Jean-Baptiste CHOLLET
Jean-Baptiste Chollet, estampe de Pierre-Roch Vigneron (1835)
Jean-Baptiste Marie CHOLLET dit Jean-Baptiste CHOLLET
baryton puis ténor français
(rue Neuve de l'Égalité, Paris ancien 5e, 20 mai 1798 [01 prairial an VI]* – Nemours, Seine-et-Marne, 09 janvier 1892*)
Fils de Jean-Baptiste François CHOLLET, choriste de l’Opéra à partir de 1787, et de Marie Catherine BAZIN, mariés à Paris.
Epouse au Havre, Seine-Inférieure [auj. Seine-Maritime], le 03 mars 1824* Françoise Florentine DEDOME (Paris ancien 5e, 28 juin 1798 [10 messidor an VI]* – av. 1892), fille d'Henry Hubert DEDOME, employé, et de Louise Anne LIARD.
Parents de Marie Florentine CHOLLET dite Mlle MONROSE (Paris ancien 4e, 11 novembre 1816* – Bruxelles, 03 avril 1893), actrice [épouse 1. à Paris ancien 2e le 17 mai 1838* (divorce le 11 avril 1885 transcrit à Paris 2e le 09 mai 1885*) Louis Joseph Adolphe DUHAUTOIRE, employé à la Préfecture ; épouse 2. à Bruxelles en 1885 Jean François Eugène BARIZAIN dit Eugène MONROSE (Paris ancien 4e, 07 avril 1817* – Bruxelles, 1899), acteur, frère de Louis BARIZAIN dit MONROSE fils [époux de Marie DROUART, soprano], demi-frère de Charles BARIZAIN [père d’Eugénie MONROSE, soprano], fils de Claude Louis Séraphin BARIZAIN dit MONROSE (Besançon, Doubs, 06 décembre 1783 – Montmartre, Seine [auj. Paris 18e], 20 avril 1843*), comédien, et de Jeanne COGNIEL (Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme, 31 décembre 1788 – Paris ancien 3e, 24 juillet 1832*).
De sa liaison avec la cantatrice Zoé PRÉVOST (1802–1861), est née Caroline Zoé Eugénie PRÉVOST (Paris ancien 2e, 18 mai 1829* – 29 rue Marbeau, Paris 16e, 27 novembre 1906*), soprano [épouse Félix MONTAUBRY, ténor].
Elève du Conservatoire de Paris, il y obtint en 1814 un 2e encouragement en solfège. Il fut choriste successivement à l'Opéra (1815), au Théâtre-Italien, puis à l'Opéra-Comique, où il débuta le 23 mars 1825 : « Ce jeune homme, qui était précédemment au théâtre du Havre, et que celui de Bruxelles a engagé pour un an, reviendra en avril prochain à l'Opéra-Comique : c'est une excellente acquisition. » (Almanach des spectacles). En 1828, il était sociétaire de l'Opéra-Comique. Après avoir tenu l'emploi des barytons, il prit celui des ténors et chanta avec beaucoup de succès à Paris, à Bruxelles (où il créa en mars 1834 Faust de Pellaert), à La Haye. En 1841, Chollet alla prendre, pendant quelques années, la direction du théâtre de La Haye, puis en 1846, celle du Grand-Théâtre de Bordeaux. Il chanta, en 1852, au Théâtre-Lyrique de Paris.
En 1826, il habitait 24 rue de la Monnaie à Paris 1er ; en 1828, 8 rue de l'Echelle-Saint-Honoré à Paris ; en 1861, 5 rue Saint-Hippolyte à Paris 16e. Il est décédé en 1892 à quatre-vingt-treize ans, en son domicile, 35 rue de l’Hospice à Nemours.
Sa carrière à l'Opéra-Comique
Il y débuta, salle Feydeau, le 23 mars 1825 dans le Petit Chaperon rouge (Rodolphe).
Il y créa : - salle Feydeau : le 12 août 1826 Marie (Henri) de Ferdinand Hérold ; le 10 mars 1827 le Loup-garou (le comte Albéric) de Louise Bertin ; le 31 mars 1827 Ethelwina (Waldemar II) d'Alexandre Batton ; le 09 juillet 1827 les Petits appartements (Grand-duc de Toscane) d'Henri Montan Berton ; le 10 janvier 1829 la Fiancée (Fritz) d'Esprit Auber ; - salle Ventadour : le 20 mai 1829 les Deux nuits (Victor) de François-Adrien Boieldieu ; le 26 septembre 1829 Jenny de Michele Enrico Carafa ; le 28 janvier 1830 Fra Diavolo (Fra Diavolo) d'Esprit Auber ; le 26 octobre 1830 l'Enlèvement de Pierre Zimmerman ; le 03 mai 1831 Zampa (Zampa) de Ferdinand Hérold ; le 11 août 1831 le Livre de l'Ermite de Michele Enrico Carafa ; - salle de la Bourse : le 16 juin 1835 le Portefaix (Gasparillo) de José-Melchior Gomis ; le 13 octobre 1835 Cosimo d'Eugène Prévost ; le 16 décembre 1835 l'Eclair (Lionel) de Fromental Halévy ; le 09 avril 1836 les Chaperons blancs (Louis de Mâle) d'Esprit Auber ; le 06 août 1836 le Chevalier de Canolle (le Chevalier) d’Hippolyte de Fontmichel ; le 13 octobre 1836 le Postillon de Lonjumeau (Chapelou) d'Adolphe Adam ; le 08 septembre 1837 Guise ou les Etats de Blois (le duc de Guise) de Georges Onslow ; le 31 octobre 1837 Piquillo (Piquillo) d'Hippolyte Monpou ; le 11 janvier 1838 le Fidèle berger (Isidore Coquerel) d'Adolphe Adam ; le 30 mars 1838 le Perruquier de la Régence (Fléchinel) d'Ambroise Thomas ; le 31 octobre 1838 le Brasseur de Preston (Daniel ; Georges Robinson) d'Adolphe Adam ; le 15 avril 1839 les Treize (Hector) de Fromental Halévy ; le 06 mai 1839 le Panier fleuri (Beausoleil) d’Ambroise Thomas ; le 16 novembre 1839 les Travestissements d'Albert Grisar ; le 28 avril 1840 la Perruche de Louis Clapisson ; - 2e salle Favart : le 16 juillet 1840 l'Opéra à la cour (M. de Bamberg) de Grisar et Boieldieu ; le 13 octobre 1842 le Roi d'Yvetot (Josselyn) d'Adolphe Adam ; le 20 avril 1843 le Puits d'amour (Edouard III) de Michael William Balfe ; le 10 février 1844 Cagliostro (Cagliostro) d'Adolphe Adam ; le 15 juillet 1844 les Quatre fils Aymon de Michael William Balfe ; le 09 août 1845 le Ménétrier (Gédéon Zultner) de Théodore Labarre ; le 08 février 1847 le Sultan Saladin (Victor de Sénac) de Luigi Bordèse.
Il y chanta la Fête du village voisin (Henri, 26 mars 1825 et 12 mai 1826) ; le Nouveau seigneur du village (Frontin, 12 mai 1826) ; Joconde (Joconde, 15 mai 1826) ; le Chalet (Daniel) ; Une folie (1843). |
Sa carrière au Théâtre-Lyrique
Il y débuta le 03 novembre 1852 en participant à la première du Postillon de Lonjumeau (Chapelou) d'Adolphe Adam
Il participa également à la première le 05 janvier 1853 du Roi d'Yvetot (Josselyn) d'Adolphe Adam.
