Ève
Eve naissante, statue de Paul Dubois (1873)
Mystère en trois parties de Louis GALLET, musique de Jules MASSENET.
Première exécution le 18 mars 1875 au Cirque d'Eté (Champs-Elysées) par la Société l'Harmonie sacrée.
=> l'Oratorio moderne : Massenet, par Louis Schneider (1909)
personnages | créateurs |
Ève | Mme Marie Hélène BRUNET-LAFLEUR |
Adam | MM. Jean-Louis LASSALLE |
le Récitant | PRUNET |
Chef d'orchestre | Charles LAMOUREUX |
Catalogue des morceaux
Première partie | |||
la Naissance de la femme | |||
01 | Prologue, Introduction et Chœur | L'homme sommeille sous les palmes | le Récitant, les Voix du Ciel |
Adam et Ève | |||
02 | A. Prélude, Scène et Duo | Homme tu n'es plus seul ! | Eve, Adam |
B. Récit | Ignorants de la vie | le Récitant | |
C. Chœur | Au premier sourire d'Ève | Voix de la Nature | |
Deuxième partie | |||
Ève dans la solitude (la Tentation) | |||
03 | A. Chœur-Prélude | Femme qui viens écouter le silence | Voix de la Nuit |
B. Air | O nuit !... douce nuit | Eve | |
C. Scène avec Chœurs | Loin de l'homme endormi | Eve, Voix de la Nuit | |
Troisième partie | |||
la Faute | |||
04 | A. Prélude | ||
B. Air | Femme !... tu n'as point versé de larmes | le Récitant | |
C. Duo | Aimons-nous ! c'est vivre ! | le Récitant, Eve, Adam, les Esprits de l'abîme | |
la Malédiction | |||
05 | Epilogue : A. Récit | Mais soudain, au milieu des extases | le Récitant |
Epilogue : B. Chœur | Pour avoir écouté les esprits de l'abîme | Eve, Adam, Voix de la Nature |
La partition de M. Massenet, écrite sur les très beaux vers de son collaborateur, comprend seulement une dizaine de morceaux. Le scénario a la forme d'un de nos anciens mystères, avec un peu moins de naïveté et beaucoup plus de science dramatique ; l'ensemble est d'un grand effet. C'est le vieux drame de la faute et du châtiment. « La petite partition d'Eve, dit le critique musical du Journal officiel, M. E. Gautier, contient des morceaux charmants ; d'abord, le chœur pianissimo :
Autour de nous
respire une éternelle paix.
Un morceau excellent de tous points, c'est le
chœur en la :
Au premier sourire
d'Eve...
L'orchestre est fin et doux, la mélodie des
plus heureuses. La deuxième partie du mystère, Eve dans la solitude,
commence par un chœur sans accompagnement dans le ton de si naturel
majeur : Femme, qui viens écouter le silence...
O nuit ! ô douce
nuit !...
La deuxième partie se termine par un chœur
ferme et développé dans une forme tout à fait moderne :
Veux-tu posséder la
puissance humaine ?
