le Jongleur de Notre-Dame
affiche pour la première à l'Opéra-Comique du Jongleur de Notre-Dame, par Georges-Antoine Rochegrosse (1904)
Miracle en trois actes, livret de Maurice LÉNA, d'après un conte d'Anatole FRANCE, inspiré d'une légende du moyen âge, musique de Jules MASSENET.
Partition dédiée par Massenet au Prince Albert Ier de Monaco
Livret dédié par Léna à Mme Massenet
manuscrit autographe de la partition
Création au Théâtre de Monte-Carlo le 18 février 1902. Décors de Lucien Jusseaume. Costumes de Zamperoni. Danse réglée par Mme Gedda.
Première à la Monnaie de Bruxelles le 25 novembre 1904.
=> Critiques => Livret et enregistrements
personnages |
emplois |
Monte-Carlo 18 février 1902 (création) |
Monnaie de Bruxelles 25 novembre 1904 (première) |
Opéra-Comique 10 mai 1904 (première) |
Opéra-Comique 01 novembre 1904
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Opéra-Comique 27 septembre 1908 (100e, en matinée) |
Jean, le Jongleur |
ténor |
MM. Adolphe MARÉCHAL |
MM. Léon LAFFITTE |
MM. Adolphe MARÉCHAL |
MM. Adolphe MARÉCHAL |
MM. Paul BOURRILLON |
Boniface, cuisinier du Monastère |
baryton |
Maurice RENAUD |
Jean BOURBON |
Lucien FUGÈRE |
Lucien FUGÈRE |
André ALLARD |
le Prieur |
basse chantante |
Gabriel-Valentin SOULACROIX |
Edouard COTREUIL |
André ALLARD |
André ALLARD |
BLANCARD |
un Moine poète |
ténor |
BERQUIER |
Ernest CARBONNE |
Maurice CAZENEUVE |
Georges de POUMAYRAC |
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un Moine peintre |
baryton |
Juste NIVETTE |
FRANÇOIS |
Etienne BILLOT |
Etienne BILLOT |
Louis AZÉMA |
un Moine musicien |
baryton |
GRIMAUD |
Armand CRABBÉ |
Paul GUILLAMAT |
Paul GUILLAMAT |
Hippolyte BELHOMME |
un Moine sculpteur |
basse |
CRUPENINCK |
Charles DANLÉE |
Gustave HUBERDEAU |
Gustave HUBERDEAU |
Paul PAYAN |
un Moine chanteur |
SENNEVAL |
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un Moine crieur |
baryton |
DELESTANG | VIGUIÉ | GILLY | ||
un Loustic |
baryton |
BORIE |
DISY |
Elie IMBERT | GILLY | BAILLY |
un Ivrogne |
basse |
PAILLARD | BRUN | BRUN |
BRUN |
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un Chevalier |
ténor | JACOBI | ÉLOI | ÉLOI | ÉLOI | |
une Voix |
baryton |
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Deux voix d'anges |
soprano |
Mmes de BUCK |
Mmes ARGENS |
Mmes Madeleine d'OLLIGÉ |
Mmes Marthe BAKKERS |
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mezzo-soprano |
GIRERD |
Alice CORTEZ |
PLA |
PLA |
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la Vierge (apparition) |
rôle muet | SIMÉOLI | MARY | MARY | MARY | |
Solo de viole d'amour |
MM. Alfred MIGARD |
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Chef d'orchestre |
M. Léon JEHIN |
M. Alexandre LUIGINI |
Alexandre LUIGINI |
M. Eugène PICHERAN |
Chœurs : les Moines ; les Voix des anges invisibles ; Chevaliers ; Bourgeois et Bourgeoises ; Paysans et Paysannes ; Marchands et Marchandes ; Clercs ; Gueux.
La scène se passe à Cluny, au XIVe siècle.
Première à l'Opéra-Comique (3e salle Favart) le 10 mai 1904. Mise en scène d'Albert Carré. Chorégraphie de Mme Gedda. Décors de Lucien Jusseaume. Costumes de Charles Bianchini.
En 1954, nouvelle présentation avec mise en scène de Louis Musy.
356 représentations à l’Opéra-Comique au 31.12.1950, 15 en 1954, 9 en 1955, 2 en 1956, soit 382 au 31.12.1972.
personnages |
Opéra-Comique 23 novembre 1912
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Opéra-Comique 10 avril 1915 (131e) |
Opéra-Comique 10 juin 1922 (152e) |
Opéra-Comique 14 juin 1928 (227e) |
Opéra-Comique 23 novembre 1930 (241e) |
Opéra-Comique 12 décembre 1933 (246e) |
Opéra-Comique 30 novembre 1939 (271e) |
Opéra-Comique 19 décembre 1954*
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Jean |
MM. Thomas SALIGNAC |
Mme Marthe CHENAL |
MM. Charles FRIANT |
MM. Charles FRIANT |
MM. Marcel CLAUDEL |
MM. Marcel CLAUDEL |
MM. Charles FRIANT |
MM. André DRAN |
Boniface |
Jean DELVOYE |
MM. André ALLARD |
Lucien FUGÈRE |
André ALLARD |
André ALLARD |
Jean VIEUILLE |
Louis MUSY |
Louis MUSY |
le Prieur |
Pierre DUPRÉ |
Hector DUFRANNE |
Pierre DUPRÉ |
Pierre DUPRÉ |
Pierre DUPRÉ |
Carlton GAULD |
Louis GUÉNOT |
Charles CLAVENSY |
un Moine poète |
Maurice CAZENEUVE |
Eugène DE CREUS |
Eugène DE CREUS |
Victor PUJOL |
Léon NIEL |
Maurice PRIGENT |
Victor PUJOL | Alain VANZO |
un Moine peintre |
Louis AZÉMA |
Louis AZÉMA |
Louis AZÉMA |
Louis GUÉNOT |
Louis AZÉMA |
Emile ROUSSEAU |
Paul PAYEN |
Robert MASSARD |
un Moine musicien |
Louis VAURS |
Louis VAURS |
Hubert AUDOIN |
Emile ROUSSEAU |
Emile ROUSSEAU |
Willy TUBIANA |
Raymond MALVASIO |
Marcel ÉNOT |
un Moine sculpteur |
Paul PAYAN |
Paul PAYAN |
Louis MORTURIER |
Louis MORTURIER |
Louis MORTURIER |
Louis MORTURIER |
Louis DUFONT |
Henri MÉDUS |
un Moine crieur |
Gustave PICHON | Jean GIRAUD | ||||||
un Loustic |
Charles DAGUERRESSAR | |||||||
Ivrognes |
BRUN |
MASSONNET Georges DULAC |
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un Chevalier |
ÉLOI | Georges OLIVIER | ||||||
Deux voix d'anges |
Mmes Jeanne BILLA-AZÉMA |
Mmes Andrée VAVON | Mmes Andrée VAVON | |||||
Germaine CARRIÈRE |
Andrée BERNADET | Andrée BERNADET | ||||||
la Vierge (apparition) |
ALBANI | H. SAUVEGARDE | H. SAUVEGARDE | Mme Paule MORIN | ||||
Chef d'orchestre |
M. François RÜHLMANN | Paul VIDAL |
Emile ARCHAINBAUD |
M. Georges LAUWERYNS |
M. Louis FOURESTIER |
Gustave CLOËZ |
Gustave CLOËZ | M. Albert WOLFF |
* Au 1er acte, Danse réglée par Constantin Tcherkas, avec Mlles Sylvie Gauchas, Antoinette Erath, Arlette Ingraça, Madeleine Dupont, Gilberte Rollot, Janine Joly, Georgette Jourdan, Janine Renier, Lyna Garden, Mona du Chateau, Gisèle Adloff, Antoinette Ancelin, MM. Serge Reynald, Michel Gevel, Maurice Riche, Jacques Chazot, Alain Couturier, Michel Lainer.
Adolphe Maréchal (Jean) lors de la création
Mlle Mary (la Vierge) lors de la création
Lucien Fugère (Boniface) lors de la première à l'Opéra-Comique |
Lucien Fugère (Boniface) et André Allard (le Prieur) dans l'Acte I, lors de la première à l'Opéra-Comique |
couverture de la partition
une page du manuscrit de la partition du Jongleur de Notre-Dame
Résumé. Jean, un pauvre jongleur, est entré au couvent de Cluny où il se désespère d'être seul à ne rien pouvoir offrir à la Vierge. Boniface lui assure que le plus humble hommage n'est certes pas celui qu'elle agrée le moins. Jean, se décidant alors, chante et danse devant l'autel. Les moines crient au scandale, mais la statue de la Vierge s'anime et bénit le pauvre Jean, qui meurt de douce émotion, le front nimbé de l'auréole des Bienheureux.
Analyse. L'action se déroule à Cluny au XIVe siècle.
Acte I. — Devant la porte de l'Abbaye de Cluny. C'est le premier jour du mois de Marie, où tout le peuple s'adonne à de grandes réjouissances. Sur la place du couvent, on « danse aux chansons ». Survient le Jongleur Jean, peu habile en son art et dont la foule se gausse. Elle lui réclame une chanson sacrilège que le pauvre jongleur, bien que dévot à la Vierge, se résout, pour gagner sa vie, à chanter cependant [Air de Jean « Alleluia du vin » : Le vin, c'est Dieu...]. Le Prieur du couvent, attiré par le bruit, sort, indigné. La foule se disperse rapidement. Jean, terrifié, tombe aux pieds du Prieur qui le chapitre avec sévérité. Mais ses larmes et son repentir sincère finissent par émouvoir le vieil homme qui propose alors au Jongleur d'entrer dans les ordres pour sauver son âme et son corps. Jean hésite tout d'abord, car son indépendance lui est chère avant tout [Récit et Air de Jean : Liberté, liberté, ma vie !], mais, quand il voit défiler les victuailles qui constituent l'ordinaire des moines, Jean se décide et entre à la suite du Prieur et de Boniface, le cuisinier de l'Abbaye.
Acte II. — Dans l'Abbaye, au matin de l'Assomption. Au couvent, pères et clergeons remplissent tous leur office. Le sculpteur a façonné une ravissante image de la Vierge, que le peintre enlumine. Sur les vers du poète, le musicien a écrit la musique que les moines chantent en chœur. Boniface prépare le repas. Seul, Jean ne sait qu'offrir à la Vierge et se désespère. Chacun des moines veut le prendre pour élève. Il s'ouvre de sa détresse à Boniface qui lui raconte alors la pieuse légende de la petite sauge, symbole d'humilité [« Légende de la Sauge », chantée par Boniface : La Vierge entend fort bien, va ! le français aussi... — Fleurissait une sauge...]. Jean a compris. Tout réjoui, il sait maintenant comment honorer la Vierge selon ses modestes moyens.
Acte III. — La Chapelle de la Vierge. [Prélude symphonique : Pastorale mystique.] Jean pénètre timidement dans le sanctuaire où se trouve placée la nouvelle statue de la Vierge, de grandeur naturelle. Il se croit seul, et, après avoir revêtu son habit de jongleur, commence à donner la représentation à Marie, chantant et dansant devant l'autel [Récit de Jean, Chanson de guerre et Romance d'amour]. Mais il a été suivi ; les moines, alertés, se rassemblent autour de lui, criant au sacrilège. Le pauvre jongleur, tout brûlant d'adoration, ne les voit pas, ni ne les entend. Inutilement, Boniface parle en sa faveur ; tous vont se précipiter sur lui, quand un prodige les cloue sur place : la statue s'anime, sourit, ses mains se penchant, maternelles, vers Jean qui, d'abord, ne voit pas le miracle. Les moines s'agenouillent devant lui, ce qui lui semble une dérision. Mais le Prieur intervient et la Vierge se manifeste alors avec davantage d'éclat. Les yeux de Jean se dessillent ; il voit enfin et, d'émotion, il meurt en extase. Le Prieur conclut : « Heureux les simples, car ils verront Dieu ! » — Amen ! répondent les Anges dans le ciel et les moines sur la terre.
