la Vie du Poète
le Contemplateur, tableau d'Eugène Carrière (1901)
Symphonie-drame en 4 parties pour soli, choeurs et orchestre, poème et musique de Gustave CHARPENTIER (composée en 1888-1889, révisé en 1890-1892).
Création au Conservatoire national de musique de Paris le 18 mai 1892.
Première au Théâtre de l'Opéra de Paris (Palais Garnier) le 17 juin 1892, en trois actes et quatre tableaux.
Seule audition à l’Opéra au 31.12.1961.
Gustave Charpentier a utilisé cette oeuvre pour composer son opéra Julien ou la Vie du Poète.
personnages |
emploi |
Conservatoire national 18 mai 1892 (création) |
Opéra de Paris 17 juin 1892 (première) |
le Poète (1er acte) |
soprano |
Mme Mathilde TARQUINI D'OR |
Mme Caroline FIÉRENS |
le Poète (2e acte) |
ténor |
M. Emile COSSIRA |
M. Albert VAGUET |
le Poète (3e acte) |
baryton |
M. Henri Etienne GRIMAUD |
M. Maurice RENAUD |
la Fille |
soprano |
Mme Mathilde TARQUINI D'OR |
Mme Caroline FIÉRENS |
une Voix (2e acte) |
soprano |
Mme Mathilde TARQUINI D'OR |
Mme Caroline FIÉRENS |
une Voix (2e acte) |
contralto |
Mme Charlotte WYNS |
Mme Meyriane HÉGLON [HÉGLON-LEROUX] |
Voix intérieures - Voix de la nuit - Voix de malédiction - Voix d'autrefois - Voix de demain |
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Chef d'orchestre |
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M. Edouard COLONNE |
M. Edouard COLONNE |
Audition des envois de Rome au Conservatoire. La Vie du poète, symphonie-drame en quatre parties, pour orchestre, chœurs et soli, par M. Gustave Charpentier, grand prix de 1887 (18 mai). Voilà une séance qui marquera dans les annales du concours de Rome et du Conservatoire, et je ne crois pas que jamais la salle de la rue Bergère ait retenti d'accents semblables à ceux de la Vie du poète, que M. Gustave Charpentier nous a fait entendre mercredi dernier. Retenez bien le nom de ce jeune musicien, car je serais bien étonné si celui-là ne faisait pas parler de lui, et plus prochainement qu'on ne pense. Ce n'est point là un « premier venu », croyez-le bien. Il paraît doué de facultés particulières, et non pas seulement comme musicien, quoique sa musique soit remarquable. Ce qui est certain, c'est que c'est un bûcheur. Successivement ou simultanément violoniste, employé de commerce, compositeur, candidat à la députation, poète assez singulier, il paraît doué d'une activité remarquable, et s'exerce dans les sens les plus divers. Né en Lorraine, si j'ai bonne mémoire, M. Charpentier fut élevé à Tourcoing, où il apprit la musique. Il entra à l'Académie de musique de cette ville, dans la classe de violon de M. Stappen. Mais comme il était courageux, et qu'il avait besoin de gagner sa vie, il occupait en même temps un emploi de comptable dans une grande maison industrielle, la filature de M. Albert Lorthiois. Il passa ensuite au Conservatoire de Lille, où il se fit assez remarquer pour que la municipalité de Tourcoing s'intéressât à lui et lui accordât une pension de 1.200 francs qui lui permit, de venir terminer à Paris ses études musicales. Arrivé ici il ne flâna pas, se fit admettre d'abord dans la classe de violon de Massart, puis devint élève de M. Émile Pessard pour l'harmonie. Vint pourtant le service militaire, et il fallut partir, après avoir obtenu deux sursis. De retour à Paris, M. Charpentier entre dans la classe de M. Massenet, et, au bout d'une année seulement, se présente au concours de Rome. Reçu le premier à l'épreuve préparatoire, avec MM. Erlanger, Bachelet et Kaiser (celui-ci avait déjà obtenu un second prix), il remporte d'emblée le premier grand prix dès ce premier concours. Sa cantate, Didon, sur des paroles de M. Augé de Lassus, était chantée par Mmes Yveling Rambaud (Didon), M. Cossira (Enée) et M. Manoury (Anchise). Muni de ce brevet de capacité, M. Charpentier s'en alla faire le grand voyage réglementaire en Italie et en Allemagne, et c'est de là qu'il adressa à l'Académie des Beaux-Arts, comme « envoi de Rome » l'ouvrage que nous avons entendu