Albert BRASSEUR

 

 

 

Jules Cyrille Albert DUMONT dit Albert BRASSEUR

 

acteur français

(9 rue d'Angoulême, Paris 11e, 12 février 1860* – Maisons-Laffitte, Seine-et-Oise [auj. Yvelines], 13 mai 1932*)

 

Fils de l'acteur BRASSEUR.

Epouse à Maisons-Laffitte le 19 septembre 1918* Juliette LAURENT dite Juliette DARCOURT (Paris ancien 6e, 11 juin 1855* – Sartrouville, Seine-et-Oise [auj. Yvelines], 04 juillet 1943), actrice et chanteuse [fille d'Antoine LAURENT (1827 –), artiste peintre, et de Victorine ROUSSELLE (1822 –), modiste, mariés à Paris ancien 6e le 21 juin 1859].

 

 

Etudes au lycée Condorcet, bachelier. Fils de l'excellent comédien Brasseur, qui fonda le théâtre des Nouveautés et le dirigea de 1878 à sa mort, il débuta à ce théâtre en décembre 1879, dans Fleur d'oranger (rôle du collégien Ernest). Tout de suite il donna les preuves de cette originalité pleine de finesse et de grâce, de ce sentiment comique plein de tact et sans excès, qui en font l'un des comédiens les plus singuliers et les plus amusants. Après avoir fait aux Nouveautés un grand nombre de créations qui le mirent bientôt en pleine lumière, notamment dans les pièces et opérettes suivantes : le 26 octobre 1880 la Cantinière de Robert Planquette ; en 1880 le Voyage en Amérique d'Hervé ; les Domestiques ; Serment d'amour ; les Ménages parisiens ; le 30 octobre 1884 le Château de Tire-Larigot (Adrien Bézuchard) de Gaston Serpette ; le 13 février 1885 la Vie mondaine (Eymeric de la Grande-Dèche) de Charles Lecocq ; le 03 octobre 1886 Adam et Eve de Serpette ; le 25 janvier 1887 l'Amour mouillé de Louis Varney ; le 22 février 1889 le Royaume des femmes (Alcindor) de Serpette, etc., il quitta ce théâtre et passa aux Variétés, où il débuta en février 1890 dans Paris port de mer (rôle de la gardienne du chalet), et où il devint le favori du public, grâce à l'étonnante souplesse d'un talent qui semble se renouveler. Sans citer toutes les créations ou reprises qu'il fit à ce théâtre, on peut mentionner celles où il trouva ses plus grands succès, entre autres : la Vie parisienne d'Offenbach ; Premier-Paris ; Gentil-Bernard ; la Bonne à tout faire ; l’Héroïque Lecardunois ; le Premier Mari de France ; Madame Satan ; la Rieuse ; Chilpéric d'Hervé ; le Pompier de service ; le Nouveau Jeu ; le Vieux Marcheur ; Education de prince ; les Médicis ; la Veine ; le Beau Jeune homme ; le 02 décembre 1900 Mademoiselle George (Fassinet) de Louis Varney ; le 16 avril 1903 le Sire de Vergy de Terrasse ; les Deux Ecoles ; le 02 novembre 1904 Monsieur de La Palisse de Terrasse ; le Bonheur, mesdames ! ; Miquette et sa mère ; le Bois sacré ; l’Habit vert ; le Roi ; etc. Il créa encore les opérettes suivantes : la Reine joyeuse (le roi Michel Ier) de Cuvillier à l'Apollo le 08 novembre 1918 ; Aladin (Barbizon) de Willy Redstone à Marigny le 21 mai 1919 ; la Ceinture de Vénus (Général Mars) de Florent d'Asse à l'Apollo le 17 décembre 1920. En 1886, il avait publié avec Frantz Jourdain un premier volume, Jean-Jean, qui avait été fort bien accueilli. Il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur le 07 septembre 1927.

