Anaïs FARGUEIL

 

Anaïs Fargueil [photo Ferdinand Mulnier]

 

 

Anaïs FARGUIEL dite Anaïs FARGUEIL

 

actrice et cantatrice française

(Toulouse, Haute-Garonne, 21 mars 1819* – Paris 9e, 08 avril 1896*)

 

Fille de Jean Paul FARGUIEL dit Paul Jean FARGUEIL, acteur et chanteur (1782–1869) et de Jenny FAURÉ (Toulouse, 08 janvier 1795 – av. 1869), mariés à Bordeaux, Gironde, le 24 mars 1825*.

De sa liaison avec Julien Jean Baptiste LE ROUSSEAU (Belleville, Seine [auj. dans Paris], 06 octobre 1812* – Paris 13e, 28 février 1891*), homme de lettres, est née Julienne Alix Marguerite LE ROUSSEAU DITE FARGUEIL (Paris ancien 2e, 05 juillet 1851* – 58 rue de La Rochefoucauld, Paris 9e, 21 avril 1911*).

 

 

Elle entra toute jeune au Conservatoire de Paris en janvier 1831, et y reçut les leçons de Panseron et de Bordogni ; elle y obtint en 1833 un second prix de solfège, et en 1834 les premier prix de solfège et de vocalisation. Elle débuta l’année suivante à l’Opéra-Comique, alors installé au Théâtre des Nouveautés, place de la Bourse, et les journaux de l’époque vantèrent la grâce de sa personne, le jeu de sa physionomie, sa beauté. Tombée malade, elle perdit la voix. Il fallait renoncer à la carrière lyrique. Elle entra au Vaudeville en mai 1836, puis joua au Palais-Royal, au Gymnase (1844), en province, au Vaudeville (1852). Ce fut là qu'elle créa les Filles de marbre, le Mariage d'Olympe, Nos intimes, etc., qui mirent le comble à sa réputation. En 1869, elle alla créer le rôle de Dolorès de Patrie de Victorien Sardou au théâtre de la Porte-Saint-Martin, où elle développa ses qualités d’énergie et de passion. Après la guerre de 1870, elle rentra au Vaudeville pour y créer l’Arlésienne (Rose Mamaï) d’Alphonse Daudet, avec la musique de scène de Georges Bizet. Elle joua ensuite à Saint-Pétersbourg (1876), et quitta la scène après avoir créé, en 1882, Madame de Maintenon de François Coppée à l'Odéon. Depuis, elle s'adonna à l'enseignement.

En 1867, elle habitait 20 rue de Navarin à Paris 9e. Elle est décédée en 1896, célibataire, à soixante-dix-sept ans en son domicile, 58 rue de La Rochefoucauld à Paris 9e. Elle est enterrée au cimetière de Montmartre (24e division).

 

 

 

Sa carrière à l'Opéra-Comique

 

Elle y débuta le 28 février 1835 dans la Marquise d’Adolphe Adam.

 

Elle y créa le 23 mars 1835 le Cheval de bronze (Lo-Mangli) d’Esprit Auber.

 

Elle y chanta Adolphe et Clara de Nicolas Dalayrac ; le Diable à quatre de Jean-Pierre Solié.

 

 

 

 

Anaïs Fargueil

 

 

 

Il y avait, en 1834, au théâtre de l'Opéra-Comique, un artiste d'une certaine valeur, du nom de Fargueil. Il jouait les grimes et chantait au besoin les ariettes du répertoire ; car alors la musique ne formait pas le fonds obligé d'une pièce à succès. Il y a une foule d'œuvres écloses à la rampe de l'ancien Feydeau qu'on jouait en province et à l'étranger sans la partition et qui n'en faisaient pas mains plaisir ; sans même remonter bien haut dans l’histoire, nous nous souvenons avoir vu représenter en Espagne le Domino noir et l’Ambassadrice, privés de la délicieuse musique d'Auber.

Fargueil avait une fille, un bijou, la petite Anaïs, que tout le monde se disputait dans la coulisse et qui était née avec les plus heureuses dispositions lyriques. Pen qu'il eût été habile et fructueux de spéculer sur ses premiers bégayements, à l'exemple de tant de merveilles précoces, le père et la mère, bien conseillés, désireux surtout de faire un avenir à la charmante enfant plutôt que de l'exploiter à leur profit, la firent admettre au Conservatoire de musique. Elle avait dix ans, car mademoiselle Fargueil est née à Paris en 1821 [C’est faux, elle est née à Toulouse en 1819].

