Charles Simon FAVART

 

Charles Simon Favart par Jean Etienne Liotard en 1757

 

 

Charles Simon FAVART

 

auteur dramatique français

(Paris, 13 novembre 1710 – Belleville, Seine [auj. dans Paris], 18 mai 1792)

 

Epouse à Paris le 12 décembre 1745 Marie Justine FAVART (1727–1772), cantatrice ; parents de Charles Nicolas FAVART (1749–1806), auteur dramatique.

 

 

Il a joui, pendant un demi-siècle, d'une vogue immense, et s'est vu louer tour à tour par Voltaire et Fréron. Les directeurs de théâtre, les grands seigneurs, les fermiers généraux se disputaient ses pièces. Il a porté à l'apogée le vaudeville dramatique, et a créé la comédie musicale. Sa carrière nous est connue par le menu, grâce à ses mémoires et à sa correspondance. Fils d'un pâtissier, et pâtissier lui-même, il commença de travailler pour le théâtre de la Foire en 1732 ; mais c'est de 1740 à 1763 environ qu'il composa ses meilleures comédies, ses vaudevilles à ariettes, et qu'il créa vraiment l'opéra-comique. On peut citer de lui : la Chercheuse d'esprit (1741) ; le Coq de village (1743) ; les Amours de Bastien et Bastienne (1753), parodie du Devin de village de Jean-Jacques Rousseau ; Ninette à la cour (1755) ; les Trois sultanes (1761) ; Annette et Lubin (1762) ; l'Anglais à Bordeaux (1763) ; la Fée Urgèle (1765) ; les Moissonneurs (1768) ; etc. Entre temps, il avait épousé la gracieuse actrice Marie Justine Duronceray, dirigé le théâtre de Maurice de Saxe, à l'armée des Flandres, puis s'était exilé à Strasbourg, afin d'esquiver une lettre de cachet (1748). Protégé de Mme de Pompadour, il devint le fournisseur habituel du théâtre des Cabinets ; puis, avec quatre personnes, il prit la codirection du théâtre de l'Opéra-Comique (du 03 décembre 1757 au 31 janvier 1762), et enfin, en 1783, il donna son nom au théâtre construit pour les comédiens italiens, sur l'emplacement de l'hôtel de Choiseul (Salle Favart). De 1759 à 1770, il fut, particulièrement pour Gluck, un informateur littéraire et théâtral appointé de la cour d’Autriche par l’intermédiaire du comte Durazzo, intendant des théâtres à Vienne. Remarquable librettiste, parfois compositeur, habile homme de théâtre, d’abord fidèle aux vaudevilles, puis cédant au goût du public pour les pièces à ariettes vers 1760, il a influencé le développement de l’opéra-comique. C'était un amuseur très au fait des goûts de son temps. Sa femme fut souvent sa collaboratrice avisée. A ses débuts, il avait pris pour collaborateur le fameux Panard ; mais c'est à tort qu'on a voulu attribuer à l'abbé de Voisenon, son ami, une place importante dans la composition de ses œuvres. Ses Mémoires et sa correspondance ont été publiés, en 1809, par son petit-fils.

Il est décédé en 1792 à quatre-vingt-un ans.

 

 

 

livrets

 

le Bal bourgeois, opéra-comique en 1 acte, musique de vaudevilles (Foire Saint-Germain, 13 mars 1738)

la Servante justifiée, opéra-comique en 1 acte, avec B. Fagan, musique de vaudevilles (Foire Saint-Germain, 19 mars 1740 ; Opéra-Comique, 31 mai 1762), mis en musique par Moulinghen (Opéra-Comique, 10 janvier 1774)

les Jeunes mariés, opéra-comique en 1 acte, avec André Parmentier, musique de vaudevilles (Foire Saint-Laurent, 01 juillet 1740 ; Opéra-Comique, 25 mai 1778)

la Chercheuse d'esprit, opéra-comique en 1 acte, avec Voyer d’Argenson, musique de divers compositeurs (Foire Saint-Germain, 20 février 1741 ; Opéra-Comique, 12 septembre 1762)

