le Roi de Lahore
affiche pour la création du Roi de Lahore par Antonin Chatinière (1877)
Opéra en cinq actes et sept tableaux, livret de Louis GALLET, musique de Jules MASSENET.
A Monsieur Halanzier-Dufresnoy
Directeur de l'Académie Nationale de Musique
En témoignage de la gratitude des Auteurs de la musique et du poème, pour la constante initiative, les soins personnels qu'il a apportés à la mise en scène de cet ouvrage et le cadre magnifique qu'il lui a donné.
extrait de la partition manuscrite
Création au Théâtre de l'Opéra (Palais Garnier) le 27 avril 1877. Mise en scène d'Adolphe Mayer. Décors de Jean Emile Daran (1er acte, 1er tableau), Auguste Rubé et Philippe Chaperon (1er acte, 2e tableau et 5e acte), Jean-Louis Cheret (2e acte), Jean-Baptiste Lavastre (3e acte), Antoine Lavastre aîné et Eugène Carpezat (4e acte). Costumes d'Eugène Lacoste. Chorégraphie de Louis Mérante.
57 représentations à l’Opéra jusqu'en 1879. Pas de reprise au 31 décembre 1961. Lina Bell y débuta dans le rôle de Kaled le 05 novembre 1877. Edmond-Alphonse-Léon Vergnet y chanta Alim en 1877.
Repris à Marseille le 04 avril 1905. Repris à Monte-Carlo le 13 février 1906.
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costumes d'Eugène Lacoste pour la création du Roi de Lahore
costumes d'Eugène Lacoste pour la création du Roi de Lahore : à gauche, vieil homme (septembre 1876), à droite, cortège entrée du roi de Lahore ; danse (octobre 1876)
personnages | emplois | Opéra, 27 avril 1877 (création) | Opéra, 07 mars 1879 (57e) |
Sitâ, prêtresse du temple d'Indra | soprano | Mlles Joséphine de RESZKÉ | Marguerite BAUX |
Kaled, jeune esclave (travesti) | mezzo-soprano | Jeanne FOUQUET | Pauline Thérèse BLUM |
Alim, roi de Lahore | ténor | MM. Marius SALOMON | Marius SALOMON |
Scindia, son premier ministre | baryton | Jean-Louis LASSALLE | Jean-Louis LASSALLE |
Timour, grand prêtre | basse | Auguste BOUDOURESQUE | Charles BÉRARDI |
Indra, dieu hindou | basse | Georges François Léopold MENU | Eugène BATAILLE |
un Chef | baryton | Numa AUGUEZ | Hermann DEVRIÈS |
Radjahs de la suite de Scindia | GRISY, Etienne SAPIN, MERMAND, LONATI, MONTVAILLANT, FRÉRET | ||
Prêtres, Prêtresses, Chefs et Soldats, Danseuses, Musiciens, Peuple, etc. | |||
Chef d'orchestre | Ernest DELDEVEZ |
Divertissements (création) |
Acte II : Premier Quadrille. — Mlles Gaudin, Testa, Vuthier, Stilb 2e, Méquignon 1re, Fléchelle, Ducosson, Grandjean, Quemin, Keller, Stilb 1re, Dieudonné.
Acte III : Sujets. — Mlles Righetti, Annette Merante, E. Parent, Fatou, Sanlaville, Pallier, Montaubry, Piron, Robert, Mollnar, Lapy, Bussy, Larieux, Mercedes, Bernay, Monchanin, Roumier, Biot. Coryphées. — Moïse 2e, Enclin, Jourdain, Votier, Moïse 1re, Moris, Bourgoin, Grangé, Kahn, Hirsch, Bechade, Gallay, François Desvignes, Biot 2e, Roch, Levy, Elluin, Leroy, Girard. Quadrilles. — Mlles Gaudin, Testa, Vuthier, Stilb 2e, Méquignon 1re, Fléchelle, Ducosson, Grandjean, Quemin, Keller, Stilb 1re, Dieudonné, Hanin, Chislard, Dubois 1re, Prince 1re, Leppich 2e, Subra, Cartiau, Leppich 1re, Prince 2e, Dubois 2e, Roussel 1re, Pamélar, Sacré, Martin, Méquignon 2e, Sonendal.
Acte IV : MM. Leroy, Marius, Baptiste Perrot, Stilb 1er, Galland, Meunier, Michaux, Vandris, Vasquez, Fournot, Lefèvre.
Vingt-quatre Bayadères. Coryphées. — Mlles Kahn, Hirsch, Béchade, Gallay, François Desvignes, Blot 2e, Roch, Lévy, Elluin, Leroy, Girard. Premier quadrille. — Mlles Gaudin, Testa, Vuthier, Stilb 2e, Méquignon 1re, Fléchelle, Ducosson, Grandjean, Quemin, Keller, Stilb 1re, Dieudonné.
Douze Esclaves Persanes. Premier Quadrille. — Mlles Hanin, Chislard, Dubois 1re, Prince 1re, Leppich 2e, Subra, Cartiau, Leppich 1re, Prince 2e, Roussel, Pamélar. |
Utilités - Figuration (création) |
Acte I. - 1er tableau : Deux Fakirs. MM. Jules, Vandris. Cinq Chefs. MM. Marius, Porcheron, Golland, Dieul, Diany.
2e tableau : Peuple. Mmes Meurant, Michaux, Lebreton, Delagneau, Guéroult, Hermet, Malgorne, Lallemand, Drège, Fauvain, Blanc, Jeanne, Marthe, Avenet, Dérosiers, Alice Demey, Mullier, Anaïs, Perrin.
Comparses. Acte II : Soldats. MM. Baptiste Perrot, Marius, Gamforin, Porcheron, Barbier, Galland, Hoquante, Guillemot, Gabiot, Dieul, Michaux, Meunier, Stilb, Vandris, Bussy, Diany, Vasquez, Elisée, Fournot, Lefèvre, Berger.
Acte III : Un Joueur de flûte. Mlle Accolas. Douze Femmes. Mmes Michaux, Delagneau, Lallemand, Drège, Fauvain, Blanc, Jeanne, Dérosier, Demey, Mullier, Anaïs, Perrin. Quatre Jeunes filles. Mlles Pommerais, Chabot, Deschamps, Vignon.
Acte IV : Rajahs. MM. Poncot, Gamforin, Diany. Neuf Officiers. MM. Jules, Hoquante, Guillemot, Porcheron, Gabiot, Barbier, Dieul, Elisée, Bussy. Peuple. Mmes Meurant, Michaux, Lebreton, Delagneau, Guéroult, Hermet, Malgorne, Lallemand, Drège, Fauvain, Blanc, Jeanne, Marthe, Avenet, Dérosiers, Alice, Demey, Mullier, Anaïs, Perrin. Comparses.
Acte V : Tableau final. — Paradis. Mlles Gaudin, Testa, Vuthier, Stilb 2e, Méquignon 1re, Fléchelle, Ducosson, Grandjean, Quemin, Keller, Stilb 1re, Dieudonné, Manin, Chislard, Dubois 1re, Prince 1re, Leppich 2e, Subra, Castiaux, Leppich 1re, Prince 2e, Dubois 2e, Roussel, Pamélar, Sacré, Martin, Méquignon 2e, Vendoni, Salle, Poulain, Sonendal, Sergy, Anat, Lambert, Rossi, Leriche, Marchisio, Mayer. |
les créateurs du Roi de Lahore, caricature d'Eugène Cottin parue dans la Grenouille n° 13, 13 mai 1877
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Joséphine de Reszké (Sitâ) lors de la création |
Auguste Boudouresque (Timour) lors de la création |
Jean-Louis Lassalle (Scindia) lors de la création
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Jeanne Fouquet (Kaled) lors de la création |
Georges Menu (Indra) lors de la création |
Composition de l’orchestre
2 flûtes (la 2e aussi piccolo), 2 hautbois, 2 clarinettes (en si b / la), saxophone alto en mi b (acte III), saxophone ténor en si b (acte III), 2 bassons, 4 cors naturels, 2 cornets à pistons, 2 trompettes chromatiques en fa, 4 trombones, tuba, contrebasse de Sax en si b (à partir du final de l’acte III), 2 harpes (à l’unisson, sauf dans le Divertissement où il peut y en avoir 4 : 1 soliste, 3 d’accompagnement), 2 timbales, triangle, tambour militaire, grosse caisse, cymbales, tambour indien, jeu de timbres, tam-tam, cordes
(Dans la coulisse) :
Acte I, IV et V : 1 harmonium, (2) harpe(s) (1 partie), triangle, tambour indien, tam-tam
Acte III et IV : 4 cornets à pistons en si b, 4 saxhorns ténors en mi b
Acte III : 4 paires de cymbales antiques pour les danseuses
une page du manuscrit de la partition du Roi de Lahore
Résumé.
L’action se déroule en Inde, à l’époque de l’invasion du sultan Mahmoud, au XIe siècle.
Acte I. 1er tableau : Devant le temple d'Indra, à Lahore. Scindia aime Sitâ et exige que la prêtresse lui soit livrée. Mais celle-ci a reçu un homme secrètement chez elle et a mérité ainsi la peine de mort. 2e tableau : Le sanctuaire d'Indra, dans le temple. Scindia demande la main de Sitâ, mais il est repoussé par elle. Il est obligé de se plier, dès qu'il est constaté que l'inconnu reçu par Sitâ n'a été personne d'autre que le roi. Furieux, Scindia jure de se venger sur la personne du roi Alim.
Acte II. Le camp des troupes du roi Alim dans le désert de Thôl. — L'armée d'Alim est battue. Alim, grièvement blessé par Scindia, auteur de l'insurrection, meurt dans les bras de Sitâ. Scindia se proclame roi et fait arrêter Sitâ.
Acte III. Le jardin des Bienheureux, dans le Paradis d'Indra sur le mont Mérou. — Alim, le défunt, implore le dieu Indra, de se trouver encore une fois ensemble avec sa bien-aimée Sitâ. Il lui accorde cette faveur, à condition de revenir sur terre comme mendiant et de mourir ensuite, en même temps que Sitâ.
Acte IV. Grande place devant le palais royal à Lahore. — Scindia a succédé à Alim et veut, malgré elle, épouser Sitâ qui est amenée au palais. Alim, revenu sur terre, voit sa bien-aimée. Il veut se précipiter sur elle, mais le peuple l'en empêche. Les prêtres l'arrêtent.
Acte V. 1er tableau : Le sanctuaire d'Indra. Sitâ, exaspérée, se précipite au temple pour se suicider. Elle a réussi à s'évader de l'entourage de Scindia qu'elle haït. Subitement ses regards se portent sur Alim : elle se jette dans ses bras. C'est à ce moment que Scindia la surprend. Il poignarde Sitâ. Alim meurt également en tenant Sitâ dans ses bras. 2e tableau : La pièce se termine par une apothéose qui nous montre les deux amoureux monter ensemble au séjour des bienheureux.
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Et quelle symphonie encore que celle où sont montrées et animées les subtiles et ineffables voluptés du paradis d'Indra. Les chœurs dansés et chantés sur des arpèges de harpes, le lent adagio du hautbois autour duquel les notes des instruments voltigent comme des papillons affolés de caprice ; le dialogue contrasté des deux saxophones, que commentent avec un si poétique esprit les cors, les bassons et les hautbois ; les variations, les rythmes, les caprices qui, constamment ramenés a une cadence unique, s'enroulent au motif comme les jeux fleuris du statuaire caressant une ligne architecturale ; les tintements des carillons, envolés comme des oiseaux de flamme, racontent délicieusement, tandis que les danses se déroulent, se succèdent ; les pays paradisiaques ! réalisés par le décor où les fleurs géantes, effrénées, vertigineuses, embrassent les grands arbres, retombent en lourdes grappes de pourpre et de rose, épuisent le jaune des carmins et des laques et posent sur les vastes feuilles aigües des baisers d'aurore, tandis qu'au lointain, dans la blanche lumière, brille la montagne violette au-dessus de la tête d'Indra, immobile, et que le casque de diamants du jeune dieu Naréda brille comme un millier d'astres. Ici Goethe ne saurait dire : Plus de lumière encore ! Et il me semble même que, dans cet éblouissement de clarté, le plus résigné des bienheureux demanderait quelque chose comme l'ombre d'une feuille sur son front. Mais je m'arrête. Les interprètes ont été acclamés, et avant tous Mlle de Reszké et M. Lassalle. M. Lassalle, qui a merveilleusement chanté son rôle de Scindia, a l'air d'un véritable roi indien. Quant à Mlle de Reszké, dont la voix magnifique a si bien fait valoir la scène de la vision et les duos d'amour, elle n'a rien changé à sa beauté polonaise et à sa ruisselante chevelure blonde, et elle a eu bien raison ; que l'Inde s'arrange comme elle voudra ! (Théodore de Banville, le National, 1877)
Nous sommes heureux de le constater, le Roi de Lahore est un succès, un succès bien franc, qui ne doit rien à la camaraderie ni à la réclame. L'opéra de M. Massenet atteste un talent de premier ordre, et l’on doit féliciter hautement M. Halanzier qui l’a accueilli et l'a monté avec un luxe de mise en scène inouï. (Victorin Joncières, la Liberté, 1877)
Les décors sont d'une richesse et d'une vérité éclatantes. La vue de Lahore, baignant ses palais et ses pagodes dans l'eau bleue, est une vision exquise. J'aime moins le paradis, déjà fameux du troisième acte. C’est somptueux, mais c'est un fouillis de couleurs qui rappelle les apothéoses souvent criardes des féeries anglaises. Le défilé du cortège du roi de Lahore est magnifique. Il y a là des costumes qui donnent l'illusion de la réalité. M. Salomon est très convenable, M. Lassalle fort remarquable et en grand progrès. Mlle de Reszké, belle à ravir, avec ses longs cheveux blonds, a fait applaudir aussi sa jolie voix. En somme, un beau spectacle et une musique mélodieuse. M. Massenet doit être content. (Jules Claretie, le Petit Journal, 1877)
Confiée à MM. Salomon. Lassalle, Boudouresque et à Mlle de Reszké, c'est-à-dire aux principaux sujets de l'Opéra, l'interprétation du Roi de Lahore est aussi satisfaisante qu'elle pouvait l'être. Les costumes — on les compte par centaines — sont d'une richesse éblouissante ; la magnificence des décors n'a jamais été surpassée. L'intérieur du temple, le désert de Thol avec ses roches calcinées et son ciel de feu, le paradis d'Indra, malgré une crudité de ton qu'il serait facile d'adoucir, sont de véritables merveilles. C'est M. Eugène Lacoste qui a dessiné les costumes. M. Massenet étant arrivé à l'Opéra, il faut espérer que d'autres, jeunes aussi, ou jeunes encore, y arriveront après lui. Pourquoi donc toujours jeter la pierre a M. Halanzier et répéter sans cesse qu'il est hostile aux talents nouveaux ? Saurait-on prétendre à l'honneur d'être admis sur notre première scène lyrique sans avoir fait des preuves ailleurs ? Ah ! parmi ceux qui récriminent contre le fortuné directeur de l'Opéra, il en est plus d'un qui devrait bien se demander ceci : Qu'a donc fait de moins pour moi ce directeur-là que tel autre ? (Ernest Reyer, Journal des Débats, 1877)
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Le poème, profondément inspiré de la mythologie
indoue, était on ne peut plus favorable aux développements de la partition et de
la mise en scène. Le fond a pour sujet la légende d'un prince mort le jour de
ses noces et qui, arrivé au ciel, supplie Indra de lui rendre la vie, dût-il
payer la plus courte existence de dix siècles de tourments ; il veut revoir sa
fiancée. Indra y consent, à condition qu'il mourra le même jour que la femme
aimée.
Tu vas la relever aujourd'hui de ses vœux,
dit-il à Timour. Au second tableau, la scène se
passe dans l'intérieur du temple : toutes les femmes vierges sont prosternées
devant l'autel, et parmi elles Sita. Scindia lui annonce qu'elle est relevée de
ses vœux et qu'il va la marier ce jour même ; joie de Sita, qui croit épouser le
bel inconnu avec lequel elle a eu quelques mystérieux rendez-vous ; mais cette
joie est courte : c'est son oncle lui-même, le vieux Scindia, qu'il lui faut
épouser. Elle refuse ; Scindia veut l'entraîner de force, elle résiste, et le
vieillard, frappant sur un gong, fait accourir tous les prêtres ; il l'accuse
d'avoir trahi ses vœux, et des cris de mort répondent aussitôt à cette
dénonciation. Alim, le roi de Lahore, apparaît, à l'aide d'une porte secrète qui
s'ouvre dans un des piliers du temple, et, étendant la main sur Sita, s'écrie :
« Sita m'appartient ; qu'elle vive ! ». Le grand prêtre la délie de ses vœux,
elle va être couronnée reine ; mais il faut qu'Alim marche contre les musulmans
avant de consommer le mariage.
Le dieu l'exauce :
Qu'il dorme dans la tombe et marche sur la terre, Le tableau suivant nous montre le couronnement de Scindia traînant près de lui la fiancée d'Alim. Celui-ci, revenu sur la terre, couche enveloppé de vêlements de laine, comme un mendiant, sur les marches de son ancien palais. Le cortège défile ; il se relève et montre sa figure à Scindia, qui pâlit ; il y a de quoi. Voir revenir tout à coup un homme qu'on a assassiné et remplacé sur le trône, cela n'est pas fait pour vous égayer. Alim se penche à son oreille et lui dit qu'il ne réclame rien que Sita. Scindia, se remettant un peu de son trouble, montre l'insolent au peuple et veut le faire massacrer comme imposteur ; le grand prêtre intervient et sauve Alim en disant que c'est un fou ; en Orient, les fous sont sacrés ; mais il ne peut l'empêcher d'accabler d'injures Sita, qu'il croit infidèle en la voyant paraître à la suite de Scindia. Or, Sita l'aime toujours et elle le lui prouve bien au cinquième tableau ; elle se réfugie dans le temple, pour éviter d'entrer dans la chambre nuptiale, et vient, pour se frapper d'un poignard, près du pilier où lui apparaissait autrefois son amant. Alim, caché parmi les prêtres, s'élance et l'arrête ; ils tombent dans les bras l'un de l'autre ; mais Scindia, à la poursuite de la fugitive, pénètre dans le temple ; il va reprendre Sita ; celle-ci ne trouve d'autre moyen de lui échapper que de s'enfoncer dans le cœur le poignard qu'elle tient encore à la main, et, suivant l'ordre d'Indra, Alim expire au même instant qu'elle se frappe. Le dernier tableau nous montre les deux amants réunis dans le paradis d'Indra, et cette fois pour toujours.