Les professeurs furent enthousiasmés en entendent la justesse d'intonation de cette enfant et la mirent aussitôt à ces tours de force du gosier qui veulent une organisation toute formée, sans se douter que leurs fatigants exercices allaient détruire en peu de temps un si précieux et si riche clavier.

On compte généralement, bon an, mal an, quatre cents élèves au Conservatoire, et sur ce grand nombre d'appelés il se trouve toujours fort peu d'élus : cela ne surprendra personne, si l’on compte surtout les grands artistes sortis de cette pépinière. Aussi, quand un élève la quitte mi emportant des prix, récompenses précieusement achetées par un labeur difficile et pénible, aime-t-on à le suivre dans sa carrière en se disant que, du moins, la faveur n'a pas entièrement tout fait pour lui.

Mademoiselle Anaïs Fargueil fut l'une des plus brillantes pensionnaires de l'école : après six années de travail, d'études consciencieuses, de difficultés vaincues, elle était prête pour le théâtre, précédée d'une belle réputation, parée encore des couronnes remportées sur ces gracieuses compagnes, et au nombre desquelles se trouvait le grand prix de chant.

Elle était prête pour le théâtre ; mais, hélas ! l'Opéra-Comique et l'Opéra avaient vainement escompté sa gloire future à leur profit : ce que l'art avait si tendrement créé, ce que l'étude avait si péniblement développé, la nature marâtre venait de le détruire. Exercée trop jeune encore aux dangereuses vocalises, sa voix avait perdu tout à coup sa fraîcheur et son étendue. La méthode, la science, le génie vivaient : — l'instrument était brisé.

Cependant un engagement avait été signé avec M. Crosnier, directeur de l'Opéra-Comique et mademoiselle Fargueil débuta le 28 février 1835 dans la Marquise, charmant petit opéra d'Adolphe Adam. Le succès le plus franc l'accueillit aussitôt et lui assura pendant longtemps de chauds et passionnés admirateurs ; c'est qu'aux charmes d'une voix pure, vibrante et allant à l’âme malgré sa faiblesse, — ce qui lui donnait peut-être encore plus d'attrait, — se joignaient la plus éclatante beauté et un talent de comédienne incontestable ; deux choses assez rares à rencontrer, il faut en convenir, chez les cantatrices émérites.

C'était bien là, en effet, une de ces adorables marquises du dix-huitième siècle qui ont tant exercé la verve des romanciers et des auteurs dramatiques, une fraîche et palpable animation de ces peintures léchées de Watteau, vive, étourdie, franche ; une de ces créatures à trente-six quartiers qui ne s'effarouchaient pas de se voir peindre en Diane chasseresse ou sous le costume primitif de ces nymphes fières et agiles que les mortels apercevaient parfois sur les bords de l'Eurotas.

Le publie, ce sultan, — non point blasé comme on l'a prétendu, — mais avide de nouveaux et de jolis visages, fit bientôt son enfant gâté de mademoiselle Fargueil : Adolphe et Clara et le Diable à quatre, qu'on reprit exprès pour elle, amenèrent en foule les anciens amateurs qui grossirent le nombre des admirateurs et déclarèrent franchement que les beaux jours du véritable opéra-comique étaient revenus. Il est vrai que la salle de la Bourse ne luttait pas encore alors d'ophicléides et de grosses caisses avec celle de la rue Le Peletier.

La même année, M. Auber fit jouer le Cheval de bronze et distribua à mademoiselle Fargueil le rôle écourté, mais charmant, de la soubrette. La belle jeune fille, vêtue d'un délicieux costume asiatique, réalisa le type de l'almée, de la houri céleste dont M. Scribe avait doté le fantastique et ingénieux paradis de son libretto ; des pieds mignons, une taille richement douée, de belles épaules, et avec cela des cheveux incomparables et des yeux de Circassienne, que l'habile enchanteresse n'avait pas besoin d’agrandir selon les procédés habituels du théâtre, il y avait là de quoi attirer longtemps la foule.

