le Tribut de Zamora
le Tribut de Zamora, affiche de Louis d'Ausbourg (1881)
Opéra en quatre actes, livret d'Adolphe d'ENNERY et Jules BRÉSIL, musique de Charles GOUNOD.
partition : 1re édition ; 2e édition
manuscrit : actes I et II ; actes III et IV
Création au Théâtre de l'Opéra (Palais Garnier) le 01 avril 1881 ; mise en scène d'Adolphe Mayer ; décors d'Auguste Rubé et Philippe Chaperon (actes I et IV), Jean-Baptiste Lavastre (acte II), Antoine Lavastre aîné et Eugène Carpezat (acte III) ; costumes d'Eugène Lacoste. => costumes
personnages |
emplois |
Opéra 01 avril 1881 création |
Opéra 13 mars 1885 (48e) et 25 mars 1885 (50e) |
Hermosa, captive espagnole à Cordoue | mezzo-soprano | Mmes Gabrielle KRAUSS | Mmes Eva DUFRANE |
Xaïma, fiancée de Manoël | soprano | Joséphine DARAM | Adèle ISAAC |
Iglésia, une orpheline | soprano | Elisabeth JANVIER | HERVEY |
une Esclave |
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Manoël Diaz, soldat espagnol | ténor | MM. Henri SELLIER | MM. Henri SELLIER |
Ben-Saïd, envoyé du Calife de Cordoue |
baryton | Jean-Louis LASSALLE | Pierre-Léon MELCHISSÉDEC |
Hadjar ben Saïd, son frère, officier arabe |
baryton-basse |
Pierre-Léon MELCHISSÉDEC |
Eugène CARON |
Ramire II, roi d'Oviedo | basse | Alfred GIRAUDET | Auguste DUBULLE |
le Cadi de Cordoue |
ténor | Etienne SAPIN | Etienne SAPIN |
l'Alcade mayor d'Oviedo |
baryton |
MERMAND |
Auguste Frédéric GIRARD |
un Soldat arabe | basse | Napoléon LAMBERT DES CILLEULS | Napoléon LAMBERT DES CILLEULS |
un Vieillard |
basse | BONNEFOY | Jules Hippolyte MÉCHELAËRE |
Ballet |
Mlles INVERNIZZI SANLAVILLE PIRON FATOU |
Mlles FATOU SANLAVILLE PIRON |
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Chef d'orchestre |
M. Charles GOUNOD | M. Raoul MADIER DE MONTJAU |
L'action se passe au milieu du IXe siècle à Oviedo puis à Cordoue.
Autres interprètes à l'Opéra :
Hermosa : Mmes MONTALBA (1881).
Xaïma : Mme Eva DUFRANE (1881), LACOMBE-DUPREZ (05 avril 1882).
Iglésia : Mme Edith PLOUX (1881).
Manoël : MM. JOURDAIN (1881), Etienne DEREIMS (07 octobre 1882).
Hadjar : M. Eugène LORRAIN (1881).
l'Alcade : M. PIROÏA (1882).
Le compositeur a dirigé les trois premières représentations (01, 04 et 06 avril 1881), puis Ernest ALTÈS l'a remplacé.
50 représentations à l’Opéra au 31.12.1961.
Jean-Louis Lassalle (Ben-Saïd, à g.) et Henri Sellier (Manoël Diaz) lors de la création
Gabrielle Krauss (Hermosa) et Jean-Louis Lassalle (Ben-Saïd) lors de la création
de g. à dr. : Pierre-Léon Melchissédec (Hadjar), Joséphine Daram (Xaïma) et Henri Sellier (Manoël Diaz) dans l'acte II lors de la création
Pierre-Léon Melchissédec (Hadjar) lors de la création [photo Benque]
Le Tribut de Zamora (1re représentation).
