François les bas bleus
affiche pour François les bas bleus par Jules Chéret (1883)
Opéra-comique en trois actes, livret d'Ernest DUBREUIL, Eugène HUMBERT et Paul BURANI, musique de Firmin BERNICAT terminée par André MESSAGER.
Création aux Folies-Dramatiques le 08 novembre 1883 ; décors de Robecchi ; costumes de F. Cabirau.
personnages |
Folies-Dramatiques 08 novembre 1883 (création) |
Théâtre des Menus-Plaisirs 17 décembre 1887 |
Folies-Dramatiques 29 septembre 1896 |
Bouffes-Parisiens 17 janvier 1900 |
Trianon-Lyrique 24 octobre 1923 |
Fanchon | Mmes Jeanne ANDRÉE | Mmes Jane PIERNY | Mmes TILMA | Mme Anna TARIOL-BAUGÉ | Mmes FAROCHE |
la Comtesse de la Savonnière | DHARVILLE | Alice BERTHIER | Augustine LERICHE | Jane FERNY | |
Militza | PANSERON | METTE | |||
Nicolet | DESTRÉES | Jane de BAUMONT | |||
Juliette | FALSONN | MINATI | |||
Manon | MULLER | PERNY | |||
François Bernier dit François les bas bleus | MM. Max BOUVET | MM. JACQUIN | MM. Jean PÉRIER | M. Jean PÉRIER | MM. RUDEAU |
le Marquis de Pontcornet | MONTROUGE | BARTEL | VAVASSEUR | José THÉRY | |
le Chevalier de Lansac | DEKERNEL | Emile RENÉ | COULOMB | ||
Jasmin | BARTEL | Louis BARON fils | |||
Kirschwasser | DARMAN | BURGUET jeune | ARBEAU | ||
Courtalin | SPECK | DEDOUVILLE | |||
Gratinet | AMBROISE | Georges MESMAECKER | |||
un Laquais | MORTIER | ||||
un Soldat | HONORÉ | BOREL | |||
un Homme du peuple | LEROUX | ||||
Chef d'orchestre | Désiré THIBAULT |
Gardes-suisses, Gardes-nationaux, Bourgeois, Bourgeoises, Marchands, Marchandes, Grisettes, Domestiques, etc.
L'action se passe à Paris, en 1789.
Comme je ne procède pas par ordre de dates, je parlerai tout de suite de François les Bas-bleus de Firmin Bernicat, représenté avec un éclatant succès aux Folies-Dramatiques. L'auteur est mort. — Aussi ne lui a-t-on pas marchandé les éloges. — Vivant, disons-le, il les eût mérités. C'était un compositeur perdu dans le monde des cafés-concerts, y ayant toutefois gardé le culte de la vraie musique. Entre deux chansonnettes, il écrivait quelques fines et délicates pages en vue d'un avenir venu trop lentement pour sa réputation. Il a composé, pour Bruxelles, les Beignets du Roi, que Paris va maintenant connaître, mais dont le succès, si par hasard il égale celui de François les Bas-bleus, ne saurait certainement le dépasser. L'ouvrage représenté au boulevard du Temple, opéra-comique conçu, au point de vue du livret, tout à fait dans l'esprit du genre, se trouve rajeuni par une forme musicale à la fois ingénieuse, brillante et distinguée. L'orchestration est traitée avec une véritable science, d'une touche sobre et juste, d'une couleur très lumineuse. Nous voilà débarrassés, au moins pour un temps, de ces affreuses péroraisons exécutées à l'italienne, qu'on était sûr de retrouver au bout de tous les ensembles, dans presque tous les ouvrages précédents, fatigantes redites, clichés musicaux devant lesquels le public montre depuis longtemps une inaltérable et incompréhensible patience. Le sujet de François les Bas-bleus n'a rien de surprenant ; la Fille du Régiment lui a prêté quelques-uns de ses traits, Ange Pitou y a mis du sien. On y retrouve l'histoire tant de fois contée de l'écrivain public faisant une chanson séditieuse de la chanson bien pensante dont on lui a confié la copie et la correction ; la modeste fille du peuple, chanteuse des rues, aimée par le scribe-poète, c'est-à-dire par François les Bas-bleus, séparée de lui parce qu'on la reconnaît pour l'enfant du marquis de Pontcornet, puis mariée à celui