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La scène se passe au Moyen Age, à Cluny, dont le couvent bénédictin était célèbre par ses moines écrivains et artistes. Acte I. — Sur la place du couvent, on « danse aux chansons ». Survient Jean, le jongleur. Il a piteuse mine. La foule se moque de ses tours maladroits et réclame l'Alleluia du Vin. Jean, bien que dévot à la Vierge, se résout, pour gagner sa vie, à chanter ces couplets sacrilèges. La foule reprend en chœur le refrain. Au seuil du couvent, paraît alors le prieur indigné. Fuite générale. Jean, terrifié, tombe aux pieds du prieur qui le menace de l'enfer, puis se laisse toucher par ses larmes. Que Jean se fasse moine : il sauvera son âme et son corps. Voici justement le frère Boniface, menant un âne chargé de victuailles. La dévotion et la faim du jongleur s'unissent pour le décider : il entre au couvent. Acte II. — Au couvent, pères et « clergeons » remplissent tous leur « office ». Frère Jean se désespère seul, il n'offre rien à Marie. Chacun des moines veut le prendre pour élève, estimant chacun que son art est le plus beau, et de cette controverse, traitée dans le goût du Moyen Age, naît bientôt une querelle. Ainsi, même au couvent, on pèche par orgueil. Dans la pieuse légende que Boniface conte ensuite à Jean, c'est l'orgueil encore que symbolise la Rose, tandis que la petite Sauge (Salvia, la fleur qui sauve) symbolise au contraire l'humilité, la simplicité chrétienne dont la conduite du nouveau moine va nous donner un touchant exemple. Acte III. — Car il sait maintenant comment servir la Vierge. Pour l'honorer à sa manière, il chante et danse devant l'autel. On le surprend. Scandale. Anathème. Non, miracle ! La statue s'anime, sourit, ses mains se penchent, maternelles, vers le pauvre jongleur qui, d'abord, car il est humble, ne voit pas le miracle. Mais le prieur intercède. Les yeux de Jean se dessillent ; il voit enfin et, d'émotion, tendrement il meurt, parmi le chant des anges dans le ciel, et le front nimbé de l'auréole des Bienheureux. Amen final et traditionnel des anciens Mystères. (Programme de l'Opéra-Comique, 1928)
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Ce livret est tiré du vieux fabliau Del Tumbeor Nostre-Dame (1) (685 vers ; auteur anonyme ; fin du XIIe siècle qu'il suit parfois d'assez près. Publié pour la première fois par Wilhelm FŒRSTER dans la Romania (1873), maintes fois signalé depuis (G. PARIS, La littérature française au Moyen Age ; Léon GAUTIER, Les Épopées françaises ; etc.), le Tumbeor est entré dans le domaine scolaire : manuels et morceaux choisis.
Deux écrivains, de nos jours, ont déjà traité ce même sujet : le maître ANATOLE FRANCE dans un conte, parfaitement exquis, de son recueil L'Étui de nacre ; le vicomte DE BORRELLI dans une pièce de vers qui lui valut, en 1891, le prix de poésie à l'Académie française.
La Légende de la Sauge appartient au cycle populaire des « Herbes de la Madone », où l'on voit aussi le genévrier sauver de la même façon la Sainte-Famille. Amédée DE PONTHIEU en a donné l'analyse dans ses Fêtes légendaires.
Dans le fabliau du Tumbeor le conteur a situé son récit au couvent de Clairvaux. Ce livret place la scène à Cluny, en Bourgogne, dont l'abbaye Bénédictine, la plus puissante de la chrétienté, était célèbre, au moyen âge, par ses moines écrivains et artistes.
(1) Un Tumbeor est un jongleur de petite espèce, un faiseur de tours. — Le Jongleur proprement dit, au moyen âge, est un chanteur en même temps qu'un bateleur.
(Notice du Livret)
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L’Opéra-Comique vient de remporter un très grand succès avec un spectacle d’une rare saveur poétique. L’une des pièces représentées, le Cor fleuri, servait de début au théâtre à un jeune compositeur, M. Fernand Halphen, dont le talent semble plein des plus heureuses promesses. L’autre pièce était le déjà célèbre Jongleur de Notre-Dame, du maître Massenet, qui a mis au service du plus délicat des poèmes l’inépuisable trésor de son inspiration musicale.
L’histoire si touchante du jongleur de Notre-Dame a très heureusement inspiré les conteurs du XIVe siècle ; il suffira de citer, en France, le Tombeor Nostre-Dame, restauré par Gaston Pâris, et en Allemagne, le Spielmansbuch de Hertz. De notre temps, elle nous a valu un chef-d’œuvre de grâce naïve et attendrie, de la forme la plus savoureuse qu'on puisse rêver : le Jongleur de Notre-Dame de l'Etui de Nacre de M. Anatole France. Elle est fort belle, et devait toucher les âmes délicates et sensibles, la légende de ce pauvre jongleur qui, pour gagner quelque maigre monnaie, chante contre son gré des chansons à boire et fait des tours qui réussissent peu souvent. Ayant parcouru ce qu'il pense être le monde, il se laisse toucher par la grâce divine, et ayant mal géré ses affaires terrestres, songe à mieux administrer sa part d'éternité. Il entre donc au couvent, et pieusement honore Marie qui fut toujours pour lui la plus vénérée d'entre toutes les femmes. Mais le jour de la fête de la Vierge, il n'a point de talent qui lui permette de célébrer sur le mode qui convient les louanges de la Mère de Dieu. Il imagine alors le plus naïvement adorable des stratagèmes : il s'enferme devant l'image sainte de celle qu'il veut fêter, et, ressortant pour ce jour béni ses oripeaux de baladin, ses cerceaux et sa vielle, muette pendant de si longs jours, il improvise, en l'honneur de la Sainte Vierge, le spectacle le plus beau qu'aient pu admirer jadis les citadins et les villageois qui formaient son public ordinaire. Il chante, il jongle, il danse sa naïve prière rien ne l'arrête, ni la fatigue de ses membres sans souplesse, ni le danger que présente pour lui cet exercice en un tel lieu. Il va donc, continuant ses saintes pitreries, et les moines scandalisés qui, de loin, ont assisté au spectacle, se prosternent soudain devant un miracle d'amour et de foi. La mère du Rédempteur se penche, et de ses mains divines essuie la sueur qui couvre les membres de son pieux adorateur qui gît, vaincu par la fatigue, sur les dalles de la chapelle. M. Massenet a peut-être réalisé, dans le Jongleur de Notre-Dame, la plus parfaite de ses œuvres. Il y a mis je ne sais quel parfum de naïveté pastorale à la fois et mystique, une discrétion et une distinction absolues, le sentiment le plus délicat des nuances et une sorte de mélancolie de la plus heureuse séduction. Rarement les ensembles ont été traités avec un plus chaleureux mouvement que les danses et les chants du premier acte. S'il fallait citer les pages les plus saillantes de l'œuvre — ou du moins celles que le public a semblé choisir comme telles — il faudrait une longue liste : l'entrée de Frère Boniface sur son petit baudet au 1er acte, le prélude du 2e acte, d'une très belle musicalité, la scène où le moine peintre, le moine musicien, le moine sculpteur et le moine poète échangent d'amers propos, la légende de la sauge, d'un archaïsme plein de saveur, l'émouvante scène du jongleur au 3e acte et son harmonieuse péroraison. D'une instrumentation merveilleuse de légèreté et de souplesse, le Jongleur de Notre-Dame offre le rare spectacle d'une œuvre que n'alourdit aucune tendance à l'emphase ni au mélodrame ; rien n'en ternit la pure fraîcheur, et le conte a trouvé la musique qui devait l'illustrer. L'Opéra-Comique a donné au miracle de M. Massenet une interprétation de choix avec M. Maréchal, qui a joué avec une grande intensité expressive le Jongleur ; M. Fugère, merveilleux de bonhomie dans le rôle du Frère Boniface, et M. Allard tout à fait excellent dans celui du Prieur. Quant aux décors, ils étaient de M. Jusseaume : c'est en dire la parfaite beauté. M. Carré, comme à l'ordinaire, a fait des prodiges de mise en scène, et M. Luigini a fait, au pupitre de l'Opéra-Comique, une rentrée des plus remarquables.
