la Colombe
la dernière scène de l'Acte II lors de la première à l'Opéra-Comique, dessin d'Etienne Carjat
Opéra-comique en deux actes, livret de Jules BARBIER et Michel CARRÉ, d'après le Faucon, conte (1743) de Jean de LA FONTAINE, musique de Charles GOUNOD.
Création au Théâtre de la Conversation à Bade [auj. Baden-Baden] le 03 août 1860, dans une version en un acte, mise en scène de M. Bouillier.
Première à l'Opéra-Comique (2e salle Favart) le 07 juin 1866, dans une version en deux actes.
Première à la Monnaie de Bruxelles le 05 décembre 1867.
Première au Nouveau-Lyrique de la rue Taitbout le 04 novembre 1879.
personnages |
emplois |
Baden-Baden 03 août 1860 (création) |
Opéra-Comique 07 juin 1866 (1re) |
Monnaie de Bruxelles 05 décembre 1867 (1re) |
la Comtesse Sylvie | soprano | Mmes Caroline MIOLAN-CARVALHO | Mmes Marie CICO | Mmes WALLACK |
Mazet, jeune paysan, filleul d'Horace | soprano | Amélie FAIVRE | Caroline GIRARD | DUMESTRE |
Horace | ténor | MM. Gustave ROGER | MM. Victor CAPOUL | MM. JAMET |
Maître Jean, majordome de la Comtesse Sylvie | basse | Mathieu Émile BALANQUÉ | Eugène BATAILLE | LAURENT |
La scène se passe aux environs de Florence.
Voici venir une pièce dont le titre seul est une double séduction : la Colombe, musique de Gounod, poème de MM. Jules Barbier et Michel Carré, qui pourraient signer Anacréon et Boccace. Cette colombe n'a rien à envier comme succès à la colombe de l'Arche : on l'a accueillie, applaudie, acclamée comme une messagère d'harmonie et de... beau temps. La scène se passe au moyen âge aux environs de la voluptueuse Florence. Horace, élégant seigneur florentin, a follement dissipé sa fortune pour les beaux yeux de la comtesse Sylvie. Devenu pauvre, il s'est retiré dans une maisonnette aux environs de la ville, et n'a gardé près de lui que Mazet, jeune paysan, son filleul, et une autre amie aux ailes blanches, une charmante colombe. Cet oiseau est réellement une merveille d'intelligence : il sait porter les billets doux à leur adresse, voler droit à la plus belle personne d'une assemblée, indiquer l'heure par le battement de ses ailes et ranger dans leur ordre les six lettres d'un nom bien cher, le sien aussi, Sylvie, que par un tendre souvenir Horace a voulu lui donner. Cette colombe a pourtant un rival à Florence, un sot perroquet, auquel les adorateurs de la belle Aminte ont fait par flatterie une réputation imméritée. Tout ce bruit qui se fait autour d'un perroquet, l'écho des fades compliments murmurés à l'oreille d'Aminte, ont jeté la jalousie au cœur de la comtesse Sylvie. Elle se souvient de la colombe d'Horace, la veut obtenir à tout prix et charge maître Jean, son majordome, de négocier cette délicate affaire. Maître Jean arrive à la maison et se présente à Mazet comme majordome d'un prétendu comte Lélio, de Pavie, grand amateur d'oiseaux savants. Ce comte Lélio a ouï parler de la colombe du seigneur Horace et la veut acheter, si grosse que soit la somme qu'on en réclame. Mazet résiste d'abord, mais la tendresse qu'il éprouve pour son parrain l'emporte sur son amitié pour la colombe ; il accepte de présenter les belles propositions de maître Jean. Horace s'indigne de l'offre qu'on lui fait ; pour rien au monde il ne se séparera de sa chère Sylvie ; il jeûnera longtemps s'il le faut, mais il ne sacrifiera pas la colombe dont les lèvres de Sylvie ont un jour effleuré le doux plumage. Maître Jean a entendu la conversation de Mazet avec son parrain ; il a deviné que le seigneur Horace aimait encore éperdument sa maîtresse, et il se promet d'escompter cette passion au profit du caprice de la belle Sylvie. — Au moment où il se