Cependant la douce musique, celle de Grétry et de Boieldieu, aux effets si simples et si complets pourtant, avait fait place aux violents accords de la nouvelle école ; de sorte que la gracieuse fauvette, se trouvant déplacée au milieu de tout ce fracas, rompit son engagement et entra au Vaudeville, où, du moins, elle était certaine de ne pas tout à fait briser son délicieux organe. C'est alors que le talent de la comédienne se développa en entier et apparut dans son véritable jour. Qui ne se rappelle les charmantes soirées de la rue de Chartres, alors qu'elle y jouait le Démon de la nuit, où elle fit ses débuts le 18 mai 1836, dans le rôle de Mathilde, une véritable Lavallière, plus la beauté ; — Carlina, dans Casanova, Esther, dans le Diable amoureux, un opéra-comique de Doche, dans lequel elle retrouva ses triomphes de la Marquise, et qui déplaça pour quelques jours les amateurs du genre de l'ancien Feydeau.

Puis vinrent la Rivale, Polly et le Tourlourou. Cette dernière pièce et Juana placèrent tout à coup mademoiselle Fargueil au rang des rares actrices qui ont le don de faire pleurer le spectateur ; mais toutes les larmes versées ne suffirent pas à éteindre l'incendie qui consuma en une nuit la salle de la rue de Chartres ; si bien que la troupe émigra tout entière au bazar Bonne-Nouvelle.

Retenue éloignée de la scène pendant quelque temps par une cruelle maladie, la délicieuse artiste rentra par des rôles importants : Marie Remond, Hortense, dans la Mancini, la Belle Bourbonnaise, et dans Lauzun, la Grande Mademoiselle, cette folle de sang royal, cette petite-fille d'Henri IV à qui le favori de Louis XIV disait un jour en lui tendant sa jambe toute crottée : « Louise de Bourbon, tire-moi mes bottes », ce qui lui valut quelques jours après l'honneur d'être mené à Pierre-Encise, puis à Pignerol, par M. d’Artagnan, capitaine-lieutenant de la première compagnie des mousquetaires de Sa Majesté, qui avait le désagréable privilège des arrestations importantes.

Après la Lionne, Un Secret (1840) fournit à l'artiste un très grand succès, et ce drame de MM. Lockroy et Arnoult, aux scènes pathétiques et émouvantes, nous montra la délicieuse Marquise des débuts devenue une grande comédienne et commençant à prétendre sérieusement au répertoire de Molière et de Marivaux.

L’Opéra-Comique ayant pris possession de la salle Favart, le Vaudeville le remplaça, et ce fut une bien douce satisfaction pour mademoiselle Fargueil de reparaître sur la scène qui avait été témoin de ses premiers succès. Elle y resta néanmoins peu de temps, et, après avoir soutenu un assez grand nombre de pauvres pièces, elle fit une courte apparition au théâtre du Palais-Royal, où elle créa (1842) la Fille de Figaro, qui, sans la prétention d'un titre lourd à porter, eût obtenu, grâce à son interprète, une double durée.

Après plusieurs années passées en excursions fructueuses, mademoiselle Fargueil est rentrée dernièrement au Vaudeville pour y créer un rôle, — type qui restera, sans contredit, l’une des plus puissantes et des plus complètes physionomies du théâtre moderne, — Marco, des Filles de Marbre ; rôle ingrat, odieux même, presque impossible à force de difficultés, mais plein aussi de toutes les grâces et doué de toutes les séductions de la femme.

Mademoiselle Fargueil a compris et rendu admirablement cette organisation féline, qui attire et repousse en même temps, qui laisse pressentir tous les vices et endort l’âme dans les extases énervantes de la damnation, qui, en un mot, préfère le son des dollars à la voix de l'amoureux timide, mariant sa voix aux doux chants de la fauvette cachée dans les lauriers en en fleurs.

Cent représentations ont refait à mademoiselle Fargueil une réputation européenne, et si elle avait, par hasard, des préférences marquées pour les génovines et les roubles, à l'exemple de sa terrible incarnation, elle n'aurait que l'embarras du choix entre les capitales. Mais la gloire est là, devant ses yeux, radieuse et sure, et elle se dit que les couronnes de l'étranger et ses applaudissements

 

     Ne valent pas les bravos du pays.

