Don César de Bazan

 

Affiche pour la création de Don César de Bazan par Célestin Nanteuil (1872)

 

 

Opéra-comique en trois actes et quatre tableaux, livret d'Adolphe DENNERY et Jules CHANTEPIE, d’après Don César de Bazan, drame en cinq actes mêlé de chant de Dennery et Dumanoir (Porte-Saint-Martin, 30 juillet 1844), lui-même inspiré du personnage créé par Victor Hugo dans son drame Ruy Blas (1838), musique de Jules MASSENET.

 

   partition

 

 

Création à l'Opéra-Comique (2e salle Favart) le 30 novembre 1872. Mise en scène de Charles Ponchard.

 

Première à la Monnaie de Bruxelles le 16 novembre 1896.

 

Une version remaniée et réorchestrée fut écrite par Massenet en 1888, en quatre actes (le 2e tableau de l'acte III devenant l'acte IV), avec adjonction d'un ballet au début de l'acte III ; le Duettino n°14 devenant un Duo entre le Roi et Don César (Qui suis-je ?...), l'Ariette n°16 devenant un Duo-nocturne entre Maritana et Lazarille (Aux cœurs les plus troublés), et l'Air n°17 étant supprimé.

 

De l'entr'acte du 1er tableau de l'acte III, Massenet a tiré une mélodie, Sevillana.

 

 

 

personnages emplois

Opéra-Comique

30 novembre 1872

(création)

Monnaie de Bruxelles

16 novembre 1896

(1re)

Maritana soprano Mmes PRIOLA Mmes GIANOLI
Lazarille mezzo-soprano GALLI-MARIÉ HENDRIKX
Don César de Bazan basse chantante ou baryton de grand opéra * MM. Jacques BOUHY MM. Frédéric BOYER
Charles II, roi d'Espagne ténor Paul LHÉRIE BONNARD
Don José de Santarem, premier ministre basse René NEVEU GILIBERT
le Capitaine des Gardes baryton François BERNARD DANLÉE
un Juge basse Elias NATHAN  
Pérès   ROBERT  
un Batelier   DAMADE  
un Alcade - un Bourgeois - un Soldat - un Valet      
Hommes et Femmes du Peuple - Soldats - Arquebusiers - Seigneurs et Dames de la Cour      
Chef d'orchestre   Adolphe DELOFFRE  

 

La scène est à Madrid.

* Bien qu'écrit en clé de sol, le rôle de Don César de Bazan, spécialement écrit pour M. Bouhy, est un rôle de basse chantante ou baryton de grand opéra.

 

 

 

 

notes de Massenet donnant la distribution d'une reprise de Don César de Bazan

 

 

 

 

Frédérick Lemaître dans Don César de Bazan, drame de Dumanoir et Dennery

 

 

 

 

Don César de Bazan, drame de Dumanoir et Dennery, acte V, scène IV

 

 

 

 

Le sujet de cet opéra est emprunté à un drame en cinq actes et en prose, écrit par les mêmes auteurs et représenté au théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1844. A une époque où le romantisme était encore en faveur, où Frédérick Lemaître était le Talma du boulevard, les personnages du drame de Victor Hugo, Ruy Blas, Maritana, Don César de Bazan devinrent assez facilement célèbres. Wallace, le compositeur irlandais, a même fait preuve d'un rare mérite dans son opéra de Maritana. Il me semble que c'était assez d'honneur pour cet hidalgo dépenaillé. D'ailleurs, le sujet n'est pas lyrique. L'œuvre littéraire, débarrassée de ses tirades et de ses récits descriptifs, n'offre que peu d'incidents dramatiques ; l'action est pauvre et les épisodes dépourvus de cette sensibilité qui est la principale source de l'inspiration chez le compositeur. La musique de cet ouvrage est plutôt symphonique que dramatique ; la partie vocale est sacrifiée à des effets harmoniques ou rythmiques qui lui ôtent souvent toute expression et tout caractère. Le coloris instrumental est la faculté maîtresse du compositeur. Les idées sont rares, l'inspiration dramatique peu naturelle. Tout ce que le sujet renfermait de motifs pittoresques, au point de vue littéraire, a été exploité par le musicien ; ce procédé est plus ingénieux qu'efficace dans un opéra. Beaucoup de nos compositeurs, égarés par l'enseignement qui leur a été donné et par les exemples de leurs maîtres, se sont fait une idée erronée de la musique dramatique. Ils y ont fait une part trop grande au genre descriptif. Ce qui est admirablement à sa place dans les symphonies de Beethoven et dans les Saisons d'Haydn est un hors-d’œuvre dans un opéra où l'action, la passion et la sensibilité doivent dominer. Cela me fait l'effet du concert qui précède le bal. Les jeunes danseuses n'écoutent pas et trépignent d'impatience. Elles sont dans leur droit. Motifs espagnols, fandangos, boléros, sévillanes, séguedilles, sont traités avec beaucoup de science et de talent. Mais à peine trouve-t-on dans cet ouvrage, en trois actes, quatre ou cinq mélodies qui captivent ; et encore il n'y en a aucune qui soit complète, qui ait un commencement, un milieu et une fin, tant l'auteur paraît avoir horreur de la cavatine, dont les jeunes musiciens s'éloignent comme d'une vipère. Qu'ils se rassurent ; elle ne leur fera jamais de mal. On a remarqué l'introduction, le premier entr'acte, une berceuse fort jolie ; Dors, ami, dors, et que les songes t'apportent leurs riants mensonges ; la scène de la mariée dans laquelle l'orgue et les effets de cloches produisent un effet charmant, et un trio assez dramatique.

(Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément, 1872)

 

 

 

 

Fragment du manuscrit de Don César de Bazan

 

C'est véritablement dans la partition de Don César de Bazan que Massenet devait révéler, en 1872, les précieuses qualités d'homme de théâtre qui allaient lui valoir une si brillante carrière. On peut reconnaître dans cet ouvrage de jeune, la valeur de l'instinct dramatique et la fluidité de l'inspiration de Massenet. Certes, il serait exagéré d'affirmer que la musique atteint toute la délicatesse, toute l'originalité, toute la puissante séduction que les œuvres suivantes, les Erinnyes, Marie-Magdeleine, le Roi de Lahore, attesteront peu de temps après à un degré infiniment supérieur.

L'intrigue de Don César de Bazan ne manque ni d'intérêt, ni de vivacité, ni de mouvement ; mais elle est bien compliquée. Tout le monde connaît la pièce dans laquelle d'Ennery et Dumanoir ont parachevé la silhouette du Don César de Ruy Blas que Victor Hugo avait esquissée. C'était évidemment une bonne fortune pour un compositeur que d'avoir à mettre en musique ce drame populaire de cape et d'épée plutôt que de tomber sur le livret banal d'un inconnu qui connaîtrait déjà trop son métier. La transformation en livret d'opéra-comique a dû être aisée, car il a suffi de réduire les deux derniers actes de l'ouvrage en un seul et substituer au dialogue en prose des couplets en vers sur les indications du musicien.

Rappelons brièvement les péripéties de l'action.

Don César de Bazan, grand d'Espagne ruiné, qui mène une vie aventureuse et qui, sous ses vêtements déguenillés, cache une âme très noble, se bat en duel pendant la semaine sainte pour sauver un jeune enfant, Lazarille, des mains d'un capitaine qui le brutalisait.

Or un édit royal a été rendu contre le duel, condamnant à être fusillés tous ceux qui se battraient pendant le courant de l'année, la semaine sainte exceptée ; les duellistes surpris pendant cette période devront être pendus.

Don César de Bazan est donc arrêté, jugé et condamné dans les vingt-quatre heures. Il reçoit dans sa prison la visite de son ancien compagnon, Don José de Santarem, devenu premier ministre de Charles II, roi d'Espagne ; or, le condamné ignore les hautes fonctions de son ami. Don José a machiné toute une intrigue pour atteindre un but secret : il est amoureux de la reine ; mais celle-ci ne veut tromper son mari que par dépit, quand il lui sera prouvé que le roi la trompe. L'austère Charles II est précisément amoureux de la belle chanteuse des rues, Maritana. Don José promet à cette dernière richesses et honneurs, si elle veut faire aveuglément ce qu'il lui ordonnera.

Don José lui fera épouser don César une heure avant la mort de celui-ci, de telle sorte que le roi, qui ne pouvait prendre pour maîtresse une chanteuse des rues, n'hésitera plus à déclarer sa flamme à Mme la comtesse de Bazan.

Ce qui est projeté s'accomplit sans qu'on lui donne aucune explication. Don César promet d'épouser qui l'on veut, pourvu que Lazarille soit pris au service de Don José et que la peine de pendaison soit convertie en fusillade. Le mariage a lieu dans la prison. Maritana a le visage recouvert d'un voile épais qui l'empêche de voir et d'être vue.

L'exécution suit immédiatement la cérémonie ; et la jeune veuve, qui ignore son veuvage, est envoyée au palais de San-Fernando où elle acquiert les belles manières convenant à une noble dame. On lui a dit que son mari exilé ne tarderait pas à revenir ; et c'est le roi qui vient la rejoindre en se faisant passer pour Don César. Mais elle lui déclare qu'elle ne l'aime pas ; Charles II va faire valoir ses droits d'époux quand arrive Don César que Lazarille a sauvé de la mort en retirant les balles des mousquetons.

Don César refuse de se battre avec son roi ; mais il va surprendre Don José aux pieds de la reine et le tue. Charles II, pour récompenser ce loyal serviteur, le fait gouverneur de Grenade, résidence où l'ancien aventurier ira couler des jours heureux en compagnie de sa belle épouse.

 ***

La partition de Don César de Bazan ne manque pas d'une certaine couleur populaire. Il y a du mouvement et de la puissance dramatique dans le quatuor du premier acte : « Le voilà ! qu'on le saisisse ! », où Lazarille supplie ingénument, tandis que se croisent les phrases brutales des soldats et les exhortations de Don César à la clémence en faveur de ce pauvre Lazarille.

Au deuxième acte, il faut citer la Berceuse de Maritana, une page tendre et d'inspiration raffinée, qui est déjà de la grande famille des phrases de Massenet.

Le troisième acte est certainement le meilleur de l'œuvre. L'Entracte Sévillana qui lui sert de prélude est encore aujourd'hui populaire. Il est d'allure brillante et pittoresque, avec des rythmes très caractéristiques. La danse chantée qui suit a de la verve et du brio, et la disposition des voix du chœur est très originale. Le duo entre le Roi et Don César est écrit dans un mouvement juste, avec une sobriété de touche qui annonce un vrai tempérament de théâtre. Massenet s'y révèle avec des qualités de comique qu'on trouve assez rarement chez lui, car sa nature musicale le dispose à la tendresse et à la passion ; il y en aura pourtant des exemples plus tard dans Manon aux répliques du sergent Lescaut et du comte de Morfontaine. On peut louer encore dans cet acte la sincérité du duo final.

Le quatrième acte est tout d'action ; il est d'une facilité qui se ressent de la hâte avec laquelle l'ouvrage a été écrit.

Massenet, en effet, avait hérité du livret de Don César qui ne lui était primitivement pas destiné. Duprato devait écrire la partition pour l'Opéra ; il trouva que le sujet ne convenait pas à son tempérament ; il s'arrêta en route. Les auteurs, d'Ennery, Dumanoir et Chantepie, allèrent s'entendre avec Massenet qui arriva au jour promis avec sa partition achevée.

Don César de Bazan fut fort bien accueilli par certains critiques, plus durement par d'autres qui accusèrent le compositeur de vouloir pasticher Wagner. Le reproche nous semble aujourd'hui bizarre. Don César n'eut que treize représentations à l'Opéra-Comique, huit en 1872 et cinq en 1873. La partition originale fut détruite dans l'incendie de l'Opéra-Comique. Massenet la réécrivit en 1888, la remania et la réorchestra. [Sur cette partition remaniée qui a été réimprimée, le nom de Dumanoir, le collaborateur de d'Ennery, a disparu de la couverture. Il ne reste que celui de Chantepie qui avait transformé le drame en opéra-comique ; c'est sans doute un oubli fait à l'impression.] L'œuvre n'a jamais été reprise à Paris ; mais elle a été donnée souvent en province.

(Louis Schneider, Massenet, 1908)

 

 

 

 

Catalogue des morceaux

 

  Ouverture    
Acte I. - la Piazza Mayor à Madrid
01 Introduction. A. Chœur Dès que le tambour sonne Gens du Peuple
Introduction. B. Ballade aragonaise Par un frais sentier Maritana, Gens du Peuple
Introduction. C. Scène, Prière et Strette   Maritana, le Roi, Don José, Gens du Peuple
02 Mélodie L'amour !... Un amour implacable le Roi
03 Air Partout où l'on chante Don César
04 Quatuor Le voilà ! qu'on le saisisse ! Lazarille, Don César, Don José, le Capitaine
05 Finale Bohême charmante Maritana, Lazarille, Don César, Don José, Gens du Peuple
Acte II. - l'Intérieur d'une forteresse
06 Entr'acte    
Berceuse Dors, ami Lazarille
07 Couplets Riche, j'ai semé les richesses! Don César
08 Duo bouffe Me marier ! Don César, Don José
09 A. Chanson des Matalobos Piller, voler et prendre Don César, les Soldats
B. Lecture de l'arrêt    
C. Madrigal En vous, je vais placer, madame Don César
10 Air Cœur loyal, âme forte Lazarille
10 bis Mélodrame - Sortie de la chapelle    
11 Finale Grand Dieu ! quel est ce bruit ?... Maritana, Lazarille, Don César, Don José, Suite de Maritana
Acte III. - Premier tableau : Au palais de San Fernando
12 A. Entr'acte - Sevillana    
B. Chœur et Romance Cette splendeur... Je sais qu'il est une âme Maritana, Chœurs
13 Cavatine Que de ta lèvre en fleur le Roi
14 Duettino Résister ?... à qui donc Lazarille, Don César
15 Grand Duo Je m'en souviens !... Maritana, Don César
Deuxième tableau : un Oratoire
  Entr'acte    
16 Ariette Je suis presqu'enfant Lazarille
17 Air Oui, je suis le roi ! le Roi
18 A. Mélodrame    
B. Grand Trio Je vous l'ai dit Maritana, le Roi, Don César
C. Scène finale Le Roi ! le Roi ! Maritana, Lazarille, le Roi, Don César, Chœurs

 

 

LIVRET

 

 

 

(édition de 1872 ; en rouge, les parties chantées)

 

 

ACTE PREMIER

 

 

Une place publique.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

LA MARITANA, LE ROI, GENS DU PEUPLE, puis DON JOSÉ.