La partition de M. Massenet est digne de ce poème
si riche en péripéties dramatiques. Les morceaux les plus remarquables de son
œuvre sont : l'ouverture, qui est d'une facture brillante ; au premier tableau,
l'air de Scindia : Je veux croire à son innocence ; au deuxième, un
agréable chœur de femmes :
Ame timide, et le finale en mi bémol qui termine ce tableau. L'entr'acte du premier au second acte est rempli par un morceau symphonique où les sonneries de trompettes et les coups de tam-tam racontent la bataille engagée. Le troisième tableau est rempli de détails intéressants ; le quatrième, celui du paradis d'Indra, a de jolis airs de ballet, notamment une valse et des variations sur une mélodie indoue d'une couleur originale ; c'est là le point culminant de l'opéra, et le compositeur a su se maintenir à une égale hauteur dans les deux derniers tableaux. (Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1er supplément, 1878)
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caricature italienne de Massenet
L'idée du poème de cet opéra a de la grandeur, mais l'affabulation manque de l'élément qui touche le cœur du spectateur, émeut sa sensibilité ; cet élément est le côté humain, c'est l'expression de sentiments naturels. Une donnée qui est toute de convention peut étonner, elle ne touche pas. Le drame a beau être placé à l'extrémité du monde, à une époque reculée, au sein d'une civilisation différente de la nôtre, à Khmer, dans la ville d'Angkor, quelque part que ce soit, l'âme humaine doit s'y retrouver vivante, avec ses passions et avec une sanction de ses vertus ou de ses crimes. Si cet élément essentiel est omis, la curiosité remplace l'intérêt et le compositeur ne peut vivifier son inspiration près d'un foyer éteint. Ces réserves faites sur la conception de l'idée du livret du Roi de Lahore, je ne fais aucune difficulté de reconnaître que la forme en est poétique et qu'il offre des vers favorables à la musique. Le livret du Roi de Lahore a beaucoup d'analogie avec celui de l'opéra de la Vestale, comme on va le voir. Alim, roi de Lahore, aime en secret Sità, jeune prêtresse et nièce du grand prêtre Timour ; il vient chaque soir la trouver dans le temple ! C'est sur ces entrefaites qu'on apprend que le sultan Mahmoud s'approche des murs de Lahore qu'il menace d'envahir. Le peuple invoque la protection de sa triple divinité. Scindia, brûlant d'une passion violente pour la jeune prêtresse, vient demander sa main au grand prêtre, qui la lui refuse parce qu'elle a déjà prononcé ses vœux sacrés, dont le roi seul a le pouvoir de la relever. Scindia est puissant ; après Sélini il est le plus grand seigneur du royaume. Il sait qu'un inconnu s'introduit le soir dans le temple et il exige que Sità soit interrogée. Dans un second tableau, qui représente le sanctuaire d'Indra, Scindia s'efforce de faire partager son amour à Sità qui le repousse. Le gong sacré retentit ; tous les prêtres arrivent et, en leur présence, Scindia dénonce le crime de Sità, qui doit l'expier par la mort. Son complice se déclare ; il est le roi ; il obtient le pardon de la prêtresse parjure et s'engage à sauver la patrie du danger qui la menace, si Timour lui accorde la main de sa nièce. Le grand prêtre y consent. Scindia jure de se venger de cet affront. Au second acte, les armées sont en présence dans la plaine de Thôl. Sità se livre à l'espérance de voir Alim victorieux ; loin de là, le roi est frappé dans la mêlée par Scindia. Les troupes d'Alim, privées de leur chef, fuient en désordre. Scindia les ramène à Lahore, tandis que le roi, blessé, meurt dans les bras de Sità. Le troisième acte se passe dans le paradis d'Indra. Au milieu des félicités célestes, des chœurs de danses des apsaras, Alim est malheureux et regrette la bien-aimée qu'il a laissée sur la terre: Il demande à Indra de revivre à quelque condition que ce soit. Le dieu lui permet de revenir sur la terre, mais sous la forme d'un simple mortel et dans la plus humble condition. En outre, il devra mourir au moment où Sità mourra elle-même. Alim accepte ces conditions. Au quatrième acte, Alim erre inconnu autour de son palais, où règne son rival qui va épouser Sità. La ville a été délivrée de ses ennemis et le peuple témoigne son allégresse par des fêtes, lorsqu'au milieu d'un magnifique cortège Scindia s'avance pour accueillir Sità qu'on amène au palais. Alim se présente et veut se faire reconnaître en réclamant ses droits. Scindia et toute sa cour le traitent d'imposteur, et le pauvre Alim serait immolé sur place si le grand prêtre ne le protégeait en déclarant qu'il a perdu la raison, que, par ce fait, il est devenu un être sacré, et qu'il est interdit par la religion d'attenter à ses jours. Au cinquième acte Sità, qui s'est arrachée des bras de Scindia, est venue se réfugier dans le sanctuaire d'Indra ; Alim vient l'y rejoindre. Les deux amants, confondant leurs espérances avec leurs illusions, se préparent à fuir ensemble, lorsque Scindia pénètre dans le sanctuaire par une porte secrète. Sità se donne alors la mort et, en même temps, Alim tombe frappé du même coup, selon la volonté du dieu. Le fond de la scène change et l'on voit les deux amants monter ensemble au séjour des bienheureux, tandis que Scindia reconnaît qu'une main divine est étendue sur sa tête et punira ses crimes. Ce livret, par son caractère grandiose et un peu hyperbolique, par ses contrastes tour à tour violents et paradisiaques, convenait aux tendances naturelles du compositeur telles qu'elles se sont manifestées jusqu'ici dans ses précédents ouvrages, tour à tour impétueuses et empreintes d'une certaine religiosité. Possédant une vaste connaissance de toutes les sonorités de l'orchestration, il en a prodigué les ressources et les effets peut-être au delà de ce qu'une pleine possession de lui-même lui suggérera certainement dans la carrière brillante qu'il aura à parcourir. La perfection d'une œuvre réside dans l'équilibre de toutes les parties qui la composent. Les morceaux qui ont produit le plus d'effet sont d'abord : l'ouverture, qui est pleine de verve et de caractère ; le chœur, Bientôt les musulmans ; le duo de Scindia et de Timour ; le chœur des prêtresses ; le récit de la vision par Sità ; le bel ensemble, Viens, je ne serai pas ton maître. Tout ce premier acte est remarquable. Dans le second acte, je signalerai la scène des soldats jouant aux échecs et le duetto pour voix de femmes. L'acte qui suit se passe dans le paradis d'Indra, où M. Halanzier a accumulé toutes les magnificences dont l'Opéra français est susceptible. On a remarqué la marche céleste, les motifs du ballet, entre autres un solo de saxophone et une valse lente, et, par-dessus tout, l'incantation dite par Indra, Qu'il soit lui, qu'il ne soit plus lui, reprise par le chœur, dont la sonorité arrive aux dernières limites de l'intensité. Le morceau le plus applaudi de tout l'ouvrage est la cantilène chantée au quatrième acte par Scindia : Promesse de mon avenir. On distingue encore dans le finale une phrase d'un grand effet, C'est un dieu qui l'inspire. Au cinquième acte, si on en excepte l'air pathétique de Sità, De ma douleur que la mort me délivre, la musique est subordonnée exclusivement au drame, d'après une théorie d'outre-Rhin acceptée et mise en œuvre par nos compositeurs français avec trop de docilité, à mon avis. Comme dans les opéras de M. Wagner, M. Massenet a reproduit çà et là des phrases caractéristiques qui donnent, il est vrai, une sorte d'unité à l'œuvre dramatique. Cet effet a été souvent employé par les plus grands maîtres avant M. Wagner, mais avec discrétion. Si on abusait de ce procédé, il en résulterait quelque monotonie et le but ne serait pas atteint. L'interprétation de cet ouvrage, monté avec un grand luxe de décors et de costumes, a été excellente. (Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément, 1880)
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Je finis par où j'aurais dû commencer, suivant l'ordre chronologique, en parlant de l'ode de Victor Hugo, la Lyre et la Harpe, mise en musique par M. Camille Saint-Saëns, et récemment exécutée au concert Pasdeloup, et du Roi de Lahore de M. J. Massenet, actuellement en cours de représentation, à Lyon, sur la scène du Théâtre Bellecour. Dirigé par M. Bouchez-Hallé, soutenu par M. Guimet, qui, très épris des choses d'art, fait l'usage le plus intelligent d'une fortune considérable, le Théâtre Bellecour, taillé pour ainsi dire dans un îlot de vieilles maisons lyonnaises, est certainement une des meilleures et des plus belles salles de l'Europe. L'architecte, M. Chapron, qui va, du reste, bâtir, avenue de l'Opéra, un théâtre dans le même genre, a tiré un parti excellent de l'emplacement mis à sa disposition. J'aurai l'occasion de revenir sur l'aménagement de cette salle ; après en avoir loué, en principe, l'ordonnance générale, je n'y veux relever qu'un défaut, — encore ce défaut ne doit-il pas être absolument mis à la charge de l'architecte ; — le Théâtre Bellecour n'a pas de parterre. On a relégué dans les étages supérieurs ce public spécial qui n'aime pas à payer sa place trop cher et veut pourtant être bien placé, sachant que l'on doit compter avec lui. C'est dans le parterre que bat le cœur de la foule ; c'est de ce centre toujours plus vivant, plus tumultueux, que partent les applaudissements et les protestations, dont l'influence sur la masse du public est incontestable. Cette action du parterre est surtout remarquable dans les théâtres de province, d'où sont proscrits généralement les entrepreneurs de succès. Là, certain de n'être pas confondu avec les gagistes du chef de claque, le spectateur s'abandonne à ses impressions, il les exprime avec une sincérité absolue et une ardeur souvent passionnée, mais toujours précieuse pour qui aime à recueillir dans sa franchise première l'effet d'une œuvre sur le public. La partie qui s'étend de l'orchestre des musiciens aux baignoires de face est, au Théâtre Bellecour, uniquement occupée par des fauteuils où les femmes sont admises. Si l'aspect y gagne en élégance et en clarté, les chanteurs n'y trouvent pas leur compte : ce public plus réservé et surtout moins homogène ne vaudra jamais pour eux le bon public du parterre, avec ses brutalités et ses enthousiasmes. Cette disposition défectueuse, mais non irrémédiable de la salle Bellecour, n'a pas empêché M. Massenet d'obtenir, notamment après le troisième acte, une de ces bruyantes ovations qui comptent dans la carrière d'un compositeur. La Direction lui avait fourni, d'ailleurs, de remarquables éléments. L'orchestre, composé de 75 musiciens, est excellent ; il rend les nuances avec une délicatesse et les grands effets de sonorité avec une plénitude qu'il est bien difficile d'obtenir dès la première représentation d'un ouvrage tel que le Roi de Lahore. Au point de vue vocal, l'interprétation était confiée à M. Léon Achard, chanteur expérimenté, qui a joué son rôle d'Alim avec un haut sentiment dramatique ; à Mlle Marie Léon-Duval, jeune cantatrice très applaudie en Italie et en Amérique et qui attend maintenant son avenir de la carrière française ; à M. Bacquié, que nous avons entendu à l'Opéra-Comique, et à M. Dénoyé, une basse que nous entendrons vraisemblablement à l'Opéra. Le personnage de Kaled était revenu à la créatrice de ce très petit rôle, Mlle Fouquet, dont la voix a pris une remarquable ampleur. Le baryton Lassalle, qui chante le Roi de Lahore, tantôt en italien, tantôt en français, a retrouvé à Lyon son succès de Paris, de Londres et de Milan. C'est la faute des circonstances et non la sienne s'il ne chante pas aussi à Madrid, en compagnie de Tamberlick, cet ouvrage pour lequel il a une prédilection très vive. Sa superbe voix, son jeu chaleureux, ont donné au rôle de Scindia un relief qui a évidemment contribué au succès ; par contre, avec une modestie peu commune, il avoue volontiers, dit-on, que c'est surtout depuis cette création qu'il est « quelqu'un ». C'est, on le voit, entre le rôle et son interprète, un échange de bons offices également profitable à tous les deux. Quand j'aurai fait l'éloge d'une mise en scène fort soignée, fort brillante dans son ensemble, il ne me restera, — étant donné un opéra déjà bien connu, représenté à Paris et dont l'analyse n'est plus à faire, — qu'à noter une impression personnelle, au sujet de la direction de l'orchestre. C'est le compositeur qui a pris lui-même, le premier soir, la place du chef, M. Lévy ; nous avons eu alors ce spectacle, très rare en France et particulièrement intéressant, de l'auteur jeté en plein dans son œuvre, interprète de sa propre pensée et se livrant tout entier au public, avec elle. Cette expérience, déjà tentée partiellement aux concerts de l'Hippodrome, nous a fait regretter qu'une tradition, un privilège ou un préjugé s'oppose chez nous à ce que les compositeurs conduisent eux-mêmes leurs œuvres, surtout leurs œuvres dramatiques, au moins pendant les trois premières soirées, toujours si redoutables et si décisives. A cette direction personnelle, l'exécution gagne incontestablement une unité et à la fois une variété que l'auteur seul peut lui imprimer. M. Massenet, nature nerveuse, ardente et fine, est une de ces physionomies que l'on étudie en pareil cas, avec d'autant plus d'intérêt que l'occasion de les observer doit être très exceptionnelle. Pâle, il monte au pupitre ; avec un demi-sourire et un salut discret, il s'assied ; puis, rendu à lui-même, dégagé du public, devant la toile baissée, il a un regard noir qui dévore et où se peint la légitime préoccupation de l'artiste soucieux de la lutte. Il lève l'archet ; l'orchestre part. Dès cet instant, le compositeur oublie tout : cet orchestre n'est plus qu'un instrument dont il joue pour lui-même ; il se laisse entraîner par le courant qu'il déchaîne ; il est, à la fois, le flot et le souffle ; il chante avec le chanteur, il se passionne avec le drame ; souvent, il se lève soudainement et quand, dans un essor suprême, il a emporté son orchestre, subjugué son public, il retombe avec le dernier accord, de nouveau souriant, au milieu des cris et des bravos ; puis, comme s'il redoutait de paraître vouloir triompher seul, d'un geste circulaire, avec une courtoisie tout italienne, il montre aux spectateurs, il confond dans sa victoire les artistes, l'orchestre, les chœurs qui l'ont aidé à l'obtenir. (Louis Gallet, la Nouvelle Revue, 15 février 1880)
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esquisse de décor du 1er tableau de l'acte V (Intérieur du sanctuaire d'Indra) par Philippe Chaperon (1876) pour la création à l'Opéra
C'est par cette œuvre que commença à se répandre la renommée de Massenet. Et aujourd'hui encore, après tant de diverses et admirables productions, le Roi de Lahore mérite d'être compté parmi les meilleures partitions qu'ait écrites le Maître. L'atmosphère même du sujet était particulièrement favorable et, de façon générale, au traitement musical et, en l'espèce présente, au tempérament même de Massenet. On y observe une profusion de cette couleur exotique qui inspirera si heureusement le Maître dans Hérodiade, dans Thaïs, dans le Mage, dans Esclarmonde, qui apparaissait déjà dans Marie-Magdeleine. Ici le caractère en est poétique, entre tous, grâce à ce cadre merveilleux que fournit l'Inde brahmanique, grâce au charme intense, prenant, communicatif, de ses légendes et du peuple qui vit là. Et, avant de parler de l'œuvre musicale, il convient de constater que le librettiste, Louis Gallet, a très remarquablement réalisé sa tâche et fourni un terrain propice à l'inspiration du compositeur. Voici le sujet de la pièce : Au lever du rideau — après une belle ouverture de forme classique, sur laquelle nous reviendrons — le théâtre représente l'entrée du temple d'Indra, à Lahore. Les musulmans ont envahi l'Inde, et le peuple est venu implorer le secours de la divinité. Timour, le grand-prêtre, encourage les suppliants. Cependant arrive Scindia, le ministre du roi Alim ; resté seul avec Timour, il déclare son amour pour sa propre nièce, Sita, devenue prêtresse du temple, et demande à Timour de dégager celle-ci de ses vœux. Comme Timour refuse, Scindia lui révèle qu'un inconnu est reçu par la jeune fille, encouragé dans un espoir sacrilège. Timour, indigné, s'engage à vérifier le bien fondé de l'accusation : si Scindia dit vrai, Sita lui sera livrée. Au deuxième tableau, nous voyons le sanctuaire même d'lndra. Sita est entourée de prêtresses. Scindia s'approche d'elle, lui dit de douces paroles et parvient à lui arracher l'aveu, qu'un jeune homme vient dans le temple et n'est point vu d'un œil indifférent. Scindia la supplie d'abord d'oublier cet étranger, puis s'emporte et la menace. Comme elle ne cède point, il appelle les prêtres, accuse devant eux Sita d'un amour sacrilège. L'étranger a coutume de venir lorsque Sita entonne la prière du soir : on veut donc forcer la malheureuse fille à commencer l'hymne, afin d'attirer le coupable dont les prêtres pourront ainsi s'emparer. Elle refuse, et les prêtres furieux s'apprêtent à la frapper, quand soudain s'ouvre une porte dérobée : l'étranger apparaît, et on reconnaît en lui le roi Alim, qui avoue la tendresse qu'il ressent pour Sita et réclame la jeune fille pour sa femme. Mais Timour élève la voix : l'amour du roi est un crime qui doit être expié ; que le roi, comme pénitence, rassemble ses troupes et parte à leur tête combattre les Musulmans. Scindia, déçu dans sa passion, bouillonne de haine contenue et projette contre Alim une embûche mortelle. Le deuxième acte se passe dans le désert de Thôl où le roi Alim a dressé son camp. Auprès de sa tente est celle de Sita, car la jeune fille a tenu à suivre son fiancé à la guerre. Au moment où le rideau se lève, elle attend précisément qu'Alim revienne du combat, et involontairement s'inquiète, tout en songeant à la douceur de revoir le bien-aimé. Or, voici qu'un tumulte monte ; des soldats fuient, jetant leurs armes. C'est la déroute des troupes d'Alim. Le bruit se répand que le roi est mortellement blessé. Scindia lui-même se présente et déclare que c'est là la peine du sacrilège. Par d'habiles paroles, il conquiert les soldats à sa propre cause et s'apprête à usurper le trône de Lahore. Alim, mourant, se dresse vainement contre le perfide Scindia, qui, sûr de son pouvoir désormais, raille impudemment son ancien maître, que tous abandonnent bientôt. Sita reste seule auprès d'Alim. Les deux amants connaissent un instant la joie d'être réunis sans témoins, et chantent passionnément leur mutuelle flamme. Mais bientôt les cris des soldats révoltés se font de nouveau entendre. Alim, dans un dernier élan, veut se lever, mais il retombe : la mort a fait son œuvre. Sita se désespère. Des soldats passent et, sur un ordre de Scindia, s'emparent de la malheureuse, l'entraînent avec eux. L'acte suivant se passe, non plus sur la terre, mais au paradis d'Indra, parmi les âmes heureuses qui chantent et s'exaltent. Les Apsaras ou danseuses célestes évoluent harmonieusement. L'âme d'Alim arrive au milieu de toute cette félicité, se présente devant le dieu Indra. Elle paraît triste, malgré les splendeurs qui l'entourent, malgré la présence divine. Doucement, Indra interroge : Alim regrette la terre et surtout l'amour de Sita ; à tout prix il voudrait vivre de nouveau. Indra s'apitoie : la vie sera rendue à Alim, mais non point avec elle, toutefois, la magnificence royale. Alim revivra sous la forme d'un homme de la condition la plus humble. Joyeux, il accepte. Un chœur des bienheureux salue la décision d'Indra. Au quatrième acte, nous sommes revenus à Lahore. Alim dort sur les marches du palais des rois. Il entend encore les célestes mélodies, et se réveille, l'âme remplie de bonheur et de reconnaissance. Devant lui passent des officiers du palais. Le couronnement de Scindia va avoir lieu. Mais Alim ne pense qu'à Sita. Bientôt défile le cortège. L'usurpateur, salué par toute la foule, s'apprête à rejoindre Sita, à lui