dispose à retourner auprès d'elle, la comtesse arrive ; elle a vu Horace se dirigeant vers la campagne, et elle n'a pu résister à la tentation de visiter la maisonnette. Elle apprend de maître Jean l'insuccès de la démarche, mais sa vanité de femme est grandement caressée quand on lui dit que c'est le baiser donné par elle un jour à la colombe qui la rend si précieuse au seigneur Horace. Elle y voit la preuve de la constance de l'amant malheureux, mais elle y voit surtout le moyen d'arriver son but. Les succès d'Aminte lui reviennent à la mémoire comme un défi continuel ; elle n'hésite plus et fait demander Mazet. Le filleul se présente avec défiance, il a vu une femme, et pour lui toute femme est l'ennemie de son parrain. Il a beau être réservé, discret, se montrer impénétrable, sauvage même, la comtesse insiste, questionne, se désole presque et va partir enfin, quand Horace apparaît. Sylvie explique mal sa présence, mais est-il besoin de donner des explications à un amoureux ? Une fantaisie lui est venue, elle s'invite à dîner chez Horace. En ce moment maître Jean revient ; il est toujours pour Horace le majordome du comte Lélio ; à ce titre on devrait bien le chasser pour l'insolente proposition dont il s'était fait le messager, mais Sylvie intervient au nom de Lélio, dont elle se dit l'amie, et maître Jean restera pour aider aux préparatifs du dîner. Nous sommes au deuxième acte. Qu'est-ce que le seigneur Horace pourra servir à la comtesse ? Il est pauvre et sans crédit. Mazet ne peut rien obtenir des fournisseurs et se moque bien des belles recettes culinaires que lui débite avec emphase l'habile maître Jean. Rien à servir que des fèves, des fèves au sel à une comtesse... Le nom seul de ce mets fait fuir le majordome. Horace, quoique tout entier à Sylvie, n'est pas sans inquiétude sur le dîner qu'on lui prépare et quitte le jardin pour en surveiller les apprêts modestes. Mais Mazet n'a absolument rien trouvé qui pût suffire au plus humble repas. Horace se désole ; on ne dîne pas avec une corbeille de fruits ; et la basse-cour est absolument déserte. Que faire ?... Il sort comme pour chercher encore et revient bientôt éperdu, désolé, mais résolu, jeter ces mots à Mazet : Il nous reste Sylvie !... va... obéis... C'est à ce prix que la comtesse dînera ; on servira sur sa table la pauvre colombe et un flacon de vieux vin, dernier débris d'une fortune dissipée. Mais l'amour est l'excuse d'Horace et c'est à peine si en face de Sylvie il trahit quelque préoccupation de l'immense sacrifice qu'il a ordonné. En attendant le dîner, on cause un peu de Florence, d'Aminte, de ses succès immérités, de son stupide perroquet, mais la comtesse n'avoue pas encore ce qu'elle est venue chercher chez Horace. Enfin le dîner est servi par Mazet qui apporte un oiseau rôti sur la table ; il laisse son parrain en tête à tête avec Sylvie. La comtesse trouve au rôti un goût bizarre, un goût tout à fait inconnu, mais elle se contente d'en faire discrètement la remarque sans se plaindre. Aux questions pressantes d'Horace elle hésite d'abord à répondre. Elle doute un instant que l'homme qu'elle a traité si cruellement puisse consentir l'abandon de sa chère colombe. Enfin elle se décide... « Hélas ! fatal destin, répond Horace, l'oiseau n'est plus, vous en avez dîné. Plût au ciel que j’eusse pu vous servir mon cœur à la place ! » Saisie d'admiration pour ce grand sacrifice, Sylvie, d'une voix émue, s'écrie : « Seigneur, vous ne m'avez jamais donné de votre amour une marque plus forte... Voici ma main… » Mais ô surprise ! En ce moment même paraît Mazet portant au poing la colombe chérie et chantant sa