Don Quichotte chez la duchesse, opéra-ballet, musique de Boismortier (Opéra de Paris, 12 février 1743)

le Coq de village, opéra-comique en 1 acte, musique de vaudevilles (Foire Saint-Germain, 31 mars 1743 ; Opéra-Comique, 18 août 1762)

les Bateliers de Saint-Cloud, opéra-comique en 1 acte, musique de vaudevilles (Foire Saint-Laurent, 10 septembre 1743 ; Opéra-Comique, 14 février 1768)

Raton et Rosette ou la Vengeance inutile, parodie en 1 acte, musique de vaudevilles (Théâtre-Italien, 24 mars 1753 ; Opéra-Comique, 13 décembre 1762)

les Nymphes de Diane, opéra-vaudeville en 1 acte, musique de vaudevilles (Bruxelles, 1747 ; Foire Saint-Laurent, 22 septembre 1755 ; Opéra-Comique, 11 août 1774)

la Fête d'amour ou Lucas et Colinette, pièce en 1 acte avec prologue, avec Marie Justine Favart, musique anonyme (Théâtre-Italien, 05 décembre 1754 ; Opéra-Comique, 25 juillet 1762)

le Caprice amoureux ou Ninette à la Cour, opéra-comique en 3 actes, musique de divers compositeurs (Théâtre-Italien, 12 février 1755 ; Opéra-Comique, 10 février 1762)

la Bohémienne, opéra-comique en 2 actes, musique de Charles-François Clément (Théâtre-Italien, 28 juillet 1755 ; Opéra-Comique, 22 avril 1762)

le Chinois, comédie en 1 acte, avec Jacques-André Naigeon, musique de divers compositeurs (Théâtre-Italien, 18 mars 1756 ; Opéra-Comique, 25 janvier 1764)

les Ensorcelés ou Jeannot et Jeannette, opéra-comique en 1 acte, avec Marie Favart, Guérin de Frémicourt et Harny de Guerville, musique de vaudevilles (Théâtre-Italien, 01 septembre 1757 ; Opéra-Comique, 21 février 1763)

la Fille mal gardée ou le Pédant amoureux, comédie en 1 acte, avec Jean-Baptiste Lourdet de Santerre, musique d’Egidio Duni (Théâtre-Italien, 04 mars 1758 ; Opéra-Comique, 05 février 1862)

la Soirée des boulevards, ambigu en 1 acte, musique de vaudevilles (Théâtre-Italien, 13 novembre 1758 ; Opéra-Comique, 01 juin 1762)

la Nouvelle troupe, comédie en 1 actes, avec Louis Anseaume et Claude-Henri Fusée de Voisenon, musique anonyme (Théâtre-Italien, 09 août 1760 ; Opéra-Comique, 03 février 1762)

Soliman II ou les Trois sultanes, comédie en 3 actes, airs à succès arrangés par Paul-César Gibert (Théâtre-Italien, 09 avril 1761 ; Opéra-Comique, le 10 mars 1762), mis en musique par Blasius (Opéra-Comique, 25 août 1792)

la Plaideuse ou le Procès, opéra-comique en 3 actes, musique d’Egidio Duni (Opéra-Comique, 19 mai 1762)

les Fêtes de la paix, à-propos en 1 acte, musique de Philidor (Opéra-Comique, 04 juillet 1763)

Isabelle et Gertrude ou les Sylphes supposés, comédie en 1 acte, musique d’Adolphe Blaise (Opéra-Comique, 14 août 1765) ; mis en musique par Grétry (Genève, 1767) et par Antonio Pacini (Opéra-Comique, 01 mars 1806)

la Fée Urgèle ou Ce qui plaît aux dames, comédie en 4 actes, musique d’Egidio Duni (Fontainebleau, 25 octobre 1765 ; Opéra-Comique, 04 décembre 1765)

l'Amour vengé, pantomime héroïque en 1 acte, musique anonyme (Opéra-Comique, 16 novembre 1865)

la Fête du château, divertissement en 1 acte, avec Jean-Baptiste Lourdet de Santerre, musique de vaudevilles (Opéra-Comique, 25 septembre 1766)

les Moissonneurs, comédie en 3 actes, musique d’Egidio Duni (Opéra-Comique, 27 janvier 1768)

la Rosière de Salency, comédie en 3 actes, musique de divers compositeurs (Fontainebleau, 25 octobre 1769 ; Opéra-Comique, 14 décembre 1769)

