Cendrillon
affiche pour la création de Cendrillon, lithographie d'Emile Bertrand (1899)
Conte de fées en quatre actes et six tableaux, livret d'Henri CAIN, d'après Cendrillon ou la Petite Pantoufle de verre, conte (1697) de Charles PERRAULT (Paris, 12 janvier 1628 – Paris, 16 mai 1703), musique de Jules MASSENET (1894-1896).
manuscrit autographe de la partition
Création à l'Opéra-Comique (3e salle Favart) le 24 mai 1899. Mise en scène d'Albert Carré. Décors d’Auguste Rubé, Marcel Moisson, Eugène Carpezat, Marcel Jambon et Lucien Jusseaume. Costumes de Charles Bianchini. Ballet réglé par Mme Mariquita, dansé par Mlles Jeanne CHASLES, NERCY, RAT, DUGUÉ et le Corps de ballet.
La 50e représentation à l'Opéra-Comique eut lieu le 24 décembre 1899 avec Mlle Edéa SANTORI, danseuse étoile.
Reprise à l'Opéra-Comique du 01 janvier 1909 pour une série de 17 représentations qui toutes eurent lieu sur la scène de la Gaîté-Lyrique.
77 représentations à l’Opéra-Comique au 31.12.1950, dont 24 entre le 01.01.1900 et le 31.12.1950.
Première à la Monnaie de Bruxelles le 03 novembre 1899.
personnages |
emplois |
Opéra-Comique 24 mai 1899 (création) |
Opéra-Comique 24 décembre 1899 (50e) |
Opéra-Comique 01 janvier 1909
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Monnaie de Bruxelles 03 novembre 1899 (première) |
Cendrillon | soprano | Mmes Julia GUIRAUDON | Julia GUIRAUDON | Rose HEILBRONNER | Lise LANDOUZY |
Madame de la Haltière | mezzo-soprano ou contralto | Blanche DESCHAMPS-JEHIN | Blanche DESCHAMPS-JEHIN | Germaine BAILAC | Louise HOMER |
le Prince Charmant | falcon ou soprano de sentiment ayant le physique du costume | Marie-Louise EMELEN | Marie-Louise EMELEN | Geneviève VIX | Jeanne MAUBOURG |
la Fée | soprano léger | Georgette BRÉJEAN-GRAVIÈRE | COURTENAY | Lucette KORSOFF | Lalla MIRANDA |
Noémie | soprano | Jeanne TIPHAINE | Jeanne TIPHAINE | Marie TISSIER | GOTTRAND |
Dorothée | mezzo-soprano | Jeanne MARIÉ DE L'ISLE | Jeanne MARIÉ DE L'ISLE | Marcelle FAYE | MATIVA |
Six Esprits | 4 soprani et 2 contralti | Marie DELORN, Françoise OSWALD, VILMA, Mathilde de CRAPONNE, STÉPHANE, FOUQUÉ | Marie DELORN, Françoise OSWALD, VILMA, Mathilde de CRAPONNE, STÉPHANE, FOUQUÉ | ||
Pandolfe | basse chantante ou baryton | MM. Lucien FUGÈRE | Lucien FUGÈRE | André ALLARD | Charles GILIBERT |
le Roi | baryton | DUBOSC | Léon ROTHIER | Joseph Paul LUCAZEAU | Charles DANLÉE |
le Doyen de la Faculté | ténor (trial) | GOURDON | GOURDON | Emile Louis DUMONTIER | Ferdinand Victor CAISSO |
le Surintendant des plaisirs | baryton | Etienne TROY | Etienne TROY | VINET | |
le Premier Ministre | basse chantante ou baryton | Gustave HUBERDEAU | Gustave HUBERDEAU | BRUN | |
Chef d'orchestre | Alexandre LUIGINI | Alexandre LUIGINI | Émile ARCHAINBAUD |
Chœurs : Serviteurs ; Courtisans ; Docteurs ; Ministres ; Dames et Seigneurs.
Ballet : Follets ; Tailleurs ; Coiffeurs ; Modistes ; Fiancé et Fiancée (2 solistes) ; les Filles de noblesse ; Princesses ; Gouttes de rosée.
Figuration : Dames et Seigneurs ; Pages ; Musiciens ; Princesses ; Serviteurs ; etc.
la Voix du Héraut : personnage parlant dans les coulisses.
une des dernières répétitions avant la création de Cendrillon, au foyer de l'Opéra-Comique
Julia Guiraudon (Cendrillon) lors de la création |
Georgette Bréjean-Gravière (la Fée) lors de la création |
Résumé. Epoque Louis XIII.
Acte I. Une grande agitation règne chez Mme de la Haltière. Ses deux filles. Noémie et Dorothée, se font belles pour le grand bal du prince où elles sont invitées. Comme à l'accoutumée, leur demi-sœur Lucie, dite Cendrillon, reste à la maison. Quand tout le monde est prêt, la famille part pour le bal. Cendrillon, toute triste, finit par s'endormir et rêve que des fées et des lutins lui permettent d'aller au bal, entourée et admirée. La fée, d'un coup de baguette magique, transforme alors la pauvre robe de Cendrillon en une toilette resplendissante. La jeune fille, ravie, part en toute hâte, avec toutefois l'obligation d'être de retour pour minuit.
Acte II. La salle de bal du palais. Le prince se tient à l'écart, mélancolique. Il ne sait quelle jeune fille choisir pour épouse et reste indifférent aux attentions dont l'entourent les sœurs de Cendrillon. Mais l'arrivée inopinée de celle-ci éveille son intérêt. Ebloui par la beauté et la grâce de l'inconnue, il se jette à ses pieds en la suppliant de lui révéler son nom. Mais elle répond que c'est impossible. Il essaie en vain de la retenir avec des paroles d'amour : quand minuit sonne, Cendrillon s'enfuit, perdant une pantoufle ; la fée retient le prince qui se lance à sa poursuite.
Acte III, première scène. Salon chez Mme de la Haltière. Cendrillon rentre tout essoufflée et pleure la fin de son beau rêve. Elle a précédé ses sœurs de quelques instants et, lorsqu'elles arrivent, elle leur demande avec une naïveté feinte comment s'est passé le bal. Furieuses, elles racontent qu'une étrangère qui n'était même pas invitée s'est introduite dans le palais. Cendrillon craint soudain que le prince ait pu se méprendre sur la pureté de ses intentions. Bouleversée par cette idée, elle décide de chercher la mort au Bois des fées. Deuxième scène. Près d'un chêne au Bois des fées. Cendrillon cherche le réconfort auprès de sa fée protectrice. Le prince arrive lui aussi et, heureux de l'avoir retrouvée, lui offre son cœur. Les fées les font tomber dans un profond sommeil, afin qu'ils croient tous deux qu'il s'agissait d'un rêve.
Acte IV, première scène. Le balcon de la chambre de Cendrillon. La jeune fille a été trouvée inconsciente dans le Bois et se relève à peine d'une grave maladie. Comme elle demande à son père si elle a laissé échapper des paroles pendant son délire, Pandolfe lui répond qu'elle a parlé d'amour et d'une certaine chaussure. On entend, dans la rue, un héraut annoncer que le prince fera essayer la pantoufle perdue par l'inconnue à toutes les jeunes filles qui se présenteront. Cendrillon comprend qu'elle n'a pas rêvé. Deuxième scène. Le palais royal. La foule regarde passer le cortège de jeunes filles. Le prince attend avec angoisse. Enfin, la fée apparaît avec Cendrillon, qui porte le cœur du prince qu'il lui a offert au Bois des fées. Le prince peut étreindre sa bien-aimée sous les acclamations de la foule.
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Mesdames et Messieurs, L'ouvrage dont je vais avoir l'honneur de vous entretenir a obtenu sur la scène de l'Opéra-Comique un succès aussi éclatant qu'incontesté. Son apparition est un nouveau triomphe pour cette musique française et bien française que certains de nos excellents compatriotes s'efforcent aujourd'hui de rabaisser au plus grand profit d'un art étranger. Or, un succès artistique est un événement, et c'est pourquoi, avant même d'entrer dans l'analyse de l'œuvre nouvelle, j'ai tenu à constater l'accueil très chaleureux, très enthousiaste, qu'elle a reçu du public. Tenez pour certain que le succès de Cendrillon est un succès très franc, très brillant, très légitime, et qui ne peut faire doute un instant pour qui que ce soit. C'est là ce que je tenais à établir sans plus tarder, comme une sorte de prologue ou d'avant-propos au compte-rendu qui va suivre. Et maintenant, après les trois saluts d'usage, j'entre en matière et je commence. Je voudrais dire tout le bien que je pense de la musique de Massenet, et non seulement pour ce qui est du détail, mais en ce qui concerne l'ensemble. Avant tout, j'y veux constater la présence d'une qualité que je ne connaissais pas encore au compositeur, c'est-à-dire le sens du vrai comique musical, tel que le comprenaient nos vieux maîtres français et les maîtres italiens. Je citerai sous ce rapport, au premier acte, l'excellente scène en trio de Mme de la Haltière et de ses filles. Elle est charmante et solidement construite, cette scène, dans le vrai ton de l'opéra-comique, avec comme une pointe d'archaïsme qui semble nous reporter au temps même du conte de Perrault, et accompagnée par un orchestre où l'emploi des violons nous rappelle la manière de Cimarosa et, plus près de nous, celle de Donizetti. A ce point de vue de l'intention comique heureusement réalisée, je signalerai encore l'introduction du second acte avec l'épisode des docteurs, le chœur bouffe de l'entrée de Cendrillon, dont la forme est très originale, et encore la scène de Mme de la Haltière au retour du bal, qui est écrite dans la note classique et dont l'orchestre est absolument amusant. Si je mets en relief ce caractère particulier qu'offrent certaines pages de la partition de Cendrillon, c'est pour en tirer cette conclusion que le jour où sa fantaisie le pousserait de ce côté, Massenet pourrait écrire un excellent opéra bouffe. Mais, d'ailleurs, c'est par la variété que brille cette jolie partition de Cendrillon, variété qui n'enlève rien à l'unité de style de cette œuvre si heureusement conçue. On y distingue tantôt ce sentiment comique qui me paraît si nouveau chez l'auteur, tantôt la grâce et la tendresse, jointes à une émotion sincère et communicative, tantôt une poésie délicate et pénétrante. L'espace me manque maintenant pour parler de tout cela comme il conviendrait. Je me contente de déclarer que le spectacle des yeux est merveilleux, et que s'il est riche et somptueux à souhait, il est aussi du goût le plus délicat, le plus pur et le plus châtié. De tout cela, de cet ensemble d'éléments heureusement réunis sortira un succès tel que depuis longtemps on n'avait vu le pareil. « Ce sera le Cyrano de Bergerac de l'Opéra-Comique », disait un spectateur. M. Albert Carré en acceptera certainement l'augure. (Arthur Pougin, le Ménestrel, 28 mai 1899)
