Comique, il n'en est aucune qui ait égalé madame Favart. On disait d'elle, que les Grâces et les Muses s'étaient donné rendez-vous à son berceau au moment de sa naissance, pour la combler de leurs faveurs.

Cette célèbre actrice naquit à Avignon en 1727. Son père, qui se nommait Cabaret du Ronceray, était employé comme musicien à la chapelle du roi Stanislas. Sa mère était aussi une musicienne de ce prince. La jeune Duronceray s'annonçait avec tant d'esprit, de dispositions et de goût pour les arts, que le roi de Pologne, en qui le talent fut toujours sûr de trouver un protecteur généreux, lui fit donner la plus brillante éducation. Maîtres de musique, de danse, de dessin, de langues, etc., rien ne lui fut épargné ; et dans tous les genres elle se montra avec une supériorité aussi rare que remarquable.

La province ne pouvait guères lui offrir une fortune convenable ; elle se rendit à Paris avec sa mère en 1744. L'Opéra-Comique n'était point alors aussi richement doté qu'aujourd'hui. Errant de place en place, poursuivi par l'envie, persécuté par les comédiens des théâtres supérieurs, il s'établissait où il pouvait, et se sauvait toujours par son esprit. A l'époque où mademoiselle Duronceray vint à Paris, il s'était réfugié à la foire Saint-Germain. Ce fut là qu'elle débuta. On jouait pour les fêtes du mariage de M. le Dauphin, père du roi actuel, une pièce de circonstance intitulée les Fêtes publiques. On lui confia le rôle de Laurence, qu'elle remplit avec un succès égal pour le chant, le dialogue et la danse. Elle avait alors dix-sept ans. Le poète Favart, dont les ouvrages spirituels embellissaient à cette époque l'Opéra-Comique, en devint épris et l'épousa dans la même année. Cette alliance ouvrit à la jeune actrice une nouvelle carrière. Elle débuta cinq ans après au Théâtre-Italien, par le rôle de Mariane dans l'Epreuve, et celui d'une Débutante, dans une autre petite pièce intitulée les Débuts. La représentation était terminée par un ballet, madame Favart y dansa et surpassa toutes ses émules.

Mais jouer la comédie, chanter, danser ne suffisaient ni à son imagination active, ni à l'ardeur qu'elle avait d'exercer toutes les facultés dont la nature l'avait douée. Quelques années après, excitée par les succès de son mari, elle entreprit de composer une pièce, et donna au théâtre le joli opéra de Bastien et Bastienne.

Jusqu'alors les actrices avaient songé plus à la richesse qu'à la vérité de leur costume. Elles jouaient les rôles de bergères en coiffures étudiées, en étoffes somptueuses, en colliers, en bracelets de diamants. Madame Favart introduisit une nouveauté. Elle parut en costume de paysanne ; joli corset et jupon de bure, cornette et cheveux sans poudre, petits sabots aux pieds, une simple croix d'or au col. Le parterre accoutumé à l'ancienne parure, fut d'abord surpris, et se permit quelques murmures : « Laissez-la faire, dit alors l'abbé de Voisenon, ces sabots-là donneront des souliers aux comédiens. »

Personne n'ignore que l'abbé de Voisenon était l'ami du poète Favart. La malignité feignait de croire qu'il l'était un peu plus de madame Favart. On se persuada même qu'il était, en grande partie, l'auteur des petites pièces dont elle s'attribuait l'honneur. Il faut néanmoins reconnaître que jamais elle ne donna le moindre prétexte à ces bruits.

Bientôt on revint des préjugés qu'on s'était fait sur le costume, et toutes les actrices s'empressèrent d'imiter madame Favart. Ce fut dans le costume de Bastienne que Carle-Vanloo voulut la peindre ; ce fut dans ce costume que son portrait fut gravé.