Acajou, opéra-comique en 2 actes, musique de vaudevilles (Opéra-Comique, 19 juillet 1773)

la Belle Arsène, comédie-féerie en 4 actes, musique de Pierre-Alexandre Monsigny (Fontainebleau, 06 novembre 1773 ; Opéra-Comique, 14 aout 1775)

les Rêveries renouvelées des Grecs, parodie en 3 actes, avec Claude-Henri Fusée de Voisenon et Jean-Nicolas Guérin de Frémicourt, musique de vaudevilles (Opéra-Comique, 26 juin 1779)

 

 

 

 

Charles Simon Favart, gravure de Cl.-A. Littrey de Montigny d'après Jean-Etienne Liotard

 

 

 

Il était fils d'un pâtissier en renom, qui se glorifiait d'avoir inventé les échaudés, et qui, dans ses moments de loisir, s'amusait à chansonner les mœurs du temps. Favart fit une partie de ses études au collège de Louis-le-Grand, et commença de bonne heure à faire des vers. Son coup d'essai, intitulé : Discours sur la difficulté de réussir en poésie, était loin d'annoncer un talent capable de surmonter cette difficulté ; mais il réussit un peu mieux dans son poème de la France délivrée par la Pucelle d'Orléans, ouvrage qui lui valut un prix à l’académie des jeux Floraux. Favart, toutefois, n'eut de grands succès qu'au théâtre, particulièrement à l'Opéra-Comique et aux Italiens, où il donna plus de soixante pièces, presque toutes remplies d'esprit, de délicatesse et de gaieté. On distingue parmi ces jolies productions, la Chercheuse d'Esprit, Acajou, la Fête du Château, Annette et Lubin (il composa cette pièce si connue et si spirituelle en société, avec madame Favart et M. Lourdet de Santerre), l'Astrologue de Village, Ninette à la Cour, Bastien et Bastienne, Isabelle et Gertrude, la Fée Urgèle, les Moissonneurs, l’Amitié à l’épreuve, la Belle Arsène, les Rêveries renouvelées des Grecs, etc. Sa comédie de Soliman II, ou les Trois Sultanes, qui fut longtemps jouée aux Italiens, et qui est maintenant au répertoire du Théâtre-Français, prouve qu'il était en état de s'élever au-dessus du genre de l'Opéra-Comique. Ce n'est pas que cet ouvrage ne se ressente un peu du goût qu'on avait alors pour le jargon des boudoirs, mais ce léger défaut, bien moins sensible dans les Trois Sultanes que dans les autres pièces représentées à la même époque, se trouve racheté par une grande intelligence de la scène, par des situations piquantes traitées avec art, et surtout par l'enjouement qui règne dans tout le dialogue, étincelant de traits ingénieux. On en peut dire autant de sa comédie de l'Anglais à Bordeaux (en un acte et en vers libres), composée ou plutôt improvisée à l'occasion de la paix de 1763. Favart, dont la fécondité était prodigieuse, voulut aussi s'élever au genre du grand opéra ; il refit, pour l'Académie royale de musique, une de ses anciennes pièces, intitulée Cythère assiégée ; mais malgré tout le talent de Gluck, à qui il s'était associé, cette allégorie, d'un genre un peu libre, n'eut pas le succès qu'il en attendait. Le théâtre de l’Opéra-Comique, dont Favart était le plus ferme soutien, ayant porté ombrage aux Italiens, fut supprimé en 1745, et l'auteur de la Chercheuse d'Esprit se trouva trop heureux d'obtenir la direction de la troupe ambulante qui suivait en Flandre le maréchal de Saxe. « J'étais obligé, dit-il dans une de ses lettres, de suivre l'armée, et d'établir mon spectacle au quartier général. Le comte de Saxe, qui connaissait le caractère de notre nation, savait qu'un couplet de chanson, une plaisanterie , faisaient plus d'effet sur l'âme ardente du Français que les plus belles harangues. Il m'avait institué chansonnier de l'armée ; et j'étais chargé d'en célébrer les événements les plus intéressants. » Il faudrait trop d'espace pour rappeler ici les impromptus de tous genres que Favart eut occasion de faite pendant cette campagne, tantôt pour annoncer aux officiers de l'armée qu'ils allaient attaquer l'ennemi, tantôt pour féliciter ces braves des lauriers dont ils venaient de se couvrir. « A Tongres, la veille de la bataille de Rocoux, dit l'auteur des Anecdotes Dramatiques, le maréchal de Saxe donna ordre à M. Favart, directeur de sa comédie, de faire un couplet de chanson pour annoncer cet événement comme une bagatelle dont le succès n'était pas même pas douteux. Ce couplet fut fait tout de suite, entre les deux pièces, et chanté par une actrice fort aimable, sur l'air : De tous les Capucins du Monde :