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Le gentil livret de cet ouvrage suit presque pas à pas le conte qui l'a inspiré. Le premier acte nous fait assister au branle-bas du logis de Mme de la Haltière, la belle-mère de Cendrillon, pour la toilette de madame et de ses filles, qui se rendent au bal du fils du roi. Lorsqu'elles sont parties, Cendrillon, restée seule, s'endort auprès du foyer, sa place habituelle. Elle est réveillée par l'arrivée de la fée, sa marraine, qui la pare en grande dame et l'envoie au bal de son côté, en lui recommandant surtout de revenir au premier coup de minuit. On la voit ensuite entrer au bal, où son arrivée produit une sensation extraordinaire et enchante le jeune prince Charmant, qui devient aussitôt follement épris de la belle inconnue. Scène d'amour entre les deux enfants, puis, minuit sonnant à la grande horloge, Cendrillon s'en fuit comme une hirondelle, en laissant tomber sa pantoufle de vair. Troisième acte, retour au logis. Ces dames sont furieuses, parce qu'au bal nul ne s'est occupé d'elles, une inconnue ayant accaparé toute l'attention. Tandis qu'elles exhalent leur bile, Cendrillon pleure en secret à la pensée qu'elle ne reverra plus le prince. Son père, sans connaître son chagrin, s'efforce de la consoler, l'embrasse et la presse sur son cœur, en la plaignant d'être si malheureuse auprès de ses sœurs. Lorsque tout le monde s'est éloigné, Cendrillon, désespérée, s'enfuit, seule, au milieu de la nuit. Nous la retrouvons l'instant d'après (quatrième tableau) auprès du chêne des Fées, où, de son côté, le prince Charmant arrive, cherchant son inconnue. Ils se retrouvent, sous la surveillance de la bonne fée-marraine, et se jurent un éternel amour. Le quatrième acte nous transporte sur la terrasse de Cendrillon. L'enfant a été trouvée gisante, inanimée, au pied du grand chêne. On l'a ramenée mourante, et elle relève d'une longue maladie durant laquelle, lui dit son père, elle a divague, rêvant de choses qu'elle ne connaissait pas, du palais du roi, du grand bal, du prince Charmant, etc. « Ai-je donc rêvé ? se dit-elle alors, et rien de tout cela n'est-il arrivé ? » Mais voici qu'un héraut du palais fait savoir partout que le prince Charmant convie toutes les dames de la ville à, venir essayer la pantoufle que l'une d'elles a perdue au bal, promettant d'épouser celle qui pourra la chausser. On sait le reste, et le dénouement qui se produit au palais. Tel est le livret, dégagé des petits épisodes secondaires, tantôt gracieux, tantôt comiques, qui lui donnent le montant et la variété nécessaires en offrant au musicien la faculté de varier lui-même, avec les couleurs de sa palette, ses procédés personnels et ses moyens d'expression. La musique de Cendrillon est charmante, dans son ensemble comme dans ses détails, dont les uns sont piquants et imprévus, les autres pleins de grâce et de fraîcheur. Toute la partition est d'une inspiration fertile et savoureuse, avec un orchestre séduisant, travaillé à souhait, sonore et plein sans fracas et sans bruit, qui envoie par instants à l'audition des bouffées d'une poésie exquise. Sous ce rapport, il faut citer surtout le tableau du chêne des Fées, avec ses chœurs d'esprits invisibles, chœurs à bouche fermée, dont le caractère est mystérieux et l'effet délicieux, avec les jolies vocalises de la fée, vocalises qui jamais n'ont été plus à leur place et mieux en situation. Dans un autre ordre d'idées on doit signaler, au point de vue comique, toute la scène si curieuse de Mme de la Haltière et de ses filles au premier acte, puis l'introduction du second (le bal), avec l'entrée si plaisante des courtisans et des docteurs, et aussi l'entrée de Cendrillon, qui donne lieu à un chœur d'une forme très originale. Et en ce qui concerne l'émotion, on ne saurait oublier ni le premier duo de Cendrillon et du prince Charmant, ni l'épisode de leur rencontre sous le chêne (qui gagnerait peut-être à être un peu raccourci), ni enfin les deux scènes si pleines de tendresse de Cendrillon et de son père, au troisième et au quatrième acte. Tout cela, avec des airs de ballet du grain le plus fin et du goût le plus exquis, tout cela donne une idée de la souplesse du talent de M. Massenet, qui jamais ne s'est montré plus varié, plus apte à saisir les nuances les plus délicates et les plus diverses. » (Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1904)
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Le livret est habilement tiré du conte de Perrault. La partition est d'une inspiration charmante, avec des détails tantôt piquants, tantôt gracieux et poétiques. Il faut citer le tableau du chêne des Fées, avec ses chœurs d'esprits invisibles, à bouche fermée, d'un caractère mystérieux, avec les jolies vocalises de la fée. On peut signaler, au point de vue comique, la scène de la belle-mère de Cendrillon et de ses filles, au premier acte, puis l'introduction du second (le bal), avec l'entrée plaisante des courtisans et des docteurs, et aussi l'entrée de Cendrillon, qui donne lieu à un chœur très original. On trouve de la tendresse et de l'émotion dans le premier duo de Cendrillon et du prince Charmant, dans l'épisode de leur rencontre sous le chêne des Fées, dans les deux scènes où Cendrillon est consolée par son père, au troisième et au quatrième acte. (Nouveau Larousse Illustré, supplément, 1906)
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manuscrit de la partition de Cendrillon (1er acte, scène des Esprits)
« Conte de fées », dit la partition. Pourquoi pas opéra ? pourquoi pas opéra-comique ? pourquoi pas opéra-comique légendaire ? Parce que Massenet a voulu laisser toute sa saveur à l'œuvre du vieux conteur Charles Perrault. Parce qu'après avoir brossé de grandes toiles comme Hérodiade, comme Manon, comme Werther, il peut plaire à un peintre de sa valeur d'exécuter un petit tableau de genre ; parce qu'il a tenu à bien spécifier que le cadre et l'encadreur devaient être ici au même plan que le tableautin et le peintre. Il a fait cette fois de l'enluminure musicale en marge du conte, il a aquarellé une légende de Perrault. Au surplus, Cendrillon, au point de vue musical, ne vous y trompez pas, c'est Manon fanfreluchée, mais Manon dépouillée de l'acte de Saint-Sulpice, c'est Manon diminuée de toute sa nerveuse sensualité, de toute sa passionnante sentimentalité. Abstraction faite de l'amour, Cendrillon a la joliesse papillonnante de l'héroïne de l'abbé Prévost. Mais quoique l'amour et la passion mènent le monde et même la musique, Cendrillon ne pouvait avoir la force dramatique de Manon. Et c'est en somme le but que Massenet s'était proposé. Aussi, puisque le musicien a eu la claire vision de ce qu'il écrivait, puisqu'il a voulu écrire une féerie rehaussée de musique, ne lui demandons pas autre chose que ce qu'il a prétendu donner. Étonnons-nous même de nous trouver en face d'un compositeur assez maître de lui-même pour imposer une limite à son inspiration, tout comme Alexandre le Grand osa parler à la mer Tyrrhénienne et lui dit : « Tu n'iras pas plus loin. » Cendrillon, de Perrault, est un conte d'enfants, un des premiers qu'on nous ait révélés. Ce sont là les plus vives, les plus naïves impressions qui ont frappé nos jeunes imaginations, qui ont comblé nos ignorances avides. Et voilà qu'un musicien ou qu'un magicien voulut nous faire revivre ces vieux souvenirs, voulut nous ramener au temps de nos culottes courtes, alors que, de tous côtés, les réalités de la vie nous enserrent et nous prennent à la gorge dès que l'orchestre se tait, dès que le rideau se sera baissé sur la dernière apparition de la bonne fée ! Remercions ce semeur d'illusions sonores, ce chevaucheur de chimères musicales.
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Le livret de Henri Cain, auquel un collaborateur masqué — démasquons-le —, le délicieux peintre Paul Collin, apporta l'appoint de sa poétique imagination ; le livret de Henri Cain ne détruit pas la gracieuse légende du conte de Perrault. Qui de nous, en son enfance, n'a regretté que cette méchante Mme de la Haltière laissa seulette la pauvre Cendrillon ? qui de nous ne fut ravi que la Fée réparât cette injustice en donnant à Cendrillon la pantoufle-talisman qui devait la faire aimer du Prince Charmant. Réfléchissons et demandons-nous maintenant si la naïve Cendrillon n'était point une femme, une vraie femme, quand elle eut l'idée de perdre sa pantoufle de vair (fourrure, et non de verre). Elle savait bien, — fille d’Eve et coquette, — qu'elle avait le pied le plus mignon du monde, qu'elle était seule à l'avoir aussi menu, et que le Prince charmant finirait nécessairement par trouver chaussure au pied qu'elle avait. Quoi qu'il en soit, naïveté ou malice, on a retrouvé cette conclusion dans le livret de Henri Cain avec quelques personnages nouveaux, qu'on fut très heureux de se voir présenter : le pauvre Pandolfe de la Haltière malmené par sa pimbêche de femme, mais adoré de sa fille qu'il adore. Nous avons vu aussi avec ravissement un arbre de fées, autour duquel s'animaient les fleurs et chatoyaient les esprits. L'auteur du poème a terminé la pièce par cet appel au public, qui rappelle le couplet final des pièces de jadis :
…On a fait de son mieux Pour vous faire envoler par les beaux pays bleus.
Cendrillon était précédée, quelques jours avant sa répétition générale, d'un tableau que le librettiste et le musicien avaient baptisé du nom de Préface. C'était, comme dans le Roméo de Gounod, une façon de faire faire au public connaissance avec les personnages de la pièce. Ils apparaissaient tous groupés sur le théâtre devant un second rideau sur lequel étaient peintes les principales scènes des contes de Perrault, avec ces deux dates : 1628-1703. Au cours des dernières répétitions de Cendrillon, Albert Carré, directeur de l'Opéra-Comique, estima que présenter par avance les personnages d'une féerie, c'était détruire toute surprise, toute illusion, d'autant plus que chaque costume devait être vu avec l'éclairage que nécessitait l'action. D'un commun accord entre les auteurs et le directeur, la Préface fut supprimée. Elle disparut même de la partition. J'ai eu la bonne fortune d'en retrouver le poème, grâce à l'amabilité du librettiste, et j'ai cru utile d'en faire connaître le texte enjoué. Quant à la musique, elle reproduisait les principaux motifs dévolus à chaque personnage de l'action.
PANDOLFE (au public) (Parlé). Salut, Dames, Messieurs et gentes Demoiselles ! Pour échapper au noir des choses trop réelles, Laissez-nous vous bercer de récits merveilleux. Oubliez, pour un temps, les chagrins, les querelles, Redevenez enfants, croyez au fabuleux, Plaignez bien Cendrillon, aimez la bonne fée, Redoutez les lutins de la lande sacrée, Et soyez indulgents ; on jouera de son mieux Pour vous faire envoler par les beaux pays bleus !
CENDRILLON (simple et calme) (chanté). Je suis la petite Lucette ; Mais personne, jamais, ne me donne ce nom ; Car sous ces habits de pauvrette On m'appelle toujours Cendrille ou Cendrillon.