En 1895, il habitait dans la propriété léguée par son père, 8 rue de la Station à Maisons-Laffitte, où il est décédé en 1932 à soixante-douze ans. En 1905, il habitait également 3 bis rue La Bruyère à Paris 9e.

 

 

 

livrets

 

la Crémaillère, opérette en 3 actes, avec Paul Burani, musique de Robert Planquette (Nouveautés, 28 novembre 1885)

 

 

 

 

Entrée d'Albert Brasseur dans Chilpéric, lithographie de Toulouse-Lautrec (1895)

 

 

 

Un comique sachant être élégant et donner même, quand il le faut, une jolie note sentimentale, puis se livrant ensuite à la plus abracadabrante fantaisie. Tel est Albert Brasseur, digne fils de son père, avec lequel il se permettait souvent de lutter d'originalité comique.

Albert Brasseur a prouvé qu'il a sérieusement travaillé l'art du comédien ; de plus, il dessine une phrase vocale avec goût et trouve des effets nouveaux dénotant du tempérament et de l'esprit.

Aux Variétés, Albert Brasseur a su, de par son talent très fin de composition, se faire une place â côté des plus fameux de ce théâtre.

Dans Chilpéric, dont il a compris et rendu le personnage de la façon la plus réjouissante, il ténorisait plus qu'agréablement, ainsi que dans Valentin, du Petit Faust. Il a créé le Pompier de service, son meilleur rôle, peut-être... avant le Nouveau Jeu, où il se montre très fin jusque dans le burlesque, et avant les Petites Barnett, très correct jusque dans les plus formidables pitreries.

(Adrien Laroque, Acteurs et actrices de Paris, juillet 1899)

 

 

Et l'on dit que rares sont les fils dignes artistiquement du nom de leur père !

Il faut ne pas connaître Albert Brasseur.

Certes son père fut un merveilleux comédien, il le dépasse.

Brasseur père eut des succès étourdissants mais seulement dans les rôles extra-comiques, Albert Brasseur l'égale au moins dans la bouffonnerie, il a en plus une corde à sa lyre, il est le comédien fin, distingué, on l'a vu dans les pièces de Donnay, Lavedan, Capus. C'est le successeur de son père et aussi celui du grand José Dupuis.

(Participation de Brasseur à la matinée de gala donnée au Trocadéro le 21 avril 1903 avec la Patti au bénéfice de la Maison de retraite des vieux comédiens ; Paris qui chante n°17, 17 mai 1903)

 

 

 

 

 

Georges Guillaume Guy et Albert Brasseur dans l'acte III du Sire de Vergy au Théâtre des Variétés en 1903

 

 

 

 

 

Albert Brasseur dans le Sire de Vergy (Coucy)

 

 

En des temps déjà reculés, un certain Jules Dumont, fils d'un marchand de bois de Paris, était élève à l'institution Jauffret et suivait les cours du collège Charlemagne. Il parvint ainsi jusqu'à la rhétorique. Son père voulait faire de lui un notable commerçant dans une partie plus distinguée et plus délicate que le bois à brûler ; il lui ménageait une situation dans la ganterie, mais Jules Dumont, rhétoricien et apprenti gantier, rêvait autre chose. Au grand scandale de sa famille, il s'en fut débuter, comme acteur, au théâtre de Belleville. De là, il ricocha aux Délassements, aux Folies-Dramatiques, pour arriver au Palais-Royal, où il décrochait le succès. En route, il avait changé son nom pour celui de Brasseur. Ce fut une des étoiles de première grandeur dans la rare constellation d'artistes qui illustra le théâtre de la Montausier. Celui qui a vu et entendu Jules Brasseur célébrer, dans la Cagnotte, sous les apparences du sieur Colladon, les mérites de « l'engrais », ne l'a jamais oublié.

