Pensée d'automne
Mélodie, poésie d'Armand SILVESTRE, musique de Jules MASSENET (1887), dédicacée à Sibyl Sanderson.
L'An fuit vers son déclin, comme un ruisseau qui
passe,
Emportant du couchant les fuyantes clartés ;
Et pareil à celui des oiseaux attristés,
Le vol des souvenirs s'alanguit dans l'espace...
L'An fuit vers son déclin, comme un ruisseau qui passe.
Un peu d'âme erre encore aux calices défunts
Des lents volubilis et des roses trémières,
Et vers le firmament des lointaines lumières,
Un rêve monte encore sur l'aile des parfums.
Un peu d'âme erre encore aux calices défunts.
Une chanson d'adieu sort des sources troublées,
S'il vous plaît, mon amour, reprenons le chemin
Où tous deux, au printemps, et la main dans la main,
Nous suivions le caprice odorant des allées ;
Une chanson d'adieu sort des sources troublées !
Une chanson d'amour sort de mon cœur fervent
Qu'un Avril éternel a fleuri de jeunesse.
Que meurent les beaux jours ! Que l'âpre hiver renaisse !
Comme un hymne joyeux dans le plainte du vent,
Une chanson d'amour sort de mon cœur, de mon cœur fervent !
Une chanson d'amour vers ta beauté sacrée,
Femme, immortel été ! Femme, immortel printemps !
Sœur de l'étoile en feu qui, par les cieux flottants,
Verse en toute saison, sa lumière dorée ;
Une chanson d'amour vers ta beauté sacrée,
Femme, immortel été ! Femme, immortel printemps!
Les mélodies qu'il faut savoir chanter : Pensée d'automne
Le poète. « Il y a deux hommes en chacun de nous » : si le mot fut juste jamais, c'est pour cet Armand Silvestre qu'il le fut — Armand Silvestre : Paris 1857, Toulouse 1901 — lequel, tout en étant fonctionnaire au ministère des Finances, eut si bien son heure de célébrité qu'il eut à Paris sa statue. L'heure est passée, et la statue on ne sait où. Ces deux hommes : un conteur, un poète. Le conteur fut, inépuisablement, celui d'histoires galantes, croustillantes, gaudriolantes, inconvenantes. Les titres de leurs recueils en donnent le ton, l'esprit, voire... l'arôme. Ce sont les Merveilleux Récits de l'amiral Lekelpudubec, le Filleul du docteur Trousse-Cadet, ou les Malheurs du commandant Laripète. Le poète, d'obédience néo-parnassienne — d'autres diront, trop sévères, le versificateur érotico-sentimental —, le poète fut celui de « l'Or des couchants », des « Aurores lointaines », des « Roses d'octobre »... De celui-ci veut-on quatre petits vers (quatre : deux fois deux) ?
Que l'heure est donc brève Qu'on passe en aimant. C'est moins qu'un moment, Un peu plus qu'un rêve...
Le musicien. Ces petits vers-là avaient été mis en musique, en 1866, par un jeune compositeur du nom de Massenet — de Massenet tout court : il détestait son prénom ! —, par un jeune compositeur rentré de la veille de la Villa Médicis pour laquelle il avait décroché son prix de Rome, en 1863, mais qui retrouvait, en le Paris d'alors —, celui d'Auber et d'Adam, dernier des hommes — ce purgatoire de l'avenir qu'il avait connu lorsque, pour vivre, il se faisait timbalier au Théâtre-Lyrique, triangle à l'orchestre du Gymnase, et tambourineur aux bals de l'Opéra ! Cette mélodie-minute, Massenet l'avait fait figurer dans un recueil intitulé Poème d'avril, recueil qu'aucun éditeur, de Brandus à Choudens, n'avait même consenti à feuilleter ! Il devait cependant finir par paraître, et même par être chanté, certaine Mme Jenking en déchiffrant, dans le demi-jour d'un salon d'été, les phrases « accompagnant ces vers exquis, pour former ce lied mélancolique, inégalement coupé, et qui semblait écrit pour les tendres abandons de sa voix et l'éclat inquiet de son âme ». Y êtes-vous ? Cette Mme Jenking, c'est l'héroïne du Nabab d'Alphonse Daudet, et ce roman longtemps fameux est de 1877. Bien entendu, le diligent et besogneux Massenet n'avait pas attendu pareille date pour ajouter à ce Poème d'avril un Poème du souvenir (1868) et un Poème d'octobre (1876). On les oublie l'un et l'autre aujourd'hui, et l'injustice est grande pour le second surtout, qui compte une page (A la Trépassée) qui a presque l'accent du chef-d'œuvre. D'ailleurs, voici bientôt un quart de siècle qu'Alfred Bruneau écrivait : « On ne chante plus les mélodies de Massenet, et on a tort. Elles sont innombrables, et si je comprends qu'on ne témoigne point la même ferveur à toutes, j'estime qu'il serait convenable de ne point les oublier toutes indistinctement. » Pensée d'automne, en particulier.