(Au lever du rideau, Maritana, que la foule attend, entre en agitant son tambour de basque. — Le roi, vêtu de noir et couvert d'un large manteau, se tient à l'écart sur la gauche, les yeux fixés sur la Maritana, et semble absorbé dans sa contemplation.)

 

Introduction
CHŒUR.

Dès que le tambour sonne

C'est Maritana !

Et la foule environne

Notre gitana !

Pour nous la fille harmonieuse

Choisit les plus doux de ses chants,

La cantilène gracieuse,

Les rondeaux tendres et touchants.

Dès que le tambour sonne, etc.

 

MARITANA.

Ballade

I

Par un frais sentier,

Un bel écuyer,

Sur son destrier,

Chevauchait superbe.

Carmen, blond lutin,

Au bord du chemin,

Chantant son refrain,

Liait une gerbe.

Doux étaient ses yeux,

Son front radieux,

Son refrain joyeux,

Son charme suprême...

Par son chant séduit,

L'écuyer sourit,

S'approche et lui dit :

« Veux-tu que l'on t'aime ? »

 

O fillettes, d'un doux regard,

Accueillez toujours avec grâce

Celui qu'amène le hasard :

C'est parfois le bonheur qui passe,

C'est le bonheur qui passe.

II

Par le frais chemin,

Carmen, un matin,

Vit passer soudain

La chasse royale !

Sur son destrier

Le tendre écuyer

Marchait le premier...

Carmen devint pâle.

Elle chancelait,

Lui déjà volait

Près d'elle, et calmait

La belle éplorée.

Il lui dit : « Suis-moi ;

Chasse tout effroi

Et sois de ton roi

La reine adorée ! »

 

LE CHŒUR.

Brava, brava, Maritana !

Comme celle qui la chante,

Vraiment l'histoire est charmante !

Brava, brava, la gitana !

(Maritana fait la quête.)

 

LE ROI, contemplant la Maritana.

Sa voix caressante me berce

Et l'éclair de ses yeux me verse

Un poison enchanté !...

Sur ce front de vingt ans, quels trésors de beauté !

 

DON JOSÉ, apercevant le roi, à part.

Lui ! c'est encore lui ! sur cette même place :
C'est la troisième fois

Qu'à pareille heure je le vois

Se mêlant à la populace...

 

MARITANA, au roi.

Monseigneur ! pour l'amour de Dieu !

 

LE ROI.

Fonds-toi sous son regard de feu,

Cœur jusqu'ici de glace !

 

MARITANA.

Eh quoi ! seigneur cavalier,

N'aurez-vous pour me payer

De ma ballade légère

Qu'un regard froid et sévère ?

(Le roi, sans la quitter des yeux, jette une pièce sur le tambour de basque et se retire brusquement à l'écart.)

 

MARITANA.

Un beau quadruple d'or !

Ah ! vraiment, j'avais tort,

Moi qui de l'approcher d'abord

Avais une frayeur si grande.

 

DON JOSÉ, allant à elle.

On vous a donc fait une belle offrande ?

 

MARITANA.

Voyez !... quelque riche seigneur

Auquel, de tout son cœur,

Rend grâce la pauvre bohème.

 

DON JOSÉ, à part.

Le roi !... quelle aventure !... Et c'est elle qu'il aime !...

(L'Angélus sonne.)

 

MARITANA, au peuple.

L'Angélus sonne. — Il faut partir.

Mais, dans une heure ici, vous pourrez revenir,

Je vous prédirai l'avenir.

 

LE PEUPLE s'agenouille.

Chœur

A l'aube de cette journée

Que notre labeur remplira,

O vous qui nous l'avez donnée,

Dieu tout-puissant, bénissez-la.

Rendez-nous légères les heures

Que ramène votre clarté ;

Remplissez nos pauvres demeures

D'amour, d'espoir et de gaîté.

A l'aube de cette journée, etc.

(Tout le monde s'éloigne, excepté le roi qui a, jusqu’à la fin, suivi Maritana des yeux, et don José qui observe le roi.)

 

 

SCÈNE II
LE ROI, DON JOSÉ.

 

LE ROI, redescendant en scène.

Oui, elle est merveilleusement belle !

 

DON JOSÉ, s'approchant.

Et bien digne, en effet, de l'admiration d'un roi.

 

LE ROI, étonné.

Don José !... Quoi, vous savez ?...

 

DON JOSÉ.

Que depuis près d'un mois, le roi vient, chaque jour, sur cette place, à l'heure où la Maritana chante.

 

LE ROI.

Hélas ! le plus humble de mes sujets est plus heureux que moi. Il peut la voir, lui parler à toute heure.

 

DON JOSÉ.

C'est donc un véritable amour que ressent Votre Majesté ?

 

LE ROI.

Oui !... une adoration sans bornes !...

Romance

L'amour, un amour implacable,

De mon âme s'est emparé ;

La fièvre ardente, inexorable,

Consume mon cœur égaré.

Partout, sans relâche et sans trêve,

Dans non palais, au fond des bois,

Dans mes veilles et dans mon rêve,

C'est elle que je vois !

 

Dans ma solitude anxieuse

En vain je cherche le repos ;

Sa voix pure et mélodieuse

Voltige dans tous les échos.

Dans la brise des nuits sereines,

Dans les frais concerts qu'au printemps

Chantent les forêts et les plaines,

C'est elle que j'entends !

 

DON JOSÉ.

Eh bien ! ordonnez, sire, et ce n'est plus pour votre peuple, mais pour vous seul, que chantera cette voix mélodieuse ; ordonnez et le roi de toutes les Espagnes n'aura plus besoin, pour admirer son idole, de venir se perdre au milieu de la foule…

 

LE ROI.

Que voulez-vous dire ?

 

DON JOSÉ.

C'est l'idole elle-même, c'est la belle Maritana qui viendra près de son seigneur et maître... Je me charge, en un mot, d'amener cette jeune fille à la cour.

 

LE ROI.

Mais songez-vous à tous les obstacles ?

 

DON JOSÉ.

Que j'aie l'assentiment du roi, et je réponds du reste.

 

LE ROI.

Soit, agissez donc, et si vous réussissez, souvenez-vous, don José, que ma reconnaissance sera sans limites. (Il s'éloigne par le fond.)

 

 

SCÈNE III

 

DON JOSÉ, seul.

Amoureux ! Il est amoureux, ce monarque austère et triste... dont les yeux ne s'étaient jamais arrêtés sur une femme !... pas même, peut-être, sur la sienne !... Il a un cœur et des désirs !... Ce sont pour moi de puissants auxiliaires ! Donner une maîtresse à ce roi, c'est à le fois le dominer par celle dont j'aurai fait une favorite... et détacher la reine de son mari, qui l'aura outragée... La reine ! .... qui sait quel espoir me sera permis, si je parviens à mettre autant de jalousie dans son cœur (Mystérieusement.) qu'il y a d'amour dans le mien !... Oui, oui, il faut la présence de Maritana à la cour !... il lui faut le droit d'approcher Sa Majesté, c'est-à-dire : un nom, un titre... tout ce que donne un grand mariage... moins le mari pourtant. (On entend un grand bruit dans l'hôtellerie.) Encore quelque querelle !... Décidément, je ferai fermer le tripot du vieux Pénas.

 

 

SCÈNE IV

DON JOSÉ, DON CÉSAR.

 

DON CÉSAR, sortant de l'hôtellerie un peu aviné.

Vous êtes de misérables fripons, que je châtierais... si je ne craignais de salir mon épée ! (Au public.) Je viens de jouer avec des manants... et ils m'ont volé... comme de grands seigneurs ! (Secouant ses poches.) Oh ! ils ne m'ont rien laissé... et si la Providence ne m'envoie pour ce soir un souper et un gîte... j'aurai le ciel pour m'abriter et le grand air pour me nourrir... Le gîte n'est pas chaud et le souper est léger.

 

DON JOSÉ, qui l'a observé.

Eh ! mais, si je ne me trompe... c'est don César de Bazan ?

 

DON CÉSAR.

Don José de Santarem ! (A part.) Il est fort bien couvert... Quel intérêt peut-il avoir à me reconnaître ?

 

DON JOSÉ, lui tendant la main.

Qu'il y a longtemps que nous ne nous sommes vus !

 

DON CÉSAR.

C'est vrai.

 

DON JOSÉ.

Nous étions jeunes, alors...

 

DON CÉSAR.

Jeunes et brillants... (Il regarde son manteau.) Comme on change !

 

DON JOSÉ.

Vous aviez un beau nom et une grande fortune !

 

DON CÉSAR.

J'ai conservé l'un et j'ai mangé l'autre... Je n'ai pas besoin de vous dire... ce qui me reste ?

 

DON JOSÉ.

En effet, je m'en souviens, votre ruine a fait grand bruit autrefois.

 

DON CÉSAR.

Oui, mes créanciers ont beaucoup crié.

 

DON JOSÉ.

Et votre position n'a pas changé ?... C'est une lourde tâche que de vieilles dettes à acquitter !...

 

DON CÉSAR.

Il y a cependant, par le temps qui court, une chose plus difficile que de payer d'anciennes dettes.

 

DON JOSÉ.

Et laquelle ?

 

DON CÉSAR.

C'est d'en faire des nouvelles...

 

DON JOSÉ.

Vous aviez quitté Madrid ?

 

DON CÉSAR.

J'y rentre aujourd'hui.

 

DON JOSÉ.

Et où êtes-vous allé ?

 

DON CÉSAR.

Où je suis allé ?

Air

Partout où l'on chante

Partout où l'on boit,

Partout où l'on voit

Femme ou fille aimante,

L'âme insouciante,

J'allais devant moi.

 

Je voyageais, gaîment, les poches nettes,

Gueux aujourd'hui, plus gueux encore demain,

Semant les duels, les amours et les dettes,

Jalons charmants qui marquaient mon chemin...

Dieu sait combien de villes j'ai comptées

De l'Océan jusqu'au Manzanarès !

Il en est que deux surtout j'ai… goûtées :
Alicante et Xérès !

 

Partout où l'on chante

Partout où l'on boit,

Partout où l'on voit

Femme ou fille aimante,

L'âme insouciante,

J'allais devant moi.

 

DON JOSÉ.

Et quel motif vous a ramené à Madrid ?

 

DON CÉSAR.

L'espérance, la douce et folle espérance... Retournons là-bas, me suis-je dit... le sort a dû me sourire... et je trouverai mes créanciers morts... Erreur !.... Un débiteur peut mourir, un créancier, jamais !... Loin de là, le nombre des miens s'était accru.

 

DON JOSÉ.

Comment ?

 

DON CÉSAR.

Ils avaient fait des petits... Mais que se passe-t-il de nouveau dans Madrid ?... Boit-on toujours, chante-t-on toujours et se bat-on toujours ?...

 

DON JOSÉ.

Les duels sont rares aujourd'hui... Le roi vient de rendre un édit aussi sévère que ceux de France...

 

DON CÉSAR.

Ah bah !... La mort peur un coup d'épée ?

 

DON JOSÉ.

Quiconque se sera battu, sera fusillé... et cela pendant tout le cours de l'année... la semaine sainte exceptée.

 

DON CÉSAR.

Vraiment ?... Si l'on se bat pendant la semaine sainte...

 

DON JOSÉ.

Pendant la semaine sainte... on sera pendu.

 

DON CÉSAR.

Diable !... Mais c'est aujourd'hui qu'elle commence.

 

DON JOSÉ.

Justement.

 

DON CÉSAR.

Merci de l'avis... Je deviens un agneau... pour huit grands jours au moins... Je ne me soucie pas d'être pendu ! Quant à être fusillé... j'y penserai... la semaine prochaine... Mais vous ne me parlez pas de vous-même... Vous étiez ambitieux... A quoi êtes-vous arrivé ?... qu'êtes-vous devenu ?

 

DON JOSÉ.

Moi ? Rien.

 

DON CÉSAR.

Rien ? Ce n'est qu'un peu plus que moi.

 

 

SCÈNE V
LES MÊMES, UN BATELIER ET LAZARILLE.

 

LE BATELIER, amenant Lazarille qu’il tient par le bras.

Allons, petit, sèche tes larmes, et ne songe plus à ces sottises-là…

 

LAZARILLE, se défendant.

Vous avez tort... S'il me convient de mourir, j'en trouverai toujours le moyen !...

 

DON CÉSAR.

Hein ?... qui parle de mourir ? Un enfant !

 

LE BATELIER.

Un enfant qui voulait se noyer.

 

DON CÉSAR.

Ah bah !... Se noyer... dans l'eau ?

 

DON JOSÉ.

Et dans quoi voulez-vous qu'on se noie ?

 

DON CÉSAR.

Ça dépend... Ainsi, tu voulais mourir ?

 

LAZARILLE.

Et je le veux encore !


DON JOSÉ.

Mais, pourquoi ?


DON CÉSAR, gravement.

Est-ce qu'à ton âge tu aurais déjà des créanciers ?...

 

LAZARILLE.

Je suis apprenti armurier... C'est à moi qu'est confié le soin des arquebuses du régiment des gardes.

 

DON CÉSAR.

Tu veux te noyer, quand tu as des arquebuses sous la main ?... Tu n'aimes donc pas ton métier ?

 

LAZARILLE.

Sous prétexte que les armes ne se sont pas trouvées, ce matin, en bon état, un de messieurs les capitaines veut me faire donner cinquante coups de bâton !

 

DON CÉSAR.

Cinquante ! Allons, c'est trop.

 

LAZARILLE.

Oh ! ce n'est pas le nombre qui m'effraye !... Je ne crains pas la souffrance… je crains la honte !...

 

CÉSAR, à don José.

Il a du cœur, cet enfant-là !... Nous intercéderons en sa faveur.

 

LAZARILLE.

Le capitaine est bien cruel !...

 

DON CÉSAR, montrant don José.

