Jean François Philibert BERTHELIER

 

Jean François Philibert Berthelier (photo Atelier Nadar) [BNF]

 

 

Jean François Philibert BERTHELIER

 

acteur et ténor (trial) français

(Panissières, Loire, 14 décembre 1828* – Paris 9e, 29 septembre 1888*)

 

Fils de Philibert BERTHELIER (Propières, Rhône, 06 mai 1793 – Panissières, 01 juin 1841), notaire [fils de Philibert BERTHELIER (Propières, 18 décembre 1759 – Propières, 13 juillet 1830)], et de Marie LACAND (Panissières, 13 janvier 1804 – Paris 9e, 07 février 1873*), mariés à Panissières le 31 janvier 1826.

Epouse 1. à Paris 9e le 24 juin 1865* Marie Juliette Estelle FRASEY dite FRASEY-BERTHELIER (Paris ancien 5e, 16 août 1842* – Paris 9e, 25 décembre 1865*), actrice qui créa la Marquise dans les Bergers d'Offenbach.

Epouse 2. à Paris 8e le 24 octobre 1877* Marie Blanche Henriette CHARPENTIER (Paris ancien 2e, 22 octobre 1848* – 47 rue Laffitte, Paris 9e, 17 mai 1923*).

Père de Philibert Pierre Louis BERTHELIER [2] (Paris 9e, 28 juillet 1878* Carolles, Manche, 1941), comédien puis artiste peintre.

 

 

D'abord employé dans une librairie à Lyon, puis chanteur au théâtre de Poitiers, il vint à Paris en 1850, chanta quelque temps dans les cafés-concerts, et débuta, en 1855, au théâtre des Bouffes-Parisiens dans les Deux aveugles. Il entra successivement à l'Opéra-Comique (du 12 décembre 1856 au 01 février 1863), où il joua dans Maître Pathelin, au Palais-Royal, aux Variétés en 1872 (la Veuve du Malabar, les Trente millions de Gladiator, la Boulangère a des écus), à la Renaissance en 1877 (le Petit Duc, la Marjolaine, la Petite Mademoiselle), aux Nouveautés de 1879 à 1886 (le Jour et la nuit, le Cœur et la main, l'Oiseau bleu, Babolin, le Petit Chaperon rouge), à la Gaîté en 1887 (le Bossu). A Bade, il avait créé le 10 août 1863 le Chevalier Nahel d'Henry Litolff. Il créa de nombreuses opérettes. Talent plein de verve et de naturel, il avait dans son jeu une finesse et une distinction qui empêchaient son comique de tomber dans la charge.

« M. Berthelier est ce qu'on appelle un comique de sang-froid, mais dont l'action sur le public n'en est pas moins puissante. C'est assurément l'un des artistes les plus fins, les plus originaux et les plus curieux à étudier qui se puisse rencontrer. » (Arthur Pougin, 1888)

En 1865, il habitait 23 rue Clauzel à Paris 9e, puis 42 rue des Martyrs à Paris 9e, où est décédée sa première femme. En 1878, il habitait 36 rue des Martyrs à Paris 9e. Il est décédé en 1888 à cinquante-neuf ans, en son domicile, 47 rue Laffitte à Paris 9e. Il est enterré au cimetière de Montmartre (17e division).

 

 

 

Sa carrière à l'Opéra-Comique

 

Il y débuta le 12 décembre 1856 en créant Maître Pathelin (Aignelet) de François Bazin.

 

Il y créa également le 20 juin 1857 le Mariage extravagant (Simplet) d'Eugène Gautier ; le 26 janvier 1858 les Désespérés (lord Flamborough) de François Bazin ; le 02 juin 1858 les Fourberies de Marinette de Jules Creste ; le 16 décembre 1858 les Trois Nicolas (Trial) de Louis Clapisson ; le 12 août 1859 Voyage autour de ma chambre (Clairvoyant) d'Albert Grisar ; le 23 avril 1860 le Château Trompette (Frigousse) de François-Auguste Gevaert ; le 28 août 1860 le Docteur Mirobolan (Grand Simon) d'Eugène Gautier ; le 24 décembre 1860 Barkouf (Xaïloum) de Jacques Offenbach ; le 18 mars 1861 Maître Claude (Bouton de Rose) de Jules Cohen ; le 17 juin 1861 Marianne (Jean-Pierre) de Théodore Ritter ; le 11 décembre 1861 les Recruteurs (Vestris) d'Alfred Lefébure-Wély.

 

Il y participa le 28 mai 1858 à la première des Deux aveugles (Giraffier) de Jacques Offenbach, qu'il avait créé aux Bouffes-Parisiens.