 

Demain nous donnerons relâche,

Quoique le directeur s’en fâche

Vous voir comblerait nos désirs ;

On doit céder tout à la gloire ;

Nous ne songeons qu’à vos plaisirs,

Vous, ne songez qu’à la victoire.

 

Ensuite on annonça, pour le surlendemain, le Prix de Cythère et les Amours grivois, qu'on présenta effectivement comme un prélude des réjouissances publiques, ce qui fit dire au camp que le maréchal avait préparé le triomphe avant la victoire. » Ce fut à cette époque que l'illustre vainqueur de Fontenoy et de Rocoux, épris d'amour pour madame Favart, essaya tous les moyens de vaincre les scrupules de cette charmante actrice, et alla même, dit la chronique, jusqu'à quelques abus d'autorité. Madame Favart fit d'abord, à ce qu'il paraît, une résistance héroïque. En vertu d'une lettre de cachet, on la sépara de son mari, qui prit la fuite, et on la renferma dans un couvent de province, où elle resta plus d'une année :

 

Mais l'âme la plus ferme a ses jours de faiblesse.

 

Cette intéressante captive obtint la liberté de se rendre à Paris ; les persécutions dirigées contre l’honnête Favart cessèrent aussitôt ; et, loin de s'en féliciter, il n'en conçut, avec raison, que plus d'inquiétudes. De retour dans la capitale, où il se fixa il se voua entièrement à la culture de l’art dramatique. L'abbé de Voisenon, avec lequel il se lia, et qui devint chez lui l’ami de la Maison, s'associa à quelques-uns de ses travaux. On ne peut nier que cet abbé n'ait réellement eu part à l’Amitié à l'épreuve et au Jardinier supposé ; il fit de légers changements, il ajouta quelques vers de sa façon à la jolie pièce des Moissonneurs, ainsi qu'à la Fée Urgèle ; mais ce fut à tort qu'on voulut dans le monde lui faire honneur des meilleurs ouvrages de son ami. « Favart, dit la Harpe, avait beaucoup plus d'esprit que l'abbé de Voisenon ; mais il se laissait bonnement protéger par celui qui, dans le fond, lui devait sa petite réputation. » Ce ne fut qu'à la longue que l'on s'aperçut, en comparant les ouvrages imprimés de l’un et de l'autre, que ceux de Favart étaient tous de la même main et du même goût, c'est-à-dire faciles, délicats, naturels, tandis que les productions de Voisenon n'étaient guère remplies que de jeux de mots, de jargon et de faux esprit. En 1769, la Comédie italienne offrit à Favart une pension annuelle de 800 fr., en lui imposant l'obligation de donner au moins deux pièces par an, et de renoncer à travailler pour les autres spectacles. Blessé d'une proposition qui ressemblait plus à l'offre d'un marché qu'à un témoignage de reconnaissance, il le refusa noblement en disant : « L'honneur m'est plus cher que l'argent ; je ne sais pas vendre ma liberté. » Les comédiens, un peu confus, lui accordèrent alors, sans condition, cette faible rente, dont il jouit tout le reste de sa vie. Il mourut le 12 mai 1792, des suites d'un catharre pulmonaire. De tous les auteurs qui ont travaillé pour l'Opéra-Comique, Favart est, sans contredit, celui qui a peint avec le plus de vérité et de sentiment les amours de village, et qui a le plus constamment uni la fraîcheur des idées, l'élégance, la flexibilité du style à la connaissance de la scène. Il n'était pas moins estimable par ses qualités sociales que par son talent ; et l'extrême bonté avec laquelle il se laissait injustement dépouiller d'une partie de sa gloire littéraire fait assez l'éloge de sa modestie. On a publié en 1809 le Théâtre choisi de Favart, Paris, 3 vol. in-8°, et l'on a eu soin d'y donner la liste chronologique de tous ses ouvrages dramatiques ; il a été réimprimé en 1813, sous le titre d'Œuvres choisies (précédées d'une notice sur la vie et les ouvrages de l'auteur, par Auger, Paris, 3 vol. in-18, et Paris, 1830, 3 vol. in-8°). Ses pièces de théâtre ont été réunies en 1763 en 8 volumes in-8° avec un frontispice imprimé pour chaque volume, et en 1772, par le même moyen, on forma les tomes 9 et 10 de cette collection. En 1808, Antoine Pierre Charles Favart, son petit-fils, et H.-F. Dumolard, publièrent un ouvrage en 3 volumes in-8° intitulé Mémoires et Correspondance littéraire, dramatique et anecdotique de Charles-Simon Favart. On y trouve des détails qui ont de l'intérêt ; mais les éditeurs n'ont peut-être pas été assez difficiles dans le choix des poésies posthumes qu'ils y ont fait entrer. MM. Barré, Radet et Desfontaines ont fait représenter le 26 juin 1793 une petite comédie intitulée Favart aux Champs-Elysées et son apothéose.

 

(Biographie universelle, 1855)

 

 

 

 

 

Charles Simon et Marie Justine Favart, huiles sur cuivre de Du Ronceray, 1760

 

 

 