Il ne refusera pas à deux bons gentilshommes...

 

LAZARILLE, effrayé.

Ah ! grand Dieu !

 

DON CÉSAR.

Qu'as-tu donc ?

 

LAZARILLE.

C'est lui !... suivi de soldats !... — Ils me cherchent sans doute !...

 

DON CÉSAR.

Place-toi derrière moi... Tu as pour te défendre... César et son épée.

 

DON JOSÉ, bas.

Souvenez-vous de l'édit royal !

 

DON CÉSAR.

Oh ! diable !... et de la semaine sainte, surtout !

 

 

SCÈNE VI
LES MÊMES, LE CAPITAINE, SOLDATS.


Chant

LE CAPITAINE, montrant Lazarille.

Le voilà ! qu'on le saisisse !

 

DON CÉSAR.

Capitaine...

 

LE CAPITAINE.

Qu'on obéisse !

Sur-le-champ.

 

LAZARILLE.

Grâce !

 

DON CÉSAR.

Seigneur capitaine,

En faveur de cet enfant,

Permettez que j'intervienne.

 

LE CAPITAINE, à Lazarille.

Fais ton devoir ; épargne-nous ainsi

La peine de punir...

(Regardant don César.)

Et de sottes prières.

 

DON CÉSAR.

Que dit-il ?

 

DON JOSÉ, bas à don César.

Calmez-vous.

 

DON CÉSAR, revenant au capitaine.

Eh bien ! A tout ceci

Mettez fin par un mot. Montrons-nous moins sévères ;

Faites grâce, monsieur, et laissez-vous toucher.

(Il le prend par le pan de son manteau.)

 

LE CAPITAINE.

Prenez garde, l'ami, vous allez me tacher.

 

Quatuor

 

DON CÉSAR, furieux.

Morbleu ! sans la semaine sainte,

Et sans cette maudite crainte,

Par saint Jacques, j'aurais déjà

Puni le drôle que voilà !

 

DON JOSÉ, à don César.

Songez à la semaine sainte !

Un peu de calme et de contrainte ;

Et, croyez-moi, restez-en là

Avec le drôle que voilà !

 

LE CAPITAINE, aux soldats, montrant Lazarille.

Plus de sornettes, plus de plainte,

Et, sans écouter sa complainte,

Il faut régler ce compte-là

Avec le drôle que voilà !

 

LAZARILLE, au capitaine.

Capitaine, entendez ma plainte ;

Je meurs de douleur et de crainte.

Pardonnez-moi ; faites cela

Pour ces bons seigneurs que voilà !

(Tantôt à don César, tantôt au capitaine.)

Cantabile

Si mon désespoir vous semble
Sincère et touchant ;

Ayez pitié d'un enfant

Qui tremble !

Sans soutien et sans appui,
Jeté seul sur terre,

Dans mon ciel jamais n'a lui

Un seul jour prospère.

Plutôt que de souffrir tant

Mieux vaut que je meure...

Ayez pitié d'un enfant

Qui pleure !

 

LE CAPITAINE, aux soldats.

Allons, finissons-en !

 

DON CÉSAR, à part.

Allons finissons-en !

(Il va au capitaine et se découvre.)

Capitaine, des gentilshommes

Braves et francs, tels que nous sommes,

Savent ce que vaut un serment ;

Et j'ai juré, quoi que l'on face,

Que cet enfant aurait sa grâce,

(Avec humilité.)

Et je la demande humblement.


LE CAPITAINE.

Au large, pauvre hère !

Passez votre chemin, on ne peut rien vous faire.

 

DON CÉSAR, furibond, se couvrant.

Je vais vous faire, moi, quelque chose, mon cher !...

Car c'est trop d'insolence, et la mesure est pleine.

(Le toisant.)

Votre embonpoint est riche et puissant, capitaine ;

Le jeûne gâterait ce teint vermeil et clair.

Il n'est, je crois, pour Lucifer,

Carême ni sainte semaine :

Ce soir même, il pourra faire gras en enfer...

Allons, au vent l'épée !

 

DON JOSÉ.

Quelle folle équipée !

 

LE CAPITAINE.

Avec les mendiants se bat-on par hasard ?

 

DON CÉSAR.

Tout l'honneur est pour vous, car j'ai nom don César,

Comte de Garofa, près de Velalcazar.

Ce n'est jamais en vain, monsieur, que l'on me fâche,

Et vous allez vous battre ou vous n'êtes qu'un lâche !

 

LE CAPITAINE.

Partons !

 

DON JOSÉ, à don César.

Vous oubliez l'édit...

 

DON CÉSAR.

Il est trop tard !

 

[ DON CÉSAR.

[ Au diable la semaine sainte !

[ Ah ! morbleu ! c'est trop de contrainte !

[ Je vais régler ce compte-là

[ Avec le drôle que voilà !

[ LE CAPITAINE.

[ Sur le terrain je vais sans crainte,

[ Bientôt la terre sera teinte

[ Du sang de cet impudent-là,

[ Et sous mes coups il périra !

[

[ DON JOSÉ, à don César.

[ Songez à la semaine sainte !

[ Car, si l'ordonnance est enfreinte,

[ C'est de la tête qu'il y va !

[ Laissez le drôle que voilà !

[

[ LAZARILLE, à don César.

[ Songez à la semaine sainte,

[ Mon bon seigneur ; toute ma crainte

[ Est pour vous seul. Laissez cela,

[ Sinon, peut-être, il vous tuera.

(Don César et le capitaine sortent. — Lazarille les suit.)

 

 

SCÈNE VII
DON JOSÉ, puis MARITANA.

 

DON JOSÉ.

Don César est une bonne lame... Je craindrais fort pour son adversaire, s'il m'intéressait le moins du monde.

 

MARITANA, entrant joyeuse.

La reine ! Cette fois encore, j'ai vu la reine. Elle a daigné me sourire !...

 

DON JOSÉ, à part.

La Maritana !... Mettons-nous à l'œuvre !... Qui sait ?... Ce fou de don César travaille peut-être, en ce moment, à l'accomplissement de mes projets ? (Allant à Maritana.) Un mot, belle Maritana...

 

MARITANA.

Vous désirez me parler, monseigneur ?

 

DON JOSÉ.

Oui, des choses les plus graves...

 

MARITANA.

En vérité ?

 

DON JOSÉ.

Maritana, n'êtes-vous pas... un peu... ambitieuse ?

 

MARITANA, avec effroi.

Ambitieuse ?... D'où savez-vous cela ?

 

DON JOSÉ.

Je m'intéresse à vous, mon enfant ; ouvrez-moi franchement votre âme.

 

MARITANA.

Hélas ! monseigneur, vous ne vous êtes pas trompé. Lorsque j'étais enfant, ceux que mes chansons importunaient me jetaient quelque petite monnaie pour se débarrasser de moi. Maintenant que je suis femme, on ne me renvoie plus, on m'écoute... On ne m'écoute pas seulement, on me regarde... On ne me jette plus dédaigneusement un maravédis, on m'offre des réaux, et quelquefois de l'or !

 

DON JOSÉ.

Eh bien ?

 

MARITANA.

Eh bien ! cet or a chassé de mon âme la paix et la sérénité... A présent, je fais des rêves d'ambition et d'orgueil... Ces pièces d'or qu'on me donne, je les compte chaque soir, et je me désespère en songeant combien il en faudrait encore pour payer de riches parures, des joyaux, des pierreries, tout ce que je rêve enfin !

 

DON JOSÉ, à part.

Ambitieuse et coquette ! C'est bien.

 

MARITANA.

Vous riez de ma folie, n'est-il pas vrai, monseigneur ?

 

DON JOSÉ.

Moi ?... Non pas, je vous jure ! Je pense même que tous vos beaux rêves pourraient bien s'accomplir un jour...

 

MARITANA.

Oui, j'ai comme un vague pressentiment… une secrète espérance. Et puis, on s'occupe de moi, on parle de moi dans Madrid... Des personnes du plus haut rang... et il en est une, plus puissante et plus élevée que les autres...

 

DON JOSÉ, à part, frappé de surprise.

Le roi ! (Haut.) De qui donc parlez-vous ?

 

MARITANA.

De la reine !

 

DON JOSÉ, surpris.

La...

 

MARITANA.

La reine qui, plusieurs fois, comme tout à l'heure encore, a fait arrêter son carrosse pour m'entendre chanter, qui a daigné jeter sur moi un regard plein de compassion et de bienveillance, qui a souri à mes chansons joyeuses, qui a pleuré à mes ballades plaintives. (Avec fierté.) Oui, monseigneur, j'ai fait pleurer la reine !... (Bruit au dehors. Tout le peuple entre en scène.)

 

DON JOSÉ.

Silence !

 

 

SCÈNE VIII
MARITANA, DON JOSÉ, LE PEUPLE.

 

Finale

 

LE CHŒUR, entourant Maritana.

Bohème charmante.

Prophétise ou chante ;

Oracle ou chansons,

Nous applaudirons.

 

MARITANA.

Approchez ! de vos destinées

Je vais dévoiler les secrets.

A travers les longues années

Du sort je lirai les arrêts.

(A un jeune soldat.)

Couplets

I

Vous aimez femme jeune et tendre

Qui languit près d'un vieux jaloux ;

Elle vous voit d'un œil fort doux :

Ce soir, la belle doit se rendre...

Un jeune amant peut bien prétendre

Aux droits charmants d'un vieil époux.

Approchez ! de vos destinées, etc.

II

(A un vieillard.)

Vous avez femme jeune et tendre

Dont vous me semblez fort jaloux.

Ce soir, je le dis entre nous :

A tout vous devez vous attendre.

Un jeune amant pourrait prétendre

Aux droits charmants d'un vieil époux.

 

DON JOSÉ, s'avançant.

A mon tour, bohémienne.

 

MARITANA.

Votre main...

 

DON JOSÉ.

Non pas. Donne la tienne.

 

MARITANA.

Pourquoi ?

 

DON JOSÉ.

Donne.

 

MARITANA.

La voici.

 

DON JOSÉ.

Ce que ta voix nous fait connaître

Et nous promet pour l'avenir,

Le hasard seul peut l'accomplir

Si Dieu pourtant veut le permettre.

Mais tout ce que j'ai pu promettre

Je sais moi-même le tenir.

 

MARITANA.

Vous êtes tout puissant ?

 

DON JOSÉ.

Peut-être.

 

MARITANA.

Vous ?

 

DON JOSÉ.

Oui, moi, don José.

 

MARITANA, à part.

Grands dieux !

Don José, le premier ministre !

 

DON JOSÉ.

Si tu veux...

Cantabile

Tous ces biens qu'envie

L'âpre humanité

Feront de ta vie

Un rêve enchanté.

Sans craintes ni peines

A toi les grandeurs,

Coupes toujours pleines

De tous les bonheurs.

 

MARITANA.

Que Votre Excellence m'éclaire...

Pour avoir tout cela, dites, que faut-il faire ?

 

DON JOSÉ.

Rien ou peu de chose...

 

MARITANA.

Pourtant…

 

DON JOSÉ.

Silence, on nous entend !

 

 

SCÈNE IX
LES MÊMES, DON CÉSAR, LAZARILLE, PEUPLE, puis UN ALCADE et SES SOLDATS.

 

DON CÉSAR, essuyant son épée.

C'est fait ! un coup superbe !

Il dort là-bas sur l'herbe,

Percé de part en part !

Et maintenant, César,

Si tu m'en crois, décampe sans retard !

 

UN ALCADE.

Au nom du roi, je vous arrête !

 

DON CÉSAR.

Déjà ?... La police est bien faite.

 

LAZARILLE.

Je ne vous quitte pas.

 

DON CÉSAR.

Messieurs, je suis à vous. (A part.) D'un pareil embarras

Pourrai-je me tirer ? J'en doute !

Maudite soit la route

Qui vers Madrid a ramené mes pas !

 

[ DON CÉSAR.

[ Quoi ! pour un tort que l'on redresse,

[ Pour un peu de sang répandu,

[ Sans nul souci de sa noblesse,

[ Un bon gentilhomme est pendu !

[

[ LES SOLDATS ET LE PEUPLE.

[ Ce gentilhomme le confesse,

[ Contre un soldat il s'est battu ;

[ Malgré son titre et sa noblesse,

[ C'en est fait, il sera pendu.

 

MARITANA, à don José.

Quand tiendrez-vous votre promesse ?

A quand les titres, la richesse ?

 

DON JOSÉ.

Demain !

 

MARITANA.

Demain !

 

DON JOSÉ, à part, regardant don César.

Il est perdu !

(A Maritana.)

Demain, vous serez duchesse !

 

MARITANA.

Demain je serai duchesse !

 

DON CÉSAR.

Demain je serai pendu !

 

 

 

 

 

 

ACTE DEUXIÈME

 

 

L'intérieur d'une forteresse. – Portes latérales. — Au fond, grande baie ouverte, donnant sur un rempart crénelé. — Une horloge.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

DON CÉSAR, LAZARILLE.
(Don César est à moitié couché et dort. — Lazarille est debout près de lui.)

LAZARILLE.

Berceuse
Dors, ami, dors et que les songes

T'apportent leurs riants mensonges

Et te bercent de doux accords ;

Dors, ô mon seul ami, dors... dors !

 

Tandis que lu reposes,

D'un soleil radieux

Les rayons blancs et roses

Semblent se jouer sur tes yeux.

 

Non, la clarté qui dore

Ton front calme et vermeil

Ne saurait être encore

Celle de ton dernier soleil.

 

Dors, ami, dors, et que les songes

T'apportent leurs riants mensonges

Et te bercent de doux accords ;

Dors, ô mon seul ami, dors, dors !

(Il tourne ses regards sur don César.)

En vingt-quatre heures, arrêté, jugé, condamné ! (On entend sonner l'horloge.) Il n'a plus que deux heures à vivre... et il dort !... (Il lui prend la main.)

 

DON CÉSAR, s'éveillant en sursaut.

Hein !... qui m'éveille ?... Ah ! c'est toi, enfant... Maladroit !... tu viens d'interrompre le plus beau songe !... (Avec expansion.) Je rêvais que tous mes créanciers étaient pendus !

 

LAZARILLE.

Quoi !... C'était...

 

DON CÉSAR.