déclarer une fois de plus son amour. A ce moment, Alim s'avance et interpelle brusquement Scindia ; tous frémissent de stupeur, car ils reconnaissent les traits et la voix d'Alim. Scindia est épouvanté devant celui qu'il prend pour un spectre vengeur. Mais presque aussitôt, quand Alim revendique Sita, une clameur s'élève : c'est un fou. Rassuré, Scindia ordonne de tuer l'insolent. Mais Timour s'interpose, et avec lui les prêtres et le peuple : il faut respecter le pauvre illuminé, qu'un dieu inspire ; une vénération superstitieuse fait place à la frayeur, Alim est sauvé pour l'instant, et Timour déclare qu'en réclamant Sita, l'illuminé n'a fait qu'exprimer la volonté du dieu à qui Sita fut vouée. Scindia n'a pas écouté la voix du grand-prêtre et, au cinquième acte, nous voyons Sita qui, fuyant la chambre nuptiale, est venue se réfugier dans le sanctuaire d'Indra ; quand cet asile ne la protégera plus, la mort sera sa ressource suprême. Mais Timour a conduit Alim dans le sanctuaire, et bientôt les deux amants se retrouvent, se reconnaissent, se jettent aux bras l'un de l'autre, éperdument heureux. Hélas ! le temple est gardé ; Scindia lui-même arrive et menace les amants. Sita, désespérée, se frappe d'un poignard. Or, la volonté d'Indra avait été qu'Alim, ressuscité, ne vécût pas plus longtemps que sa bien-aimée. Aussi la vie quitte-t-elle en même temps les deux amants heureux d'être réunis pour toujours. Et Scindia, impuissant désormais, les contemple, atterré par la puissance divine dont il sent planer la majesté sur ceux mêmes qu'il persécuta. Des voix bienheureuses se font entendre et accueillent Alim et Sita au seuil de l'éternelle félicité. *** On voit combien la trame dramatique est par elle-même attrayante, pittoresque, fertile en émotion et en passion. La musique, superbe de tenue et d'envolée, manifeste les mêmes qualités portées au degré suprême. L'inspiration du maître Massenet s'y affirme abondante, fraiche, vive et diverse. Il est particulièrement intéressant de constater comment, en cette première d'entre les grandes œuvres du compositeur, se révèlent déjà toutes les qualités et toute la personnalité dont il fera preuve durant tout le cours de sa longue et brillante carrière. Parmi ces qualités, la principale, celle dont les manifestations sont chez lui dominantes entre toutes, c'est la tendresse, la poésie amoureuse. Et, quoique les personnages d'Alim et de Sita ne soient pas exclusivement au premier plan, quoique bien d'autres passions fermentent dans l'œuvre, il n'en reste pas moins vrai que ces deux amants, prototypes de tous ceux dont Massenet dépeindra les souffrances et les joies, sont évoqués de saisissante et d'inoubliable manière. Toute la grâce, toute la ferveur dont la musique est capable flottent autour des rêveries de Sita, des espérances et des regrets d'Alim, s'exaltent dans le duo du deuxième acte, comme dans celui de la scène finale. L'œuvre entière de Massenet ne nous offre pas de figure plus profondément poétique que celle de Sita, et de caractère plus noblement passionné que celui d'Alim. Ces précieuses facultés d'homme de théâtre, par où Massenet brille, sont sensibles dès le début de la pièce, dans le vif dialogue, si habilement conduit, de Scindia et de Timour, et s'affirment d'éclatante manière au moment tragique où Sita, malgré les menaces des prêtres, se refuse à chanter l'hymne qui attirera vers le danger son amant mystérieux. Signalons encore au passage la touchante page lyrique où Sita, avec sa servante Kaled, espère le retour d'Alim, et la tragique réalisation de la déroute qui interrompt cette douce rêverie, contraste qui pourrait être superficiel et brutal, mais qui reste, au contraire, d'une simplicité extrême, tant la musique a de sincérité et de vie. L'atmosphère d'effusion mystique qui caractérise de si particulière façon certaines œuvres de Massenet règne durant tout le troisième acte ; fort imprégnée, naturellement, de paganisme, mais de ce paganisme hindou si rempli de véritables sentiments de religiosité, de méditation et de foi. L'ample sérénité du séjour de lumière, la douleur qui persiste dans l'âme d'Alim, la compassion d'Indra furent pour Massenet autant d'occasions de donner libre carrière à son inspiration et d'écrire d'impressionnante et profonde musique. Beaucoup de ces vastes ensembles, qu'il sait traiter de si magistrale façon, se remarqueront au cours des cinq actes de l'opéra. Parmi les plus beaux, citons celui qui suit l'apparition d'Alim, au premier acte ; le final du troisième, qui célèbre la décision miséricordieuse d'Indra (celui-ci peut-être est le plus remarquable de tous) ; et, enfin, la scène du retour d'Alim au milieu des humains, avec le grand mouvement qui porte la foule à protéger le mystérieux illuminé : encore un superbe exemple de réalisation orchestrale et chorale. Il faut enfin parler, ne fût-ce que brièvement, des importantes parties instrumentales de l'œuvre. L'ouverture, assez développée, où des périodes brillantes et animées alternent avec de charmantes mélodies, et qui s'achève par d'audacieuses modulations ; l'introduction, très dramatique, du deuxième acte ; les airs de ballet, dont on ne peut qu'admirer la richesse mélodique et la parfaite instrumentation. Ici, Massenet a pu, en toute liberté, déployer ses qualités de pur musicien ; et les seules variations d'une mélodie hindoue, avec la finale qui suit, suffiraient à attester la force de sa pensée musicale. Ajoutons, pour finir, que le style vocal du Roi de Lahore reste en général plus classique que celui des partitions ultérieures. Cependant, Massenet montre une entente parfaite de la vérité de l'expression dramatique, aussi bien dans les récitatifs et parties dialoguées que dans le chant proprement dit. (Louis Schneider, Massenet, 1908)
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Ouverture | |||
Acte I. — Premier tableau : devant le Temple d'Indra, à Lahore | |||
01 | Introduction et Chœur | Sauve-nous, puissant Indra ! | Scindia, Timour, Peuple |
02 | Scène et Duo | Ministre du roi... Je veux croire à son innocence | Scindia, Timour |
Deuxième tableau : le sanctuaire d'Indra, dans le Temple | |||
03 | Chœur des Prêtresses | Ame timide | Sitâ, Scindia, Prêtresses |
04 | Duo | Sitâ, voici venir une heure fortunée | Sitâ, Scindia |
05 | Finale | Le bronze a vibré dans l'espace | Sitâ, Kaled, Alim, Scindia, Timour, Prêtres, Fidèles, Serviteurs du Temple, Peuple |
Acte II. — le Désert de Thôl | |||
Entr'acte | |||
06 | Scène | Echec !... Ecoute... les rumeurs | Sitâ, Kaled, un Chef, Chefs et Soldats |
07 | Duo | Ecoute encor !... C'est le soir | Sitâ, Kaled |
08 | Scène de l'abandon | Tout... fuit !... Défaite complète ! | Alim, Scindia, Chefs et Soldats |
09 | Scène et Duo | Seule !... je reste seule | Sitâ, Alim, l'Armée |
Acte III. — le Paradis d'Indra | |||
10 | Marche céleste | Voici le paradis ! | Chœur invisible, Esprits célestes, Ames heureuses des rois et des hommes |
Divertissement. A. Pantomime et Danse | |||
Divertissement. B. Mélodie hindoue, variée | |||
Divertissement. C. Final | |||
11 | Scène finale et Incantation | Quel est celui qui vient ?... Qu'il soit lui ! | Alim, Indra, Esprits célestes, Ames heureuses des rois et des hommes |
Acte IV. — une grande place, à Lahore | |||
12 | Scène, Récit et Air | Qu'il soit lui !... Voix, qui me remplissez | Alim, un Chef, Voix du Ciel |
13 | Final. A. Cortège | Roi des Rois de la terre ! | Prêtres, Soldats, Peuple |
Final. B. Récit et Arioso | Aux troupes du Sultan... Promesse de mon avenir | Scindia | |
Final. C. Scène finale | Scindia... O prodige, ô mystère ! | Alim, Scindia, Timour, Prêtres, Soldats, Peuple | |
Acte V. — Premier tableau : le sanctuaire d'Indra, dans le Temple | |||
Entr'acte | |||
14 | Scène et Air | J'ai fui la chambre nuptiale !... | Sitâ |
15 | Scène finale | Voici la nuit ! | Sitâ, Alim, Scindia, Voix des Prêtresses, Chœur invisible |
Deuxième tableau : le Paradis d'Indra |
LIVRET
Acte I. 1er tableau. maquette par Jean Emile Daran pour la création
(version de la partition)
Ouverture
ACTE PREMIER
PREMIER TABLEAU DEVANT LE TEMPLE D'INDRA, À LAHORE
Au loin, sur les hauteurs, les jardins et les édifices de la ville, éclairés par les dernières lueurs du couchant. Vers les portes du temple se presse une foule, parmi laquelle passent des prêtres et des serviteurs du temple. Des gens du peuple prosternés prient, mêlés aux fakirs accroupis sur le seuil.
SCÈNE PREMIÈRE TIMOUR, PRÊTRES, SERVITEURS DU TEMPLE, FOULE NOMBREUSE, puis SCINDIA.
LA FOULE (par groupes) Sauve-nous, puissant Indra ! Sauve-nous, tout-puissant Indra ! Sauve-nous ! Sauve-nous ! (Paraît Timour, suivi de prêtres. Il est aussitôt entouré par la foule, inquiète.) Bientôt les Musulmans seront devant Lahore ! Sauve-nous, tout-puissant Indra ! Ils viennent comme un flot que rien n'arrêtera ! Sauve-nous, tout-puissant Indra ! La mort marche avec eux et la flamme dévore Partout sur leur chemin, les champs et les cités ! Mahmoud, le sultan redoutable, Mène ces hommes indomptés. Bientôt les Musulmans seront devant Lahore ! Sauve-nous ! Sauve-nous, etc.
TIMOUR (calme et rassurant) Si leur approche vous accable, Si le roi ne les combat pas, Rassurez-vous ! Indra, puissance impérissable, Nous garde l'appui de son bras.
LA FOULE Puissant Indra, sauve-nous !
TIMOUR C'est le dieu secourable ; Que toute voix l'implore...
LA FOULE Puissant Indra, sauve-nous ! Sauve-nous !
TIMOUR ... Il les dispersera, Plus légers que les grains de sable. Rassurez-vous!
LA FOULE (en s'éloignant) Sauve-nous !
TIMOUR Rassurez-vous !
LA FOULE Sauve-nous ! (Sur un geste de Timour, la foule commence à entrer dans le temple. Scindia paraît, à ce moment, avec une escorte peu nombreuse qu'il congédie aussitôt. Les derniers groupes entrant dans le temple le séparent encore de Timour.)
SCINDIA (à lui-même, sans voir Timour) Ô tortures du doute ! Ô sombre jalousie ! C'est la mort ou la vie Que tout à l'heure ici mon amour trouvera ! (Timour est tout à fait dégagé de la foule. Scindia l'aperçoit.) Voici Timour, voici le prêtre ! (À la vue de Scindia, Timour vient vers lui avec de grandes marques de respect. Le chœur a pénétré dans le temple dont les portes se referment. Les deux hommes restent seuls.)
SCÈNE II TIMOUR, SCINDIA.
TIMOUR (avec empressement) Ministre du roi, notre maître, Ô Scindia, viens-tu nous annoncer enfin Du barbare Mahmoud le châtiment prochain ?
SCINDIA (avec intention) Non... j'ai d'autres projets et tu vas les connaître. Prêtre, je viens chercher la vierge qu'autrefois Tu reçus dans ce sanctuaire, Sitâ, la fille de mon frère.
TIMOUR Qu'oses-tu demander ? Elle appartient aux dieux !
SCINDIA Tu vas la relever aujourd'hui de ses vœux !
TIMOUR Le roi seul a ce droit.
SCINDIA (impétueusement) Eh bien, le roi lui-même, S'il le faut, me rendra Sitâ... Sitâ que j'aime, Sità que ton pouvoir défend trop mal ici. Obéis !
TIMOUR (offensé et fièrement) Le roi seul peut me parler ainsi. Retire-toi !
SCINDIA (amèrement) Faut-il enfin que je le dise, Prêtre ? On prétend que là, dans l'ombre de l'autel, Bravant ta vigilance et le courroux du ciel, Un homme a pu venir près d'elle, par surprise, Murmurer, chaque soir, des paroles d'amour !
TIMOUR (avec violence) Ah ! si ce n'est point une calomnie, Si le temple est souillé par la prêtresse impie, Malheur sur elle !
[ SCINDIA (avec passion) [ Non !... Timour ! [ Non, je veux croire à son innocence ! [ Non, Timour ! [ [ TIMOUR [ Si le temple est souillé, [ Malheur sur elle ! Malheur sur elle ! [ Malheur !
SCINDIA Non ! je veux croire à son innocence ! Non, son cœur ne peut m'échapper. Non, je veux croire à son innocence. Non !... ma plus vivante espérance Ne saurait me tromper. Je veux croire à son innocence.
[ TIMOUR [ Ni sa beauté, ni sa jeunesse [ Ne sauraient la défendre ici. [ Pour une honteuse faiblesse, [ Je la frapperais sans merci ! etc. [ [ SCINDIA [ Non, Timour ! Non, Timour ! [ Son cœur ne peut m'échapper ! [ Ma plus vivante espérance [ Ne saurait me tromper ! [ Je veux croire à son innocence ! [ Écoute-moi... le trouble est dans mon âme...
SCINDIA Conduis-moi vers Sità... je l'interrogerai ! Ah ! je l'aimerais mieux cent fois morte qu'infâme ! Ah ! je l'aimerais, etc.
TIMOUR (gravement) Tu vas la voir. Tu vas, seul, juger cette femme.
SCINDIA Si son crime est réel, je te la livrerai.
TIMOUR À ton premier signal, j'apparaîtrai.
SCINDIA Non, ma plus vivante espérance Ne saurait me tromper, Je veux croire à son innocence!
TIMOUR Viens ! tu vas la voir !
SCINDIA Non, son cœur ne peut m'échapper...
[ SCINDIA [ ... Non! [ [ TIMOUR [ Viens !
SCINDIA Je veux croire à son innocence... Je veux croire à son innocence. Non, ma plus vivante espérance Ne saurait me tromper. Je veux croire à son innocence !
TIMOUR Ni sa beauté, ni sa jeunesse Ne sauraient la défendre ici. Je la frapperais sans merci !
SCINDIA Si le temple est souillé...
TIMOUR ... par la prêtresse impie,
[ SCINDIA [ Si son crime est réel, je te la livrerai ! [ [ TIMOUR [ Si son crime est réel, oui, je la frapperai ! (Scindia entre dans le temple, précédé de Timour)
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(livret, édition de 1877)
Ouverture
ACTE PREMIER
PREMIER TABLEAU À LAHORE, DEVANT LE TEMPLE D'INDRA
Sur les hauteurs, au loin, les jardins et les édifices de la ville, éclairés par les dernières lueurs du couchant. Vers les portes du temple, se presse une foule, parmi laquelle passent des prêtres et des serviteurs du temple. — Des gens du peuple prosternés prient, mêlés aux fakirs accroupis sur le seuil.
SCÈNE PREMIÈRE TIMOUR, PRÊTRES, SERVITEURS DU TEMPLE, FOULE NOMBREUSE, puis SCINDIA.
n° 01 — Introduction et Chœur
CHŒUR, par groupes. Sauve-nous, tout-puissant Indra ! Paraît Timour. — Il est aussitôt entouré par la foule inquiète. Les musulmans bientôt seront devant Lahore, Ils viennent comme en flot que rien n'arrêtera. La mort marche avec eux et la flamme dévore Partout, sur leur chemin, les champs et les cités. Mahmoud, le sultan redoutable Mène ces hommes indomptés.
TIMOUR, calme et rassurant. Si leur approche vous accable, Si le roi ne les combat pas, Rassurez-vous ! Indra, puissance impérissable, Nous garde l'appui de son bras. C'est le Dieu secourable, Que toute voix l'implore. Il les dispersera Plus légers que des grains de sable.
LE CHŒUR. Sauve-nous, tout-puissant Indra ! Sur un geste de Timour, la foule commence à entrer dans le temple. — Scindia paraît, à ce moment, avec une petite escorte qu'il congédie aussitôt.
SCINDIA, à lui-même, sans voir Timour. O tortures du doute ! ô sombre jalousie ! C'est la mort ou la vie, Que tout à l'heure ici mon amour trouvera. Timour est tout à fait dégagé de la foule. — Scindia l'aperçoit. Voici Timour, voici le prêtre. A la vue de Scindia, Timour vient vers lui, tandis que le chœur achève de pénétrer dans le temple. — Les deux hommes restent seuls.
SCÈNE II
n° 02 — Scène et Duo
TIMOUR. Ministre du roi, notre maître, O Scindia, viens-tu nous annoncer enfin Du barbare Mahmoud le châtiment prochain ?
SCINDIA. Non ! J'ai d'autres projets et tu vas les connaître. Prêtre, je viens chercher la vierge qu'autrefois Tu reçus dans ce sanctuaire, Sitâ, la fille de mon frère.
TIMOUR. Qu'oses-tu demander ?... Elle appartient aux dieux !
SCINDIA. Tu vas la relever aujourd'hui de ses vœux !
TIMOUR. Le roi seul a ce droit.
SCINDIA, impétueusement. Eh bien, le roi lui-même, S'il le faut, me rendra Sitâ... Sitâ que j'aime, Sitâ, que ton pouvoir défend trop mal ici. Obéis.
TIMOUR, offensé. Le roi seul peut me parler ainsi. Retire-toi !
SCINDIA, amèrement. Faut-il enfin que je le dise, Prêtre ? On prétend que là, — dans l'ombre de l'autel, Bravant ta vigilance et le courroux du ciel, Un homme a pu venir près d'elle, par surprise, Murmurer, chaque soir, des paroles d'amour.
TIMOUR. Ah ! si ce n'est point une calomnie, Si le temple est souillé par la prêtresse impie, Malheur sur elle !...
SCINDIA, avec passion. Non !... je veux croire, Timour ! Je veux croire à son innocence ! Non, son cœur ne peut m'échapper ; Non, ma plus vivante espérance Ne saurait ainsi me tromper !
TIMOUR. Ni sa beauté, ni sa jeunesse Ne doivent la défendre ici ; Pour une honteuse faiblesse Je la frapperais sans merci !
SCINDIA. Écoute-moi... Le trouble est dans mon âme... Conduis-moi vers Sitâ… Je l'interrogerai !...
TIMOUR, après un temps. Tu vas la voir. Tu vas, — seul, —juger cette femme. A ton premier signal pourtant j'apparaîtrai !
SCINDIA. Ah ! je l'aimerais mieux cent fois morte qu'infâme ! Si son crime est réel, je te la livrerai. Après une reprise, Timour et Scindia entrent ensemble dans le temple.
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Acte I. 2e tableau. maquette par Auguste Rubé et Philippe Chaperon pour la création
(version de la partition)
ACTE PREMIER
DEUXIÈME TABLEAU LE SANCTUAIRE D'INDRA, DANS LE TEMPLE
Au fond, entre les piliers, sur un autel, la statue du dieu. Dans un des piliers de l'autel, une porte secrète. Ce sanctuaire communique avec les jardins et autres parties du temple. Un gong ou tympan de bronze servant à appeler les prêtres dans le sanctuaire est pendu sous la colonnade, près d'une des entrées latérales. On est à la fin du jour. Des lampes pendues aux voûtes illuminent vivement la scène. Au lever du rideau, Sitâ est entourée de jeunes prêtresses, ses compagnes, qui l'amènent dans le sanctuaire.
SCÈNE PREMIÈRE SITÂ, JEUNES FILLES, compagnes de Sitâ, puis SCINDIA.
LES PRÊTRESSES (à Sitâ) Âme timide, Va, ne crains rien. Il est ton guide Et ton soutien. Pourquoi, tremblante, As-tu frémi ? Sois confiante : C'est un ami ! Chère innocente, Va, ne crains rien ! Sois confiante : C'est un ami !
SCINDIA (venu lentement en scène pendant ce chœur ; doucement à Sitâ, après l'avoir contemplée un instant avec tendresse) Approche !
SITÂ (elle se prosterne avec respect) Ô Scindia, c'est l'esprit de mon père Qui te conduit et qui t'éclaire.
LES PRÊTRESSES Va, ne crains rien !
SITÂ Ta présence toujours m'est chère, (simplement) Et je m'incline à tes genoux.
LES PRÊTRESSES Âme timide. Va, ne crains rien ! Il est ton guide Et ton soutien. Pourquoi, tremblante, As-tu frémi ? Sois confiante, C'est un ami ! (Sur un geste de Scindia, le chœur des prêtresses s'éloigne lentement.)
SCÈNE II
SCINDIA Sitâ, voici venir une heure fortunée, Où doit changer enfin ton humble destinée, Je veux te donner un époux.
SITÂ (timidement et avec trouble) Seigneur, ne dois-je pas ici finir ma vie ?
SCINDIA Assez longtemps, aux regards de l'envie Ce temple a dérobé ta naissante beauté !... Celui qui t'aime, enfant, te rend la liberté !
SITÂ (à elle-même, très émue) Celui qui m'aime !...
SCINDIA Ce jour est le dernier de ta longue retraite. Sitâ, viens maintenant !
SITÂ Te suivre ?
SCINDIA Pourrais-tu résister ? Voici venir une heure fortunée Où doit changer enfin ton humble destinée !
SITÂ (à part) Ô doux mystère, Vas-tu donc m'être révélé ? Vision fugitive et chère, Est-ce de toi...
[ SITÂ [ ... qu'il m'a parlé ? [ Vas-tu donc m'être révélé, [ Ô doux mystère ? [ [ SCINDIA (à part, l'observant) [ Son regard pur m'a rassuré. [ D'un gai rayon son front s'éclaire !
SCINDIA (avec une extrême tendresse) Te voilà frissonnante et pourtant radieuse ! Sitâ, tu m'as compris et mon âme est joyeuse ! Près de toi, je le sens, bientôt, j'aurai trouvé Le repos qui m'est cher et l'amour tant rêvé.
SITÂ (qui l'a écouté avec stupeur, à part) Lui !... c'était lui ! Grands dieux ! (Très frappée, elle se trouble et chancelle.)
SCINDIA Viens, chère enfant !
SITÂ (suppliante) Arrête !
SCINDIA Tu trembles... tu pâlis...
SITÂ (avec un vif mouvement de crainte) Par ce temple sacré, Par ce Dieu qui me garde en cette humble retraite, De grâce, laisse-moi !
SCINDIA (qui n'a cessé de l'observer, avec éclat) Maudite !... c'est donc vrai ! (Sitâ recule devant le regard terrible de Scindia.) Ton infâme secret, on me l'a fait connaître. Le trouble où je te vois, d'ailleurs, me l'a livré. Sous les habits d'un prêtre, Un amant, chaque soir, ici, vient près de toi !