La troisième partie contient un beau duo
d'amour :
Tes lèvres ont
touché les miennes ; La tendresse profonde qu'éprouvent l'un pour l'autre Adam et Eve est exprimée ici avec une chaleur qui, pour n'avoir rien de primitif, n'en est pas moins communicative et passionnée... C'en est fait ! La mort est entrée dans le monde. Adam et Eve ont perdu leur ignorance enfantine, et, de toutes parts, des fleurs pâlies, des arbres frémissants, des cieux enflammés par l'éclair, des rivières mugissantes, par une intention dont on peut contester l'à-propos, mais non l'effet, sort ce chant funèbre : Dies iræ, dies illa. » (Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1er supplément, 1878)
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Mystère en trois parties, dit le titre de l'œuvre. Selon la terminologie habituelle, c'est, si l'on veut, un court oratorio ou une grande cantate pour trois solistes (Adam, Ève et le Récitant) et chœurs. Il y a trois parties ; un prologue s'ajoute à la première, et un épilogue termine l'œuvre. Le début retrace la Naissance de la femme. Un chœur initial évoque la sérénité de la nature autour de l'homme endormi, la splendeur des cieux et de la terre parfumée. L'homme s'éveille, il n'est plus seul, et il admire la compagne merveilleuse qui est apparue devant ses yeux. Suit un duo chastement tendre ; après quoi le Récitant nous dit comment Adam et Ève s'en vont, innocents et heureux, parmi les autres créatures. Un chœur fait suite à ce premier épisode : ce sont les Voix de la Nature qui chantent Ève joyeuse au milieu des paysages ensoleillés. La musique, tour à tour frémissante ou paisible, pittoresque ou éperdument exaltée, de ce chœur est à signaler tout particulièrement, tant elle exprime à un degré aigu la sensibilité caractéristique de Massenet. De même, dans la scène initiale, des phrases comme celle de l'Andante soutenu d'Ève : « Autour de nous respire une éternelle paix », portent déjà l'empreinte, impossible à méconnaître, du futur auteur de Manon, d'Esclarmonde, et du Jongleur de Notre-Dame. La deuxième partie débute par un chœur de Voix de la Nuit. Il fait très doux, et Ève, qui s'est éloignée d'Adam, songe ; elle entend les murmures charmeurs qui la bercent d'un récit mystérieux, du récit des merveilles que dispense l'arbre de la science. Et les désirs éveillés de la jeune femme s'expriment en un air pénétrant, qui est encore du meilleur Massenet : « O Nuit, douce nuit pleine de murmures. » Et petit à petit, les Voix de la Nuit se font plus pressantes autour d'Ève obsédée, la séduisent, l'éblouissent en lui promettant la puissance, l'amour, le triomphe sans limites, si elle goûte au fruit de l'arbre unique. Toute cette scène n'est qu'un long crescendo, magistralement réalisé, et s'arrête brusquement, dès que l'âme d'Ève est conquise, en plein paroxysme. Au rebours des précédentes, la troisième partie comporte un prélude instrumental, assez court du reste (pas même quarante mesures), mais d'un sentiment fort pathétique en sa simplicité. Vient ensuite un air du Récitant, qui dit, un peu obscurément peut-être, les dangers qui menacent Ève, si elle accomplit sa résolution de goûter au fruit défendu. Mais les Esprits de l'Abîme interrompent la voix de la sagesse : « Aimez-vous ! », murmurent-ils à Adam et à Ève, qui se cherchent dans la forêt, déjà grisés d'extase. Cependant, Adam est tout d'abord atterré en apprenant l'acte d’Ève ; après quelque hésitation, il cède néanmoins au transport qui l'entraîne. Les Voix de l'Abîme s'associent en chœur à celles des deux amants qui proclament la joie suprême d'aimer, et cet ensemble forme une digne péroraison à cette scène dont toute la musique est indiciblement amoureuse. L'épilogue, c'est la malédiction divine, prompte à suivre le forfait du premier couple. L'orchestre gronde, clamant de plus en plus fort le thème du Dies Iræ liturgique, qui forme l'élément principal de la musique de toute cette scène, et que Massenet, suivant à peu près sur ce point l'exemple célèbre donné par Berlioz dans sa Symphonie Fantastique, va traiter de façons très diverses : en valeurs augmentées ou diminuées, en variantes mélodiques où persiste le rythme caractéristique. Sur cet accompagnement tragique, le Récitant annonce la malédiction que proclament bientôt les Voix unies de la Nature. La disposition chorale de cette dernière scène, avec les voix parfois juxtaposées à l'unisson, parfois très divisées, est digne d'être étudiée de près. Mais, tandis que sonne l'anathème, Adam et Ève ne pensent qu'à leur amour, à la joie d'être unis, et ils n'écoutent guère le chœur menaçant. Peu leur importe la malédiction, si l'extase leur reste. On peut contester le caractère que donne à l'interprétation de la légende sacrée cette scène finale, dont la morale, certes, est un peu vague, et l'effet matériel un peu sommaire. A cette réserve près, on doit reconnaître le réel intérêt de cette petite partition qui, cela est incontestable, n'a peut-être pas le souffle et le ressort dramatique des autres œuvres de Massenet, mais qui a de la fraîcheur, du mouvement et de la grâce, et qui contient des pages du coloris musical le plus personnel et le plus charmant.
(Louis Schneider, Massenet, 1908)
Manuscrit transcrit par Massenet en tête d'une partition imprimée d'Ève
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