André RIVOIRE

 

André Rivoire par Henri de Toulouse-Lautrec (1901)

 

 

André François RIVOIRE dit André RIVOIRE

 

poète et auteur dramatique français

(Vienne, Isère, 05 mai 1872* Paris 8e, 19 août 1930*)

 

Fils de Jérôme Adrien RIVOIRE (Vienne, Isère, 16 avril 1834 – av. 1909), négociant, et de Clémentine Caroline CHANTELOUVE (Vienne, Isère, 22 octobre 1843 – ap. 1930).

Epouse 1. à Paris 8e le 10 août 1909* (divorce le 12 juillet 1911) Laure Esther Eléonore Julie BOURGEOIS (Bourg, Ain, 29 mars 1871* ).

Epouse 2. à Paris 8e le 02 décembre 1913* Marie LOZERON (Lyon 2e, Rhône, 17 décembre 1882* – ap. 1936).

 

 

Après s’être fait connaître par des recueils de vers : les Vierges (1895) ; le Songe de l’Amour (1900) ; le Chemin de l’oubli (1904) ; le Plaisir des jours (1914) ; le Désir et l’Amour (1929), d’une grâce un peu mièvre, mais d’un art discret qui se plaît aux demi-teintes, et d’une mélancolique douceur, il débuta au théâtre avec la Peur de souffrir (1899), pièce en un acte ; puis il donna à la Comédie-Française un acte en vers, plein de fraîcheur et de grâce : Il était une bergère… (1905), et, la même année, il faisait jouer à l’Odéon un acte en prose : l’Ami du ménage. Il a fait représenter ensuite : le Bon Roi Dagobert (Comédie-Française, 1908) ; Mon ami Teddy (avec L. Besnard, 1910) ; Pour vivre heureux (avec Mirande, 1912) ; l’Humble Offrande (1916) ; le Sourire du faune (1919) ; Roger Bontemps (1920) ; Juliette et Roméo (1920) ; la Belle Angevine (avec Maurice Donnay, 1922). Ce sont des pièces agréables d’un comique discret et d’une douce sentimentalité. Il fut président de la Société des Auteurs et Compositeurs dramatiques et fut nommé chevalier (22 juillet 1905), officier (19 février 1919), puis commandeur (29 janvier 1927) de la Légion d'honneur.

En 1909, il habitait 17 place de la Madeleine à Paris 8e ; en 1913, 5 rue Cambon à Paris 8e. Il est décédé en 1930 à cinquante-huit ans, en son domicile, 8 rue de Florence à Paris 8e.

 

 

 

livrets

 

Il était une bergère, conte en 1 acte d’après sa pièce, musique de Marcel Lattès (Opéra-Comique, 28 décembre 1910)

la Victoire, scène lyrique, musique d’Alexandre Georges (Opéra-Comique, 14 juillet 1919)

le Hulla, conte lyrique oriental en 4 actes, musique de Marcel Samuel-Rousseau (Opéra-Comique, 09 mars 1923)

Monsieur Beaucaire, opérette romantique en 1 prologue et 3 actes, version française avec Pierre Veber, musique d’André Messager (Th. Marigny, 20 novembre 1925 ; Opéra-Comique, 18 novembre 1955) => fiche technique

le Bon roi Dagobert, comédie musicale en 4 actes, musique de Marcel Samuel-Rousseau (Opéra-Comique, 05 décembre 1927)

Paganini, opérette autrichienne en 3 actes, version française, musique de Franz Lehár (Gaîté-Lyrique, 03 mars 1928)

Frédérique, comédie lyrique autrichienne en 3 actes, version française, musique de Franz Lehár (Gaîté-Lyrique, 17 janvier 1930)

Fragonard, opéra-comique en 4 actes, avec Romain Coolus, musique de Gabriel Pierné (Monnaie de Bruxelles, 1933 ; Paris, 17 octobre 1934 ; Opéra-Comique, 21 février 1946)

Sacha, comédie musicale en 4 actes, avec Maurice Donnay, lyrics de Guillot de Saix, musique d’André Messager terminée par Marc Berthomieu (Monte-Carlo, 23 décembre 1933)

Mandrin, opérette en 3 actes, avec Romain Coolus, musique de Joseph Szulc (Théâtre Mogador, 12 décembre 1934)

 

 

 

 

Il laissera dans l'histoire de la littérature le souvenir d'un écrivain original et charmant. Il fut secrétaire de la rédaction de la Revue de Paris auprès de Louis Ganderax pendant les premières années de sa carrière (1897-1912) ; critique dramatique au Temps (de 1922 à 1925) après Adolphe Brisson et Francisque Sarcey ; président de la Société des Auteurs et Compositeurs dramatiques (de 1925 à 1927) après Robert de Flers ; il réussit avec un égal bonheur dans ces fonctions enviées : elles mirent en lumière la souplesse de ses dons, la courtoisie et la netteté de son caractère, l'autorité de son jugement et sa généreuse activité.