SITÂ (elle demeure d'abord comme anéantie ; puis soudainement) Grâce ! Avant de m'accabler, ô maître, écoute-moi : C'était le soir d'un jour de fête, Je priais seule ici. Soudain, j'entends des pas... Un homme... jeune et fier... devant l'autel s'arrête... Il me parle, et je tremble en écoutant sa voix. Je n'ose regarder... puis, sans que je devine Si cette vision est humaine ou divine, Il disparaît.
SCINDIA Tu l'as revu plus d'une fois !
SITÂ (naïvement) Chaque soir, il revient à cette même place, Il me parle d'amour, sans que jamais sa main Ose effleurer la mienne et... doucement... il passe En murmurant : demain !
SCINDIA (perfidement) Mais cet homme, ce dieu, cet insensé, peut-être, Vient-il... à ton appel ?
SITÂ Quand je chante au pied de l'autel La prière du soir...
SCINDIA La prière du soir ?
SITÂ ... je le vois apparaître.
SCINDIA Tu le vois... là !
SITÂ ... Je le vois !
SCINDIA Un délire pieux A pu tromper tes yeux. Je veux t'en délivrer, te sauver de toi-même. Morte est ta vision, moi, je vis et je t'aime ! Viens !
[ SITÂ [ Ah !... grâce encor ! laisse-moi ! [ [ SCINDIA [ Viens ! Je t'aime ! Viens !
SITÂ Ah, grâce ! Pourquoi troubler ainsi ma vie ? J'étais heureuse, hélas ! etc. Pourquoi m'ôter le repos que j'envie ! Pourquoi faut-il qu'en un instant La douceur d'un rêve innocent Me soit cruellement ravie ! J'étais heureuse, hélas ! Pourquoi troubler ainsi ma vie ?
SCINDIA (avec une ardeur et une passion croissantes) Pour l'amour de ta beauté J'aurais donné ma vie !
SITÂ Grâce encor ! Ah ! laisse-moi !
SCINDIA Et mon cœur eût accepté
[ SCINDIA [ La honte et l'infamie. [ [ SITÂ [ Grâce encor ! Ah, laisse-moi !
[ SITÂ [ Ah ! pitié ! Ah ! pitié ! laisse-moi ! [ [ SCINDIA [ À tout jamais ma volonté nous lie ! [ Viens !
[ SITÂ [ J'étais heureuse, hélas ! [ Pourquoi troubler ma vie ? [ [ SCINDIA [ Ah ! pour l'amour de toi [ J'aurais donné ma vie !
SCINDIA (Il veut l'entraîner.) Viens !
SITÂ (énergiquement) Je ne te suivrai pas !
SCINDIA (avec menace) Ce que j'ai résolu Peut s'accomplir...
SITÂ Non !
SCINDIA ... malgré tes pleurs !
SITÂ Non !
SCINDIA Ah ! prends garde !
SITÂ (révoltée) Je brave ta colère !
SCINDIA Viens ! suis-moi !
SITÂ Ah ! jamais !
SCINDIA (il s'arrête, puis avec fureur) Je me vengerai donc, et tu l'auras voulu ! (S'élançant vers le tympan de bronze, il le frappe avec violence. À ce signal éclatant sous les voûtes sonores du temple paraissent tout à coup Timour, les prêtres, les serviteurs du temple et la foule, envahissant la scène de toutes parts.)
SCÈNE III LES MÊMES, TIMOUR, PRÊTRES, PEUPLE, SERVITEURS DU TEMPLE.
LA FOULE Le bronze a vibré dans l'espace. Le bronze a vibré dans l'espace. Son formidable appel Nous rassemble au pied de l'autel ! (Pendant le chant des autres, Scindia, haletant comme brisé par sa propre violence, montre d'un geste rapide Sitâ à Timour.)
TIMOUR (après un mouvement d'indignation vers Sitâ) Prêtres, écoutez tous ! Regardez cette femme ; D'un sacrilège, d'un infâme, Elle a partagé l'amour odieux. Prêtresse, elle a trahi ses vœux, Vierge, elle a profané son âme ! J'appelle sur son front la vengeance des dieux !
[ SCINDIA, LA FOULE [ À mort ! [ [ TIMOUR [ À mort !
SCINDIA, LA FOULE À mort ! À mort !
[ TIMOUR, LA FOULE [ D'un sacrilège... [ ... et d'un infâme, [ Elle a partagé l'amour odieux ! etc. [ À mort ! [ [ SCINDIA, LA FOULE [ Oui ! frappez-la ! Oui ! frappez-la ! [ À mort ! À mort ! etc.
TOUS À mort !
SITÂ (se jetant aux pieds de Timour) Ô Timour ! tu me crois coupable Et me refuses ta pitié, Aux dieux j'ai tout sacrifié Et c'est en leur nom qu'on m'accable ! Je leur ai voué, sans retour, En sa pureté virginale, Cette beauté si fatale Par qui je succombe en ce jour. Cette beauté fatale, etc. Si je dois rester sans défense, Si je dois prier vainement, Au moins épargne-moi l'offense De douter de mon innocence ! Ô Timour ! Ô Timour ! non, non ! Je n'ai pas trahi mon serment ! (À ce moment s'élève des profondeurs du temple la voix des prêtresses commençant la prière du soir)
VOIX DES PRÊTRESSES (au loin) Voici la nuit !...
SCINDIA (à part) La prière du soir !
SITÂ (troublée, à part) La prière !
SCINDIA (se souvenant) Le signal !
VOIX DES PRÊTRESSES (au loin) Voici la nuit ! Mes sœurs...
[ VOIX DES PRÊTRESSES [ ... prions ! [ [ SCINDIA (à Sitâ, avec perfidie) [ Si ta voix n'est pas sacrilège, [ Si le dieu... du ciel te protège, [ Incline-toi ! [ [ VOIX DES PRÊTRESSES [ Les étoiles sur nous versent leurs blancs rayons ! [ [ SITÂ (palpitante, à part) [ Que dit-il ?
[ SCINDIA [ Là, dans le sanctuaire, [ Que ta voix s'élève encore aujourd'hui, [ Et réponde à cette prière ! [ [ VOIX DES PRÊTRESSES [ Indra, maître du ciel, Indra, nous t'adorons !
SITÂ (à Scindia, avec effroi) Cette prière !... en ce moment !
[ VOIX DES PRÊTRESSES [ Voici... [ [ SCINDIA [ Obéis ! [ [ SITÂ [ Ah ! Scindia ! que veux-tu faire ? [ [ VOIX DES PRÊTRESSES [ ... la nuit !
SCINDIA (avec cruauté) Connaître et punir ton amant !
SITÂ Dieux !
SCINDIA (impérieusement) À genoux ! Obéis et prie !
TIMOUR, LA FOULE À genoux ! Obéis et prie !
SITÂ Non !... Frappez-moi, frappez-moi, prenez ma vie, Mais je ne le trahirai pas, Celui dont le ciel et la terre, Respectant l'étrange mystère, Toujours ont protégé les pas !
SCINDIA, TIMOUR, LA FOULE À genoux ! Obéis et prie !
SITÂ Non ! frappez-moi, prenez ma vie, Mais je ne le trahirai pas ! Ah !
LA FOULE À mort ! À mort ! (Au moment où Sitâ, épouvantée, tombe à genoux, Alim, suivi de Kaled, paraît sur les marches de l'autel. Il a pénétré dans le temple par la porte secrète, qui s'est aussitôt refermée.)
SCÈNE IV LES MÊMES, ALIM, KALED.
ALIM (avec force et autorité) Non ! Sitâ m'appartient !... Qu'elle vive !
SCINDIA (à part, le cœur brisé) Le roi ! c'était le roi !
TOUS C'était le roi !
SITÂ (à part, très émue) C'était le roi ! (Calme et souriant, le roi marche vers Sitâ, au milieu de la stupeur générale. On s'écarte respectueusement sur son passage. Seul, Scindia a fait un mouvement violent promptement réprimé.)
ALIM (avec charme, à Sitâ) Viens ! je ne serai pas ton maître. Viens ! je veux attendre, résigné, Que ton cœur innocent apprenne à le connaître, Cet amour jusqu'ici peut-être dédaigné !
SITÂ Ah ! je vous écoute, ...
[ SITÂ [ ... et mon âme [ S'emplit d'un indicible émoi : [ Vous parlez d'obéir à la voix d'une femme, [ Vous parlez... [ [ KALED (près d'eux) [ Sitâ, relève la tête, [ Que ton esprit soit rassuré, [ Car l'amour va fleurir en ton cœur enivré... [ [ ALIM [ Viens ! viens ! je veux attendre résigné [ Que ton cœur innocent apprenne à le connaître, [ Cet amour peut-être dédaigné ! [ [ SCINDIA [ Ô cruelle impuissance ! [ Son amant, c'est le roi !
[ SCINDIA [ Il faut donc en sa présence, [ Il faut donc... [ [ TIMOUR [ Ah ! sa seule présence, sa présence... [ [ SITÂ [ ... vous parlez d'obéir et vous êtes le roi ! [ [ ALIM [ ... cet amour peut-être dédaigné ! [ [ SCINDIA [ ... me soumettre à sa loi ! [ [ TIMOUR [ ... vient désarmer nos lois ! [ [ KALED [ ... en ton cœur !
[ TIMOUR, LES PRÊTRES, LA FOULE [ Toute humaine puissance [ Cède devant le roi... [ [ SITÂ (à part) [ Leur terrible sentence, [ Hélas, me remplissait d'effroi ! [ [ ALIM (à Scindia, lui montrant les prêtres) [ Si la seule innocence [ Ne désarme leur loi... [ [ KALED [ Cette injuste sentence [ Doit fléchir à sa voix ! [ [ SCINDIA [ Son amant, son amant, c'est le roi ! [ [ LES PRÊTRES (au roi) [ ... Ah ! sa seule présence [ Désarme notre loi !
TIMOUR La suprême puissance...
[ SITÂ [ Il me rend l'espérance, [ Mais, hélas ! il est roi ! [ [ ALIM [ ... Cette injuste sentence [ Doit fléchir devant moi ! [ [ TIMOUR [ ... La suprême puissance [ Nous parle par sa voix ! [ [ SCINDIA (avec rage) [ Ô cruelle impuissance ! [ C'est le roi ! [ Il faut donc en sa présence, [ Il faut me soumettre à sa loi. [ C'est le roi ! [ [ LES PRÊTRES, LA FOULE [ Toute humaine puissance [ Doit céder à sa voix, à sa voix !
SITÂ ... Hélas ! il est roi !
ALIM Ah ! viens !...
[ ALIM [ ... Je ne serai plus ton maître ! Viens ! [ [ LES PRÊTRES, LA FOULE [ Toute humaine puissance... [ [ SCINDIA [ Ô cruelle impuissance !
[ SITÂ [ Je vous écoute ; [ Vous parlez d'obéir à la voix d'une femme, [ Vous parlez d'obéir !... [ [ ALIM [ Je veux attendre, résigné, [ Que ton cœur le connaisse, [ Cet amour... [ [ SCINDIA [ Son amant, c'est le roi ! [ Ô cruelle impuissance ! [ C'est le roi !... [ [ KALED [ Ô Sità, oui, l'amour va fleurir en ton cœur enivré... [ [ TIMOUR [ Ah ! sa seule présence [ Adoucit nos lois ! [ [ LES PRÊTRES, LA FOULE [ ... doit céder à sa voix. [ Sa présence adoucit notre loi...
ALIM ... Cet amour jusqu'ici...
[ SITÂ [ ... Ah ! c'est le roi ! [ [ ALIM [ ... peut-être dédaigné ! [ Je suis roi ! [ [ SCINDIA [ ... C'est le roi ! C'est le roi ! [ [ KALED [ ... en ton cœur enivré ! [ C'est le roi ! [ [ TIMOUR [ C'est le roi ! C'est le roi ! [ [ LES PRÊTRES, LA FOULE [ ... Car c'est le roi ! C'est le roi !
TIMOUR (il s'avance devant Alim) Roi, l'amour profanant cette enceinte bénie, L'amour profanant ce temple toujours respecté, Cet amour est un crime et Dieu veut qu'on l'expie !
LES PRÊTRES Cet amour est un crime et Dieu veut qu'on l'expie !
ALIM (simplement) Parle, tu seras écouté.
TIMOUR Le sultan Mahmoud vient pour combattre nos dieux ! Au nom de Mohamed, qu'ils nomment le Prophète, Ses soldats, si ta main, ne les arrête, Vont chasser jusqu'ici nos peuples devant eux. Eh bien ! rassemble ton armée, Marche vers le désert Et que, devant tes pas, ainsi qu'une fumée, S'efface l'ennemi menaçant notre sol !
LES PRÊTRES Rassemble ton armée !
TOUS Marche vers le désert !
ALIM (fièrement) Je n'ai pas attendu ta parole, ô mon père, Pour rassembler mes cavaliers !
TOUS Marche vers le désert !
ALIM Comme votre salut, ma gloire encor m'est chère. Demain mes bataillons partiront par milliers ! Demain mes étendards flotteront dans la plaine ! (à Sitâ, doucement) Me suivras-tu, Sitâ ?
SITÂ Vous êtes mon maître.
ALIM (à Timour) Que ta main me bénisse et qu'Indra me soutienne ! (Il fléchit le genou devant Timour qui étend la main sur son front.)
SCINDIA (à part, avec un profond sentiment de haine) Ton jour est proche, Alim, car je t'ai condamné ! Sitâ m'appartiendra !
TIMOUR (relevant le roi) Va, et sois pardonné !
[ SITÂ [ Dieux ! Ah, je vous écoute, ô maître ! [ Dieux ! je vous écoute et je frémis ! [ Vous parlez d'obéir à la voix d'une femme ! [ Vous parlez, vous parlez d'obéir [ Et vous êtes le roi ! [ Ah ! vous êtes le roi ! [ [ ALIM [ Viens, je ne serai plus ton maître. [ Viens ! je veux attendre, résigné, [ Que ton cœur innocent apprenne à le connaître, [ Cet amour, cet amour jusqu'ici peut-être dédaigné ! [ Viens, Sità ! je suis roi ! [ [ KALED [ Viens ! relève la tête ! [ Viens ! que ton esprit soit rassuré ! [ L'avenir s'offre à toi comme une longue fête ! [ Ô Sitâ ! oui, l'avenir s'offre à toi ! [ Viens, Sitâ ! c'est le roi ! [ [ SCINDIA [ Oui ! je veux écouter ma haine ! [ Oui ! je le perdrai, oui, je le veux ! [ Sitâ m'appartiendra, malgré les dieux et toi ! [ Je le veux ! Sitâ m'appartiendra ! [ Son amant, c'est le roi ! [ [ TOUS [ Marche vers le désert, [ Et chasse l'ennemi menaçant notre sol, etc. [ Marche vers le désert, etc.
TIMOUR, LES PRÊTRES Va ! Alim, marche vers le désert !
TOUS Et que, devant tes pas, S'efface l'ennemi, l'ennemi menaçant notre sol ! Marche vers le désert, etc. Va !
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(livret, édition de 1877)
ACTE PREMIER
DEUXIÈME TABLEAU LE SANCTUAIRE D'INDRA, DANS LE TEMPLE
Au fond entre les piliers, sur un autel, la statue du dieu. — Dans un des ailiers de l'autel, porte secrète, conduisant à une galerie souterraine. — Un gong ou tympan de bronze servant à appeler les prêtres dans le sanctuaire est pendu sous la colonnade, près d'une des entrées latérales. Au lever du rideau, Sitâ est en scène, avec les jeunes filles, ses compagnes.
SCÈNE PREMIÈRE SITÂ, JEUNES FILLES, compagnes de Sitâ, puis SCINDIA.
n° 03 — Chœur des prêtresses
JEUNES FILLES, autour de Sitâ. CHŒUR, pendant l'entrée de Scindia. Ame timide, Va, ne crains rien. Il est ton guide Et ton soutien. Pourquoi, tremblante, Chère innocente, As-tu frémi ? Sois confiante : C'est un ami.
SCINDIA, venu lentement eu scène pendant ce chœur ; doucement à Sitâ, après l'avoir contemplée un instant avec tendresse. Approche !
SITÂ, elle s'approche avec respect et se prosterne.
O Scindia, c'est l'esprit de mon père Ta présence toujours m'est chère, Et je m'incline à tes genoux.
LE CHŒUR. Pourquoi, tremblante, As-tu frémi ? Sois confiante, C'est un ami. Sur un geste de Scindia, le chœur s'éloigne.
SCÈNE II
n° 04 — Duo
SCINDIA. Sitâ, voici venir une heure fortunée,
Où doit changer enfin ton humble
destinée...
SITÂ, timidement et avec trouble. Seigneur, ne dois-je pas ici finir ma vie ?
SCINDIA. Assez longtemps, aux regards de l'envie Ce temple a dérobé ta naissante beauté !... Celui qui t'aime, enfant, te rend la liberté !
SITÂ. Celui qui m'aime !
SCINDIA.
Viens ! SITÂ. Te suivre ! A part. O doux mystère, Vas-tu donc m'être révélé ? Vision fugitive et chère, Est-ce de toi qu'il m'a parlé ?
SCINDIA, de même, l'observant. D'un gai rayon son front s'éclaire, Son regard pur m'a rassuré, Son divin sourire a fait taire Les doutes qui m'ont torturé. Haut, avec une extrême tendresse. Te voilà frissonnante et pourtant radieuse ! Sitâ, tu m'as compris et mon âme est joyeuse ; Près de toi, je le sens, bientôt, j'aurai trouvé Le repos qui m'est cher et l'amour tant rêvé.
SITÂ, qui l'a écouté avec stupeur, à part. Lui !.. c'était lui ! grands dieux ! Très frappée, elle se trouble et chancelle.
SCINDIA. Viens, chère enfant !
SITÂ, suppliante. Arrête !
SCINDIA. Tu trembles !... tu pâlis !... Il la regarde longuement avec défiance, puis il va pour lui prendre la main.
SITÂ, avec un vif mouvement de crainte. Par ce temple sacré, Par ce Dieu qui me garde en cette humble retraite, De grâce, laisse-moi !
SCINDIA, qui n'a cessé de l'observer, avec éclat. Maudite !... c'est donc vrai ! Sitâ recule devant le regard terrible de Scindia. Ton infâme secret on me l'a fait connaître. Le trouble où je te vois d'ailleurs me l'a livré. Sous les habits d'un prêtre Un amant, chaque soir, ici, vient près de toi !
SITÂ, elle demeure d'abord comme anéantie ; puis soudainement Avant de m'accabler, ô maître, écoute-moi : . . . . . . . . . . . . . . . . . C'était le soir d'un jour de fête. Je priais seule ici. Soudain, j'entends des pas... Un homme... jeune et fier... devant l'autel s'arrête... Il me parle, et je tremble en écoutant sa voix. Je n'ose regarder... puis, sans que je devine Si cette vision est humaine ou divine, Il disparaît.
SCINDIA. Tu l'as revu plus d'une fois !
SITÂ, naïvement. Chaque soir, il revient à cette même place, Il me parle d'amour sans que jamais sa main Ose effleurer la mienne et... doucement... il passe En murmurant : Demain !
SCINDIA, à Sitâ, perfidement. Et cet homme, ce dieu, cet insensé, peut-être, Vient-il... à ton appel ?
SITÂ. Quand je chante au pied de l'autel La prière du soir, je le vois apparaître.
SCINDIA. Un délire pieux A pu tromper tes yeux. Je veux t'en délivrer, te sauver de toi-même. Morte est ta vision, moi je vis et je t'aime ! Viens !
SITÂ. Ah ! par pitié, laisse-moi ! Pourquoi troubler ainsi ma vie ? J'étais heureuse, hélas ! pourquoi M'ôter le repos que j'envie ! Pourquoi faut-il qu'en un instant La douceur d'un rêve innocent Me soit cruellement ravie !
SCINDIA, avec une ardeur et une passion croissantes. Pour l'amour de ta beauté J'aurais donné ma vie, Et mon cœur eût accepté La honte et l'infamie. Ma puissante volonté A tout jamais nous lie ! Il veut la saisir et l'entraîner.
SITÂ, énergiquement. Je ne te suivrai pas !
SCINDIA, avec menace. Ce que j'ai résolu Peut s'accomplir malgré tes pleurs et ta prière. Prends garde !
SITÂ, révoltée. Ah ! je te hais, je brave ta colère !