Le poème et la mélodie. Le poème est-il heureux ? Du moins n'a-t-il d'histoire que je sache, et la mélodie pas davantage. Pensée d'automne reste introuvable à travers la bonne douzaine de recueils auxquels Silvestre mit son nom (j'en citai trois plus haut), mais il suffit de parcourir les revues illustrées de l'époque d'avant celle que nous nommons « belle » aujourd'hui pour constater qu'il n'était pas sans leur donner souvent des vers, qui s'y voyaient enguirlandés par les plus souples crayons d'alors. C'est ainsi que le sonnet Noël païen parut en le numéro de Noël de l'Illustration 1888, l'année même où Massenet, en le musiquant, musiquait également Pensée d'automne. Cette Pensée d'automne, on peut croire qu'il l'écrivit, comme bien d'autres, au profit de quelque belle écouteuse, de quelque belle interprète. Il n'est pas défendu de rêver qu'elle fut réalisée avec la complicité d'un jour d'arrière-saison particulièrement doré, d'un de ces jours-là dont, autre part, il nous donna l'harmonieux conseil — suivez-le ! — de « bien profiter ».
L'interprétation. Pensée d’automne est faite de cinq strophes, de cinq strophes de cinq vers chacune, le dernier de ces vers répétant le premier. Les strophes 1 et 2 constituent une introduction, la mélodie elle-même étant faite des strophes 3 à 5, musicalement identiques entre elles, à quelque détail près, et à la conclusion de la dernière.
L'introduction. La première strophe. Il s'agit d'un récitatif, qui, presque insensiblement, deviendra chant, ce qui ne veut pas dire qu'il ne le soit déjà dès sa seconde mesure. Cette mesure, après « assez lent » que porte la première, indique « très mesuré ». Est-ce dire « très en mesure » ? Au fait, il suffit de la bien suivre, cette mesure, pour que les vers en soient parfaitement déclamés. Massenet avait d'ailleurs coutume de dire qu'un texte bien prosodié était plus qu'à moitié musique. Ainsi, la moindre page de son œuvre est-elle merveilleusement « suivant le génie même de notre langue » : on ira, ici, jusqu'à traîner un peu, à la parisienne, sur espace, comme si le si bémol de cette syllabe était sommé du « — » qui marque déjà le « passe » du premier vers. Ce signe, dont Massenet fut prodigue, « loure » la note : il ne faut donc point le confondre avec un accent ; tout au plus lui donne-t-il, en douceur, une valeur particulièrement sensible, pour user d'un adjectif qui lui était familier. Dans tout ceci, un seul sf sur le mot « vol », qui s'alanguit en un silence propice dont il faut tirer parti. Peu de conseils au pianiste. Il évitera la pédale, s'écoutera arpéger l'accord, et veillera à bien accuser, en chaque mesure, le fléchissement de la seconde blanche.
La seconde strophe. Celle-ci doit ètre spirituellement un peu plus animée que la première, laquelle avait un accent de rêve. Le débit en est un peu plus pressé, du fait qu'il en appelle aux doubles croches, et que l'ouverture vocale, d'une sixte dans la première, est ici — de mi à mi — d'une octave. Quant au rôle du pianiste, on pourrait presque dire que c'est avec cette strophe qu'il commence. Ayant mis les deux pédales, il va, trois, quatre fois, amorcer la mélodie, qui sera celle des strophes, et qui est faite de cet élan d'arpège ayant si souvent bien servi Massenet : qu'on pense plutôt au « Si je ne parais à Noël devant toi... » de son Werther, un chef-d’œuvre dont la page qui nous occupe ne déparerait pas les plus pathétiques instants. Ceci dit, est-il besoin de souligner que ces interventions successives ne sont pas tout à fait identiques entre elles ?