 

La dernière création de la charmante artiste dont nous donnons ici une biographie, trop courte à notre gré, est celle de Régine d’Ernestat, dans la Vie en rose. Quoique ce rôle épisodique fût entièrement sacrifié à tous les autres, elle a su y produire un effet grandiose, dû surtout à l'énergie avec laquelle elle a nuancé son débit, et elle a prouvé une fois de plus l'étendue et l'intelligence prompte de sa nature d'élite. Elle sait en outre se costumer avec goût et donner ainsi aux personnages qu'elle représente ce plastique destiné à charmer l’œil, pendant que son organe et son jeu enchantent l'esprit.

Pour en revenir à ce rôle de Marco, — qu'elle a fait sien et qu'elle a traduit avec une vérité sculpturale, rôle tout à fait à la taille de Rachel, qui tient de l’Hermione et de la Thisbé et lance parfois des éclairs sombres comme la Frédégonde du roi franc, — ne serait-ce point là une occasion de remarquer qu'à la Comédie-Française il y a de jolis talents, de frais minois, de mignardes pensionnaires dont le Conservatoire a seriné les effets anodins, et qu'il y manque un peu de ces vigoureuses natures que l'art anime de son feu sacré, et qui ont acquis l'expérience de la vie et du théâtre autrement que dans des chambres closes.

Certes, ce n'est pas de la première représentation des Filles de Marbre que la place de mademoiselle Fargueil est marquée à la Comédie-Française, mais il nous semble qu'à dater de cette soirée-là le public a bien un peu le droit de s'étonner de ne l’y point voir.

 

(Albert Blanquet, les Théâtres de Paris, 1854)

 

 

 

 

Anaïs Fargueil dans Rose Michel (Rose Michel) d'Ernest Blum en 1875 [photo Mulnier]

 

 

 

Deux carrières théâtrales, l'Opéra-Comique et la Comédie. Camarade d'Augustine Brohan, dite la marchande de mots, rien n'est drôle comme de voir ces deux bonnes amies se dire des douceurs. Fargueil est à mon sens la première et la seule grande comédienne que Paris recèle en ses murs, et il faut que son talent soit bien réel pour faire oublier, dans certains moments, une diction commune avec un tremolo à jet continu et un organe peu agréable. Mademoiselle Fargueil a de jolies robes sur des jupons sales. C'est un vœu, je crois.

A Rome, le pugilat amenait de toutes parts au cirque le peuple avide qui ne demandait que panem et circenses ; en Angleterre, la boxe choisit toujours un certain nombre de spectateurs parmi les amateurs de coups de poing ; partout les combattants aiment une galerie ; il paraît que mademoiselle Fargueil seule, plus modeste, se contente des parois d'un fiacre pour exercer son biceps sur ses camarades de théâtre. Elle est élève d'Arpin.

(Yveling Rambaud et E. Coulon, les Théâtres en robe de chambre : Vaudeville, 1866)

 

 

La fille de la célèbre comédienne Anaïs Fargueil, Mlle Marguerite Le Rousseau-Fargueil, qui vivait très retirée à Montmartre, vient de mourir, laissant une petite fortune à diverses œuvres de bienfaisance, notamment 20.000 francs à l’Hospitalité de nuit ; 20.000 francs à l’Assistance publique pour les besoins des services de la diphtérie ; 20.000 francs à l’œuvre de l’enfance abandonnée.

A la Société des gens de lettres, elle lègue une rente de 500 francs ; à la Société des artistes dramatiques une autre rente de 500 francs.

Elle constitue, d’autre part, un capital suffisant pour permettre au Conservatoire de musique et de déclamation de décerner chaque année deux prix de 300 francs aux jeunes artistes femmes ayant obtenu le premier prix de comédie et le premier prix d’opéra-comique. Cette dernière fondation est faite en souvenir d’Anaïs Fargueil qui, avant ses grands succès à l’Opéra-Comique et au Vaudeville, fut une des plus brillantes lauréates du Conservatoire pour l’opéra-comique et pour la comédie.

(Emile Marsy, le XIXe siècle, 27 juin 1911)

 

 

 

 

                   

 

tombe d'Anaïs Fargueil au cimetière de Montmartre [photo ALF, 2022]

 

 

 

 

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