« Une première à l'Opéra » est un gros événement. Et quand cette première est dirigée par l'auteur et que cet auteur s'appelle Charles Gounod, l'intérêt général s'accroît d'autant et prend des proportions qui s'étendent bien au-delà de la première soirée. Nous nous garderons donc d'un jugement prématuré sur une œuvre aussi importante que celle du Tribut de Zamora, — bien que nous en ayons la partition sous les yeux. Remettons à la semaine prochaine l'analyse de ces quatre actes, qui comprennent près de quatre cents pages, nous bornant, cette fois, à résumer l'impression générale de la première audition. Mais avant de constater l'effet immédiat des belles pages de la partition de Charles Gounod, disons quelques mots du livret dramatique de MM. d'Ennery et Brésil. Et comme nous ne voudrions pas nous exposer à donner du Tribut de Zamora une version qui ne fût pas la bonne, « l'authentique », nous aurions aimé à passer parole à M. Achille Denis, de l'Entr'acte, journal spécial qui passe pour avoir, en pareille matière, ce que l'on peut appeler « la note officielle ». Mais l'Entr’acte est resté muet, par excès de prudence. Cette réserve excessive est regrettable, attendu l'incontestable difficulté de suivre exactement le poème d'un grand opéra à travers l'interprétation musicale plus ou moins précise de la partition. Il ne faudrait pas qu'au lendemain d'une première, les divers journaux se trouvassent dans la situation assez comique, on l'avouera, de raconter chacun d'une manière différente le sujet de l'opéra représenté la veille, — comme cela vient d'arriver à Lyon. Pour obvier à ce grave inconvénient et aussi pour préparer les auditeurs à la pièce qu'ils vont entendre chanter, un habile directeur de province, M. Gravière, a imaginé de publier, dès le matin, l'analyse de l'opéra représenté le soir, — si bien, que d'une part, l'accord parfait est assuré, par anticipation, dans les comptes rendus de l'ouvrage, et que, de l'autre, le public se trouve ainsi tout préparé à comprendre la pièce traduite en musique. Et ce n'est pas là une précaution inutile ; il faut se garder de jouer à cache-cache avec les auditeurs de nos opéras nouveaux : éclairer la lanterne est le premier gage du succès en musique. Et c'est là incontestablement ce qui explique la prédilection du public pour les libretti bâtis sur des sujets historiques bien connus. Bref, dans notre humble opinion, — étant surtout donné le sujet peu historique du Tribut de Zamora, — le Figaro vient de rendre un véritable service aux auteurs en publiant, (à leur insu, paraît-il,) l'analyse sommaire de leur pièce. Il en devrait toujours être ainsi. Voici la version in extenso du Figaro :
PREMIER ACTE Décor de MM. Rubé et Chaperon
Une place publique d’Oviédo. — A gauche, premier plan, avec croisée en retour, faisant place au public, la petite maison de Xaïma. — A gauche, le palais du roi. — Au fond la cathédrale. — Au lever du rideau, on attache des guirlandes de fleurs à la demeure de Xaïma.
Manoël Diaz va épouser Xaïma, lorsque arrive à cheval une troupe d'Arabes et de Berbères, ayant à leur tête Ben-Saïd, ambassadeur du khalife de Cordoue, qui vient réclamer à Ramire II, roi d'Oviédo, le tribut de Zamora, c'est-à-dire la livraison ce vingt jeunes filles. Ben-Saïd, qui remarque Xaïma, s'éprend d'elle et se montre fort satisfait, quand le sort désigne, parmi les vingt captives, la belle fiancée du soldat espagnol. Le peuple, furieux, veut se révolter, Manoël supplie le roi de donner le signal de la révolte, mais Ramire répond que le moment n'est pas venu, que la dernière guerre a épuisé le pays. Bref, les Sarrasins emmènent les pauvres jeunes filles.
DEUXIÈME ACTE Décor de M. J.-B. Lavastre Site pittoresque, rives de l'Oué-el-Kébir, devant Cordoue. Pont fortifié fermé par une haute tour carrée. — De l'autre côté du fleuve, Cordoue avec ses minarets. A l'horizon, une chaîne de montagnes bleues. — Au premier plan, à droite, l'entrée d'une sorte de caravansérail.
Pendant que les soldats maures chantent l'anniversaire de la bataille de Zamora, un officier arabe, Hadjar, frère de Ben-Saïd, protège contre eux une pauvre folle, Hermosa, prisonnière espagnole qui échut jadis à Ben-Saïd. — Respectez son malheur, leur réplique-t-il, car le Coran l'a dit : Tiens pour saints les fous ; sinon, sois maudit ! Ben-Saïd revient d'Oviédo avec son cortège, dans lequel s'est glissé Manoël déguisé en soldat berbère. Manoël est reconnu par Hadjar, à qui il a sauvé la vie dans la dernière guerre, sur le champ de bataille. C'est alors qu'Hadjar, mis au courant de l'amour de Manoël et de Xaïma, jure à son généreux sauveur qu'il l'aidera à racheter la captive. Malheureusement, lorsque la vente des jeunes prisonnières a lieu, Ben-Saïd, de plus en plus amoureux, surenchérit jusqu'à 10,000 dinars d'or. C'est à lui qu'est adjugée la pauvre Xaïma. Il l'emmène dans son harem.