Son père, qui était pâtissier, s'acquit quelque réputation par l'invention des échaudés, et comme il ne manquait pas d'un certain esprit facile, il composa lui-même sur sa précieuse découverte une chanson assez agréable. Elle renfermait une critique fine des Français, qui, comme cette pâte, prennent toutes sortes de formes, et dont l'esprit léger l'emporte sur celui des autres nations, comme l'échaudé l'emporte en légèreté sur tous les autres gâteaux. « Mon père, ajoute Favart, qui rapporte cette anecdote, ajustait, sur des airs de vaudevilles, les principes de morale et les autres préceptes qu'il voulait m'inculquer ; je les retenais aisément en chantant avec lui ; de son côté, ma mère, d'un caractère plus sérieux, et qui avait l'esprit plus orné, développait insensiblement mes idées et formait mon cœur en me racontant différents traits de l'histoire ou de la Fable, mis à ma portée. A sept ans, je fus placé en pension chez un maître es arts ; j'en sortis trois ans après pour entrer en cinquième au collège Louis-le-Grand. J'eus le bonheur de m'y distinguer ; mais, comme je n'avais pas de répétiteur, mon travail devenait plus pénible. Une application trop forcée dérangea ma santé ; je tombai malade pendant les vacances. Mon père, alarmé, me fit quitter mes études pour embrasser sa profession. Le temps que mon obéissance lui sacrifia ne fut pas entièrement perdu pour moi ; j'eus occasion de connaître le célèbre abbé Nolet ; il me prit en amitié et se fit un plaisir de m'instruire lui-même... Ma mère favorisa mon goût pour la littérature ; elle me fournissait en secret les livres dont j'avais besoin ; je m'en procurais d'autres avec l'argent de mes menus plaisirs, et je me formai une bibliothèque composée des meilleurs auteurs. Mon père aimait le spectacle, il me menait souvent à la comédie, mais de préférence à l'Opéra-Comique, dont
le genre était plus analogue à sa gaieté. Je composai, pour lui faire ma cour, une pièce en vaudevilles dont il fut si enchanté, qu'il ne me gêna plus dans mes occupations littéraires et qu'il me permit de reprendre mes études, à condition, néanmoins, que je ne renoncerais pas à sa profession et que je serais à ses ordres toutes les fois qu'il aurait besoin de moi. Je retournai donc au collège Louis-le-Grand où je fis ma troisième. Je mettais en vers français la matière que l'on donnait pour les vers latins, jugeant, d'après Boileau, que s'il était difficile de faire de bons vers en notre langue, on ne pouvait pas mieux se flatter de réussir dans la poésie latine. Mon régent m'approuva. Après un intervalle de six mois que j'employai à suivre les leçons de M. Rollin au Collège royal, j'entrai en rhétorique sous les PP. Poree et La Santé ; ils eurent des bontés particulières pour moi ; mais je n'en pus profiter longtemps. La mort