SCINDIA, il s'arrête, puis avec fureur. Je me vengerai donc et tu l'auras voulu ! S'élançant vers le tympan de bronze, il lé frappe avec violence. — A ce signal, paraissent bientôt Timour, les prêtres, les serviteurs du temple et la foule, envahissant la scène de toutes parts.
SITÂ, pendant l'entrée du chœur. Ah ! que veut-il ?... quel danger me menace ?...
SCÈNE III LES MÊMES, TIMOUR, PRÊTRES, PEUPLE, SERVITEURS DU TEMPLE.
n° 05 — Finale
LE CHŒUR.
Le bronze a vibré dans l'espace, Nous rassemble au pied de l'autel ! Pendant ce chœur, jeu de scène de Scindia. — Haletant, comme brisé pas sa propre violence, il montre d'un geste rapide Sitâ à Timour.
TIMOUR, après un mouvement d'indignation vers Sitâ. Prêtres, écoutez tous ; regardez cette femme ; D'un sacrilège, d'un infâme Elle a partagé l'amour odieux. Prêtresse, elle a trahi ses vœux, Vierge, elle a profané son âme ; J'appelle sur son front la vengeance des dieux !
LE CHŒUR, auquel se joint SCINDIA. A mort ! à mort ! D'un infâme Elle a partagé l'amour odieux, Vierge, elle a profané son âme ; Prêtresse, elle a trahi ses vœux ; A mort !
SITÂ, aux pieds de Timour. O Timour, tu me crois coupable Et me refuses ta pitié, Aux dieux j'ai tout sacrifié Et c'est en leur nom qu'on m'accable ! Je leur ai voué sans retour, En sa pureté virginale, Toute cette beauté fatale Par qui je succombe en ce jour. Si je dois rester sans défense, Si je dois prier vainement, Au moins épargne-moi l'offense De douter de mon innocence. Je n'ai pas trahi mon serment ! A ce moment, s'élève des profondeurs du temple la voix des prêtresses commencent la prière du soir.
SCINDIA et SITÂ, ensemble, avec une impression différente. La prière !
VOIX LOINTAINES DES PRÊTRESSES. Voici la nuit !... Mes sœurs, prions. Les étoiles sur nous versent leurs blancs rayons, Indra, maître du ciel, Indra, nous t'adorons !
SCINDIA, se souvenant. Le signal ! A Sitâ. Eh bien ! si tu n'es pas sacrilège, Si le dieu du ciel te protège, Incline-toi donc devant lui !
SITÂ, à part. Que dit-il ?
SCINDIA. Dans le sanctuaire, Que ta voix s'élève encore aujourd'hui, Et réponde à cette prière !
SITÂ, avec effroi. Cette prière !... en ce moment ! Ah ! Scindia, que veux-tu faire ?
SCINDIA, avec cruauté. Connaître et punir ton amant. Impérieusement. A genoux ! obéis et prie !
TIMOUR et LE CHŒUR. A genoux ! obéis et prie !
SITÂ. Non !... Frappez-moi ; prenez ma vie, Mais je ne le trahirai pas Celui dont le ciel et la terre Respectant l'étrange mystère Toujours ont protégé les pas !
TIMOUR, SCINDIA et LE CHŒUR, durement. A genoux ! obéis et prie !
SITÂ. Non ! Frappez-moi, prenez ma vie, Mais je ne le trahirai pas ! Le chœur répète avec violence ses cris : « A mort ! A mort ! » Au moment où Sitâ épouvantée tombe à genoux, Alim, suivi de Kaled, paraît sur les marches de l'autel. — Il a pénétré dans le temple par la porte secrète, qui s'est aussitôt refermée.
SCÈNE IV
LES MÊMES, ALIM, KALED. ALIM, avec force et autorité. Non ! Sitâ m'appartient !... qu'elle vive !
TOUS. Le roi ! C'était le roi !...
SITÂ, à part, très émue. C'était le roi ! Calme et souriant, le roi marche vers Sitâ, au milieu de la stupeur générale. On s'écarte respectueusement sur son passage. Seul, Scindia a fait un mouvement violent promptement réprimé.
ALIM, avec charme, à Sitâ. Viens, je ne serai pas ton maître. Je veux attendre, résigné, Que ton cœur innocent apprenne à le connaître Cet amour jusqu'ici peut-être dédaigné !
ENSEMBLE Ah ! je vous écoute, et mon âme S'emplit d'un indicible émoi : Vous parlez d'obéir à la voix d'une femme, Vous parlez d'obéir et vous êtes le roi !
KALED, près d'eux. O Sitâ, relève la tête, Que ton esprit soit rassuré. L'avenir s'offre à toi comme une longue fête, Laisse l'amour fleurir en ton cœur enivré.
SCINDIA. O cruelle impuissance ! Son amant, c'est le roi ! Il faut donc en sa présence, Il faut me soumettre à sa loi !
TIMOUR. Ah ! sa seule présence Vient désarmer ma loi.
LES PRÊTRES et LA FOULE, avec Timour. Toute humaine puissance Cède devant le roi !
SITÂ, à part. Leur terrible sentence Me remplissait d'effroi ! Il me rend l'existence ; Mais, hélas ! il est roi !
ALIM, à Scindia, lui montrant les prêtres. Si la seule innocence Ne désarme leur loi, Cette injuste sentence Doit fléchir devant moi.
KALED. Leur injuste sentence Fléchit devant le roi.
LES PRÊTRES, au roi. Ah ! ta seule présence Désarme notre loi !
SCINDIA, avec rage. O cruelle impuissance ! C'est le roi ! c'est le roi ! Après cette scène d'ensemble, Timour s'avance vers Alim.
TIMOUR.
Roi, l'amour profanant cette enceinte
bénie, Cet amour est un crime et Dieu veut qu'on l'expie.
ALIM, simplement. Parle ! tu seras écouté.
TIMOUR Au nom de Mohamed, qu'il nomme le Prophète, Le sultan Mahmoud vient pour combattre nos dieux, Ses soldats si ta main, seigneur, ne les arrête, Vont chasser jusqu'ici nos peuples devant eux. Eh bien, rassemble ton armée, Marche vers le désert de Thôl, Et que, devant tes pas, ainsi qu'une fumée S'efface l'ennemi menaçant notre sol.
ALIM, fièrement. Je n'ai pas attendu ta parole, ô mon père, Pour rassembler mes cavaliers. Comme votre salut, ma gloire encor m'est chère. Demain mes bataillons partiront par milliers, Demain mes étendards flotteront dans la plaine. A Sitâ, doucement. Me suivras-tu, Sitâ ?
SITÂ. Vous êtes mon maître.
SCINDIA, sombre, les regardant. — A part. Il mourra !
ALIM, après un temps, à Timour. Que ta main me bénisse et qu'Indra me soutienne ! Il fléchit le genou devant Timour qui étend la main sur son front.
SCINDIA, à part, avec un profond sentiment de haine. Ton jour est proche, Alim, car je t'ai condamné ! Sitâ m'appartiendra.
TIMOUR, relevant le roi. Va et sois pardonné !
ENSEMBLE FINAL. Reprise du motif. — Tableau.
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Acte II. maquette par Jean-Louis Cheret pour la création
(version de la partition)
ACTE DEUXIÈME
LE DÉSERT DE THÔL
Campement d'Alim, dans le désert de Thôl. Vaste plaine sablonneuse et nue. Horizon immense. Ciel enflammé. Déclin du jour, au commencement de l'acte. À la fin, pleine nuit. À gauche et à droite, tentes du roi, tentes de Sitâ et de ses femmes. Tapis et coussins à l'entrée des tentes.
Entr'acte
SCÈNE PREMIÈRE SITÂ, KALED, SOLDATS, FEMMES, etc.
Des gardes du camp, des soldats armés veillent au fond. D'autres, accroupis à gauche et pittoresquement groupés, jouent aux échecs. De petites esclaves persanes dansent pour divertir les chefs. Au fond, Kaled, dégagé des groupes, regardant vers la plaine, écoute les rumeurs lointaines de la bataille.
LES SOLDATS (jouant aux échecs) Échec au roi blanc !
LES SOLDATS (autre groupe) Échec au roi !
SITÂ (sortant de sa tente ; à Kaled, avec inquiétude, en désignant le désert) Écoute !... les rumeurs de l'ardente mêlée Éclatent au loin sous les cieux !...
KALED (avec confiance) Oui... l'armée ennemie est encor refoulée, Alim va revenir, toujours victorieux !
SITÂ (à part, répétant comme pour se convaincre) Alim va revenir !
LES SOLDATS (autour d'eux) Bataille !...
LES SOLDATS (autre groupe) Le combat s'engage !... C'est cela !...
LES SOLDATS Bien joué !... Bon !...
LES SOLDATS (autre groupe) Courage !
SITÂ (pensive, s'approchant des joueurs ; à elle-même) Alim va revenir, toujours victorieux !
LES SOLDATS Le roi noir se conduit bravement !... Comme là-bas Mahmoud contre Alim !... Échec !... Mat ! Le roi blanc ! (Ils se lèvent en renversant les pièces.)
SITÂ (à Kaled) Ô funeste présage !
KALED Pourquoi ce pressentiment ? (Sitâ congédie d'un geste les danseuses. Les soldats se lèvent et s'éloignent.)
SCÈNE II
SITÂ, KALED.
SITÂ Écoute encor !...
KALED Oui ! des cris de victoire !
SITÂ Je veux espérer, je veux croire !
KALED (la rassurant) Alim va venir...
SITÂ Alim est vainqueur ! (triste et découragée) Mais dans ce désert où nous sommes, Dans ces lieux inconnus, en péril, loin des hommes, Malgré moi frissonne mon cœur !
KALED (avec douceur) Non, Sitâ, calme-toi, tout s'apaise et s'endort...
SITÂ, KALED C'est le soir, la brise pure Berce des nuages d'or ; Tout repose en la nature, Tout s'apaise, tout s'endort. Caressant la terre, lasse Des longues ardeurs du jour, Sur la plaine une ombre passe Avec des frissons d'amour... C'est le soir, la brise pure Berce des nuages d'or; Toute rumeur s'est éteinte, On ne combat plus ! Ô Sitâ, calme ta crainte ! Déjà s'envole ma crainte ! Au ciel, les dieux nous ont entendus.
SITÂ (seule) Il va connaître enfin cette douce pensée, Chèrement caressée, Que lui dérobait ma pudeur ! Heure délicieuse, Je te bénis, je suis heureuse. Je te bénis, je suis heureuse.
KALED (seul) Tout s'apaise !
[ SITÂ [ Tout s'apaise ! [ Déjà s'envole ma crainte ! [ C'est le soir, la brise pure [ Berce les nuages d'or; [ Toute rumeur s'est éteinte, [ On ne combat plus. [ On ne combat plus. [ Déjà s'envole ma crainte ! [ Ah ! les dieux nous ont entendus ! [ Tout s'apaise, tout s'endort. [ Déjà s'envole ma crainte ! [ Tout s'apaise! [ [ KALED [ Tout s'apaise ! [ Déjà s'envole sa crainte ! [ C'est le soir, la brise pure [ Berce les nuages d'or ; [ Toute rumeur s'est éteinte, [ On ne combat plus. [ On ne combat plus. [ Déjà s'envole sa crainte ! [ Ah ! les dieux nous ont entendus ! [ Tout s'apaise, tout s'endort. [ Déjà s'envole sa crainte ! [ Tout s'apaise!
SITÂ (seule) Heure délicieuses, Je te bénis, je suis heureuse !
n° 7 bis - Romance-Sérénade
KALED Repose, ô belle amoureuse, Que la nuit t'apporte un songe d'or. Ton roi, l'âme joyeuse, Ici revient encore Vers toi, doux trésor ! Ferme les yeux, ô belle maîtresse, La nuit plus calme succède au jour. Bannis, enfin, la crainte et la tristesse : Rien n'est plus doux qu'un songe d'amour. Ferme les yeux, ô belle maîtresse. Léger dans l'ombre, mon chant s'élève ; Que ma voix berce aussi ton rêve, Que l'heure passe encore plus brève, Que l'espérance soit dans ton cœur. Il va venir, ton beau vainqueur ! Légers zéphyrs, accourez près d'elle, Brise amoureuse, ô souffle charmant, Rapporte-lui sur ton aile Le doux baiser du fidèle amant ! Ah ! oui, près d'elle, Accourez, ô souffle charmant ! Léger, dans l'ombre, mon chant s'élève ; Que ma voix berce aussi ton rêve, Que l'heure passe encor plus brève, Que l'espérance soit dans ton cœur ! Il va venir, ton beau vainqueur ; Le voilà ! Que l'espérance soit dans ton cœur ! C'est lui !
SCÈNE III SOLDATS, FEMMES, ESCLAVES, puis SCINDIA, et les CHEFS.
La scène demeure vide. Le jour baisse. Après un temps, sonnerie de trompettes et rumeurs lointaines. Les soldats qui gardent le camp se lèvent et vont au fond observer, écouter. Nouvelles rumeurs. Un groupe de soldats entre et se joint au premier groupe. Même jeu. La scène se remplit d'autres soldats, d'esclaves qui arrivent avec précipitation et questionnent les deux premiers groupes. Des fuyards, soldats de l'armée d'Alim vaincue, envahissent le théâtre dans le plus grand désordre. La plupart jettent leurs armes. Kaled se lève.
LES SOLDATS (chœur rapide et haletant) Tout fuit ! Tout ! Défaite Complète ! Tout cède, tout fuit ! Avide, Rapide, La mort nous poursuit ! La plaine Est pleine De noirs bataillons. Tout cède, tout fuit ! Tout cède... Fuyons ! etc. (Entrée de Scindia, suivi des principaux chefs.)
CHEFS ET SOLDATS (à Scindia, avec effroi et désespoir) Tout fuit ! Tout !
SCÈNE IV
SCINDIA (avec fermeté) Soldats, le roi succombe ! Tout l'accable, Il est mourant !
LES SOLDATS Le roi succombe ! Il est mourant !
SCINDIA Une main implacable L'a frappé par trois fois ; oui, son règne est fini ! D'un sacrilège amour les dieux l'auront puni ! À ce roi, n'obéissez pas davantage ! Les dieux vous puniraient aussi, Et, dans quelque immense carnage, Aux coups d'une horde sauvage, Ils vous jetteraient sans merci ! Vos chefs ont invoqué mon secours. – Me voici ! Oui, je vous sauverai... je vous le dis encore. M'obéirez-vous tous ?!
LES SOLDATS Oui, tous ! nous le jurons !
SCINDIA Vous le jurez !
LES SOLDATS Ici, comme à Lahore, à toi seul, ...
SCINDIA Tous !
LES SOLDATS ... nous obéirons !
SCINDIA Calmez-vous ! – Prudemment préparez la retraite. Cette nuit même, avant l'aube prochaine, Soldats, nous partirons !
LES SOLDATS À Lahore ! Avant les feux de l'aurore, Oui, tous nous partirons ! Impuissants à lutter après cette défaite, Impuissants à lutter après cette défaite, ...
[ SCINDIA [ Impuissants à lutter... [ [ LES SOLDATS [ ... À la mort nous échapperons !
[ SCINDIA [ ... À la mort nous échapperons ! [ Alim en vain résisterait. [ [ LES SOLDATS [ Tout cède, tout fuit ! [ Tout cède, fuyons !... [ Alim en vain résisterait. [ Alim en vain résisterait.
LES SOLDATS À Lahore !
SCINDIA À Lahore !
TOUS À Lahore ! (Pendant cette scène, Kaled a écouté avec douleur les paroles de Scindia, puis il a fendu les groupes et s'est précipité hors du camp. – Paraît Alim, pâle, blessé, se soutenant à peine. D'autres soldats le suivent. – Mouvement. –Silence.)
SCÈNE V LES MÊMES, ALIM.
ALIM (avec indignation) On parle de partir !... On ose Commander ici... moi vivant ! Lâches, qui désertez ma cause, Regardez-moi ! Lâches ! j'ai prodigué mon sang Pour assurer votre fuite si prompte. Lâches ! je suis blessé, mais je reste debout. Et je veux lutter jusqu'au bout. Ah ! plutôt la mort que la honte !
LES SOLDATS Nous sommes condamnés !...
ALIM Quel ténébreux complot... ... a pu vous entraîner ? De l'avilissement où vous allez descendre, Vers mon but glorieux je vous dois ramener...
LES SOLDATS ... Des hommes et du ciel contre nous déchaînés, Des hommes et du ciel contre nous déchaînés, Ta valeur n'a pu nous défendre ! Ô roi, nous sommes condamnés !
ALIM ... Vers mon but glorieux je vous dois ramener.
LES SOLDATS Non ! roi, quand la mort t'a touché de son aile...
SCINDIA Demeure là !
[ SCINDIA [ Elle désarme ton bras. [ [ LES SOLDATS [ ... Et qu'elle désarme ton bras,
LES SOLDATS Roi glorieux, va combattre contre elle...
SCINDIA Demeure là !
[ SCINDIA [ N'appelle plus les soldats ! [ [ LES SOLDATS [ ... Mais n'appelle plus tes soldats !
LES SOLDATS Va ! quand la mort t'a touché de son aile...
SCINDIA Va !
ALIM (il veut s'élancer sur eux ; ses forces le trahissent) Misérables !
LES SOLDATS ... Roi glorieux, va combattre contre elle !
SCINDIA Meurs !
LES SOLDATS ... Roi glorieux, lève-toi ! Roi glorieux, lève-toi ! Mais n'appelle plus tes soldats ! Ta menace...
[ SCINDIA (près du roi, d'une voix haineuse) [ Roi, demeure là ! [ [ LES SOLDATS [ ... ne nous retiendrait pas ! Non !
LES SOLDATS Demeure là ! Non ! n'appelle plus tes soldats !
SCINDIA ... Ta royauté n'est plus qu'une ombre vaine, Et mon pouvoir succède au tien.
LES SOLDATS Demeure là ! Demeure là ! N'appelle plus tes soldats !
SCINDIA Oui, si tu tombes, c'est par ma haine, Car je te hais ! Sache-le bien !
[ ALIM [ Qu'entends-je ? [ [ LES SOLDATS (entre eux) [ Alim en vain résisterait !
SCINDIA Tu m'as ravi Sitâ que j'aime !
LES SOLDATS Pour le départ, que tout soit prêt,
[ LES SOLDATS [ Alim en vain résisterait ! [ [ ALIM [ Sitâ !... tu l'aimais !
SCINDIA Tu m'as ravi Sitâ que j'aime !
LES SOLDATS Alim en vain résisterait !...
ALIM Tu l'aimais !
LES SOLDATS ... Non !
SCINDIA J'ai fait taire longtemps mon orgueil outragé, Mais le jour est venu du châtiment suprême ! Va ! meurs ! Oui, c'est le châtiment suprême ! Meurs, Alim, je suis vengé !
ALIM (avec une fureur désespérée) Ah ! je comprends ! C'est à toi que je dois ma défaite... Celui qui m'a frappé, c'est toi !... (le désignant aux soldats avec indignation) Traître ! meurtrier ! Qu'on le saisisse ! qu'on l'arrête ! (Morne silence des chefs. — Alim se traîne de l'un à l'autre.) (très troublé) Quoi ?... Pas un n'obéit aux ordres de son roi ! Pas un !
SCINDIA (à Alim, froidement) Ne résiste plus. – L'œuvre est faite !
ALIM Ah ! pas un !
LES SOLDATS La main des dieux pèse sur toi !
ALIM (terrassé) La main des dieux pèse sur moi ! (Désespéré, il tombe sur les coussins à l'entrée de la tente.)
LES SOLDATS Roi, quand la mort t'a touché de son aile, Et qu'elle désarme ton bras, Roi glorieux, va combattre contre elle, Et n'appelle plus tes soldats ! etc. (Tous s'éloignent. Alim fait un dernier effort pour les arrêter et retombe évanoui. Vers la fin de cette scène, Sitâ a paru à l'entrée de sa tente. Pâle, terrifiée, défaillante. – Au moment où les soldats disparaissent, elle s'approche vivement d'Alim et tombe à ses pieds. Elle reste un moment immobile, comme écrasée de douleur devant Alim toujours sans connaissance.)
SCÈNE VI ALIM, SITÂ.
SITÂ (accablée) Seule ! je reste seule en ce moment suprême ! (avec une résolution subite) Eh bien ! à ton salut, seule je suffirai.
ALIM (revenant peu à peu à lui) Sitâ... ta voix me parle...
SITÂ (avec tendresse) Oui, je suis là, je t'aime Et je te sauverai !
