la Fauvette du Temple

 

affiche pour la Fauvette du Temple par J. Lévy (1885)

 

Opéra-comique en trois actes, livret de Paul BURANI et Eugène HUMBERT, musique d'André MESSAGER.

 

   partition

 

 

Création aux Folies-Dramatiques le 17 novembre 1885 ; mise en scène de Duhamel.

 

Représenté au Théâtre de la Gaîté-Lyrique, en 1914.

 

 

 

personnages

Folies-Dramatiques

17 novembre 1885 (création)

Folies-Dramatiques

21 avril 1898

Thérèse Mmes Juliette SIMON-GIRARD Mmes Odette DULAC
Zélie VIALDA Léo DEMOULIN
Ali Lucy JANE Blanche NELSY
Tarata Marguerite HICKS VERNEUIL
Rosette VEIL GILBERT
Polyte   FAVELLI
Fatma   MERCÉDÈS
Pierre Aubertin MM. JOURDAN MM. BAYARD
Joseph Abrial SIMON-MAX SIMON-MAX
Saint-Angénor GOBIN Hippolyte BARTEL
Ben-Ahmed CHAUVREAU BOUSSAGOL
Trécourt RIGA LANDRIN
Cransac DUHAMEL LIESSE
Bou-Maleck   CAMUT
Sélim   VIDAL
Marchands, Marchandes, Conscrits, Zouaves, Arabes, etc.    
Chef d'orchestre Désiré THIBAULT Arnaud PICHERAN

 

 

 

 

Juliette Simon-Girard (Thérèse) lors de la création [photo Nadar]

 

 

         

 

Simon-Max (Joseph Abrial) lors de la création [photos Nadar]

 

 

 

Gobin (Saint-Angénor) lors de la création [photo Nadar]

 

 

 

C'est décidé : l'opérette a fait son temps, l’opérette se meurt, l'opérette est morte ! Ce n'est plus seulement mon excellent camarade et confrère Sarcey qui le déclare à haute et intelligible voix ; ce sont les directeurs eux-mêmes qui le proclament coram populo. Ces messieurs se feraient pendre plutôt que de consentir encore à jouer des opérettes. Voyez plutôt ce qui se passe aux Nouveautés, aux Folies-Dramatiques, aux Bouffes-Parisiens. Le Petit Chaperon rouge ? opéra-comique. Les Cent Vierges ? opéra-comique. La Fauvette du Temple ? opéra-comique. Ah ! le théâtre Favart n’a qu’à se bien tenir. Que de concurrences, bon dieu ! Aussi, n'est-il pas étonnant que devant cette avalanche, ce torrent, ce débordement d’opéras-comiques surgissant de tous côtés, M. Carvalho se décide à monter Lohengrin. Au moins cette fois il n'y aura pas à se tromper, et le public saura d'avance que l'opéra qu'on lui offre n'offre absolument rien de comique.

 

Il n'en est pas moins vrai que M. André Messager, à qui l'on a confié le soin de faire chanter la Fauvette du Temple, est né sous une heureuse étoile, tout comme M. Audran, son condisciple de l'École de musique religieuse, où il a été l’élève de M. Camille Saint-Saëns. Après avoir eu, il y a quelque dix ans, une symphonie couronnée au concours ouvert par la Société des compositeurs, symphonie exécutée ensuite aux concerts du Châtelet, le jeune musicien, que tourmentait la démangeaison d'écrire, ne trouva d'autre moyen pour se calmer que de faire la musique de quelques ballets pour un établissement auquel on a donne le nom de Folies-Bergère parce qu'il est situé dans la rue Richer. Il préludait ainsi à sa carrière de compositeur militant lorsque vint à mourir le pauvre et gentil Firmin Bernicat, laissant non orchestrée la partition de François les Bas Bleus, qu'on montait alors aux Folies-Dramatiques. Il fallait quelqu'un de bonne volonté pour orchestrer ladite partition, la mettre au point et faire les répétitions : on s’adressa à M. Messager, François les Bas Bleus eut le succès que l’on sait, et v’lan ! la direction des Folies confia aussitôt à l’heureux exécuteur testamentaire de Bernicat le poème de la Fauvette du Temple. Ce que voyant, l'Opéra s'en vint dire au compositeur : — Vous allez m'écrire tout de suite la musique du ballet les Deux Pigeons, dont voici le scenario. Après quoi les Bouffes vinrent à la rescousse et l'obligèrent à se mettre en trois pour leur confectionner au plus vite la partition de la Béarnaise, qui sera jouée cette semaine. Si bien qu’inconnu il y a un an, M. Messager va voir son nom s'épandre simultanément sur les affiches de trois théâtres — sans compter celles de la Gaîté, où il est inscrit pour la musique du divertissement du Petit Poucet. Trois fois heureux — non — quatre fois heureux Messager !