qu'elle aime, devenu un personnage politique. La prise de la Bastille, qu'on ne s'attendait guère à rencontrer en cette affaire, sert à amener le dénouement. Tout cela est arrangé par des gens sachant leur métier, rondement traité, de bonne humeur ; il n'en faut pas plus, étant donné la valeur de la partition, pour renouveler aux Folies-Dramatiques le succès de la Fille de Madame Angot et des Cloches de Corneville. C'est M. André Messager, élève de M. Camille Saint-Saëns, qui a présidé aux répétitions de l'ouvrage de Firmin Bernicat. Là ne s'est pas bornée son action : il a écrit plusieurs morceaux et s'est occupé de donner la tournure définitive à l'instrumentation. Le succès se partage donc entre le jeune compositeur disparu et le complaisant collaborateur qui lui survit. Puisque M. Messager a recueilli la succession de Bernicat et aussi sa tradition, qu'il garde précieusement cet héritage et contribue pour sa part à la régénération de cet art aimable, spirituel, léger et d'une grâce toute française, qui est le véritable opéra-comique et nous doit faire oublier les écœurantes banalités de la fausse musique. (Louis Gallet, la Nouvelle Revue, 01 décembre 1883)
La pièce se passe en 1789. François les Bas-Bleus, un écrivain public du quartier Saint-Eustache, aime Fanchon, la petite chanteuse des rues. Au moment où il va l'épouser, une vieille ronde qu'elle chante la fait reconnaître pour la fille du marquis de Pontcornet, volée jadis par des saltimbanques. Le marquis reprend sa fille et lui destine pour mari, non plus le modeste écrivain, mais son cousin, le chevalier de Lansac. Dans cet entretemps, la ronde, devenue chant révolutionnaire, fait mettre le marquis à la Bastille. Heureusement, le 14 juillet arrive. Pontcornet est délivré et s'improvise marchand de cidre, mais il est bientôt arrêté comme suspect et n'est relâché que grâce au petit François, à la condition qu'il consentira à son mariage. La musique de cet ouvrage a été chaleureusement applaudie ; les mélodies sont gracieuses et élégantes, l'orchestration très soignée. Signalons au premier acte le duo de la Leçon d'écriture, la fameuse ronde, la valse Voici des roses et la chanson normande du petit matelot. Aux autres actes, le duo Espérance en heureux jours, toujours bissé ou trissé, et la romance A toi j'avais donné ma vie. F. Bernicat mourut avant d'avoir achevé cette admirable partition ; le soin de la terminer fut confié à M. André Messager qui s'acquitta fort habilement de cette tâche. Très bien interprété par MM. Bouvet, Montrouge, Mmes André et Dhaville, François les Bas-Bleus a eu un grand succès qui se poursuivit jusqu'au mois de mars 1884. (Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 2e supplément, 1888)
La pièce était reçue lorsque l’auteur de la musique, compositeur aimable et délicat, mourut avant d’avoir achevé complètement sa partition, que Messager fut chargé de terminer. François les Bas-Bleus fut bien accueilli et obtint un succès que lui méritait la grâce aimable et piquante de ses mélodies. (Nouveau Larousse Illustré, 1897-1904)
Ce titre de François les Bas-bleus n'était qu'une enseigne — l'enseigne d'une chanson populaire — destinée à couvrir une intrigue assez vulgaire, celle des amours d'un jeune écrivain public et d'une chanteuse des rues qui se trouve la fille d'un marquis, ce qui, grâce au 14 juillet 1789 et à la prise de la Bastille, n'empêche pas leur union. La musique valait bien mieux que le livret ; elle était l'œuvre d'un jeune compositeur qui, après s'être fait connaître dans les cafés-concerts, avait eu l'ambition de travailler pour le théâtre, où il aurait certainement réussi. Malheureusement, poitrinaire au dernier degré, Bernicat mourut avant d'avoir pu mettre la dernière main à sa partition, qui dut être terminée et mise au point par M. André Messager. Elle n'en contenait pas moins des pages fort aimables et d'une rare distinction. (Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1903)