LA FÉE. Je suis la bonne fée et, de plus, sa marraine. Qu'elle vient supplier quand elle a trop de peine. Vous me verrez, vers les minuits Consoler son infortune Et lui donner de beaux habits Tissés dans un rayon de lune !
LE PRINCE CHARMANT (avec mélancolie et charme). A mon tour de me présenter : C'est Prince Charmant qu'on me nomme. Et c'est moi qui vais vous prouver Que devant l'angoisse d'aimer, Un roi tout puissant n'est qu'un homme.
PANDOLFE. Je suis père de Cendrillon
Veuf... et remarié dans l'arrière-saison, Avec une comtesse, hélas ! insupportable Qui m'apportait en dot... oh ! c'est épouvantable ! Deux belles filles, deux !! d'humeur très redoutable. A les chérir, je suis condamné par la loi ! Plaignez-moi ! plaignez-moi ! plaignez-moi !
MME DE LA HALTIÈRE (avec une majesté comique). C'est moi sa compagne irascible.
NOÉMIE. C'est nous qu'on vient de désigner.
DOROTHÉE. C'est nous qu'on vient de désigner. (Comme en confidence au public). N'auriez-vous pas, par impossible, Deux bons maris à nous donner ?
MME DE LA HALTIÈRE (de même). Deux bons maris à leur donner ?
LE ROI. Je suis le Roi, personnage incolore.
LE DOYEN DE LA FACULTÉ. Nous sommes les docteurs, Et nous avons l'honneur
LES DOCTEURS. D'être vos serviteurs.
LE SURINTENDANT DES PLAISIRS (d'une façon impassible). Nous sommes les seigneurs Et nous chantons les chœurs.
LES SEIGNEURS (d'une façon impassible). Nous sommes les seigneurs Et nous chantons les chœurs.
LE PREMIER MINISTRE (d'un air épuisé et indifférent). Vous avez devant vous des ministres
QUELQUES MINISTRES (insistant). Intègres.
LA FÉE. Les Esprits de la nuit, Les Esprits de l'aurore ; Ceux-là sont les gardiens du vieux chêne sacré
UN NÈGRE. Et nous sommes les nègres.
PANDOLFE (au public avec empressement). Il faut que le public soit toujours éclairé. (Avec autorité). Commençons ! Et chacun agira de son mieux
CENDRILLON, LE PRINCE CHARMANT, NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE, PANDOLFE, LE ROI, LE DOYEN, LE SURINTENDANT. Et chacun agira de son mieux
LE PREMIER MINISTRE.
Et chacun agira de son mieux
Devons-nous regretter d'avoir été privés de cette aimable préface. Erreur en deçà de la scène, vérité au-delà… ou réciproquement. J'avoue que la question semble assez difficile à trancher. Seul le public aurait pu la résoudre.
Massenet a poudrerizé le conte de Perrault et le livret de Henri Cain d'une délicate poussière de sons. Quand il fait parler la prétentieuse Mme de la Haltière, quand il veut évoquer les allures de cette autre marquise de Carabas, il donne à son dessin mélodique un tour pompeusement comique. Mais quand il veut décrire les railleries de Pandolfe, l'homme simple, le bon bourgeois, les brocarts de la valetaille, il fait babiller l'orchestre avec autant d'esprit sémillant qu'un Rossini, et il s'assimile avec un étonnant à-propos la verve pimpante d'un Mozart. Vienne l'apparition de la fée, viennent les évolutions comme effarouchées des sylphes et des lutins, Massenet sait retrouver la vaporeuse fantaisie de Weber : il y a alors dans l'orchestre des clairières de cors et de hautbois à travers lesquelles passent des frissons de mystère et poudroient des rais de lumière versicolore. Que Cendrillon se laisse aller à toute sa mélancolie ou qu'elle chante son amour à l'unisson avec le Prince Charmant, ou bien encore qu'elle exalte le souffle attiédi de l'avril revivifiant, ou qu'éperdue de douleur, lasse de persécutions, elle se laisse consoler par les accents de tendresse émue de son père, Massenet se retrouve avec sa note bien personnelle. Aussi est-ce une page exquise que la cantilène triste : « Reste au foyer, petit Grillon », que chante Cendrillon au premier acte. Tout autrement traité est le duo de la déclaration : « Vous êtes mon Prince Charmant », ou encore le duo du troisième acte entre Pandolfe et Cendrillon, et la mélodie : « Printemps revient », que l'on pourrait citer comme une des plus jolies pages de l'anthologie musicale française. Il y a aussi dans Cendrillon toute une part de pastiche voulu. Ce pastiche est des plus réussis ; Massenet lui a donné la grâce guindée et la simplicité apprêtée des ballets du règne de Louis XIII qu'il a fait revivre : le menuet de Mme de la Haltière, le concert chez le Roi avec ses discrètes et curieuses modulations ; l'entrée des filles de noblesse, si originale ; celle des fiancés, accompagnée par les hautbois à la tierce ; celle des Mandores si délicieusement rythmée ; la Florentine et enfin le Rigaudon, tout cela est comme une revivification des couleurs du temps, tout cela dénote un sens de pénétration, une acuité de vue qui perce à travers les figes, en un mot une adresse prestigieuse. Dans Cendrillon la fête de l'oreille était complétée par la fête des yeux. Ce fut la première pièce où Albert Carré, qui avait été nommé directeur en 1898, put vraiment donner la mesure de ce qu'il pouvait faire. Il n'est pas exagéré d'affirmer qu'il emprisonna la chimère, qu'il lui donna la réalité, qu'il arriva à donner au public l'impression du surnaturel, de la féerie, par cet heureux mélange du souvenir et de l'invention ingénieuse qui est tout le caractère et tout le secret du mystère, du moins au théâtre. (Louis Schneider, Massenet, 1908)
La partition manuscrite de Cendrillon a été offerte par l'auteur à Mme Guiraudon-Cain (alors Mlle Julia Guiraudon) avec cette dédicace : "A Mlle Julia Guiraudon, à l'exquise créatrice de Cendrillon à l'Opéra-Comique (mai 1899) ce manuscrit est offert par le musicien reconnaissant."
Un premier état de la partition de Cendrillon. Il s'agit du même passage musical de l'extrait précédent. On y verra le premier jet de l'inspiration de Massenet ; on y verra aussi avec quel soin Massenet recopie lui-même ses partitions. Ce manuscrit a été offert par le musicien à son librettiste, Henri Cain, qui a bien voulu nous le communiquer.
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Dans une lettre du 17 mars 1899, adressée à mon grand-père Henri Heugel, son éditeur, Massenet annonce que les répétitions pour Cendrillon marchent bien et que les artistes sont enchantés de leurs rôles. Cette œuvre était donc entièrement terminée à cette date. Mais quand a-t-elle été composée, car, juste avant Cendrillon, nous trouvons Sapho (1897) et un ballet le Carillon (1898). Et quand on pense que, pour les années 1897-1898, outre les œuvres citées, il écrivit encore 26 mélodies, qu'il se déplaçait continuellement, puisqu'on le trouve à Aix-les-Bains, qu'il accomplit une excursion à la Grande Chartreuse, qu'il est en famille à Pourville, puis à Dieppe, avant de se rendre en Bretagne puis à Monte-Carlo, endroit alors très important pour les œuvres nouvelles, Nice, Milan, Venise, encore Pourville, etc... Sans pouvoir vraiment mettre de date précise on peut penser que Cendrillon a été écrit durant cette période, et probablement très rapidement. A la Première de Cendrillon, le 24 mai 1899, Massenet, comme d'habitude, était très nerveux et alla se reposer à Enghien pour soigner ses nerfs pendant deux ou trois jours. L'œuvre eut beaucoup de succès puisqu'elle se joua 49 fois en 1899 et 20 fois en 1900 à l'Opéra-Comique. Très rapidement, elle fut donnée à Genève, Milan et Alger ainsi qu'à Lyon. A cette époque, Massenet fut nommé Grand Officier de la Légion d'Honneur. Cendrillon marque la fin d'une période dans la vie du musicien. Avec la venue du nouveau siècle, Massenet allait aborder la dernière phase de sa carrière que l'on pourrait appeler la « période de Monte-Carlo » (1900-1912). (François Heugel)
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Introduction | ||
Acte I — Chez Madame de la Haltière |
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Prélude | ||
Scène I | On appelle ! On sonne !... Continuez... ce n'est que moi | Pandolfe, Servantes, Serviteurs |
Scène II | Du côté de la barbe est la toute puissance | Pandolfe |
Scène III | Faites-vous très belles, ce soir... Prenez un maintien gracieux | Mme de la Haltière, Noémie, Dorothée |
Scène IV | Ce sont les modistes ! ce sont les tailleurs !... De sa robe, il faut que les plis... Félicitez-moi de mon exactitude... De la race, de la prestance, de l'audace ! | Mme de la Haltière, Noémie, Dorothée, Pandolfe, les Domestiques |
Scène V | Ah ! que mes sœurs sont heureuses !... Reste au foyer, petit grillon... Comme la nuit est claire | Cendrillon |
Scène VI | Douce enfant, ta plainte légère... Je veux que cette enfant charmante | Cendrillon, la Fée, les Esprits, Sylphes, Lutins |
Acte II — Chez le Roi |
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Scène I | Que les doux pensers | Surintendant des plaisirs, Doyens, Ministres, Courtisans, Docteurs |
Scène II | Cœur sans amour, printemps sans roses | le Prince Charmant |
Scène III | Mon fils, il vous faut m'obéir | le Roi |
Ballet : 01. les Filles de noblesse. - 02. les Fiancés. - 03. les Mandores. - 04. la Florentine. - 05. le Rigodon du Roy | ||
Scène IV | Toi qui m'es apparue... Pour vous, je serai l'inconnue... Je te perdrais !... Vous êtes mon Prince Charmant | Cendrillon, le Prince Charmant |
Acte III — 1er tableau : le Retour du Bal |
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Scène I | Enfin, je suis ici... A l'heure dite, je fuyais | Cendrillon |
Scène II | C'est vrai ! Vous êtes, je vous le déclare... Lorsqu'on a plus de vingt quartiers... Une intrigante, une inconnue !... Racontez-moi... qu'a dit alors le fils du Roi ?... Mais ma fille pâlit ! | Cendrillon, Mme de la Haltière, Noémie, Dorothée, Pandolfe |
Scène III | Ma pauvre enfant chérie ! Ah ! tu souffres donc bien ?... Viens, nous quitterons cette ville | Cendrillon, Pandolfe |
Scène IV | Seule, je partirai, mon père... Adieu, mes souvenirs de joie et de souffrance | Cendrillon |
Acte III — 2e tableau : Au Chêne des Fées |
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Scène I | Fugitives chimères, ô lueurs éphémères... Mais, là-bas, au fond de la lande obscure | la Fée, les Esprits |
Scène II | A deux genoux, bonne marraine... Vous qui pouvez tout voir et tout savoir | Cendrillon, le Prince Charmant, la Fée |
Acte IV — 1er tableau : la Terrasse de Cendrillon |
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Scène I | Je m'étais rendormie... Tu riais... tu pleurais... sans motif et sans trêve... Hélas, j'ai donc rêvé ! | Cendrillon, Pandolfe |
Scène II | Ouvre ta porte et ta fenêtre... Printemps revient | Cendrillon, Pandolfe, Voix de jeunes filles |
Scène III | Avancez ! Reculez !... Apprenez qu'aujourd'hui l'ordre de notre Roi... Mon rêve était donc vrai ! | Cendrillon, Mme de la Haltière, Voix du Héraut |
Acte IV — 2e tableau : Chez le Roi - la Cour d'honneur |
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Scène I | Salut aux Princesses ! Salut aux Altesses !... Posez dans son écrin sur un coussin de fleurs... | Cendrillon, le Prince Charmant, la Fée, Pandolfe, la Foule |
Scène II | Prince Charmant, rouvrez les yeux... Vous êtes mon Prince Charmant... Ici tout finit, la pièce est terminée | Cendrillon, le Prince Charmant, la Fée, Pandolfe, la Foule |
LIVRET
acte I. scène des Domestiques, lors de la création
ACTE PREMIER
CHEZ MADAME DE LA HALTIÈRE Vaste chambre. Grande cheminée avec son âtre.