TROISIÈME ACTE Décor de MM. Lavastre aîné et Carpezat Palais de Ben-Saïd. — Grands arceaux mauresques. — A droite, dans une sorte de pan coupé faisant face au public, un de ces arceaux livre passage à un balcon au-dessous duquel on entrevoit un abîme.
Ben-Saïd supplie Xaïma de chasser sa tristesse et de lui rendre amour pour amour. Pendant que la jeune fille résiste à ses prières et même à ses menaces, Hadjar entre avec Manoël, le présente à son frère comme son sauveur et demande à Ben-Saïd de lui rendre sa chère fiancée. L'ambassadeur n'entend pas de cette oreille-là. Il offre à Manoël ses palais, ses richesses, mais il ne lui rendra pas Xaïma. Le soldat, exaspéré, insulte et provoque le ravisseur. Mais il est désarmé facilement, et Ben-Saïd le tient à terre, un genou sur la poitrine, le yatagan sur le cou, quand Xaïma entre, se jette aux genoux du farouche musulman et l'implore. Celui-ci ne consent à laisser la vie à Manoël Diaz que si Xaïma lui promet ses faveurs. Xaïma répond qu'elle préfère mourir. La mort, du moins, la réunira à celui qu'elle aime. Et elle va s’élancer dans l'abîme, quand Ben-Saïd, craignant de la perdre, jure enfin de respecter les jours de son amant, mais à une condition : c'est qu'il partira. Le malheureux soldat se sent fort humilié, mais contre la force pas de résistance ! Désespérée, Xaïma veut mourir, quand elle est rejointe par Hermosa, qui, dans une scène où elle raconte comment son époux fut tué pendant le massacre et l'incendie de Zamora, recouvre peu à peu la raison et retrouve sa fille dans la jeune captive. Nota bene. — Cette dernière scène est très développée. Elle a été faite évidemment pour mettre en relief les qualités dramatiques de Mlle Krauss. C'est là qu'elle rappelle et qu'elle redit le chant national que l'on a entendu au premier acte : Debout, enfants de l'Ibérie ! Haut les glaives et haut les cœurs ! Des païens nous serons vainqueurs Ou nous mourrons pour la patrie !... Dans les coulisses, on appelle cela la Marseillaise du Tribut de Zamora.
QUATRIÈME ACTE Décor de MM. Rubé et Chaperon Les jardins du palais de Ben-Saïd. — A droite, une sorte de porche précédant l'habitation du chef arabe. A travers les arbres on entrevoit, par places, un mur crénelé. — A gauche, au fond, un arc monumental, porte praticable à laquelle on accède par quelques marches et qui livre passage au dehors. Effet puissant de lune sur toute la partie postérieure de la décoration, tandis que les premiers plans sont éclairés brillamment par la lumière rouge venant de l'intérieur de l'habitation.
Manoël a escaladé les murs du palais pour revoir Xaïma une dernière fois. Les deux amants fidèles veulent mourir ensemble. Le jeune homme va frapper sa fiancée et se tuer ensuite, quand Hermosa se présente et lui arrache son arme, qu'elle cache dans son sein. — Ce soir, leur dit-elle, quand Ben-Saïd sera à la mosquée, nous fuirons tous trois ! Restés seuls, Manoël et Xaïma sont surpris par l'ambassadeur. Cette fois Manoël sera reconduit sous bonne escorte à Oviédo. Ben-Saïd veut bien épargner sa vie, mais il ne veut plus le trouver continuellement sous ses yeux. Débarrassé de Manoël, Ben-Saïd devient de plus en plus pressant : il emporte dans ses bras Xaïma qui résiste toujours. Mais Hermosa l’arrête, fait rentrer sa fille dans le palais et commence avec le beau chef arabe une scène dramatique où elle le conjure de respecter sa fille et de la lui rendre. Ben-Saïd, qui la croit encore folle, la traite comme telle. Il a tort, car, au moment où il ne s'y attend pas du tout, Hermosa lui plonge dans la poitrine l'arme qu'elle avait arrachée de la main de Manoël, et Ben-Saïd tombe pour ne plus se relever... que lorsque le rideau de l'Opéra sera baissé au bruit des bravos qui rappelleront les créateurs du Tribut de Zamora. Tous ! tous ! tous !...