de mon père mit fin à mes études classiques. Je devenais absolument nécessaire à ma mère ; je lui donnai tous les soins et tous les secours qu'elle attendait de mon devoir et de ma tendresse pour elle. »


Favart, avant d'aborder le théâtre, concourut pour les jeux Floraux. Un petit poème intitulé : la France délivrée par la Pucelle d'Orléans, lui valut, malgré sa faiblesse, les honneurs de la violette. Il publia ensuite un Discours sur la difficulté de réussir en poésie, épître dans laquelle, remarquait un critique, « il sut trop bien réunir l'exemple au précepte. » On ne pouvait guère alors soupçonner que l'auteur de ces deux opuscules deviendrait, un jour un homme de talent. Sa mère ayant été ruinée et son mince patrimoine englouti dans les désastres financiers qui suivirent la banqueroute de Law, Favart se mit à travailler résolument pour le théâtre et brocha, en quelques années une douzaine d'opéras-comiques. Le premier, les Deux jumelles (22 mars 1734), obtint un succès complet. L'anecdote suivante, qui s'y rattache, est assez curieuse. Le soir de la première représentation, Favart, en rentrant chez lui, apprend qu'il lui a été fait une forte commande de pâtisseries ; il revêt le tablier blanc et met la main à la pâte. A peine était-il à l'œuvre qu'un équipage s'arrête à sa porte ; un gros fermier général en descend et demande à voir l'auteur des Deux jumelles, dont l'esprit a charmé toute la soirée. Favart, honteux d'être surpris en ce costume, joue alors le rôle d'un simple mitron, dit au visiteur qu'il va prévenir son maître et passe dans un cabinet voisin faire une rapide toilette. Le malheureux avait compté sans la fatale disposition d'une porte vitrée, à travers laquelle le financier aperçut tout le manège. II fut le premier à en rire de bon cœur, demanda à Favart des couplets pour la fête de sa femme, l'invita à souper et devint son protecteur et son ami.


La vogue vint décidément à l'auteur avec la Chercheuse d'esprit et le Coq de village (1744). A propos du premier de ces deux opéras, Crébillon fit le quatrain suivant :


Il est un auteur en crédit
Qui de tous les temps saura plaire ;
Il fit la Chercheuse d'esprit,
Et n'en chercha pas pour la faire.