Jamais actrice n'avait porté sur la scène un talent plus varié ; soubrettes, amoureuses, paysannes, princesses, elle rendait tous ces rôles avec une égale vérité, une égale perfection. On était étonné de la voir jouer dans le même jour trois et quatre rôles différents, et toujours avec le même naturel, la même facilité, la même grâce. On a longtemps gardé le souvenir du talent inimitable qu'elle déployait dans le rôle de Roxelane des Trois Sultanes ; rôle charmant, mais l'un des plus difficiles de la scène, parce qu'il exige une coquetterie fine, spirituelle, élégante : car Roxelane n'est point une Bayadère, mais une aimable française douée de tous les charmes de son sexe, sans manquer jamais à la décence et à la dignité.

La société de madame Favart était recherchée de toutes les personnes sensibles aux avantages de l'esprit. Elle aurait pu former chez elle un cercle brillant, elle aima mieux les douceurs modestes de la vie privée. Elle se plaisait en famille et parmi ses amis, trouvait des plaisirs constants dans l'étude de son art, dans celle des lettres et de la musique.

La bonté de son cœur égalait l'étendue de ses talents. Obliger était pour elle le premier bonheur. Elle était souvent trompée elle faisait beaucoup d'ingrats, mais entraînée par l'ascendant de son caractère : « On a beau faire, disait-elle, on ne m'ôtera jamais la satisfaction que j'éprouve à rendre service. »

Elle était d'ailleurs d'une probité incorruptible, d'une douceur inaltérable, d'une sensibilité séduisante et d'une modestie qui lui faisait craindre les regards du public et l'éclat des sociétés nombreuses. Elle avait étudié avec un soin particulier la prononciation des différentes langues de l'Europe, et même des jargons provinciaux.

Ce talent lui servit dans une occasion fort connue. Elle revenait de Lorraine avec une robe de Perse, étoffe alors prohibée en France parce qu'on n'avait pas encore appris à l'imiter. On l'arrête aux barrières de Paris ; car les commis de la douane auraient volontiers déshabillé les femmes vêtues de ces sortes d'étoffes. La spirituelle actrice ne se déconcerte pas ; elle imite la prononciation de la langue allemande, s'exprime en très mauvais français, et persuade au commis qu'elle est une dame étrangère d'une condition élevée. On ouvre les barrières, elle passe et reçoit les excuses des commis.

Elle était depuis vingt-sept ans au théâtre, et n'avait encore que quarante-quatre ans lorsqu'elle fut attaquée d'une maladie aiguë qui lui causa les plus vives douleurs. Elle les supporta avec une résignation extrême, et souvent même avec cette douce sérénité et cette gaieté d'esprit qui n'appartient qu'aux plus belles âmes.

Mais le mal augmentant de plus en plus, elle se mit au lit le jour des Rois, envola chercher un notaire, lui dicta son testament, et se disposa tranquillement à la mort. Un ecclésiastique qu'elle fit appeler lui donna les secours de la religion. Elle continua de souffrir avec tranquillité, passa encore quelque temps dans cet état, et mourut le 20 avril 1772.

On a fait pour elle beaucoup de vers. Les meilleurs sont le quatrain suivant, composé par l'auteur de la Servante Maîtresse, et destinés à être mis au bas de son portrait.

 

Nature un jour épousa l'Art ;

De leur amour naquit Favart,

Qui semble tenir de son père

Tout ce qu'elle doit à sa mère.

 

(Galerie Théâtrale, vers 1821)

 

 

Madame Favart dans les Trois Sultanes (Roxelane)

 

 

 

 

 