Il y créa le 11 avril 1853 le Roi des Halles (duc de Beaufort) d’Adolphe Adam. |
Jean-Baptiste Chollet dans Zampa (Zampa) lors de la création, dessin de Wattier, 1831
Que devient-il ce charmant acteur que nous aimions tant au théâtre Ventadour ? — Est-il malade, est-il mort, est-il muet ? Non il vit toujours, il se porte à merveille, et chante aussi harmonieusement qu'autrefois ; seulement, il a renoncé à la France, il a emporté nos regrets, il a dédaigné nos applaudissements et leur a préféré ceux des habitants de Bruxelles. La Belgique a recueilli notre chanteur bien aimé, que la Belgique lui soit un pays de bonheur ; et pourtant, qu'elle le garde le moins longtemps possible, qu'elle nous le rende un jour, aussi mélodieux que lorsqu'elle nous l'a emprunté. Chollet est né à Paris, il y a trente-sept ans environ ; son père, maître de chapelle à Saint-Eustache commença son éducation, et le fit entrer à cette église en qualité d'enfant de chœur. Le jeune Chollet avait quatorze ans à peine qu'il se faisait remarquer par un très beau talent sur le serpent ; c'était, sans contredit, un des premiers joueurs de serpent de la capitale. — On s'étonne à juste titre aujourd'hui, qu'après avoir joué longtemps d'un instrument aussi fatigant pour la poitrine, il ait pu conserver une douceur de voix si extraordinaire. Chollet entra en 1812 dans les chœurs italiens à l'Odéon ; il chanta l'Enfant des Augures dans Axout, opéra de Paër, et malgré sa voix suave et mélodieuse, il resta humblement dans les chœurs et ne les quitta que pour ceux de l'Opéra-Comique : en vain, on le sollicita de s'essayer dans quelques petits rôles, il s'y refusa obstinément ; et poursuivant sa vocation pour les chœurs, il entra dans ceux de l'Opéra, et y languit avec courage jusqu'à ce qu'un hasard heureux soit venu l’en tirer malgré lui. Un jour que l'on jouait Œdipe à Colone, le Coryphée tomba subitement malade ; pour le remplacer, on eut recours à Chollet qui s'acquitta fort bien de son intérim ; le soir même, son père, qui l’avait souvent engagé à débuter, lui signifia qu'à partir du lendemain il eût à quitter les chœurs de l'Opéra pour prendre un rang plus honorable et plus digne de lui. Quelque temps après, Chollet partit avec son père pour la Suisse et joua son premier rôle à Genève ; il séduisit tous les spectateurs par le charme de sa voix, et de nombreux applaudissements l'encouragèrent à poursuivre sa carrière, depuis si glorieuse. Il revint ensuite en France, la traversa dans son entier, donna des représentations au Havre, vint débuter à Paris à Feydeau et peu après fut engagé au théâtre de Bruxelles. C'est là qu'il connut la jeune et jolie demoiselle Wenzel qui faisait partie de la même troupe ; ils revinrent ensemble à Paris et débutèrent, l'une à l'Odéon, et l'autre à l'Opéra‑Comique. Là, sur une scène différente ils brillèrent d'un pareil éclat, et les deux astres amis, quoique séparés, continuèrent quelque temps encore à confondre leurs rayons. L'amour d'une femme charmante et l'amour du public, tout souriait à l'ancien comparse ; tout allait pour le mieux. — Mais voilà que l'infidélité vint déranger cette douce quiétude ; en un jour, Chollet oublia les bontés de sa compagne... en une nuit il l'abandonna. — L'amour fut vengé par l'hymen. — Chollet ne s'en fâcha pas autrement ; mari infortuné, il se rappela cette si heureuse vie d'amant heureux ; il se consola facilement par l'inconstance de l'inconstance conjugale ; on dit même qu'il en revint à ses premières amours ; mais l'illusion était détruite ; mademoiselle Wenzel avait été consolée par d'aimables consolateurs ; elle ne voulut pas faire un retour sur elle-même, et rendit rigueur pour rigueur. De désespoir, Chollet chanta, et tout le monde sait comment ; sa voix est délicieuse, sa méthode excellente ; comme acteur, il n'est pas toujours à l'abri du reproche ; mais son chant est la meilleure excuse pour son jeu. Le plus grand éloge qu'on puisse lui faire, c'est de rappeler ses succès dans la Fiancée, Fra Diavolo, les Deux Nuits, Zampa, etc.... Chollet savait nous consoler de la retraite de Martin, il était le plus précieux chanteur de l'Opéra-Comique ; son départ est une très grande perte pour l’art, pour le théâtre, et surtout pour les spectateurs. Nous ne pouvons renoncer à l'espérance de le voir un jour revenir à nous ; il nous doit de la reconnaissance pour nos applaudissements et notre amour ; puisse-t-il bientôt venir acquitter sa dette ! Ce qui nous autorise surtout à croire à son retour, c'est le bruit qui court dans les coulisses du début futur de sa fille à la salle de la Bourse ; — élève de Chollet elle ne peut manquer d'être bien accueillie ; elle le sera mieux encore et à plus forte raison, si elle s'offre au public protégée par la présence et par le talent de son père. (Galerie Théâtrale, 1831)
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Il commença, en 1806, au Conservatoire, des études de solfège et de violon, qui furent interrompues pendant quelques années, puis reprises avec beaucoup d'ardeur. Il obtint un prix de solfège en 1814, mais l'année suivante, le Conservatoire ayant été fermé par les évènements politiques, il entra parmi les choristes de l'Opéra. Sa voix était alors celle d'un baryton. Il chanta aux Italiens, puis au théâtre Feydeau, de 1816 à 1818, et s'engagea ensuite dans une troupe de comédiens de province pour jouer les rôles de Martin. Il fut applaudi dans plusieurs villes, au Havre entre autres, sous le nom de Dôme-Chollet.
A la suite de brillants succès à Bruxelles, il obtint, en 1826, un engagement avantageux à l'Opéra-Comique, et fut admis comme sociétaire en 1827. Il chanta dès lors les rôles de ténor ; Hérold écrivit pour lui Marie, et plus tard Zampa, où il a laissé des souvenirs ineffaçables. Il obtint aussi un grand succès dans la Fiancée d'Auber et Fra Diavolo. Le Postillon de Lonjumeau d'Adam fut pour lui un vrai triomphe.
Devenu libre par la dissolution de la société de l'Opéra-Comique et la ruine de l'administration qui lui succéda, M. Chollet alla jouer dans les grandes villes de province. En 1832, il débuta au grand théâtre de Bruxelles, où il resta deux années. Après un engagement d'une année au théâtre de la Haye, il rentra à l'Opéra-Comique (1835), et fut encore accueilli avec quelque faveur dans l'Éclair, le Chalet, le Brasseur de Preston. En 1840, il quitta le théâtre. Il essaya plus tard, de reparaître dans le Postillon de Lonjumeau, au Théâtre-Lyrique (1852), et revint une dernière fois à la scène en 1872.
La voix de M. Chollet, qui tient le milieu entre celle du baryton et celle du ténor, avait plus de puissance et de douceur que de facilité. Il a dû une grande partie de ses succès à son adresse vocale, à la connaissance parfaite des effets qui plaisent au public, à sa science du point d'orgue.
Les compositeurs dont il rendit les œuvres populaires lui reprochèrent d'y mêler des traits qui en altéraient le caractère. Violoniste habile et compositeur distingué, il a publié, à Paris et à Bruxelles, des romances et des nocturnes, dont plusieurs ont eu du succès.
(Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des contemporains, 1858 et 1891)
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Jean-Baptiste Chollet dans le Postillon de Lonjumeau (Chapelou), gravure de Maleuvre (1836)
Fils d'un choriste de l'Opéra, il fut admis comme élève au Conservatoire de musique, au mois d'avril 1806. Il s'y livra à l'étude du solfège et du violon. Quelque temps après, il interrompit le cours de ses études, le reprit ensuite, et obtint un prix de solfège aux concours de 1814. Le Conservatoire ayant été fermé en 1815, par suite des événements politiques, Chollet entra peu de temps après comme choriste à l'Opéra, puis au Théâtre-Italien, et enfin au théâtre Feydeau, y resta jusqu'en 1818, puis accepta un engagement dans une troupe de comédiens de province. Bon musicien et doué d'une voix agréable, mais peu expérimenté dans l'art du chant, il suppléait aux connaissances qui lui manquaient dans cet art par beaucoup d'intelligence et d'adresse. A cette époque sa voix était plus grave qu'elle ne l'a été plus tard ; son caractère était celui d'un baryton, car ou voit dans le tableau de la troupe du Havre, en 1823, qu'il y était engagé pour jouer les rôles de Martin, de Laïs et de Solié. Il portait alors le nom de Dôme-Chollet. Engagé au théâtre de Bruxelles pour y jouer les mêmes rôles en 1825, il se fit entendre à l'Opéra-Comique, lors de son passage à Paris, y fut applaudi, et obtint un engagement pour l'année 1826, comme acteur aux appointements. Il vint, en effet, prendre possession de son emploi au temps fixé, et ses débuts furent si brillants qu'il fut admis comme sociétaire au renouvellement de l'année théâtrale, en 1827. Les compositeurs s'empressèrent d'écrire pour lui, et dès ce moment il abandonna les rôles de baryton pour ceux de ténor, qu'il chanta exclusivement. Ce fut Herold qui écrivit pour lui le premier rôle de ce genre, dans son opéra de Marie. La Fiancée, Fra Diavolo, Zampa et quelques autres ouvrages sont venus ensuite lui composer un répertoire ; dans toutes ces pièces, il a obtenu de brillants succès, et le public l'a toujours entendu avec plaisir, bien qu'il n'ait pas eu à Paris cette sorte d'attraction qui fait que le nom d'un acteur, placé sur l’affiche, fait envahir par la foule la salle où cet acteur se fait entendre.
Après la dissolution de la société des acteurs de l'Opéra-Comique, Chollet fut engagé par l'administration qui lui succéda ; mais, la ruine de cette entreprise lui ayant rendu sa liberté, il en profita pour voyager et se faire entendre dans les principales villes de France. Engagé comme premier ténor au grand théâtre de Bruxelles, il y débuta au mois d'avril 1832, et y resta jusqu'au printemps de l'année 1834. A cette époque, il s'est rendu à la Haye pour y remplir le même emploi. Au mois de mai 1835, il est rentré à l'Opéra-Comique de Paris, et y est resté pendant quelques années. Plus tard la direction du théâtre de la Haye lui fut confiée, et, pendant le temps de sa gestion, le roi des Pays-Bas le traita avec beaucoup de faveur ; mais tout à coup Chollet abandonna sa position et retourna en France. Depuis lors il a reparu au Théâtre-Lyrique de Paris, mais sans succès. Applaudi avec transport à Bruxelles, Chollet y avait la vogue qui lui manquait à Paris, quoiqu'il fût aimé dans cette dernière ville.
Ce chanteur, doué de qualités qui auraient pu le conduire à un beau talent si son éducation vocale eût été mieux faite, avait plus d'adresse que d'habileté réelle, plus de manière que de style. Quelquefois il saccadait son chant avec affectation ; souvent il altérait le caractère de la musique par les variations de mouvement et la multitude de points d'orgue qu'il y introduisait ; car c'est surtout dans le point d'orgue qu'il tirait avantage de sa voix de tête. Les études de vocalisation lui ont manqué, en sorte que sa mise de voix était défectueuse, et qu'il n'exécutait les gammes ascendantes que d'une manière imparfaite. Malgré ces défauts, le charme de sa voix, la connaissance qu'il avait des choses qui plaisent au public devant lequel il chantait, et son aplomb comme musicien, lui ont fait souvent produire plus d’effet que des chanteurs habiles privés de ces avantages. Chollet a composé des romances et des nocturnes qui ont été publiés à Paris et Bruxelles ; quelques-uns de ces morceaux ont eu du succès.
(François-Joseph Fétis, Biographie universelle des musiciens, 1866-1868)
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Admis au Conservatoire dès l'âge de huit ans, dans les classes de solfège et de violon, le jeune Chollet dut bientôt quitter cet établissement et devint enfant de chœur à l'église Saint-Eustache. Après quelques années, il reprit le cours de ses études musicales, travailla avec ardeur et obtint un prix de solfège au concours de 1814. Mais les événements politiques de cette époque ayant amené la fermeture du Conservatoire, Chollet se fit admettre dans les chœurs de l'Opéra, puis chanta aux Italiens et à la salle Feydeau. Il était alors en même temps trombone de la garde nationale et chantre à Saint-Germain-l'Auxerrois ; ce cumul faillit lui coûter cher, si nous en croyons l'aventure suivante racontée par Adolphe Adam : « C'était dans les premières années de la Restauration ; Louis XVIII n'était pas dévot, mais il croyait de sa politique de le paraître, et, voulant donner un exemple édifiant à ses fidèles sujets, il résolut d'aller faire solennellement ses pâques à sa paroisse, Saint-Germain-l'Auxerrois. Sa Majesté descendit péniblement de voiture, et s'apprêtait à entrer dans l'église, lorsque le curé parut à la tête de son clergé, et commença une fort belle harangue ; cela fit faire la grimace au monarque, forcé de se tenir longtemps sur ses jambes, chose qu'il avait en horreur. Il fit d'abord bonne contenance ; mais l'éloquence du curé prenant une extension démesurée, il commença à se dandiner tantôt sur une jambe, tantôt sur une autre. Cette allure bourbonnienne était si connue, qu'on fut loin de la prendre pour une marque d'impatience. Le pauvre roi cherchait autour de lui une figure qui sympathisât avec ses souffrances. Il aperçut enfin le duc de Berry, qui paraissait non moins ennuyé, et lui fit signe de s'approcher : « Berry, c'est terriblement long. – Oui, sire. – Est-ce que ce ne sera pas bientôt fini ? – Sire, je partage toute votre impatience. – Non pas vraiment, car vous avez de bonnes jambes, et moi je ne puis plus tenir sur les miennes. Est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de finir ce supplice ? – Si fait, sire, rien n'est plus facile, et si vous m'y autorisez. – Oui, Berry ; allez, mais que cela n'ait pas l'air de venir de moi. » Le duc de Berry, s'approchant d'un officier des gardes du corps, lui dit quelques mots à l'oreille. Dès ce moment, le roi eut l'air de prêter une grande attention au discours ; le curé enchanté donnait cours à sa verbeuse éloquence, quand tout d'un coup sa voix est couverte par les boum, boum de la grosse caisse et les mugissements des ophicléides et des trombones... Bientôt Louis XVIII se trouve commodément assis dans un fauteuil doré... Les chantres psalmodient les heures qui précèdent la grand'messe, les prêtres sont dans leurs stalles ; le chœur est presque entièrement vide, lorsqu'un personnage sort par la porte d'une