(Félicien Grétry, Musica, juin 1904)
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L'œuvre nouvelle du Maître a été donnée, pour la première fois, au théâtre de Monte-Carlo, le 18 février 1902. C'est déjà M. Maréchal qui jouait le rôle de Jean, le jongleur, âme simple, sorte de Gringoire qui cherche en vain à distraire la foule indifférente à ses jongleries, lorsque l'apparition du prieur de l'Abbaye de Cluny change la destinée du pauvre hère. Il renoncera à sa chère liberté et se consacrera au divin culte de la Vierge Marie — non sans avoir emporté en cachette son bagage de jongleur. Au prieuré, Jean, hélas ! ne peut rien offrir à la Vierge, dont c'est la fête, le jour de l'Assomption. Désespéré, il implore avec ferveur. Et comme transfiguré, il quitte sa robe de moine, apparaît en costume de jongleur, avec sa vielle et sa besace, et offre à la Vierge ses modestes talents de baladin. Mais au beau milieu de ses exercices, le prieur et les moines surgissent. — Sacrilège ! On va chasser Jean, lorsque le miracle s’accomplit. La Vierge se manifeste et bénit le jongleur. Les moines alors se précipitent aux genoux de Jean et lui demandent sa bénédiction ! C'est trop de joie pour le pauvre histrion. Il meurt dans son extase et son âme s'en va rejoindre celle de tous les simples qui peuplent le Paradis. L'interprétation est tout à fait remarquable, Il suffit de citer les noms de MM. Fugère, Allard, Carbonne, Billot, Guillamat, Huberdeau, Imbert, qui, avec le ténor Maréchal, déjà nommé, forment un ensemble d'artistes hors de pair. Les décors de Jusseaume, les costumes de Bianchini, sont parfaits. M. Luigini a fait une brillante rentrée au pupitre de chef d'orchestre. Il obtient de ses merveilleux instrumentistes les nuances d'art qui mettent en valeur les pages délicates et si délicieusement inspirées de la charmante partition de M. Massenet. (extrait d’un programme de l’Opéra-Comique, 01 novembre 1904)
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On sait ce qu'était le « miracle » au moyen âge : un jeu scénique issu des mystères, mais dont les développements étaient moindres, qui avait pour point de départ, comme ceux-ci, un sujet religieux, et qui, comme eux, se représentait publiquement. C'est sous cette forme, naturellement modernisée, que l'auteur du Jongleur de Notre-Dame a écrit son poème, lequel offre cette particularité qu'il ne contient aucun personnage féminin et se contente de mettre en scène un jongleur et deux moines, avec la foule qui doit donner à l'action la couleur et le mouvement nécessaires. Écrit en vers élégants sur un sujet mystique, il n'en renferme pas moins une partie comique très curieuse, qui lui procure la variété indispensable. Sur ce poème, d'une forme originale et très châtiée, où le sentiment religieux du moyen âge s'allie à la joyeuseté rabelaisienne, M. Massenet a écrit une partition exquise en son inspiration, singulièrement recherchée dans son apparente naïveté, d'une couleur pleine de franchise, d'un accent tout particulier, et qui donne une preuve éclatante de la souplesse d'un talent qui se renouvelle constamment sans jamais faiblir et sans cesser un instant d'être essentiellement personnel. C'est vraiment le cas de dire qu'il faudrait tout citer de cette partition à la fois si mignonne et si savoureuse, de développements tout ensemble si sobres et si complets, et dont chaque fragment est comme une perle détachée d'un coller précieux. Il faudrait tout au moins mentionner au premier acte l’Alléluia du vin chanté par Jean le jongleur, la litanie du prieur : Tu seras pardonné, l'invocation de Jean à la liberté et toute sa scène bouffe, si charmante, avec Boniface, le cuisinier du couvent : au second la curieuse leçon de chant au lutrin, la scène si amusante et si joliment traitée, avec tant de goût et d'expérience, de la dispute des moines sur la supériorité de tel ou tel art, et la délicieuse « légende de la sauge », d'une couleur si exquise ; enfin, au troisième, l'entracte adorable que l'auteur intitule « pastorale mystique », toute la grande scène du Jongleur, si originale au point de vue théâtral, si variée, d'un intérêt si intense au point de vue musical, puis la mort du pauvre diable et son apothéose, épisode vraiment émouvant, adouci par le chœur délicieux des séraphins. Mais, je le répète, il n'y a pas à choisir dans une œuvre aussi complète et qui est bien près d'être un chef-d'œuvre. (Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1904)
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Le livret est tiré d'un conte d'Anatole France, inspiré lui-même d'une légende du moyen âge. — Sur la place de Cluny, devant le monastère, le jour de la fête de mai, Jean le jongleur consent à chanter, pour plaire à son auditoire, une chanson à boire : l’Alleluia du vin, dont les paroles sont impies. Le prieur paraît sur le seuil du monastère, chasse la foule et fait honte de son vil métier au jongleur, qui se laisse persuader d'entrer au couvent. On le retrouve donc à l'abbaye sous la robe de moine : mais là, tandis que chacun célèbre suivant ses aptitudes la gloire de la Vierge, Jean ne peut exprimer sa piété par aucun hommage. Il ne sait que son métier de jongleur : c'est donc en jongleur qu'il honorera la reine des cieux. La nuit venue, il se glisse dans le sanctuaire avec son ancien accoutrement ; il chante son répertoire et danse ses anciennes danses devant la statue de la Vierge. Le prieur accourt et veut faire saisir le sacrilège. Mais la statue de la Vierge a souri et tendu la main vers son bizarre adorateur ; des voix d'anges chantent un hosanna, les moines se prosternent. Jean meurt au pied de l'autel, de la mort des élus. Sur ce livret mystique, qui ne comporte ni personnage féminin ni aventure d'amour, mais qui n'exclut pas tout élément comique, le compositeur a écrit une agréable partition où il a su retrouver le tour des mélodies populaires du moyen âge, une œuvre à la fois savante et naïve. Il faut signaler au premier acte : l'Alleluia du vin ; la litanie du prieur : Tu seras pardonné ; l'invocation de Jean à la liberté ; sa scène bouffe avec Boniface, le cuisinier du couvent ; au second : la leçon de chant au lutrin ; la dispute des moines sur la supériorité de tel ou tel art ; la légende de la sauge ; au troisième : la pastorale mystique et la grande scène du jongleur, avec sa mort et son apothéose. (Arthur Pougin, Nouveau Larousse Illustré, supplément 1906)
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« Je suis certain que les Bénédictins au temps du Jongleur de Notre-Dame buvaient de l'exquise Bénédictine comme nous en avons heureusement encore aujourd'hui »
(caricature de Massenet par Sem)
Le Jongleur de Notre-Dame n'est pas un opéra, ni un opéra-comique, ni un drame lyrique ; c'est un conte religieux et en même temps plein d'enjouement. C'est un de nos vieux mystères dont il est facile de retrouver l'affabulation dans les archives de la littérature du Moyen Age. L'érudit Gaston Pâris, dans son Étude sur la poésie française au Moyen Age, l'a publié sous le titre de : le Tombeor de Nostre Dame [Il avait paru d’abord en 1874-1875 dans la Romania, revue des langues romanes, dirigée par Fœrster]. Anatole France, un autre érudit doublé d'un charmeur, s'est servi de cette légende et l'a développée dans l'Étui de Nacre. Et c'est avec une grâce exquisément naïve qu'il nous a conté l'aventure :
« C'était un pauvre jongleur qui, après avoir fait des tours de force sur les places publiques pour gagner sa vie, songea à l'éternité et se fit recevoir dans un couvent. Là il voyait les moines honorer la Vierge, en bons clercs qu'ils étaient, par de savantes oraisons. Mais il n'était pas clerc et ne savait comment les imiter. Enfin il imagina de s'enfermer dans la chapelle et de faire, seul, en secret, devant la sainte Vierge, les culbutes qui lui avaient valu le plus d'applaudissements du temps qu'il était jongleur. Les moines, inquiets de ses longues retraites, se mirent à l'observer et le surprirent dans ses pieux exercices. Ils virent la mère de Dieu venir elle-même, après chaque culbute, éponger le front de son tombeor. »
Maurice Léna, qui est un érudit, un chercheur, a adapté cette légende de nos vieux conteurs ; il s'en est inspiré avec un rare bonheur et a soumis à Massenet un livret charmant.
L'histoire de cette collaboration avec Massenet vaut la peine d'être contée.
Massenet, on le comprend de reste, est assailli de manuscrits. Il n'est personne qui ne désire collaborer avec lui : le prestige de son nom est une garantie de succès. Or, Massenet ne lit jamais ou presque jamais ces envois d'inconnus. Un beau jour qu'il partait pour la campagne, il descendit de chez lui au moment où le facteur se présentait. La concierge était absente. Comment faire pour ne pas accepter un envoi recommandé ? Massenet signa ; le facteur lui remit alors un manuscrit. C'était le livret du Jongleur. Ne sachant que faire dans le train, Massenet lut l'œuvre de l'inconnu, la trouva à son goût, et télégraphia à l'auteur dont il trouva l'adresse sur la première page du manuscrit. L'auteur, un professeur attaché à l'Université, vint, très timide et très flatté, trouver le Maître. Massenet demanda quelques légères corrections au livret qu'il trouvait tout à fait ravissant. Le musicien et le futur auteur s'entendirent. Et de leur entretien qui dura plus d'une heure résulta une offre de collaboration en bonne et due forme.
Voilà un librettiste qui doit quelque reconnaissance à la concierge de Massenet ; car enfin, si la concierge fût restée dans sa loge, le manuscrit aurait été remis plus tard à Massenet et serait allé rejoindre la fosse commune des ouvrages indifférents et anonymes. Et c'eût été dommage, car le livret du Jongleur méritait en tous points l'honneur d'être mis en musique par Massenet.
L'affabulation en est très simple :
Sur la place de l'abbaye de Cluny, en Bourgogne, au XVe siècle. C'est jour de marché. Nous sommes au printemps, tout est en joie, la nature et les êtres ; les filles du pays dansent la bergerette, les garçons se sont laissé entraîner dans la danse ; l'animation est partout bruyante, et l'abbaye qui est là sur la place semble offusquée de tant de vacarme.
Voici venir, au son de la vielle, un pauvre jongleur affamé, hâve : Jean — c'est le nom du miséreux — désire gagner quelque menue monnaie ; il s'escrime à faire des tours, esquisse des boniments ; mais ce chevalier de la triste figure ne récolte autour de lui que lazzis et rires impitoyables. La populace au surplus connaît tous les tours qu'il se propose d'exécuter ; elle ne se résigne à l'écouter que s'il consent à chanter l'Alléluia du vin, une chanson d'ivrogne qui célèbre en un refrain damnable Bacchus et Jésus, Vénus et la Vierge Marie. Et Jean qui, avant tout, a besoin de quelque obole pour pouvoir manger, chante le couplet peu orthodoxe.
Il est applaudi, quand s'ouvre la porte de l'abbaye, et le prieur du couvent, énervé, outré de tout ce bruit, apparaît. Le prieur est scandalisé de cette chanson sacrilège qui va conduire Jean en enfer ; il réprimande le jongleur. Mais au fond il a l'âme compatissante, et devant le repentir du pécheur il s'attendrit. Jean obtiendra son salut s'il veut entrer au couvent et se consacrer à la Vierge qu'il a offensée. Outre les avantages qu'il en retirera pour son âme, il pourra savourer dans la paix du monastère la joie tranquille d'avoir un bon gîte et un repas assuré chaque jour. Comme pour le décider, voilà frère Boniface qui revient du village avec des provisions qu'il doit à la dévote charité des fidèles. Jean ne peut plus résister. Il regrette certes encore la liberté, le plein air, les aventures, mais ce n'est que pour la forme ; et, tout compte fait, il franchit le seuil de l'abbaye, son attirail de jongleur sous le bras, tandis que parviennent à lui, comme pour lui rappeler encore mieux qu'il a faim, les répons du Benedicite.
Au second acte, c'est la vie reposante et ouatée du couvent. Chacun des moines travaille en l'honneur de la Vierge : celui-ci enlumine une statue de Marie, celui-là sculpte une statuette, cet autre fait répéter un hymne qui est consacré à la patronne de l'abbaye, un quatrième fait des vers ; il n'est pas jusqu'au frère Boniface qui ne soit persuadé qu'il glorifie à sa façon la Vierge en épluchant des légumes. Seul Jean se lamente, il ne sait comment faire pour honorer la mère du Christ : il n'est même pas capable de chanter les louanges de la Vierge en latin ! Chacun des moines prétend du reste faire le mieux agréer son hommage à la Vierge ; et une dispute éclate entre le peintre et le sculpteur, le poète et le musicien. Le prieur les calme, et Boniface démontre à Jean que tous ces moines sont au fond des vaniteux : Marie est heureuse du moindre hommage, des volontés les plus humbles ; et, pour convaincre le novice, il lui conte l'apologue de la Sauge, cette fleur si modeste qui entr'ouvrit son calice pour servir de berceau à l'enfant Jésus, alors que dédaigneusement la Rose refusait de donner asile au fils de Marie.
Jean fait son profit de ce récit ; il a pris une résolution : lui aussi il va pouvoir désormais honorer sa patronne.
Nous sommes, au troisième acte, dans la chapelle, devant l'autel de Marie, qu'éclairent mystérieusement les lumières vacillantes des cierges. Jean pénètre au moment où la chapelle est solitaire ; personne, pense-t-il, ne viendra le déranger dans sa cachette. Il quitte sa robe de moine et apparaît, comme autrefois, vêtu de son costume de jongleur. Il s'agenouille et prévient la Vierge qu'il va lui offrir l'hommage de ses tours. Et il se met à jongler, à chanter : elle demeure impassible ; il se met à danser la bourrée, la danse de son pays ; il martèle du pied la mesure, il tournoie éperdument, jusqu'au moment où le prieur et les moines, attirés par le bruit, crient au scandale et le chargent de leurs imprécations.
Mais voilà que la statue de la Vierge s'anime, l'autel s'irradie, Un chœur céleste se fait entendre ; et la Vierge sourit ; sa main, en un geste d'une douceur infinie, bénit le jongleur, qui expire à ses pieds en une attitude de parfait ravissement, le front auréolé de la gloire des saints illustres par leurs vertus. Les moines sont conquis par le miracle, et, pieusement prosternés, murmurent : « Heureux les simples, car ils verront Dieu. »
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Jamais poème plus purement ingénu, plus naïvement ému, plus candidement aimable, ne fut présenté à Massenet. Ajoutez que de cette légende l'amour est tout à fait exclus ; c'était donc pour le musicien se priver volontairement de chanter la chanson où il excelle. Mais s'il n'y a pas d'amour dans le Jongleur, il y a néanmoins une femme qui préside à toute l’œuvre et qui l'inspire. Cette femme, c'est la Vierge, et c'est en l'honneur de la Vierge que Massenet a fait exhaler par le violoncelle la phrase la plus exquise de ses trois actes.