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illustration du 19 octobre 1895
Catalogue des morceaux
Ouverture | |||
Acte I. — Au Carrefour Saint-Eustache | |||
01 | Introduction | Où donc est notre secrétaire ? | la Comtesse, Nicolet, Chœur |
Chanson militaire | Regardez la belle prestance | Kirschwasser | |
02 | Entrée de François | François ! François ! | la Comtesse, Manon, Juliette, Nicolet, Gratinet, Kirschwasser |
Ronde | C'est François les bas bleus | François, Chœur | |
03 | Rondeau de Fanchon | Voici la petite chanteuse | Fanchon, Chœur |
04 | Duo de la Leçon d'écriture | Avec soin formez chaque lettre | Fanchon, François |
05 | Morceau d'ensemble | Ami François, c'est jour de fête | François, Gratinet, Kirschwasser, Chœur |
06 | Chanson du Petit Matelot | Y' avait un p'tit matelot | Fanchon, Chœur |
07 | Final - Chanson politique | Peuple Français, la politique | Nicolet, le Marquis, François, Chœur |
Acte II. — Chez le Marquis de Pontcornet | |||
Entr'acte-Menuet | |||
08 | Chœur des Domestiques | C'est un scandale épouvantable ! | Chœur |
Couplets de Jasmin | Oui, mes amis, et vous pouvez m'en croire ! | Jasmin | |
09 | Couplets | Je suis perplexe | le Marquis |
10 | Couplets de Lansac | J'aime la femme et je m'en vante | Lansac |
11 | Romance de François | Il faut laisser toute espérance | François |
12 | Duo | Fanchon ! ah ! c'est toi que je revois | Fanchon, François |
13 | Rondo de la Comtesse | J'ai de la figure | la Comtesse |
14 | Romance de Fanchon | Monsieur le Marquis, mon père | Fanchon |
15 | Final | Place à la garde-suisse | Fanchon, la Comtesse, Nicolet, le Marquis, Lansac, François, Kirschwasser, Gratinet, Courtalin, Chœur |
Chanson à boire | Astique bien ton fourniment | Fanchon | |
Acte III. — Au Pont-Neuf | |||
Entr'acte-Valse | |||
16 | Introduction : Patrouille et Chœur | Sur le repos du populaire | Gardes nationaux, Chœur |
17 | Romance | A toi j'avais donné ma vie | François |
18 | Duo du cidre et du café | Je rafraîchis ! Moi, j'enflamme ! | la Comtesse, le Marquis |
19 | Chanson populaire | On dit que le Parisien | Fanchon, Chœur |
20 | Chœur du limon | C'est du limon | Chœur |
21 | Arioso | Votre femme m'a dit : "je t'aime !" | François |
22 | Final | La petite chanteuse | Tous les personnages, Chœur |
Lorsque la loi sur la recherche de la paternité sera définitivement votée, le François les Bas-Bleus des Folies-Dramatiques n'aura que l'embarras des pères. L'affiche, en effet, ne porte pas moins de cinq noms d'auteurs. La pièce primitive était de M. Ernest Dubreuil, un journaliste, et de M. Eugène Humbert, l'ancien directeur de 1'Alcazar royal de Bruxelles qui monta le premier la Fille de Madame Angot, Giroflé-Girofla, les Cent Vierges et autres succès belges devenus parisiens. Au dernier moment, les deux auteurs se sont adjoint M. Paul Burani dont le Cabinet Piperlin est resté légendaire. La musique avait été confiée à Firmin Bernicat, un jeune homme, presque un inconnu, qui avait surtout à son actif de jolies chansonnettes de café-concert. Les paroliers croyaient beaucoup à leur musicien. Mais hélas ! le