sacristie ; c'est un grand jeune homme maigre, revêtu d'une soutane et d'un surplis ; il traverse rapidement le chœur pour aller se mettre dans une des stalles, mais il s'aperçoit qu'il a oublié de s'incliner devant le tabernacle ; il revient vers l'autel et fléchit le genou sur une des marches. Un bruit singulier se fait entendre : c'est celui d'une épée qui, s'échappant de sa soutane, glisse sur les dalles. Le jeune homme se hâte de cacher l'arme meurtrière recouverte par les habits pacifiques du lévite, et regagne sa place où il entonne tranquillement le verset du psaume que l'on chante. Cette tranquillité est loin d'être partagée par ceux qui entourent le roi. Les visages pâlissent, on chuchote, on donne des ordres, les crosses des fusils retentissent sur le marbre sonore du temple ; on va, on vient, le mot est donné en un instant ; on commence à faire évacuer les bas-côtés, qui se garnissent de troupes ; le roi demande la cause de ce tumulte ; un de ses aides de camp lui parle à voix basse, et bientôt ce mot circule dans toutes les bouches : « Un prêtre armé qui en veut aux jours du roi ! » Cependant le malencontreux auteur de tout ce remue-ménage, dont il ne se doute guère être la cause, continue à psalmodier d'une voix ferme et vibrante, lorsque deux grands officiers s'approchent de lui. L'un d'eux lui dit : « Monsieur, suivez-nous à l'instant. – Pardon, monsieur, je ne puis pas ; je suis nécessaire ici. Quand la cérémonie sera terminée, je suis tout à votre service. » Et il se remet à chanter de plus belle. « Monsieur, il faut nous suivre à l'instant ! je vous le répète, mais tâchons de ne pas faire de scandale. Venez à la sacristie ; toute résistance serait inutile ; ne nous contraignez pas à employer la force. – Puisque je ne puis pas faire autrement, je vous suivrai, mais je vous fais observer que c'est vous qui me forcez à quitter mon poste. » La sacristie est pleine de soldats ; notre jeune homme se voit, en entrant, placé entre deux fusiliers qui ne lui laissent pas faire un geste. « Ah ça ! m'expliquera-t-on ce que cela veut dire ? s'écrie-t-il. – Contentez-vous de répondre à monsieur, » lui dit-on, en lui montrant un homme revêtu d'une écharpe blanche, placé près d'une table à laquelle est assis un autre individu muni de tout ce qu'il faut pour écrire. L'interrogatoire commence : « Vous avez des armes sur vous ? – Des armes ? non, j'ai une épée, voilà tout. – Mettez qu'il avoue être armé. – Pourquoi avez-vous caché si soigneusement cette épée sous votre soutane ? – Parce que l'usage n'est pas de la porter par-dessus. – Monsieur, pas de plaisanteries : songez qu'une accusation grave pèse sur vous, qu'il y va de votre tête. – De ma tête ! Ah ça ! est-ce que c'est une mystification ? Commençons donc à nous entendre. – Votre profession ? – Musicien. – Et pourquoi un musicien se déguise-t-il en prêtre, et cache-t-il des armes sous ces habits d'emprunt ? – Ces habits sont les miens, et cette épée m'appartient ; je suis trombone de la garde nationale et chantre de cette église : j'attendais la fin du discours de M. le curé pour venir, après la fanfare, me déshabiller ici, et chanter mon office ; mais on ne l'a pas laissé finir, ce brave homme ; on nous a dit de jouer au milieu de son sermon, et quand je suis accouru ici, je n'ai eu que le temps de passer ma soutane par-dessus mon uniforme. Et maintenant, avec votre permission, je vais l'ôter tout à fait, car l'office est presque fini, et ma légion me réclame. » Ici la scène change : les juges se mettent à rire ; le procès-verbal commencé est déchiré, et l'accusé partage bientôt l'hilarité de ces messieurs en apprenant que lui, pauvre diable, a été pris pour un conspirateur et a failli mettre le gouvernement en émoi... Le roi, instruit de la cause futile de tout ce tumulte, a grand' peine à tenir son sérieux. En sortant de l'église, il cherche à reconnaître parmi le groupe de musiciens celui qui a causé tant d'inquiétude, et l'aperçoit les joues gonflées comme un Borée de dessus de porte, soufflant avec ardeur dans son trombone. Le roi sourit de nouveau, et lui fait en partant un petit signe de tête, comme pour le remettre de l'émotion qu'a dû lui causer sa courte arrestation. »
Dès cette époque, Chollet avait complété ses études vocales. En 1818, il se joignit à une troupe de comédiens de province, et joua en Suisse et au Havre les rôles du répertoire de Martin, sous le nom de Dôme-Chollet. Après un début à Paris, il alla à Bruxelles, où l'attendaient les plus brillants succès. Engagé à notre Opéra-Comique en 1826, il en devint sociétaire en 1827, et chanta, à dater de ce moment, tous les rôles de ténor. Herold composa à son intention Marie, et plus tard Zampa, qui fournit au chanteur l'occasion d'un beau et légitime triomphe. Il ne réussit pas moins dans la Fiancée, les Deux Nuits, Fra Diavolo. Enfin le Postillon de Lonjumeau, d'Adolphe Adam, mit le sceau à sa réputation. C'est cette dernière création qui a le plus contribué à rendre son nom populaire.
La Société de l'Opéra-Comique ayant été dissoute, et la déconfiture de l'administration qui lui succéda laissant les artistes sans emploi, M. Chollet se mit à parcourir les départements. Il parut à Bruxelles en 1832 et puis il signa un engagement d'une année avec le théâtre de La Haye, et enfin rentra à l'Opéra-Comique en 1835. L'Eclair et le Chalet lui firent retrouver une partie des applaudissements d'autrefois ; mais il fut moins heureux dans la plupart des autres créations qu'on le vit successivement aborder. N'oublions pas toutefois de citer le Brasseur de Preston, un de ses bons rôles durant cette période de sa carrière artistique. En 1840, il s'éloigna de la scène, et n'y reparut qu'en 1852 dans une reprise du Postillon de Lonjumeau, au Théâtre-Lyrique. L'accueil qui lui fut fait alors par le public ne pouvait l'engager sérieusement à quitter sa retraite ; il eut le bon esprit d'y retourner et de n'en plus sortir.
C'est surtout à une certaine habileté de vocalisation que M. Chollet a dû de réussir devant un public dont il saisissait, avec un tact merveilleux, les goûts passagers. La recherche des effets qui enlèvent le succès semble avoir été sa préoccupation la plus constante, et il poussait si loin cette recherche que les compositeurs mêmes dont il popularisait les ouvrages lui reprochèrent parfois d'y introduire des éléments qui en dénaturaient le caractère artistique. Souvent affecté et mignard, il efféminait la phrase musicale ou saccadait le chant, ou bien encore altérait les mouvements et le caractère de la mélodie, et y introduisait, bon gré mal gré, des traits et des points d'orgue d'un goût contestable, dans lesquels il faisait abusivement et par vanité sonner sa voix de tête. Chollet a peut-être trop souvent oublié que l'artiste a pour mission d'élever les foules jusqu'à lui, qu'il ne doit jamais descendre jusqu'à elles. L'oubli des uns et l'indifférence des autres ont pu lui faire regretter de n'avoir pas établi sa renommée sur des bases plus durables. Sa voix avait à la fois beaucoup de douceur et une grande puissance ; elle tenait le milieu entre le ténor et le baryton.
On doit à M. Chollet, qui s'est fait une réputation de violoniste et de compositeur, des romances et des nocturnes publiés à Paris et à Bruxelles, et dont plusieurs ont obtenu du succès.