 

Mais me voici loin de la Fauvette du Temple, où les Folies-Dramatiques se donnent des airs d'ancien cirque. Car c'est là une vraie pièce militaire, et l'action de cette Fauvette, qui s'entame en 1840, aux entours de l'ancien Temple, se déroule ensuite, pendant les deux derniers actes, en pleine Algérie, à l'époque de la conquête, et ne cesse de nous montrer nos zouaves aux prises avec les Bédouins. L'action, compliquée à la fois et décousue, nous montre une jeune ouvrière, — la Fauvette, — s'engageant avec un maître de chant pour sauver du service militaire un non moins jeune ouvrier, son fiancé, qui n'en part pas moins avec deux camarades et devient officier en Afrique. Comment, après deux ans, Thérèse se trouve elle-même en Algérie, prisonnière des Arabes, comment le lieutenant Pierre, son ami, devient prisonnier de son côté, comment tous deux se rencontrent enfin, comment ils s’expliquent, comment ils sont finalement délivrés, c’est ce qu’il serait trop long de vous raconter. Sur ce poème honnête et bon enfant, auquel les batteries de tambour et les sonneries de clairon vaudront peut-être un succès auprès du public du boulevard du Temple, M. Messager a écrit une musique franche, bien rythmée, très soignée, sans prétention, mais à qui l’on souhaiterait peut-être une plus forte dose d'originalité. Il y a là-dedans des couplets et des chansons en veux-tu en voilà, sans que l'une se distingue beaucoup des autres, mais il y a, au second acte, un duo amoureux à la Gounod et un finale à la Donizetti, et au troisième un duo de chameliers avec imitation orientale d'un joli effet.

 

En somme, l’impression générale paraît avoir été satisfaisante, d’autant que la pièce est jouée et chantée avec entrain par MM. Simon-Max, Riga, Gobin, Jourdan, et par Mmes Simon-Girard et Vialda. Mais que de bis, grands dieux, à cette représentation ! Vraiment, la claque des Folies-Dramatiques est trop consciencieuse.

 

(Arthur Pougin, le Ménestrel, 22 novembre 1885)

 

 

 

 

 

Avec ses appels de clairons, ses roulements de tambours, ses Arabes et ses zouzous, c'est une véritable pièce militaire, ornée d'une agréable musique. Deux jeunes conscrits du quartier du Temple, Pierre et Joseph, obligés de partir pour le régiment, ont dû abandonner leurs fiancées, Zélie et Thérèse la fleuriste, surnommée la Fauvette du Temple, à cause de sa jolie voix. Ils sont en Algérie, où l'on se bat (la scène se passe en 1840). Là, Pierre reconnaît Thérèse, sa promise, sous les traits d'une grande cantatrice, Frasquita, prisonnière des Arabes, ainsi que le chanteur Angénor. Après diverses aventures, après avoir échappé à de grands dangers, grâce à l'habileté de Joseph, le petit clairon, qui a su déjouer les projets ennemis, tout ce monde sa retrouve au Temple et les amoureux épousent leurs belles. La musique de M. Messager est accorte, rythmée et fort bien venue. Citons, au premier acte, la Chanson du petit Parisien, le chœur des conscrits : Allons au pas, et un joli quintette : Le sort nous est contraire ; au second, le chœur des Arabes et la Chanson des blés ; au dernier acte, le duo des chameliers et la chanson populaire de la Casquette du Père Bugeaud. Très bien interprété par MM. Gobin, Simon-Max, Jourdan, Chauvreau, Mmes Simon-Girard, Vialda, cet ouvrage a obtenu un certain succès.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 2e supplément, 1888)

 

 

C'était une pièce semi-populaire, semi-militaire, du caractère de celles qu'on jouait jadis à l'ancien Cirque du boulevard du Temple ; la musique, sans grande originalité, était du moins alerte et vive, et écrite par un vrai musicien. L'ouvrage était joué à souhait par MM. Simon Max, Gobin, Jourdan, Riga, Chauvreau et Mmes Simon-Girard et Vialda.

(Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1903)

 

 

 

 

 

 

Catalogue des morceaux

 

  Ouverture    
Acte I. — la Rotonde du Temple (1840)
01 Introduction : A. Chœur On a fermé ce matin Chœurs
Introduction : B. Couplets des rubans Pour vos casquettes, pour vos chapeaux Zélie, Chœurs
Introduction : C. Ensemble de la dispute A qui l' tour ? Zélie, Joseph, Pierre, Trécourt, Chœurs
02 Chanson du Parisien Les Parisiens n'aim'nt pas l'état de militaire Joseph, Pierre, Trécourt, Chœurs
02bis Sortie    
03 Rondeau de Saint-Angénor Je me nomme Saint-Angénor Saint-Angénor
04 Chanson de la fauvette Une gentille fauvette Thérèse
05 Duo du mariage Dans un mois je mets ma rob' blanche Thérèse, Pierre
06 Chœur des Conscrits Allons au pas ! Chœurs
07 Quintette Le sort nous est contraire Thérèse, Zélie, Joseph, Pierre, Trécourt
08 Final Buvons, conscrits Saint-Angénor, Joseph, Pierre, Trécourt, Chœurs
Couplets militaires J'aimerais être voltigeur Joseph, Chœurs
Acte II. — le défilé de Chareb (1842)
  Entr'acte    
09 Introduction : A. Ensemble Allons, à boire, cantinièr' Chœurs
Introduction : B. Couplets de la barbe J'étais d'puis huit jours en Afrique Joseph
10 Couplets Je suis soldat Pierre, Chœurs
10bis Sortie    
11 Chœur des Arabes Allah nous protège Chœurs
11bis Sortie    
12 Chanson des blés Dans un champ de blé d'or Thérèse, Zélie, Saint-Angénor
13 Romance Soldat et chef de ma tribu Ahmed
14 Duo Le joli songe Thérèse, Pierre
15 Chant de guerre Amis, le grand jour est venu Ahmed, Chœurs
15bis Sortie et musique de scène    
16 Duetto-bouffe Vous êtes d'une forte race Zélie, Joseph
17 Final Allah ! Allah ! c'est une fête Thérèse, Zélie, Saint-Angénor, Pierre, Joseph, Ahmed, Chœurs
Acte III. — une place de Mascara
  Entr'acte    
18 Introduction : Chœur Ah ! mes amis ! Chœurs
Introduction : Couplets de Trécourt On laiss'ra tranquill' l'habitant Trécourt, Chœurs
19 Romance Hélas ! je ne dois plus entendre Pierre
20 Couplets Je voulais tirer Pierre Zélie, Joseph
20bis Musique de scène Il n'est pas défendu, je pense Zélie, Joseph
21 Couplets de Thérèse Pierre est sauvé Thérèse
22 Duo des Chameliers A travers le désert Thérèse, Ahmed
23 Chanson de la musique militaire J'aim' la musiqu' militaire Saint-Angénor
24 Couplets de la casquette L'autr' nuit, le général Bugeaud Joseph, Chœurs
25 Final Halte ! mon bonhomme Thérèse, Zélie, Saint-Angénor, Pierre, Joseph, Trécourt, Ahmed, Chœurs

 

 

 

 

 

 

acte I - la Rotonde du Temple

 

 

C'est presque une pièce militaire que ce charmant opéra-comique. En effet, partie de la rotonde du Temple, la jolie fauvette a traversé la Méditerranée pour gagner l'Afrique, et c'est au milieu d'un épisode de la conquête de l'Algérie qu'elle nous fait entendre ses jolies roulades d'oiseau chanteur.

 

Thérèse, la fauvette du Temple, est une jeune et jolie fleuriste, à qui sa gaîté et surtout sa voix délicieuse ont fait donner ce surnom. — Chantant du matin au soir, ses chansons et sa gentillesse lui ont attiré bien des galants ; mais un seul est préféré : c'est Pierre Aubertin, le typographe à l'Imprimerie royale, et ils doivent se marier bientôt, si le sort est propice à Pierre toutefois ; car si tout le Temple est en rumeur, en fête presque, si des rubans tricolores flottent à tous les chapeaux, si bien des visages sont inquiets, d'autres trop gais, c'est que c'est aujourd'hui, pour le quartier du Temple, le tirage au sort, et que si Pierre amène un mauvais numéro, il faudra partir pour sept ans, et alors adieu le mariage d'ici là.