jolie romance du premier acte. L'explication est bientôt fournie par Mazet lui-même, qui raconte comment un oiseau pris dans ses rets a sauvé la vie à la colombe. Cet oiseau, ce rôti à la saveur inconnue était un perroquet, et, bien mieux encore, le signalement en fait, celui d'Aminte après lequel courent trente valets désolés. Vous devinez le dénouement : Horace retourne à Florence, non pas plus épris de la comtesse, mais plus heureux. L'analyse est faite, chacun peut, dès maintenant, se rendre compte du joli libretto que MM. Michel Carré et Jules Barbier ont soumis au génie musical de leur collaborateur. C'est un proverbe fin, spirituel, dans lequel, chose rare chez les auteurs français, la gaîté et le comique sont de situation plutôt que de mots. De plus, cette petite pièce, si fine et si coquette, est coupée, taillée, versifiée, arrangée pour le plus grand bien de la musique. Nous n'avons et ne pouvons avoir la prétention de donner à nos lecteurs, après deux auditions, une représentation et une répétition, une critique détaillée et profonde de l'œuvre musicale d'abord et du jeu des artistes ensuite. Nous essaierons d'esquisser nos premières impressions, persuadé néanmoins que les larges traits que nous allons tracer donneront cependant le reflet général de la partition. Que nos lecteurs se reportent donc à l'analyse qui précède, ils pourront y loger en leur place les passages musicaux que nous allons successivement faire passer sous leurs yeux.
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La pièce est précédée d'une introduction. Cette petite préface musicale de l'œuvre fait déjà entrevoir toutes les richesses d'instrumentation que la pièce elle-même réserve aux auditeurs. Elle débute par un allegro assez vif qui amène, sans le faire préjuger, un solo de violoncelle dont le chant large et gracieux a été interprété avec talent par notre soliste de Bade, M. Oudshoorn. A ce solo succède un allegretto, pendant lequel la toile se lève, et auquel s'enchaîne immédiatement la ritournelle des premiers couplets que Mazet (Mlle Faivre) chante à sa colombe chérie. La mélodie de ces couplets est tellement de situation, tellement pure et fine, qu'elle saisit le public dès le début. C'est une entrée en matière heureuse et pleine de couleur. Aussi quand Mlle Faivre a eu adressé à la colombe ce dernier couplet :
Après la faim assouvie, Bel oiseau, Calmez votre soir, Sylvie, D'un peu d'eau, A la fraîcheur du jour nouveau. J'ai puisé cette onde au ruisseau, Après la faim assouvie, Bel oiseau, Calmez votre soif, Sylvie, D'un peu d'eau.
on a vivement applaudi, et ces applaudissements ont été le premier mot de l'enthousiasme qui devait éclater plus tard. La scène II se passe entière en dialogue, et nous sommes obligé de passer à la scène III au moment où Mazet transmet à Horace (Roger) les brillantes propositions de maître Jean (Balanqué), pour retrouver le second morceau de musique. Cette fois c'est un beau terzetto dans lequel Horace a la partie principale. An moment où, dans l'ensemble, Roger a chanté avec énergie sa résolution :
Que m'importe l'indigence, Non, je ne la vendrai pas,
un andantino de clarinette (Wuille) ramène son cœur aux sentiments d'amour et le conduit tout droit à la charmante romance
L'oiseau lui portait sous l'aile.
Cette romance a deux couplets ; chaque couplet est coupé par des mots chantés en duo par Mazet et maître Jean. La ritournelle des couplets est une reprise en trio. Roger a dit avec beaucoup de sentiment cette romance d'un style large et pur. Dans la scène VI, Balanqué (maître Jean) chante son premier morceau :
Les amoureux, Quand il s'agit de plaire.