pauvre garçon mourut l'été dernier, laissant sa partition inachevée. Par bonheur, un de ses amis, un compositeur de talent, s'offrit pour achever la tâche abandonnée. Il y avait encore bien des morceaux à écrire et tout l'ouvrage à orchestrer. M. André Messager, dont on connaît plusieurs ballets absolument délicieux, se chargea de tout avec une bonne volonté et une modestie rares dans le domaine de la musique. Il entendait bien rester dans la coulisse et n'avoir fait œuvre que du dévouement ; c'est au dernier jour que tout le théâtre, reconnaissant la large part qu'il avait prise dans l'œuvre commune, a exigé que son nom parût sur l'affiche à côté du nom de son malheureux ami. Malgré cet assemblage d'hommes d'esprit et de piocheurs acharnés, jamais peut-être pièce ne fut répétée avec moins d'entrain et d'espoir. On peut le dire aujourd'hui, François les Bas-Bleus jouissait de la plus détestable des réputations. Les nombreux candidats qui aspirent à la direction des Folies-Dramatiques s'enfuyaient épouvantés devant les bas d'azur de ce François maudit. La répétition générale fut un immense four ; la première représentation fut un immense succès. Remarquez, en passant, qu'au théâtre les choses se passent toujours ainsi. Il semble qu'un bandeau aveugle les comédiens les plus intelligents. En prenant exactement le contre-pied de leurs impressions, vous êtes à peu près sûr de vous trouver dans l'absolue vérité. Je m'aperçois qu'il est grand temps de vous raconter le sujet de François les Bas-Bleus.
Acte I - Au Carrefour Saint-Eutache - la Leçon d'écriture (Folies-Dramatiques, 1896)
Nous sommes en 1789, à la veille de la prise de la Bastille. Il y a comme un souffle de liberté dans l'air et la noblesse commence à se sentir moins d'aplomb sur ses talons rouges. François Bernier dit François les Bas-Bleus s'occupe bien un peu de politique. Cet écrivain public, chansonnier à ses heures et dont l'échoppe se trouve située au carrefour Saint-Eustache, est membre du club des Cordeliers et possède une certaine influence dans le quartier, mais il s'occupe surtout d'une petite marchande de chansons, qui s'appelle Fanchon et dont tout le monde raffole. François est dérangé dans ses rêveries amoureuses par le marquis de Poncornet, un vieux noble qui fait aussi des couplets politiques. Le marquis apporte à l'écrivain public une chanson que celui-ci devra copier et... corriger et qui fera certainement rentrer la Révolution sous terre. Le neveu du marquis, le chevalier de Lansac, vient aussi flâner par là. Mais lui ne songe guère à la poésie, ce qui l'attire, ce sont les beaux yeux de Fanchon, la jolie chanteuse.
Or, c'est la fête de François. Toute la halle vient lui apporter des fleurs et des cadeaux. Fanchon, qui n'est pas insensible à l'amour de son soupirant, lui a tenu en réserve une chanson de son enfance qu'elle n'a jamais chantée à personne. Dès les premiers vers, la comtesse Hermengarde de la Savonnière, qui se trouve là par hasard, tressaille et s'émeut. Cette chanson, c'est bien celle que son frère, le marquis de Poncornet avait composée jadis pour une petite fille qui lui fut enlevée dans l'incendie de son château. La comtesse interroge. Une bohémienne nommée Militza fait des révélations qui ne laissent plus aucun doute. Fanchon est bien l’héritière des Poncornet. On emmène brusquement la petite chanteuse à l'hôtel de son noble père et François apprend par une lettre qu'il ne doit plus prétendre à l'amour d'une personne aussi huppée. Ainsi se termine la fête commencée si joyeusement.