L'année suivante, Favart épousait une jolie et gracieuse actrice de l'Opéra-Comique, Mlle du Ronceray, qui lui avait inspiré une vive tendresse et qui s'est rendue célèbre sous le nom de son mari. Le poète aurait pu chercher à la séduire ; mais il eut le bon goût de se respecter lui-même dans la personne de celle qu'il aimait. On a conservé la lettre suivante qu'il adressait à la jeune fille quelque temps avant leur union : « Ayez soin de votre santé, ma chère Justine, songez qu'elle intéresse tout le public ; songez que la mienne y est attachée. Vous vous ménagerez davantage si vous avez quelques égards pour moi, qui vous aime plus que ma vie. Ne vous eu offensez pas, mes sentiments font votre éloge. Les talents me séduisent, mais la vertu m'attache. Si vous pensiez autrement que vous ne faites, vous ne seriez digne ni de mon estime ni de mon amour. Continuez de justifier celui que j'ai pour vous, en conservant toujours cette sagesse qui vous est si naturelle et qui est si rare dans les personnes de votre talent. La vertu n'éclate que quand elle est exposée ; et les périls qui vous environnent donnent un nouveau lustre à la vôtre. Je vous parle contre les intérêts de mon cœur ; mais je vous prouve en même temps que je suis le plus sincère et le meilleur de vos amis. »


Leur mariage fut célébré le 12 décembre 1745. Malheureusement, cette union, dont ils se promettaient l'un et l'autre tant de bonheur, fut traversée, dès ses commencements, par les mésaventures les plus imprévues et les plus pénibles. L'Opéra-Comique ayant été fermé, Favart accepta de diriger la troupe de comédiens que le maréchal de Saxe entretenait à son camp, dans les Flandres. Tout alla fort bien d'abord, et le directeur improvisé ne recueillit que des succès. A Tongres, la veille de la bataille de Rocoux (1746), le maréchal lui donna ordre de faire quelques vers sur ce sujet. Ensuite, comme si le gain de la bataille eût été certain, on annonça pour le surlendemain le Prix de Cythère et les Amours grivois, qu'on représenta effectivement. Malheureusement, sur les instances de son bienfaiteur, Favart commit l'imprudence d'appeler auprès de lui sa femme, qui inspira au maréchal la passion la plus effrénée. Mme Favart dut s'enfuir à Bruxelles pour échapper à ses violences. Quand Maurice de Saxe apprit cette fuite, il entra dans une épouvantable colère et obtint une lettre de cachet contre l'infortuné mari, qui, pour éviter l'emprisonnement, fut contraint de se réfugier, près de Strasbourg, chez un curé de campagne, dans une cave, où, à la lueur d'une bougie, il peignait des éventails pour vivre. La mort seule du terrible maréchal mit fin à ses angoisses.


Dès que les deux époux eurent recouvré la tranquillité, la jolie comédienne rentra aux Italiens, et Favart continua d'écrire des opéras-comiques très applaudis. Il donna successivement les Trois sultanes, Annette et Lubin, la Fée Urgèle, Ninette à la cour, l'Anglais à Bordeaux (1754-1763). Dans la Rosière de Salency, on remarqua surtout cette ariette, d'une poésie assez gracieuse :
 

Cet étang,
Qui s'étend
Dans la plaine,
Répète au sein de ses eaux
Ces verdoyants ormeaux
Où le pampre s'enchaîne :
Un jour pur,
Un azur
Sans nuages,
Vivement s'y réfléchit ;
Le tableau s'enrichit
D'images.
Mais tandis que l'on admire
Cette onde où le ciel se mire,
Un zéphyr
Vient ternir
La surface
De la glace ;
D'un souffle il confond les traits ;
L'éclat de tant d'objets
S'efface.
Un soupir,
Un désir,
O ma fille !
Peut ainsi troubler un cœur
Où se peint la candeur,
Où la sagesse brille !
Le repos,
Sur les flots,
Peut renaître ;
Mais il se perd sans retour
Dans un cœur dont l'amour
Est maître.