(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1866-1876)
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Jean-Baptiste Chollet en 1881 [photo Decap]
Chollet, premier sujet du Théâtre de l’Opéra-Comique
I Tarare, opéra en cinq actes, de Beaumarchais pour les paroles et de Salieri pour la musique, dont la première représentation eut lieu à Paris, le 8 juin 1787, marqua une époque dans l'histoire de l'art. L'auteur du poème avait tiré le sujet de son opéra d'un conte persan, traduit par Hamilton. Conçu dans des conditions jusqu'alors inconnues sur la scène de l'Académie royale de musique, cet ouvrage fut classé, dès son apparition, parmi les œuvres romantiques ; la tragédie et la comédie y étaient confondues, et pendant cinq actes, des incidents, tantôt sérieux, tantôt bouffons, assombrissaient ou égayaient l'action. L’eunuque Calpigi, marié à la cantatrice Spinette, était chargé de débiter les lazzis musicaux dont l'opéra de Salieri était émaillé ; mais ces lazzis notés un peu haut, aucun chanteur de l'Opéra ne se souciait de représenter ce personnage hétéroclite. On raconte à ce propos qu'une lettre de cachet alla prendre l'abbé Chollet jusqu'au séminaire de Noyon, afin de tirer d’embarras les auteurs de Tarare, qui ne savaient à qui confier le rôle de l'eunuque en question, pour l'interprétation duquel il fallait une voix suraiguë et claire. L'abbé possédait un organe ravissant ; mais aux dernières répétitions, lorsqu'il se trouva en présence des musiciens de l'orchestre et des choristes, il fut saisi d'une telle frayeur qu'il tomba en défaillance et qu'il fallut lui faire respirer des sels. Le lendemain, on lui retira le rôle de Calpigi pour le confier au ténor Rousseau. Le jeune abbé était instruit, intelligent, musicien, possédait des moyens vocaux exceptionnels. Que lui manquait-il donc pour réussir sur la scène de l'Opéra ? Hé pardieu ! il lui manquait tout, sauf la voix. Il n'était ni chanteur ni comédien, et nous ne comprenons pas que des gens sérieux, comme devaient l’être les auteurs de Tarare, aient songé un seul instant à confier un rôle tant soit peu important, à qui ? à un jeune abbé arraché au séminaire et qui n'avait aucune notion des choses du théâtre. Comme si l'on improvisait un artiste en quelques jours, en quelques semaines, ni même en quelques mois. L'administration théâtrale, comprenant enfin qu'elle faisait fausse route et qu'elle avait trop présume du talent et des forces de son nouveau pensionnaire, assigna à celui-ci la seule place qui lui convint, celle de coryphée de l'Opéra, où ses camarades s'empressèrent de lui octroyer le sobriquet de l'abbé Calpigi. Malgré cette appellation, qui lui resta au théâtre, l'abbé Chollet n'étant pas engagé dans les ordres, ne tarda pas à se marier, et de cette union naquit Chollet, le comédien émérite, le chanteur populaire dont nous allons esquisser la biographie. II Chollet (Jean-Baptiste-Marie) naquit à Paris, le 20 mai 1798. Admis au Conservatoire de musique dès l’âge de huit ans, il se livra à l'étude du violon et du solfège, et obtint un second prix, dans cette dernière spécialité, au concours de 1814. Les évènements politiques survenus en 1815 ayant provoqué la fermeture du Conservatoire, Chollet s'engagea successivement, comme choriste, à l'Opéra, aux Italiens, puis enfin à l'Opéra-Comique, où il demeura jusqu'en 1818. Tout en remplissant exactement ses devoirs au théâtre, Chollet cumulait les fonctions de chantre à l'église Saint-Germain-l'Auxerrois et de trombone dans la garde nationale. Mais, à l'âge de vingt ans, lorsqu'on est musicien et qu’on possède une jolie voix, est-ce qu'un jeune homme qui se sent quelque chose là peut se résigner toute sa vie à n'être qu'un simple choriste ? Il veut, lui aussi, se faire un nom dans les arts, et, à cet effet, il s'engage ordinairement en province, où, en pratiquant, il finit quelquefois par arriver. Ces projets d'avenir étaient précisément ceux que Chollet formait chaque jour ; ces rêves d'ambition étaient aussi ceux qu'il faisait chaque nuit. Quel parti prendre ? Le jeune choriste se lia par un traité avec le directeur d'une troupe chantante, suppléant aux connaissances qui lui manquaient par une grande habileté et beaucoup d'intelligence ; puis, lorsqu'il eut plus d'acquis et qu'il se sentit assez fort pour figurer convenablement sur une scène de premier ordre, il contracta un engagement avec le directeur du théâtre du Havre, en qualité de baryton, chantant les rôles de Martin, de Laïs et de Solié. Les succès que Chollet avait obtenus à La Haye d'abord, puis dans quelques villes de la Suisse, ne lui inspiraient qu'une confiance relative, maintenant qu'il allait paraître devant un public qui passait pour l'un des plus difficiles de la province. Néanmoins, lorsque arriva l'heure de la première épreuve, laquelle eut lieu dans le rôle de Rodolphe du Chaperon Rouge, le débutant, parfaitement disposé ce soir-là, fit entendre une voix franche et bien timbrée. « Son succès fut immense, on le redemanda après la pièce aux cris de : Plus de débuts ! plus de débuts ! Le directeur l'engagea sur-le-champ pour l'année suivante avec le double d'appointements, et pendant deux ans Le Havre posséda le meilleur ténor d'opéra-comique qu'il y eût en France. » (Adolphe Adam, Souvenirs d’un musicien, page 12) Sa jeune renommée ayant grandi avec son succès, Chollet n'hésita pas à quitter le théâtre du Havre pour passer, sans transition, sur une scène infiniment plus importante, celle du Théâtre Royal de la Monnaie, à Bruxelles, où il débuta en 1825 ; mais avant de se rendre en Belgique, étant de passage à Paris, il se fit entendre à l'Opéra-Comique, le 23 avril 1825, dans le rôle de Rodolphe du Chaperon Rouge. Trois jours après, le 26 avril, il chanta la Fête du Village voisin et Lulli et Quinault. La suavité de son organe, sa bonne mine, sa désinvolture, ce je ne sais quoi enfin qui n'appartient qu'à la jeunesse, lui acquirent toutes les sympathies.