C'est sur cette donnée absolument théâtrale, particulièrement émouvante aux 3e et 4e actes, que Charles Gounod a écrit la valeur de deux partitions au moins. Les remaniements sans fin, les additions et les coupures incessantes pratiquées dans la partition du Tribut de Zamora prouvent la difficulté de mettre tout au juste point, en fait d'art dramatique. Mais au théâtre il ne faut jamais se décourager, il faut toujours chercher une perfection relative. Le sceptique Auber, qui plaisantait volontiers ses propres ennuis, laissait complaisamment tailler dans ses partitions. Allez, allez, supprimez, disait-il ironiquement, ce qui est coupé ne sera pas sifflé. Nous ne voudrions pas répondre que Charles Gounod se soit laissé amputer avec la même désinvolture. Dans tous les cas combien les vrais amateurs de musique eussent désiré pouvoir se rendre compte des suppressions successivement faites. Que ne nous est-il donné d'avoir deux partitions sous les yeux : la version de la dernière heure et celle des premières inspirations, comme pour l'Africaine. Obligé de nous en tenir à la partition telle qu'elle est arrivée jusqu'à nous, il nous paraît que les deux derniers actes (les plus beaux), y sont gravés conformes à la représentation de vendredi, mais que les deux premiers, — les moins substantiels, — accusent de légères différences qui pourraient bien être regrettables. Nous y reviendrons. Pour le moment, contentons-nous de signaler les belles pages qui ont, du premier soir, saisi le public, ce qui ne veut pas dire que nombre d'autres pages ne le séduiront pas à leur tour aux représentations suivantes. L'éblouissant 4e acte d'Hamlet n'avait-il tout absorbé le premier soir ? Depuis, la magistrale scène de l'Esplanade, le tableau de la Pantomime et tout le 3e acte ont conquis le public sur toutes les scènes des deux mondes. N'en a-t-il pas été de même pour les scènes de l'Eglise et de la Prison du Faust de Gounod ? Les pages vraiment remarquables d'une partition sont rarement celles qui le saisissent dès la première audition. Il faut un certain temps pour pénétrer les mystères de celles qui ont été plus longuement méditées, et plus mûrement pensées. Signalons, au premier acte, l'introduction, d'un caractère presque pastoral, où s'encadre une mélodieuse aubade dite tour à tour par M. Sellier et Mlle Daram, la cavatine un peu écourtée de Ben-Saïd, et le finale de la révolte qui repose sur l'hymne patriotique, qu'une partie de la salle a voulu réentendre, prématurément peut-être. Au deuxième, beaucoup plus nourri, il faut aller tout droit à la scène de folie de Mme Krauss. Notons en passant, le trio de Xaïma, Manoël et Hadjar, mais insistons sur le duo d'Hermosa et de Xaïma, morceau d'une inspiration touchante. II nous reste à signaler dans le deuxième acte la scène de la vente, très vivante et très mouvementée, un peu trop accentuée peut-être du côté de la comédie. Il semble ici que les auteurs aient voulu prendre modèle sur le finale de la Dame blanche. N'importe, Gounod a trouvé là une phrase en larghetto absolument remarquable, où se croisent et contrastent les sentiments des différents personnages en scène, pour se foudre dans un ensemble harmonieux, dont les instruments de l'orchestre présentent tour à tour la mélodie. Au troisième acte l'intérêt pour les yeux et même pour les oreilles est d'abord dans le ballet, où des danses, de caractères différents, alternent d'une manière suffisamment piquante. Au point de vue du drame, il faut y noter la scène du duel, conduite par le musicien d'une façon très attachante et un nouveau duo de Mme Krauss avec Mme Daram. Celui-ci est un morceau de grande envergure et de haut pathétique. Mme Krauss s'y montre aussi grande tragédienne que grande cantatrice. Tout le récit du massacre, la défense héroïque des Espagnols retranchés dans l'église de Zamora, la férocité des arabes vainqueurs envahissant l'enceinte sacrée, et la mort sublime du dernier défenseur de la patrie, s'efforçant de redire, avec ce qui lui reste encore de souffle, le refrain de l'hymne national ; tout cela, disons-nous, Mme Krauss l'a chanté et mimé avec un art qui a saisi le public tout entier et a fait éclater des applaudissements enthousiastes. Pourquoi faut-il que cette belle et touchante manifestation ait été quelque peu gâtée par une de ces scènes de famille, telle qu'il n'est pas rare d'en voir dans les théâtres d'Italie : Mme Krauss sortant de son évanouissement pour se relever et venir partager son triomphe avec Gounod ; se recouchant ensuite sur le plancher où elle est censée évanouie et essayant de renouer le fil rompu du drame ; voilà certes un spectacle dont notre public français aura peine à s'accommoder. L'acte quatrième et dernier n'eût dû être qu'une conclusion rapide et saisissante par sa concision même, mais il a fallu compter avec les chanteurs. Cet acte est couronné par une scène superbe dont le grand effet revient pour une bonne part, il faut l'avouer, au jeu puissant et aux attitudes sculpturales de Mme Krauss.