Ce sont des couplets de franche gaîté, railleurs et sardoniques, dans lesquels le vieux majordome se rit des amoureux et des sentiments qui ne sont plus de son âge. Impossible d'être mieux en harmonie avec les sentiments exprimés que ne l'a été Gounod dans la musique de ces couplets. Ou les comprendrait sans paroles. Ils deviendront populaires ; Balanqué les a dits de voix de maître. A la scène suivante, Mme Carvalho fait son entrée par un grand air dans lequel elle jette avec prodigalité les perles de son inimitable vocalise. Ce grand air débute par une sorte d’a parte musical en forme de récitatif :
Je veux interroger ce jeune homme...
qui rappelle avec beaucoup de bonheur une pareille situation musicale dans Faust. Nous arrivons maintenant au grand air qui a été le triomphe de Roger. Aussi quelle situation heureuse traduite par une musique qui rayonne d'amour et d'inspiration, quand Horace revoit son adorée comtesse :
O vision enchanteresse, Quel Dieu vous amène vers nous ?...
Ce grand air a deux strophes dont les ritournelles sont chantées en trio par Mazet, la comtesse et Horace. Gounod affectionne ces sortes de ritournelles, il aime mieux soutenir les airs ou les couplets par les voix que par l'orchestre. Ce mode de faire est excellent, pour suppléer à l'absence des chœurs : l'ouvrage y gagne en étoffe sans perdre de sa simplicité. Le final du premier acte est un très beau quatuor aux grandes allures sur lequel on se repose aisément.
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Avant l'acte second la musique exécute un petit entr'acte d'orchestre dont le motif principal est une rêverie caractérisée par un accompagnement à mouvement ondulé, à mouvement de berceuse. Celle rêverie est traduite par un solo de violon. M. Grodvolle, l'excellent soliste de la chapelle de Bade, a fait ressortir ce morceau capital qui prend place dans le répertoire du violoniste comme morceau de concert. Le premier morceau du deuxième acte est un grand air largement soutenu par le développement de l'orchestration. La première phrase emprunte tout son effet à des trilles de violoncelle. Ce passage est une nouvelle révélation de la grande science musicale du maestro. Il indique une tendance marquée vers l'opera seria et peut-être une époque de transition dans le talent de M. Gounod. Le sujet est une ode à la cuisine ancienne, copieuse et dépensière, chantée par maître Jean (Balanqué), et dans laquelle la suffisance bouffonne n'a rien de trivial. Les applaudissements étaient-ils pour le chanteur ou pour l'acteur ? Balanqué les a mérités à ce double titre. Dans ce second acte si complet, si net et si bien enchaîné, les morceaux à succès se suivent de près. Voici à la scène III, un duo que nous appellerons le duo de la table, qui restera gravé dans la mémoire de tous ceux qui l'auront entendu, ne fût-ce qu'une fois. Quelle franche et gaie philosophie dans cette conversation musicale qu'accompagnent les apprêts d'un festin presque hypothétique. C'est un allegro plein de délicatesse et d’un dessin exquis. Mais à l'allegro succèdent des réflexions plus sérieuses. Horace déplore sa misère en notes émouvantes, il ne peut faire honneur à sa belle :
Etre pauvre et n’avoir pas même à lui donner Un malheureux dîner.
Quel contraste entre la tristesse de cet air et l'allegro qui le précède. La rentrée de Mazet chasse les sombres pensées de Horace. Les accompagnements de violon qui soutiennent l'allegro sont dessines avec infiniment d'esprit. Enfin, la partition prend un caractère réellement pathétique, quand Horace prend la résolution de sacrifier Sylvie, son oiseau chéri. Nous sommes la scène V. Un solo de violon, avec sourdine, frappe les oreilles de la comtesse et rappelle à son âme les cruelles coquetteries dont elle a payé l’amour de Horace. L'exécution de ce charmant et tendre solo-mélodrame fait le plus d'honneur au goût exquis de M. Grodvolle. La romance que chante ensuite Mme Carvalho :
Que de rêves charmants emportés sans retour…
est un andantino des plus gracieux, auquel l'éminente artiste a prêté toutes les délicates aspirations de son cœur. Le final de ce deuxième acte scintille de phrases musicales ravissantes, coupées et comme rajeunies à chaque instant par d'heureux récitatifs. L’embarras de la comtesse, l’émotion de Horace colorent très vivement la partition. Et quand la comtesse avoue son amour et offre sa main à Horace, Mme Carvalho et Roger chantent un duo qui enlève toute la salle, autant par sa valeur musicale que par la passion avec laquelle il est interprété par ces deux grands artistes. Mais ce qui donne à ce final une piquante originalité, c'est le retour, après le duo, de la romance chantée par Mlle Faivre dans la première scène. Cette réminiscence est brillamment relevée par un tremolo aigu de violon. Enfin le rideau tombe sur un brillant quatuor. Ce petit opéra aura quatre représentations, c'est-à-dire quatre grands succès : jeudi 9, la troisième ; vendredi 10 , la quatrième. Dans le prochain numéro nous parlerons des acteurs et de l'orchestre.