Ainsi le pianiste veillera-t-il à en faire valoir doucement les accidents (dièse et bécarre) qui les distinguent. Enfin, il ne lui sera pas défendu de faire sonner avec un peu plus d'accent — un accent qui ne doit point confiner à l'emphase — la quatrième intervention, question de faire valoir le doux mystère des accords qui vont faire glisser la phrase, en ses trois dernières mesures, aux strophes elles-mêmes.
Les strophes. Ccs strophes sont marquées « bien chanté et soutenu », la troisième seulement portant l'indication « un peu plus animé ». Cependant, ce piu animato peut être pris tel dès la seconde. D'ailleurs, on se laissera porter par la mélodie elle-même, et par l'accentuation des mots. Pour faire valoir la justesse de leurs intonations, faudrait-il signaler la différence que voici entre la première et la seconde strophe,
ce « que meurent les beaux jours » étant si bien justifié par le défi sans romantisme qu'il porte ? La première syllabe de « meurent », comme la seconde de « hiver », est ici sommée du trait dont je parlais plus haut : ce trait correspond à un accent sans violence. Quant au pianiste, son premier souci sera de bien suivre la voix au début de la strophe quand, en legato de violoncelle et l'archet bien à la corde, il la double suivant un procédé un peu facile, cher à l'auteur (il l'utilisa déjà dans certaine Elégie qui fut son premier succès mélodique). Et il fera, plus loin, valoir le petit dessin qui donne sa conclusion pianistique à la strophe elle-même :
In coda venenum, dit le Petit Larousse. Massenet, qui, « en leur beauté sacrée », aima toujours les femmes — ou la Femme — autant qu'il se doit, ne pouvait que se laisser entraîner par la conclusion d'un poème écrit à leur gloire. Cette conclusion n'est pas sans grandiloquence : il n'a pas résisté à l'effet un peu trop appuyé de la répétition non plus du premier, mais des deux premiers vers, tandis que sa mélodie sollicite, avec une impudeur allant jusqu'au fff des applaudissements que personne n'en était à lui mesurer. Ainsi, si l'on traîne un peu sur
qu'on se garde, au moins, d'exagérer l'envoi — ou le « coup de voix » de la fin. Entre la Sérénade du passant et les Enfants, entre Si tu veux, mignonne et A la Trépassée dont je parlais en commençant, j'ai choisi pour donner place à Massenet, dans la petite série des Mélodies qu'il vous faut chanter, cette Pensée d'automne : c'est que, dans l'histoire même de la mélodie française, elle marque une petite date, une petite date marquée d'un beau caillou blanc — ou d'un blanc chrysanthème.
(José Bruyr, Musica disques, octobre 1959)
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Pensée d'automne Albert Vaguet, ténor, avec piano Pathé saphir 90t n° 3746, enr. en 1902/1903
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Pensée d'automne Jean-Louis Lassalle, baryton, avec piano Pathé saphir 90t n° 3905, enr. en 1903
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Pensée d'automne Jean Noté, baryton, avec orchestre Pathé saphir 90t n° P 2114-2, réédité sur 80t n° P 3041, enr. en 1910/1911
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Pensée d'automne Daniel Vigneau, baryton, avec orchestre Pathé saphir 90t n° 4656, réédité sur 80t n° 3133 et 3287, enr. en 1906/1907
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Pensée d'automne Roger Bourdin, baryton, et Orchestre de l'Opéra-Comique dir. Gustave Cloëz Odéon 188.551, mat. KI 1448-4 et KI 1449-4, enr. en 1927/1928
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Pensée d'automne José Delaquerrière, ténor, et Orchestre Edison Bell F 100, mat. 88314 O, enr. en 1928
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Pensée d'automne Charles Rousselière, ténor, et Orchestre Polydor 566.065, mat. 1904 BMP, enr. vers 1930
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Pensée d'automne Georges Thill, ténor, accompagné par Maurice Faure au piano Columbia LFX 37, mat. LX 1300-1, enr. le 18 mars 1930
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