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Parlons maintenait des interprètes qui tous, à part Mme Krauss, appartiennent au Conservatoire tout comme, du reste, la totalité des sociétaires et pensionnaires de la Comédie-Française. On aura beau dire et beau faire, le secret n'est pas encore trouvé de faire mieux que cette grande institution nationale pour former de jeunes artistes destinés à devenir grands. Que nos théâtres ne les enlèvent pas trop tôt à leurs études, qu'ils ne forcent pas leurs aptitudes naturelles, et le Conservatoire à son tour n'aura pas à se plaindre avec quelque raison de ceux qu'il fait vivre. Laissons aux voix et aux jeunes talents le temps de grandir : Mme Carvalho et Faure, — l'honneur de l'art français, — ne sont pas arrivés d'emblée à l’Opéra au sortir du Conservatoire. Ils on fait ailleurs leurs premières armes et il en devrait toujours être ainsi. Le baryton Lassalle, qui s'est montré un superbe Ben-Saïd dans le Tribut de Zamora, a conquis ses premiers grades au Théâtre Royal de la Monnaie ; — Melchissédec (Hadjar), a développé son talent à l'Opéra-Comique ; Giraudet (don Ramire), de même ; Mlle Daram (Xaïma), s'est perfectionnée près de Mme Carvalho, au Théâtre-Lyrique. Seuls, Sellier et Mlle Janvier, deux des interprètes du Tribut de Zamora, sont passés de plain-pied du Conservatoire à l'Opéra. La voix exceptionnelle de Sellier l'y a conduit tout naturellement, — et Verdi n'a pas dédaigné d'en faire son Radamès. Enfin, Mlle Janvier est l'Isolier le plus intelligent, le plus musical que l'Opéra ait pu trouver dans ses dernières et nombreuses recherches. Donc le Conservatoire a du bon. Interrogez plutôt à ce sujet les théâtres de l'étranger qui profitent des jeunes chanteurs que nous laissons partir, tels que Vergnet, Roudil, Bouhy, Manoury, Dufriche et vingt autres. Mais parlons du Tribut de Zamora. Lassalle, nous l'avons dit, est un superbe Ben-Saïd, à la voix suave et mordante tout à la fois. Il a de fougueux élans et de mélodieuses notes qui ont merveilleusement servi l'œuvre de Gounod. Comme personnage, c'est un type mauresque absolument réussi. Melchissédec, bien que placé au second rang dans la partition du Tribut de Zamora, réussit souvent à se placer au premier. C'est un artiste soigneux auquel l'inspiration manque rarement. Quant à la voix, elle est de celles dont le timbre résonne à souhait sur la vaste scène de l'Opéra. Giraudet, la nouvelle basse de l'Opéra, semble plus terne dans la partition de Gounod. Mais en peut-il être responsable ? assurément non, pas plus que Sellier, qui a brillé de tout l'éclat de sa belle voix quand l'occasion lui en a été donnée. Mlle Daram, indisposée depuis quelques jours, a fait acte d'abnégation en chantant vendredi pour ne point retarder plus longtemps la première du Tribut de Zamora. Cet acte de dévouement a été d'autant plus grand que le rôle de Xaïma est écrit presque tout entier dans la note dramatique et qu'il eût fallu là une falcon. Mlle Daram n'en est pas moins sortie avec honneur d'une tâche périlleuse à tous les titres. Mlle Janvier n'a dans le Tribut de Zamora qu'un petit rôle épisodique, mais elle le remplit à souhait. C'est l'intelligence scénique et vocale en personne que cette jeune débutante. Arrivons à Gabrielle Krauss, la Rachel de l'Opéra. Nous avons déjà dit ses hauts faits aux trois derniers actes de l'œuvre de Gounod. Elle y est, répétons-le, aussi grande comédienne qu'admirable cantatrice. Sa voix s'est incarnée dans le rôle de Hermosa, dont elle a fait une superbe création. La grande artiste ne ferait que mimer ce rôle qu'elle y trouverait des éléments suffisants à un triomphe personnel. Son caractéristique costume, son étrange physionomie, ses magnifiques poses en font une héroïne à la Murillo, digne de l'admiration des peintres, autant que de celle des musiciens. A propos de peintres, comment ne pas signaler les décors de MM. Lavastre, Rubé, Chaperon, Carpezat et les costumes de M. Eugène Lacoste. Ce sont là des œuvres d'art. Le divertissement de M. Mérante a aussi charmé les yeux. En somme, belle mise en scène et de bon goût. Arrivons à un autre élément d'interprétation, capital, celui-là. Charles Gounod était à la tête de l'orchestre de l'Opéra, tandis que M. Altès assistait en simple spectateur de la salle, à la première représentation du Tribut de Zamora. Ceci sort des coutumes françaises, mais l'on sait combien l'auteur de Faust tenait au droit naturel et imprescriptible, selon lui, de diriger ses œuvres. Il a écrit tout un poème sur ce sujet, poème dont le Ménestrel a même donné la primeur à ses lecteurs. Son rêve d'il y a dix ans s'est réalisé, et le public parisien a pu acclamer le même soir dans la nouvelle salle de l'Opéra, vendredi dernier 1er avril 1881, le chef d'orchestre et l'auteur du Tribut de Zamora réunis en une seule incarnation, symbolisée par le nom de GOUNOD.