 

Aussi la petite fauvette ne chante pas aujourd'hui ; elle a le cœur gros et il n'y a pas qu'elle : Zélie, son amie, éprouve les mêmes angoisses pour son amoureux Joseph Abrial, le coiffeur de l'Opéra-Comique. Elle a bien un second soupirant dans la personne du grand Trécourt, le fils du vieux marchand du Temple, mais il tire au sort aussi, et puis elle aime mieux son petit Joseph, tout poltron qu'il est un peu.

 

Il faut dire aussi qu'un certain Angénor Mathieu, s'intitulant fort ténor et professeur de chant, est emménagé depuis deux jours dans la maison habitée par Thérèse. Ce professeur a inventé une méthode de chant qu'il nomme la gymnastique de la voix, et il a proposé au ministre d'en faire l'application au Conservatoire.

 

Son Excellence vient de répondre à Angénor qu'avant d'expérimenter sa méthode au Conservatoire, il convient d'en prouver l'efficacité. « Quel crétin que ce ministre ! s'écrie Angénor, je vais lui répondre qu'il aurait pu sauver le Capitole... »

 

Mais à ce moment il entend chanter Thérèse. Quelle voix, quelle table d'harmonie ! Ah ! si elle voulait, quelle réponse victorieuse au ministre !... « Mademoiselle, soyez mon élève ! »

 

Mais la jeune fille refuse toutes ses avances : elle veut être, avant tout, une heureuse épouse et une bonne mère de famille ; et puis Pierre ne veut pas qu'elle chante... au théâtre.

 

Mais les conscrits reviennent. Le cœur palpitant, les jeunes filles épient le visage de leurs fiancés. Hélas ! leur mine sombre parle pour eux : tous les trois sont soldats !

 

La pauvre Thérèse est désolée... sept ans d'absence ! A tout prix il faut que Pierre ne parte pas se faire tuer. Justement voici le professeur. « Vous êtes riche, lui dit-elle ; sur cette fortune que vous me promettez au théâtre, avancez-moi deux mille francs et je m'engage avec vous pour trois ans comme vous me l'avez demandé. »

 

Angénor accepte à la condition qu'ils quitteront Paris, pour l'Italie, le jour même, sans voir Pierre, et qu'il remettra lui-même les deux mille francs au jeune homme pour acheter un remplaçant. Zélie, qui a tout entendu, ne veut pas quitter son amie, et Angénor l'emmène comme femme de chambre.

 

« Enfin, j'ai une élève, s'écrie Angénor, et je vais donner une leçon... au pouvoir. »

 

Les jeunes filles sont déjà parties et le professeur remet à Pierre les deux mille francs. Pierre le repousse avec indignation : « Dites à Thérèse, qui pour votre or m'est infidèle, qu'elle ne m'est plus rien. »

 

« On se bat en Afrique, allons-y ! c'est ça, tous les trois !

 

— Et on ne dira plus que je tremble, » dit Joseph.

 

 

 

 

Acte I. Couplets militaires "J'aimerais être voltigeur"

Raymond Amade (Joseph Abrial) et Orchestre Lyrique de l'ORTF dir Roger Albin

enr. le 13 juin 1966

 

 

 

 

 

acte II - la prise du défilé par les zouaves, dessin d'Henri Meyer

 

 

Deux ans se sont passés ! Nous retrouvons nos trois héros dans le défilé de Chareb. Trécourt est tambour-major des zouaves ; Pierre est lieutenant ; quant à Joseph, toujours tremblant, il a suivi, comme clairon, son lieutenant dans toutes les affaires et comme Pierre est partout au premier rang Joseph est à côté de lui, grelottant des dents, mais tapant comme un sourd.

 

Drôle de capon !

 

Pierre, commandant du détachement qui occupe le défilé, a reçu du général l'ordre de se rendre en parlementaire, auprès du chef arabe, pour lui proposer un échange de prisonniers. Une Française, une grande artiste, la Frasquita, a été arrêtée par les Arabes, avec son impresario et sa suivante. Le général offre au chef de lui rendre contre ces trois personnes le nombre d'Arabes qu'il lui plaira de désigner.

 

Une chose s'oppose à la réalisation de ce projet.

 

Ben-Ahmed, à la vue de la Frasquita en est tombé amoureux et veut en faire sa concubine préférée.