Mais le vrai mérite de la partition, c'est qu'elle commente avec une étonnante fidélité, avec un rare choix d'expression musicale, toutes les péripéties de cette jolie légende. Le Jongleur est un fabliau conté en musique, — en une musique tour à tour émue, spirituelle, ingénieuse, nerveuse, sereine, toujours d'une étonnante franchise.
Le début est grouillant de pittoresque en ses rythmes bruyants de danses et, de fête publique ; l'arrivée du jongleur, avec les accents de la vielle modulés par la viole d'amour, les exercices de Jean à l'allure enfiévrée, la réprimande du prieur, l'entrée souriante de frère Boniface : « Pour la Vierge et pour ses serviteurs », toute en vocalises scholastiques qui rappellent la manière des airs de Hændel ; tout cela est écrit avec une bonne humeur juvénile, avec une virtuosité que l'on peut difficilement égaler et encore moins dépasser.
Le prélude du second acte fait un heureux contraste et décrit l'atmosphère reposante du couvent ; les instruments semblent ouatés pour nous montrer la paix, le calme qui règnent dans cette retraite. Puis, tout à coup, l'orchestre s'éveille et pétille ; c'est la querelle des moines au sujet de la poésie, de la musique, de la peinture et de la sculpture ; il y a là des broderies symphoniques, qui sont un pur régal ; il faut signaler enfin la délicieuse légende de la Sauge avec sa tournure archaïque, qui est d'un effet ravissant. [L'apologue de la Sauge a été extrait, par Maurice Léna, d’une vieille chanson publiée par Amédée de Ponthieu dans les Fêtes légendaires.]
Le dernier acte se lie au précédent par un interlude qui rappelle ingénieusement la légende de la Sauge. La scène de Jean chantant, mimant et dansant devant la statue de la Vierge est plus brièvement traitée ; et tandis que gémit à l'orchestre le thème de Marie en progressions savantes, les détails de la représentation du jongleur ne sont pas moins habilement notés ; le chœur des anges ou plutôt le duo céleste est d'une belle simplicité, et l'acte s'achève en un sentiment de réelle et sincère émotion.
Il faut ajouter que l'instrumentation de cette partition tient du prestige par la variété de la couleur, par l'étonnante adaptation des instruments aux péripéties de l'action, par la recherche ingénieuse et la trouvaille constante des effets harmoniques.
Ce qui a plu dans cette partition du Jongleur dès son apparition et ce qui plaît encore à l'audition, c'est la fraîcheur, c'est la simplicité émue de ces mélodies que le compositeur s'est bien gardé d'écraser sous une instrumentation bruyante ou violente. La musique de Massenet dans cette œuvre a comme des demi-teintes ; elle fleure le mystère ; elle sonne, délicieusement voilée, comme luirait discrètement de la lumière tamisée à travers un vitrail. La musique et le décor concourent à produire cet effet de vision de la vie religieuse en un tableau de piété qui serait en même temps un tableau de genre. La religiosité de Massenet est à la fois spiritualiste et spirituelle. Ce Jongleur, c'est de la foi sans austérité, c'est de la croyance aimable ; c'est en tous cas une œuvre bien près d'être un chef-d’œuvre.
(Louis Schneider, Massenet, 1908)
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Maître Massenet reçut un beau jour un livret d'un inconnu. Le cas n'était pas rare. D'un œil distrait il se mit à le parcourir, mais plus il avançait, plus il était fasciné par sa lecture. Celle-ci à peine achevée, il se mettait à composer et lorsque, timidement, à quelques mois de là, le librettiste vint demander des nouvelles de son manuscrit, Massenet put lui montrer la partition achevée : du poème de M. Léna, il avait fait un pur chef-d'œuvre. Ce poème, c'était le « miracle » du Jongleur de Notre-Dame, une œuvre qui présente cette originalité de ne faire chanter, en dehors du chœur, que des personnages masculins. La Vierge, qui joue un rôle actif au dénouement, est un personnage muet. Voici cette naïve histoire, tirée d'un ancien fabliau et traitée avant M. Léna par plusieurs autres littérateurs, entre autres par M. Anatole France dans un conte. L'acte premier se passe devant la porte de la célèbre abbaye de Cluny, au premier jour du mois de Marie. Le populaire s'amuse sous un grand ormeau. Arrive le jongleur Jean, simple d'esprit, pas très fort dans son art et famélique à l'extrême. Il lance quelques boniments et tente d'œuvrer de son métier : sans succès, hélas ! La recette est misérable et tous se gaussent de lui. Attiré par le bruit, le prieur sort brusquement du monastère et chasse la foule sacrilège, qui ne craint pas de chanter d'irrévérencieux couplets au nez de Notre-Dame. Il menace Jean de l'enfer. Mais le pauvre diable est, au fond, sincèrement dévot à Marie, et le prieur, s'en étant aperçu, l'invite à renoncer à son métier infâme et à entrer dans les ordres. Jean hésite : la liberté lui est chère. même avec son cortège de privations et de jeûnes. Pourtant il a grand' faim, et quand il voit arriver frère Boniface chargé de victuailles, quand il entend les moines chanter le benedicite devant des tables bien servies, il n'y tient plus et se glisse par la porte du couvent à la suite du prieur et de Boniface. Du temps a passé. Le second acte nous amène au matin de l'Assomption. Dans la riche abbaye, tous les moines sont au travail. Pour Marie, le sculpteur a façonné une image, le peintre l'a enluminée, le poète a écrit de beaux vers latins, que le musicien a mis en musique et que chantent les moines en chœur. Boniface épluche des légumes pour le dîner ; Jean, qui a beaucoup engraissé et chez qui l'on chercherait en vain l'air famélique de l'acte précédent, se désole à la pensée que lui seul ne fait rien pour la Vierge. Seul, il est incapable de lui offrir son hommage. Boniface le console et lui prêche une doctrine pleine d'indulgence et de largeur : il est mille façons de servir Notre-Dame ; on peut le faire devant les fourneaux de la cuisine ; chacun honore Marie selon ses moyens. et le plus humble hommage n'est pas celui qu'elle agrée le moins. A preuve, il chante la jolie légende de l'humble sauge. qui sauva un jour l'enfant Jésus. Jean a une inspiration : lui aussi portera son offrande à Marie, une offrande selon ses moyens !... A l'acte trois, le théâtre représente la chapelle de la Vierge, à Cluny. La nouvelle statue de Marie, grandeur naturelle, est debout sur l'autel. Jean pénètre timidement dans le sanctuaire ; il se croit seul, mais un frère l'a vu et le surveille à la dérobée. Et voici ce qu'il voit : Jean dépouille sa robe de moine et apparaît en costume de jongleur. D'un paquet il sort les instruments de sa profession, et le voici qui donne à Marie une représentation en règle. Tandis qu'il danse devant l'autel, le cœur brûlant d'adoration, sourd et aveugle à tout ce qui l'entoure, les moines se sont rassemblés autour de lui et crient au sacrilège. Seul Boniface comprend et parle en faveur de Jean. Il ne convainc pas ses frères, cependant, et ceux-ci, dans leur vertueuse indignation, vont se précipiter sur le vil bateleur, qui profane le sanctuaire, lorsqu'ils sont cloués sur place par un prodige : la Vierge a souri ! Elle s'est inclinée sur le jongleur et, de sa main, fait le geste de bénir, cependant qu'un chœur céleste se fait entendre. Au lieu de chasser Jean, les moines s'agenouillent maintenant devant lui. Mais lui, qui seul n'a pas vu le miracle, ne comprend rien à ce qui lui semble une dérision. A la voix du prieur, cependant, Marie se manifeste avec plus d'éclat : la chapelle est soudain inondée de lumière, et de ses mains la Vierge pose, sur la tète de son naïf adorateur, l'auréole des élus. Puis elle s'envole dans une gloire, avec un geste d'appel. Et, suivant ce geste, Jean tombe extasié : il est parti sans secousse pour le séjour des bienheureux. « Heureux les simples, car ils verront Dieu ! » conclut le prieur. Et les anges au ciel, les moines sur la terre, répondent dévotement « Amen ! »
(Edouard Combe, les Chefs-d’œuvre du répertoire, 1914)
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Il y a peut-être encore — ou déjà — parmi le public, quelque ancien 1er prix de « narration française » qui aura l'élégance de se rappeler avec émotion certain canevas proposé jadis à la broderie de ses plus riches fleurs de rhétorique par un pédagogue humaniste... Il s'agissait d'un conte pieux, d'une histoire médiévale, belle comme un vitrail et simple comme la parabole du « Bon Samaritain » : le miracle du Tombeor ou du Jongleur de Notre-Dame, un de nos fabliaux les plus anciens — ou, plus exactement, une « moralité » retrouvée au fin fond de la littérature moyenâgeuse par le délicat érudit qu'est M. Gaston Paris, et publiée par la revue Romania (1874). — L'anecdote a touché Anatole France lui-même, qui, dans l'Etui de Nacre, l'a traitée à la manière Evangélique, avec la ténuité fine qui convenait à cette trame... ce n'était guère un thème de sermon pour l'abbé Jérôme Coignard, mais un morceau choisi de lecture à l'Académie par l'exquis Sylvestre Bonnard, à qui rien n'était étranger des textes hagiographiques de la Légende Dorée. Enfin, un lettré de la dernière heure, M. Maurice Léna, professeur à l'Université — alma parens — eût l'idée de renouveler le genre dramatique du « Mistère » en transportant sur la scène ce gracieux épisode : et, plus ému qu'un candidat au baccalauréat, il remit sa composition à l'appariteur, — c'est-à-dire au concierge du maître Massenet. Or, Notre-Dame tenait à protéger son nouveau ménestrel, et à entendre chanter ses bienfaits jusque sur le théâtre... Massenet partait en voyage ; dans son courrier s'étaient glissées les feuilles du livret qu'il emporta parce qu'il n'avait rien à lire en route. — Et, à son retour, le répertoire de la musique profane se complétait d'un Cantique en trois actes — acta sanctorum — ; un sujet de triptyque représenté pour la première fois à Monte-Carlo, le 18 février 1902, et créé salle Favart le 10 mai 1904... et c'était digne, et c'était juste, si l'on songe combien fréquemment les voûtes des basiliques retentissent de majestueux motifs d'opéras exécutés par l'organiste au cours des offices les plus solennels.