Chollet arrivait juste à point pour
remplacer le célèbre baryton Martin qui venait de prendre sa En quittant Paris pour se rendre à Bruxelles, emportant dans sa poche un engagement qui le liait au théâtre de l'Opéra-Comique, où il fit sa rentrée, le 12 mai 1826, dans la Fête du village et le Nouveau Seigneur, et où trois mois après, jour pour jour, il créait le rôle d'Henri dans Marie. Grâce à cette heureuse création, laquelle renfermait un air charmant : Une robe légère d'une entière blancheur, le public, enthousiasmé, lui signa ses lettres de naturalisation, et lorsque arriva le renouvellement de son engagement en 1827, il fut nommé sociétaire. III Quoi qu'en ait dit M. Fétis dans sa Biographie universelle des Musiciens, l'organe de Chollet, à aucune époque de sa vie, n'eut le caractère de la voix de baryton, et si, dans le principe, le virtuose chante quelques rôles en clé de fa, il ne s'en tire qu'à l'aide de certains artifices, c'est-à-dire en pointant ses rôles et en les modifiant dans leur partie inférieure seulement : c'est ainsi qu'il procède dans le Nouveau Seigneur, dans le Maître de Chapelle, voire même dans Zampa, dont il transpose toutes les notes écrites trop bas. Ce qui constitue le caractère d'une voix, ce n'est pas l'étendue, c'est son ampleur, témoin le foudroyant organe de Lablache qui était classé parmi les basses, bien qu'il ne donnât que le la bémol grave, tandis que celui de Tamburini, qui descendait une tierce plus bas, figurait dans la nomenclature des barytons. Est-ce clair ? Encore un coup, la voix de Chollet ne fut jamais celle d'un véritable baryton-Martin ; aussi, dès qu'on écrivit des rôles pour lui, dès qu'on lui fit des habits à sa taille, s’empressa-t-il de quitter la livrée des valets pour endosser le costume plus élégant des ténors d'opéra-comique, et séduire en roucoulant des cantilènes sur la clé de sol ou la clé d'ut. La voix de Chollet était audacieusement blanche, toute en dehors et en timbre clair mois puissante. Grêles, les voix blanches sont vulgaires ; étoffées, leur émission s'accepte, la vulgarité fait place à une sonorité éclatante. l'oreille s'accommode de cette mise de voix. Ce que nous venons de dire s'applique également à un organe guttural. Une voix flûtée, entachée de sons de gorge, est intolérable. Au contraire, si la voix est puissante, quoique gutturale, on la subit, elle s'impose à la foule, sa cause est gagnée, elle ne blesse que peu ou point l'organe auditif. Or, la voix de Chollet était large, quoique d'une ampleur relative, mais d'un timbre frais et pur, sonnant comme une cloche, et que nul orchestre n'était capable de couvrir, si fort qu'il jouât. Sa voix de tète, dont il usait et abusait dans les points d'orgue, était à l'avenant : le timbre et la limpidité en étaient admirables. Seulement, entre la voix de poitrine et la voix de tête, il existait une espèce d'hiatus plus ou moins sensible, défectuosité que l'artiste ne prenait même pas la peine de dissimuler, mais dont les compositeurs tenaient compte en écrivant, pour ce chanteur, des rôles en quelque sorte arpégés, si nous osons nous exprimer ainsi. Chollet avait une manière de chanter à lui qui ne procédait d'aucune méthode, car il n'avait jamais étudié sous la direction d'aucun maître. En général, un chant spianato convenait peu à son genre de talent, lequel était réfractaire à la musique où dominait l'expression des sentiments tendres. IV Après avoir été acclamé dans Marie, Chollet eut h bonne fortune d'attacher encore son nom à plusieurs œuvres non moins importantes, telles que la Violette, Jenny, la Fiancée, les Deux Nuits, Fra Diavolo, Zampa, etc., et dans ces divers opéras, d’un style si différent, il obtint un succès éclatant : il réussit par-dessus les nues ! A partir de 1830 jusqu'en 1832, les affaires de l'Opéra-Comique allant sans cesse en déclinant, et la Société d'acteurs qui présidait à ses destinées ayant été dissoute, Chollet, libre de tout engagement, donna d'abord quelques représentations en province, puis retourna à Bruxelles pour y créer le personnage de Mergy, dans le Pré-aux-Clercs. Ce rôle, écrit pour la voix problématique mais facile de Thénard, n’était pas fait pour mettre en relief les qualités de Chollet ; mais celui-ci, grand musicien, maître ès-science en l'art de rhabiller un morceau quelconque, se tailla un succès dans l’air du premier acte : Ce soir j'arrive donc dans cette ville immense ! Cette nouvelle version de l'œuvre d'Hérold, — l'air seulement, — fut favorablement accueillie par le public bruxellois, et pendant de longues années, même après le départ de Chollet, le parterre se refusa à en adopter une autre. Est-il besoin de dire que les habitués du théâtre de la Monnaie ne voyaient que par les yeux de leur artiste de prédilection et qu'ils ne juraient que par lui ? Pendant deux années consécutives, du mois d’avril 1832 au mois d'avril 1834, Chollet chanta les premiers ténors d'opéra-comique sur la scène du Grand-Théâtre de Bruxelles après quoi il se rendit à La Haye pour y tenir le même emploi. Le 16 juin 1835, Chenet reparut sur la scène de Feydeau dans le Portefaix, de Gomis. Les Parisiens lui firent un excellent accueil, et prouvèrent, en l'acclamant, qu’il était toujours dans leurs bonnes grâces. Les compositeurs le plus en renom, de leur côté, n'hésitèrent pas à lui confier de nouveau la fortune de leurs meilleures partitions. « Le 16 décembre de la même année, il créait un de ses rôles populaires, Lionel de l’Eclair. L’artiste avait trente-sept ans ; il était dans la forte maturité de ses facultés de chanteur et de comédien. L'émail de la voix avait peut-être, à cette date, subi quelque altération, mais la sonorité et l'ampleur de l'organe étaient intactes ; l'artiste, d'ailleurs, savait glisser sur une note paresseuse ou rebelle avec sa rare adresse, sa merveilleuse facilité et cette verve franche et communicative qui bravait en ses dépenses folles, les fatigues de trois actes de poème et de musique. La verve devint même le trait saillant et caractéristique de la double originalité de l’acteur et du chanteur. Ne les séparons plus à partir de ce jour ; ils sont unis, liés, confondus, et, vienne un lapsus du geste ou de la voix, ils se réfugient, en quelque sorte, l'un dans l'autre, et emportent à deux l'applaudissement de la foule. Celte transformation du talent de Chollet devait atteindre son maximum d'effet dans le Postillon de Lonjumeau, joué le 13 octobre 1836. » (B. Jouvin) Il s'était incarné dans le personnage principal de l'œuvre d'Adam, et son succès, dans le rôle de Chapelou, prit de telles proportions, qu’il balança celui que Mme Damoreau obtenait dans le rôle d'Angèle du Domino. Le Postillon de Lonjumeau et le Domino noir, joués alternativement, faisaient salle comble tous les soirs. Dans une période de dix années (1835-1845), non seulement Chollet interpréta plusieurs ouvrages de l'ancien répertoire, tels que : le Nouveau Seigneur, le Maître de Chapelle, Joconde, Jeannot et Colin, etc., mais il joua Lestocq et créa encore plusieurs rôles importants, savoir : le Portefaix, l'Eclair, Piquillo, le Perruquier de la Régence, le Brasseur de Preston, le Panier fleuri, les Travestissements, la Perruche, l'Opéra à la Cour, le Roi d’Yvetot, le Puits d'amour, Cagliostro, etc. « On l’a dit souvent : le comédien meurt plus complètement que tout autre. Rien de lui ne reste après lui, sinon la tradition, qui s'altère en vieillissant, et que chacun a toujours le droit de contester. Il nous semble cependant qu'il y a un moyen tout simple de mesurer la place occupée par tel ou tel pendant sa vie. La confiance des directeurs et des auteurs peut s'égaler une fois ou deux ; mais lorsque pendant de longues années, en tête des partitions et des brochures, le même nom se lit accolé aux rôles principaux des pièces, on peut de confiance admettre la valeur de ce nom. » (Eugène Moreau) Or pendant le cours de sa brillante carrière, qui compte près de trente-trois années d'activité, Chollet n'a pas créé moins de quarante-trois rôles. Honneur à lui ! Honneur à ce vaillant interprète de l'art dramatique ! Toutes les fois que Chollet avait une difficulté avec l'administration de l'Opéra-Comique,— fouette, cocher ! — il retournait en Belgique, où il était toujours reçu à bras ouverts. Au retour d'une excursion de ce genre, vers 1843, il reprit, après Masset, le rôle de Zampa, et nous n’avons pas oublié l'effet qu'il produisit sur le public et sur nous-même (nous lui donnions la réplique dans le rôle d'Alphonse), effaçant d'un seul coup le souvenir de tous les artistes qui, pendant son absence, avaient endossé le pourpoint du corsaire sicilien. Dès que le vieux loup de mer apparut sur la scène, chacun reconnut en lui l'ancien Zampa, le vrai Zampa, celui que vous, moi, nous avions rêvé, et dont le type est à jamais perdu. Ce qui nous a toujours surpris sinon à Paris, du moins en province, c'est que certains artistes qui, après Chollet, ont abordé Fra Diavolo, Zampa et le Postillon, n'aient pas conservé à ces trois rôles leur physionomie primitive, le cachet qui leur avait