C'était délicieux !... Quelle heure est-il ?... (Lazarille lui montre le cadran.) Que cela ? J'ai encore deux heures d'avenir ! A quoi diable vais-je les employer ?... Lazarille !...

 

LAZARILLE.

Monseigneur ?

 

DON CÉSAR.

Si tu étais condamné à mourir, et que tu eusses encore deux heures devant toi, à quoi les emploierais-tu ?

 

LAZARILLE.

A me confesser de mes péchés, monseigneur.

 

DON CÉSAR.

Deux heures te suffiraient ?... (A part.) C'est si jeune !... (Haut.) Moi, je ne sais pas trop si, vivant soixante ans, j'aurais assez de la seconde partie de ma vie pour raconter la première... Je ne me confesserai donc pas, ce serait trop long... Si je faisais mon testament ?... Non, ce serait trop court. (S'étalant et se prélassant.) Ah ! j'ai largement et amplement vécu, moi... J'ai épuisé, vois-tu, la coupe des voluptés terrestres.

Couplets

Riche, j'ai semé les richesses

A tous les vents, à pleine main,

Sans amour aimant des duchesses,

Buvant sans soif, mangeant sans faim

Il fallait voir l'orgie immense

Où ruisselaient le vin et l'or ;

Longs festins que le soir commence

Et que le jour ranime encor. —

Raconter ce que j'ai pu faire,

Nul jamais n'en viendrait à bout !

Mais ma confession est claire :

J'ai fait... tout !

 

Pauvre, j'ai traîné ma misère

Royalement, sous le ciel bleu,

Chantant toujours, ne dînant guère,

Vivant à la grâce de Dieu.

Parmi les bandits qu'on redoute

J'ai fait parfois d'assez bons coups ;

Avec eux j'ai battu la route

Et j'ai hurlé parmi les loups.

Maintenant, qu'on m'envoie en terre :

Mon roman s'achève fort bien...

Ici-bas qu'ai-je encore à faire ?

Ma foi... rien !

 

LAZARILLE, se jetant à ses genoux.

Et c'est pour moi, pour moi que vous allez mourir !

(Il sanglote en lui baisant les mains.)

 

DON CÉSAR.

Eh bien ! eh bien ! veux-tu ne pas pleurer ? Regarde, tu as chiffonné mes manchettes !

 

LAZARILLE, avec rage.

Et personne !... pas un ami... pas un parent, n'est allé tomber aux pieds de monseigneur le roi et demander votre grâce !

 

DON CÉSAR, sévèrement.

Lazarille, tu calomnies l'humanité ! (Avec émotion.) Si fait, Lazarille ; un homme, un vieillard… s'est allé porter sur le passage du roi... s'est jeté sous les roues du carrosse... a tendu ses mains tremblantes, et, tandis que des larmes éloquentes sillonnaient son visage, a crié à travers ses sanglots : « Grâce ! grâce pour don César ! »

 

LAZARILLE, avec élan.

Ah ! c'était le vieux comte de Bazan !... C'était votre père !

 

DON CÉSAR, froidement.

C'était mon plus gros créancier... Quant à mes autres fidèles amis, cela leur eût fait tant de peine de me voir ici, que pas un n'est venu.

 

DON JOSÉ, qui vient d'entrer.

Excepté moi !

 

DON CÉSAR, se levant.

Don José ! (Sur un geste de don José, Lazarille sort.)

 

 

SCÈNE II

DON CÉSAR, DON JOSÉ.

 

DON CÉSAR.

Vous ! dans ma prison !

 

DON JOSÉ.

Ne me faites pas l'injure d'en être surpris... les amis sincères et vrais sont ceux qui persistent jusqu'au dernier moment... Votre main !

 

DON CÉSAR.

Comment donc ! Après ces affectueuses paroles. (A part.) Il a quelque tour pendable à me jouer.

 

DON JOSÉ.

Je viens d'apprendre la fin de votre malheureuse aventure. C'était, pardieu ! bien la peine de vous donner de bons conseils... Vous n'avez plus que deux heures à vivre.

 

DON CÉSAR.

Vous vous trompez... une heure trois quarts. (Il montre le cadran.)

 

DON JOSÉ, souriant.

C'est compter juste.

 

DON CÉSAR.

La vie est si courte !

 

DON JOSÉ.

La vôtre cependant sera encore assez longue pour ce que j'ai à vous dire... Tenez, asseyons-nous et causons !

 

DON CÉSAR.

Causons, et le plus lentement possible... je ne sais que faire de mon temps...

 

DON JOSÉ.

Eh ! je vous apporte peut-être de quoi l'occuper... (Elevant la voix.) Don César ?...

 

DON CÉSAR.

Don José !

 

DON JOSÉ.

Mettez-vous un instant en tête que je suis tout puissant dans ce pays... que je suis... ou le premier ministre de notre seigneur le roi, ou une bonne fée, à la baguette magique, à votre choix....

 

DON CÉSAR, le regardant.

Je choisis le ministre... franchement, vous n'avez guère la mine d'une bonne fée... et il y a un peu du ministre dans votre regard.

 

DON JOSÉ.

Vous me flattez... Eh bien, donc, moi, ministre ou fée, je vous dis ceci : Tout homme, dans votre position... délicate, a toujours je ne sais quels regrets, quels désirs qui troublent ses dernières heures... Parlez, confiez-vous à un ami... je jure, si vous acceptez mes conditions, de vous accorder quoi que vous demandiez... (Vivement.) sauf, bien entendu, la vie.

 

DON CÉSAR, avec reproche.

Ah ! pouvez-vous me croire assez indiscret pour vous demander de ces choses-là !

 

DON JOSÉ.

Eh bien ?

 

DON CÉSAR.

Eh bien ! je ne regrette et ne désire absolument rien.

 

DON JOSÉ, à part.

Diable !

 

DON CÉSAR.

Ah ! cependant... attendez !... Vous avez dû voir ici, en entrant, un jeune homme, un enfant...

 

DON JOSÉ.

Celui pour qui vous avez eu cette querelle ?... celui qui cause votre mort ?

 

DON CÉSAR.

Oui, je lui dois cela, à ce petit… Je dois quelque chose à tant de gens !... et vraiment il m'intéresse... Je ne veux pas qu'il continue à souffrir, quand je ne serai plus là pour tuer messieurs les capitaines... Faites quelque chose pour cet enfant.

 

DON JOSÉ.

N'est-ce que cela ?... Je le prends à mon service, je me charge de son avenir.

 

DON CÉSAR.

Merci !

 

DON JOSÉ.

Mais vous me demandez là bien peu. Avez-vous quelque autre désir ?... Cherchez.

 

DON CÉSAR.

Ma foi... je ne trouve rien.

 

DON JOSÉ, à part.

Je n'aurai pas son consentement à si bon marché. (Haut.) Tenez, je vous viens en aide... Don César, vous avez dû, dans vos nombreux voyages, assister à de curieux spectacles. (L'observant.) Vous est-il arrivé de voir pendre un homme ?

 

DON CÉSAR, devenant pensif.

Oui... j'ai vu cela... j'en ai vu perdre trois… et j'ai ri de tous les trois !... Mon Dieu oui, j'en ai ri !...

 

DON JOSÉ.

Vous vous repentez de ce mouvement peu charitable ?

 

DON CÉSAR.

Moi ?... Ma foi, non... Je me dis seulement : Je ne ferai pas en l'air meilleure figure qu'eux... et si j'ai ri de ceux-là, d'autres vont rire de moi. (S'animant peu à peu.) Pendu !... Mais c'est infâme !... Jamais, dans toutes les Espagnes, on n'a pendu un gentilhomme !... Qu'on pende un manant !... qu'on pende un alcade !... qu'on pende mes créanciers !... Cela leur revient... Mais don César, le dernier des Bazan et des comtes de Garofa !... Mais c'est plus qu'une mort honteuse !... c'est une mort ridicule, grotesque !... Allons donc ! est-ce que je veux de cela ?... Qu'on me place debout, la tête haute, en face de douze soldats, aux arquebuses bien chargées, que douze balles de plomb me jettent mort, le crâne et la poitrine fracassés... à la bonne heure ! C'est ainsi que doit mourir un gentilhomme !

 

DON JOSÉ.

Et c'est ainsi que vous mourrez.

 

DON CÉSAR, vivement.

Vraiment ?... Vous me le jurez ?

 

DON JOSÉ.

Sur mon honneur !

 

DON CÉSAR.

Ah ! je renais, je respire ! Douze braves soldats du roi, qui m'enverront la mort, comme je la recevrai, résolument et gaiement !... Je veux les voir, leur serrer la main, je veux boire avec eux !...

 

DON JOSÉ.

Boire avec des soldats, vous, comte de Garofa !

 

DON CÉSAR.

Bah ! j'ai bien dérogé avec des muletiers et des bandits !... Et puis, franchement, tout Garofa que je suis, si je vaux un peu mieux qu'eux maintenant, ils vaudront beaucoup mieux que moi tout à l'heure.

 

DON JOSÉ.

Soit... Il vous sera servi un repas somptueux, qui vous rappellera vos prospérités passées... Est-ce là tout ?

 

DON CÉSAR.

C'est tout... Mais, parbleu ! maintenant je suis curieux d'apprendre ce que vous pouvez avoir à me demander ! Voyons, j'ai fait mes conditions, faites les vôtres. Pour que je meure content, pour que cet enfant soit heureux et pour que je ne sois pas pendu... qu'exigez-vous ?

 

DON JOSÉ.

Très peu de chose.

 

DON CÉSAR.

Si peu que cela !

 

DON JOSÉ.

Il faut tout simplement vous marier !

 

Duo

 

DON CÉSAR.

Me marier ! Dieu puissant ! Pourquoi faire ?
Dites-moi donc un peu pourquoi ?

 

DON JOSÉ.

Je ne le puis, c'est un mystère !

 

DON CÉSAR.

Morbleu ! vous vous moquez de moi.

C'est peut-être plaisant, mais ce n'est pas fort brave.

 

DON JOSÉ.

Non, jamais je ne fus plus grave.

 

DON CÉSAR, à part.

Je voudrais bien savoir

Quelle est l'infortunée

Qui peut ainsi vouloir

D'un semblable hyménée. —

Convoiterait-elle mon bien ?

Mais, sauf mes dettes, je n'ai rien !

Rien que mon nom... Mon nom... Dieu quelle idée !

C'est cela qui l'a décidée !

(A don José.)

C'est à mon titre qu'on en veut...

 

DON JOSÉ.

Je ne sais, il se peut...

 

DON CÉSAR.

Puisqu'elle tient à la noblesse,

Eh bien ! qu'elle soit donc comtesse.

 

[ DON CÉSAR.

[ Marié !

[ Fusillé !

[ Le diable m'emporte

[ Si jamais

[ Je croyais

[ Finir de la sorte !

[ Un hymen !

[ Un amen !

[ Puis, l'on m'expédie.

[ O destin !

[ Quelle fin

[ Digne de ma vie !

[

[ DON JOSÉ, à part.

[ Marié !

[ Fusillé !

[ C'est bien de la sorte.

[ Mes projets

[ Sont parfaits :

[ Enfin je l'emporte !

[ Un hymen !

[ Un amen !

[ Vite on l'expédie ;

[ Et demain

[ Sous ma main

[ Il faut que tout plie.

 

DON CÉSAR.

Ma fiancée est-elle au moins jeune et jolie ?

 

DON JOSÉ.

Je l'ignore.

 

DON CÉSAR.

Si c'est ainsi,

Mon très cher, je la vois d'ici :

Une duègne à mines dolentes

Sur qui neigent cinquante hivers,

Cheveux absents et dents branlantes,

Front creusé de sillons divers.

N'est-ce pas son portrait, mon maître ?

 

DON JOSÉ.

Il se peut.

 

DON CÉSAR.

Eh bien, franchement,

N'espérez point que j'aille mettre

Mon nom sur... ce vieux monument.

 

DON JOSÉ.

Vous refusez ?

 

DON CÉSAR.

Absolument.

 

DON JOSÉ.

Alors pendu !...

 

DON CÉSAR, à part.

Diable !... il faut que je meure

Dans mue heure.

C'est avant la nuit... je consens ;

Et, sans y regarder, je prends...

REPRISE.

La duègne et ses mines dolentes,

Et son front aux sillons divers ;

Les faux cheveux, les dents branlantes,

Et de plus les cinquante hivers.

 

DON JOSÉ.

Vous ne la verrez point ; elle sera voilée ;

Elle-même ne verra pas

Sur quel beau cavalier va s'appuyer son bras.

 

DON CÉSAR.

Ah ! j'en ai l'âme consolée !

Car si mes traits encor gardent quelque fraîcheur,

Pour mon habit, c'est autre chose :

Il tombe de fatigue.

 

DON JOSÉ, montrant la porte de gauche.

Il faut qu'il se repose...

Entrez là : tout est prêt. D'un riche et beau seigneur

Vous allez retrouver la grâce et la splendeur.

 

DON CÉSAR.

Ah ! c'est royal ! ma dernière heure

Est la plus belle et la meilleure.

 

[ DON CÉSAR.

[ Marié !

[ Fusillé !

[ Le diable m'emporte

[ Si jamais

[ Je croyais

[ Finir de la sorte !

[ Un hymen !

[ Un amen !

[ Puis, l'on m'expédie.

[ O destin !

[ Quelle fin

[ Digne de ma vie !

[

[ DON JOSÉ, à part.

[ Marié !

[ Fusillé !

[ C'est bien de la sorte.

[ Mes projets

[ Sont parfaits :

[ Enfin je l'emporte !

[ Un hymen !

[ Un amen !

[ Vite on l'expédie ;

[ Et demain

[ Sous ma main

[ Il faut que tout plie.

(Don César sort par la gauche.)

 

 

SCÈNE III

DON JOSÉ, puis PÉRÈS.


DON JOSÉ, regardant sortir don César.

Il faut des hommes comme cela... Quand on croit qu'ils ne sont plus bons à rien, il y a encore quelque chose à en faire : on les marie. (Il appelle.) Pérès !

 

PÉRÈS, entrant.

Monseigneur ?...

 

DON JOSÉ.

Qu'on apporte une table richement servie.

 

PÉRÈS.

Oui, monseigneur. (Il va pour sortir.)