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Un 1er mai, férié (déjà), les bonnes gens du XIVe siècle s'abandonnent aux douceurs du chômage en l'honneur de Madame Marie dont commence le joli mois, sous un arbre, devant le parvis de l'Abbaye de Cluny. Survient Jean-le-Jongleur, un sympathique misérable, qui, sans y réussir, tâche de son médiocre mieux à exercer une industrie facilement considérée comme coupable... car voici que s'ouvrent les portes du cloître, et que, du porche, le Prieur projette ses foudres : c'est aussi que le peuple, blasé sur les tours de passe-muscade, vient d'obliger le bateleur à chanter de plaisants couplets — « Alleluia du Vin » — qui sentent le fagot. Craintive ou moqueuse, la foule se dissipe. L'abbé, lancé, n'en continue pas moins à fulminer sur l'impiété du siècle — personnifiée pour le moment par ce damnable virtuose. Jean n'en mène pas large ; et il a même une peur de tous les diables, car — à la façon de beaucoup d'artistes — il conserve au fond de son cœur une dévotion toute particulière à la benoîte Vierge. Et le père Prieur, qui reconnaît vite les bons effets de ses éloquentes vitupérations, en profite pour essayer de conquérir complètement cette âme à Dieu. Mais au tableau qu'il fait de la vie de couvent, de sa pure sécurité, et des joies saines dans un méritoire labeur, le nomade sent murmurer, en son fruste subconscient, les révoltes de son instinct d'indépendance... Cependant, les temps sont bien durs ; le métier ne nourrit pas son baladin. Justement, apparaît la face réjouie du frère Boniface, moine cuisinier, retour de provende... Des émanations dignes de Thélème s'envolent des réfectoires... le Benedicite claustral s'unit en impérieux appels au tiraillement stomacal du pauvre Jean dont, affamé, le ventre n'a que trop d'oreilles... et cette tentation de sanctifiant aloi est décidément la plus forte : il passe — pour toujours — le seuil du monastère. C'est la fête de l'Assomption. Les religieux s'apprêtent à la célébrer dignement, et tous veulent y contribuer pour leur quote-part : l'un sculpte et l'autre peint une statue de la Madone ; le maître de chapelle fait répéter une cantate dont le latiniste est l'auteur... seul, réfugié auprès du moine Boniface, en train de se démener au milieu des apprêts d'un repas de chanoine, Jean, fort engraissé, mais moralement miné par le sentiment de son inaction, va, vient, et tourne, désœuvré. Sérieusement, il se désole... Boniface, qui a l'esprit large comme les manches de son froc, le réconforte avec bonté. Son sentiment est qu'il faut toujours :
Faire tout ce qu'on peut sur la plus humble échelle
comme le dira « Chantecler » — et que le plus modeste effort est quelquefois le plus agréable au Seigneur, sinon même le plus utile. Et il lui récite à l'appui le délicieux symbole de « la Sauge »... Le Jongleur, extasié, l'écoute... doucement, une idée lui vient, et l'illumine ! Mais il faudrait ici la plume de Jules Lemaitre pour attester le prodige : A la nuit, le novice Jean se glisse dans le sanctuaire — mystérieusement, il extrait d'un petit paquet quelques accessoires ; bientôt sa robe monacale tombe sur les dalles du chœur ; dans son ancien costume de jongleur, il s'est dressé au pied du Tabernacle... et, naïvement, en l'honneur de la Vierge dont l'image neuve pare, depuis matines, la chapelle, il exécute devant Elle les tours les plus surprenants de son répertoire ! Cependant, les moines l'ont aperçu, et l'on se précipite, et l'on va crier au scandale... quand une vision merveilleuse les immobilise, muets : Marie descend de l'autel ; souriante, elle essuie du pan de son manteau bleu la sueur qui ruisselle au front soudainement irradié du pauvre diable — puis, tandis qu'on entend un hymne séraphique et que la nef entière resplendit d'une lueur céleste, l'apparition s'évanouit en désignant le Paradis au Jongleur dont l'âme s'envole. Ses frères se sont prosternés, et la voix du Prieur s'élève : « Bienheureux les simples, car ils verront Dieu !... »
(Roger Tournefeuille, les Grands succès lyriques, 1927)
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l'Acte I du Jongleur de Notre-Dame à l'Opéra-Comique en 1954
Mlle Morin (la Vierge) lors du cinquantenaire du Jongleur de Notre-Dame à l'Opéra-Comique en 1954
Le Jongleur de Notre-Dame a cinquante ans. Voici longtemps déjà que sa reprise me tentait. Notre cher Louis Beydts à qui je m'en ouvrais lors de sa nomination au fauteuil directorial de l'Opéra-Comique, me conseilla d'attendre le cinquantenaire de la création de cette œuvre pour donner plus d'éclat à cette nouvelle présentation. C'est ce qui fut décidé en accord avec notre administrateur M. Maurice Lehmann.
Mon but était de donner à l'ouvrage un aspect visuel nouveau en lui apportant le secours de moyens techniques modernes.
La lecture des fabliaux du XIIe siècle et particulièrement du « Del tumbeor de Nostre Dame » m'incita naturellement à une présentation qui évoquerait un peu celle des mystères et miracles médiévaux. Pour commencer par une sorte de fondu, je fis inscrire entre les deux tours un vitrail (différent pour le 1er et le 2e acte) dont les personnages s'animent, puis renversant le problème pour la mort du Jongleur, les personnages se figent en un vitrail final. Ces effets furent obtenus par un mélange de transparences et de lumière noire.
Louis Musy (Boniface) lors du cinquantenaire du Jongleur de Notre-Dame à l'Opéra-Comique en 1954
L'étude des documents sur l'Abbaye de Cluny, que je désirais reconstituer pour donner au public l'idée de l'importance énorme de ces bâtiments, m'obligea à consulter de nombreuses miniatures enluminées des XIIe et XIIIe siècles et c'est enthousiasmé par leur beauté, que l'idée me vint de traiter décors et costumes à la façon des frères Limbourg (ces miniaturistes géniaux qui illustrèrent les « Très riches Heures du duc de Berry »). Des ciels d'un bleu extraordinaire dont le secret fut longtemps gardé ; des vêtements aux couleurs rigoureusement pures, quelques taches rouges assez vives pour faire chanter les verts et les jaunes chauds qui ennoblissent encore la profondeur des bleus. Le tout rehaussé de touches d'or discrètes qui finissent de donner ce rien de préciosité qui en fait le plus grand charme.
Pendant les quelque vingt ans où j'ai eu l'occasion d'interpréter le rôle de Boniface, j'ai toujours été frappé par l'impression de longueur subite qui se dégageait pendant l'agonie du Jongleur. J'avais toujours attribué cela à la non-observation des indications scéniques de Massenet, « La Vierge dans sa gloire au Paradis » d'autant plus qu'un thème très typique souligne de façon à la fois naïve et grandiloquente cette apothéose ! Le musicien a repris la phrase du prieur du 1er acte et l'a développée : « Tu seras pardonné. »
L'occasion était trop tentante pour ne pas réaliser les vœux des auteurs. Cela donnait à Jean sa personnalité de visionnaire. Une fois ce principe admis, il n'y avait qu'un pas pour réaliser sa vision de l'enfer au premier acte, que le Prieur décrit avec une telle précision. Je me suis donc efforcé de suggérer au public ce que le Jongleur « voit » mais que les autres ne soupçonnent pas.
André Dran (Jean) lors du cinquantenaire du Jongleur de Notre-Dame à l'Opéra-Comique en 1954
Pour la vue du Paradis, j'eus pour me guider la description qu'Anatole France en donna dans son adorable et malicieux Jongleur de son Etui de Nacre ; pour l'Assomption corporelle de la Vierge, je consultai les documents et revis toutes les représentations picturales qui relatent ce miracle. J'optai pour le nuage porté par des angelots qui me semblait plus adéquat à notre sujet.
L'exécution de tout ce côté merveilleux n'a pas été sans soulever de graves problèmes sur notre scène aux coulisses exiguës, mais le personnel technique, emballé par la beauté de l'ouvrage, est arrivé à exécuter lui-même un miracle nouveau grâce à une collaboration efficace qui est venue s'ajouter à l'effort et au talent des artistes du chant, des chœurs, de la danse et de l'orchestre dans un parfait esprit d'équipe.
(Louis Musy, revue l'Opéra de Paris n° 9, 1954)
Louis Musy (Boniface) et Xavier Depraz (le Prieur), lors du cinquantenaire du Jongleur de Notre-Dame à l'Opéra-Comique en 1954, dessin de Louis Musy
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Geori Boué (Jean) et Louis Musy (Boniface) dans le Jongleur de Notre-Dame à l'Opéra-Comique [revue l'Opéra de Paris n°12, 1er trimestre 1956]
Geori Boué dans le Jongleur de Notre-Dame (Jean) à l'Opéra-Comique [revue l'Opéra de Paris n°12, 1er trimestre 1956]
Acte I — La place de Cluny |
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Prélude |
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Scène I |
Dansez la bergerette (la Foule, les Marchands et Marchandes) |
Scène II |
C'est un accord de vièle... un jongleur ! (la Foule) |
Scène III |
Place au roi des jongleurs ! (Jean) – Gentil roi, choisis ta reine (la Foule) – Boniment : Voulez-vous tours de jonglerie – Alleluia du Vin : Le vin, c'est Dieu le Père (Jean) |
Scène IV |
Hors d'ici, troupe infâme ! Et toi, vil baladin – Il pleure... Tu seras pardonné (le Prieur) – O liberté, m'amie ! (Jean) – Belle maîtresse, en vérité ! (le Prieur) |
Scène V |
Pour la Vierge, d'abord, voici les fleurs qu'elle aime (Boniface) – le Benedicite – A table ! Et qu'un bon déjeuner nous prépare au dîner (Boniface) |
Acte II — Le Cloître |
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Prélude |
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Scène I |
La Leçon de chant : Ave rosa speciosa (le Moine musicien) – Le cuisine est bonne au couvent (Jean) |
Scène II |
Dans ce coin solitaire, seul vous ne chantez pas (le Prieur) – Quelle paresse ! oh ! comme il engraisse ! (les Moines) – Ah ! mes frères, je connais ma triste indignité (Jean) |
Scène III |
Jongleur, piteux métier, deviens plutôt sculpteur (le Moine sculpteur) – Vous oubliez, mon frère, la peinture (le Moine peintre) – Non pas, à la place d'honneur la poésie ! (le Moine poète) – Pour moi je me figure que mon art seul (le Moine musicien) – Mes frères, calmons-nous ! (le Prieur) |
Scène IV |
Va, ne les envie. Tous, vois-tu, des orgueilleux ! – Légende de la Sauge : Marie, avec l'enfant Jésus, par les monts... Fleurissait une rose (Boniface) |
Scène V |
Vierge, mère d'amour (Jean) |
Acte III — Dans la Chapelle |
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Pastorale mystique |
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Scène I |
Ave, cœleste lilium (les Moines) |
Scène II |
Vierge, mère adorable de Jésus – Boniment : Place ! Silence ! Ecoutez Jean, roi des jongleurs – Chanson de guerre : Il fait beau voir ces hommes d'armes (Jean) |
Scène III |
Romance d'amour : Belle Doètte à sa fenêtre – Le jeu de Robin et Marion : A l'oré' du joli bocage (Jean) – Danse du Jongleur |
Scène IV |
Sacrilège ! Sacrilège ! Chassons-le du saint lieu (les Moines) |
Scène V |
Le miracle : Arrière, tous ! La Vierge le protège (Boniface) – Hosannah ! Gloire à Jean ! (les Anges) – Relevez-vous, c'est à moi d'être à vos genoux (le Prieur) – Rayonnement ! Bonheur ! Délicieusement... je meurs (Jean) – Caressé du vent de nos ailes (les Anges) – Spectacle radieux, je vois s'ouvrir les cieux (Jean) – La Gloire du Paradis |
LIVRET
décor de l'Acte I lors de la première à l'Opéra-Comique [de g. à dr. : Adolphe Maréchal (Jean), Lucien Fugère (Boniface), X (le Frère lai), André Allard (le Prieur)]
(édition de novembre 1923)
ACTE PREMIER
La place de Cluny
Prélude
La place de Cluny au XIVe siècle ; au milieu de la place, l'orme traditionnel, et sous l'orme, un banc. On aperçoit la façade de l'abbaye avec une statue de la Vierge au-dessus de la porte. C'est le premier jour du mois de Marie, et jour de marché. Des filles et des garçons dansent la bergerette. Les marchands sont à leurs places.