ALIM (comme dans un rêve) Tu m'aimes !... tu m'aimes ! (Elle l'aide à se soulever ; il la regarde avec extase.) Cet aveu dont mon cœur est avide, Ah ! je l'entends enfin pour la première fois. Je ne rêve pas... Je te vois ! Enfant, que ta lèvre timide Me le répète encor, ce mot tant espéré !...
SITÂ Je t'aime !
ALIM Tu m'aimes !
SITÂ Je t'aime et je te sauverai !
ALIM (doucement, tristement) Me sauver !... me sauver ! Il est trop tard ! Oublie Et l'ivresse promise et l'avenir si doux. Éloigne-toi, éloigne-toi ! C'est assez de ma vie Pour apaiser les dieux jaloux.
SITÂ (avec passion) Ah ! que je porte aussi le poids de leur vengeance ! Qu'ils frappent ! Je suis forte et je ne crains plus rien ! Oui, je bénis la souffrance Si mon cœur est près du tien !
ALIM Moi, je maudis ma puissance Qui lia ton sort au mien.
SITÂ Restons unis ! Restons unis ! Que je meure Près de toi
SITÂ, ALIM Restons unis ! Restons unis ! Que je meure Près de toi !
ALIM Va ! Dieu me frappe à cette heure Où ton cœur se donne à moi ! Sitâ, Dieu me frappe.
SITÂ Moi, je bénis la souffrance Près de toi ! Viens, je t'aime et je demeure, Du sort acceptons la loi !
ALIM Va, Dieu me frappe à cette heure
[ ALIM [ Où ton cœur se donne à moi ! [ [ SITÂ [ Je t'aime, je t'aime !
[ SITÂ [ Restons unis ! Restons unis ! Que je meurs [ Près de toi ! [ [ ALIM [ Sitâ, tu m'aimes ! [ Hélas ! ton cœur se donne à moi !
SITÂ, ALIM Restons unis ! Restons unis ! Que je meure Près de toi ! etc. (Des cris s'élèvent dans le camp, auxquels se mêlent des appels lointains de trompettes et de roulement des tambours. La nuit est venue.)
LES SOLDATS (au loin) À Lahore ! À Lahore !
ALIM (réussissant à se lever) Ah ! ces cris, c'est donc vrai ! La honte, l'abandon !
SITÂ (soutenant Alim chancelant) Non ! espère encor !
ALIM Non ! le Ciel reste sourd...
SITÂ Espère encor !...
[ SITÂ [ ... Dans les cieux, Indra nous entend. [ [ ALIM [ ... à nos cœurs, à nos cris. [ (essayant d'éloigner Sitâ) [ Je suis maudit ! Va ! va ! Sitâ, tu dois vivre !
SITÂ Il a pitié...
ALIM Ah ! pour moi c'est la honte !
SITÂ ... de notre amour !
[ ALIM [ Hélas ! pour nous c'est l'abandon ! la mort ! [ [ SITÂ [ Sa puissance nous défend !
LES SOLDATS (au loin) À Lahore !
ALIM Je veux les arrêter, les suivre !
SITÂ (regardant au loin avec désespoir) L'armée !
ALIM L'armée ! ô trahison infâme !...
SITÂ Trahison !
ALIM ... Ils s'en vont ! (Il veut se précipiter au dehors.)
SITÂ Dieux !
ALIM (avec un cri déchirant) Ah ! Sitâ, je suis maudit ! (Il tombe.)
SITÂ Alim ! Alim ! (Elle se jette sur le corps d'Alim.) (avec désespoir) ... Mort ! Mort ! Il est mort ! (Au loin, désordre pittoresque de l'armée commençant sa retraite. Soldats avec des torches, etc. – Les chefs paraissent, puis Scindia avec des soldats.)
LES SOLDATS À Lahore ! À Lahore ! etc.
SCINDIA (à lui-même) Il est mort ! je suis roi !
SITÂ (se relevant et reculant avec horreur) Ah ! Scindia ! Ah ! (Sur un signe de Scindia, des soldats s'emparent de Sitâ défaillante.)
LES SOLDATS À Lahore ! partons !
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(livret, édition de 1877)
ACTE DEUXIÈME
LE DÉSERT DE THÔL
Campement d'Alim, dans le désert de Thôl. — Plaine sablonneuse et nue. — Horizon immense. — Ciel enflammé. — Déclin du jour, au commencement de l'acte. — A la fin, pleine nuit. A gauche et à droite, tentes du roi, tentes de Sitâ et de ses femmes. — Tapis et coussins à l'entrée des tentes.
Entr'acte
SCÈNE PREMIÈRE SITÂ, KALED, SOLDATS, FEMMES, etc.
n° 06 — Scène
Des soldats veillent au fond. — D'autres, accroupis à gauche et pittoresquement groupés, jouent aux échecs. De petites esclaves persanes dansent pour divertir les chefs. — Kaled est au fond, regardant vers la plaine.
SITÂ, sortant de sa tente, à Kaled, avec inquiétude, en désignant le désert. Écoute !... Les rumeurs de l'ardente mêlée Éclatent au loin sous les cieux !...
KALED, avec confiance. Oui... l'armée ennemie est encor refoulée, Alim va revenir toujours victorieux !
SOLDATS, jouant aux échecs, et CHŒUR, autour d'eux. Échec au roi blanc !... Le combat s'engage !... Bataille !... Le roi noir se conduit bravement, Comme là-bas Mahmoud contre Alim !... Bon ! courage ! Échec !... mat, le roi blanc ! Ils se lèvent en renversant les pièces.
SITÂ, qui est allée vers eux et a assisté pensive à cette scène — A Kaled. Ah ! funeste présage !
KALED. Pourquoi ce pressentiment ? Sitâ congédie d'un geste les danseuses. Les soldats s'éloignent, sauf les gardes du fond.
SCÈNE II
SITÂ, KALED. n° 07 — Duo
Ecoute encor !...
KALED. Oui ! des cris de victoire !
SITÂ.
Je veux espérer, je veux croire Triste et découragée. Mais dans ce désert où nous sommes,
Dans ces lieux inconnus, en péril, loin
des hommes,
KALED, avec douceur. Le soir vient, la brise pure Berce des nuages d'or, Tout repose en la nature, Tout s'apaise, tout s'endort. Caressant la terre, lasse Des longues ardeurs du jour Sur la plaine une ombre passe Avec des frissons d'amour. Toute rumeur s'est éteinte, Là-bas, on ne combat plus ! O Sitâ, calme ta crainte, Les dieux nous ont entendus.
SITÂ, rassurée, avec Kaled. Toute rumeur s'est éteinte, Là-bas on ne combat plus ! A elle-même. Il va connaître enfin cette douce pensée Chèrement caressée, Que lui dérobait ma pudeur. Heure délicieuse, Ton ivresse remplit mon cœur, Je te bénis, je suis heureuse. Reprise de l'ensemble avec Kaled. — Puis Sitâ se retire. — A rentrée de sa tente, elle s'arrête un instant : Je suis heureuse ! Elle entre dans la tente, dont les draperies retombent. Kaled s'étend sur les tapis devant la tente d'Alim.
SCÈNE III SOLDATS, FEMMES, ESCLAVES, puis SCINDIA, et les CHEFS.
n° 08 — Scène de l'abandon
La scène demeure vide. Le jour baisse. Après un temps, sonnerie de trompettes et rumeurs lointaines. — Les soldats qui gardent le camp se lèvent et vont au fond, observer, écouter. — Nouvelles rumeurs. Un groupe de soldats entre et se joint au premier groupe. Même jeu. — La scène se remplit d'autres soldats, d'esclaves, qui arrivent avec précipitation et questionnent les deux premiers groupes. Des fuyards, soldats de l'armée d'Alim vaincue, envahissent le théâtre dans le plus grand désordre, Kaled se lève.
CHŒUR, rapide et haletant. Défaite Complète ! Tout cède, tout fuit ! Avide, Rapide, La mort nous poursuit. La plaine Est pleine De noirs bataillons ;
Lahore Entrée de Scindia suivi des principaux chefs.
SCÈNE IV SCINDIA, avec fermeté. Soldats, le roi succombe. — Tout l'accable, Il est mourant !... Les soldats, de l'un à l'autre, se répètent les paroles de Scindia. Une main implacable L'a frappé par trois fois ; oui, son règne est fini. D'un sacrilège amour les dieux l'auront puni ! Ne le servez pas davantage, Les dieux vous puniraient aussi, Et dans quelque immense carnage Aux coups d'une horde sauvage Ils vous jetteraient sans merci. Vos chefs ont invoqué mon secours. — Me voici ! Aux chefs. Ah ! je vous sauverai... je vous le dis encore. M'obéirez-vous tous ?
LE CHŒUR. Oui, tous, nous le jurons. Ici, comme à Lahore, A toi seul nous obéirons !
SCINDIA. Calmez-vous ! — Prudemment préparez la retraite. Dès que la nuit viendra, soldats, nous partirons. Impuissants à lutter après cette défaite, A la mort du moins nous échapperons.
ENSEMBLE. Avant la prochaine aurore, Pour le départ que tout soit prêt ; Vainement le roi voudrait Avec nous combattre encore. A Lahore ! Mort à qui résisterait ! Pendant cette scène, Kaled a écouté avec douleur les paroles de Scindia, puis il s'est fait jour à travers les groupes et s'est précipité hors du camp. Paraît Alim, pâle, blessé, se soutenant à peine. D'antres soldats le suivent. — Mouvement. — Silence.
SCÈNE V
LES MÊMES, ALIM. ALIM, avec indignation. On parle de partir !... On ose Commander ici... moi vivant ! Lâches, qui désertez ma cause, Regardez-moi. — J'ai prodigué mon sang Pour assurer votre fuite si prompte, Je suis blessé, mais je reste debout Et je veux lutter jusqu'au bout. Ah ! plutôt la mort que la honte !
LES SOLDATS, chœur accompagnant la suite de la phrase d'Alim. O roi, nous sommes condamnés. Des hommes et du ciel contre nous déchaînés Ta valeur n'a pu nous défendre !
ALIM. Quel ténébreux complot a pu vous entraîner ? De l'avilissement où vous allez descendre Vers mon but glorieux je vous dois ramener.
LES SOLDATS. Non !
ALIM. Misérables !...
LES SOLDATS. A Lahore ! Avant la prochaine aurore,
Pour le départ que tout soit prêt. Mort à qui résisterait ! Alim veut s'élancer vers eux ; ses forces le trahissent. Kaled reparaît. — Il veut courir vers le roi ; sur un geste de Scindia, des soldats l'arrêtent et l'entraînent loin de la scène.
LES SOLDATS, entourant le roi. CHŒUR, farouche et ironique.
Roi, quand la mort t'a touché de son aile
Va, si tu peux, te défendre contre elle ;
SCINDIA, près de lui, d'une voix haineuse. Ta royauté n'est plus qu'une ombre vaine Et mon pouvoir succède au tien. Si tu tombes, c'est par ma haine, Car je te hais, sache-le bien !
ALIM. Ah ! qu'entends-je !
SCINDIA. Tu m'as ravi Sitâ que j'aime J'ai fait taire longtemps mon orgueil outragé, Mais le jour est venu du châtiment suprême.
ALIM. Il l'aimait !
SCINDIA. Meurs, Alim, je suis vengé.
ALIM, avec une fureur désespérée. Je comprends ! c'est à toi que je dois ma défaite... Celui qui m'a frappé, c'est toi !... Traître ! meurtrier ! Le désignant aux soldats. Qu'on l'arrête ! Morne silence des chefs. — Alim se traîne de l'un à l'autre. — Très troublé. Quoi ?... pas un n'obéit aux ordres de son roi ?
SCINDIA, à Alim, froidement. Ne résiste plus. — L'œuvre est faite !
LES SOLDATS. La main des dieux pèse sur toi !
ALIM, terrassé. La main des dieux pèse sur moi ! Il tombe sur les coussins à l'entrée de la tente.
LE CHŒUR. Roi, quand la mort t'a touché de son aile Et qu'elle désarme ton bras,
Va, si tu peux, te défendre contre elle, Tous s'éloignent. Alim fait un dernier effort pour les arrêter et retombe évanoui. Pendant le chœur précédent, Sitâ a paru à l'entrée de sa tente. — Pâle, terrifiée, défaillante, elle ne peut aller vers Alim. Au moment où les soldats disparaissent, elle triomphe à peine de sa terreur ; elle se redresse enfin et court vers le roi, toujours sans connaissance.
SCÈNE VI ALIM, SITÂ.
n° 09 — Scène et Duo
SITÂ, accablée. Seule ! Je reste seule à ce moment suprême. Avec une résolution subite. Eh bien ! à ton salut, seule je suffirai.
ALIM, vaguement. Sitâ, ta voix me parle...
SITÂ, avec tendresse. Oui, je suis là, je t'aime Et je te sauverai !
ALIM, comme dans un rêve. Tu m'aimes !... Elle l'aide à se soulever ; il la regarde avec extase. Cet aveu dont mon cœur est avide,
Ah ! je l'entends enfin pour la première
fois. Me le répète encor, ce mot tant espéré !...
SITÂ. Alim ! Alim ! je t'aime et je te sauverai !
ALIM, doucement, tristement. Me sauver !... me sauver ! Il est trop tard ; oublie Et l'ivresse promise et l'avenir si doux. Éloigne-toi. C'est assez de ma vie Pour apaiser les dieux jaloux.
SITÂ, avec passion. Ah ! que je porte aussi le poids de leur vengeance ! Qu'ils frappent ; je suis forte et je ne crains plus rien ! Oui, je bénis la souffrance Quand mon cœur est près du tien !
ALIM. Moi, je maudis ma puissance Qui lia ton sort au mien.
SITÂ. Ah ! je t'aime, je demeure, Du sort acceptons la loi.
ALIM. Le ciel me frappe, à cette heure Où ton cœur se donne à moi.
ENSEMBLE.
Restons unis ; que je meure Après cet ensemble, des cris s'élèvent dans le camp : A Lahore ! à Lahore ! A ces cris se mêlent des appels lointains de trompettes et le roulement des tambours. Les cris se rapprochent. La nuit est venue pendant la fin de l'ensemble précédent. — Le ciel est orageux et de plus en plus sombre. — Au milieu des cris et des sonneries de trompettes on entend les sourds grondements du tonnerre.
ALIM, frappé et répétant machinalement les mots qu'il entend au loin. A Lahore ! Avec égarement. Je veux les arrêter... les suivre !... L'armée !... ô trahison infâme !... Ils s'en vont. Ah ! Il veut se précipiter au dehors. Je ne puis plus !... Avec un cri déchirant. Sitâ ! je suis maudit ! Sitâ !
SITÂ. Soutenant Alim chancelant. Espère encor !
ALIM. Hélas ! Adieu ! Essayant d'éloigner Sitâ, d'une voix expirante. Va... tu dois vivre ! Il tombe. Sitâ se jette sur son corps.
SITÂ. Alim ! Avec désespoir. Mort ! il est mort !
SCÈNE VII
LES MÊMES, SCINDIA, CHEFS, SOLDATS. SCINDIA, paraissant sur le dernier cri de Sitâ. Je suis roi !
SITÂ, se relevant et reculant avec horreur à la vue de Scindia que suivent les chefs. Scindia ! Au fond, désordre pittoresque de l’armée commençant sa retraite. Soldats avec des torches, etc. — En scène, Sitâ éperdue au milieu de la suite de Scindia. — On s'empare d'elle. — Tableau.
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Acte III. maquette par Jean-Baptiste Lavastre pour la création
(version de la partition)
ACTE TROISIÈME
LE PARADIS D'INDRA
Le jardin des bienheureux dans le paradis d'Indra sur le Mont Mérou. — Végétation magnifique. — Lumière intense. — Les âmes heureuses des rois et des hommes, les divinités du ciel sont réunies autour d'Indra.
SCÈNE PREMIÈRE INDRA et LES DIVINITÉS SECONDAIRES, LES ÂMES HEUREUSES DES ROIS ET DES HOMMES, LES APSARAS (HOURIS DU PARADIS D'INDRA.)
CHŒUR INVISIBLE Voici le paradis ! Voici le paradis ! Voici le paradis !
ESPRITS CÉLESTES, ÂMES HEUREUSES DES ROIS ET DES HOMMES Gloire, tout s'éclaire ! Gloire, tout rayonne ! Libres du lien mortel, Nous planons dans la lumière, Oubliant la vie amère Pour les délices du ciel. Sans jamais ternir l'aurore Qui brille sur notre front, Mille siècles passeront, Et mille siècles encore ! Dans ces jardins enchantés, Leur (notre) éternelle jeunesse Voit sourire à son ivresse D'éternelles voluptés ! Tout rayonne ! Ah ! tout s'éclaire ! Tout rayonne ! Ah ! tout s'éclaire !
DIVERTISSEMENT
A. Pantomime et danse B. Mélodie hindoue variée C. Final
SCÈNE II LES MÊMES, INDRA, puis ALIM.
INDRA Quel est celui qui vient ? Son front pâle s'incline Comme si, dédaignant la volupté divine, Il regrettait ici les misères d'en bas. (Paraît Alim. — Il marche lentement et tristement, au milieu de la foule brillante. — Indra s'avance vers lui.) (à Alim) Homme, qui donc es-tu, toi qui ne souris pas ?
ALIM Hier, je comptais dans la vie Parmi les grands et les heureux ; J'étais de ces rois qu'on envie, Mon âme doucement ravie Se berçait d'un rêve amoureux.
INDRA Espère en la vie immortelle !
ALIM (se prosternant aux pieds d'Indra, puis avec éclat) Souverain du ciel, écoute mes vœux ! Rends-moi celle que j'aime !
INDRA (calme et grave) Son jour n'est pas venu.
ALIM ... Mais la mort elle-même T'obéit, roi du ciel, et je puis être heureux. (avec une ardeur suppliante) Indra, redonne-moi la vie. De l'amour de Sitâ, du destin que j'envie, Laisse encor s'enivrer mon cœur ! Ah ! dix siècles d'enfer pour une autre existence !
INDRA Dix siècles de tourments pour une vie humaine !... Insensé ! Va, pourtant, Les dieux ont pitié de ta peine : Tu vivras !
ALIM Ô Dieu bon !
Incantation
ESPRITS CÉLESTES, ÂMES HEUREUSES Qu'il soit lui, qu'il ne soit plus lui ! Qu'il dorme dans la tombe et marche sur la terre ! Que son âme immortelle ait un corps de poussière ! Qu'elle prenne encore une voix, Qu'il aille vivre, aimer et souffrir !
INDRA Tu ne seras plus roi ! Sous des habits de laine, Humble tu passeras dans cette foule humaine Et mon seul pouvoir te protégera. Que Sitâ soit parjure ou qu'elle soit fidèle, Un commun destin vous enchaînera, Et quand elle mourra, tu mourras avec elle. Ne redoutes-tu pas cette épreuve aujourd'hui ?
ALIM Non ! je suis prêt !
INDRA, PUIS ESPRITS CÉLESTES ET ÂMES HEUREUSES Qu'il soit lui ! Qu'il ne soit plus lui ! Qu'il dorme dans la tombe et marche sur la terre ! Que son âme immortelle ait un corps de poussière ! Qu'elle prenne encore une voix ! Qu'il aille vivre, aimer et souffrir !
ALIM Aimer et vivre !... Aimer, douce promesse ! Aimer et vivre ! Bonheur divin !...
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(livret, édition de 1877)
ACTE TROISIÈME
LE PARADIS D'INDRA
Le jardin des bienheureux dans le paradis d'Indra, sur la montagne de Mérou. — Végétation magnifique. — Lumière intense.
SCÈNE PREMIÈRE INDRA et LES DIVINITÉS SECONDAIRES, LES ÂMES HEUREUSES DES ROIS ET DES HOMMES, LES APSARAS (HOURIS DU PARADIS D'INDRA.)
n° 10 — Marche céleste
CHŒUR. Tout rayonne ! tout s'éclaire ! Libres du lien mortel Nous planons dans la lumière, Oubliant la vie amère Pour les délices du ciel. Sans jamais ternir l'aurore Qui brille sur notre front, Mille siècles passeront Et mille siècles encore ! Dans ces jardins enchantés, Notre éternelle jeunesse Voit sourire à son ivresse D'éternelles voluptés !
DIVERTISSEMENT
I et II. — Danses des Apsaras pendant le chœur. III et IV. — Les Apsaras et les âmes heureuses se cherchent, s'appellent et jouent parmi les fleurs. — Andante. V. — Danse (Mouvement de valse). VI. — Episode. — Le jeune dieu Nareda se lève au milieu de l'assemblée. — Au son de sa flûte, il charme et attire les âmes.