mercredi dernier, la Vie du poète, qui était exécuté sous la direction de M. Colonne, avec Mmes Tarquini d'Or et Wyns, MM. Cossira et Grimaud comme interprètes. Le jeune artiste avait écrit lui-même les paroles de son drame-symphonie, ce qui est, je crois, le premier exemple de ce genre qui se produise. Au reste, comme naguère Berlioz, avec lequel il paraît avoir plus d'un point de ressemblance, on le dit décidé à agir toujours de même à l'avenir, et il rêve des opéras grandioses, dont la poésie et la musique grouillent à la fois dans sa tête. La Vie du poète est-elle comme une sorte de pendant que M. Charpentier a voulu donner à l'Épisode de la vie d'un artiste, de Berlioz ? Toujours est-il que l'œuvre est à la fois singulière comme sujet poétique, nerveuse et puissante comme inspiration et comme forme musicales. Le « poète » fait d'abord de beaux rêves, comme tous les poètes ; puis, le doute et la tristesse envahissent son âme ; bientôt, il se sent impuissant à traduire ses pensées, et il se révolte contre la destinée ; et enfin, cette révolte de son âme le mène à l'ivresse et à leurs jouissances odieuses. Et où s'en va-t-il ainsi « faire la noce » en désespéré ? Je vous le donne en mille. A Montmartre ! Au Moulin de la Galette !!... Voilà qui indique, je pense, chez l'auteur, une certaine indépendance d'esprit, et chez le musicien un talent de rare habileté pour faire passer condamnation sur l'excentricité inhérente à la mise en œuvre d'un tel tableau. C'est qu'en effet, dans la quatrième partie de la Vie du poète, M. Charpentier nous fait entendre tous les bruits, tous les échos du Montmartre forain, avec ses bastringues, ses pistons avinés, ses grincements de crécelles, et les éclats de rire des bandes de ripailleurs, et les cris des femmes en joie, que sais-je ? Et tout cela avec une crânerie, une verve, un entrain inouïs, sans jamais cesser d'être vraiment musical. C'est le tour de force très curieux et vraiment amusant d'une imagination en délire qui sait régler même ses dérèglements. Mais il y a mieux et plus sérieux dans cette composition très intéressante et dont le succès a été très grand. Il y a de la grandeur dans les ensembles de la première partie (Enthousiasme), mais il y a surtout un grand charme et une grande poésie dans la seconde (Doute), qui est empreinte d'une rare couleur poétique, et qui se termine par un fragment symphonique dont le caractère mystérieux et original est tout à fait charmant. La troisième partie (Impuissance) se fuit remarquer, comme la première, par la grandeur et la puissance des ensembles des chœurs et de l'orchestre. En résumé, le succès a été remarquable, et d'autant plus considérable que l'auditoire était aussi surpris que charmé en présence d'une œuvre si personnelle et si originale. (Arthur Pougin, le Ménestrel, 22 mai 1892)
Nous parlions tout à l'heure des forces vives qu'on pourrait trouver dans la foule des jeunes compositeurs non essayés qui lèvent désespérément leurs bras vers les directeurs. M. Gustave Charpentier, dont on exécutait le même soir à l'Opéra la Vie du poète (un simple envoi de Rome !), en est une preuve victorieuse. Il faut faire assurément dans cette œuvre la part de la jeunesse — un bien joli défaut d'ailleurs. Mais il n'est pas possible de nier qu'il ne se trouve dans cette « symphonie-drame » toutes les marques d'un talent original et primesautier. Nous ne referons pas ici, après notre collaborateur Arthur Pougin, plus autorisé que nous, l'analyse de la Vie du poète. Nous voulons seulement faire remarquer combien l'apparition subite de cette partition claire et lumineuse vient à propos pour montrer la route à suivre à beaucoup de nos jeunes musiciens qui s'attardent, dans des Sociétés prétendues nationales ou autres, à chercher un idéal de brumes et de ténèbres tout à fait contraire à la franchise du génie français. Les bizarreries de formes et les recherches maladives auxquelles ils se complaisent, aux dépens de l'idée nette et saine, peuvent bien amuser quelques instants les curieux d'art ; mais il n'y a au bout de ces luttes pénibles pour saisir l'insaisissable que néant et stérilité. (H. Moreno [Henri Heugel], le Ménestrel, 19 juin 1892)