SCÈNE I BOURGEOIS, BOURGEOISES, CHEVALIERS, CLERCS, PAYSANS, PAYSANNES, GUEUX vont et viennent ; MARCHANDS, MARCHANDES, à leurs places.
[ LA FOULE. [ Dansez la bergerette. [ Oh ! Pierrot ! ohé ! Pierrette ! [ Voici le mai gracieux, [ Dansez la bergerette ; [ Et pour le dauphin Jésus [ Faites un tour de plus. [ [ MARCHANDS ET MARCHANDES. [ Poireaux, navets, pruneaux de Tours ! [ A la fraise nouvelle ! [ Fromage de crème ! Choux blancs ! [ Sauce verte, achetez la bonne sauce verte !
UN MOINE CRIEUR. Les Pardons sont au grand autel.
SCÈNE II LES MÊMES
On entend au loin un air de vièle qui va se rapprochant.
VOIX DIVERSES. Silence ! Entendez-vous ? C'est un accord de vièle.
TOUS. Un jongleur, un jongleur !
VOIX DIVERSES. Comme une sauterelle Le refrain vif sautille ! il approche ! un jongleur ! Noël, c'est un jongleur ! Il va nous dire une chanson nouvelle, Nous faire un tour nouveau, Sa plus neuve grimace.
TOUS. Le voici. Place, place !
SCÈNE III LES MÊMES, JEAN.
JEAN, il entre en jouant de la vièle ; s'arrêtant. (Il est maigre, hâve, de pauvre équipage. Déception générale, murmures.)
TOUS. Le roi n'est pas très beau, Roi de piteuse mine.
UN LOUSTIC, annonçant. Sa majesté le Roi Famine ! (Quelques rires.)
JEAN. Attention ! avancez... reculez... Attention ! Écoutez tous, chevaliers et manants, Jeunes et vieux, bêtes et gens, Dames au mignard sourire, « Sages clercs qui savez lire », Bancroches, bossus, ivrognes, voleurs, Écoutez Jean, Roi des jongleurs !
CHEVALIERS, PAYSANS et PAYSANNES, chantant ; FILLES et GARÇONS esquissant autour du jongleur une ronde ironique. Gentil Roi, choisis ta Reine, Lanturli, virelonlaine, Choisis ta reine, beau Roi, Lanturli lon la...
JEAN, interrompant la ronde. Attention ! Mais, dans ma sébile d'abord,
Mes doux amis, un peu de menuaille. Jésus vous le rende, seignor.
(Avec tristesse, en regardant la
sébile.) Attention ! Voulez-vous tours de jonglerie, Voire de sorcellerie ! Oncques sur terre ne vit-on Plus dextre à jongler de bâton D'écuelles et de boules. (Rires dédaigneux.) Je sais tirer des œufs d'un chapeau !
TOUS. C'est enfantin... vieux jeu... Va-t'en traire les poules !
JEAN. Je sais la danse des cerceaux (Il esquisse lourdement un pas de danse.)
TOUS. Que de grâce légère ! (Les filles et les garçons forcent le jongleur à danser avec eux.)
TOUS. Choisis ta reine, beau roi, Lanturli lon la.
JEAN, après s'être dégagé. La paix, folles et fous ! (Continuant le boniment.) Messeigneurs, pour vous plaire, Je vais chanter un beau Salut d'amour !
MARCHANDS, un groupe, Poireaux, navets ! (Rires.)
UN AUTRE GROUPE. Pruneaux de Tours !
JEAN, qui commence à désespérer. Eh bien ! chant de bataille, Olifant, tambour et clairon, Hennissements sous l'éperon, Estoc et taille !
TOUS. Non, non.
JEAN. Je sais Roland.
MARCHANDS, deux groupes.
Fromage de crème, choux blancs !
JEAN. Je sais Berthe aux grands pieds.
PLUSIEURS VOIX. Non, non, trop vieille histoire. (La ronde reprend.)
JEAN, essayant de dominer le vacarme. Renaud de Montauban.
TOUS. Non, non.
JEAN. Charlemagne.
TOUS. Non, non.
JEAN. Pépin.
UN LOUSTIC, imitant le cri de la rue. Peaux d' lapin ! (Rires, tumulte.)
TOUS, par groupes divers. Dis-nous plutôt une chanson à boire.
TOUS. Très bien ! Vivat ! Très bien !
UN IVROGNE. In vino veritas
UN GROUPE. Dis-nous le Credo de l'ivrogne
UN CHEVALIER. Le Te Deum de l'Hypocras.
TOUS. Le Gloria de Rouge-Trogne.
JEAN, proposant timidement. L'Alleluia du Vin ?
TOUS, avec joie. L'Alleluia du Vin !
JEAN, se tournant, les mains jointes, vers la statue de la Vierge.
Pardonnez-moi, Sainte Vierge Marie, Je vais chanter sacrilège chanson : Mais il faut bien gagner sa vie. La faim dans mes entrailles crie, Et si mon cœur est bon chrétien, Pourquoi mon ventre est-il païen ?
TOUS, réclamant la chanson. L'Alleluia du Vin !
JEAN, il prélude sur son instrument.
Pater noster.
Le vin, c'est Dieu, c'est Dieu le père Culotté de velours soyeux, Tout au long de mon cou pieux. Quand je vide mon verre.
TOUS. Alleluia
JEAN. Alleluia ! Chantons l'Alleluia du Vin !
TOUS. Alleluia !
JEAN. Ave. Vénus la belle aux galants dit : « Compere, La nuit encor plus que le jour, Bois le vieux vin, philtre d'amour ; On a le cœur chaud comme four, Quand on vide son verre. »
TOUS. Alleluia !
JEAN. Alleluia ! Chantons l'Alleluia du Vin !
TOUS. Alleluia !
JEAN. Credo. Ne buvez d'eau, breuvage délétère. A buveur d'eau, l'antre infernal ! Mais pour qu'à mon nez triomphal Le Ciel dise : « Entrez, cardinal », Vidons encore un verre !
TOUS. Alleluia !
l'Acte I à l'Opéra-Comique
SCÈNE IV LES MÊMES, LE PRIEUR.
(La porte de l'abbaye s'ouvre brusquement. Le Prieur paraît sur les marches.)
TOUS. C'est le Prieur... Fuyons !
LE PRIEUR. Hors d'ici, troupe infâme ! (Tous s'enfuient, sauf Jean interdit. — A Jean.) Et toi, vil baladin, pour mieux damner ton âme, Viens-tu donc insulter jusque dans ce couvent Notre mère Marie et son divin Enfant !
JEAN, tombant à genoux. Grâce, mon Père, grâce !
LE PRIEUR. Détestable et maudite race !
JEAN. Oh ! mon Père, pitié !
LE PRIEUR. Ne vois-tu pas Satan Dont le poing vert brandit l'écarlate trident ? Il t'enfourche, il t'emporte.
JEAN. Grâce !
LE PRIEUR. Pour t'engloutir, voici — flammes et fer, Larmes et grincements — voici s'ouvrir la porte Formidable d'Enfer !
JEAN. Pitié !
LE PRIEUR. Tremble !
JEAN. Pitié !
LE PRIEUR. L'enfer !
JEAN. Grâce !
LE PRIEUR. L'enfer !
JEAN, comme foudroyé, étendu tout de son long à terre. Ah ! je brûle ! Ah ! je meurs… (A genoux.) Ah ! mon père, pardon... (Se traînant vers la Vierge.) Pardon, pardon, Marie, Voyez mes pleurs ! (Il sanglote.)
LE PRIEUR, à part. Il pleure... Un peu de foi, dans cette âme flétrie, Pâle rose d'hiver, va-t-il donc refleurir ? (A Jean.) Ton nom ?
JEAN. Jean.
LE PRIEUR. C'est le nom d'un saint cher à la Vierge. (Montrant la Vierge.) Ce pardon de Marie, on peut le conquérir. Tu seras pardonné, si, brûlant comme un cierge, Parfumé comme un encensoir, Ton cœur à son autel, sans retard, dès ce soir, Abjure ce métier immonde ; Si, plein d'un repentir fervent, Et secouant au seuil la poussière du monde, Tu deviens, dès ce soir, mon frère en ce couvent.
JEAN, les mains jointes vers la Vierge. Dame des cieux, Vous savez bien, Jésus le sait de même, De quel amour tendre et dévotieux Jean, le pauvre jongleur, vous aime...
LE PRIEUR. Eh bien ?
JEAN. Mais renoncer, quand je suis jeune encor Renoncer à te suivre, ô Liberté, ma mie, Insoucieuse fée au clair sourire d'or !... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C'est Elle que mon cœur pour maîtresse a choisie. Cheveux au vent, rieuse, Elle me prend la main Et m'entraîne au hasard de l'heure et du chemin. L'argent des eaux, l'or de la moisson blonde, Les diamants des nuits, par Elle sont à moi ! Par Elle j'ai l'Espace, et l'Amour, et le Monde ; Le gueux, par Elle, devient roi ! Par son charme divin, tout me rit, tout m'enchante. Je vais, et je respire, et je rêve, et je chante, Et, pour accompagner le vol de ma chanson, Le concert des oiseaux pétille au vert buisson… Maîtresse gracieuse, et sœur que j'ai choisie, Faut-il que je vous perde, ô mon royal trésor, O Liberté, ma mie, Insoucieuse fée au clair sourire d'or !
LE PRIEUR. Belle maîtresse En vérité !
Redoute, pauvre sot, la mortelle caresse
JEAN Printemps sourit dans son cortège.
LE PRIEUR. N'y vois-tu pas l'Hiver, et la Bise, et la Neige ?
JEAN. Sa jeunesse est en fleur.
LE PRIEUR. Mais bientôt sera vieux son amant le jongleur.
JEAN, regardant son bagage de jongleur. Et vous, balles, cerceaux, vieux amis pleins de zèle, Va-t-il vous jeter là, votre maître infidèle ? (S'adressant à sa vièle.) Toi dont l'âme chantait, docile, sous ma main...
LE PRIEUR. Garde-les et va-t'en. Va-t'en mourir de faim, Sans confesseur, dans un fossé, guenille infâme... Mais le couvent, c'était le salut de ton âme, Le salut de ton corps. (Souriant.) En carême, sans doute, haricots, harengs saurs ; Mais aux fêtes carillonnées, Ah ! les plantureuses journées ! Tiens, regarde plutôt ! Boniface parait, monté sur un âne qu'un frère lai tient par la bride. L'âne est aussi chargé de deux paniers, l'un contenant des fleurs, l'autre des victuailles et des bouteilles. Cuisinier sans égal, Le frère Boniface arrivant de sa quête, Glorieux, souriant, apporte pour la fête Tout un régal.
SCÈNE V LES MÊMES, BONIFACE.
BONIFACE, prenant à mesure, dans les corbeilles, fleurs et provisions. Pour la Vierge d'abord, voici les fleurs qu'Elle aime : Œillets, lilas, myosotis, Violette, églantine et lis, Rose, anémone, hélianthème, Et voici la pervenche encor, Le troène et le bassin d'or. Pour la Vierge d'abord, voici les fleurs qu'Elle aime... Et pour les serviteurs de Madame Marie, Voici des oignons nouvelets, Voici des poireaux verdelets, Voici du cresson de prairie, Choux velouté, sauge fleurie...
C'est pour les serviteurs de Madame
Marie. Mon Père, s'il vous plaît, soupesez ce jambon... Andouillettes, quartier de hure, Cervelas, saucisse, boudin, Voici de la belle salure ; Rien de tel pour se mettre en vin ! Du vin, nous en avons, et quel vin délectable ! Voyez comme il scintille au cristal du flacon ; Doux Jésus, c'est du vieux Mâcon ! Pour la Vierge, Voici des fleurs Et ce beau cierge ! Et voici pour ses humbles serviteurs. (On entend la cloche du déjeuner dans l'intérieur de l'abbaye ; puis les voix des moines au réfectoire récitant le Benedicite.)