 

Après avoir si longtemps lutté contre le maréchal de Saxe, qui avait voulu lui enlever sa femme, Favart eut encore à se défendre contre la calomnie, qui attribuait ses meilleurs ouvrages à l'abbé de Voisenon ; il réclama énergiquement, et Voisenon lui-même démentit formellement ces rumeurs. Il écrivit à Voltaire : « Favart n'aurait pas manqué de vous offrir sa pièce de Gertrude ; mais il a la timidité d'un homme qui a vraiment du talent ; il a craint que l'hommage ne fût pas digne de vous. Vous ne croiriez pas, malgré les preuves multipliées qu'il a données des grâces de son esprit, qu'on a l'injustice de lui ôter ses ouvrages et de me les attribuer. Je suis bien sûr que vous ne tombez pas dans cette erreur. » Cette déclaration est claire et positive.


Favart goûtait un honorable repos dans une petite maison retirée, cultivant lui-même son jardin, lorsque la Révolution vint lui enlever la plus grande partie de sa modique fortune. Il se résigna et supporta courageusement le coup qui le frappait. Ses enfants firent graver l'épitaphe suivante sur sou tombeau :
 

Sous les lilas et sous la rose,
Le successeur d'Anacréon,
Favart, digne fils d'Apollon,
En ce tombeau paisiblement repose.


Aux pièces dont nous donnons plus haut les titres, il faut ajouter les suivantes : Don Quichotte chez la duchesse, ballet comique en trois actes, musique de Boismortier (Académie royale de musique, 1743) ; Acajou, opéra-comique en trois actes, avec un prologue (1744), sujet très risqué que l'auteur traita avec habileté. Le succès fut très grand ; Thésée (1745), parodie de l'opéra de ce nom. « Ce fut à l'une des représentations de cette parodie, raconte un contemporain, qu'une actrice entra en scène ayant au bas de sa robe la perruque d'un financier septuagénaire, qui lui débitait des fleurettes dans la coulisse et qui était encore à ses genoux lorsqu'elle entendit sa réplique. » Un autre incident où les perruques jouent aussi un grand rôle avait signalé la répétition générale des Fêtes publiques, opéra-comique de Favart. Une demoiselle S., connue sous le nom de ma mie Babichon, se glissa derrière le banc des symphonistes, qui étaient rangés sur une seule ligne dans l'orchestre. Tous les musiciens avaient des perruques. L'actrice y entortilla des hameçons, qu'elle avait préparés, avec des crins imperceptibles ; ces crins se réunissaient à un fil de rappel qui répondait aux loges du cintre. Babichon y monte et attend qu'on donne le signal pour l'ouverture. Au premier coup d'archet, la toile se lève et les perruques s'envolent toutes en même temps. On ne tarda pas à découvrir la coupable ; elle fit un aveu sincère de sa faute, en disant à M. Berger, directeur de l'Opéra, qui présidait à cette répétition : « Hélas ! monsieur, je vous supplie de me pardonner ; c'est un effet de l'antipathie que j'ai pour les perruques, et même, au moment où je vous parle, malgré le respect que je vous dois, j'ai peine à m'empêcher de me jeter sur la vôtre. » Mandée le lendemain à la police, elle raconta son espièglerie avec tant de naïveté, que le magistrat ne crut pas devoir venger l'honneur des têtes à perruque. Citons encore de Favart l'Amitié à l'épreuve, la Soirée des boulevards, pièce épisodique dont l'un des personnages, M. Gobemouche, est devenu proverbial ; Isabelle et Gertrude, la Petite Iphigénie, la Belle Arsène (1775) ; les Rêveries renouvelées des Grecs (1779). Cette dernière pièce a été reprise à l'Odéon en 1812.


Les œuvres de Favart ont été publiées plusieurs fois : Théâtre de Favart (1763-1772, 10 vol. in-8°) ; Théâtre choisi (1810, 3 vol. in-8°) ; Œuvres choisies de M. et Mme Favart (Paris, 1860, in-18) ; Mémoires et correspondance de Favart (1809, in-8°).

 

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1866-1876)

 

 

 

 

 

la Chercheuse d'esprit, livret de Favart (1741)

 

la Bohémienne, livret de Favart (1755)

 

 

 

 

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