 

DON JOSÉ.

Ah !... envoie-moi Lazarille... un enfant qui habite cette forteresse. Va et sois prompt. (Pérès sort. — Triomphant.) Eh bien ! la belle Maritana, ma prédiction va s'accomplir... Entre le roi d'Espagne et toi, humble chanteuse des rues, il n'y a plus que l'épaisseur d'un gentilhomme ruiné… et tout à l'heure, il n'y aura plus rien. Ah ! tu t'es montrée plus rétive que lui... Il a fallu te dire : « La reine », quand je pensais : « Le roi... » Il t'a fallu des explications sur tout. Pourquoi ce mystère ?... pourquoi ce voile et cette prison ?... pourquoi ce mari qui disparaît et qu'on ne reverra que dans des temps meilleurs?... Enfin, le nom de la reine nous a fait raison de tes scrupules et tu te laisses faire comtesse... Grand merci, la belle !

 

 

SCÈNE IV

DON JOSÉ, LAZARILLE.

 

LAZARILLE, entrant.

Monseigneur m'a fait appeler ?...

 

DON JOSÉ.

Oui... Approche, mon enfant... Tes parents ?...

 

LAZARILLE.

Je n'en ai pas, monseigneur...

 

DON JOSÉ.

Tes amis ?...

 

LAZARILLE,

Un seul... qui s'est intéressé à moi, hier, et qui va mourir... aujourd'hui.

 

DON JOSÉ.

Don César, n'est-ce pas ?... En effet, il t'aime ; et c'est à sa recommandation que je me charge de ton avenir.

 

LAZARILLE.

Eh quoi !... Votre Excellence daignerait...

 

DON JOSÉ.

Dès à présent, je t'attache à mon service.

 

LAZARILLE.

A présent ?... Pardon, monseigneur, mais c'est dans quelques instants que don César va mourir... mourir pour moi... et j'aurais voulu être le dernier à lui serrer la main, le premier à prier pour lui.

 

DON JOSÉ, à part.

Un cœur généreux !... J'ai besoin de quelqu'un en qui je puisse me fier... (Haut.) C'est bien, Lazarille ; demain seulement, tu feras partie de ma maison.

 

LAZARILLE.

Et dès demain, monseigneur, je vous serai tout dévoué, comme je l'aurais été à don César lui-même.

 

DON JOSÉ.

J'y compte... Fais monter les arquebusiers. (Lazarille salue et sort.)

 

 

SCÈNE V

 

DON JOSÉ, seul, tirant des papiers de sa poche.

A mon rôle politique, maintenant !... (S'asseyait et lisant.) « Nous, Charles II, etc..., faisons grâce pleine et entière à don César de Bazan, comte de Garofa... » Il ne manque plus à cela que la signature royale. (Serrant les papiers.) L'admirable comédie !... Il faut bien que ce pauvre Charles II soit béni quelquefois... Dès qu'un de ses sujets, gentilhomme ou manant, est condamné à mort, le cœur du bon roi s'émeut... Par nos conseils... il signe, avec des larmes de joie, toujours conseillées par nous, la grâce du coupable ; mais, par un hasard, une fatalité inexplicable... que nous avons préparée d'avance... la grâce arrive toujours une heure trop tard.... C'est un malheur. La sentence de don César doit être exécutée à sept heures... la grâce de don César arrivera à huit heures... don César mourra... mais Sa Majesté très catholique sera bénie.

 

PÉRÈS.

Monseigneur, voici les arquebusiers. (Il va au fond, fait un signe ; des valets apportent une table richement servie. — Des soldats entrent d'un autre côté. Don César reparaît magnifiquement vêtu.)

 

DON JOSÉ, à don César.

Voici le festin et voici les convives. (Il sort suivi de Lazarille.)

 

 

SCÈNE VI

DON CÉSAR, LES SOLDATS.

 

DON CÉSAR.

A boire, amis, je vous invite ;

Le temps est prompt, jouissons-en !

La vie est courte, buvons vite :

A la comtesse de Bazan !

 

LES SOLDATS.

Amis, ce seigneur nous invite ;

Le vin est vieux, profitons-en !

La vie est courte, buvons vite :

A la comtesse de Bazan !

 

DON CÉSAR.

Allons, compagnons, prenons place.

Treize à table !... Ne craignez rien.

Celui que l'augure menace,

Parbleu ! je le connais trop bien !

Chantons ! pour égayer la fête,

Je veux qu'avec moi l'on répète

La nouvelle chanson de mon ami de cœur,

Matalobos, le voleur !

 

Refrain

Piller, voler et prendre,

Garder sans jamais rendre,

C'est acquérir

Et s'enrichir

Avec plaisir.

Morbleu ! les biens des autres

Ne sont-ils pas les nôtres ?

Pillons, amis,

Volons, bandits :

Autant de pris !

(Reprise par le Chœur.)

 

DON CÉSAR.

I

La femme qui, libre, se donne

Et qui n'appartient à personne,

N'est certes pas à mépriser :

C'est toujours bien bon, un baiser...

Mais vive celle que l'on vole !

C'est la seule, sur ma parole,

Dont l'amour soit vraiment divin.

Vive la femme du voisin !

 

LE CHŒUR.

Vive la femme du voisin !

 

DON CÉSAR.

Piller, voler et prendre,

Garder sans jamais rendre,

C'est acquérir,

Et s'enrichir

Avec plaisir.

Morbleu ! les biens des autres

Ne sont-ils pas les nôtres ?

Pillons, amis,

Volons, bandits :

Autant de pris !

 

II

Jouer son or et ses domaines,

Manger ses prés, boire ses plaines,

C'est beau ; mais le charme inouï

Est de manger le bien d'autrui.

Le vin qu'on paye est bon sans doute,

Mais combien vaut mieux une goutte

De celui qu'on vole au prochain

Vive la treille du voisin !

 

LE CHŒUR.

Vive la treille du voisin !

 

DON CÉSAR.

Piller, voler et prendre,

Garder sans jamais rendre,

C'est acquérir,

Et s'enrichir

Avec plaisir.

Morbleu ! les biens des autres

Ne sont-ils pas les nôtres ?

Pillons, amis,

Volons, bandits :

Autant de pris !

(Reprise par le Chœur.)

 

LES SOLDATS, se levant.

Monseigneur !... monseigneur !... les juges...

 

DON CÉSAR, fort calme.

C'est pour moi...

Laissez entrer la justice du roi !

 

 

SCÈNE VII

LES MÊMES, LES JUGES. Ils entrent solennellement, et l'un d'eux donne à don César lecture de l'arrêt.

 

UN DES JUGES, lisant.

De par notre seigneur le roi Charles deuxième, à don César de Bazan, comte de Garofa, condamné à mort, il est fait grâce de la corde. — Douze arquebuses, chargées, seront bénies et laissées à la surveillance de l'armurier des gardes ou de son aide, — et justice sera faite. La nuit venue, le corps sera relevé par les moines de San-Rafaël, qui lui rendront les honneurs dus à un grand d'Espagne et à un chrétien.

« Ainsi soit fait.

« CHARLES, roi. »

 

DON CÉSAR, dès qu'ils sont sortis, gaiement et comme si rien de tout cela n'était arrivé. — Parlé.

Troisième couplet !

 

III

Bientôt, dans les profondeurs sombres

Où vont jeûner nos pauvres ombres,

Je vais descendre sans regrets,

Content des bons tours que j'ai faits.

Mais à Satan, qui la réclame,

Si je pouvais voler mon âme,

Pour la ramener où l'on boit,

Ce serait mon plus bel exploit !

 

LE CHŒUR.

Oui, ce serait un bel exploit !

 

DON CÉSAR.

Piller, voler et prendre,

Garder sans jamais rendre,

C'est acquérir,

Et s'enrichir

Avec plaisir.

Morbleu ! les biens des autres

Ne sont-ils pas les nôtres ?

Pillons, amis,

Volons, bandits :

Autant de pris !

(Reprise par le Chœur.) 

(On entend les sons de l'orgue. — Musique à l'orchestre qui s'enchaîne avec la suite du morceau.)

 

DON CÉSAR, remontant.

Ma femme !... (Aux soldats.) La comtesse !... (Les arquebusiers quittent la table et se rangent au fond.)

 

 

SCÈNE VIII

DON CÉSAR, DON JOSÉ, MARITANA, le visage couvert d'un voile épais, et amenée par Don José ; LES SOLDATS, PLUSIEURS DAMES et SEIGNEURS.

 

DON JOSÉ, bas à don César.

Pas un mot ! pas un regard !...

 

DON CÉSAR.

Pas un regard ?... A quoi bon ?... (Montrant le voile.) Ce n'est pas un voile, cela, c'est une cloison.

 

DON JOSÉ, haut.

Don César... la main à la senora !

 

DON CÉSAR, à part.

La main !... Oh ! je saurai bien, au contact d'une main ve­loutée ou rugueuse... (S'approchant et cherchant à distinguer le visage à travers le voile.) Jamais je n’ai vu de femme si calfeutrée... Allons ! (Il regarde le cadran. — A part.) Moins dix !... Bah ! soyons galant... une dernière fois !...

Madrigal

En vous je vais placer, madame,

Tout l'espoir de mon avenir.

De votre seul amour mon âme

Jusqu’à la mort va se remplir.

Ma pensée à la vôtre unie

Aura pour loi votre désir.

A vous mon cœur, à vous ma vie,
Jusqu'au dernier soupir.

(Parlé, à part.) Je ne me compromets pas ! (Tout le monde sort, en même temps que paraît Lazarille au fond.)

 

 

SCÈNE IX

 

LAZARILLE, seul.

L'instant est venu... l'instant suprême où doit finir sa vie, à lui, le seul homme qui se soit intéressé au pauvre Lazarille ! Hélas ! je suis né pour être toujours malheureux !... Pour la première fois, j'ai rencontré un ami, et ils vont l'envoyer à la mort !...

 

Cœur loyal, âme forte,

Va sourire au trépas !

Si le roi veut, qu'importe !

Moi je ne veux pas !

I

O toi dont le bras intrépide

Couvrit mon front timide,

O toi qui t'émus de pitié

Pour le pauvre oublié,

A l'heure du danger suprême

Je t'abandonnerais !

Toi qui m'as sauvé, toi que j'aime,

Pour moi tu périrais !

II

Toutes les puissances humaines,
Les intrigues, les haines,

Peuvent s'unir pour t'écraser,
Je saurai les briser.

Dieu rend parfois, dans sa justice,

Le faible triomphant,

Et pour t'arracher au supplice

C'est assez d'un enfant !

Cœur loyal, âme forte,

Va sourire au trépas !

Si le roi veut, qu'importe !

Moi je ne veux pas !

(On entend de nouveau le bruit des cloches.)

La cérémonie est achevée, les voilà qui se dirigent de ce côté... Vite, à mon poste, et que le ciel me protège ! (Il sort d'un côté en même temps que don José, Maritana et leur suite rentrent de l'autre.)

 

 

SCÈNE X

DON JOSÉ, MARITANA, PLUSIEURS DAMES et SEIGNEURS, VALETS.

 

DON JOSÉ, aux laquais.

Faites prévenir les pages de madame la comtesse de Bazan.

 

MARITANA, étonnée.

Mes pages !

 

DON JOSÉ.

Votre carrosse vous conduira chez vous, madame la comt­esse... à votre palais de San-Fernando.

 

MARITANA.

Mon palais !... Mais lui, le comte… mon mari ?...

 

DON JOSÉ.

Votre mari ?... (On entend une décharge de mousqueterie.)

 

Finale

 

MARITANA.

Grand Dieu ! quel est ce bruit ?

 

DON JOSÉ.

Dissipez vos alarmes ;

Quelque pauvre soldat qu'on passe par les armes.

 

MARITANA.

Où donc m'entraînez-vous, seigneur ?

 

DON JOSÉ.

A la fortune, à la grandeur.

 

Quatuor

 

[ MARITANA.

[ Autour de moi tout est ténèbres,

[ Et mon cœur de crainte est saisi ;

[ Je ne vois qu'images funèbres :

[ Où donc m'entraîne-t-on ainsi ?

[  

[ DON JOSÉ, à part.

[ Son esprit est plein de ténèbres,

[ Et son cœur de crainte est saisi ;

[ A travers mes projets funèbres,

[ Seul je sais où je marche ainsi.

[  

[ LES DAMES et LES SEIGNEURS.

[ O mystère plein de ténèbres !

[ Que veut bien dire tout ceci ?

[ Quoi, dans ces demeures funèbres,

[ Un mariage est accompli !

 

DON JOSÉ.

Je tiendrai toutes les promesses

Qu'hier même je te faisais :

A toi les titres, les richesses,

Et les villas et les palais.

 

[ MARITANA.

[ Autour de moi tout est ténèbres,

[ Et mon cœur de crainte est saisi ;

[ Je ne vois qu'images funèbres :

[ Où donc m'entraîne-t-on ainsi ?

[  

[ DON JOSÉ, à part.

[ Son esprit est plein de ténèbres,

[ Et son cœur de crainte est saisi ;

[ A travers mes projets funèbres,

[ Seul je sais où je marche ainsi.

[  

[ LES DAMES et LES SEIGNEURS.

[ O mystère plein de ténèbres !

[ Que veut bien dire tout ceci ?

[ Quoi, dans ces demeures funèbres,

[ Un mariage est accompli !

(Don José sort avec Maritana, suivis des seigneurs et des dames. La nuit est venue graduellement.)

 

 

SCÈNE XI

DON CÉSAR, LAZARILLE.

La porte à droite s'entr'ouvre, et Lazarille paraît à demi. — Nuit. — Musique a l'orchestre.

 

LAZARILLE.

Personne !... (Il va regarder au fond. — Cri lointain : Sentinelles, veillez ! — Bas à don César qui paraît.) Fuyez !... Cette clef ouvre la poterne... hâtez-vous !...

 

DON CÉSAR, chancelant comme un homme ivre, et se frottant les yeux.

Ah çà ! ce n'est pas un rêve !... Je suis vivant !... (A Lazarille.) Je n'ai donc pas entendu les balles siffler à mon oreille ?

 

LAZARILLE, bas.

Impossible !... Les voici toutes !...

 

DON CÉSAR.

Comment ?