UNE VOIX. Benedicite.
TOUS LES MOINES. Benedicite.
UNE VOIX.
Nos et ea quæ sumus sumpturi
benedicat dextera Christi. Amen !
UNE VOIX. In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti.
TOUS. Amen !
BONIFACE. Le Benedicite, mon Père. A table, à table ; Et qu'un bon déjeuner (Montrant ses provisions.) Nous prépare au dîner.
LE PRIEUR, à Jean, avec un geste d'invitation. A table !
JEAN, comme en extase, mains béatement jointes. A table !
TOUS TROIS, avec une expression et un geste différents. A table !
(Le Prieur, Boniface, le Frère lai avec l'âne, se dirigent vers l'entrée de l'abbaye. Jean les suit, encore hésitant, mais comme entraîné par le parfum des victuailles. Arrivé au seuil, il revient sur ses pas pour prendre son bagage de jongleur, qu'il emporte en cachette. Avant d'entrer, il fait aux pieds de la Vierge une humble génuflexion).
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Acte II : Scène des Moines répétant l'hymne consacré à la patronne de l'abbaye, lors de la première à l'Opéra-Comique (de g. à dr. : X, Allard, Huberdeau, X, Carbonne, X, Fugère, X, Billot, Guillamat)
ACTE DEUXIÈME
Le Cloître
Prélude
A l'abbaye, dans la salle d'études, qui s'ouvre sur le jardin du couvent. Tables, pupitres, chevalets. Se détachant bien en vue, nouvellement achevée, une statue de la Vierge, dans une attitude mystique d'indulgence et d'amour qu'un moine est en train de colorier. Groupés autour du Moine Musicien, les moines achèvent de répéter sous sa direction un hymne à la Vierge qu'il a composé pour la circonstance ; c'est le matin de l'Assomption.
SCÈNE I JEAN, LE MOINE PEINTRE, LE MOINE POÈTE, LE MOINE SCULPTEUR, LE MOINE MUSICIEN
TOUS LES MOINES, y compris les quatre
moines indiqués. Ave rosa speciosa, Ave mater humilium Superis imperiosa. In hac valle lacrymarum Da robur, fer auxilium.
JEAN, rêvant à l'écart. La cuisine est bonne au couvent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Moi qui ne dînais pas souvent, Je bois bon vin, je mange viandes grasses. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Jour glorieux !
La Vierge aujourd'hui monte aux cieux, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Avec tristesse.) Un cantique en latin ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Reine des anges, O vous, à qui je dois grasse viande et bon vin, Je voudrais avec eux célébrer vos louanges. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Hélas ! je ne sais pas chanter latin.
SCÈNE II
LES MÊMES, LE PRIEUR, BONIFACE. LE PRIEUR. (Au moine musicien.) Compliments à l'auteur. (Au moine poète, auteur des paroles de l'hymne et qui s'avance jaloux.) Au poète aussi. (Les moines reprennent chacun dans la salle d'études leur place et leur travail ; les uns peignent, les autres sculptent ou modèlent, d'autres copient sur vélin, quelques-uns, au fond dans le jardin, bêchent et cultivent des fleurs, etc. Dans un coin, modestement, Boniface épluche des légumes.)
LE PRIEUR, à Jean. Mais, dans ce coin solitaire, Seul, vous ne chantez pas, vous, un ancien chanteur ?
JEAN. Pardonnez-moi, mon Père ; Mais hélas, je ne sais Que profanes chansons en vulgaire français.
PLUSIEURS MOINES, qui se sont approchés.
— Oh ! frère Jean ! — quelle paresse ! (Lui touchant le ventre.) — Sentez-vous son ventre pousser ?
BONIFACE, intervenant avec bienveillance. Eh bien quoi ! Frère Jean aime les bonnes choses.
LE PRIEUR. A la Vierge, sans doute, il offre ce matin, Comme un bouquet, la fraîcheur de son teint Tout fleuri de lis et de roses.
LES MOINES (toujours sauf Boniface). Frère Jean, Dormez-vous...
JEAN. Mes frères, je connais ma triste indignité. Jour et nuit je la pleure. Vous me raillez, c'est peu. Votre courroux, sur l'heure, Devrait m'anéantir ; je l'ai bien mérité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Depuis qu'en ce couvent prospère Me guidant de sa blanche main La Vierge, secourable mère, Permet que je mange à ma faim, Ai-je un seul jour gagné mon pain ? Non, jamais œuvre méritoire Ne témoigne au ciel mon amour. Moine ignorant, moine balourd, Je ne sais rien qu'au réfectoire Boire et manger, manger et boire. Chacun dans la sainte maison Sert Notre-Dame d'un grand zèle ; Il n'est pas si petit clergeon Qui ne sache entonner pour elle Verset ou psaume à la chapelle. Et moi qui recevrais la mort D'un cœur si joyeux pour sa gloire Hélas ! hélas ! quel affreux sort,
[ JEAN. [ Je ne sais rien qu'au réfectoire [ Boire et manger, manger et boire. [ [ LES MOINES. [ Jean ne sait rien qu'au réfectoire [ Boire et manger, manger et boire.
JEAN, au Prieur. Ah ! chassez-moi, mon Père, Je crains de vous porter malheur... Allons, jongleur, Reprends donc ta besace, et reprends ta misère !
SCÈNE III LES MÊMES.
LE MOINE SCULPTEUR, s'approchant de Jean. (Ironique). Deviens plutôt sculpteur, Tu seras mon élève... (Désignant la statuette qu'il est en train de tailler au ciseau.) Vois : des flancs du marbre se lève, Éveillé d'un ciseau pieux, Le charme de la Reine au front délicieux. Je la crée à mon tour, moi, moi, sa créature, Gagnant la gloire avec les cieux. Rien ne vaut la sculpture !
LE MOINE PEINTRE, s'approchant. Vous oubliez, mon frère, la peinture... Sois mon élève, Jean. Le marbre inanimé ne peut donner la vie ; Mais sous le pinceau tout-puissant, (Désignant la Vierge peinte.) Tu la vois palpiter, frémissante, asservie. Aux lèvres qu'elle empourpre, aux yeux dans le regard. La Peinture, C'est le grand art !
LE MOINE SCULPTEUR.
Le grand art,
LE MOINE POÈTE, approchant. Non pas. A la place d'honneur Ne doit s'asseoir que Poésie. C'est ma Dame, et je suis son fervent serviteur. Votre art est bien grossier. D'essence plus choisie, Le poète, fixant le vol de l'esprit pur, L'enferme tout vibrant aux vers d'or et d'azur. Gloire à la Poésie !
LE MOINE PEINTRE
La Peinture,
LE MOINE SCULPTEUR.
Le grand art,
LE PRIEUR, intervenant. Mes frères, calmons-nous.
LE MOINE MUSICIEN, approchant à son tour. Pour moi, je me figure Que mon art seul peut vous mettre d'accord... Voyez de quel ardent essor, Tandis que vous rampez à terre, La musique va droit au ciel ! Voix de l'inexprimable, écho du grand mystère, C'est l'Oiseau Bleu qui vient du Rivage Éternel, Et c'est la Blanche Nef sur l'océan du Rêve... Que fait aux cieux un séraphin ? Il chante, encore, et toujours, et sans trêve. La musique est un art divin.
LE MOINE SCULPTEUR. Non, le grand art, c'est la sculpture.
LE MOINE PEINTRE. Non, le grand art, c'est la peinture.
LE MOINE POÈTE. Poésie, ô reine des arts !
LE MOINE MUSICIEN. O musique, reine des arts ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un bavard, le poète !
LE MOINE PEINTRE. Des maçons, les sculpteurs !
LE MOINE SCULPTEUR. Les peintres, des barbouilleurs !
JEAN, effrayé. Grand Dieu ! quelle tempête !
LE MOINE POÈTE, ironique, au musicien qui le menace. La musique adoucit les mœurs ! (Tumulte).
LE PRIEUR. Quoi, mes frères, dans cet asile
La discorde !... Agitans discordia
fratres... Par ordre d'Apollon, par ordre du Prieur, Que la Muse à la Muse offre un baiser de sœur. (Les quatre rivaux s'embrassent, — mais de mauvais gré.) Et venez tous à la chapelle Aux pieds de Notre-Dame, et plus humbles de cœur, La prier d'accueillir son Image nouvelle. (Emportant la statue de la Vierge, les moines se retirent avant le Prieur en rechantant l'hymne.)
Acte II lors de la première à l'Opéra-Comique (au premier plan, à partir de la gauche : Allard, Fugère, Maréchal)
SCENE IV JEAN, BONIFACE.
JEAN, assis la tête dans ses mains. Seul, je n'offre rien à Marie.
BONIFACE. Va, frère Jean, ne les envie. Tous, vois-tu, des orgueilleux, Et le Paradis, ça n'est pas pour eux.
JEAN, avec un geste découragé. Le Paradis !
BONIFACE. S'il faut s'enfler de gloire, Quand je prépare un bon repas, Je fais œuvre aussi méritoire. Sculpteur, je le suis en nougats ; Peintre par la couleur si douce de mes crèmes ; Un chapon cuit à point vaut, seul, mille poèmes, Et quelle symphonie à ravir terre et cieux Qu'une table où préside un ordre harmonieux !
JEAN, très convaincu. Certainement.
BONIFACE, un peu fat. Mais pour plaire à Marie, Je reste simple.
JEAN. Simple, hélas, Je le suis trop... Elle aime qu'on la prie En ce latin que je ne connais pas.
BONIFACE. Et moi si peu... Latin de cuisine... Est-ce là ton souci ? (Naïvement.) La Vierge entend fort bien, va, le français aussi, Sa tendresse au besoin devine. Pour les humbles Marie a des bontés de sœur ; Et j'ai lu dans un livre une histoire divine Où l'on voit clairement qu'elle a donné son cœur A la plus simple, à la plus humble fleur. (Racontant.) « Marie avec l'Enfant Jésus — par les monts, par les plaines fuit... « Mais l'âne essoufflé n'en peut plus ; — et voici que là-bas, au versant de la côte, — ont apparu soudain —les sanglants cavaliers du Roi tueur d'enfants. « O mon fils, où cacher ta faiblesse ! » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Fleurissait une rose au bord du chemin : « Rose, belle rose, sois bonne : — à mon enfant, pour s'y blottir, — ouvre tout large ton calice ; — sauve mon Jésus de mourir. » « Mais de peur de froisser l'incarnat de sa robe, — l'orgueilleuse répond : « Je ne veux pas m'ouvrir. » « Fleurissait une sauge au bord du chemin : « Sauge, ma petite saugette, — ouvre ta feuille à mon enfant. » « Et la bonne fleurette ouvre si bien sa feuille — qu'au fond de ce berceau Jésus va s'endormir... »
JEAN, tendrement, à part. O miracle d'amour !
BONIFACE, achevant. « Et la Vierge bénie entre toutes les femmes — a béni l'humble sauge entre toutes les fleurs ! » (A part, très convaincu.) La sauge est en effet précieuse en cuisine.
JEAN, à part, les yeux au ciel, s'exaltant. Si votre blanche main me bénissait un jour !... Vienne la mort, mourir sous vos yeux, quelle fête !
BONIFACE. Nous fêterons d'abord le dîner que j'apprête. Mais je cours à mon dindonneau... (Revenant.) Car je plais à la Vierge en veillant au fourneau. Jésus n'a-t-il pas, d'un égal sourire, Reçu des mages-rois l'or, l'encens et la myrrhe, Et du pauvre berger un air de chalumeau ? (Il sort en courant.)