Coups de sonnette répétés. DES DOMESTIQUES troublés, ahuris ne savent qui entendre. Quelques-uns courent, affolés.
DOMESTIQUES, SERVITEURS, hommes et femmes.
On appelle, on sonne ! Que de scènes ! Que de cris ! Nous sommes ahuris ! On appelle, on sonne ! C'est par ici ! non ! c'est par là ! On ressonne, on recarillonne ! Voilà, voilà, On y va ! Mieux vaudrait servir le diable en personne Que cette femme-là !... Les uns aux autres. O mon cher, ô ma chère ! C'est une mégère ! A la vue de Pandolfe, qui paraît, tous s'arrêtent, troublés, interdits. Monsieur !
PANDOLFE. Continuez. Ce n'est que moi. Pourquoi Vous taisez-vous ? Pas besoin de prudence ; Ne soyez pas ainsi troublés par ma présence Et dites, que se passe-t-il ?
LES DOMESTIQUES. Monsieur, chacun proclame Que monsieur est gentil, très gentil, très gentil ! Mais c'est madame ! Ah ! madame ! ah ! madame !
PANDOLFE. Hein ! Qu'est-ce à dire ? A part. Au fond, ils ont raison ! Nouveaux et très forts coups de sonnette. Allez, allez... on vous réclame !
LES DOMESTIQUES. Monsieur est si gentil, si gentil...
PANDOLFE. Eh, c'est bon ! En sortant, les domestiques se retournent en disant : « Mais c'est madame ! Ah ! Madame ! »
PANDOLFE. Du côté de la barbe est la toute-puissance... Oui, je devrais le faire voir Et savoir Obtenir de ma femme un peu d'obéissance. Hélas ! vouloir n'est pas pouvoir !
Pourquoi, grands dieux, veuf et tranquille, Vivant chez moi, loin de la ville, Exempt de soucis et d'émois Près de ma fillette adorable Ai-je quitté ma ferme et nos grands bois !
Pourquoi ? Pour m'en aller tenter le diable, En étant le mari Re-mari, très marri D'une comtesse fière et d'humeur redoutable Qui m'apportait en dot, non ! c'est épouvantable, Deux belles filles, deux ! mon sort est lamentable ! A les chérir, je suis condamné par la loi ! Ombre de Philémon, plaignez-moi ! plaignez-moi ! Mon sort est vraiment effroyable ! . . . . . . . . . . Encore, si j'étais seul à gémir, mais non, Pour toi, c'est l'abandon, O ma fillette ! Ah ! que je souffre en te voyant, Lucette, Sans affiquets, ni collerette, Te cacher pour venir me donner un baiser, Sans un regard pour m'accuser Quand au logis, seulette, Je te laisse pendant le bal ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Que veux-tu ! Je sens que c'est mal ! Mais si ma femme gronde et rage Je tremble et je ne peux résister à l'orage Avec agitation et nervosité. Ah ! par ma foi, Ce sera pénible, peut-être, Mais il faudra qu'un jour, chez moi, Avec autorité. Je finisse par être maître ! Les domestiques entrent, précédant madame de la Haltière et ses deux filles.
PANDOLFE, changeant de ton et s'enfuyant. Ma femme ! hélas ! Partons ! Vouloir n'est pas pouvoir !
SCÈNE III
MADAME DE LA HALTIÈRE, à ses filles, avec une importance comique.
Faites-vous très belles, ce soir ;
NOÉMIE et DOROTHÉE. Pourquoi, maman ?
MADAME DE LA HALTIÈRE. Peut-on jamais savoir ? Faites-vous très belles, ce soir ! A part. Non, cela n'aurait rien qui me puisse surprendre... Car c'est plus d'une fois Que l'on a vu des rois...
NOÉMIE et DOROTHÉE. Quoi donc, maman ? Plus d'une fois Qu'est-ce donc qu'ils ont fait, les rois ?
MADAME DE LA HALTIÈRE. A tout nous devons nous attendre.
NOÉMIE et DOROTHÉE. Nous attendre à tout ? Mais pourquoi ?
MADAME DE LA HALTIÈRE. Parce qu'on va, ce soir, vous présenter au roi !
NOÉMIE et DOROTHÉE. Ah ! quel bonheur ! nous allons voir le roi !
MADAME DE LA HALTIÈRE. Il vous remarquera, j'espère !
NOÉMIE et DOROTHÉE. Alors, qu'est-ce qu'il faudra faire ?
MADAME DE LA HALTIÈRE. Il faudra faire comme moi ! Le bal est un champ de bataille...
NOÉMIE et DOROTHÉE. Comment, Maman, Le bal est un champ de bataille ?...
MADAME DE LA HALTIÈRE. Tenez-vous bien, Ne perdez rien De votre taille, Pas de mouvements trop nerveux...
NOÉMIE et DOROTHÉE. Non, maman !
MADAME DE LA HALTIÈRE. A-t-on bien frisé vos cheveux ?
NOÉMIE et DOROTHÉE. Oui, maman !
MADAME DE LA HALTIÈRE, à part, avec volubilité, comme se parlant à elle-même.
Car je ne veux, ni ne puis me résoudre, Le coup de foudre !
NOÉMIE et DOROTHÉE. Le coup de foudre !
MADAME DE LA HALTIÈRE, à ses filles. Prenez un maintien gracieux En arrondissant votre bouche. Bien ! N'ayez pas l'air trop farouche !
NOÉMIE et DOROTHÉE. Voilà, maman !
MADAME DE LA HALTIÈRE. Parfait ! on ne peut mieux ! Ne soyez pas banales ! Ni trop originales !
[ MADAME DE LA HALTIÈRE. [ Faites-vous très belles ce soir ! [ Quel succès nous allons avoir ! [ Mais vous ne devez pas savoir [ Quel est mon espoir ! [ [ NOÉMIE et DOROTHÉE. [ Nous serons très belles ce soir ! [ Quel succès nous allons avoir ! [ Et nous croyons déjà savoir [ Quel est votre espoir !
LES MÊMES, LES DOMESTIQUES. LES DOMESTIQUES, affairés. Madame, ce sont les modistes.
D'AUTRES. Madame, ce sont les tailleurs.
D'AUTRES. Madame, ce sont les coiffeurs.
MADAME DE LA HALTIÈRE, avec ostentation. Qu'on introduise ces artistes ! Pendant que les modistes, les coiffeurs et les tailleurs s'occupent de la toilette des trois femmes. De sa robe, il faut que les plis Soient plus légers, plus assouplis. A ses filles. Qu'en dites-vous ?... La ligne est pure… Très bien cela. Cette coiffure Est concordante à la figure !
LES DOMESTIQUES, au fond, pouffant de rire. Cheveux garantis sur facture.
NOÉMIE et DOROTHÉE, s'interrogeant mutuellement. Sommes-nous bien ainsi ? Oui, véritablement Sans compliment, C'est charmant ! C'est charmant !
MADAME DE LA HALTIÈRE. Charmant !
NOÉMIE et DOROTHÉE, flattant leur mère. Un éblouissement !
LES DOMESTIQUES, au fond, même jeu. Est-elle fagotée ?...
MADAME DE LA HALTIÈRE, flattant ses filles. Un émerveillement !
LES DOMESTIQUES, au fond, même jeu. Et Noémie ! Et Dorothée ?
MADAME DE LA HALTIÈRE, et ses deux filles. On en parlera sûrement !
LES DOMESTIQUES, même jeu. Oui, oui, sûrement ! Les fournisseurs sont reconduits par les domestiques.
PANDOLFE, entrant en grande toilette. Félicitez-moi donc de mon exactitude.
NOÉMIE ET DOROTHÉE. Oui... ce n'est pas votre habitude.
MADAME DE LA HALTIÈRE. Vous êtes toujours en retard Enfin... cette fois... par hasard...
NOÉMIE ET DOROTHÉE, se montrant avec prétention. Ne sauriez-vous trouver un mot aimable à dire En voyant nos beautés ?...
PANDOLFE, préoccupé. Excusez-moi... j'admire... A part, pendant que les trois femmes se pavanent. Ne disons rien, restons tranquille en notre coin, Ne voulant de près ou de loin Ajouter même une parole, Un doux espoir me soutenant, Me caressant, me consolant... Montrant sa femme, joyeusement. On va l'enfermer, elle est folle !...
MADAME DE LA HALTIÈRE, brusquement. Eh ! bien ! Qu'avez-vous donc ? Vous restez comme un pieu Planté là !
NOÉMIE. Venez donc !
DOROTHÉE. Et partons !
MADAME DE LA HALTIÈRE. Venez vite !
PANDOLFE. Tout de suite ! de suite ! A part, avec émotion. Ma Lucette... je pars sans t'avoir dit adieu !... Je te laisse encore seule... ô ma pauvre petite ! Je pars sans même oser Te donner un baiser ! Sans bercer ta tristesse D'un seul mot de tendresse !...
MADAME DE LA HALTIÈRE, regardant ses filles. Quand le prince aura vu leurs attraits enchanteurs, La fortune est à nous... Le trône et ses grandeurs !
MADAME DE LA HALTIÈRE, NOÉMIE ET DOROTHÉE. De la race De la prestance, De l'audace, De l'élégance, De la finesse, Ensorcelante, Une souplesse Un peu troublante, Lèvre mutine Et délicate, Le mot qui flatte, Grâce assassine, Des yeux de chatte. Elles ont tout, oui, vraiment tout ! Le prince est pris, s'il a du goût ! Sortie générale. Les domestiques emportant les candélabres et les flambeaux pour accompagner le départ. — Obscurité.
Ah ! que mes sœurs sont heureuses ! Pour elles C'est chaque jour nouveau plaisir ! Elles n'ont pas le temps de former un désir... Et le bonheur aussi, je crois, les rend plus belles !...
Elles vont à la cour... à la cour ! oh !
ce bal !... Tous les seigneurs seront au moins marquis ou princes A l'entour du trône royal ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Et mes sœurs seront là... tandis que moi... je rêve... Et j'ai tort, oui, j'ai tort. Ces rêves-là font mal ! Ma besogne est là qu'il faut que j'achève !