(H. Moreno [Henri Heugel], le Ménestrel, 03 avril 1881) |
Opéra. — Reprise du Tribut de Zamora.
L'Opéra nous a rendu vendredi le Tribut de Zamora, avec une distribution en partie nouvelle. M. Melchissédec, qui, à l'époque de la création de l'ouvrage, s'était déjà montré dans le rôle de Ben Saïd pendant une absence de M. Lassalle, en a repris possession, eu lui donnant un caractère farouche et sombre qui convient fort bien au personnage. Il est lui-même remplacé, dans le rôle d'Hadjar, où M. Lorrain l'avait doublé naguère, par M. Caron, artiste très méritant et toujours prêt à bien faire. M. Sellier continue de personnifier Manoël, qu'il n'a, je crois, pas cessé de jouer jusqu'ici, et il est aussi satisfaisant que possible. C'est M. Dubulle qui succède à M. Giraudet dans Ramire II, M. Sapin représentant toujours le cadi. Quant aux deux grands rôles féminins, ils ont l'un et l'autre changé de titulaires. Mlle Dufrane, qui plusieurs fois avait remplacé Mlle Daram dans celui de Xaïma, se trouve aujourd'hui chargée de celui d'Hermosa, dans lequel lui incombe la lourde tâche de succéder à Mlle Krauss, et c'est Mlle Adèle Isaac qui joue Xaïma. On aurait quelque peine à me croire si j'affirmais que Mlle Dufrane a réussi à faire oublier son illustre devancière, si incomparablement émouvante dans ce personnage étrange et dramatique d'Hermosa, auquel elle avait su donner une couleur prodigieuse ; mais on peut constater sans peine que la jeune artiste y a du moins fait preuve d'une réelle intelligence, et qu'elle a su se faire applaudir très sincèrement, particulièrement dans la grande scène du troisième acte et dans ce qu'on a appelé la Marseillaise du Tribut de Zamora. Quant à Mlle Isaac, elle est tout à fait charmante sous les traits de l'intéressante Xaïma, dont elle personnifie à souhait le type tendre, gracieux et touchant. Son succès a été complet, surtout dans un morceau nouveau, une sorte de cavatine : Comme la pauvre fleur, que M. Gounod a écrite expressément à son intention, et dont elle a fait ressortir avec beaucoup de bonheur le caractère pénétrant et plein de mélancolie. En résumé, l'ensemble de la représentation a été très satisfaisant, et il fait honneur aux artistes chargés de la nouvelle interprétation.
(Arthur Pougin, le Ménestrel, 15 mars 1885) |
L'action se passe vers le milieu du IXe siècle, sous la domination des Maures. Ben Saïd, ambassadeur du khalife de Cordoue, vient réclamer à Ramire II, roi d'Oviedo, le tribut de Zamora, c'est-à-dire la livraison de vingt jeunes filles. Le sort désigne parmi les victimes Xaïma, la fiancée du soldat Manoël Diaz, dont Ben Saïd a remarqué la grande beauté. Manoël, désespéré, tente de soulever le peuple, supplie le roi de rompre l'odieux marché. Mais le pays est épuisé, on est hors d'état de faire la guerre, et Ben Saïd s'en va, emmenant son troupeau de jouvencelles. A Cordoue, les jeunes filles sont vendues ; Ben Saïd, à prix d'or, achète la belle Xaïma, dont il est épris.