Pendant un quart de siècle, cette activité rayonnante parut le caractériser aux yeux de ses amis et de ses confrères ; c'est elle qu'on est amené d'abord à souligner quand on esquisse son portrait. Vraiment André Rivoire était la vie même ; il l'était par l'ardeur du geste et du regard, par la fécondité des projets, par la ferveur de la parole. Mais une volonté attentive disciplinait son élan ; un peu de rêve errait au coin de son œil vif, et souvent il s'arrêtait pour regarder, au delà de ses mots, un souvenir, un regret ou quelque soudain espoir ; pendant ces instants de silence on eût dit qu'il les voyait fuir et s'évaporer parmi la fumée de ses innombrables cigarettes... Qu'apercevait-il alors, devant lui ? Des rythmes nouveaux ? ou l'esquisse d'une nouvelle comédie ? Car il s'est partagé entre les vers et le théâtre ; mais, dans le livre ou sur la scène, il est demeuré poète, obstinément poète ; il ne craignait pas de le dire et presque de s'en vanter.

Il a aimé la poésie par-dessus tout. Il a commencé de l'aimer très jeune ; il a rimé ses premiers vers au collège de sa ville natale, puis au lycée Henri-IV où il était venu pour préparer l'Ecole normale dont, finalement, il se détourna ; il eut pour maîtres, en rhétorique supérieure, Henri Chantavoine et, surtout, Henri Bergson. Les leçons du philosophe déjà célèbre, la lecture des vers de Sully Prudhomme encouragèrent son goût pour l'analyse des sentiments et des idées. Il le manifesta dans le recueil : les Vierges, qu'il publia en 1894, à peine évadé du lycée. Alors qu'autour de lui triomphaient les influences symbolistes, il s'y montre fidèle à la métrique parnassienne, discrètement assouplie. Les muses auxquelles il voue son rêve d'adolescent, il les peint toutes dans la même attitude : vierges de vitrail et vierges de keepsake, petites filles provinciales au jardin ou au salon, figures de la légende ou de l'histoire, elles apparaissent pures et frêles, mais inquiètes de leur ignorance même, et troublées obscurément par l'attente de l'amour : elles le pressentent et l'invoquent en invoquant la Nuit :

 

Car il viendra... Nos cœurs sont prêts pour l'accueillir...

Il se cache en tes plis, nuit douce et charmeresse !

C'est sa voix dont ta brise errante nous caresse ;

C'est sa présence en toi qui nous fait tressaillir...

 

Ce premier recueil contient en germe toute l'inspiration et tout l'art d'André Rivoire. Dans une Lettre-Préface, Sully Prudhomme louait justement le poète « d'être arrivé à peindre des états d'âme extrêmement nuancés avec les ressources traditionnelles de la versification ». Cette suite de poèmes lui semblait n'être qu'un unique poème, voué par une âme jeune à la louange de la jeune fille... En rééditant ces vers, vingt-cinq ans plus tard, André Rivoire faisait hommage de tant de tendre subtilité à Henri Bergson : « C'est à ce grand philosophe que j'ai dû, de bonne heure, le goût de lire avec quelque précision en moi-même, et le souci d'exprimer, de jour en jour plus simplement, ce que je croyais parfois y découvrir... » Et, sur tous les vers de ses débuts, il aperçoit, « partout éparse, comme une brume crépusculaire d'aube... » Aux rayons du soleil et du succès, cette brume allait vite s'éclairer.