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Il appartient encore à la chronique de dire que M. Gounod a été chaudement acclamé, et qu'après la représentation les artistes de l'orchestre ont été lui porter, devant son hôtel, le tribut de leur admiration sous forme de sérénade aux flambeaux. Ils ont joué devant ses fenêtres le Hochzeitsmarch, de Mendelssohn, et le grand air de cuisine (chanté par Balanqué au second acte de la Colombe), arrangé par M. Kœnnemann. Gounod leur a dit son émotion et ses remerciements pour cette preuve d'intérêt qui lui était d'autant plus précieuse qu'elle lui était donnée sur cette terre d'Allemagne, père des plus grands musiciens du monde. M. Kœnnemann a répondu. Un punch, offert à l'orchestre par Gounod, a fini cette heureuse soirée.
(Léon Loiseau, l'Illustration de Bade et d'Alsace, 05 août 1860)
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Je reviens à la Colombe. J'ai donné dans le dernier courrier l'analyse du libretto et quelques aperçus sur la forme musicale de l'œuvre. Il me reste à parler de son grand succès et de la place qu'elle prend dans l'histoire lyrique de la saison. Les chroniqueurs et les critiques ont beau se hâter dans leur besogne, il leur arrive souvent d'être devancés par cet autre chroniqueur aux mille langues qu'on nomme l'opinion, le public, le monde. Celui-là a les oreilles partout, au salon, à la comédie, ici, là-bas, au dedans, au dehors. Il écoute, recueille, juge, analyse, critique et jette au vent de la publicité sa décision souveraine sans que vous puissiez reconnaître par quelle voie il s'est renseigné et sur quelle appréciation il s'appuie. Il fait tout d'inspiration et d'emblée et ne se trompe jamais ; les obstacles, la malveillance, la partialité, le parti pris lui sont inconnus. Il ne reçoit d'arrêt de personne, il impose les siens sans appel. Les gazettes musicales n'ont pas encore donné leur avis que déjà le public s'est emparé de l'opéra et l'a placé dans son répertoire favori. La musique n'est pas éditée encore et vous entendez fredonner tous les motifs de cette ravissante composition. La Colombe est au bois avec les amoureux, à table avec les gourmands, au salon avec les coquettes. Le grand air de Balanqué prend place dans le menu des bons festins et déjà quelques dames prennent à la promenade la physionomie provocante, rêveuse ou taquine qui sied si bien à la belle Mme Carvalho. On parle d'une toilette à la Colombe qui parera dans le prochain bal et d’une coiffure nouvelle, dite à la Mazet, coiffure que Mlle Faivre porte avec tant de crânerie. C'est là, je le reconnais, le côté futile du succès, mais il a une signification tout à l'éloge de M. Gounod et des excellents artistes qui l'ont secondé. Le soir de la première représentation, M. Gounod a dû passer sous les fourches-caudines d'une ovation allemande. Sérénade, compliments, enthousiasme, rien n'a manqué à cette fête improvisée. Le maestro, quoique un peu troublé, a répondu à l'empressement et aux allocutions par un discours laconique en français : « Mes amis, je suis plus ému que je ne saurais dire..... je voudrais vous remercier en me servant de votre belle langue allemande..., mais je ne puis que vous promettre de l'apprendre pour vous témoigner combien votre suffrage m'est précieux... » Imprudent engagement, serment insensé dont on doit relever M. Gounod. Combien faut-il de temps pour mener à bien cette tâche hérissée d'ennui qui s'appelle étude d'une langue ? peut-être ce qu'il faudrait an compositeur pour produire deux grands opéras. Eh bien, franchement, nous ne consentons pas à ce que M. Gounod nous donne au lieu de musique une mauvaise traduction de Schiller, de Wieland ou de Lessing. Donc de par le droit de critique nous considérons comme non avenue la déclaration de M. Gounod et le dégageons de sa promesse — Bade lui fournira des interprètes ou désormais les Allemands le féliciteront en français, ce qui revient au même. Ce n'est pas sans raison que M. Gounod regrettait de ne pouvoir s'exprimer en allemand pour remercier son orchestre , car il lui doit beaucoup. Mais nous féliciterons en son nom et pour le public l'habile M. Kœnnemann. L'orchestre ordinaire de Bade a parfaitement compris son rôle, rôle dont il est facile d'apprécier les difficultés. L'opéra joué dans un salon sort des conditions imposées par le théâtre. Les grands effets d'instrumentation y deviennent des fautes d'harmonie que ne peuvent faire pardonner les beautés réelles de la composition. Et de même les grands éclats de voix, les gestes démesurés des acteurs qui sont d'un si riche effet sur une grande scène sont autant de contresens grotesques qui fatiguent un public de salon. Voilà pourquoi comédies et opéras de Bade ne peuvent être joues que par des acteurs d'élite et de talent, de goût surtout. Je ne souhaiterai jamais à un auteur ou à un compositeur de faire rire le public de Bade. Vous connaissez les interprètes choisis qui ont chanté les deux actes de la Colombe : Roger, Mme Miolan, Balanqué, Mlle Faivre. — Roger considère déjà son rôle d'Horace comme une de ses meilleures créations, Mme Carvalho a chanté comme elle chante la musique qui lui plaît. — La froide ironie, la passion capricieuse, l'abandon naïf, la coquetterie jalouse qui hésite, toutes ces nuances du caractère de Sylvie ont été habilement rendues, mais plus par l'expression saisissante du chant que par la vérité du geste. Les applaudissements ont surtout accueilli le grand morceau du premier acte :
. . . . . . . . . . Si je suis belle encore, S'il est vrai qu'il m'adore, S'il garde un peu d'espoir, Sa résistance est vaine ; Ma victoire en certaine ! Il est en mon pouvoir ! Oui, s'il m'aime, En mes attraits j'ai foi, L'amour même, L'amour combat pour moi. . . . . . . . . . . Si le seigneur Horace Veut un sourire, passe ! On peut donner cela ; Si tout bas il implore Un regard... passe encore ! On ira jusque là, Mais, si dans sa folie, L'amant discret s'oublie Et demande un baiser, Je dois le refuser ! Cependant ma rivale, A mes yeux, de nouveau Fera partout scandale De son maudit oiseau ! Moi, lui laisser la gloire D'une telle victoire ! Non je ne le veux pas ! Allons encore un pas ! Pour contempler la rage De celle qui m'outrage, Je consens au baiser ; Mais s'il veut davantage, Malgré tout mon courage, Il faut y renoncer....
et le morceau du deuxième acte pénétrant connue un chant élégiaque :
. . . . . . . . . . Que de rêves charmants emportés sans retour ! Que de fragiles chaînes, Que de promesses vaines, Que de serments menteurs d'un éternel amour Oubliés ou trahis avant la fin du jour ! Lui seul, ingrate Sylvie, En te donnant son âme, en te donnant sa vie, Lui seul, hélas ! Ne mentait pas.
J'accueillais ses aveux d'un sourire vainqueur, Je riais de sa flamme, Je torturais son âme ; Et malgré mes dédains et mon refus moqueur, L'amour qu'il me jurait vit encor dans mon cœur ! Lui seul, ingrate Sylvie... . . . . . . . . . .