 

En vain la chanteuse lui a dit qu'elle aimait un officier français, cet aveu n'a fait qu'attiser la passion de l'Arabe, il a envoyé l'impresario apprendre la musique à ses femmes et fait mettre l'artiste et sa suivante dans une grotte où il a fait déposer cent barils de poudre pour faire sauter les Français à leur passage.

 

Un mot hautain de Pierre met le chef en fureur et, peu soucieux des lois de la guerre, il garde prisonnier le parlementaire et son clairon.

 

La Frasquita, aussitôt les Arabes partis, sort de la grotte pour voir l'officier laissé à la garde de Bou-Malek, le muet d'Ahmed, et lui demander protection. Elle reconnaît Pierre et celui-ci a dans ses bras qui ?... Thérèse ! c'est elle qui est devenue la grande chanteuse Frasquita. Le malentendu n'existe plus, entre eux.

 

 

 

 

 

Acte II. Duo "Le joli songe"

Lina Dachary (Thérèse), Camille Maurane (Pierre) et Orchestre

 

 

 

 

Mais la rage d'Ahmed ne connaît plus de bornes lorsqu'il les surprend dans les bras l'un de l'autre. Il donne l'ordre d'emmener les Françaises à Mascara et de faire tomber la tête du giaour.

 

C'est Bou-Malek qui est l'exécuteur de Ben-Ahmed.

 

Heureusement qu'avant cela il s'est passé une petite scène qui a amené un quiproquo assez drôle.

 

La scène est simple : Joseph pressé de prendre un travestissement pour s'échapper, n'a rien trouvé de mieux que de précipiter le muet dans le ravin, après lui avoir enlevé son burnous rouge. Puis, comme en sa qualité de clairon, perruquier des zouaves, il a des postiches plein son sac, il s'applique une fausse barbe et devient méconnaissable.

 

Le quiproquo qui s'ensuit, le voilà : Zélie, transformée par ordre du chef en femme arabe, n'a aussi qu'un but : s'enfuir. Pour cela elle a résolu de corrompre le muet par... n'importe quel moyen. Les deux amants ne se reconnaissent pas : Joseph ne fait pas trop le sien, et Zélie l'entraîne du côté du ravin où elle le... corrompt à son aise. Mais dérangés dans leur fuite par les nouveaux ordres d'Ahmed, ils sont forcés de rentrer au camp où le chef, le prenant aussi pour Bou-Malek, remet à Joseph le cimeterre avec lequel il doit faire voler la tête de Pierre.

 

Joseph tremble, comme d'habitude, mais, tout à coup, ce singulier poltron donne le sabre au lieutenant, arrache sa barbe et s'écrie : « Ma foi, vaut mieux mourir ensemble, écoutez-moi ça : voilà le chant du cygne, » et, embouchant son clairon, il sonne la marche des zouaves. Oh ! bonheur ! à ce clairon d'autres clairons répondent. Ils sonnent la charge des zouaves ; les Arabes fuient épouvantés, mais Ahmed a eu le temps d'allumer la mèche qui doit faire sauter toute cette partie du défilé.

 

Joseph a arraché le drapeau vert du cheik et va suivre ses camarades lorsqu'il aperçoit la mèche qui brûle. Terrifié par la terreur, il chancelle, mais, malgré tout, se traîne et enfin se laisse tomber sur la mèche.

 

« Et maintenant, dit Pierre, en avant, mes amis, à Mascara ! »

 

Nous les y suivrons.

 

 

 

 

acte III - une place de Mascara

 

 

Mascara est pris.

 

La campagne est terminée.

 

Avis est donné aux habitants qu'ils peuvent circuler, vendre, acheter librement, mais que personne ne pourra sortir de la ville sans un laissez-passer du général, parce qu'on recherche le chef arabe qui a violé les lois de la guerre à l'endroit d'un parlementaire. Son signalement est donné, il ne peut échapper. On arrête d'abord Angénor vêtu des habits d'Ahmed ; mais l'erreur est bien vite reconnue. C'est une ruse du cheik qui a lâché son prisonnier pour faire prendre le change.

 

Puis arrive Zélie qu'on a lâchée aussi. Joseph, heureux de la retrouver, veut l'épouser tout de suite ; mais Zélie, en honnête fille, se souvient de la... corruption du muet et avoue ingénument qu'elle n'est plus digne de la fleur d'oranger. De là explications ! Enfin ils s'entendent. La fleur est cueillie, mais c'est lui qui en a eu le parfum, et ils tombent dans les bras l'un de l'autre.