Trois recueils, le Songe de l'amour (1900), le Chemin de l'oubli (1900), le Plaisir des jours (1913), marquèrent, pour André Rivoire, les étapes principales de l'ascension. Ils forment une sorte de poème continu, consacré aux ardeurs, aux scrupules, aux angoisses, aux joies aussi et aux sérénités passagères du pauvre cœur humain. Autour de ce poème point d'horizons trop vastes ni de lumières trop éclatantes : leur décor le plus ordinaire est un boudoir pour l'hiver, où flottent quelques parfums féminins, où brillent, dans la pénombre, les reliures de quelques livres — un boudoir que peuplent les rêveries d'amour et de gloire, que hantent les fantômes indistincts du passé ; aux fenêtres, un brouillard flotte ; mais on sent tout proche le tumulte inquiétant de la ville moderne, ennemie du cœur, de ses espoirs et de ses fidélités. A la belle saison, le poète fuit vers un coin de jardin : deux ou trois marronniers bien touffus qui, de loin, semblent former l'entrée d'un bois ; un gazon fleuri de roses entre lesquelles se balance la jupe claire d'une jeune femme qui, hélas ! ne sourit pas toujours... Divin loisir ! amoureux loisir ! en fallut-il davantage à Watteau, à Racine, deux maîtres auxquels André Rivoire pensait souvent ? Il aimait leur mesure, leur grâce profonde et triste, leur indulgence pour les blessures du cœur, et leur tendre harmonie.

Il n'a guère voyagé ni dans l'espace, ni dans l'histoire : il a voulu obstinément, presque religieusement, que l'univers se résumât pour lui dans quelques visages féminins :

 

Je n'ai vu le monde qu'à peine ;

J'ai vécu — tristesse ou bonheur —

Toute ma part de vie humaine

Sans pouvoir sortir de mon cœur.

 

J'ai dédaigné les paysages,

Les bois, les fleuves et les ciels ;

Je n'ai connu que les visages

Et les yeux confidentiels.

 

Parmi les paysages profonds des âmes, il a déroulé le drame éternel de l'amour, où les corps mêmes ne semblent jouer qu'un rôle de messagers ou d'interprètes, comme si nous dominaient, dans les régions inaccessibles de nous-mêmes, des dieux et des démons que nous ne savons point définir. Les vers de cet élégiaque sont comme des rets sans cesse tendus autour des cœurs. Un homme, une femme, qui s'aiment, ou qui voudraient s'aimer, ou qui s'aiment mal, ou qui ne s'aiment plus ; quoi de plus simple, en apparence ? Mais non : l'aventure se complique, du moment qu'elle engage toute la vie. Scrupules, effrois, pitiés, défiances, ressentiments, colères, inquiétudes, jalousies, et les multiples formes du regret, de l'égoïsme, de l'indifférence ; que de personnages pour animer ce drame où ne semblent participer que deux êtres ! Chacune de ses scènes est elle-même une tragédie, qu'André Rivoire réussit à enfermer en quelques quatrains. Parfois même, un seul vers suffit pour condenser une lente phase de sentiment ou le résultat d'une analyse aiguë :

 

Je sens bien qu'en mon cœur tu vas mourir longtemps...

Je t'apporte à guérir mon cœur blessé du jour...

Car nous étions tous deux tristes d'un autre amour...

Vous m'aviez fait une âme attendrie et légère...

 

Vers de perspicacité, vers, aussi, de suggestion, qui prolongent leurs résonances. Leur auteur, impitoyable et subtil, se promène parmi les insidieux labyrinthes du cœur et, battu de mille orages, suit tous les sentiers qui mènent du désir à l'oubli. Ayant oublié enfin, il croit avoir retrouvé son cœur ; c'est pour le donner de nouveau. Mais il exige, cette fois, que la « bien-aimée » lui apporte autre chose que de la joie : le bonheur :

 

Sache lentement la choisir

D'une âme vite refermée,

La compagne de ton désir

Dont tu feras ta bien-aimée.

 

De ce bonheur, le Plaisir des jours peint les enivrements, mais aussi — frissons de brise sur un lac — les frémissements et les incertitudes ; car deux êtres n'ont jamais achevé de se connaître et, par conséquent, de se conquérir. Dans l'expression des joies comme dans celle des peines, André Rivoire a su mêler la lucidité à la pudeur. La réserve et la simplicité de la forme accroissent, dans ses vers, la précision impitoyable des analyses : ce disciple de Racine demeurait l'ami de Georges de Porto-Riche.