Epouse de Charles-Simon Favart, était une actrice célèbre par les grâces de son esprit et par l'extrême variété de ses talents. Elle naquit à Avignon le 15 juin 1727, et fut élevée à Lunéville. Son père et sa mère étaient attachés à la musique du roi de Pologne Stanislas. On dit que ce prince, protecteur éclairé des arts, eut la bonté de contribuer lui-même à l'éducation de la jeune Duronceray, qui avait annoncé de bonne heure les plus heureuses dispositions. Cette jolie personne vint à Paris avec sa mère en 1744, et débuta l'année suivante à l'Opéra-Comique, dont Favart était directeur. (Elle se faisait appeler alors mademoiselle Chantilly, et elle prenait le titre de première danseuse du feu roi de Pologne) ; ses succès furent très brillants. On ne savait ce qu'il fallait le plus admirer en elle, de son talent pour la déclamation, ou de la beauté de son chant, ou des grâces piquantes de sa danse. Jaloux de la vogue prodigieuse qu'elle procurait à l'Opéra-Comique, les grands théâtres obtinrent la suppression de ce spectacle, et mademoiselle Chantilly se vit réduite à ne plus jouer que la pantomime ; mais telles étaient les ressources de son talent qu'au lieu de perdre tous ses avantages dans un genre extrêmement ingrat et borné, cette actrice y augmenta sa réputation. Ce fut environ à cette époque qu'elle devint l'épouse de Favart. Peu de temps après, celui-ci ayant pris la direction d'une troupe de comédiens dont le maréchal de Saxe se faisait accompagner à l'armée de Flandre, madame Favart ne tarda pas à rejoindre son mari, dont elle était tendrement aimée et qu'elle payait de retour. Ce voyage eut des suites fâcheuses pour les deux époux. On peut voir à l'article consacré à son mari avec quel courage la femme d'un directeur de comédie résista pendant près d'un an aux poursuites amoureuses et aux persécutions d'un illustre maréchal de France... Enfin madame Favart débuta aux Italiens le 5 août 1749 ; elle fut reçue au mois de janvier 1752, et, peu de mois après, elle obtint une part entière. C'était surtout dans le rôle de Roxelane (de Soliman II ou les Trois Sultanes), que le talent souple et brillant de cette actrice charmait ou plutôt enivrait le public. Ce fut madame Favart qui, la première, osa sacrifier l'éclat de la parure à l'exacte observation du costume. Avant elle les soubrettes et les paysannes paraissaient sur la scène avec de grands paniers, la tête chargée de diamants et gantées jusqu'au coude. Dans Bastienne elle parut avec un habit de laine rayée, une chevelure plate, une croix d'or, les bras nus et des sabots, en un mot exactement telle qu'une simple villageoise. Cette nouveauté, approuvée par les uns, fut vivement critiquée par les autres ; mais l'abbé de Voisenon ayant dit que « ces sabots-là vaudraient de bons souliers aux comédiens, » la publicité donnée à ce prétendu bon mot acheva l'utile révolution que l'actrice avait commencée. Un des talents particuliers à madame Favart était d'imiter avec perfection l'accent de tous les étrangers et leurs diverses manières d'estropier le français. On raconte que s'étant un jour présentée aux barrières de Paris avec plusieurs robes de Perse, dont l'entrée était alors interdite, elle contrefit si bien le baragouin d'une dame étrangère que les commis la prirent pour telle, et en cette considération la laissèrent entrer sans payer. Madame Favart mourut le 20 avril 1772 (âgée de 45 ans) des suites d'une maladie longue et douloureuse qu'elle avait supportée avec une force d'âme et une sérénité extraordinaires. On rapporte que quelques instants avant l'heure fatale elle avait composé elle-même son épitaphe, et qu'elle l'avait mise en musique. Cette femme si vivement regrettée n'était pas seulement une actrice de premier ordre, elle joignait à cette qualité celle d'une femme pleine d'esprit et de saine philosophie. Sa bienfaisance était inépuisable comme sa gaieté. On a mis sous son nom le cinquième volume des Œuvres de son mari, ce qui fait que beaucoup de personnes la regardent réellement comme l'auteur d'Annette et Lubin, de Bastien et Bastienne, de la Fête de l'Amour, etc. Il n'est pas vrai pourtant qu'elle ait composé à elle seule ces jolis ouvrages ; elle y a seulement travaillé avec Favart. L'abbé de Voisenon entrait aussi dans cette communauté ; en sorte que, des ouvrages faits entre eux trois, on ne savait pas trop dans le public ce qui devait demeurer à chacun. Il ne serait pourtant pas difficile d'en faire la répartition. Selon toutes les apparences, la conception, les caractères, le style et le fonds du dialogue devaient être du mari ; les saillies de gaieté, les traits naïfs et délicats viennent de la femme, et l'on ne peut guère reconnaître la part de l'abbé qu'à la recherche des jeux de mots et au clinquant du bel esprit. MM. Moreau et Dumolard ont donné un vaudeville intitulé Madame Favart, 1806, in-8°.