Acte I - Au Carrefour Saint-Eutache - la Chanson politique (Folies-Dramatiques, 1896)
Acte II - Chez le Marquis de Pontcornet - l'Arrestation (Folies-Dramatiques, 1896)
Au second acte, le marquis de Pontcornet est furieux, François, par espièglerie, a transformé les couplets du marquis et en a fait une chanson révolutionnaire. Il en résulte que le peuple acclame Pontcornet, mais que la noblesse le renie et que le ministre veut le faire arrêter. Il a fait mander l'écrivain public pour avoir avec lui une sérieuse explication. Sur ces entrefaites, Hermengarde amène à son frère la fille qu'il croyait perdue. Joie, reconnaissance, tout ce que vous voudrez. La comtesse n'a qu'un rêve ; elle voudrait marier promptement Fanchon au chevalier de Lansac, car elle aussi, elle aime le beau François, et son intention bien arrêtée est de supprimer tous les obstacles qui la séparent de l'objet de sa flamme déjà mûre. François ignore où on a caché Fanchon. Il l'apprend grâce à l'adresse de son petit clerc Nicolet. Aussi le cœur lui bat-il très fort en voyant que le hasard l'a conduit tout près de son adorée. Les deux amants se retrouvent, ils échangent les plus doux serments, mais comment pourront-ils fléchir l'orgueil d'un Pontcornet aussi Pontcornet que celui-là ? Grand brouhaha ! Des soldats suisses, conduits par le sergent Kirschwasser, envahissent l'hôtel. Ils viennent arrêter le marquis. Celui-ci, pour éviter le sort qui l'attend, prend le costume de François les Bas-Bleus. Cette ruse ne lui sert à rien ; il y a aussi une lettre de cachet contre François et, tous deux, le noble comme le plébéien, sont emmenés à la Bastille.
Acte III - Au Pont-Neuf - les Marchands ambulants (Folies-Dramatiques, 1896)
Le troisième acte se passe quelques jours plus tard. La Bastille est prise ; le marquis délivré a émigré en Angleterre, emmenant avec lui sa sœur et sa fille. François est devenu capitaine de la garde nationale, mais cette haute situation ne lui fait pas oublier son amour. Cependant, Pontcornet et Hermengarde sont rentrés en France incognito. Ils se sont déguisés en marchands patriotes et vendent du coco dans une Bastille en miniature. Seulement, le marquis a remplacé le coco par du sauterne qu'il a payé avec de l'or anglais. Il n'en faut pas plus pour que les faux marchands soient déclarés suspects et traînés au poste. Survient Fanchon au bras de Lansac. François la retrouve et la croyant mariée lui adresse les plus sanglants reproches. Mais Lansac n'avait feint d'être le mari de Fanchon que pour pouvoir la protéger. Tout s'explique ; Fanchon est libre et le marquis, dont tant d'émotions ont abattu l'orgueil ne s'oppose plus au mariage tant désiré. Et c'est ainsi que l'utilité de la prise de la Bastille se trouve surabondamment démontrée.