Faut-il s'étonner que, sous leurs auspices, cet élégiaque soit devenu, très vite, un auteur dramatique ? Chacun de ses poèmes, on l'a vu, résumait comme une scène du drame multiple de l'amour ; il en transporta plusieurs sur le théâtre. Dès 1899, Berthe aux grands pieds, qu'il appelait modestement une « imagerie chinoise », déroula sa fantaisie au « Théâtre des Ombres » ; et c'était, d'avance, comme le scénario d'un film poétique. En 1905, s'inspirant d'une tradition où Marivaux, Banville et Musset mêlaient leurs persuasions, André Rivoire offrit à la Comédie-Française un acte délicieux : Il était une bergère, qui est demeuré au répertoire ; ce conte féerique, mais profondément humain, montre comment une princesse peut envier une pastourelle et prendre leçon de son amoureuse candeur. La même fantaisie ailée, souriante, parfois presque gamine, triompha dans les quatre actes du Bon Roi Dagobert (7 octobre 1908) ; elle s'alliait, dans l'évocation d'un personnage emprunté à l'ancienne France et à la chanson populaire, avec la chaleur et la finesse d'un lyrisme presque inattendu au théâtre. Pour la Comédie-Française, André Rivoire écrivit encore, au lendemain de la Guerre, le Sourire du faune (1919), un acte délicat qui, dans un décor rocaille, fait pendant à la féerie Il était une bergère, et une adaptation intelligente de Shakespeare, Juliette et Roméo (1920), où le rôle principal — comme le renversement du titre l'indique — était attribué à la légendaire héroïne.

A partir de 1920, André Rivoire parut s'abandonner tout entier au théâtre. Déjà, en 1910, il avait écrit avec Lucien Besnard une alerte comédie en prose : Mon ami Teddy. Encouragé par la faveur du public, il collabora avec Maurice Donnay (la Belle Angevine, 1922), avec Romain Coolus (Pardon, madame !, 1929) ; dans ces comédies modernes la netteté du trait savait souvent s'envelopper de poésie. Enfin, depuis 1926, il avait construit ou adapté des livrets d'opérette pour des musiciens aimés du public ; à force de grâce et d'esprit, il avait triomphé encore dans ces œuvres charmantes (1926, le Hulla, musique de Marcel Samuel-Rousseau, à l'Opéra-Comique ; 1927, le Bon Roi Dagobert, idem ; 1926, Monsieur Beaucaire, musique d'André Messager ; 1927, 1928, Paganini, Frédérique, musique de Franz Lehár). Il a laissé deux pièces musicales, écrites en collaboration avec Romain Coolus : un Fragonard, un Mandrin (d'après un conte de Maurice Levaillant, musique de J. Szulc).

Au milieu de cette belle activité, il lui arrivait, cependant, d'écarter, sur sa petite table de travail, les ébauches d'un « scénario », pour griffonner des vers ; aux amis qui le venaient voir en son calme rez-de-chaussée de la rue de Florence, il demandait : « Que pensez-vous de ce poème ? »

Les vers ainsi éclos pendant plus de dix ans au fil des jours et au hasard des trop rares loisirs (dès 1925, il avait publié un petit recueil de Poèmes de guerre, et la traduction, aussi parfaite que l'original, des Trois poèmes d'Alan Seeger, Américain mort pour la France), il les réunit, en 1929, dans un dernier livre : le Désir et l'amour. Les pièces qui le composent portent l'empreinte de sa maturité en même temps inquiète et heureuse. Il avouait pour elles sa prédilection. Il les avait dédiées à celle qui, en lui rendant « le plaisir des jours », lui avait apporté la sérénité du bonheur définitif :

 

Ton sourire est mon seul orgueil,

Ton épaule est mon seul refuge ;

J'offre ces vers à ton accueil,

Ma femme, mon ami, mon juge !...

 

Il y nouait, un peu mélancoliquement, le bouquet de ses souvenirs de jeunesse ; et puis, il y esquissait des rêves d'avenir apaisés et souriants :

 

Heureux qui peut goûter, dans l'arrière-saison,

Un bonheur fait de calme et de tendre raison !

 

Il souhaitait de se ménager, en vieillissant, plus de loisirs pour écrire de nouveaux poèmes, pour mettre au point, dans une forme renouvelée des « mystères » du moyen âge, deux ou trois pièces en vers dont le thème le hantait depuis sa jeunesse. Je crois l'entendre qui murmure près de moi : « Il n'y a encore que les vers, voyez-vous ! » Ses vers conserveront l'empreinte directe et le reflet durable de son âme.

(Maurice Levaillant, Larousse Mensuel Illustré, mai 1932)

 

 

 

 

 

André Rivoire en 1934

 

 

 

 

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