Balanqué est un de ces artistes sérieux que le publie adopte et protège ; à Bade, son talent est fort goûté, mais on ne le connaissait pas comme acteur ; sa réputation vient de faire un grand pas, car au milieu de ce succès général, il a eu un succès individuel parfaitement marqué. Comme Balanqué est aujourd'hui un de ces artistes dont le public et la critique suivent avec attention la carrière, je crois bien faire en donnant les dates qui jalonnent sa biographie. En 1842, Balanqué étudiait à Lyon la peinture et le dessin. Il quitta l'atelier en 1847 et entra comme pensionnaire au Conservatoire de musique, classe de Duprez. A sa sortie du Conservatoire, il était de cette pléiade d'artistes qui parcourut la province avec Duprez, et qui comptait des noms aujourd'hui célèbres : Mmes Miolan, Caroline Duprez, etc. Le Conservatoire ambulant jouait Jérusalem, la Juive, Lucie, la Favorite, le Barbier, Norma, etc., tous les chefs-d’œuvre du grand répertoire. En 1851, Balanqué engagé à Londres, joua avec succès au théâtre de la Reine le rôle de Bartholo du Barbier et de Rocco dans Fidelio de Beethoven. Un an plus tard, il créa à Paris un rôle dans Juanita, opéra de G. Duprez, donné au Théâtre-Lyrique. Des engagements le retiennent pendant trois ans éloigné de Paris. Cette période de sa vie d'artiste se passa à Bruxelles, à Toulouse, à Strasbourg et à Bordeaux. Depuis 1856, la carrière artistique de Balanqué appartient à l'époque brillante du Théâtre-Lyrique. Son début dans le rôle de Richard (Robin des Bois) le classa définitivement. Il a créé plusieurs rôles : Francatrippa de la Reine Topaze. Le marquis de la Demoiselle d'Honneur. Le comte dans les Noces de Figaro. Méphistophélès dans Faust. Vulcain dans Philémon et Baucis. Chose remarquable, ces créations ont toujours été plus heureuses pour l'artiste que les rôles de répertoire. Le talent de Balanqué est essentiellement original et mal à l'aise dans les exigences de la tradition. Une des qualités qui le font surtout apprécier, c'est la pureté de sa diction. Il prononce bien et sait donner aux mots leur portée sans les noyer dans l'emphase. Mlle Faivre a chanté avec beaucoup de facilité le rôle de Mazet, auquel elle a donné plus d'esprit que de naïveté. En félicitant MM. Carré et Jules Barbier, les auteurs du livret, on peut leur dire : au revoir, puisqu'ils composent pour la saison prochaine un nouveau poème d'opéra, dont M. F. Schwab, de Strasbourg, fera la musique. Il est bien entendu que le Barbier dont nous parlons est le vrai, l'unique, Jules Barbier le poète, et non l'autre. L'autre est un homonyme peut-être, mais certainement une contrefaçon, un Sosie indélicat, qui parcourt la province vêtu de la réputation du vrai, exploite le théâtre, perçoit des droits d'auteur, revoit des pièces, conseille les acteurs, etc., et finalement se fait appeler à la barre du tribunal qui juge ces sortes d'erreurs et d'abus. Il a visité ainsi Nantes, Bordeaux, Bruxelles, etc. Il y a bien encore quatre villes à citer, mais je les passe sous silence pour ne pas commettre un mauvais calembour. Ce compte rendu serait incomplet et taxé d'injustice si je passais sous silence le nom de M. Mutée et celui de M. Bouillier. M. Mutée, directeur du théâtre de Strasbourg, organise, conduit la saison théâtrale. Tous les artistes qui ont joué à Bade deviennent ses amis. On peut se consoler de ne pas être directeur à Paris quand on conduit bien le théâtre de Strasbourg et qu'on est pour beaucoup dans les succès scéniques de la saison de Bade. Quant à M. Bouillier, c'est le peintre dont j'ai dit tant de bien à propos des décors de la pièce de M. E. Martin. Il a composé avec beaucoup de talent la mise en scène de la Colombe. Son nom reviendra souvent dans les chroniques théâtrales.