 

 

 

 

Acte III. Duo des Chameliers "A travers le désert"

Emma Luart (Thérèse), André Balbon (Ben-Ahmed) et Orchestre dir. Godfroy Andolfi

Pathé X 92002, enr. vers 1931

 

 

 

 

Ben-Ahmed, en chamelier, a obtenu un laissez-passer et va s'échapper enlevant Thérèse, qu'il a terrifiée en lui faisant croire que si elle dit un mot, son amant, fût-il au milieu de ses soldats, sera tué. Il va fuir, lorsqu'il est reconnu par Pierre. Entouré, il se rend ; mais Thérèse, ne voulant pas de nuage sur son bonheur, demande grâce pour lui.

 

« Sois libre, » dit Pierre.

 

Vaincu par cette générosité le cheik s'incline et retourne au désert.

 

Bientôt de grandes acclamations saluent Joseph, nommé chevalier pour avoir sauvé le régiment en éteignant la mèche.

 

« Mais, comment as-tu fait ? lui demandent ses camarades.

 

— J'ai... soufflé dessus. »

 

A ce moment une lettre du ministre arrive pour Angénor :

 

Il est nommé au Conservatoire.

 

« Quel grand ministre !...

 

« Je vous rends votre liberté, » dit-il à Thérèse.

 

Alors tout le monde à Paris. Plus de Frasquita : « Je redeviens la Fauvette du Temple ! »

 

 

 

Juliette Simon-Girard (Thérèse) lors de la création

 

 

La pièce de MM. Burani et Humbert est très gaie, remplie de mots piquants et frappés au bon coin. Du reste, là où est M. Burani, on sait qu'on trouve toujours de l'esprit.

 

La musique de M. Messager, pétillante et gaie aussi, a les mêmes qualités.

 

Pour ne citer que le dessus du panier de la partition, il en faut prendre encore beaucoup.

 

En effet, parmi les vingt-cinq numéros de la pièce, on n'a que l'embarras du choix.

 

Au premier acte la chanson de la fauvette : Une gentille fauvette, si gentiment enlevée par Thérèse ; puis le charmant duo du mariage : Dans un mois, je mets ma robe blanche, entre Pierre et Thérèse. Ma foi, je reviens sur mes pas pour parler des couplets des rubans de Zélie.

 

Au deuxième acte le trio de la chanson des blés : Dans un champ de blé d'or, si bien chanté par Thérèse, Zélie et Angénor. Ensuite la romance arabe : Soldat et chef de ma tribu ; et surtout le chant de guerre : Amis, le grand jour est venu, tous les deux chantés par Ahmed. N'oublions pas non plus le duetto-bouffe, entre Zélie et Joseph : Vous êtes d'une forte race.

 

Enfin au troisième acte les couplets de l'explication de Zélie et Joseph : Je voulais tirer Pierre ; ceux de Trécourt : On laissera tranquille l'habitant ; la chanson d'Angénor : J'aime la musique militaire ; et pour finir, car je m'aperçois que je vais parler de tout, le joli, joli duo des chameliers : A travers le désert.

 

Mme Simon-Girard, toujours charmante, est aussi fauvette que possible ; Mlle Vialda est une petite Zélie très crâne et très... corruptrice ; M. Gobin est toujours l'étonnant comique que l'on connaît, un mot, un geste de lui, et la salle s'épanouit ; M. Simon-Max est plein d'entrain et de verve dans le rôle sympathique et amusant de Joseph.

 

M. Jourdan est très bien dans le rôle de Pierre ; la voix bien timbrée de M. Chauvrau donne bien la valeur voulue à la largeur musicale du chant de guerre d'Ahmed. Enfin M. Riga est un magnifique tambour-major.

 

Avec cela de jolis décors et des costumes pittoresques ; en voilà pour longtemps.

 

Je ne veux pas oublier un compliment que je tiens à faire à M. Simon-Max et que j'ai gardé pour la fin.

 

Je ne lui connaissais pas ce talent sur le clairon !

 

Quel coup de langue !

 

Bravo, vous me donnez des regrets de n'en pas savoir jouer ; mais, pour cette fois encore, je me contenterai d'emboucher la trompette du succès pour finir comme la pièce : Taratatata !

 

(E. Grand, la Scène, février 1886)

 

 

 

 

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