été imprimé d'abord. Pourquoi changer ? N'en déplaise aux interprètes novateurs, ils comprenaient l'ensemble de leur rôle, niais bien des détails leur échappaient : la plupart des nuances délicates étaient pour eux lettre close et fermée à sept sceaux. Qu'ils chantassent Fra Diavolo ou Zampa, ils n'avaient qu'une note dans leur gamme, une couleur sur leur palette pour exprimer des sentiments diamétralement opposés. Et pourtant le brigand calabrais et le bandit sicilien sont-ils gens de même acabit ? Le premier, sacripant de la pire espèce, brutal et cruel, flirte et chante des barcarolles avec Milady, et se donne tous les airs d'un gentleman accompli, aimable et galant ; l’autre, au contraire, d'origine aristocratique, homme du monde, bien élevé, affecte les manières d'un matamore, se fait corsaire, séduit les filles, enlève les femmes et les épouse pour vingt-quatre heures quand elles sont riches, jeunes et jolies. « Une, c’est trop ; toutes, à la bonne heure ! » Eh bien ! l'opposition de ces deux caractères était rendue par Chollet d'une manière saisissante. Or, sous ce rapport, ses émules ne l'ont pas égalé. Quant au Postillon de Lonjumeau, Montaubry chantait d'une manière remarquable les couplets du second acte : Assis au pied d'un hêtre ; mais, dans tout le reste de l'ouvrage, son devancier lui était supérieur. A vrai dire, dans le Postillon, Chollet lui-même ne nous a jamais entièrement satisfait non point sous le rapport du chant, mais pour la manière dont il interprétait l'ensemble de ce personnage à double face. Dans le premier acte, Chapelou était parfait ; dans le second acte, Saint-Phar manquait de tenue et de convenance, et ses lazzis, qui auraient été bien placés dans la bouche de l'un de ses partenaires, juraient dans la sienne. — Quelle est cette note ? — C'est mon ut à moi, répondait Alcindor. — Quel sale ut (salut) ! ripostait Saint-Phar. Le rôle de Saint-Phar, joué très sérieusement, chanté avec beaucoup de sentiment et opposé, comme caractère, au marquis de Corcy, si comique, et au coryphée Alcindor, si grotesque, le rôle de Saint-Phar, disons-nous, aurait acquis plus de relief par l'effet des contrastes. Cette manière de voir et de sentir était aussi celle de M. Perrin, lorsqu'il était directeur de l'Opéra-Comique ; et un soir, tandis que Montanbry était en scène, renchérissant sur les soi-disant traditions de Chollet, il nous dit : — Si j'avais été directeur à l'époque où le Postillon de Lonjumeau fut joué pour la première fois, je n’aurais jamais permis, ni ces nombreux jeux de mots, ni tous ces lazzis qui déparent, selon moi l'œuvre d'Adam, sans rien ajouter à son succès, au contraire. Mais Chollet, ainsi que Montaubry, son gendre adoptif et son continuateur, avaient une propension marquée pour les effets comiques, et l'on peut dire qu'il transpirait en eux, lorsqu'ils étaient en scène, quelque chose de leur individualité et de leurs goûts hors du théâtre. Du reste, il y avait entre ces deux virtuoses bien des points de ressemblance. L'un et l'autre étaient excellents musiciens, et tous deux, avant d'être au théâtre, avaient joué d'un instrument, celui-ci du violoncelle au théâtre du Vaudeville, celui-là du trombone dans la garde nationale. L'un et l'autre, avant de devenir premier sujet du théâtre de l'Opéra-Comique, avaient débuté et chanté en province ; l'un et l'autre possédaient une voix blanche et émettaient le son en timbre clair, et il existait une solution de continuité entre leur voix de poitrine et leur voix de fausset ; l'un et l'autre usaient et abusaient de la voix de tête, laquelle, chez tous le deux, était d'une limpidité, d'une fluidité admirable ; l'un et l'autre étaient réfractaires à l'interprétation de la musique particulièrement sentimentale, et il y avait une grande analogie dans leur manière de jouer et de chanter ; l'un et l'autre, enfin, procédaient du gamin de Paris, dans ce que celui-ci, toutefois, avait d'aimable et de spirituel, ce qui faisait dire à Montaubry, en parlant de son émule Achard, le lendemain du premier début de ce dernier sur la scène de l'Opéra-Comique : — Décidément, ce n'est pas lui qui cassera la patte à Coco !... V Au commencement de l'année 1844, Chollet éprouva une indisposition assez sérieuse, un mouvement de bile qui, coïncidant avec une irritation des fosses nasales, altéra le timbre de sa voix : en parlant comme en chantant, il nasillait considérablement. L'on put croire alors (1844) que l'heure de la retraite avait sonné pour Chollet ; mais il sa rétablit et signa même un nouveau traité de trois ans avec le directeur de l'Opéra-Comique, qui lui imposa, par parenthèse, de dures conditions. A l'expiration de son engagement, Chollet sollicitait et obtenait la direction des théâtres subventionnés de la ville de Bordeaux. Les débuts de la troupe qu'il avait formée furent très remarqués ; mais cette troupe étant surchargée de sujets, l'administration théâtrale fut entraînée à des dépenses auxquelles elle ne put faire face. Le découragement s'empara bientôt de tous les artistes, et Dieu sait ce qui allait arriver, lorsqu'un événement imprévu remit la barque directoriale à flot et retarda l'époque de la déconfiture. Dans le courant du mois de novembre 1847, Mlle Caroline Prévost, fille adoptive de Chollet, se produisit, sur le Grand-Théâtre de Bordeaux, dans le rôle de Catarina des Diamants de la Couronne. Les débuts de cette jeune fille n'ayant pas été tambourinés longtemps à l'avance, et personne, pas même ses parents, ne soupçonnant qu’il y eût chez elle l'étoffe d’une artiste remarquable, son apparition sur la scène fit sensation. La débutante comptait à peine seize printemps, et l'on ne savait vraiment pas ce qu'on devait le plus admirer en elle, ou du talent de la comédienne, ou de la brillante exécution de la cantatrice, ou de la pureté de son organe, ou du charme répandu sur toute sa personne, qualités rares que faisait encore valoir l'éclat de sa beauté, alors dans tout son épanouissement. La diva parlait avec une rare intelligence la langue des sons, cette langue magnifique par laquelle le charme opère, et il était facile de voir qu'elle avait bu l'eau à la même source que sa mère, mais qu'elle l'avait prise plus haut. Grâce aux heureux débuts de sa pupille, Chollet se flatta un instant qu'il mènerait sa barque à bon port ; mais, le croirait-on ? les triomphes mêmes de son élève précipitèrent la crise théâtrale. Expliquons-nous. Les jours où Mlle C. Prévost jouait, on faisait salle comble ; le lendemain, il fallait ajouter aux frais. Par ce dernier motif, la fermeture des théâtres de Bordeaux était imminente, lorsque les évènements politiques de 1848 achevèrent leur ruine. La compagnie politique se débanda presque aussitôt, et son chef, excipant le cas de force majeure, donna sa démission, de directeur des théâtres subventionnés de la ville de Bordeaux. Mais aussi, que diable Chollet allait-il faire dans cette galère ? Hé ! mon Dieu ! tout directeur qui succède à un autre directeur se dit : Je serai sinon plus intelligent, du moins plus actif ou plus heureux que mon prédécesseur. Et voilà pourquoi tant de gens prétendent à l'honneur de monter sur le pavois directorial, pour se lancer ensuite à toutes voiles, la plupart du temps sans boussole, sur le vaste océan de la spéculation. Au mois de juillet 1848, nous assistons aux débuts de Chollet et de sa famille sur la scène du Capitole, à Toulouse, sous la direction de M. Lafeuillade. Là, chantant les barytons-Martin, comme l'année précédente à Bordeaux, où il interprétait le même emploi, Chollet et les siens sont choyés, fêtés, rappelés presque tous les soirs Quelles belles représentations ! En 1851, Chollet est nommé directeur du Théâtre Royal de La Haye où le roi de Hollande l'accueille d'abord avec une faveur marquée. Mais bientôt le monarque lui retire sa haute protection d'une manière si cavalière et dans des conditions tellement exceptionnelles, que le fait mérite d'être rapporté. Le mariage de Montaubry avec Mlle C. Prévost et celui de Colson avec Mlle Marchand (*) furent célébrés le même jour, à La Haye, et le repas de noces eut également lieu en commun. Or, les convives étaient à table et se livraient à une gaieté bien naturelle en pareille circonstance, lorsque Chollet, qui présidait cette fête de famille, reçut un pli cacheté des mains d'un envoyé de la Cour, tandis que celui-ci remettait aux époux Colson de la part du roi, un service de table en argenterie. Chollet s'empressa de décacheter la missive : elle contenait sa révocation de directeur du Théâtre Royal de La Haye. L'artiste-directeur ne laissa rien transpirer sur sa figure du contenu du royal message ; il donna, au contraire, l'exemple de la plus franche gaieté, et la fête nuptiale se termina à la satisfaction des jeunes époux et de leurs invités. Il faut bien le dire, Guillaume III, en cette circonstance, se conduisit comme un..... Quelle belle occasion de vitupérer une tête couronnée ! mais que le lecteur se rassure : la politique n'a que faire ici ; et c'est pourquoi nous nous abstiendrons de tout commentaire.