Les musiciens de l'orchestre de l'Opéra, après avoir consenti à jouer une fois sur la scène la Vie du poète, de M. Charpentier, feraient, d'après notre confrère Sigognac, du Paris, revivre pour les auditions suivantes les exigences auxquelles ils avaient eu le bon goût de renoncer en faveur du jeune compositeur. Nous souhaitons que le conflit s'apaise, et que M. Charpentier, après avoir vu les portes de l'Académie de musique s'ouvrir d'emblée devant son premier ouvrage, ne soit pas frustré ainsi de légitimes espérances. (le Ménestrel, 26 juin 1892)
On va reprendre, à l'Opéra, paraît-il, les auditions de la Vie du poète de M. Gustave Charpentier. On a trouvé un moyen bien simple d'en finir avec les exigences des musiciens de l'orchestre pour jouer sur la scène même, c'est de les laisser tout simplement à leur place habituelle. L'œuvre n'y perdra rien, croyons-nous. (le Ménestrel, 03 juillet 1892)
Entre autres œuvres que M. Colonne se propose de faire exécuter cet hiver au Châtelet, il faut signaler la Vie du poète de M. Gustave Charpentier, dont les exécutions, on se le rappelle, ont dû être interrompues à l'Opéra par suite de la mauvaise volonté du personnel. (le Ménestrel, 16 octobre 1892)
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L'auteur de cette œuvre d'une conception bizarre est un excentrique, mais un excentrique singulièrement doué au point de vue de l'art, et qui est fort loin d'être le premier venu. Grand prix de Rome de 1887, M. Charpentier avait adressé à l'Académie des beaux-arts, pour son « envoi » de dernière année, cette Vie du poète, qui, exécutée le 18 mai 1892 au Conservatoire, dans la séance d'audition des envois de Rome, y produisit une telle impression qu'on jugea devoir la faire entendre à l'Opéra.
(Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1903) |
Catalogue des morceaux
Prélude | ||
Acte I — la Chambre du Poète [1re Partie : Enthousiasme] |
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Scène I – Recueillement | Voix Intérieures : « Douce lumière » | Choeur |
le Poète : « Brûle, ô mon âme » | Soprano solo | |
le Poète : « Brûle, ô mon âme » | Ténor solo | |
Scène II – Incantation | « Viens, flamme divine » | Choeur |
Scène III – Au pays du rêve | « O flamme immense » | Soprano, Ténor soli et Choeur |
Acte II — la Nuit splendide [2e Partie : Doute] |
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Scène I | les Voix de la nuit : « Entends-tu la nuit ? » | Soprano, Contralto soli et Choeur |
Scène II | le Poète et la Nuit : « Que me réserves-tu ? » | Ténor solo et Choeur |
Acte III — 1er Tableau : un Site sauvage [3e Partie : Impuissance] |
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Scène I | Orchestre | |
Scène II | Voix de malédiction : « Si l'esprit dans le vide » | Choeur |
Scène III | le Poète : « Vainement, à travers les cieux » | Baryton solo |
Acte III — 2e Tableau : une Fête à Montmartre [4e Partie : Ivresse] |
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Scène I | le Poète seul | |
Voix d'autrefois : « Sois maudit ! » | Choeur | |
« Entends-tu la nuit ? » | Choeur | |
Scène II | le Poète et la Fille | |
le Poète : « Trille, ô fille en guenilles » | Baryton solo | |
la Fille : « Ah ! Ah ! Ah ! » | Soprano solo | |
Voix d'autrefois : « Douce lumière » | Choeur | |
Voix de demain : « O flamme immense ! » | Choeur | |
Voix intérieures : « Ah ! Ah ! » | Choeur |
LIVRET
Enregistrement accompagnant le livret
- Version 1935 : Solistes, Choeurs et Orchestre Pasdeloup dir. Gustave Charpentier ; Gramophone DB 4966 à 4969, enr. en mars 1935.
(édition de 1892)
Le lieu de l'action est purement imaginaire. 1er acte : la Chambre du Poète. 2e acte : la Nuit splendide. 3e acte (1er tableau) : un Site sauvage. 3e acte (2e tableau) : une Fête à Montmartre.