(Biographie universelle, 1855)

 

 

 

 

 

Madame Favart, buste par Jean-Baptiste Defernex, 1757 [musée du Louvre]

 

 

 

 

Elle était fille d'un musicien de la chapelle du roi Stanislas et fut élevée à Nancy. En 1744, elle vint a Paris avec sa mère et fit un premier début à l'Opéra-Comique sous le nom de Mlle de Chantilly. Sa figure expressive et charmante, les grâces de sa personne, son jeu plein de finesse et la fraîcheur de sa voix valurent à l'Opéra-Comique une telle vogue, que les grands théâtres, jaloux de sa fortune, obtinrent la suppression de ce spectacle.


En 1745, Marie du Ronceray épousa Favart, et se vit bientôt en butte aux pressantes sollicitations du fameux maréchal Maurice de Saxe, qui voulait en faire sa maîtresse et ne recula devant aucun expédient pour arriver à ses fins. Voici une des singulières lettres que lui écrivait, au commencement de sa folle passion, le vainqueur de Fontenoy : « Mademoiselle de Chantilly, je prends congé de vous ; vous êtes une enchanteresse plus dangereuse que feue Mme Armide. Tantôt en pierrot, tantôt travestie en amour, et puis en simple bergère, vous faites si bien que vous nous enchantez tous. Je me suis vu au moment de succomber aussi, moi dont l'art funeste effraye l'univers. Quel triomphe pour vous, si vous aviez pu me soumettre à vos lois ! Je vous rends grâce de n'avoir pas usé de tous vos avantages ; vous ne l'entendez pas mal pour une jeune sorcière, avec votre houlette, qui n'est autre que la baguette dont fut frappé ce pauvre prince des Français, que Renaud l'on nommait, je pense. Déjà je me suis vu entouré de fleurs et de fleurettes, équipage funeste pour les favoris de Mars. J'en frémis ! et qu'aurait dit le roi de France et de Navarre, si, au lieu du flambeau de sa vengeance, il m'avait trouvé une guirlande à la main ?

Malgré le danger auquel vous m'avez exposé, je ne puis vous savoir mauvais gré de mon erreur ; elle est charmante ; mais ce n'est qu'en fuyant qu'on peut éviter un péril si grand :
Adieu, divinité du parterre adorée,
Faites le bien d'un seul et les désirs de tous ;
Et puissent vos amours égaler la durée
De la tendre amitié que mon cœur a pour vous.