(*) En 1852, la belle Mlle Marchand, devenue Mme Colson, créa, avec beaucoup de succès, le rôle de Néméa de Si j’étais roi ! sur la scène du Théâtre-Lyrique.
De retour en France, Chollet chanta encore un rôle sur la scène du Théâtre-Lyrique, celui du duc de Beaufort, dans le Roi des Halles. Ce fut sa dernière création (11 avril 1853). Quelques temps après, il prit sa retraite et se retira définitivement du théâtre, après une carrière glorieusement parcourue et qui n'avait pas duré moins de trente-trois ans. « Ce chanteur, — dit M. Fétis, dans sa Biographie universelle des Musiciens, en parlant de Chollet, — Ce chanteur, doué de qualités qui auraient pu le conduire à un beau talent si son éducation vocale eût été mieux faite, avait plus d'adresse que d'habileté réelle, plus de manière que de style. Quelquefois, il saccadait son chant avec affectation ; souvent, il altérait le caractère de la musique par les variations de mouvement et la multitude de points d'orgue qu'il y introduisait ; car c'est surtout dans le point d'orgue qu'il tirait avantage de sa voix de tête. » Les études de vocalisation lui ont manqué, en sorte que sa mise de voix était défectueuse et qu'il n'exécutait les gammes ascendantes que d'une manière imparfaite. Malgré ces défauts, le charme de sa voix, la connaissance qu’il avait des choses qui plaisent au public devant lequel il chantait, et son aplomb comme musicien, lui ont fait souvent produire plus d'effet que des chanteurs habiles privés de ces avantages. » Il ne nous reste que peu de chose à dire ; mais ce peu de chose, lorsqu'il s'agit d'un artiste de la valeur de Chollet, est encore beaucoup, et le lecteur nous saura gré, croyons-nous, de lui faire connaître certaines particularités de l’existence de l’habile chanteur. Si nous considérons Chollet comme artiste dramatique, nous dirons qu'il avait les défauts qui sont en quelque sorte inhérents à la profession qu'il exerçait : il aimait le succès, et conséquemment il tirait, comme on dit, la couverture vers lui ; mais, à tout prendre, Chollet n'était pas un mauvais camarade, au contraire, et si, dans les coulisses, on raconte qu'il faillit un jour en venir aux mains avec Couderc, c'est parce que, dans le commerce de la vie et selon l'humeur du moment, on n'est pas toujours maître de soi. La scène à laquelle nous faisons allusion eut lieu en plein foyer. Couderc venait de prier Chollet de vouloir bien ménager son abdomen, dans le premier acte de l’Eclair, lorsque Lionel, prenant congé de Georges, dit à ce dernier : — « Mille cargaisons ! si votre femme est jolie, ne vous inquiétez pas... (Lui frappant familièrement sur le ventre). A boire là-dessus ! » L'observation en question fut mal accueillie par Chollet qui, tout en causant, roulait une boule de papier, qu'il lança sur Couderc. Celui-ci riposta. Le premier récidive ; son camarade en fait autant. Finalement, Chollet saisissant une écritoire en répand le contenu sur Couderc, dont les habits furent littéralement couverts d'encre. Ce dernier bondit sur son agresseur, Mlle Prévost se trouve mal, etc. […] Chollet était casanier : il n'aimait ni le jeu, ni la pêche, ni la chasse, etc. ; en revanche, lorsqu'il ne devait point chanter le soir, il clouait, alignait, collait, cartonnait, copiait et musiquait une partie de la journée. C'était, en outre, un aimable conteur ; il cultivait aussi le calembour et les jeux de mots, mais modérément et sans en assommer les gens ; seulement, le genre de son esprit et la pente naturelle de son caractère le poussaient à faire des lazzi en scène. Un soir, dans le troisième acte de Zampa, il glisse un joujou sous son pourpoint, et s'approchant de Camille, qui, désespérée, vient de se laisser choir dans un fauteuil, il soupire tendrement à son oreille : — « Pourquoi trembler... »
— (Pressant le joujou sur son cœur) Cuiq ! — « Qu’un seul regard... » — Cuiq ! cuiq ! cuiq ! Mme Casimir-Camille riait à se tordre ; Chollet était impassible. Une autre fois, dans Jeannot et Colin, Girard, premier chef d'orchestre, ayant attaqué un morceau avant le moment indiqué dans la brochure, ce qui obligea les chanteurs à courir après les musiciens, Chollet résolut de rendre la monnaie de sa pièce au facétieux maestro (*). En conséquence, un soir, pendant que le Capel-meister est bien tranquille à son pupitre et regarde ce qui se passe dans la salle, Chollet donne le ton à ses camarades, et, supprimant vingt lignes de poème, les acteurs attaquent tout à coup.
« Plaisirs de notre enfance, Girard saute sur son bâton de mesure, les symphonistes sur leurs instruments, les contrebassistes sur leurs colosses ; bref, ce fut un brouhaha indescriptible !
(*) Girard, sa canne sous le bras, flanait un jour devant la devanture d'un marchand de gravures. Un ouvrier passe sur le trottoir, pousse la canne du musicien, et voilà un carreau cassé. Le marchand veut être indemnisé ; Girard refuse de payer : une altercation assez vive s'engage. Ce dernier, impatienté, entre dans le magasin et demande : — Combien le carreau cassé ?
— Deux francs cinquante centimes. — Je n'ai point de monnaie ; mais je vais..... — V'lan !
D'un coup de canne, Girard casse un autre carreau,
et sort en jetant cette réponse au marchand ébaubi :
Mais ce n'est pas tout. Faut-il continuer ? Ma foi, « ….. La langue me démange,
Et comme c'est un membre impossible à gratter, — Chollet, lui disait Mme Prévost, l'heure de la répétition approche, et si tu muses comme tu le fais, tout Chollet que tu es, on te mettra à l'amende. Celui-ci, en train de se raser, courait se placer dans un coin de l'appartement, et là, feignant de verser des larmes, il geignait : — Hi ! hi, hi ! — Voyons, Chollet, sois sérieux. — Ah ! ah ! ah ! — Tu m'obsèdes. — Oh ! oh ! oh ! Et Chollet ne bougeait pas ! et il arrivait en retard et on le mettait à l'amende ! Au moment où nous écrivons ces lignes (1er juin 1880), Chollet vit encore ; il est dans sa quatre‑vingt-troisième année depuis le 20 mai dernier. Puisse Dieu prolonger longtemps son existence et lui accorder d'heureux jours.
(Auguste Laget, le Midi artiste, 10 juillet au 30 octobre 1881)
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