 

Il y chanta la Servante maîtresse (Scapin, 12 août 1862) ; la Dame blanche (Dickson, 1000e le 16 décembre 1862) ; Rose et Colas (Leroux, 50e le 25 décembre 1862) ; Jeannot et Colin (Blaise) ; Fra Diavolo (Beppo, puis Mylord Kokbourg) ; Quentin Durward (le Maugrabin) ; les Rendez-vous bourgeois (Bertrand) ; le Déserteur (Bertrand) ; le Diable au moulin (Fargeau) ; le Pré‑aux-Clercs (Cantarelli) ; le Caïd (Ali-Bajou) ; les Sabots de la marquise (Nicolas).

 

 

 

 

Berthelier (à g.) et Pradeau dans les Deux aveugles, représentés le 05 juillet 1855 aux Folies-Marigny

 

 

 

opérettes créées

 

les Deux aveugles (Giraffier) de Jacques Offenbach (Bouffes-Parisiens, 05 juillet 1855)

Une nuit blanche (Hercule) de Jacques Offenbach (Bouffes-Parisiens, 05 juillet 1855)

le Rêve d'une nuit d'été de Jacques Offenbach (Bouffes-Parisiens, 30 juillet 1855)

Une pleine eau du comte d'Osmond et Jules Costé (Bouffes-Parisiens, 29 août 1855)

le Violoneux (Pierre) de Jacques Offenbach (Bouffes-Parisiens, 31 août 1855)

le Duel de Benjamin (Benjamin) d'Emile Jonas (Bouffes-Parisiens, 20 octobre 1855)

Périnette (Paimpol) de Jacques Offenbach (Bouffes-Parisiens, 29 octobre 1855)

Ba-ta-clan (Ké-ki-ka-ko) de Jacques Offenbach (Bouffes-Parisiens, 29 décembre 1855)

Avant la noce d'Emile Jonas (Bouffes-Parisiens, 24 mars 1865)

les Douze innocentes d'Albert Grisar (Bouffes-Parisiens, 19 octobre 1865)

les Bergers (Myriame ; Colin ; Nicot) de Jacques Offenbach (Bouffes-Parisiens, 11 décembre 1865)

l'Ile de Tulipatan (Cacatois XXII) de Jacques Offenbach (Palais-Royal, 30 septembre 1868)

Petit bonhomme vit encore (Belleface) de Louis Deffès (Palais-Royal, 19 décembre 1868)

la Revanche de Candaule de Jean-Jacques Debillemont (Vaudeville, 28 octobre 1869)

la Princesse de Trébizonde (le prince Casimir) de Jacques Offenbach (Bouffes-Parisiens, 17 décembre 1869)

le Testament de Monsieur de Crac (Isolin de Castafiol) de Charles Lecocq (Bouffes-Parisiens, 23 octobre 1871)

Boule de Neige (le Caporal) de Jacques Offenbach (Bouffes-Parisiens, 14 décembre 1871)

le Docteur Rose (Coronini) de Federico Ricci (Bouffes-Parisiens, 10 février 1872)

les Cent vierges (le duc Anatole de Quillenbois) de Charles Lecocq (première française, Variétés, 13 mai 1872)

les Braconniers (Lasteconérès) de Jacques Offenbach (Variétés, 29 janvier 1873)

la Veuve du Malabar (le nabab Kerikalé) d'Hervé(Variétés, 26 avril 1873)

les Prés Saint-Gervais (Narcisse) de Charles Lecocq (Variétés, 14 novembre 1874)

le Manoir de Pictordu (Saturnin de Pictordu) de Gaston Serpette (Variétés, 28 mai 1875)

la Boulangère a des écus (Flammèche) de Jacques Offenbach (Variétés, 19 octobre 1875)

Kosiki (Xicoco) de Charles Lecocq (Renaissance, 18 octobre 1876)

la Marjolaine (Palamède) de Charles Lecocq (Renaissance, 03 février 1877)

la Tzigane [version française de la Chauve-Souris] (Zappoli) de Johann Strauss (première française, Renaissance, 30 octobre 1877)

le Petit Duc (Frimousse) de Charles Lecocq (Renaissance, 25 janvier 1878)

la Camargo (Pont Calé) de Charles Lecocq (Renaissance, 20 novembre 1878)

la Petite Mademoiselle (Taboureau) de Charles Lecocq (Renaissance, 12 avril 1879)

la Cantinière (Rastagnac) de Robert Planquette (Nouveautés, 26 octobre 1880)

le Jour et la nuit (Don Braseiro de Tras os Montes) de Charles Lecocq (Nouveautés, 05 novembre 1881)

le Cœur et la main (le Roi) de Charles Lecocq (Nouveautés, 19 octobre 1882)

le Droit d'aînesse (Tancrède) de Francis Chassaigne (Nouveautés, 27 janvier 1883)

le Premier baiser (Zug) d'Emile Jonas (Nouveautés, 21 mars 1883)

le Roi de carreau (Tirechappe) de Théodore de Lajarte (Nouveautés, 26 octobre 1883)

l'Oiseau bleu (Bricoli) de Charles Lecocq (Nouveautés, 16 janvier 1884)