 

LAZARILLE.

Le gardien des arquebuses, c'était moi !... Moi, qui vous ai dit : « Tombez et ne bougez pas ! »

 

DON CÉSAR, prenant les balles.

Douze !... Le compte y est. (Les mettant dans sa poche.) Allons ! j'aime mieux les avoir dans ma poche que dans ma poitrine.


LAZARILLE, vivement et l'entraînant.

Partez !... Quittez Madrid !...

 

DON CÉSAR, franchissant le rempart.

Adieu !... (Au moment de disparaître et comme par réminiscence.) Tiens ! mais, maintenant que je suis mort, je n'ai plus de créanciers ! (Nouveau cri : Sentinelles, veillez !... Ils se baissent tous deux. Reparaissant.) Ah ! diable !... mais je suis marié !... (Il disparaît.)

 

LAZARILLE, s'élance et dit à voix basse.

Allez, et que Dieu vous conduise !

 

DON CÉSAR, au loin.

Pauvre, j'ai traîné ma misère,

Royalement, sous le ciel bleu...

 

 

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME

 

1er Tableau

 

 

Une villa. — Un pavillon d'été au milieu d’un jardin.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

MARITANA, LAZARILLE, DON JOSÉ, FÊTES, DANSES.
Au fond, GROUPES D'INVITÉS circulant sur la terrasse.

 

CHŒUR dans la coulisse.
 

MARITANA.

Récitatif

Cette splendeur, qui devant moi déroule

Son luxe éblouissant et ses bruyants plaisirs,

Me laisse triste et froide. Et parmi cette foule

Je me sens seule, hélas ! Ainsi déjà s'écroule

Mon beau rêve rempli d'espoir et de désirs.

Romance

I

Je sais qu'il est une âme

Qui de la mienne est sœur ;

Je sais qu'il est un cœur

Qu'en vain le mien réclame.

Pour ce cher inconnu

Dont le sort me sépare,

Quels trésors je prépare !

Ah ! que n'est-il venu !

(Reprise du chœur dans la coulisse.)

 

MARITANA.

II

Il n'aura qu'à paraître ;

Mon regard ébloui

Et mon cœur plein de lui

Sauront le reconnaître.

Loin de lui, c'est l'exil,

La souffrance éternelle ;

Ma tendresse l'appelle :

Ah ! quand donc viendra-t-il ?

 

DON JOSÉ, qui a écouté les derniers mots.

Votre mari, madame, don César de Bazan, viendra aujourd'hui même.

 

MARITANA.

Aujourd'hui !...

 

DON JOSÉ.

Il est près d'ici, et vous le verrez bientôt...

 

MARITANA.

Parlez, expliquez-vous, de grâce !

 

DON JOSÉ.

Éloignons d'abord tout ce monde, et vous ne tarderez pas à le voir paraître.

 

MARITANA.

Le voir... le voir enfin !... (Elle remonte vers le fond et congédie ses invités. — Don José fait un signe à Lazarille.)

 

LAZARILLE.

Monseigneur a besoin de mes services ?

 

DON JOSÉ.

Hier, au palais de l'Escurial, où tu m'avais suivi, une personne s'est approchée de moi, et m'a dit : Soyez le bienvenu, don José de Santarem... Tu pourrais, au besoin, te rappeler son visage ?

 

LAZARILLE.

Si je le pourrais !... Un visage et un nom qui se trouvent sur la monnaie de toutes les Espagnes...

 

DON JOSÉ.

Silence !... Tu te rappelleras ce visage, et tu oublieras ce nom... Tout à l'heure, quand tout ce monde aura quitté le palais, cette personne est la seule qu'on y laissera pénétrer.

 

LAZARILLE.

Si quelque autre se présente ?...

 

DON JOSÉ.

Tu refuseras d'ouvrir. Si l'on insiste, si l'on te menace, tu as une arquebuse...

 

LAZARILLE.

Et je sais m'en servir.

 

DON JOSÉ.

C'est bien... Va, laisse-moi. (Lazarille s'éloigne.)

 

MARITANA, revenant en scène.

Maintenant, nous sommes seuls... expliquez-vous enfin... Mon mari ?...

 

DON JOSÉ.

Il est ici... près de vous...

 

MARITANA.

Ici !...

 

DON JOSÉ.

Mais, forcé de se cacher à tous les yeux, tant qu'une con­damnation terrible pèsera sur lui... C'est pour vous seule qu'il revient !

 

MARITANA, vivement.

Ah ! nous lui trouverons un asile !... Mais où est-il donc ?


DON JOSÉ.

Le voici !... (Le roi paraît.)

 

MARITANA, reculant à sa vue, avec un cri étouffé.

Mon Dieu !...

 

LE ROI, s'avançant, et d'une voix troublée.

Madame !... Maritana !... Me reconnaissez-vous ? (Don José remonte vers le fond comme pour s'assurer que personne ne vient, puis il disparaît.)

 

 

SCÈNE II

MARITANA, LE ROI.

 

MARITANA, à part et comme brisée.

Lui ! C'était lui !... dont l'aspect me glaçait autrefois !...

 

LE ROI.

Reconnaissez-vous l'homme dont le regard vous poursuivait en tous lieux, quand vous chantiez, pour le peuple, sur les places de Madrid ?

 

MARITANA, avec effort.

Je vous reconnais, monseigneur !

 

LE ROI, s'oubliant.

C'est que je vous aimais tant, Maritana ! C'est que mon bonheur et ma joie n'étaient plus que là où vous étiez ! Oh ! il fallait que la distance fût franchie entre vous et moi, il fallait que nous fussions pauvres tous deux, ou tous deux riches et nobles. C'est pour cela que j'ai voulu...

 

MARITANA.

Me donner votre nom ?...

 

LE ROI, se calmant.

Mon nom... Oui, j'ai voulu vous donner mon nom. Et maintenant, chère Maritana... (Il s'approche d'elle, qui se recule vivement.) Pourquoi vous éloigner de moi ?

 

MARITANA.

Pardon, monseigneur, c'est que…

 

LE ROI.
Comme vous êtes pâle !... (Il lui prend la main qu'elle retire.)


MARITANA, avec effroi.

Monseigneur !...

 

LE ROI.

Qu'est-ce donc, madame ?...

 

MARITANA.

Oui, je suis en effet bien troublée... bien émue... mais ce trouble, cette émotion doivent-ils vous surprendre ?... Notre mariage a été si bizarre… si étrange... Pardonnez-moi donc ce que j'éprouve ici, et l'aveu que je vais vous faire... (Avec effort.) Monsieur le comte, j'ai peur de vous !...

 

LE ROI.

Peur de moi, Maritana... Peur de l'époux le plus dévoué, le plus tendre ?

Cavatine

Que de ta lèvre en fleur

Sur moi tombe un sourire,

Qu'un seul instant j'aspire

Ton souffle et sa fraîcheur,

Que tes yeux soient sans voiles,

Que ton regard soit pur :

Ma nuit se remplira d'étoiles,

Mes jours se rempliront d'azur.
O Maritana ! laisse, laisse

Sur ton beau front ma bouche se poser ;

Je veux goûter l'ivresse

De ton premier baiser.

 

MARITANA, se défendant.

Au nom du ciel, monsieur le comte...

 

LE ROI, avec colère.

Ah ! je comprends tout, madame, peut-être un rival !... Mais non !... vous êtes à moi, à moi... Votre mari...

 

MARITANA.

Oui, vous avez raison, monsieur le comte... A vous de commander... à moi d'obéir... vous êtes mon seigneur et maître ! (Elle s'incline et sort.)

 

 

SCÈNE III

LE ROI, puis DON CÉSAR.

 

LE ROI.

Enfin !... elle est à moi !... Par amour ou par crainte... heureuse ou résignée... elle est à moi !... (Il va pour suivre Maritana. Ou entend un coup de feu et don César entre.) Un homme ! (Il remonte le théâtre, tandis que César redescend et ne le voit pas.)


DON CÉSAR.

Vilaine façon de recevoir les gens !... Qui diable a pu me faire ce chaleureux accueil ?...

(Le roi redescend la scène, en observant don César.)

 

LAZARILLE, paraissant au fond, une arquebuse à la main.

Don César !... C'était Don César !... (Il disparaît.)

 

DON CÉSAR.

Hein ?... (Il se retourne et aperçoit le roi.) Pardon, monsieur, je n'avais pas l'honneur de vous apercevoir !

 

LE ROI.

D'où vient, monsieur, que vous entriez ici... et que désirez-vous ?

 

DON CÉSAR.

Ah ! si vous voulez finir vite, ne me demandez pas ce que je désire...

 

LE ROI.

Mais enfin, le motif ?

 

DON CÉSAR.

Le motif, je vais vous le dire. Hier, à mon retour d'un lointain voyage, j'étais attablé entre un spadassin et un aventurier, quand vint à passer un carrosse, dans lequel se trouvait une femme adorable ! J'admirais, sans parler, absorbé dans ma contemplation, quand un de mes compagnons me dit : « Vous qui êtes gentilhomme, connaissez-vous ces ar­moiries ? » Je regarde !... C'étaient les armoiries des Bazan. « Quelle est cette femme ? m'écriai-je alors. — La comtesse de Bazan, me dit-on !... Elle habite le palais de San-Fernando. » J'ai voulu revoir cette femme, et je suis venu. J'ai frappé à la porte, on a refusé de m'ouvrir... comme je tenais à entrer, j'ai franchi une muraille... et l'on a tiré sur moi... Sainte hospitalité, voilà comme on t'exerce !... (Il ôte son chapeau, une balle tombe.) Tiens, la balle a percé mon chapeau !...

 

LE ROI, s'emportant.

Mais de quel droit pénétrez-vous ici ?

 

DON CÉSAR.

Pardon !... Si j'avais eu des droits, je les aurais fait valoir avant qu'on fît feu sur moi... Je demande à voir cette dame, voilà tout...

 

LE ROI, brusquement.

Je ne veux pas que vous la voyiez !...

 

DON CÉSAR.

Comment !... Vous êtes donc ?...

 

LE ROI.

Le maître de ce logis...

 

DON CÉSAR.

De ce logis... où se trouve la comtesse de Bazan ?... mais, si elle habite ici, si cette demeure est la vôtre... qui êtes-vous ?

 

LE ROI, avec hauteur.

Je suis... (Dirigeant ses regards vers la porte de Maritana.) Je suis le comte de Bazan. (Il s’assied.)

 

DON CÉSAR, ébahi.

Le... le comte de Bazan ?... (A part.) Ah çà ! mais, ma famille brave la mort bien mieux que le phénix !... car on n'a tué qu'un Bazan, et en voilà deux qui renaissent de sa cendre !

 

LE ROI.

Voyons, monsieur, je vous ai dit qui je suis.,. A votre tour de me dire qui vous êtes.

 

DON CÉSAR, à part.

Parbleu ! voilà un effronté menteur, et je veux... (Lazarille paraît à droite.)

 

LAZARILLE, bas.

Chut !

 

DON CÉSAR, bas.

Lazarille !

 

LAZARILLE, de même.

C'est le roi ! (Il disparaît.)

 

DON CÉSAR, ôtant son chapeau.

Le... le roi ici !... à cette heure !... Et ma femme ?... Ah ! je comprends tout !...

 

LE ROI.

Répondrez-vous enfin ?... Qui êtes-vous ?

 

DON CÉSAR.

Qui... je suis ?...

 

LE ROI.

Vous hésitez... Cette question vous embarrasse ?

 

DON CÉSAR.

Mais... beaucoup, j'en conviens... (A part.) Qui diable veut-il que je sois, maintenant qu'il s'est fait moi ?...

 

LE ROI.

Votre nom, monsieur ! Je veux savoir votre nom !

 

DON CÉSAR.

Eh bien !... si vous êtes don César de Bazan... (Mettant fièrement son chapeau.) Moi, je suis le roi d'Espagne !

 

LE ROI.

Plaît-il ?...

 

DON CÉSAR.

Le roi... de toutes les Espagnes.

 

LE ROI.

Vous êtes le roi d'Espagne ?

 

DON CÉSAR, s'asseyant et se prélassant.

Comme vous êtes don César de Bazan... Mon Dieu, oui. — Ah ! cela vous étonne de voir Sa Majesté... (Se reprenant.) C'est à-dire, Ma Majesté Charles II, sans suite, au milieu de la nuit, près d'une femme qui n'est pas la sienne... Que voulez-vous, don César, Ma Majesté s'ennuyait, Ma Majesté vient se distraire... Oh ! il faut à tout prix que cette royale folie demeure secrète... Mais je suis tranquille, ce n'est pas vous qui trahirez ce mystère.

 

LE ROI, à part.

L'insolent !... Mais quel peut être cet homme ?

 

DON CÉSAR.

Ah ça ! mais j'y songe ! Ce don César, que vous êtes... a, si j'ai bonne mémoire, tué, en duel, au mépris de notre édit, un capitaine de nos gardes... Ce don César... a été jugé, condamné, exécuté. Il est, ou doit être mort... et, vous, que je trouve ici, bien portant, vous me dites : « Je me nomme don César ! » (Se croisant les bras.) De quel droit vivez-vous, s'il vous plaît ?... Savez-vous que, si j'appelais, tout bon Espagnol pourrait et devrait tuer celui qui déclare être don César de Bazan ?... (Froidement.) Mais je n'appellerai pas.

 

LE ROI, qui s'est remis.

Votre Majesté oublie vite.

 

DON CÉSAR.

Qu'est-ce que Ma Majesté oublie ?

 

LE ROI, appuyant.

Elle oublie que don César de Bazan a eu la vie sauve, grâce au pardon du roi... Cette grâce a été signée à huit heures, le soir même de la condamnation.

 

DON CÉSAR, à part.

Ah ! j'ai ma grâce ! (Haut.) Je l'ai signée à huit heures ?... juste une heure après l'exécution ?... Ah ! j'ai été un roi généreux et clément... une heure trop tard !... (A part.) Je ne suis pas fâché de l'apprendre !

 

LE ROI.

Vous voyez qu'il serait inutile d'appeler.

 

DON CÉSAR.

Comme il est inutile de me parer d'un titre qui ne m'appartient pas...

 

LE ROI.

Ah ! vous avouez ne pas être...