Reste au foyer, petit grillon, Car ce n'est pas pour toi que brille Ce superbe et joyeux rayon... Ne vas-tu pas porter envie au papillon ? A quoi penses-tu, pauvre fille ? Travaille, Cendrillon, Résigne-toi, Cendrille !
C'est une joie aussi de faire son devoir ! Débarrassons la table et rangeons le dressoir ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je suis décidément paresseuse ce soir. J'ai beau vouloir... j'entends toujours des bruits de fête Dont les échos troublants bourdonnent dans ma tête...
Reste au foyer, petit grillon, Car ce n'est pas pour toi que brille Ce superbe et joyeux rayon... Ne vas-tu pas porter envie au papillon ? A quoi penses-tu, pauvre fille ? Résigne-toi, Cendrille, Travaille, Cendrillon ! Voyons, j'ai bien fait tout ce que j'avais à faire. Je puis me reposer. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Comme la nuit est claire ! Les étoiles ont l'air de me sourire, aux cieux !
C'est étrange ! on dirait que le sommeil m'accable !
Je ne suis plus à l'âge où le marchand de
sable
Dormons ; souvent on est heureux Quand on dort... et qu'on fait des songes merveilleux ! En s'endormant, Cendrillon dit encore : Reste au foyer petit grillon . . . . . . . . . . . . . . Résigne-toi ! Résigne-toi !
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acte I. scène des Esprits, lors de la création
CENDRILLON, endormie, LA FÉE, puis LES ESPRITS et LES FOLLETS.
LA FÉE apparaissant, à Cendrillon, endormie. Douce enfant, ta plainte légère Comme l'haleine d'une fleur, Vient de monter jusqu'à mon cœur. Ta marraine te voit et te protège... espère !...
VOIX LOINTAINES. Espère !
LA FÉE. Sylphes, lutins, follets, accourez à ma voix, De tous les horizons, à travers les espaces... Les esprits et les follets apparaissent. Suivez exactement mes lois. Apportez-moi tous vos talents, toutes vos grâces ! Je veux que cette enfant charmante, que voici, Soit aujourd'hui hors de souci Et que par vous, splendidement parée, Elle connaisse enfin le bonheur à son tour... Je veux qu'aux fêtes de la cour Elle soit la plus belle et la plus admirée…
O Cendrillon, ma fleur d'innocence et d'amour, Sur toi je veille !
CENDRILLON, endormie. Vision ravissante ! Étonnante merveille !
LES ESPRITS. Cendrillon, tu seras la beauté sans pareille !
LA FÉE, aux follets. Pour en faire un tissu magiquement soyeux Dont vous composerez sa robe, Que votre main adroitement dérobe Aux astres radieux La subtile splendeur de leurs rayons joyeux, A l'arc-en-ciel ses harmonies,
Au clair de lune empruntez ses pâleurs, A un groupe de follets. Et vous, préparez l'attelage ! A un follet. Toi, tu seras cocher.
UN ESPRIT. Et moi ?
LA FÉE. Tu seras page ! A d'autres. Et vous serez les postillons !
LA FÉE et LES ESPRITS, aux follets. Tous les petits oiseaux vous prêteront leurs ailes, Les coursiers seront les insectes frêles, Les phalènes, les papillons Et les légères demoiselles. Habiles artisans, Fournissez-nous des pierreries En butinant dans les prairies, Coccinelles et vers luisants ! Que les moucherons et les scarabées Égalent des rubis les purs scintillements. Aux larmes de la nuit, sur les roses pâmées Donnez l'éclat des diamants. Vous cacherez des lucioles, Pour éclairer tout son chemin, Au fond des tremblantes corolles Des tulipiers et du jasmin.
LA FÉE, à Cendrillon, toujours endormie. Tout est donc prêt. Éveille-toi, petite !
LES ESPRITS, à Cendrillon. C'est ta marraine qui t'invite, O Cendrillon ! ô fleur d'amour ! On t'attend au bal de la Cour ! Tes vœux sont exaucés. Éveille-toi, petite !
CENDRILLON, en rêvant. Enfin... je connaîtrai le bonheur à mon tour ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tristement. On ne va pas au bal, à la cour, en guenille... Avec ravissement. Que vois-je ? Suis-je folle ? Avec stupeur et joie, en se voyant superbement parée. Est-ce de l'or qui brille ? A la place de mon haillon,
Cette robe splendide et ce manteau qui
traîne ! Ni Lucette !... je suis princesse... je suis reine... A la fée avec effusion. Merci, merci, bonne marraine !
LA FÉE. Écoute bien. Quand sonnera minuit, Ici, je veux que tu sois revenue.
Donc, par quelque plaisir que tu sois
retenue,
LES ESPRITS Quand sonnera minuit...
CENDRILLON. Je serai revenue...
LA FÉE ET LES ESPRITS Souviens-toi bien.
CENDRILLON. A l'heure convenue. Cendrillon, sur le point de partir, s'arrête et avec un découragement soudain. Mais hélas ! c'en est fait déjà de mes bonheurs !
LA FÉE. Que dis-tu ?
CENDRILLON. Ma mère et mes sœurs Sont à ce bal... Je serai reconnue. Et...
LA FÉE. Calme tes vaines frayeurs. Cette pantoufle mignonne Que je te donne, Est un talisman précieux Qui rendra ma Lucette inconnue à leurs yeux. En route, maintenant, en route, le temps presse Montrant le carrosse. Voici ton carrosse, princesse !
CENDRILLON, avec une joie naïve. Qu'il est joli !... qu'il est petit !...
LA FÉE. Tous les esprits Lutins, follets, seront à tes ordres.
CENDRILLON, avec une gaieté débordante. Je ris ! Ne fût-ce qu'une fois, qu'une heure dans ma vie, Moi qui ne connaissais encore que les mépris, Des plus belles j'aurai pu mériter l'envie ! Je ris ! Je ris !
LA FÉE ET LES ESPRITS. Partez, madame la princesse, Le cœur content, le front joyeux ! Mais, fidèle à votre promesse, Minuit sonnant, soyez de retour en ces lieux !
CENDRILLON. Fidèle à ma promesse, A minuit, je serai de retour en ces lieux !
LA FÉE ET LES ESPRITS. Partez ! partez ! madame la princesse !
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ACTE DEUXIÈME
CHEZ LE ROI La salle des fêtes et les jardins du palais. Le tout brillamment illuminé.
SCÈNE PREMIÈRE
LE PRINCE CHARMANT. Auprès de lui trois musiciens (luth viole d'amour et flûte de cristal) font entendre pendant toute la scène comme un concert mystérieux. LE SURINTENDANT DES PLAISIRS, avec un groupe de COURTISANS, saluant le prince, puis LES DOCTEURS et LES MINISTRES.
LE SURINTENDANT, au prince. Que les doux pensers sur vos lèvres Viennent éclore souriants. Laissez la tristesse et ses fièvres, Fuyez les chagrins décevants. Noble prince, Répondez !
LES COURTISANS, entre eux. Non. Il ne nous répond rien.
LE SURINTENDANT. Messieurs, je crois qu'on nous évince.
TOUS. Aucun moyen
De prolonger cet entretien. Ils se retirent et sont remplacés par un groupe de docteurs.
LE DOYEN DE LA FACULTÉ, au prince. Par Hippocrate et docta lex Volumus vos auscultare, Chère Altesse, atque drogare Suivant les règles du Codex. Noble prince, Écoutez.
LES DOCTEURS, entre eux. Non. Il n'écoutera rien.
LE DOYEN. Messieurs, je crois qu'on nous évince.
TOUS. Aucun moyen De prolonger cet entretien.
Les docteurs en s'éloignant font place
au groupe des ministres. LE PREMIER MINISTRE, au prince. Nous sommons Votre Seigneurie De venir s'amuser au bal Et de chasser sa rêverie,
Aux termes d'un décret royal. Consentez.
LES MINISTRES, entre eux. Non. Il ne consent à rien.
LE PREMIER MINISTRE. Messieurs, je crois qu'on nous évince.
TOUS. Aucun moyen De prolonger cet entretien.
LES TROIS GROUPES, légèrement, changeant de ton, avec indifférence, en s'éparpillant. Pauvre prince ! Pauvre prince ! Pauvre prince !
SCÈNE II
LE PRINCE CHARMANT, seul. Allez, laissez-moi seul... seul avec mes ennuis... Cœur sans amour, printemps sans roses ! Pour moi, tous les jours sont moroses Et moroses toutes les nuits !... Pourtant, de doux frissons glissent par tout mon être…
Si, me tendant les bras, je la voyais paraître, Celle que veut mon âme ! Enivré, radieux, Je lui dirais dans mon ivresse : « De nous l'amour fera des dieux, Je suis à toi. Prends ma jeunesse ! » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mais je vis triste et seul, le cœur brisé d'ennuis... Pour moi, tous les jours sont moroses Et moroses toutes les nuits !... Cœur sans amour ! Printemps sans roses !... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ah ! si je la trouvais, oubliant la grandeur, Dédaigneux des richesses, Du trône je prendrais en pitié la splendeur, Pour ne plus rien goûter que nos chères tendresses !...
SCÈNE III
LE PRINCE CHARMANT. Entrée du ROI
et de la COUR. LE ROI. Mon fils, il vous faut m'obéir. Vous allez voir à cette fête Les filles de noblesse ! Or, vous devrez choisir Celle qui vous fera le mieux tourner la tête, Et l'épouser... Mon fils, tel est mon bon plaisir !
DIVERTISSEMENT
PREMIÈRE ENTRÉE (Les Filles de Noblesse.)
DEUXIÈME ENTRÉE (Les Fiancés)
TROISIÈME ENTRÉE (Les Mandores.)
QUATRIÈME ENTRÉE (La Florentine.)
CINQUIÈME ENTRÉE (Le Rigodon du Roy.)
Entrent madame de la Haltière, ses deux filles, Pandolfe, le Surintendant, le Doyen et le premier Ministre. Aussitôt après les révérences.
[ LE DOYEN, LE SURINTENDANT ET LE PREMIER MINISTRE, aux trois femmes. [ Ah ! vous êtes en sa présence ! [ Par votre superbe prestance [ Jouez de tous vos attraits, [ C'est l'instant où jamais ! [ [ MADAME DE LA HALTIÈRE, SES DEUX FILLES et PANDOLFE, confidentiellement entre elles [ Ah ! nous sommes en sa présence ! [ Par notre superbe prestance [ Jouons de tous nos attraits, [ C'est l'instant où jamais !
Pendant la danse à laquelle prennent
part madame de la Haltière et ses deux filles. PANDOLFE, à part dans le plus grand trouble. Que je suis donc ému ! Mon auguste maître, Sa Majesté, va me parler Elle m'a reconnu... peut-être... Ah ! je voudrais bien m'en aller ! Pendant la danse, quand les couples se rencontrent.
NOÉMIE ET DOROTHÉE, à leur mère, rapidement, en passant. Maman, nous sommes angoissées...