PRÉLUDE
ACTE PREMIER
(Enthousiasme)
RECUEILLEMENT
CHŒUR DES VOIX INTÉRIEURES
Douce Lumière,
LE POÈTE Brûle, ô mon âme, Brûle toujours, voluptueuse flamme !
LE CHŒUR
Aube d'amour,
LE POÈTE Brûle, ô mon âme, Brûle toujours, voluptueuse flamme !
LE CHŒUR
Céleste éclair, LE POÈTE
Troublante aurore
Dans ton amour je sens éclore
LE CHŒUR Pure Lumière,
Vers toi s'envole ma prière,
INCANTATION
LE CHŒUR
Viens, flamme divine, ô chaude clarté,
Où fleurit le Verbe, où dressent leurs
faîtes
Cieux lointains, ô mers, ô larges miroirs
! Ils s'offrent et l'ombre est évanouie. Brillant éclair, Folle étincelle, Du grand Ether Sainte parcelle
Viens ! flamme divine
Accable-moi de ta puissance, Flamme pure, flamme immense Embrase, dévore, consume mon être : A mes yeux fais apparaître le Rêve
AU PAYS DU RÊVE
LE POÈTE
Voix de mon âme,
Dieu se proclame Pures musiques,
Promesses magnifiques ! Se lève Mon Rêve !
LE CHŒUR
O flamme immense
Ah ! le ciel est dans
mon être,
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ACTE DEUXIÈME
(Doute)
LES VOIX DE LA NUIT
Entends-tu la nuit, la nuit calme et
tendre ?
Jà le vent du soir se dispose à tendre
Se fait terne et doux, de couleur gris cendre.
Comme un long soupir de violoncelle,
Bruit imperceptible, et qu'un rien nous
voile, Dont le blanc rayon te cherche et te frôle ?...
LE POÈTE Que me réserves-tu, Nuit Mystérieuse et troublante Où ma frêle Etoile fuit, Blanche dans l'ombre flottante ?...
Où vogues-tu dans la Nuit Mystérieuse et troublante, Stella du Futur qui fuit, Blanche dans l'ombre flottante ?...
Que me réserves-tu, Nuit ?...
LES VOIX DE LA NUIT
Que veux-tu, toi dont j'entends
LE POÈTE
O Nuit, où mon cœur s'élance, Je tâche de percevoir Ce que dérobe ton silence : Triomphe ou mort de mon Espoir !
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ACTE TROISIÈME
1er TABLEAU
(Impuissance)
SCÈNE PREMIÈRE (Orchestre)
VOIX DE MALÉDICTION (Chœur) Si l'esprit dans le vide
Tourne et crie éperdu,
Si le corps se lamente Et ne dure qu'aux pleurs ;
Si l'âme, dont le songe
Vérité, santé, rêve,
Si tout l'homme est trahi,
LE POÈTE Vainement, à travers les cieux Sans écho, dans l'ombre infinie, Se perdent nos cris et notre agonie !... Dans l'abîme silencieux Vainement l'homme souffre et pleure ! Tout rayon divin n'est qu'un leurre !... Sois maudit !
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ACTE TROISIÈME
2e TABLEAU
(Ivresse)
UNE FÊTE À MONTMARTRE
VOIX D'AUTREFOIS
Sois maudit, Dieu perfide,
. . . . . . .
. . . . . . .
LE POÈTE, LA FILLE
LE POÈTE Trille, fille
en guenilles,
LA FILLE Ah ! ah ! ah !
LE POÈTE Chante, bacchante délirante que je suis saoul !
LA FILLE
la ! la ! la !
LE POÈTE Rogne, besogne
ma charogne, vide, avide et livide jusqu'au fond.
Sèves
Cœurs et pleurs...
LA FILLE
la ! la ! la !
VOIX D'AUTREFOIS (Chœur lointain) Douce lumière,
Vers toi s'envole ma prière,
. . . . . . .
. . . . . . . LE POÈTE Trille,
ô fille !... bacchante !
VOIX DE DEMAIN O flamme immense,
Dont j'ai mesuré la puissance, Rouges visions d'un beau Jour,
Vous qui jadis berciez mon être, Rêves merveilleux, maudits, Larges miroirs, ô paradis Dont je fus le Maître ?
LE POÈTE (ivre) Trille, ô fille...
. . . . . . . LA FILLE ha ! ha ! ha !
LE POÈTE Sèves
et Rêves !
VOIR INTÉRIEURES (plaintivement)
Ah !
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