 

DON CÉSAR.

Le roi d'Espagne ? Je l'avoue... Aussi bien, vous avez dû le soupçonner un peu... n'est-ce pas ?...

 

LE ROI.

Et vous êtes ?...

 

DON CÉSAR.

Un homme qui peut marcher à présent à visage découvert, qui n'a plus besoin de cacher ses titres et son nom... Je suis...

 

 

SCÈNE IV

LES MÊMES, LAZARILLE.

 

LAZARILLE, entrant, et bas.

Sire, un message secret... (Il met un genou à terre et présente une lettre au roi.)

 

LE ROI.

Qu'ai-je lu ?... Trahison !... La reine a été prévenue !... Elle est au palais d'Aranjuez !... Vite, mon cheval !...

 

LAZARILLE.

Il est tout prêt.

 

LE ROI, le prenant à part.

Tu appartiens à don José ?

 

LAZARILLE.

Je suis son plus dévoué serviteur.

 

LE ROI.

Aie les yeux sur cet homme.

 

LAZARILLE.

Je ne le quitterai pas...

 

LE ROI.

Qu'on l'éloigne d'ici sans retard ; je le veux ! (Il sort précipitamment.)

 

LAZARILLE.

Eh quoi ! don César, c'était vous !...

 

DON CÉSAR.

Moi, que tu as sauvé.

 

LAZARILLE.

Et sur qui j'ai tiré un coup d'arquebuse !...

 

DON CÉSAR.

Ah bah !... Ce n'était donc qu'un prêt que tu me faisais, en me sauvant la vie... puisque tu voulais me la reprendre tout à l'heure ?

 

LAZARILLE.

Oh ! je ne soupçonnais pas que ce fût vous !...

 

DON CÉSAR.

C'est très bien... Mais on t'a ordonné de me faire sortir de cette maison.

 

LAZARILLE.

En effet.

 

DON CÉSAR.

Et si je refuse ?... si je résiste ?...

 

Duettino

 

LAZARILLE.

Résister ! A qui donc ?... quand je suis seul ici...

Moi qui suis tout à vous ?

 

DON CÉSAR.

O brave cœur, merci !

 

LAZARILLE.

Mon Dieu ! que ne voudrais-je faire

Pour assurer votre bonheur,

Et détourner toute douleur

De la seule âme qui m'est chère !

 

LAZARILLE.

[ Pourtant, si pauvre que je sois,

[ Je puis encor donner ma vie.

[ S'il vous les faut, je vous en prie,

[ Prenez ces jours que je vous dois !

[  

[ DON CÉSAR.

[ Ah ! j'aimerais mieux mille fois,

[ Plutôt que d'exposer ta vie,

[ Que la mienne me fût ravie !

[ Mes jours, enfant, je te les dois !

 

DON CÉSAR.

Cher petit, bien souvent la fortune nous triche,

Mais si jamais elle me rendait riche...

 

LAZARILLE.

Ah ! si vous me preniez alors pour vous servir !

Quel bonheur, quel plaisir !

Ne craignez pas que je vous embarrasse,

Car je suis si petit ! je tiens si peu de place !

 

DON CÉSAR.

Allons donc, je te donnerais
Dix laquais

Pour qu'on t'obéisse,

Et tu n'aurais

D'autre maître que ton caprice !

 

LAZARILLE.

Comme vous êtes bon !

 

DON CÉSAR.

Mais, dis-moi, dans cette maison,

Depuis quelques jours est venue,

Une femme inconnue ?...

 

LAZARILLE.

En effet ; nul ne doit la voir ni l'approcher.

 

DON CÉSAR.

Et si je le voulais ?...

 

LAZARILLE, souriant doucement.

Pourrais-je l'empêcher ?...

Reprise

Hélas ! que ne puis-je tout faire

Pour assurer votre bonheur,

Et détourner toute douleur

De la seule âme qui m'est chère !

 

LAZARILLE.

[ Pourtant, si pauvre que je sois,

[ Pour vous je puis donner ma vie ;

[ S'il vous les faut, je vous en prie,

[ Prenez ces jours que je vous dois.

[

[ DON CÉSAR.

[ Ah ! j'aimerais mieux mille fois,

[ Plutôt que d'exposer ta vie,

[ Que la mienne me fût ravie !

[ Ces jours, enfant, je te les dois !

 

DON CÉSAR.

Maintenant, il faut que je parle à cette dame... va la prévenir.

 

LAZARILLE.

C'est inutile, la voici.

 

MARITANA, entrant.

Un étranger !

 

DON CÉSAR.

Laisse-nous.

 

LAZARILLE.

J'obéis. (Il sort.)

 

 

SCÈNE V

MARITANA, DON CÉSAR.

 

DON CÉSAR, après l'avoir regardée en silence.

Enfin nous sommes en présence, madame... et ce n'est pas sans peine... de mon côté, du moins... Car il m'a fallu, pour vous voir, braver l'accueil peu cordial qu'on me faisait ici, à coups de mousqueton.

 

MARITANA.

Pour me voir ?... Je ne comprends pas...

 

DON CÉSAR.

Vous semblez fort étonnée, et, cependant, nous nous connaissons bien... si bien, que je puis vous dire qui vous êtes... (Avec mépris.) et ce que vous êtes...

 

MARITANA.

Monsieur !

 

DON CÉSAR.

Un jour, vous vous êtes dit : « Je suis belle... (La regardant.) très belle !... mais ce n'est pas assez, je veux être une grande dame... car une jolie fille enfouie dans le peuple, c'est une fleur dans le désert, une perle au fond de l'océan… »

 

MARITANA.

Mais, qui êtes-vous donc, monsieur, pour me parler ainsi ?

 

DON CÉSAR.

Qui je suis ?... Un juge... qui ne se serait pas montré bien sévère pour vous, car il n'a pas été bien rigoureux pour lui-même. Mais si j'ai fait bon marché de mon rang, j'ai toujours porté haut la tête et le cœur... Qu'avez-vous fait, vous, madame, de mon honneur et de mon nom ?

 

MARITANA.

Mais de quel honneur, de quel nom me parlez-vous ?


DON CÉSAR.

De mon nom et de mon honneur, madame !... Car je suis don César de Bazan !

 

MARITANA

Mais don César de Bazan, je l'ai revu aujourd'hui, ce matin !... Et tout à l'heure, il était encore ici !...

 

DON CÉSAR.

Tout à l'heure, il n'y avait ici que votre amant... il n'y avait ici que le roi d'Espagne.

 

MARITANA, égarée.

Le roi !...

 

DON CÉSAR.

Eh ! vous le saviez bien !

 

MARITANA, la tête perdue.

Une preuve, monsieur !... Avez-vous une preuve de ce que vous dites ? Car enfin, moi, je ne peux pas deviner… je ne peux pas savoir... Au pied de l'autel j'étais couverte d'un voile... (Vivement.) Ah ! monsieur, si c'est vous, vous devez vous rappeler vos paroles, les seules que vous m'ayez adressées ?

 

DON CÉSAR.

Je m'en souviens, madame... Nous sortions de ma prison... le prêtre allait nous bénir... Pauvre condamné, je riais de ma mort si prochaine... et, vous tendant la main, je vous dis :

 

Duo
(Rappel du Madrigal du 2e acte.)

« En vous je vais placer, madame,

Tout l'espoir de mon avenir ;

De votre seul amour mon âme

Jusqu'à la mort va se remplir.

Ma pensée, à la vôtre unie,

Aura pour loi votre désir !

A vous mon cœur, à vous ma vie,

Jusqu'au dernier soupir ! »

(A chaque phrase, Maritana, qui se souvient, répète, par fragments, les paroles de don César.)

 

MARITANA.

Oui, c'est vous, c'est bien vous ! Ah ! maintenant, j'espère !

 

DON CÉSAR.

Oui, moi qu'on croyait mort, moi qu'on n'attendait guère,

Et qui reviens troubler, en leur paisible cours,

Vos coupables amours

Et votre royal adultère !...

 

MARITANA.

Don César, ne m'insultez pas !
Défendez plutôt votre femme :
Elle vous tend les bras !

 

DON CÉSAR.

Moi, vous défendre ?... Et contre qui, madame ?

 

MARITANA.

M'avez-vous crue assez infâme

Pour avoir pu prêter les mains

A leurs mystérieux desseins,

Dont eux seuls ont ourdi la trame ?

Récit

Ils me disaient : « Enfant,

La reine vous appelle,

La reine vous attend ! »

Et je les ai suivis, croyant aller vers elle.

Il fallait, m'ont-ils dit,

Unir ma destinée

A celle d'un proscrit !

Et je les ai suivis, de tous abandonnée.

Ma folle ambition,

L'orgueil qui me dévore

Egaraient ma raison,

Mais je suis pure encore !

 

DON CÉSAR.

Pourtant, lorsque je suis venu,

Ce roi... si près de vous !...

 

MARITANA.

Il m'était inconnu.

S'il avait dépassé le seuil de cette porte,

S'il avait osé m'approcher,

Je le jure ! il n'eût pu toucher

Que la main froide d'une morte !

 

DON CÉSAR.

Mais quelle preuve enfin,

Quelle forte assurance

Et quel gage certain

Aurai-je de votre innocence ?

 

MARITANA.

Une preuve ?... Écoutez !...

 

Vous êtes mon époux :

Je n'ai plus de refuge

Ni de recours qu'en vous :

Soyez aussi mon juge.

 

Si j'ai quelque souillure au front,

Chassez-moi !... Si je suis indigne

De votre amour, de votre nom,

Condamnez-moi !... je me résigne !

Enfin, si j'ai trahi ma foi,

Frappez-moi !

(Elle tombe à genoux.)

 

DON CÉSAR, la relevant.

Vous ne serez la maîtresse du roi,
Que le jour où la mort se saisira de moi.

 

[ DON CÉSAR.

[ Maintenant il n'est plus d'obstacle

[ Que ma main ne puisse briser,

[ Pour vous je saurai tout oser !

[ Vous venez de faire un miracle !

[ En moi désormais, sans retour,

[ L'aventurier va disparaître,

[ Et purifié par l'amour,

[ Le gentilhomme va renaître !

[

[ MARITANA.

[ O mon Dieu! faites un miracle !

[ Puissiez-vous tous deux nous sauver !

[ Ecartez de lui tout danger,

[ Brisez devant lui tout obstacle !

[ Vous qui me rendez en ce jour

[ Un sauveur, un époux, un maître,

[ Dans le bonheur et dans l'amour,

[ O mon Dieu ! laissez-moi renaître !

 

MARITANA.

Don César, il faut fuir !

Ils vous tueraient ! Partez bien vite !

 

DON CÉSAR, en souriant.

Quand d'un autre côté, le roi peut revenir,

Quoi ! vous voulez que je vous quitte ?...

 

MARITANA.

Que ne puis-je fuir avec vous !

J'irais trouver la reine,

Me jeter aux genoux

De notre souveraine !...

Ah ! quel éclair d'espoir ! Ecoutez, don César !...

Elle me connaît, elle m'aime :

Partez sur-le-champ, sans retard,

A tout prix, voyez-la vous-même,

Dites-lui mes dangers, mes larmes, ma douleur.

Allez, vous serez mon sauveur,

En vous est mon salut, en vous est mon bonheur !

 

[ DON CÉSAR.

[ Maintenant il n'est plus d'obstacle

[ Que ma main ne puisse briser,

[ Pour vous je saurai tout oser !

[ Vous venez de faire un miracle !

[ En moi désormais, sans retour,

[ L'aventurier va disparaître,

[ Et purifié par l'amour,

[ Le gentilhomme va renaître !

[

[ MARITANA.

[ O mon Dieu! faites un miracle !

[ Puissiez-vous tous deux nous sauver !

[ Ecartez de lui tout danger,

[ Brisez devant lui tout obstacle !

[ Vous qui me rendez en ce jour

[ Un sauveur, un époux, un maître,

[ Dans le bonheur et dans l'amour,

[ O mon Dieu ! laissez-moi renaître !

(Don César sort.)

 

 

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME

 

2e Tableau

 

 

Un oratoire. — Deux portes latérales. Une fenêtre au fond. — Une madone. — Une lampe suspendue éclaire la scène.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

MARITANA, assise, LAZARILLE, debout près de la fenêtre.

 

MARITANA.

Eh bien, Lazarille ?

 

LAZARILLE.

Personne… personne encore...

 

MARITANA.

Comme il tarde à revenir !...

 

LAZARILLE.

Et cependant il y a près de trois heures qu'il est parti !

 

MARITANA.

Puisque la reine est à sa résidence d'Aranjuez, il devrait l'avoir vue, avoir imploré son aide... il devrait être de retour près de moi.

 

LAZARILLE.

Courage, madame, le ciel ne vous abandonnera pas. Don César vous sauvera. N'en doutez pas. Il est aussi brave que généreux, et il vous aime ! Ah ! si j'aimais !...

Romance

Si j'aimais,

Je suis bien petit et bien frêle,

Mais je serais brave pour celle

Que dans mon cœur je chérirais.

Tous les maux je les souffrirais,

Et je serais de mon martyre

Assez payé par un sourire,

Si j'aimais,

Ah ! si j'aimais !...

 

Si j'aimais,

J'aurais l'espérance fervente,

La valeur que rien n'épouvante

Et qui ne s'étonne jamais.

Avec bonheur je donnerais

Mon sang pour un regard de femme,

Pour un baiser toute mon âme,

Si j'aimais,

Ah ! si j'aimais !...

 

MARITANA.

Écoute, je crois entendre...

 

LAZARILLE, allant à la porte et revenant avec effroi.

Le roi ! le roi, madame !

 

MARITANA.

Le roi !... Ne me quitte pas !...

 

LAZARILLE.

S'il m'ordonne de sortir ?...

 

MARITANA.

Ne me quitte pas !...

 

LAZARILLE.

Mais c'est le roi, madame, le roi à qui tout obéit !...

 

 

SCÈNE II

LES MÊMES, LE ROI.

 

LE ROI, entrant, à Lazarille.

Cet étranger que j'ai laissé ici ?...

 

LAZARILLE.

Est parti presque aussitôt.

 

LE ROI.

Qui était-il ?... Que venait-il faire dans cette maison ?

 

LAZARILLE.