MADAME DE LA HALTIÈRE, à ses filles, même jeu. Ne soyez pas embarrassées... Le prince vient… c'est le moment...
DOROTHÉE. Je défaille... Ah ! maman !
MADAME DE LA HALTIÈRE. Vos robes vont être froissées ! Cendrillon paraît. Le prince, qui semblait l'attendre, la contemple de loin, en extase. — Grand étonnement de toute l'assistance. Stupeur et dépit des dames de la Haltière. Chacun observe tour à tour Cendrillon qui s'avance lentement.
LA FOULE. Voyez ! L'adorable beauté !
MADAME DE LA HALTIÈRE ET SES FILLES, avec dépit. Le prince paraît transporté !
LA FOULE, entre groupes. Qui la connaît ? Personne ! Rien ne la trouble et ne l'étonne... Elle est exquise en vérité !
[ LA FOULE. [ O la surprenante aventure ! [ O la charmante créature ! [ La voilà
[ Notre reine future ! [ [ MADAME DE LA HALTIÈRE ET SES FILLES, avec dépit. [ O la décevante aventure ! [ O la bizarre créature ! [ Est-ce là
[ Notre reine future ! [ [ PANDOLFE, LE DOYEN, LE SURINTENDANT ET LE PREMIER MINISTRE. [ O la surprenante aventure ! [ O la charmante créature ! [ C’est bien là
[ Notre reine future ! [ [ LE ROI. [ O la surprenante aventure ! [ O la charmante créature ! [ La voilà !
[ C'est la reine future ! Le Prince s'est rapproché de Cendrillon. Le Roi, ravi, fait retirer tout le monde avec discrétion de l'autre côté, madame de la Haltière éloigne ses filles avec un geste de pudeur offensée, puis retourne vivement chercher son mari qui était resté en contemplation devant la beauté de l'inconnue, et elle le fait partir d'un air d'autorité scandalisée.
SCENE IV
LE PRINCE, à Cendrillon. O beau rêve enchanteur, beauté du ciel venue Ah ! par pitié, dis-moi de quel nom te salue, O Reine, la céleste cour Qui, dans le paradis, t'invoque avec amour... Par pitié, dis-le moi ! Toi qui m'es apparue !
CENDRILLON. Pour vous, je serai l'Inconnue !
LE PRINCE. Beauté du ciel venue Qui donc es-tu... ?
CENDRILLON. L'Inconnue !... Vous l'avez dit, je suis le rêve et dois passer Sans qu'il en reste trace, Comme s'efface Un reflet du ciel que l'on voit glisser Sur l'eau, que le vent ride et pousse, Et qui bientôt ira se perdre dans la mousse...
[ LE PRINCE. [ Je te perdrais, moi, non... non... plutôt le trépas !... [ Qui que tu sois, partout, je veux suivre tes pas... [ [ CENDRILLON.
[ Non, je vais fuir, hélas !
LE PRINCE. Ah ! cette parole cruelle, Est-ce bien toi qui l'as dite ? Comment Ta lèvre si douce peut-elle La prononcer ? Ton œil candide la dément...
CENDRILLON, tendrement. Vous êtes mon prince Charmant, Et, si j'écoutais mon envie, Je voudrais consacrer ma vie A vous complaire seulement... Vous êtes mon prince Charmant. Vous êtes mon prince Charmant Et mon âme gémit, blessée Jusqu'à mourir à la pensée De vous attrister seulement... Vous êtes mon prince Charmant.
LE PRINCE. Eh bien, laisse ta main dans la mienne pressée Car, si de toi j'étais abandonné, Lors, je serais ton prince infortuné !...
CENDRILLON, à part, très émue.
Sa voix est comme une harmonie
LE PRINCE.
Ah ! reste et prends pitié de mon cœur
alarmé !... [ LE PRINCE. [ Éveille en mon esprit la douceur infinie [ Et le charme innocent de l'avril embaumé ! [ [ CENDRILLON. [ Oui, du seul souvenir de cette heure bénie, [ Mon esprit restera pour toujours embaumé !...
LE PRINCE. Je t'aime et t'aimerai toujours...
CENDRILLON. Ah ! je frissonne !
LE PRINCE, tendre et pressant. Rien ne m'éloignera de toi... rien, ni personne !
CENDRILLON, se détachant peu â peu des étreintes du Prince. L'heure ! déjà ! mon Dieu ! déjà l'heure qui sonne !...
LE PRINCE. L'heure ? Qu'importe l'heure ? Il la faut oublier ! Je suis à tes genoux pour te mieux supplier ! Je t'aime ! Cendrillon s'enfuit. La Fée, voilée, surgit rapidement. Elle arrête le Prince Charmant qui allait s'élancer à la poursuite de Cendrillon, puis disparaît immédiatement.
LE PRINCE, avec saisissement et égarement. Suis-je fou ?... On danse comme si rien ne s'était passé, et tout s'aperçoit du bal comme à travers un brouillard.
LE PRINCE, à lui-même avec désespoir. Qu'est-elle devenue ?... Pendant les danses. Inconnue ! Inconnue ! O céleste Inconnue !
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ACTE TROISIÈME
Premier tableau. Comme au premier acte.
SCÈNE PREMIÈRE
CENDRILLON. Cendrillon paraît. Furtivement, puis avec agitation. La maison est déserte... A revenir, j'ai réussi Sans être découverte. Mais que de peine et de souci !... Fuyant dans la nuit solitaire Par les terrasses du palais, En courant j'ai perdu ma pantoufle de verre !... Marraine, voudrez-vous me pardonner jamais ?... Oui, car pour tenir ma promesse, J'ai fait tout ce que je pouvais. Vous avez dû voir ma détresse Quand, tremblante, je me sauvais Dans mes habits de pauvresse. A l'heure dite je fuyais Parmi les noires avenues, Et je voyais
Se dresser de grandes statues... Blanches sous les rayons de lune !... Leurs yeux sans regard se fixaient sur moi, Elles me montraient du doigt Se riant de mon infortune.
Dans les profondeurs du jardin Je m'égarais... tout était sombre... Je courais toujours, puis m'arrêtais soudain. J'avais peur de mon ombre !
Interrogeant les horizons, Craignant partout des trahisons Je glisse le long des maisons, N'osant pas traverser la place... Un grand bruit éclate et me glace De sinistres frissons... C'était le carillon du beffroi dans l'espace !... Réconfortant mon cœur Il me disait dans son langage : Je veille, calme ta frayeur, Reprends courage ! Avec un découragement subit, regardant autour d'elle. Mais c'en est fait, hélas ! du bal et des splendeurs !... Et je n'entendrai plus les paroles si tendres Qui me berçaient d'espoirs menteurs... Machinalement, elle se rapproche de la cheminée et montrant le foyer éteint. Mon bonheur s'est éteint... il n'en reste que cendres !... Résigne-toi, petit grillon Car ce n'est pas pour toi que brille Le superbe et joyeux rayon... Résigne-toi, Cendrille... Comme sortant d'un rêve, subitement et avec frayeur.
Ah ! j'entends revenir mes parents et mes
sœurs !... Elle se sauve dans sa chambre.
SCÈNE II MADAME DE LA HALTIÈRE, NOÉMIE, DOROTHÉE, PANDOLFE.
L'entrée de Madame de la Haltière et de ses deux filles est tumultueuse. Une grosse discussion est déchaînée. Pandolfe essaie de se disculper, mais il est accablé par les trois femmes.
MADAME DE LA HALTIÈRE, furibonde, à Pandolfe. Vous êtes, je vous le déclare, Un sot, un faquin, un ignare, Un portefaix, Un grand dadais, Un pauvre sire, J'ose le dire... Dans le seul but de me contrarier Vous avez le front de nier Que cette fille, Cette guenille, Cette guenon, Cette chiffon, Que vous dirais-je encore ? Était une pécore. Rien en un mot, et moins que rien !
NOÉMIE et DOROTHÉE. Ah ! maman ! que vous parlez bien !
PANDOLFE. Pourquoi tant vous mettre en colère ?
MADAME DE LA HALTIÈRE.
Espérez-vous que, pour vous plaire,
Non, mais voyez un peu, quelle audace
elle avait Aussi, notre prince a bien fait...
NOÉMIE et DOROTHÉE. Oui, fort bien, en effet !...
MADAME DE LA HALTIÈRE. De la chasser. Ah ! ah ! de la belle manière !
NOÉMIE et DOROTHÉE. C'était si mérité !
PANDOLFE, timidement. Elle avait l'air très doux... c'est une qualité...
MADAME DE LA HALTIÈRE, le toisant avec mépris. Fi donc ! Monsieur. Je le conteste... Lorsqu'on a plus de vingt quartiers, Ainsi que notre arbre l'atteste, Lorsqu'on a, sans compter le reste, Quatre présidents à mortiers, Un doge !... parmi ses ancêtres, Et la douzaine d'archiprêtres, Un amiral, Un cardinal, Six abbesses et treize nonnes, Deux ou trois maîtresses de rois, Qui, toutes deux ou toutes trois, Portèrent presque des couronnes ; Sans parler des menus fretins, Tels que princes et capucins, On doit s'avancer dans la foule Comme un vaisseau fendant la houle Avec sa gloire, pour soutien, Dédaigneux des bruits de tempête... C'est un devoir, entendez bien, Quand on s'est haussé jusqu'au faîte, De lever les yeux et la tête, En laissant la douceur à tous vos gens de rien !
NOÉMIE et DOROTHÉE. Ah ! maman, que vous parlez bien !
MADAME DE LA HALTIÈRE. Quelle affaire !
PANDOLFE. J'aimerais mieux l'obscurité, Si j'avais la tranquillité.
CENDRILLON, qui vient d'entrer. Il est donc arrivé quelque chose, mon père ?
PANDOLFE. Non, non, vraiment, que de fort ordinaire...
MADAME DE LA HALTIÈRE, à Pandolfe. Ah ! votre calme m'exaspère... Que faut-il pour vous émouvoir ?
NOÉMIE et DOROTHÉE, à Cendrillon. Écoute-nous, tu vas savoir.
MADAME DE LA HALTIERE et SES FILLES, avec force mines et force gestes. Tantôt chacune une phrase, tantôt parlant ensemble. Une intrigante, une inconnue. — Au bal de la Cour est venue. — Et cette rien du tout, — Mise sans aucun goût, — Dans son effronterie... — Avec furie, à Pandolfe, qui a esquissé un geste. Laissez-nous dire, je vous prie... A Cendrillon. — Continuant avec chaleur. Osa parler au fils du Roi !... — Chacun en fut saisi d'effroi, — D'épouvante et d'horreur ! — Ce fut un désarroi ! — Tout d'abord, un digne silence — A condamné cette impudence ; — Mais au bout d'un instant — On a murmuré tant — Que l'intruse, bien vite, — A dû prendre la fuite, — Chassée au beau milieu du bal, — Par notre mépris général ! —
PANDOLFE. Ah ! vous exagérez... et beaucoup, ce me semble.
MADAME DE LA HALTIÈRE ET SES DEUX FILLES. Eh ! laissez-nous donc en repos ; On ne peut pas placer deux mots !