C'est ici que la pièce se complique et devient une espèce de mélodrame. Il y a à Cordoue une prisonnière espagnole, Hermosa, qui est devenue folle et que les Maures, fidèles au précepte du Coran, respectent en cette qualité. Cependant Manoël, déguisé en soldat berbère, est venu à Cordoue. Il est reconnu par Hadjar, le frère de Ben Saïd, à qui il a jadis sauvé la vie et qui, par reconnaissance, promet de lui rendre sa fiancée. Mais Ben Saïd refuse obstinément. Il gardera l'esclave. Provoqué par le soldat, il est sur le point de l'égorger, lorsque Xaïma survient ; Manoël aura la vie sauve, à la condition qu'il parte. La folle arrive alors ; en voyant Xaïma, elle retrouve à la fois sa raison et sa fille. C'est elle qui fait le dénouement. Au dernier acte, Hermosa empêche les malheureux amants de se tuer, et trouvant Ben Saïd seul, après une courte explication, elle le frappe brusquement d'un coup de poignard en pleine poitrine, au moment où le chef arabe, la croyant toujours folle, ne s'y attend pas le moins du monde. Tel est le poème, dont le meilleur personnage est, sans contredit, celui d'Hermosa.
La musique de M. Gounod a paru grise et monotone dans son ensemble. « Sans doute, dit M. Edmond Stoullig, la nouvelle partition de l'auteur de Faust porte, en maint endroit de ses quatre actes, l'empreinte d'un talent de premier ordre. Signé du nom d'un jeune musicien, le Tribut de Zamora pourrait passer pour une révélation. Signée de Gounod, l'œuvre nouvelle semble une redite des mêmes formules et des mêmes cadences si souvent usitées dans les précédentes compositions du maître. » Nous signalerons dans les deux premiers actes, traités en opéra-comique, la sérénade de Manoël, le duo de la fenêtre avec Xaïma, le chœur de la noce, une marche, et surtout l'entrée d'Hermosa la folle. Dans les deux derniers, il faut citer le chant de guerre Debout ! enfants de l'Ibérie, d'un rythme peu original, mais que Mlle Krauss disait et jouait d'une façon sublime dans sa grande scène du 3e acte ; enfin une mélodieuse romance de Ben Saïd, A force de t'aimer, dans le 4e acte, lequel est d'ailleurs regardé comme le meilleur de l'opéra. Le Tribut de Zamora, qui ne s'est pas maintenu au répertoire, eut, en 1881, 34 représentations. Ses principaux interprètes étaient : Mlle Krauss (Hermosa), Mlle Daram (Xaïma), M. Sellier (Manoël Diaz) et M. Lassalle (Ben Saïd).
(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 2e supplément, 1888)
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Médiocre et banal, sans intérêt, sans nouveauté, sans passion, sans poésie, le livret de cet ouvrage mal venu était peu fait pour inspirer un musicien. On peut s'étonner que M. d'Ennery, si habile en son métier et si expérimenté, ait pu se tromper au point de croire qu'un tel sujet, et traité de cette façon, était de nature à fixer un seul instant l'attention des spectateurs. Et l'on a le droit d'être plus surpris encore qu'un artiste de la valeur de Gounod ait pu s'atteler à la tâche ingrate de mettre en musique un aussi vulgaire mélodrame. Ce fut là sa dernière œuvre dramatique, et j'ai regret à dire qu'elle est indigne de son grand nom et de son noble génie. Le Tribut de Zamora n'a dû un semblant d'existence qu'à la merveilleuse interprétation de Mme Gabrielle Krauss, cette admirable tragédienne lyrique.
(Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1903) |
Le Tribut de Zamora fait allusion par son titre à une bataille, perdue par les chrétiens d'Espagne au dixième siècle et au traité humiliant qui l'a suivie. En vertu de ce traité, le seigneur d'Oviedo doit céder sa fille Xaïma au khalife de Cordoue Hadjar ben Saïd. Manoel Diaz, qui l'aime, jure de l'arracher à l'odieux ennemi et se glisse, par une ruse, dans le camp musulman. Xaïma y a retrouvé sa mère captive qui favorisera son évasion, et il est tout naturel que le khalife ait parmi ses captives des danseuses, prêtes au ballet. C'était là un sujet de drame romantique, encore moins approprié à la nature de Gounod que celui de Polyeucte, et qui n'avait pas l'avantage ou l'excuse de lui offrir, toujours reconnaissables sous n'importe quelle musique, de beaux vers. La critique, pleine d'égards pour un maître illustre, s'évertua pour célébrer un morceau d'intention excellente, le récit de la prise de Zamora, chanté par la mère captive, sur ces paroles qu'il suffit de citer :
Debout, enfants de l'Ibérie, Haut les glaives et hauts les cœurs ! Des païens nous serons vainqueurs, Ou nous mourrons pour la patrie !
Grâce à la renommée de Gounod, on parvint à jouer 34 fois dans l'année le Tribut de Zamora, dont l'interprétation comprenait mesdames Krauss, Daram remplacée dès la seconde représentation par Dufrane, Janvier, les chanteurs Sellier, Lassalle, Melchissédec, Giraudet ; depuis lors, l'ouvrage est tombé dans l'oubli.