A parler franc, le succès a été surtout pour la musique. C'est charmant, cette partition gaie, vive, fraîche, alerte, où les jolis motifs abondent et dont l'orchestre est traité avec une recherche qu'on rencontre rarement dans les petits théâtres. Je ne veux pas chercher ici la part de M. Bernicat non plus que celle de M. Messager. L'ensemble a pleinement réussi, c'est tout ce que je tiens à constater. Le public a fait fête à quantité de morceaux dont plusieurs ont dû être répétés par les artistes. Citons : la ronde de François les Bas-Bleus, l'adorable duo de la leçon d'écriture, le chœur des bouquetières, la chanson du petit matelot, la chanson politique. Au second acte, les couplets de Lansac, le duo exquis : Confiance en nos amours qu'on a voulu entendre trois fois, le joli rondeau de la comtesse, d'un si joli style, et un final endiablé. Enfin, au troisième acte, une délicieuse petite patrouille et le grand arioso de baryton, encore un bis. Ainsi que vous avez dû le voir, la pièce tient autant de l'opérette que de l'opéra-comique. Les auteurs ont eu la chance de trouver aux Folies-Dramatiques tout ce qu'il leur fallait pour l'exploitation de ces deux genres réunis en un seul. On me permettra donc, pour plus de facilité, de cataloguer les interprètes en deux classes bien distinctes. Côté de l’opéra-comique : M. Bouvet. — Le baryton adoré des Folies. Grand, beau garçon, suffisamment comédien ; il se révéla, il y a un an, dans le rôle de Fanfan la Tulipe. L'été passé, on lui a fait chanter pendant deux ou trois jours une pièce qui, paraît-il, s'appelait l'Amour qui passe. C'était par vingt-cinq degrés de chaleur ; la chose a passé inaperçue. On peut dire que le succès de la première revient, en grande partie, à M. Bouvet qui a chanté le rôle de François en comédien et qui ne l'a pas joué en chanteur. La voix est fraîche, sonore, bien timbrée, surtout dans les effets de douceur. Son triomphe a été complet, si complet que la direction de l'Opéra-Comique a aussitôt voulu s'attacher un baryton aussi apprécié. Tant pis pour les Folies ! M. Dekernel. — Vient du théâtre Cluny où il jouait les rôles de Dupuis, sous la direction Taillefer. Voix agréable et maniée avec aisance. Manque un peu d'élégance pour représenter le jeune chevalier de Lansac. Il est vrai que ce chevalier est rallié aux idées révolutionnaires. Mlle Jeanne Andrée. — Encore une étoile qui s'est levée l'hiver dernier dans la Princesse des Canaries de Lecocq. Mlle Jeanne Andrée n'est pas jolie, mais elle a un je ne sais quoi de charmant et de sympathique qui rappelle le mot célèbre : Elle est pire ! De plus, elle chante d'une façon absolument adorable. On ne se lasse jamais de l'entendre. Je vous assure que les duos chantés par Mlle Jeanne Andrée et M. Bouvet sont un véritable régal pour les amateurs. Côté de l’opérette : M. Montrouge. — Quel Montrouge ? — Montrouge, parbleu ! — L'ancien directeur de l'Athénée ? — Lui-même ! — Vous m'en direz tant ! Et pourtant, en fermant son petit théâtre, il s'était bien juré de ne plus reparaître sur la scène. Mais ces serments-là..... Il a suffi qu'on vint lui proposer un bon rôle pour qu'il sautât dessus avec une énergie sans pareille. Et c'est bien heureux pour nous, car il est vraiment réjouissant, le bon Montrouge, le fameux compère ! Rien qu'à le voir, on commence à rire, dès qu'il parle, on se tord, s'il chante, on éclate. Et comme on le voit beaucoup, comme il parle pas mal, comme il chante un peu, vous jugez si l'on passe une bonne soirée. Quel dommage que, en 1789, tous les marquis de Pontcornet n'aient pas été comme celui-là ! On n'aurait jamais eu le courage de leur faire de la peine. Mme D’Harville. — Une comtesse de la Savonnière bien joyeuse et fort affriolante. Un peu jeune pour le rôle peut-être, mais où est le mal ? A côté de ces chefs d'emploi, il serait injuste d'oublier MM. Bartel, Speeck, Ambroise. Ils concourent valeureusement à l'excellent ensemble de la pièce. Mlle Panseron porte avec beaucoup de grâce le costume de la bohémienne Militza. Mlle Destrées est bien gentille en travesti. Elle a de quoi asseoir sa réputation. Les décors qui représentent : 1° Le carrefour Saint-Eustache ; 2° Un salon chez Poncornet ; 3° Une vue du Pont-Neuf, sont tous les trois de M. Robecchi. C'est dire qu'ils sont non moins pittoresques que soignés. Les costumes de M. F. Cabirau sont aussi spirituels qu'élégants. Dans ces conditions, on devait avoir un grand succès. C'est ce qui est arrivé, en dépit des prévisions de mauvais augure, et j'estime que le bon François n'aura pas trop de sa paire de bas bleus pour y fourrer toutes ses économies.
(Frimousse [Raoul Toché], les Premières illustrées, 1883)
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