PANDOLFE, commençant à s'impatienter. Si vous criez toutes ensemble, Je m'en vais...
CENDRILLON, aux trois femmes, timide et anxieuse. Ah ! racontez-moi... Qu'a dit alors le fils du Roi ?
MADAME DE LA HALTIÈRE. Que l'on ne pouvait s'y méprendre... Que ses yeux un moment abusés voyaient clair !... Et que, d'ailleurs, rien qu'à son air, Cette inconnue était : drôlesse bonne à pendre...
PANDOLFE, s'apercevant que Cendrillon chancelle et est prête à défaillir. Mais ma fille pâlit... A Cendrillon. Qu'as-tu, ma pauvre enfant ? Aux trois femmes. Assez de vos caquets !...
MADAME DE LA HALTIÈRE. Qu'un homme est énervant !
PANDOLFE, tout à Cendrillon. Mon Dieu ! la force l'abandonne ? Aux trois femmes avec force. Sortez !
MADAME DE LA HALTIÈRE, suffoquée, se retournant. Hein ! Quoi ?
PANDOLFE, plus accentué encore. Je vous l'ordonne !...
MADAME DE LA HALTIÈRE, à ses filles. Ah ! mes filles, venez ; par ma foi, c'en est trop ! A Pandolfe. Je ne vous connais plus... vous êtes un rustaud !
TOUTES LES TROIS. Un rustaud !... Un lourdaud !
PANDOLFE, violemment. Vous, sortez au plus tôt... Les trois femmes ont, en même temps, trois attaques de nerfs. Furibond. Vous pouvez trépigner !... Je vous jette à la porte !
MADAME DE LA HALTIÈRE et SES DEUX FILLES. Rétractez, insolent !
PANDOLFE. Le diable vous emporte ! Les trois femmes sortent connue des furies.
SCÈNE III PANDOLFE, CENDRILLON
PANDOLFE, à Cendrillon, presque évanouie dans les bras de son père. Ma pauvre enfant chérie, ah ! tu souffres donc bien... Va, repose ton cœur douloureux sur le mien... Et laisse-toi bercer dans mes bras, ma petite !... Je t'ai sacrifiée, en venant à la Cour. Mais tu pardonneras, quand nous rirons un jour, De mon ambition maudite... Viens, nous quitterons cette ville Où j'ai vu s'envoler ta gaieté d'autrefois Et nous retournerons au fond de nos grands bois, Dans notre ferme si tranquille. Là, nous serons heureux Tous les deux Bien heureux ! Le matin, nous irons, comme deux amoureux, Cueillir les blancs muguets...
CENDRILLON. Et les liserons bleus, Dès que les cloches argentines S'éveilleront...
PANDOLFE. Sonnant matines !
CENDRILLON. Le soir, nous entendrons le chant si doux, si frais, Du rossignol des nuits...
PANDOLFE. Au profond des forêts.
[ CENDRILLON. [ Oui nous quitterons cette ville [ Où j'ai vu s'envoler ma gaîté d'autrefois.
[ Et nous retournerons au fond de nos
grands bois, [ Là, nous serons heureux [ Tous les deux, [ Bien heureux ! [ [ PANDOLFE. [ Oui nous quitterons cette ville [ Où j'ai vu s'envoler ta gaîté d'autrefois.
[ Et nous retournerons au fond de nos
grands bois, [ Là, nous serons heureux [ Tous les deux, [ Bien heureux !
CENDRILLON. Maintenant, je suis mieux et je me sens renaître Tu peux me laisser seule.
PANDOLFE Oui, si tu veux promettre De ne plus être triste et de ne plus pleurer : Pour nous sauver d'ici je vais tout préparer !... Il sort.
Julia Guiraudon (Cendrillon) et Lucien Fugère (Pandolfe) lors de la création
SCÈNE IV
CENDRILLON, seule. Avec résolution. Le poids de mon chagrin serait trop lourd pour toi. Je ne veux pas te voir souffrir de ma misère !... Puis, sous le coup d'une idée fixe. Non... je ne peux plus vivre... Il a douté de moi, Lui !... mon doux maître et mon seul roi !... Lui que j'adore !... Il me renie et me repousse !... Pourtant, sa voix était bien douce, Pourtant, ses yeux étaient bien doux ! O mes rêves d'amour, hélas ! envolez-vous ! Enveloppant la chambre d'un long regard, Adieu, mes souvenirs de joie... et de souffrance, Qui, malgré tout, me parliez d'espérance !...
Témoins et compagnons de mon si court
destin !... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je ne vous verrai plus, fleurs d'aube printanière... Allant à la cheminée. Ni toi, ma place familière... Détachant la petite branche pendue à la cheminée. Que je t'embrasse encor, tout séché, tout jauni, Relique d'un beau jour, humble rameau béni. Avec un sentiment très profond. Comme on aime ce que l'on quitte !... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adieu, le grand fauteuil Où, quand j'étais petite, Avant de m'être vue, en ma robe de deuil, Je courais me blottir, bien vite, Frileusement, Sur les genoux de ma maman Au sourire indulgent, plein de mélancolie... De maman... Avec des larmes. De maman, si bonne et si jolie !... Qui fredonnait en me berçant : « C'est l'Angelus, » Dors, mon petit ange, » Dors, comme Jésus » Dormait dans la grange. » La nuit, qui venait de commencer un peu, s'assombrit plus rapidement ; le tonnerre gronde, l'éclair brille. Avec un subit désespoir. Ah ! puisque tout bonheur me fuit, Montant par les roches sacrées, Sans crainte, j'irai dans la nuit, Malgré les revenants et le follet qui luit... Avec décision. J'irai mourir sous le chêne des Fées !... Elle s'enfuit rapidement dans la nuit qui est devenue complète.
Fin du premier tableau. Le deuxième tableau apparaît en se dégageant peu à peu dans l'ombre.
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ACTE TROISIÈME
Deuxième tableau. CHEZ LA FÉE. Un grand chêne, au milieu d'une lande pleine de genêts en fleurs. — Au fond, la mer. — Nuit claire. — Lumière très bleutée.
SCÈNE PREMIÈRE VOIX LOINTAINES DES ESPRITS ; danse silencieuse des gouttes de rosée, accompagnée par la VOIX DE LA FÉE.
LA VOIX DE LA FÉE. Fugitives chimères, Lueurs éphémères, Glissez sur les bruyères ! Flottez sur les genêts !
CHŒUR INVISIBLE DES ESPRITS, en écho. Glissez sur les bruyères Flottez sur les genêts. La Fée paraît dans les branches du chêne.
TROIS ESPRITS, accourant. Mais là-bas, au fond de la lande obscure, Par le chemin, on voit venir Sur le doux tapis de verdure, Une enfant qui semble gémir...
TROIS ESPRITS, accourant. Regardez au fond de la lande obscure !...
LA FÉE, dans les branches du chêne. Et, de l'autre côté, voyez-vous pas, mes sœurs, Ce pauvre garçon tout en pleurs ?
LES SIX ESPRITS. Narguant les dangers, la froidure, Ce sont de jolis amoureux... Comme ils sont malheureux ! D'ombre voilées Invisibles pour eux, Mes sœurs, écoutons bien leurs plaintes désolées.
LA FÉE, étendant le bras. Afin qu'ils ne puissent se voir, Sylvains, obéissez au magique pouvoir ! Entre le Prince et son aimée, Fermez-vous, muraille embaumée !...
Les esprits s'éloignent doucement. —
La Fée se dissimule dans les branches et devient invisible.
SCÈNE II
[ CENDRILLON. [ Bonne marraine, [ J'implore mon pardon de vous [ Si je vous ai fait moindre peine. [ [ LE PRINCE. [ Je viens à vous, [ Puissante reine, [ Et vous demande à deux genoux [ De vouloir terminer ma peine.
[ CENDRILLON, à la Fée, avec ardeur. [ Bonne marraine, [ A deux genoux [ J'implore mon pardon de vous [ Si je vous ai fait moindre peine. [ [ LE PRINCE, à la Fée, avec ardeur. [ Puissante reine, [ Je viens à vous [ Et vous demande à deux genoux [ De vouloir terminer ma peine.
LE PRINCE, à la Fée. Vous qui pouvez tout voir Et tout savoir, Vous n'ignorez pas ma souffrance... Vous n'ignorez pas comment Pendant un trop court moment Du plus divin bonheur j'ai conçu l'espérance ! Ah ! ce bonheur, je l'ai vu de mes yeux ! Ce fut un éclair radieux Dont mon âme fut traversée, Dont mon regard fut ébloui. En un instant, hélas ! tout s'est évanoui, Et j'en garde un mortel regret dans ma pensée !
CENDRILLON, qui a écouté palpitante. Une pauvre âme en grand émoi Est là qui prie et désespère... Puisqu'il n'est plus pour moi Que tristesse et misère, Que je souffre en rachat de ce cœur tant meurtri... Marraine, frappez-moi. Mais que lui soit guéri !...
LE PRINCE, ayant entendu cette prière. Pauvre femme inconnue, Doux ange de bonté Dont un enchantement me dérobe la vue, Je te bénis pour ta sublime charité !... Pauvre femme inconnue !
ENSEMBLE
LE PRINCE, avec effusion. Suis-je assez malheureux ! Mais celle que j'aime est si belle Que tu dirais, voyant ses yeux : Pas une étoile n'étincelle Plus pure au firmament des cieux ! Asservissant la terre et l'onde, Pour la revoir et la chérir, Pour la reconquérir, Je soumettrai le monde.
CENDRILLON, radieuse. Vous êtes le Prince Charmant !
LE PRINCE. Toi qui as eu pitié de ma détresse extrême Qui donc es-tu m'interrogeant ?
CENDRILLON. Je suis Lucette qui vous aime...
LE PRINCE, avec ivresse. Ineffable ravissement !
CENDRILLON. Vous êtes mon Prince Charmant !
LE PRINCE, en adoration, avec la plus profonde émotion. Tu me l'as dit, ce nom que je voulais connaître, Lucette, de ton doux secret, me voilà maître... De tes lèvres, mon âme a recueilli l'aveu...
[ CENDRILLON, à part. [ Sa chère voix d'extase me pénètre... [ Mais l'entendre, hélas ! c'est trop peu. [ [ LE PRINCE. [ Ta chère voix d'extase me pénètre... [ Mais l'entendre hélas ! c'est trop peu !...
LE PRINCE, à la Fée, avec ardeur. Bonne fée, à mes yeux, laissez-la reparaître... Laissez-moi la revoir... et recevez mon vœu ; A la branche du chêne enchanté, bonne fée, Je suspendrai mon cœur, pur et sanglant trophée... Laissez-moi la revoir !... Laissez-moi la revoir !...
LA FÉE, apparaissant de nouveau dans les branches du chêne. J'accepte ton serment. J'exauce ton espoir.
LE PRINCE, revoyant Cendrillon. Lucette ! ma Lucette ! ah ! je t'ai retrouvée !
CENDRILLON, dans les bras du Prince, tendrement et innocemment. Vous êtes mon Prince Charmant !