Chercher un refuge contre des alguazils qui le poursuivaient.

 

MARITANA, à part.

Que peut-il lui dire ?

 

LE ROI, haut.

Maintenant, laisse-nous !... (Lazarille regarde Maritana et hésite.) Eh bien ?...

 

MARITANA.

Obéissez à votre maître... au mien... Exécutez les ordres... de Sa Majesté Charles II.

 

LE ROI.

Que dit-elle ? (Lazarille sort.) Qui donc a osé me trahir ?

 

MARITANA, avec amertume.

Celui qui vous a trahi, sire, je vais vous le faire connaître. Celui qui vous a trahi, c'est l'homme qui vous a conseillé une perfidie et un mensonge indignes d'un roi !

 

LE ROI.

Madame !

 

MARITANA.

C'est l'homme qui s'est joué du serment le plus saint, des liens les plus sacrés, et qui m'a dit à moi : « Maritana, voici votre époux, voici le comte de Bazan ! »

 

LE ROI.

Eh bien ! puisqu'on vous a révélé mon rang et mon titre, je veux que vous sachiez la vérité tout entière !... Je le veux, car cette contrainte était un supplice, ce mensonge révoltait ma fierté !... Oui, je suis le roi... non plus cet amant timide et faible, qui tremblait devant une femme.

Strophes.
I

Mon amour me rend à moi-même :

En me donnant à toi,

C'est depuis que je t'aime

Que je suis vraiment roi. —

Le jour où je t'ai vue, errante et pauvre encore,

Le jour où sur tes pas le destin m'a jeté,

Dans mon sein j'ai senti naître la volonté,

Dans mon ciel s'est levée une nouvelle aurore.

Ma puissance et les dons que je tenais de Dieu,

Ma couronne, mon trône, enfant, m'importaient peu.

Mais l'amour me rend à moi-même

En me donnant à toi,

Et depuis que je t'aime

Ah ! je suis vraiment roi !

II

Depuis que les désirs m'ont brûlé de leur flamme,

Depuis qu'ils ont fondu les glaces de mon cœur,

En vous j'ai retrouvé ma force et ma grandeur :

Plus puissant est mon bras, plus vaillante est mon âme ;

Je ne suis plus ce roi débile et sans pouvoir,

Je suis le maître enfin ! Je veux ! je sais vouloir !

Car l'amour me rend à moi-même

En me donnant à toi,

Et depuis que je t'aime,

Ah ! je suis plus que roi.

 

MARITANA.

Sire, vous aurez compassion de moi. Et je vous bénirai... si vous consentez à partir !

 

LE ROI.

Partir ! quand il est venu, enfin, ce jour que j'appelais de tous mes vœux !

 

MARITANA.

Oh ! vous entendrez ma voix, vous aurez pitié de mes pleurs !...

 

LE ROI.

Un délire comme le mien ne se calme pas avec une parole !... Un feu comme celui qui me dévore ne s'éteint pas avec une larme !...

 

MARITANA.

Arrêtez, sire !... Ne m'approchez pas !

 

LE ROI, s'arrêtant.

Mais c'est donc de l'horreur que je vous inspire ?

 

MARITANA.

Non... je ne vous hais pas, sire, mais j'appartiens à un autre.

 

LE ROI.

Mais quel est-il donc, cet homme ?

 

MARITANA.

Cet homme, c'est mon mari, sire...

 

LE ROI, allant à elle.

Mais don César de Bazan est mort !

 

DON CÉSAR, entrant.

Pas encore, sire ! puisque Votre Majesté a daigné lui faire grâce !

 

 

SCÈNE III

LE ROI, MARITANA, DON CÉSAR.

 

MARITANA, avec un cri de joie.

Ah ! maintenant, j'ai pour me défendre, don César mon mari !

 

LE ROI,

Votre... votre mari, madame... lui !... (Don César, sans dire mot, va fermer la porte de droite et en retire la clef.)

 

LE ROI, qui l’a suivi des yeux.

Que faites-vous là, monsieur ?

 

DON CÉSAR, avec calme.

Je ferme cette porte, sire... afin que nul n'entre ici... afin que nul n'entende ce qui doit n'être entendu que de vous... et d'elle... de cette pauvre femme que vous voyez là, haletante et brisée.

 

MARITANA, à part.

Que va-t-il dire ?... que va-t-il faire ?...

 

LE ROI.

Monsieur !... c'est au roi d'Espagne que vous parlez ?

 

DON CÉSAR, présentant son épée au roi.

Dirais-je à tout autre qu'au roi d'Espagne : Prenez mon épée et brisez-la !... (Le roi repousse du geste l'épée, don César la jette loin de lui.) Mais, cependant, il lui faut une réparation... une vengeance... à ce mari, que votre royale main vient de souffleter.

 

LE ROI.

Monsieur !...

 

MARITANA, bas et avec effroi.

Don César ! c'est le roi !

 

DON CÉSAR, froidement.

C'est le roi, puisqu'il existe encore. (S'adressant au roi.) Sire... cette pauvre femme, que la lutte épouvantait, a demandé secours et protection... à Dieu, d'abord... puis à celle dont tout bon Espagnol ne prononce le nom qu'avec amour et respect... à la reine.

 

LE ROI, vivement.

La reine !...

 

DON CÉSAR.

J'ai couru au palais d'Aranjuez...

 

LE ROI.

Vous avez osé !...

 

DON CÉSAR, continuant.

Espérer qu'on me laisserait arriver jusqu'à Sa Majesté, était folie... Aussi, profitant de l'obscurité et bravant les arquebuses des sentinelles...

 

MARITANA.

O ciel !...

 

DON CÉSAR, souriant, en la rassurant.

Les balles ne m'atteignent pas... (Reprenant.) Je pénétrai furtivement dans le parc comme un malfaiteur !... Je m'enfonçai dans le massif, dont le feuillage rendait l'ombre plus épaisse encore, quand, tout à coup, j'entends deux voix... l'une tremblante d'émotion, l'autre vibrante et fière... Je regarde vers l'allée, qu'éclairaient les rayons de la lune... Une femme écoutait, pleine de terreur, un homme à genoux devant elle... « Il vous trompe, madame ! s'écriait-il... cette nuit même, à l'instant où je parle, votre mari est aux bras d'une maîtresse... et je vous aime, moi, d'un amour qui m'élève au-dessus de lui, qui me grandit jusqu'à vous !... Vous faut-il une preuve de cet amour ? Vous faut-il une preuve de son crime ?... Vous l'aurez bientôt... Avertis par moi que le roi s'est égaré pendant la chasse, tous les officiers de sa suite vont parcourir la forêt, se feront ouvrir une maison isolée et ils trouveront leur monarque parjure !...

 

LE ROI, avec anxiété.

Cet homme... cet homme ?

 

DON CÉSAR.

C'était don José de Santarem, votre ministre et votre amiCette femme... c'était la reine d'Espagne !...

 

MARITANA.

La reine !...

 

LE ROI, avec explosion.

Répétez !... répétez ce que vous venez de dire !... Mensonge ! trahison ! (Il s'élance vers la porte.)

 

DON CÉSAR, froidement.

Je vous ai dit, sire, que j'avais fermé cette porte.

 

LE ROI.

Misérable !...

 

Trio

 

DON CÉSAR.

Je vous l'ai dit : à l'époux qu'on offense,

Dont on souille le nom,

Il faut une vengeance

Eclatante comme l'affront.

Faible sujet, que puis-je

Contre vous si puissant ?...

Et mon honneur exige

Plus que la mort, plus que du sang !

Vous me comprenez bien : il est dans vos demeures,

Aux pieds de votre femme, il est un homme heureux

Pour qui le temps s'écoule et rapide et joyeux,

Lorsque pour vous l'angoisse éternise les heures.

Vous me trompiez ici, l'on vous trompe là-bas,

Et, je vous l'ai juré, vous ne sortirez pas !

 

LE ROI.

Don César, ouvrez cette porte !

 

DON CÉSAR, continuant.

Les maux que j'ai soufferts vous sont-ils bien rendus ?

Chaque instant vous apporte

Un outrage de plus.

Chaque minute accroît votre souffrance,

Et chacune entraîne en silence

Un lambeau d'espoir sur ses pas,

Et, je vous l'ai juré, vous ne sortirez pas !

 

LE ROI.

Don César, ouvrez cette porte !

 

DON CÉSAR.

Vous ne sortirez pas !

 

MARITANA.

Par grâce, au nom du ciel !

César, montrez-vous moins cruel,

C'est le roi.

 

DON CÉSAR.

Le roi, que m'importe !

 

LE ROI.

Eh bien ! s'il faut pour que je sorte,

Passer sur votre corps, monsieur, défendez-vous !

Reprenez cette épée. — En ce lieu, nous ne sommes,

Don César, que deux gentilshommes ;

En gentilshommes battons-nous !

 

MARITANA, courant au roi.

Sire, apaisez votre colère !

(Courant à don César.)

Seigneur, écoutez ma prière !

 

LE ROI.

Défendez-vous, sinon, je frappe !

 

MARITANA.

Don César !

 

LE ROI.

Je vais frapper !

 

DON CÉSAR, présentant sa poitrine.

Sire ! il serait trop tard !

 

LE ROI, laissant retomber son bras.

Trop tard !

 

MARITANA, à part.

Trop tard !

 

[ LE ROI.

[ Quels doutes, quelle crainte,

[ Envahissent mon cœur !

[ Quel affront, quelle atteinte

[ A subis mon honneur !

[ Grandeur, pouvoir suprême,

[ Ne sont rien ici-bas,

[ Puisque la honte même

[ Ne les épargne pas.

[

[ DON CÉSAR.

[ Quels doutes, quelle crainte

[ Envahissent son cœur !

[ Mais, sans moi, quelle atteinte

[ Eût frappé son honneur !

[ (Au roi.) Grandeur, pouvoir suprême,

[ Ne sont rien ici-bas,

[ Puisque la honte même

[ Ne les épargne pas.

[

[ MARITANA, à part.

[ Quel effroi, quelle crainte,

[ Envahissent son cœur !

[ Quelle terrible atteinte

[ A frappé son honneur !

[ Grandeur, pouvoir suprême,

[ Ne sont rien ici-bas,

[ Puisque la honte même

[ Ne les épargne pas !

 

DON CÉSAR, à part, montrant le roi.

Le désespoir le gagne,

Dissipons son erreur.

(Au roi.)

Depuis quand, monseigneur,

Dans notre vieille Espagne,

Souffre-t-on devant soi

Qu'on insulte son roi ?

J'aurais vu sous mes yeux ce crime se commettre,

Sans châtier le traître !!!

 

LE ROI.

De mes doutes affreux, comte, délivrez-moi !

 

DON CÉSAR.

Ce collier d'or, que votre main royale

Sur sa poitrine déloyale

Daigna mettre jadis,

Sur son cadavre je l'ai pris.

 

LE ROI.

Quoi ! c'est vous !

 

DON CÉSAR.

Voici mon épée :

Du sang de ce perfide elle est encor trempée ;

De son forfait il a trouvé le prix.

 

[ DON CÉSAR.

[ Sire, de toute atteinte,

[ J'ai sauvé votre honneur ;

[ Puis-je à présent sans crainte

[ Jouir de mon bonheur ?

[ Et, pour faveur suprême,

[ Laissez-moi, n'est-ce pas ?

[ Avec celle que j'aime

[ Fuir vers d'autres climats !

[  

[ MARITANA.

[ L'espérance à la crainte

[ Succède dans son cœur :

[ Mon âme, sans contrainte,

[ Peut s'ouvrir au bonheur !

[ Qu'à jamais l'amour sème

[ Ses roses sous nos pas :

[ Que la mort elle-même

[ Ne nous sépare pas !

[  

[ LE ROI.

[ L'espérance à la crainte

[ Succède dans mon cœur,

[ D'une honteuse atteinte

[ (Montrant don César.) Il sauve mon honneur.

[ De ce péril extrême

[ Toi qui me préservas,

[ Pour ce secours suprême

[ Que ne te dois-je pas ?

 

(Cris au dehors.)

Le roi ! le roi !

 

DON CÉSAR, au roi.

Ce sont les gens qu'envoie à votre Majesté

Don José : ce pervers sur eux avait compté.

 

 

SCÈNE IV

LES MÊMES, OFFICIERS de la maison du roi et LAZARILLE.

 

LES OFFICIERS, à l'aspect du roi.

(Parlé.) Enfin, voici le roi !

 

LE ROI.

Rassurez-vous, messieurs : ici, nous sommes

Chez le plus loyal serviteur,

Le comte de Bazan ! parmi nos gentilshommes

Nous chercherions en vain un plus sûr défenseur.

Nous voulons lui donner un témoignage insigne

De notre affection dont il s'est montré digne,

Et nous le nommons gouverneur

De Valence.

(Bas à don César.)

A cinquante lieues

De Madrid.

 

DON CÉSAR, bas au roi.

A Valence, à ses montagnes bleues,

Je préfère Grenade et son ciel enchanteur.

 

LE ROI, de même.

Grenade ! Mais pourquoi ?...

 

DON CÉSAR, souriant.

Grenade est à cent lieues !

 

LE ROI.

Qu'il soit donc fait selon votre désir !

Dès demain vous devrez partir.

 

DON CÉSAR.

Lazarille, veux-tu nous suivre ?

Je te donne tes dix laquais.

 

LAZARILLE.

Moi je vous quitterais

Quand auprès de vous deux, il est si doux de vivre !

 

Finale

 

[ DON CÉSAR, MARITANA.

[ Qu'à jamais l'amour sème

[ Les roses sous nos pas,

[ Que la mort elle-même

[ Ne nous sépare pas !

[  

[ LAZARILLE.

[ Qu'à jamais l'amour sème

[ Les roses sous leurs pas !

[ Que la mort elle-même

[ Ne les sépare pas !

[  

[ LE ROI.

[ Pour toujours, toi que j'aime,

[ Bientôt tu me fuiras ;

[ Mais jusqu'à la mort même,

[ Dans mon cœur tu vivras.

[   

[ CHŒUR D'OFFICIERS.

[ Béni le roi qui sème

[ Tant de biens sur ses pas,

[ Et qui, pour ceux qu'il aime,

[ Ne les épargne pas !

 

 

 

 

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