Après maints et maints triomphes, Brasseur (Jules), devenu père de famille, décida que son fils Brasseur (Albert) embrasserait la profession de soldat, en débutant par Saint-Cyr, afin d'arriver plus tôt aux grades les plus élevés de l'armée française. Le jeune Brasseur fut confié aux bons soins des professeurs du lycée Fontanes, qui le bourrèrent de mathématiques.

Vers 1890, après trente ans de vogue au Palais-Royal, Brasseur (Jules) devenait propriétaire du théâtre des Nouveautés. On ne sait trop comment l'événement se produisit, mais, un beau soir, Brasseur (Albert) paraissait sur la scène paternelle, dans une pièce d'Hennequin. Le public l'acclamait aussitôt et le sacrait comédien. C'en était fait des ambitions guerrières de Brasseur (père). S'il ne l'avait vécu, ce rêve belliqueux, Brasseur (fils) voulut l'écrire, tout au moins, et c'est ainsi que parut un amusant volume, Jean-Jean, histoire humoristique et patriotique d'un conscrit du Premier Empire qui finit par devenir général (en collaboration avec M. Frantz Jourdain).

Après un court séjour aux Nouveautés, Albert Brasseur est entré aux Variétés qu'il n'a plus quittées. Il semble disposé à y accomplir un stage aussi prolongé que celui fait par son père au Palais-Royal. Cette fidélité au théâtre une fois adopté n'est pas la seule ressemblance que l'on puisse relever entre le fils et le père ; il faut y ajouter une égale habileté dans le travestissement. Albert Brasseur est un maître dans l'art de la métamorphose ; lorsqu'il adjoint les ressources du grimage et des postiches à celles que lui fournit la science consommée de la grimace et de la déformation des traits, il obtient les résultats les plus effarants.

Ce n'est là qu'un petit côté de son talent : quant à sa valeur d'art, les innombrables spectateurs qui l'ont applaudi un peu partout, le fidèle public des Variétés qui frémit à son apparition et s'esclaffe avant qu'il n'ait ouvert la bouche, ceux-là n'ont pas besoin d'être renseignés sur ce point.

La dynastie des Brasseur en est au numéro 2 ; c'est à Albert Brasseur de ménager au public un numéro 3 digne du nom, qui prouvera, une fois de plus, aux générations futures, que la loi de l'atavisme n'est pas un vain mot.

(Journal de musique, 29 mai 1903)

 

 

 

 

 

 

 

Paris qui chante n° 134 du 13 août 1905

 

 

Tel père, tel fils ! dit le proverbe. C'est en matière artistique un axiome souvent vérifié, mais souvent, hélas ! erroné !

Le père semble parfois avoir accaparé tout l'esprit et toute l'intelligence de la famille.

Albert Brasseur a su porter le nom de son père en l'illustrant encore davantage et en l'inscrivant parmi les plus glorieux d'entre tous les comiques.

Ayant à recueillir l'héritage artistique de son père, Albert Brasseur a su se montrer à la hauteur de sa tâche. Ses débuts sont amusants et typiques, pour qui connaît l'homme exquis et franc qu'est Albert Brasseur.

C'était en 1878, Brasseur père qui, pendant trente années, avait été l'une des gloires du Palais-Royal, un des piliers de ce théâtre, dont la troupe comique était unique au monde, Brasseur père voulut goûter de la direction.

Et, à cet effet, il fit construire, boulevard des Italiens, sur l'emplacement d'une salle de concert, un théâtre d'une extrême élégance qui prit le nom — qu'il a gardé — de Théâtre des Nouveautés.

A cette époque, son fils Albert usait ses fonds de culottes sur les bancs de Condorcet.

C'était un garçonnet d'une douzaine d'années, toujours souriant, toujours joyeux, mais néanmoins très assidu au travail, et dont ses professeurs faisaient le plus grand cas.

Le père Brasseur était fier d'Albert et à ceux de ses amis qui lui parlaient de l'avenir du jeune lycéen, il répondait invariablement :

    J'en ferai un militaire.