VII, VIII, IX et X. — Variations sur
la mélodie hindoue de Nareda.
SCÈNE II LES MÊMES, INDRA, puis ALIM.
n° 11 — Scène finale
INDRA. Quel est celui qui vient ? son front pâle s'incline Comme si dédaignant la volupté divine Il regrettait ici les misères d'en bas. Paraît Alim. — Il marche lentement et tristement, au milieu de la foule brillante. — Indra s'avance vers lui. A Alim, en scène. Homme qui donc es-tu, toi qui ne souris pas ?
ALIM. Hier, je comptais dans la vie, Parmi les grands et les heureux ; J'étais de ces rois qu'on envie, Mon âme doucement ravie Se berçait d'un rêve amoureux.
INDRA. Espère en la vie immortelle !
ALIM, se prosternant aux pieds d'Indra, puis avec éclat. Souverain du ciel, écoute mes vœux ! Rends-moi celle que j'aime.
INDRA, calme et grave. Son jour n'est pas venu.
ALIM. Mais la mort elle-même T'obéit, roi du ciel, et je puis être heureux. Avec une ardeur suppliante. Indra, redonne-moi la vie. De l'amour de Sitâ, du destin que j'envie Laisse encor s'enivrer mon cœur. Ah ! dix siècles d'enfer pour une autre existence ! Dix siècles de souffrance Pour un jour de bonheur !
INDRA.
Dix siècles de tourments pour une vie
humaine !... Va, cependant, tu seras exaucé. Les dieux ont pitié de ta peine : Tu vivras.
ALIM. O Dieu bon !
INDRA. Tu ne seras plus roi. Parmi ceux qui tremblaient naguères devant toi, Humble, tu t'en iras, sous des habits de laine, Et mon seul pouvoir te protégera. Que Sitâ soit parjure ou qu'elle soit fidèle. Un commun destin vous enchaînera, Et quand elle mourra, tu mourras avec elle. Ne redoutes-tu pas cette épreuve aujourd'hui ?
ALIM. Non ! je suis prêt !
ENSEMBLE
INDRA, puis LES DIVINITÉS et LES
CHŒURS CÉLESTES. Qu'il soit lui, qu'il ne soit plus lui ! Qu'il dorme dans la tombe et marche sur la terre ! Que son âme immortelle ait un corps de poussière ! Qu'elle prenne encore une voix ! Qu'il aille vivre, aimer, souffrir, jusqu'à cette heure Où celle qui le pleure Subira de la mort les éternelles lois.
ALIM, pendant l'incantation. Vivre !... aimer !... souffrir !... lier à sa vie Un nouveau destin ! O douce promesse ! ô bien que j'envie ! O bonheur divin !... Alim semble s'endormir au milieu des Apsaras et des Divinités qui l'entourent. Tableau.
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ACTE QUATRIÈME
[Composé en juin 1877 pour les représentations turinoises, intégré aux premiers tirages de la Nouvelle édition française, retiré ensuite sans avoir été donné à l'Opéra de Paris, ce premier tableau a été joué en Italie, l'acte IV initial devenant le 2e tableau de l'acte IV]
À Lahore, une chambre dans le palais royal.
Entracte et Duo
SITÂ (seule) Ô nuit, terrible nuit ! Parfois mon cœur repousse ton sanglant souvenir ; Je crois que j'ai rêvé, que mon deuil va finir. Que la réalité, plus riante et plus douce, Va me rendre l'amour pour jamais triomphant ! Hélas, Alim est mort, et rien ne me défend ! Je suis captive. On vient ! Ah ! Scindia peut-être, Non, Timour.
TIMOUR Je t'apporte ici l'ordre du maître. Scindia, roi, demain veut être ton époux.
SITÂ (avec un sentiment de dédain) Et c'est toi ! toi ! qui vient m'apporter ce message, Toi qui parlais naguère au nom d'un dieu jaloux... Prêtre, n'as-tu donc plus d'orgueil, ni de courage ?
TIMOUR (paternellement et avec un sentiment de reproche) Ô Sità, t'ai-je dit que je t'abandonnais ? Non ! c'est l'âme indignée Que vers toi je venais. Par celui qui n'est plus ma voix fut dédaignée Quand je parlais au nom d'Indra ; Aujourd'hui plus puissante elle t'arrachera Aux vœux d'un sacrilège, au pouvoir d'un impie. Tant que les dieux cléments me laisseront la vie, Ne désespère pas ! Ne désespère pas !
SITÂ (avec abandon) Ah ! sois béni, Timour ! sois béni ! Tu me rendras l'humble retraite Où, pleurant mes rêves d'un jour, Comme en une tombe muette J'ensevelirai mon amour. Évoquant une ombre adorée, Je veux la revoir aujourd'hui, Cette solitude sacrée Où tout va me parler de lui... Là revit avec ma jeunesse, Avec mes désirs et mes vœux, Le parfum de notre tendresse, Le reflet de nos jours heureux !
[ TIMOUR [ Viens ! ma fille, je saurai te sauver ! [ Et des dieux je tiens la puissance, [ Ma fille, je veux te sauver ! [ [ SITÂ [ Évoquant une ombre adorée, [ Je veux la revoir aujourd'hui, [ Cette solitude sacrée [ Où tout va me parler de lui...
SITÂ Là revit avec ma jeunesse,
[ SITÂ [ Avec mes désirs et mes vœux [ Le parfum de notre tendresse, [ Le reflet de nos jours heureux ! [ Le reflet de nos jours heureux ! [ [ TIMOUR [ Viens ! [ Des dieux je tiens une puissance [ Que les rois ne sauraient braver ! [ Que les rois ne sauraient braver !
SITÂ Tu me rendras l'humble retraite, Tu me rendras les jours heureux ! Sois béni !
TIMOUR Viens ! ma fille, Je veux te sauver !
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Acte IV. maquette par Antoine Lavastre et Eugène Carpezat pour la création
(version de la partition)
ACTE QUATRIÈME
UNE GRANDE PLACE À LAHORE
Lahore. – Grande place. – Au fond, la ville. – À droite, le palais des rois. – Alim est endormi sur les marches. Il est vêtu comme un homme du peuple. – Premières clartés du matin.
SCÈNE PREMIÈRE
ALIM, CHŒUR INVISIBLE, puis QUELQUES
CHEFS.
CHŒUR INVISIBLE Qu'il soit lui, qu'il ne soit plus lui ! Qu'il dorme dans la tombe et marche sur la terre, Qu'il aille vivre, aimer et souffrir ! (Alim s'éveille, écoute, se lève et vient en scène.)
ALIM (comme extasié et tournant son regard vers le ciel) Voix qui me remplissez d'une ineffable ivresse, Voix qui parlez du ciel à mon cœur éperdu, Ah ! je comprends enfin la divine promesse : Je revois mon palais, je vis, tout m'est rendu! (avec égarement) Mon palais !... Qu'ai-je dit ? (À ce moment, quelques officiers sortent du palais. – Alim se tient à distance et les observe.)
UN OFFICIER (à ses compagnons) Durant la nuit dernière, Scindia dans le temple a veillé saintement. Il revient, acclamé ; la ville tout entière Applaudit aux splendeurs de son couronnement.
ALIM (à part) Ah ! le traître !
L'OFFICIER Allons le recevoir ! (Les officiers s'éloignent.)
ALIM Cet homme, à cette heure, Plus que moi redouté, Est maître de cette demeure, L'usurpateur par le peuple est fêté ! Mais elle !... Ô Sitâ bien aimée, Alim ne règne plus, ton maître a pu mourir. Qu'importe que d'un roi la tombe soit fermée ! Ton amant seul revient, c'est moi, Sitâ, C'est moi ! je reviens pour te reconquérir ! C'est moi. Sitâ, c'est ton amant ! Sitâ, c'est moi ! je reviens ! Dans la nuit, la nuit fatale Où j'expirais, seul, impuissant, Je te revois, tremblante et pâle, Mêlant tes larmes à mon sang. Ô désespoir ! ta voix amie Murmurait un pudique aveu, Quand de ma lèvre inassouvie, Dans un soupir d'amour, un éternel adieu Allait s'enfuir, avec ma vie ! Sous la clarté du ciel immense, Je m'en allais, désespéré ! Je t'appelais dans le silence. Le ciel semblait désert à mon cœur déchiré. Mais j'ai retrouvé l'espérance, Un jour plus radieux commence Pour mon amour transfiguré. Alim ne règne plus, ton maître a pu mourir, Ton amant seul revient ! C'est moi, Sitâ ! Je reviens pour te reconquérir ! C'est moi, Sitâ, c'est ton amant ! Sitâ, c'est moi ! Je reviens ! (Il se précipite dans le palais. – À ce moment, on entend les cris de la foule annonçant l'arrivée de Scindia. – Fanfares. – Le peuple envahit la place. – Le cortège royal s'avance : prêtres, prêtresses, représentants de toutes les castes, soldats, esclaves, bayadères, images sacrées portées à bout de bras, gardes du roi, et enfin Scindia.)
n° 12 bis — Air de ténor
[Composé pour la partition italienne.]
ALIM Cet homme, à cette heure, Plus que moi redouté, Est maître de cette demeure, L'usurpateur par le peuple est fêté ! Mais elle !... Ô Sitâ bien aimée, Alim ne règne plus, ton maître a pu mourir. Qu'importe que d'un roi la tombe soit fermée ! Ton amant seul revient, c'est moi, Sitâ, C'est moi ! je reviens pour te reconquérir ! C'est moi. Sitâ, c'est ton amant ! Sitâ, c'est moi ! je reviens ! Dans la nuit, la nuit fatale Où j'expirais, seul, impuissant, Je te revois, tremblante et pâle, Mêlant tes larmes à mon sang. Dans cette nuit je te revois Mêlant tes larmes à mon sang ! Sitâ, Un jour plus radieux se lève Pour notre amour tranfiguré. Ton amant seul revient ! C'est moi, Sitâ ! Alim ne règne plus ! Ton maître a pu mourir, hélas ! Ton amant seul revient ! C'est moi ! Je reviens, Sitâ, je reviens !
SCÈNE II SCINDIA, TIMOUR, PRÊTRES, REPRÉSENTANTS DE TOUTES LES CASTES, SOLDATS, ESCLAVES, PRÊTRESSES, BAYADÈRES, PEUPLE, SUITE DE SCINDIA.
LA FOULE (pendant le cortège) Roi des rois de la terre, Tous, le front dans la poussière, Proclament ta majesté ! (Scindia et sa suite s'avancent au milieu de la foule prosternée.)
B. Récit et Arioso
SCINDIA (à la foule) Aux troupes du sultan qui menaçaient Lahore, La royale cité, Notre puissance est redoutable encore ! Comme si les chassait quelque invisible main, Elles ont du désert regagné le chemin. Le peuple est rassuré ; c'est mon nom qu'il acclame ; Le calme est rentré dans mon âme, Et je puis être heureux. (à lui-même) Promesse de mon avenir, Ô Sitâ, rêve de ma vie. Ô beauté qui me fus ravie, Enfin tu vas m'appartenir ! Viens charmer mon cœur amoureux, Viens sourire aux splendeurs du monde ! Ô Sitâ, viens, je t'attends, je t'aime ! Ma main te garde un diadème. Ah ! viens charmer mon cœur amoureux, Viens sourire aux splendeurs du monde ! Ô Sitâ, rêve de ma vie, Viens charmer mon cœur amoureux, Viens, Sitâ, ah ! viens ! (Scindia se dirige vers le palais. — Au même instant, Alim, chassé par les gardes de l'intérieur, reparaît sur le seuil du palais et se trouve en face de Scindia. — Trouble et stupeur de la foule à l'aspect d'Alim. — Le cortège s'arrête.)
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(livret, édition de 1877)
ACTE QUATRIÈME
UNE GRANDE PLACE À LAHORE
Lahore. — Grande place. — Au fond, la ville. — A droite, le palais des rois. — Alim est endormi sur les marches. Il est vêtu comme un homme du peuple. Premières clartés du matin.
SCÈNE PREMIÈRE
ALIM, CHŒUR INVISIBLE, puis QUELQUES
CHEFS. n° 12 — Scène, Récit et Air
CHŒUR INVISIBLE. Paroles de l’INCANTATION répétées par des voix célestes. — Pendant le chœur, Alim s'éveille, écoute, se lève, et vient en scène.
ALIM, comme extasié. Voix qui me remplissez d'une ineffable ivresse, Voix qui parlez du ciel à mon cœur éperdu, Ah ! je comprends enfin la divine promesse : Je revois mon palais, je vis, tout m'est rendu ! Avec égarement. Mon palais !... Qu'ai-je dit ? A ce moment, quelques officiers sortent du palais. — Alim se tient à distance et les observe.
UN DES OFFICIERS, à ses compagnons. Durant la nuit dernière Scindia dans le temple a veillé saintement. Il revient, acclamé ; la ville tout entière Applaudit aux splendeurs de son couronnement. Allons le recevoir ! Ils s'éloignent,
ALIM. Ah ! le traître, à cette heure, Plus que moi redouté, Est maître de cette demeure, L'usurpateur par le peuple est fêté ! Mais elle !... O Sitâ bien-aimée, Alim ne règne plus, ton maître a pu mourir. Qu'importe que d'un roi la tombe soit fermée ! Ton amant seul revient pour te reconquérir ! Ah ! dans la nuit, la nuit fatale Où j'expirais, seul, impuissant, Je te revois, tremblante et pâle Mêlant tes larmes à mon sang. O désespoir ! ta voix amie Murmurait un pudique aveu Quand de ma lèvre inassouvie, Dans un soupir d'amour, un éternel adieu Allait s'enfuir, avec ma vie ! Et je mourais, désespéré ! Sous la clarté du ciel immense Je t'appelais dans le silence. Le ciel semblait désert à mon cœur déchiré. Mais, j'ai retrouvé l'espérance, Un jour plus radieux commence Pour notre amour transfiguré. Il se précipite dans le palais. — A ce moment on entend les cris de la foule annonçant l'arrivée de Scindia. — Fanfares. — Le peuple envahit la place. — Entrée du cortège.
SCÈNE II SCINDIA, TIMOUR, PRÊTRES, REPRÉSENTANTS DE TOUTES LES CASTES, SOLDATS, ESCLAVES, PRÊTRESSES, BAYADÈRES, PEUPLE, SUITE DE SCINDIA.
n° 13 — Final
A. Cortège — Marche
O roi des rois de la terre, Tous, le front dans la poussière Proclament ta majesté ! Scindia et sa suite s'avancent an milieu de la foule prosternée.
B. Récit et Arioso
SCINDIA, en scène. Aux troupes du sultan qui menaçaient Lahore, La royale cité, Notre puissance est redoutable encore ! Comme si les chassait quelque invisible main, Elles ont du désert regagné le chemin.
Le peuple est rassuré ; c'est mon nom
qu'il acclame, Et je puis être heureux enfin. A lui-même. O Sitâ, rêve de ma vie, Promesse de mon avenir, O beauté qui me fus ravie, Enfin, tu vas m'appartenir ! Laisse en leur retraite profonde, Tes compagnes servir les dieux, Viens sourire aux splendeurs du monde, Viens charmer mon cœur amoureux ! Scindia se dirige vers le palais. — Au même instant, Alim, chassé par les gardes de l'intérieur, reparaît sur le seuil du palais et se trouve en face de Scindia. — Trouble et stupeur de la foule. — Le cortège s'arrête.
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SCÈNE III LES MÊMES, ALIM.
C. Scène finale
ALIM (avec un cri) Scindia !
SCINDIA (frappé) Dieux vengeurs !
[ TIMOUR, LES PRÊTRES, LA FOULE [ Ô prodige ! ô mystère ! [ Il a les traits d'Alim, son regard et sa voix ! [ Est-ce un spectre... ou la terre [ Nous rend-elle vivant le dernier de nos rois ? [ [ SCINDIA (avec eux) [ Ô terrible mystère ! [ Et pourtant j'ai frappé, j'ai vu mourir le roi ! [ Est-ce donc que la terre, [ Comme un spectre vengeur le place devant moi ?
ALIM (à Scindia troublé) Scindia, tu pourrais redouter ma présence,
[ ALIM [ Car je te parle au nom de celui qui n'est plus, [ Tu lui pris lâchement le trône et la puissance ; [ Il peut te pardonner ce crime et cette offense, [ Mais rends-lui le plus cher des biens qu'il a perdus. [ (avec éclat) [ C'est l'amour de Sitâ que je te redemande ! [ [ TIMOUR, SCINDIA, LES PRÊTRES, LA FOULE [ Son regard... et sa voix [ Ô prodige ! ô mystère ! [ Ô prodige ! ô mystère ! [ [ TIMOUR [ Son regard... et sa voix
SCINDIA (avec fureur) Sitâ !
TOUS Que dit-il ? Son audace est grande !
SCINDIA (aux gardes) Saisissez-le !
ALIM Je brave la mort !
SCINDIA Saisissez l'imposteur ! (Les soldats reculent devant le geste souverain d'Alim.)
ALIM Quelqu'un de vous peut-il me méconnaître ? Je suis Alim, votre roi !
LA FOULE Notre roi... il est fou !
TIMOUR, puis LES PRÊTRES C'est un dieu qui l'inspire !
SCINDIA (aux soldats) Saisissez-le ! Qu'il meure !
TIMOUR (s'interposant) Non, c'est un illuminé !
[ SCINDIA (complètement hors de lui, à Timour) [ Obéis ! je le veux, ma voix l'a condamné ! [ Ne le dérobe pas, Timour, à ma colère, [ Cède au droit souverain que les chefs m'ont donné, [ Cet homme est un danger, puisqu'il est un mystère ; [ Que les dieux soient en lui, que leur esprit s'éclaire, [ Que m'importe ! Obéis ! ma voix l'a condamné. [ [ TIMOUR, LA FOULE (regardant Alim avec une crainte respectueuse) [ Soumets-toi, il le faut ! C'est un illuminé, il est fou ! [ Sois clément. C'est un illuminé ! [ Détourne de son front le poids de ta colère ; [ Au seuil de ton palais, par le sort amené, [ Cet homme porte en lui quelque imposant mystère, [ C'est un dieu qui l'inspire et le ciel qui l'éclaire, [ Qu'il soit libre ! Il le faut ! c'est un illuminé ! [ [ ALIM [ Soumets-toi ! soumets-toi ! les dieux ont ordonné ! [ Sitâ ne t'aime pas et vaine est ta colère ! [ (avec foi) [ Oh ! le ciel est pour moi, l'esprit d'en haut m'éclaire, [ Soumets-toi ! soumets-toi ! les dieux ont ordonné !
[ TIMOUR, PUIS LA FOULE [ C'est un dieu qui l'inspire, [ C'est un dieu qui l'inspire, [ L'esprit divin l'éclaire. [ [ ALIM [ L'esprit divin m'éclaire. [ [ SCINDIA [ Je le veux ! obéis ! [ Je veux qu'il meure !
SCINDIA (à part) Ô terrible mystère !
[ SCINDIA [ Et pourtant j'ai frappé, j'ai vu mourir le roi ! [ [ TIMOUR [ Tu le vois ! l'esprit divin l'éclaire. [ [ ALIM [ L'esprit divin m'éclaire. [ [ LA FOULE [ C'est un illuminé, [ C'est un dieu qui l'inspire [ C'est un dieu qui l'inspire [ Et le ciel l'éclaire.
[ ALIM [ Ah ! le ciel est pour moi, [ Ah ! le ciel est pour moi, [ Le ciel ! soumets-toi ! [ [ TIMOUR puis LA FOULE [ Qu'il soit libre, il est fou ! [ Qu'il soit libre, il est fou ! [ [ SCINDIA [ Que m'importe, obéis ! [ [ TIMOUR puis LA FOULE [ C'est le ciel qui l'éclaire ! [ C'est le ciel qui l'éclaire ! [ Il est fou ! [ [ SCINDIA [ Obéis, je le veux ! Obéis !
SCINDIA Ma voix l'a condamné,
[ SCINDIA [ Ma voix l'a condamné. [ [ ALIM [ Les dieux ont ordonné. [ [ TIMOUR, LA FOULE [ C'est un illuminé !
TIMOUR, LA FOULE Un dieu inspiré Un dieu inspiré Et le ciel l'éclaire !