(Léon Loiseau, l'Illustration de Bade et d'Alsace, 12 août 1860)
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Cet ouvrage avait été joué plusieurs années auparavant à Bade ; mais le compositeur a ajouté à la partition primitive quelques nouveaux morceaux. Le sujet a été tiré du conte de La Fontaine intitulé le Faucon. Mais, tout en conservant le canevas, on a changé l'oiseau. Un jeune seigneur, fort pauvre, et nommé Horace, possède une charmante colombe. Sylvie en a envie, et fait proposer par son intendant de l'acheter. Sur le refus d'Horace, elle se rend dans la maison, espérant obtenir ce qu'elle désire en jouant une petite scène de coquetterie. Le pauvre gentilhomme, qui ne se doute pas des convoitises de la belle, voudrait la bien recevoir ; mais il n'a pas même de quoi lui donner à dîner. Dans un accès de dépit et de désespoir, il ordonne qu'on fasse rôtir la colombe. On dîne, et Sylvie se décide à faire connaître à Horace l'objet de sa visite. Le malheureux est consterné. Mais Sylvie, touchée de tout ce qu'elle a vu et entendu, lui offre de l'épouser ; ce qu'il accepte de grand cœur. Quant à la colombe, elle a dû la vie à l'esprit du valet d'Horace qui a immolé un perroquet à sa place.
La musique de cet ouvrage est spirituelle, élégante. On lui a fait le plus favorable accueil. On a applaudi les couplets : Oh ! les femmes, les femmes ! et l'air Blanche colombe, votre faim ! chantés par le petit valet (Mlle Girard) ; la romance d'Horace (Capoul) ; un entr'acte gracieux con sordini : le terzetto et le finale du premier acte ; dans le second, l'air du majordome (Bataille) ; un air de Sylvie (Mlle Cico), et un duo entre Horace et le petit Mazet. La partition de la Colombe a été publiée par l'éditeur Choudens. C'est le premier ouvrage de M. Gounod qui ait été joué à l'Opéra-Comique, et il fait bonne figure au milieu de son spirituel et élégant répertoire.
(Félix Clément, Dictionnaire des opéras, 1869)
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Le sujet est tiré d'un conte de La Fontaine, le Faucon. La partition gracieuse et élégante manque de personnalité et de chaleur. On y rencontre quelques jolies pages, telles que la romance d'Horace, le petit trio et le finale du premier acte, et, au second, l'air de Sylvie et le duo d'Horace et du petit valet.
(Nouveau Larousse Illustré, 1897-1904)
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Catalogue des morceaux
Introduction | |||
Acte I |
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01 | Romance | Apaisez, blanche colombe | Mazet |
02 | Romance et Trio | Qu'il garde son argent !... | Mazet, Horace, Maître Jean |
03 | Ariette | Les amoureux | Maître Jean |
04 | Air | Je veux interroger ce jeune homme | Sylvie |
05 | Couplets | Ah ! les femmes ! les femmes ! | Mazet |
06 | Terzetto | Ô vision enchanteresse ! | Sylvie, Mazet, Horace |
07 | Quatuor final | Ô douce joie ! | Sylvie, Mazet, Horace, Maître Jean |
Acte II |
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Entr'acte | |||
08 | Air | Le grand art de cuisine | Maître Jean |
09 | Duo | Il faut d'abord dresser la table... | Mazet, Horace |
09bis | Mélodrame | Me voilà tombée dans une étrange rêverie !... | Sylvie |
10 | Romance | Que de rêves charmants | Sylvie |
11 | Madrigal | Ces attraits que chacun admire | Horace |
12 | Quartettino | Déjà son cœur semble tout bas souscrire | Sylvie, Mazet, Horace, Maître Jean |
13 | Duo | Combien je vous rends grâce | Sylvie, Horace |
14 | Final | Apaisez, blanche colombe | Sylvie, Mazet, Horace, Maître Jean |