Et il ajoutait, avec un bon gros rire :

    On entendra parler plus tard du colonel ou même du général Albert Brasseur.

Mais il est quelque chose de plus fort que la volonté d'un père, c'est la vocation d'un fils. Quand Albert Brasseur quitta le lycée où il n'avait plus rien à apprendre :

  Maintenant, lui dit son père, tu vas te préparer pour Saint-Cyr ou Polytechnique, à ton choix.

— Mon père, répondit énergiquement Albert, je veux entrer au théâtre.

— Tu dis ?

— Je veux entrer au théâtre.

— Tu es fou ?

— Je veux entrer au théâtre et y continuer la dynastie glorieuse des Brasseur.

Brasseur père fut stupéfait. Il essaya de lutter, ce fut en vain, et, en 1870, désespéré, mais consentant, il laissait débuter son fils sur la scène qu'il dirigeait.

Il n'eut pas à le regretter.

Et voilà comment Albert Brasseur entra au théâtre.

Il n'est certes pas, à l'heure actuelle, un comédien de l'âge d'Albert brasseur qui jouisse d'une réputation aussi universelle. C'est qu'il n'en existe point, non plus, dont le tempérament d'artiste soit aussi souple, aussi original, aussi complet.

La caractéristique de son talent, c'est la diversité. Albert Brasseur n'a pas un genre ; il a tous les genres et dans tous les genres il excelle, qu'il joue Ménélas de la Belle Hélène, Paul Costard du Nouveau Jeu, Valentin Bridoux du Beau Jeune Homme, le vicomte de la Petite Fonctionnaire, Labosse du Vieux Marcheur, Coucy du Sire de Vergy, Edmond Tourneur de la Veine, Édouard des Deux Écoles ou le roi du Prince Consort, ou Monsieur de La Palisse.

Albert Brasseur est aujourd'hui une des gloires du théâtre contemporain.

Cette grande situation, il ne la doit pas seulement à son comique toujours de bon aloi, à sa gaîté forcément communicative, mais encore, et surtout, à la simplicité de son jeu et à la sincérité de son art. Il est, suivant l'expression d'Émile Augier, un artiste « honnête » qui n'emprunte rien et ne voudrait rien emprunter aux « trucs » faciles du théâtre. Il est lui et entend rester lui !

Henry Meilhac, qui s'y connaissait en comédiens, disait d'Albert Brasseur :

— C'est un grand acteur !

Le maitre Victorien Sardou a dit de lui, à propos de sa création de La Palisse :

« J'ai connu beaucoup de grands comédiens — Albert Brasseur est de leur famille — de cette race d'artistes qui se perd un peu aujourd'hui, chez lesquels la conscience va de pair avec le talent, et qui savent faire rendre à un rôle tout ce qu'il contient et quelquefois même y ajouter quelque chose. — Ainsi fait Albert Brasseur avec Monsieur de La Palisse — personnage si populaire, si français, si comiquement philosophe et si philosophiquement comique !

« Il a su incarner son bonhomme avec une sincérité remarquable, un talent étonnant ! C'est le bon sens lui-même ; naïf et spontané, épanoui et bien portant. — La Palisse, c'est la vérité ! mais c'est aussi la santé ! — C'est la raison dans ce qu'elle a de plus cordial et de plus accueillant.

« Voilà ce qu'Albert Brasseur, avec toutes les ressources d'une fine clairvoyance et d'un rare tempérament comique, a su comprendre et exprimer. »

Le Paris qui Chante apporte, à son tour, à Albert Brasseur sa documentation par l'image et le document en reproduisant diverses chansons que le fils a chantées après le père et qui sont restées populaires. Et c'est le meilleur éloge qu'on puisse faire de leur interprète.