[ ALIM [ C'est un dieu qui m'inspire et le ciel qui m'éclaire ! [ Les dieux puissants ont ordonné ! [ Soumets-toi ! Scindia, les dieux ont ordonné ! [ [ SCINDIA [ Que le dieu qui l'inspire soit donc en lui ! [ Que le ciel l'éclaire ! [ Déjà ma voix l'a condamné ! [ Je le veux ! [ Point de grâce ! non ! jamais ! [ [ TIMOUR, LA FOULE [ C'est un dieu qui l'inspire [ Et le ciel l'éclaire. [ Les dieux puissants l'ont amené ! [ Sois clément, sois clément, [ Scindia ! sois clément !
TIMOUR (à Scindia, avec une grande fermeté) Roi, cet homme t'a dit la volonté divine : Il réclame Sitâ, car Dieu nous la destine !
SOLDATS La reine !...
LA FOULE Voici la reine ! (Paraît le palanquin de Sitâ, escorté de femmes et de gardes.)
SCINDIA (avec un sourire triomphant et dédaigneux, à Timour, pour toute réponse) Voici la reine !
ALIM (comprenant tout) Sitâ, reine !... Parjure !
TIMOUR Viens !... je te sauverai ! (Alim, hors de lui, veut s'élancer. Les gardes vont s'emparer de lui. Timour et les prêtres le protègent.)
ALIM Ah ! je la reverrai !
LA FOULE Roi des rois, gloire à toi !
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SCÈNE III LES MÊMES, ALIM.
C. Scène finale
ALIM, avec un cri. Scindia !
SCINDIA, frappé. Dieux vengeurs !
TIMOUR, LES PRÊTRES, LES SOLDATS, LA
FOULE. O prodige ! ô mystère ! Il a les traits d'Alim, son regard et sa voix ! Est-ce un spectre... ou la terre Nous rend-elle vivant le dernier de nos rois ?
SCINDIA. O terrible mystère ! Et pourtant j'ai frappé, j'ai vu mourir le roi ! Est-ce donc que la terre, Comme un spectre vengeur le place devant moi ?
ALIM, à Scindia troublé. Scindia, tu pourrais redouter ma présence, Car je te parle au nom de celui qui n'est plus, Tu lui pris lâchement le trône et la puissance ; Il peut te pardonner ce crime et cette offense, Mais rends-lui le plus cher des biens qu'il a perdus. Avec éclat. C'est l'amour de Sitâ que je te redemande !
SCINDIA, avec fureur. Sitâ !
TOUS. Que dit-il ? son audace est grande !
SCINDIA. Saisissez l'imposteur !
ALIM. Ah ! je brave la mort ! Soldats, je ne crains pas votre inutile effort ! Les soldats reculent devant le geste souverain d'Alim.
Quelqu'un de vous peut-il encor me
méconnaître ?
ENSEMBLE LA FOULE. Il est fou !
TIMOUR, puis les PRÊTRES. C'est un Dieu qui l'inspire peut-être !
LA FOULE. Il est fou !
SCINDIA, complètement hors de lui, à Timour. Je te le dis, prêtre, Je veux qu'il meure. Obéis-moi !... Je suis le roi ! je suis le maître !...
Obéis ! obéis ! Ma voix l'a condamné ! Cède au droit souverain que les chefs m'ont donné, Cet homme est un danger, puisqu'il est un mystère ; Que les dieux soient en lui, que leur esprit l'éclaire, Que m'importe ! obéis ! ma voix l'a condamné.
TIMOUR, et LE CHŒUR, regardant Alim avec une respectueuse crainte. Sois clément ! sois clément ! C'est un illuminé ! Détourne de son front le poids de ta colère ; Au seuil de ton palais, par le sort amené, Cet homme porte en lui quelque imposant mystère, C'est un Dieu qui l'inspire et le ciel qui l'éclaire, Qu'il soit libre ! Il le faut ! c'est un illuminé !
ALIM. Soumets-toi ! soumets-toi ! les dieux ont ordonné ! Sitâ ne t'aime pas et vaine est ta colère ! Avec foi. Oh ! le ciel est pour moi, l'esprit d'en haut m'éclaire, Soumets-toi ! soumets-toi ! les dieux ont ordonné.
TIMOUR, à Scindia, avec autorité, après l'ensemble, Roi, cet homme t'a dit la volonté divine : Il réclame Sitâ, car Dieu nous la destine, C'est un illuminé !
CRIS DE LA FOULE, au loin. Voici la reine !...
SCINDIA, avec un sourire triomphant et dédaigneux, à Timour, pour toute réponse. Voici la reine !
ALIM, comprenant tout. Ah ! dieux ! Il veut s'élancer ; les gardes, sur un dernier geste de Scindia, se disposent à s'emparer de lui.
TIMOUR, s’interposant, à Alim. Viens !... je te sauverai ! Il le pousse parmi les prêtres, fait un signe. — Les prêtres l'entourent et le dérobent aux soldats. — A ce moment, paraît le palanquin de Sitâ, escorté de femmes et de gardes. — Le peuple, les soldats et Scindia se portent au devant de Sitâ. — Les prêtres et Timour, ainsi qu’Alim, forment un groupe isolé à droite.
ALIM, pendant le passage de Sitâ. Reine ? Parjure ? Infâme !... Ah ! je la reverrai.
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Acte V. 1er tableau. maquette par Auguste Rubé et Philippe Chaperon pour la création
(version de la partition)
ACTE CINQUIÈME
LE SANCTUAIRE D'INDRA, DANS LE TEMPLE
Le sanctuaire d'Indra. Même décor qu'au deuxième tableau du premier acte, ou sous un autre aspect. La statue colossale du dieu rayonne dans l'ombre.
Entr'acte
SCÈNE PREMIÈRE
Sitâ entre précipitamment, s'arrête un instant, haletante, et écoute.
SITÂ (après un temps) J'ai fui la chambre nuptiale, Sans doute Scindia m'appelle en ce moment, En menaces de mort sa colère s'exhale ; Ah ! je crains son amour plus que son châtiment ! De sa pitié que puis-je encore attendre ? Un seul homme devait contre lui me défendre : Il a bravé Timour ! Rien ne l'arrêtera. Il me fera poursuivre ici, mais que m'importe ! Vainement ses soldats franchiront cette porte, La mort est un refuge où nul ne m'atteindra ! Oui, l'heure est venue où, lasse de vivre, Apaisant mon cœur d'amour consumé, Je pourrai te suivre, Ô mon bien-aimé ! De ma douleur que la mort me délivre ! Adieu donc, ô cruel passé ! Douce mort, ta volupté m'enivre, Tu me rendras l'amour trop tôt brisé. Dans l'azur et dans la lumière, Pour toujours nous serons réunis. (vers la statue d'Indra) Témoin de mon chaste délire, Confident de mes premiers vœux, Image du Dieu bon dont les traits radieux Dans l'ombre semblent me sourire, J'ai voulu revenir expirer sous tes yeux. (avec une exaltation croissante) Indra, reçois mon âme ! Que la mort me délivre. Adieu donc, ô cruel passé ! Dans l'azur et dans la lumière, Pour toujours nous serons réunis. L'heure est venue, je vais te suivre, Ô mon bien-aimé ! (Elle tire un poignard, va se frapper)
n° 14 bis — Air de soprano
[Composé pour Joséphine de Reszké.]
SITÂ Que les douleurs de la terre Ne soient plus qu'un souvenir ! Dans l'azur, dans la lumière La mort va nous réunir ! La mort va nous réunir ! L'heure est venue, je vais te suivre, Ô mon bien-aimé. Ô mon bien-aimé. Que les douleurs de la terre Ne soient plus qu'un souvenir ! Dans l'azur, dans la lumière La mort va nous réunir ! Je vais te suivre ! ô bien-aimé ! Je vais te suivre, ô mon bien-aimé ! L'heure est venue ! mon bien-aimé !
VOIX DES PRÊTRESSES (dans les profondeurs du temple) Voici la nuit !
SITÂ La prière !
VOIX DES PRÊTRESSES Voici la nuit !... Mes sœurs, prions. Les étoiles sur nous versent leurs blancs rayons, Indra, maître du ciel, Indra, nous t'adorons !
SITÂ Aux premières ombres du soir, Quand je chantais ainsi je le voyais paraître, Jamais sa main n'osa toucher ma main !... Souriant, il passait en murmurant : demain ! (Alim, sous le vêtement blanc des prêtres d’Indra, vient lentement en scène.)
SCÈNE II ALIM, SITÂ.
ALIM (apercevant Sitâ) Sitâ !
SITÂ (reconnaissant Alim avec un cri de joie et d'épouvante) Alim !...
ALIM C'est elle !...
SITÂ Vivant !
ALIM Sitâ ! reconnais-moi !
SITÂ Vivant !... Il est vivant ! (Elle se jette dans ses bras.)
ALIM, puis SITÂ Je te possède enfin !... C'est l'ivresse rêvée.
ALIM (doucement) Ô Sitâ, chère enfant, reviens à toi.
SITÂ (revenant peu à peu à elle) C'est lui ! ce n'est point un mensonge ! Vivant ! vivant ! Son visage étincelle ! Une espérance nouvelle Luit dans son regard ami!
ALIM Oui, je t'aime ! Je t'aime !
SITÂ Ah ! quelle main puissante, Toi sur qui je pleurais, te sauva de la mort !
ALIM (radieux) Ne songeons qu'à l'heure présente !
[ ALIM [ Je vis !... Sitâ, je t'aime ! [ [ SITÂ [ Il vit ! Ardente ivresse... Je t'aime !
SITÂ, ALIM Je t'appartiens ! Pour nous aimer, Oublions tout ! Viens, fuyons ! Ô charme, ô douceur des premières ivresses ! Vois, l'avenir sourit à nos yeux, Voici que revient le printemps. Viens, Sitâ, dans tes bras je retrouve le ciel. À jamais, loin du jour, loin des hommes, À jamais notre amour va triompher ! Ah ! j'ai retrouvé le ciel ! (Au moment où Alim entraîne Sitâ, les appels des gongs retentissent dans les profondeurs du temple, et des lueurs de torches apparaissent à toutes les issues.)
ALIM (s'arrêtant) Ces lueurs !... ces bruits menaçants !
SITÂ (éperdue) Malheureuse ! J'oubliais... Scindia ! Nous sommes perdus !
ALIM Ah !... Que dis-tu ? – Non, voici la route ténébreuse Qui m'amenait vers toi. – Fuyons ! (Ils s'élancent vers le passage secret. Sur le seuil apparaît tout à coup Scindia, le visage menaçant.)
ALIM, SITÂ (reculant) Scindia !
SCÈNE III LES MÊMES, SCINDIA.
SCINDIA Lui !... cet homme !... avec elle !
SITÂ (s'interposant et bravant Scindia) Ah ! tais-toi, misérable ! Ne lève pas sur nous tes mains pleines de sang ; Cet homme, c'est ton roi ! – Demeure obéissant, Implore le pardon d'un vengeur redoutable !
ALIM Obéis, Scindia !
SCINDIA (avec une ironie terrible) T'obéir ?... Insensés ! C'est vous qui menacez quand la force est pour moi ! (s'avançant vers Sitâ) À mon pouvoir je vais pour jamais te soumettre.
ALIM Lâche !
SCINDIA Elle est à moi !
ALIM Oseras-tu donc !... (courant aux issues)
SCINDIA (sur le point de saisir Sitâ) Oui, je suis le seul maître !... À moi, soldats !
SITÂ (avec exaltation) Non, traître !
ALIM Partout la mort !...
SITÂ Je ne t'appartiendrai pas !... (Elle se frappe.)
ALIM Sitâ ! Dieux !... qu'as-tu fait ?!... (Il chancelle, comme frappé du même coup que Sitâ. Ils marchent en se tendant les bras, l'un vers l'autre.)
SCINDIA (avec un mouvement vers Alim) Je saurai me venger !...
ALIM (soutenant Sitâ et bravant Scindia) Tu ne peux rien sur nous, car je meurs de sa mort ! Et les dieux bienfaisants me frappent avec elle !
SCINDIA (sous l'impression d'une terreur religieuse) Je sens planer sur eux la puissance éternelle !
ALIM, SITÂ (avec exaltation, se tenant embrassés) Tu m'appartiens !... Je t'aime et je bénis le sort ! Restons unis, que je meure dans tes bras !
SCINDIA Ils triomphent encor ! Ah ! je maudis mon sort... Sitâ ! Sitâ ! Je l'aime ! Je l'aime et je la perds, hélas ! Ils sont heureux ! Dieu ne les sépare pas ! (Sur l'effet final de l'ensemble, la nuit s'illumine. Le sanctuaire s'ouvre au fond. Vision peu à peu lumineuse du paradis, avec Indra, les dieux, les bienheureux assemblés. Alim et Sitâ, faiblissant peu à peu, tombent à genoux, toujours embrassés, près de l'autel d'Indra. Scindia les contemple avec une émotion grandissante.)
ALIM, SITÂ (expirant, dans une sorte d'extase) Une splendeur nouvelle À nos yeux se révèle, Et nous entrons, joyeux, Dans la gloire d'Indra ! (Leurs corps fléchissent, et doucement ils tombent ensemble, morts, sur les marches de l'autel.)
CHŒUR INVISIBLE Nous planons dans la lumière, Dans ces jardins enchantés !... Tout rayonne, tout s'éclaire ! (Dans un rayonnement céleste, Alim et Sitâ, transfigurés, apparaissent dans le paradis aux pieds d'Indra.)
SCINDIA Ah ! mon œuvre est infâme, et Dieu me frappera ! (Il se prosterne, le visage voilé de ses mains.)
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(livret, édition de 1877)
ACTE CINQUIÈME
LE SANCTUAIRE D'INDRA, DANS LE TEMPLE
Le sanctuaire d'Indra. — Même décor qu'au deuxième tableau du premier acte, vu sous un autre aspect. — La statue colossale du dieu rayonne dans l'ombre.
Entr'acte
SCÈNE PREMIÈRE
n° 14 — Scène et Air
SITÂ, elle entre précipitamment, s'arrête un instant haletante et écoute. — Après un temps. J'ai fui la chambre nuptiale, Sans doute Scindia m'appelle en ce moment, En menaces de mort sa colère s'exhale ; Ah ! je crains son amour plus que son châtiment. De sa pitié que puis-je encore attendre ? Un seul homme devait contre lui me défendre : Il a bravé Timour ! rien ne l'arrêtera. Il me fera poursuivre ici, mais que m'importe ! Vainement ses soldats franchiront cette porte, La mort est un refuge où nul ne m'atteindra ! Oui, l'heure est venue où, lasse de vivre, Apaisant mon cœur d'amour consumé, Je pourrai te suivre, O mon bien-aimé ! De ma douleur que la mort me délivre ! Adieu donc, ô cruel passé ! O mort, ta volupté m'enivre, Tu me rendras l'amour, l'amour trop tôt brisé. Vers la statue d'Indra. Témoin de mon chaste délire, Confident de mes premiers vœux, Image du Dieu bon dont les traits radieux Dans l'ombre semblent me sourire, J'ai voulu revenir expirer sous tes yeux. Avec une exaltation croissante. Reçois mon âme, Dieu ! Que la mort me délivre. Apaisant mon mur d'amour consumé Oui, je vais te suivre, O mon bien-aimé ! Elle va se frapper. — A ce moment viennent des profondeurs du temple des voix disant la prière du soir déjà entendue au premier acte. — Sitâ s'arrête.
n° 15 — Scène finale
La prière !... Ah ! parfums de la saison lointaine ! Ah ! souvenir charmant de mes heures d'espoir ! Oui, vous me revenez quand va finir ma peine. Rêveuse. Aux premières ombres du soir, Quand je chantais ainsi je le voyais paraître, Pendant que la prière continue au loin. Il parlait... un frisson agitait tout mon être !... . . . . . . . . . . . . . . . . . Jamais sa main n'osa toucher ma main !... Souriant, il passait en murmurant : demain ! La prière a cessé. — Alim, sous le vêtement blanc des prêtres d'Indra, vient lentement en scène. — Un rayon de lune lui montre bientôt une forme immobile au pied de l'autel. — Il vient vers elle. — Il reconnaît Sitâ. — Jeu de scène. — Sitâ, haletante, comme foudroyée ; puis courant vers Alim avec un cri déchirant.
SCÈNE II ALIM, SITÂ.
ALIM. Sitâ !... c'est elle !...
SITÂ. Alim !... vivant !... je suis sauvée !... Elle se jette dans ses bras.
ALIM. Je te possède enfin !... c'est l'ivresse rêvée.
SITÂ, défaillante. Alim !...
ALIM, doucement. Reconnais-moi, Chère âme !... reviens à toi.
SITÂ, relevant doucement la tête. Ce n'est point un mensonge ! Vivant ! il est vivant ! Je croyais faire un songe, Un songe décevant, Non ! son visage étincelle ! Et sur mon front ses lèvres ont frémi ! Une espérance nouvelle Luit dans son regard ami !
ALIM. Oui, je t'aime ! je t'aime !
SITÂ. Ah ! quelle main puissante Toi, sur qui je pleurais, te sauva de la mort !
ALIM, radieux. Ne songeons qu'à l'heure présente Je vis ! tu m'es rendue et je bénis le sort. Viens !... Au moment où Alim entraîne Sitâ, des bruits de pas et de voix se font entendre de tous côtés, et des lueurs de torches apparaissent à toutes les issues.
ALIM, s'arrêtant. Ces lueurs !... ces bruits menaçants !
SITÂ. Malheureuse ! J'oubliais... Scindia ! nous sommes perdus !
ALIM. Ah !... Que dis-tu ? — Non, voici la route ténébreuse Qui m'amenait vers toi. — Viens, fuyons ! Ils s'élancent vers le passage. — Sur le seuil apparaît tout à coup Scindia, le visage menaçant.
ALIM et SITÂ, reculant. Scindia !
SCÈNE III LES MÊMES, SCINDIA.
SCINDIA. Lui !... cet homme !... avec elle !
SITÂ, résolument. Ah ! tais-toi, misérable ! Ne lève pas sur nous tes mains pleines de sang, Cet homme, c'est ton roi. — Demeure obéissant, Implore le pardon d'un vengeur redoutable !
ALIM. Obéis, Scindia !
SCINDIA, avec une ironie terrible. T'obéir ?... Insensés ! Quand la force est pour moi, c'est vous qui menacez ! S'avançant vers Sitâ. A mon pouvoir je vais pour toujours te soumettre
ALIM. Lâche ! oseras-tu donc !... Courant aux issues. Ah !... partout des soldats ! Partout la mort pour elle !...
SCINDIA, près de saisir Sitâ. Oui, je suis le seul maître !... A moi, soldats !
SITÂ, avec exaltation. Non, traître ! Je ne t'appartiendrai pas !... Elle se frappe et jette son arme.
ALIM. Sitâ ! Dieux !... qu'as-tu fait !... Il chancelle, comme frappé du même coup que Sitâ. — Ils marchent en se tendant les bras, l'un vers l'autre.
SCINDIA. Fatalité cruelle !... Soudainement vers Alim. Je saurai me venger !...
ALIM, soutenant Sitâ et bravant Scindia. Ah ! je meurs de sa mort ! Tu ne peux rien sur nous... Et je triomphe encor !... Car les dieux bienfaisants me frappent avec elle !
SCINDIA, sous l'impression d'une terreur religieuse. Je sens planer sur eux la puissance éternelle !
ENSEMBLE Tu m'appartiens !... je t'aime et je bénis le sort !
SCINDIA. Ils triomphent encor ! Ah ! je maudis mon sort !... Sitâ ! Sitâ ! je l'aime ! Je l'aime et c'est par moi qu'elle succombe, hélas ! Ils sont heureux ; la mort même Ne les sépare pas !
ALIM et SITÂ. Que cette dernière heure Ne nous sépare pas ! Restons unis ; que je meure... Que je meure dans tes bras ! Sur l'effet final de l'ensemble, la nuit s'illumine, le sanctuaire s'ouvre au fond. — Vision du paradis, avec Indra, les dieux, les bienheureux assemblés. — Musique céleste. — Alim et Sitâ, faiblissant peu à peu tombent à genoux et toujours embrassés. Scindia les contemple avec une émotion profonde.
SITÂ et ALIM, expirants, dans une sorte d'extase. Une splendeur nouvelle A nos yeux se révèle Et nous entrons, joyeux, dans la gloire d'Indra ! Leurs corps fléchissent et doucement ils tombent ensemble, morts, devant les marches de l'autel.
SCINDIA. Ah ! mon œuvre est infâme et Dieu me frappera ! Il se prosterne, le visage voilé de ses mains.
TABLEAU FINAL
Dans un rayonnement céleste, Alim et Sitâ transfigurés apparaissent dans le paradis aux pieds d'Indra et des Divinités.
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Acte V. 2e tableau. maquette par Auguste Rubé et Philippe Chaperon pour la création