SCÈNE V
JEAN, resté seul, répétant vaguement les dernières paroles de Boniface. Et du pauvre berger un air de chalumeau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Changeant de ton, et avec émotion.) Quel trait de soudaine lumière, Et dans mon cœur quel émoi ! Il a raison, la Vierge n'est pas fière. Le berger, le jongleur vaut à ses yeux le roi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (S'avançant, les yeux et les mains vers le ciel.) Vierge, mère d'amour, Vierge, bonté suprême, Comme à l'air du berger souriait l'Enfant-Dieu, Si le jongleur osait vous honorer de même, Daignez sourire au seuil des cieux !
(Jean reste dans cette attitude de
mystique invocation.)
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décor de l'Acte III
ACTE TROISIÈME
Dans la Chapelle
Pastorale mystique
Dans la chapelle de l'abbaye. Bien en vue, sur l'autel, la statue peinte de la Vierge. La chapelle est disposée de telle sorte que, des côtés, on puisse voir Jean sans qu'il aperçoive lui-même ceux qui l'observeront.
SCÈNE I
(Au loin, on entend les moines
chantant l'hymne de la Vierge.) LE MOINE PEINTRE, seul devant la statue.
Un regard, le dernier, à mon œuvre, à ma
Vierge... Pour son peintre jaloux elle est plus belle encor. ... Mais on entre. — C'est Jean... Pourquoi tout ce bagage (Il se dissimule derrière une colonne.)
SCÈNE II LE MÊME, JEAN.
(Entrée de Jean, encore vêtu de sa robe de moine, portant sa vièle et sa besace de jongleur. Il entre à pas de loup, regardant partout avec inquiétude.)
JEAN.
Personne... Allons, courage ! (S'approchant de l'autel.) Mère adorable de Jésus, Blanche souveraine, Me voilà donc seul devant vous... Tremblant, le cœur plein d'amour et de peine, Je tombe à vos genoux... Écoutez ma prière : Hélas ! le pauvre Jean n'est rien qu'un vil jongleur ; Laissez-le, cependant, à son humble manière, Travailler sous vos yeux, ô Vierge, en votre honneur. (Dépouillant sa robe de moine, il apparaît en surcot de jongleur, étend son tapis, et, saisissant sa vièle, en tire les mêmes accords qui annonçaient sa venue sur la place de Cluny.)
LE MOINE PEINTRE. Il devient fou. Je cours avertir le Prieur. (Il sort vivement.)
JEAN. Je commence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Il salue la Vierge.) Place, place, silence ! Écoutez Jean, roi des jongleurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Entraîné par l'habitude, il parcourt, la sébile à la main, un cercle de spectateurs imaginaires.) Mais dans ma sébile d'avance Quelques sols... (S'arrêtant confus, à la Vierge.) L'habitude ! Pardon. (Reprenant son boniment.) Attention !... Pour vous plaire, Je chante une Chanson de guerre. « Il fait beau voir ces hommes d'armes, Quand ils sont montés et bardés ; Il fait beau voir luire ces armes Dessous les étendards dorés. Pour gagner gloire et belle terre Entre nous, gentils compagnons, Suivons la guerre ! » (1)
(1) Ancienne chanson.
SCÈNE III JEAN seul ; puis LE PRIEUR, BONIFACE, LE MOINE PEINTRE, LES MOINES POÈTE, MUSICIEN, SCULPTEUR, et LES AUTRES MOINES.
JEAN, à part. Mais ce vacarme à la Vierge fait peur. (S'adressant à la Vierge, naïvement.) Vous préférez peut-être La Romance d'amour ? (Il entonne la romance connue à cette époque.) « Belle Doètte à sa fenêtre... » (La mémoire lui manque ; à part.) Je ne sais plus. (Commençant une autre.) « ... Belle Erembourg Sur la plus haute tour... » (La mémoire lui manque de nouveau.) Ah ! mémoire infidèle !... Eh bien, rabâche alors, imbécile histrion, L'éternelle Pastourelle De Robin et Marion. — Saderaladon,
Chante, rossignolet — A ses amours. Aé !
« Vient à passer, fier sous l'armure. — Saderaladon, Chante, rossignolet — Chevalier de belle figure : « Je suis le roi, Sois toute à moi. » Aé !
« Non, beau seigneur, je reste sage. — Saderaladon, Chante, rossignolet — Avec ma cotte et mon fromage, Toute à Robin, J'aime Robin. » Aé, aé ! (Pendant que Jean chante cette pastourelle, le Prieur, conduit par le Moine peintre, arrive avec Boniface. Jean ne peut les apercevoir ; ils observent le manège du jongleur plusieurs fois, le Prieur scandalisé fait mine de se précipiter sur Jean ; mais Boniface le retient.)
LE PRIEUR. Sacrilège !
BONIFACE. Moins de furie ! La fin de la chanson Catholiquement marie La fille avec le garçon.
SCÈNE IV LES MÊMES, TOUS LES MOINES.
Et maintenant, voulez-vous tours de jonglerie, Voire de sorcellerie ? Faut-il dans les airs brûlants, Évoquer griffons et diables volants ? (S'arrêtant, honteux de ce sacrilège ; à la Vierge.) Pardon, l'habitude ! (Se rapprochant de la Vierge, et en confidence.) Entre nous, j'exagère ! Mais vous savez qu'un boniment N'est jamais absolument Sincère. (Reprenant.) Attention ! pour finir la séance, J'aurai l'honneur de danser devant vous (Avec humilité.) Tout simplement la danse de chez nous.
LE PRIEUR, prêt à s'élancer. Ah ! je cours...
BONIFACE. Patience.
LE PRIEUR. A son vomissement vois retourner le chien.
BONIFACE.
Devant l'arche dansa le roi David. Je
pense
(Le jongleur se met à danser une sorte de bourrée avec des appels de pied et des exclamations jetées par intervalles. Il danse de plus en plus vite, jusqu'au moment où couvert de sueur, haletant, il tombe aux pieds de la Vierge et s'y prosterne dans une longue et profonde adoration. — Successivement arrivent tous les Moines, y compris le Moine musicien, le Moine poète, le Moine sculpteur.) (Les Moines, à part, en contraste de colère avec la danse du jongleur.)
[ LES MOINES. [ Sacrilège ! [ [ LE PRIEUR [ Anathème ! [ [ BONIFACE. [ Pitié ! [ [ LES MOINES. [ Pourceau couvert de boue, [ Il se vautre et se joue [ Dans son impiété. [ [ LE PRIEUR. [ Anathème ! [ [ BONIFACE. [ Pitié ! [ [ LES MOINES. [ Quelle insulte... [ Vengeance ! [ A la Mère de Dieu ! [ Chassons-le... [ Vile engeance ! [ Chassons-le du saint lieu ! [ [ BONIFACE. [ Pitié, pitié pour lui ! [ [ LE PRIEUR. [ Anathème ! [ [ LES MOINES. [ Sacrilège ! [ Mort à l'impie !
(Furieux, les Moines vont se précipiter sur Jean. Mais Boniface, d'un geste vers la statue de la Vierge, les arrête.)
Scène finale lors de la première à l'Opéra-Comique avec Adolphe Maréchal (Jean), Lucien Fugère (Boniface) et André Allard (le Prieur), dessin d'Edouard Zier
SCÈNE V
LES MÊMES, LES VOIX DES ANGES,
invisibles. BONIFACE. La Vierge le protège ! Le tableau... voyez-vous... voyez-vous... D'une étrange lumière Il commence à briller... Un doux regard se lève au bord de la paupière, Sur la bouche un sourire est près de s'éveiller.
LES MOINES. O miracle !
LE MOINE PEINTRE, radieux d'orgueil. O peinture !
BONIFACE. Ah ! voyez... la main blanche Vers le jongleur incline un geste maternel... Le front délicieux avec amour se penche...
LES MOINES. O miracle ! (On entend des voix célestes.)
BONIFACE. Écoutez les musiques du Ciel.
LES VOIX DES ANGES INVISIBLES. Hosannah ! Gloire à Jean. Hosannah ! Gloire, gloire. Gloire au plus haut des cieux. Gloire et sérénité ! Paix sur la terre Aux hommes de bonne volonté.
LES MOINES Adorable mystère. (Le Prieur, suivi des Moines, s'approche de Jean, toujours aux pieds de la Vierge, abîmé dans sa prière. Jean se relève et se retourne au bruit, effrayé d'être surpris dans son costume de jongleur.)
JEAN. C'est le Prieur ! (Tombant à genoux.) Pardon !
LE PRIEUR. Relevez-vous, C'est à moi d'être à vos genoux. Vous êtes un grand saint. Priez, priez pour nous.
LES MOINES. Priez pour nous.
JEAN, croyant qu'on le raille. Non, ne me raillez point. Punissez-moi, mon père.
LE PRIEUR.
Vous railler, vous punir, (Désignant l'autel.) Quand je vois de mes yeux la Vierge vous bénir !
JEAN, très simplement. Je ne vois rien.
LES MOINES. Étrange merveille !
LE PRIEUR. Enseignement des cieux, et leçon non pareille De candide vertu, de sainte humilité. (S'adressant à la Vierge.) Mais cependant, ô Vierge souveraine, Mère d'amour et de bonté, Pour le délasser de sa peine, Aux yeux fermés encor de votre cher jongleur Révélez-vous, divine et vivante Pâleur. (L'autel, jusque-là faiblement éclairé, s'illumine alors d'un intense éclat. Et, se détachant des mains de la Vierge, l'auréole des bienheureux vient briller sur la tête de Jean.)
LES MOINES Miracle ! Miracle !
JEAN, comme frappé au cœur. Rayonnement,
Bonheur, Je meurs. (Il défaille entre les bras du Prieur.)
LES MOINES, tombant à genoux. Kyrie, Eleison, Christe exaudi nos, Sancta Maria, ora pro nobis.
JEAN, se soulevant à demi, d'un ton naïf et tendre. Enfin ! Je comprends le latin. (Il retombe.)
[ LES VOIX DE DEUX ANGES INVISIBLES. [ Alleluia ! [ Caressé du vent de nos ailes, [ Souriant, le jongleur s'endort. [ Voyez devant son humble zèle [ S'ouvrir aux cieux la porte d'or. [ Sur le front nimbé de lumière, [ Effeuillez-vous, bleuets et lis. [ Parmi l'encens et la prière, [ Semons les fleurs du Paradis. [ Alleluia ! [ [ LES MOINES, récitant les litanies [ Mater purissima, [ Mater castissima, [ Mater inviolata, [ Ora pro nobis.
(Il neige des bleuets et des lis.) (La Vierge commence à monter lentement au Ciel ; on la voit ensuite, entourée des Anges, au milieu du Paradis.)
JEAN, près de mourir, en extase. Spectacle radieux ! Je vois s'ouvrir les cieux !... Parfums divins... frais palpitements d'ailes... Aux prés d'azur, fleuris de corolles nouvelles, Sous les yeux de Marie et de l'Enfant Jésus Je vois passer la ronde fraternelle Des chérubins et des élus... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La Vierge, de la main, me fait signe... je viens... Quel doux sourire... oh ! sa main blanche...
BONIFACE, avec une ardente et radieuse piété. Délivré des terrestres liens,
Il s'envole au bonheur de l'éternel
Dimanche... Il entre en la céleste ronde...
JEAN. Me voici !... (Il meurt)
LE PRIEUR, récitant. Heureux les simples, car ils verront Dieu.
LES VOIX DES ANGES, dans les profondeurs du Ciel. Amen !
LES MOINES. Amen !
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