(Paris qui chante n°134, 13 août 1905)

 

 

 

 

 

Albert Brasseur par Sem

 

 

 

Il était fils de Jules Dumont, dit Brasseur, l'excellent comique du Palais-Royal devenu directeur du théâtre des Nouveautés. Celui-ci le fit entrer au lycée Condorcet : il ne voulait nullement en faire un comédien ; il désirait qu'il préparât Saint-Cyr... Mais le jeune bachelier montrait pour la scène un goût si prononcé, qu'ayant besoin, un jour, de quelqu'un pour remplacer au pied levé un artiste malade, Brasseur père consentit à l'essayer dans le rôle du collégien Ernest de la Fleur d'oranger, d'Eugène Grangé et Alfred Hennequin. Il y obtint un tel succès que Meilhac et Sarcey, qui se trouvaient dans la salle, insistèrent pour qu'on le laissât suivre sa vocation et qu'on ne privât point le public d'un aussi bon comédien.

Il débutait donc, en 1879, à dix-sept ans ; début suivi de créations — aux Nouveautés — dans nombre d'opérettes et de vaudevilles tels que la Cantinière, Babolin, le Royaume des femmes, Adam et Eve, et, après son service militaire, Serment d'amour, le Château de Tire-Larigot, l'Amour mouillé, le Roi de carreau, le Petit Chaperon Rouge, Ménages parisiens. Il plaisait au public par son élégance, sa distinction native, sa finesse, mais aussi par sa fantaisie abracadabrante, déchaînant le rire par des moyens clownesques : grande bouche enfantine d'où sortait une invraisemblable voix enrouée, yeux à demi fermés par la malice ou bien arrondis par une stupeur burlesque, embroussaillés par d'extraordinaires sourcils mobiles qu'on eût dit postiches.

Mais ce fut surtout aux Variétés, sous la direction Samuel, que pendant vingt-quatre ans Albert Brasseur allait accumuler les succès. Il y débutait en 1891 dans Paris port de mer et y créait, entre autres revues et pièces : les Variétés de l'année (1892) ; Madame Satan, le Premier Mari de France (1893) ; l'Héroïque Lecardinois, la Rieuse (1894) ; le Carnet du diable (1895), où il obtenait un succès colossal dans son imitation parfaite de Frégoli, le populaire artiste italien. Cette année-là, les Variétés reprenaient le répertoire d'Offenbach et d'Hervé, et Brasseur y abordait les ténors d'opérette par le rôle de Chilpéric dans l'opéra d'Hervé, faisait applaudir sa verve bouffonne, sa fantaisie pleine d'humour et d'esprit dans la Vie parisienne (où il jouait le rôle à transformations du Brésilien, de Frick, de Prosper), les Brigands, Orphée aux enfers, l'Œil crevé, Geneviève de Brabant, le Petit Faust. Puis les Variétés revenaient à la comédie et à la revue, et Brasseur immortalisait la silhouette burlesque et cocasse du Pompier de service, en 1897. L'année suivante il créait, avec quel éclat, Paul Costard dans le Nouveau Jeu d'Henri Lavedan, et, en 1899, le sénateur Labosse dans le Vieux Marcheur également de Lavedan. Cette fois, c'était un véritable triomphe : il avait campé là, avec une sûreté de jeu magistrale et une verve éclatante, un type de « vieux beau » qui devait rester attaché à son nom. Dorénavant, il était celui que l'on imite, dont on répète les intonations ; il avait créé un genre : « le genre Brasseur », genre paradoxal allant de la charge énorme à la comédie délicate, de la farce à la légèreté, de la bouffonnerie à la finesse, avec une aisance, une grâce inimitables.

Maurice Donnay le désignait comme interprète du « cercleux » d'Education de prince (1900) ; Alfred Capus le réclamait pour la Veine (1901) et les Deux écoles (1902). Dans la Veine, il passait de la folie à la gaieté, de la gaieté à l'ironie, et de l'ironie à la tendresse délicate, avec une souplesse incroyable, sans qu'on sentît la transition. Sa gaieté débordante, sa fantaisie savoureuse, sa verve rebondissante, tout, dans son jeu, dans chacun de ses gestes — jusqu'à sa façon de s'habiller et de se « faire une tête » — appelait et forçait le succès.