[ LE PRINCE. [ Viens ! viens ! mon âme est comme au ciel ravie ! [ Je jure que toute la vie [ Je t'aimerai fidèlement ! [ [ CENDRILLON. [ A vos douces lois asservie, [ Je consacre toute ma vie [ A vous aimer fidèlement !
Un sommeil magique s'empare d'eux et
ils s'endorment bercés par la voix des Esprits.
LES ESPRITS, aux deux amants. Dormez ! rêvez !
LA FÉE, toujours dans les branches du chêne. Aimez-vous, l'heure est brève ; Vous croirez, tous les deux, n'avoir fait qu'un beau rêve !...
LES ESPRITS. Dormez ! Rêvez !
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ACTE QUATRIÈME
Premier tableau.
LA TERRASSE DE CENDRILLON
SCÈNE PREMIÈRE PANDOLFE, affectueusement attentif et presque à voix basse pendant que CENDRILLON sommeille.
PANDOLFE. O pauvre enfant ! depuis que l’on t'a ramenée Des bords du ruisselet où nous t'avons trouvée Gisant près des roseaux, glacée, inanimée... Voilà des jours... des mois... quel souvenir affreux, Quelle angoisse cruelle ! En te prenant, la mort nous aurait pris tous deux... Mais la mort n'osa pas en te voyant si belle...
CENDRILLON, s'éveillant, à son père. Je m'étais rendormie... Et toi, tu restais là... Me soignant sans repos...
PANDOLFE. Ah ! mon enfant chérie, Ne me plains pas. Je suis bien heureux ; te voilà Vaillante, maintenant, et tout à fait guérie. Mouvement de Cendrillon. Reste calme... il te faut encore ménager.
CENDRILLON, l'interrogeant doucement, mais gentiment et résolument. Dis-moi la vérité !
PANDOLFE, embarrassé. Pourquoi m'interroger ?
CENDRILLON, sérieuse. J'étais donc insensée...
PANDOLFE, gêné. A quoi vas-tu songer ?
CENDRILLON. Alors, père, c'était comme si ma pensée M'avait tout à coup délaissée...
PANDOLFE. Tu riais, tu pleurais Sans motif et sans trêve... Tu vivais comme dans un rêve... Comme au hasard tu murmurais Des mots confus...
CENDRILLON. Quoi donc ?
PANDOLFE. Pauvre enfant, tu souffrais !...
CENDRILLON. Et je parlais ?...
PANDOLFE. Du bal de la cour... oui, vraiment !... Et surtout du Prince Charmant, Du Prince que tu n'as jamais vu seulement... De brillant avenir... et de promesses folles... D'un grand chêne enchanté... d'un petit cœur sanglant... D'une pantoufle en verre... et de riche parure... Voulant la faire rire. Tu voyais des lutins qui traînaient ta voiture !...
CENDRILLON, anxieuse. Quoi ! Rien de tout cela ne serait arrivé !...
PANDOLFE. Rien, ma chère fillette !...
CENDRILLON. Hélas ! j'ai donc rêvé !...
PANDOLFE. Tu riais...
CENDRILLON. Je pleurais Sans motif...
PANDOLFE. Et sans trêve
CENDRILLON. Je vivais comme dans un rêve... Et je parlais ?...
PANDOLFE. De riche parure !...
CENDRILLON. D'un petit cœur sanglant...
PANDOLFE. Et surtout du Prince Charmant !...
CENDRILLON. Du Prince...
PANDOLFE. Que tu n'as jamais vu seulement.
CENDRILLON. Je croyais aux lutins…
PANDOLFE, en riant. Qui traînaient ta voiture !...
[ CENDRILLON. [ Rien de cela n'est arrivé !... [ [ PANDOLFE. [ Oui ! tout cela tu l'as rêvé !
CENDRILLON, attristée, mais convaincue par son père. Mon papa ! j'ai rêvé !... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
SCÈNE II
LES MÊMES, VOIX DE JEUNES FILLES. VOIX DE JEUNES FILLES, au loin. Ouvre-les, mais pas à demi... Ouvre, pour que l'avril ami Chez toi pénètre !... Les voix sous le balcon de la terrasse. Comment vas-tu ce matin, Lucette ?
CENDRILLON, qui s'est approchée du balcon et finissant de se dégager de son obsession.
Merci, je vais bien et m'apprête Heureuse et comme transfigurée. Printemps revient en ses habits de fête ! Allons cueillir la pâquerette Et les muguets au fond du bois. Les ramures sont en émois ! Les frelons butinent les roses Les prés semblent brodés de fleurs. Charmés les yeux ! charmés les cœurs ! Les marjolaines sont écloses !...
LES VOIX, gaîment. Bon espoir !
CENDRILLON, de même. Au revoir !
LES VOIX, en s'éteignant peu à peu. Ouvre ta porte et ta fenêtre, Ouvre-les, mais pas à demi... Ouvre, pour que l'avril ami Chez toi pénètre !... Bruit dans la pièce à côté.
PANDOLFE, joyeusement. Ah ! c'est ma femme que j'entends... Pour éviter cris et gourmades, Viens retrouver tes camarades !... Profitons du beau temps ! Il emmène doucement Cendrillon. Tous tes chagrins sont finis, je l'espère !...
CENDRILLON, en sortant avec lui. Comme vous êtes bon, mon père !...
SCÈNE III Entrée tumultueuse de MADAME DE LA HALTIÈRE, NOÉMIE, DOROTHÉE, puis LES DOMESTIQUES.
Avancez ! Reculez ! Apprenez qu'aujourd'hui L'ordre de notre Roi convoque près de lui Les princesses sans nombre à son appel venues De régions qui sont ou ne sont pas connues. Il en vient du Japon, de l'Espagne et de Tyr, Des bords de la Tamise et du Guadalquivir, Il en vient du Cambodge... Il en vient de Norvège... Et tout à l'heure, ici, passera le cortège Changeant de ton. Puis... comme le ciel clair succède à l'ouragan, La source murmurante au fracas du torrent, Vous verrez sur la fin s'avancer noblement, Comme une vision idéale et céleste, Trois femmes au maintien radieux et modeste. Comme devant la plus suave des apparitions. Alors, vous entendrez un long frémissement, Car le peuple dira : « Voyez ces inconnues, Pour le Prince Charmant, du ciel bleu descendues »… Sans penser que ce sont mes deux filles et moi, Nous rendant au palais pour saluer le Roi.
Roulements de tambours et
sonneries de trompettes dans la rue. Tous se précipitent au balcon. Mêlée.
MADAME DE LA HALTIÈRE, bousculant ceux qui encombrent. Eh bien ! s'il vous plaît, après moi ! Cendrillon vient d'entrer sans être aperçue des personnes présentes. Elle écoute anxieuse.
LA VOIX DU HÉRAULT, dans la rue. Bonnes gens, vous êtes avertis qu'aujourd'hui même, le Prince va recevoir en personne dans la grande cour du Palais, les Princesses qui viennent essayer la pantoufle de vair perdue par la femme inconnue dont le départ a déchiré le cœur du fils du Roi et dont l'absence le fait mourir de langueur et de désespoir...
VOIX, dans la rue. Hurra ! le cortège s'avance !
CENDRILLON, frappée. Mon rêve était donc vrai ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Maintenant, j'en ai l'assurance,
Si mon ami me revoyait, chère espérance, Je sais qu'il m'aime... Il me l'a dit... il me l'a dit lui-même. O marraine, venez à mon appel fervent ! Et faites-moi revoir mon doux prince Charmant ! Pendant que les acclamations redoublent au dehors et au balcon, derrière Cendrillon apparaît la Fée.
La musique joue jusqu'au changement. (Marche des Princesses).
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ACTE QUATRIÈME
Deuxième tableau. CHEZ LE ROI La cour d'honneur. — Grand soleil. — Les Princesses sont là.
SCÈNE PREMIÈRE LES MÊMES, LE PRINCE CHARMANT, LES PRINCESSES, LE ROI, LA FÉE, LA FOULE.
LA FOULE. Salut aux Altesses !
LE PRINCE CHARMANT, d'une voix faible. Posez dans son écrin, sur un coussin de fleurs, La pantoufle d'azur déteinte par mes pleurs. Avec fièvre, se soutenant à peine.
Qu'à mon regard avide enfin elle
apparaisse... Qui croit pouvoir la réclamer... Je ne puis vivre encor que si je puis l'aimer ! Les princesses s'avancent. Il les regarde anxieusement. Mais il les arrête, d'un geste triste et très doux, avant qu'elles n'arrivent jusqu’à la pantoufle de vair. Chacune de vous est bien belle, Mais je cherche, et ce n'est pas elle ! Il faudra donc que rien n'apaise ma douleur Il faudra donc que sans baisers reste ma lèvre !... Point ne se calmera ma fièvre. On ne m'a pas rendu mon cœur !... Il est prêt à s'évanouir.
LA FOULE, anxieuse. Sur sa tête pâlie Quelle mélancolie !
LE ROI, avec émotion. Ses yeux vont se fermer. Parle-moi, mon enfant !
LA FOULE, avec recueillement. Dans un appel fervent Tout un peuple supplie. Nous implorons les cieux !
SCÈNE II
LES MÊMES.
LA FOULE, interdite et comme un murmure.
LA FOULE. Voyez la beauté sans pareille !
LA FÉE, au Prince, lui montrant Cendrillon. Prince Charmant, rouvrez les yeux !
Le Prince voit Cendrillon et la
désigne du doigt en tremblant dans une joie d'extase. LE PRINCE. Ah ! c'est elle, c'est ma Lucette !...
CENDRILLON, simplement. Cendrillon, la pauvrette !... Elle va vers le prince qui l'attend joyeux et timide ; en lui rendant son cœur. Vous êtes mon Prince Charmant Laissez-vous renaître à la vie... C'était là toute mon envie... Reprenez-le ce cœur sanglant... Vous êtes mon Prince Charmant.
LE PRINCE. Ah ! garde-le, chère maîtresse ! De tes yeux, la douce caresse Fait renaître ce cœur flétri.
LA FÉE. Avril pour eux a refleuri !
LE PRINCE et CENDRILLON. Avril pour nous a refleuri !
LA FOULE, joyeuse. Honneur à notre souveraine ! Pandolfe arrive avec Madame de la Haltière et ses filles, les trois dames sont accompagnées par le Doyen, le Surintendant et le premier Ministre. Pandolfe se précipite vers Cendrillon qui s'élance vers son père.
PANDOLFE. Grands dieux !... c'est...
MADAME DE LA HALTIÈRE, écartant vivement son mari et recevant dans ses bras Cendrillon qu'elle câline. Ma fille !
PANDOLFE, NOÉMIE et DOROTHÉE, LE DOYEN, LE SURINTENDANT et LE PREMIER MINISTRE, stupéfiés. Ah ! quel aplomb est le sien !
MADAME DE LA HALTIÈRE, continuant et accentuant. Lucette que j'adore !
PANDOLFE, au public. Ici tout finit bien. Voici nos amoureux maintenant hors de peine.
TOUS, au public, en saluant ou en faisant la belle révérence. La pièce est terminée. On a fait de son mieux Pour vous faire envoler par les beaux pays bleus.
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