Pardonnez, mademoiselle, à un reste d'ivresse, cette prose rimée que vos talents m'inspirent ; la liqueur dont je suis abreuvé dure souvent, dit-on, plus qu'on ne pense.
Maurice de Saxe. »
Le maréchal, qui ne savait pas même l'orthographe et ne connaissait guère de la langue française que les plus gros jurons, dut faire écrire cette amoureuse épître par quelqu'un de ses familiers. La conduite du maréchal ne fut pas, en tout cas, digne de sa lettre. Résister au héros de la France, au vainqueur de Rocoux et de Lawfeld, était chose assez méritoire ; Mme Favart résista et se vit obligée de s'enfuir. Le tort de Maurice de Saxe fut d'employer contre deux époux qui s'aimaient tendrement des armes odieuses, et de chercher à vaincre, par tout ce que le pouvoir absolu disposait de moyens arbitraires, les répugnances invincibles de celle qu'il aimait. Nous n'entrerons pas dans tous les détails des persécutions que Favart et sa femme eurent à supporter ; on les trouve consignées dans leur correspondance. Forcés de vivre séparés, l'un, pour échapper aux lettres de cachet et aux poursuites de quelques créanciers dont on redoublait sous main l'activité ; l'autre, pour éviter quelque action violente de la part du maréchal, rien ne put altérer leur tendresse ni abattre leur courage. Favart, retiré à Strasbourg, écrivait à sa femme : « Je te souhaite une bonne fête, ma chère Justine. Sois heureuse autant que je me trouve malheureux d'être séparé de toi, et rien n'égalera ma félicité. Jouis de mon cœur, jouis de mon âme, je te les ai donnés ; il ne me resté que la vie, que je suis prêt à te sacrifier de même. Si je pouvais disposer de l'univers, l'univers serait à toi ! Reçois cette fleur fanée arrachée de sa tige ; c'est le symbole d'un cœur flétri par une absence rigoureuse. Adieu, vis contente ; que tous tes jours soient des jours de fête ; mais, au milieu des plaisirs, songe que, si tu es formée pour exciter l'amour, tu es née pour inspirer l'estime. » De son côté, Mme Favart se montra digne d'un pareil époux. « On me menace qu'on va me faire beaucoup de mal, lui répondait-elle, mais je m'en moque. J'irais de grand cœur demander l'aumône avec toi... S'il ne nous est pas possible de rester ici, nous nous en irons finir nos jours tranquillement dans l'étranger, unis par l'amour et par l'amitié. » Elle était rentrée à Paris, et jouait depuis quelques jours au Théâtre-Italien, lorsque le maréchal la fit enlever : il avait obtenu une lettre de cachet, à l'aide de laquelle il la fit enfermer dans un couvent, aux Andelys, puis à Angers. Quelque temps après. Mme Favart reparut sur la scène. Les mémoires du temps prétendent que ce fut le prix de sa complaisance envers son redoutable amant. « Mais rien ne le prouve d'une manière assez positive, dit un de ses biographes, tandis qu'il est raisonnablement permis d'en douter, puisque les persécutions ne cessèrent entièrement qu'après la mort du maréchal, arrivée le 30 novembre 1750. Au reste, que Maurice ait fini par vaincre une résistance à laquelle il n'était guère habitué, ou qu'il n'ait pu réussir dans cette galante entreprise, c'est ce qu'il nous importe peu de savoir ; un pareil triomphe est plus contraire à sa gloire que ne l'aurait été une défaite sur le champ de bataille. »


Délivrés de leur ennemi, les deux époux revinrent à Paris, et, en 1751, Mme Favart créait les principaux rôles dans les œuvres de son mari : Bastien et Bastienne, Ninette à la cour, Annette et Lubin, la Fée Urgèle, les Trois sultanes, où, dans le rôle de Roxelane, elle se faisait également admirer comme cantatrice, comme actrice et comme danseuse. Son talent se pliait à tous les genres, et on était étonné de lui voir jouer, le même jour, dans trois pièces différentes, des rôles entièrement opposés. Mme Favart inaugura à l'Opéra-Comique la révolution dans le costume que Mlle Clairon devait, après elle, porter sur la scène du Théâtre-Français. Dans Bastien et Bastienne, au lieu de paraître en bergère trumeau, elle osa mettre un habit de laine, des sabots, et paraître devant le public avec des cheveux plats et sans poudre. Dès ce jour, la vérité, dans l'accoutrement au moins, fit son entrée, au théâtre, et, plus tard, Talma devait, dans Charles IX, porter le dernier coup aux ridicules traditions du grand siècle. Mme Favart mourut à cinquante-cinq ans, à la suite d'une douloureuse maladie. Ce n'était pas seulement une actrice de premier ordre ; elle avait, comme femme, les plus charmantes qualités du cœur et de l'esprit, et sa bienfaisance était aussi inépuisable que sa gaieté. On lui doit de jolis contes : Il eut tort, Il eut raison, les A-propos, imprimés dans les œuvres de l'abbé de Voisenon, ami de Mme Favart et de son mari. On a mis sous le nom de la charmante actrice le cinquième volume des œuvres de ce dernier, dans lequel se trouvent Bastien et Bastienne, Annette et Lubin, la Fête de l'amour, etc. ; mais elle a seulement fourni à Favart, qui est le véritable auteur, des saillies de gaieté, des traits naïfs et délicats, des couplets, des airs de vaudeville, etc.

 

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1866-1876)

 

 

 

 

Madame Favart dans les Trois Sultanes (Roxelane)

 

 

 

Madame Favart dans les Trois Sultanes (Roxelane), dessin aquarellé de Boquet [Musée de l'Opéra]

 

 

 

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