Il créait, en 1904, le Bonheur, mesdames, de Francis de Croisset ; puis il organisa, chaque été, en compagnie de son frère Jules, de grandes tournées, parcourant les plages et les villes d'eaux, et il alla donner des représentations en Belgique, en Italie, en Espagne, à Londres, et même en Amérique du Sud.

De Flers et Caillavet, devenant à cette époque les auteurs attitrés du théâtre des Variétés, allaient écrire des pièces où Albert Brasseur devait déployer toutes les ressources d'une gaieté bouffonne et d'un brio endiablé qui faisaient pâmer la salle entière. D'ailleurs il faisait maintenant partie d'une des plus remarquables troupes comiques qu'un théâtre ait jamais réunies. Il donnait la réplique à Max Dearly, Guy, Prince, Eve Lavallière, Jeanne Granier, Marie Magnier, et remportait une suite de succès éclatants dans Coucy du Sire de Vergy, dans Monsieur de La Palisse, dans le marquis de la Tour-Mirande de Miquette et sa mère, dans Jean IV de Cerdagne du Roi, dans le Bois sacré, dans l'Habit vert... Il fallait le voir mener le jeu avec Guy dans le Sire de Vergy, heureux, riant, épanoui, dans un mouvement endiablé qui entraînait après lui le public, les acteurs, ...et la pièce. Aussi quel triomphe ! Après avoir joué 285 fois avec une merveilleuse force comique le rôle du Roi en 1908, il se reposait un peu, mais pour reprendre bientôt le sceptre de Jean IV de Cerdagne en mai 1909 et le garder jusqu'à la fin de la saison : ce fut le plus grand succès qu'ait jamais connu le théâtre des Variétés !

Sa dernière création avant la guerre fut Ma tante d'Honfleur, de Paul Gavault. En 1915 il devint le pensionnaire de Hertz et Coquelin à la Porte-Saint-Martin et à l'Ambigu, où il reprenait la Petite Fonctionnaire, la Roussotte, Lili, Mam'zelle Nitouche, le Vieux Marcheur, et créait le Système D.

Dès l'armistice, il jouait au théâtre Michel dans une revue de Rip : Quand le diable y serait (1921) ; puis il passait à l'Athénée pour y créer le Paradis fermé. Après avoir été applaudi aux nouvelles Nouveautés, notamment dans Chou-Chou poids plume, il était engagé par Gustave Quinson au Palais-Royal, où il allait interpréter les pièces de Pierre Veber, d'Hennequin, d'Yves Mirande : le Monsieur de cinq heures, Au premier de ces messieurs, etc., et camper des types étonnants dans plusieurs revues de Rip, notamment une scène de « vieux Parisien » où il fut acclamé. Il excellait encore dans les marquis de vaudeville à boutonnière fleurie et à perruque bouclée, avec sa voix toujours enrouée, son sourcil en broussaille sur ses gros yeux, ses pommettes roses, son air sémillant ; sa caricature énorme restait fine et pleine d'esprit, et il y avait toujours un fond délicat dans sa fantaisie cocasse. C'était toujours le maître comédien d'avant-guerre, digne de la croix de chevalier de la Légion d'honneur qu'on lui remit en 1927, au cours d'une petite fête intime et cordiale.

Peu de temps après, Albert Brasseur s'était retiré dans sa propriété de Maisons-Laffitte que lui avait léguée son père. C'est là qu'il est mort, le 13 mai 1932, d'une crise d'angine de poitrine. Avec lui disparaissait un des meilleurs interprètes de ce théâtre brillant et frivole, sceptique et attendri qui, il y a un quart de siècle, entrait pour une part dans le prestige de Paris.

(Jean Monval, Larousse Mensuel Illustré, octobre 1932)

 

 

 

 

 

 

 

 

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