(Louis Laloy, Cinquante ans de musique française, 1925) |
Catalogue des morceaux
Prélude |
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Acte I - Place publique à Oviedo |
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01 | Chœur d'introduction | Au vieux pays de Cantabrie | Chœurs |
02 | Aubade | Ô blanc bouquet de l'épousée ! | Xaïma, Manoël |
02bis | Scène | Qu'entends-je ? | Xaïma, Manoël, Ben-Saïd, Chœurs |
03 | Cavatine | Quel accent ! quel regard ! | Ben-Saïd |
03bis | Scène | Le seigneur sarrazin | Xaïma, Manoël, Ben-Saïd |
04 | Duo | Pourquoi ce langage odieux ? | Xaïma, Manoël |
05 | Chœur | Entendez-vous la cloche ailée | Chœurs |
05bis | Scène | Que la cloche se taise | l'Alcade, Ben-Saïd, le Roi, Chœurs |
06 | Final | Vous osez prononcer des menaces de mort | Xaïma, Iglésia, Manoël, l'Alcade, Ben-Saïd, le Roi, un Vieillard, Chœurs |
Acte II - Site pittoresque sur les rives de l'Oued-el-Kédir devant Cordoue |
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07 | Chœur | Fêtons, fêtons l'anniversaire | Chœurs |
08 | Récit et Kasidah | Noble Hadjar... La flèche siffle et sur le fer | Hadjar, un Soldat arabe, Chœurs |
09 | Scène et Air | Assez ! je ne veux pas qu'on chante !... Que me dis-tu ? | Hermosa, Hadjar, Chœurs |
10 | Scène, Marche et Chœur | Ainsi, depuis quinze ans... Sonnez, sonnez, clairons ! | Xaïma, Manoël, Hadjar, un Soldat arabe, Chœurs |
11 | Duo et Scène | Je connais cet homme | Manoël, Hadjar |
12 | Marche des Captives | ||
13 | Chœur des Acheteurs | Ah ! quelle moisson fortunée | Xaïma, Manoël, Hadjar, Chœurs |
14 | Trio | Le temps des épreuves cruelles | Xaïma, Manoël, Hadjar |
15 | Récit et Scène | Seule en ce lieu | Xaïma, Hermosa |
16 | Final | Oh ! la pauvre femme | Xaïma, Hermosa, Iglésia, Manoël, le Cadi, Ben-Saïd, Hadjar, Chœurs |
Acte III - Une grande salle du palais de Ben-Saïd |
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17 | Chœur et Récit | Heureuse vie | Ben-Saïd, Chœurs |
18 | Ballet : I. - Barcarolle - II. Danse grecque - III. Pas des guirlandes - IV. Valse - V. Danse espagnole - VI. Danse arabe - VII. Danse des pointes - VIII. Danse italienne | Ma belle, effleurons de nos rames | une Esclave |
19 | Romance | Je m'efforce en vain de te plaire | Ben-Saïd |
20 | Trio | Mon frère ! | Manoël, Ben-Saïd, Hadjar |
21 | Scène du Duel | Cet Espagnol s'attaque ici | Xaïma, Manoël, Ben-Saïd, Hadjar, Chœurs |
21bis | Scène | A la pitié pour moi | Xaïma, Ben-Saïd |
22 | Duo | De sa mort, qui donc parle ici ? | Xaïma, Hermosa |
Acte IV - Les jardins du palais de Ben-Saïd |
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23 | Introduction, Scène et Cavatine | J'ai pu, la nuit venue | Manoël |
24 | Duo | Qu'entends-je ? | Xaïma, Manoël |
25 | Romance et Trio | Malheureux ! Ma mère ! | Xaïma, Hermosa, Manoël |
25bis | Scène | Ô Xaïma, sèche tes larmes | Xaïma, Manoël, Ben-Saïd |
26 | Duo | Il m'injurie encore | Xaïma, Ben-Saïd |
27 | Récits et Scène finale | Tu ne passeras pas ! | Xaïma, Hermosa, Manoël, Ben-Saïd, Hadjar, Chœurs |
Décor de l'acte I lors de la création : place publique d'Oviedo, dessin de Pierre-Auguste Lamy (1881).
Décor de l'acte II lors de la création : entrée de Cordoue, dessin de Pierre-Auguste Lamy (1881).
Décor de l'acte III lors de la création : le palais de Ben-Saïd, dessin de Pierre-Auguste Lamy (1881).
Décor de l'acte IV lors de la création : le jardin du palais de Ben-Saïd, dessin de Pierre-Auguste Lamy (1881).