Babolin (Karamatoff) de Louis Varney (Nouveautés, 19 mars 1884)

la Nuit aux soufflets (Hercule III) d'Hervé (Nouveautés, 18 septembre 1884)

le Château de Tire-Larigot (le marquis de Val-Pointu) de Gaston Serpette (Nouveautés, 30 octobre 1884)

la Vie mondaine (Chiquito) de Charles Lecocq (Nouveautés, 13 février 1885)

le Petit Chaperon rouge (Bardoulet) de Gaston Serpette (Nouveautés, 10 octobre 1885)

Serment d'amour (Gavaudan) d'Edmond Audran (Nouveautés, 19 février 1886)

Adam et Eve (Adramalec) de Gaston Serpette (Nouveautés, 06 octobre 1886)

la Princesse Colombine (le sénéchal) de Robert Planquette (Nouveautés, 07 décembre 1886)

Ninon (Benoît) de Léon Vasseur (Nouveautés, 23 mars 1887)

Dix jours aux Pyrénées (Chaudillac) de Louis Varney (Gaîté, 22 novembre 1887)

le Bossu (Cocardasse) de Charles Grisart (Gaîté, 19 mars 1888)

le Dragon de la Reine (Cornensac) de Léopold de Wenzel (première française, Gaîté, 31 mai 1888)

 

 

 

 

 

Berthelier

 

 

 

Beaucoup de talent pour composer ses rôles. Berthelier est un chercheur infatigable. Il lui faudrait l'obélisque pour produire un effet, qu'il arriverait, soyez-en certain, à le faire figurer où il en aurait besoin.

Berthelier est un agréable trial qui n'a qu'un défaut, mais il est capital : c'est son accent. C'est le parler normand d'Agnelet dans Maître Pathelin.

Il est l'exemple le plus frappant de la volonté de parvenir ; il est parti de bas, d'un café-concert de la rue Contrescarpe, et en quinze ans, a passé par les Bouffes, le Palais-Royal et l'Opéra-Comique, et a chanté dans tous les salons de Paris et dans toutes les villes d'eaux d'Europe. Il est arrivé, à force de travail, à conquérir une belle position. En dehors de son théâtre, il se fait vingt-cinq à trente mille francs par an. Propriétaire de quelques immeubles à Montmartre, il excite la jalousie de quelques-uns de ses confrères, qui l'accusent de trop tirer la couverture à lui… mais il s'en arrange si bien que le public ne peut lui en vouloir.

Comme la fourmi, n'est pas préteur.

(Yveling Rambaud et E. Coulon, les Théâtres en robe de chambre : Bouffes-Parisiens, 1866)

 

 

 

 

 

Berthelier en 1875 [photo Liébert]

 

 

 

Jean-François-Philibert Berthelier est né à Panissières (Loire), le 14 décembre 1828. Son père était notaire et voulait en faire un avocat, mais il mourut alors que l'enfant avait à peine onze ans.

Elevé à l'école communale de son village, le petit Berthelier marchait à la tête de sa classe. Dans une distribution des prix, à l'âge de douze ans, il joua le rôle de Nicolas (Nicole) du Bourgeois gentilhomme, du Molière enfantin, avec une intelligence qui le fit remarquer de tous, et principalement d'un de ses compatriotes, Bonnassieux, le célèbre statuaire, lequel engagea la famille à envoyer l'enfant à Paris pour le faire entendre au Conservatoire.

Ce conseil, quoique bien reçu, ne fut pas cependant suivi. Le comédien en herbe continua ses études pendant deux années encore ; puis, à quatorze ans, le directeur de l'école communale le plaça chez un libraire de Lyon, nommé Ponet, qui jouait, le soir, les troisièmes rôles au théâtre des Célestins.

Berthelier se trouvait, par là, en rapport avec des comédiens auxquels il portait les livres que ceux-ci prenaient en location chez son patron, et dans cette fréquentation, il puisa ses premiers goûts pour le théâtre.

A seize ans, il entra comme commis-voyageur en imagerie dans la maison Pintard, de Lyon. Là, sa vocation se dessina complétement après les succès qu'il obtenait chaque soir à la table d'hôte, où, montant sur la table à la fin du repas, il égayait la chambrée en chantant des chansonnettes comiques.

Après la Révolution de 1848, Berthelier songea sérieusement au théâtre. Il se fit engager à Poitiers pour la saison 1849, comme fort premier ténor, et y débuta par le rôle de Fernand de la Favorite.

Le théâtre ayant fermé avant la fin de la campagne, le fort ténor n'eût d'autres ressources que le café-concert. Il s'y fit connaître bientôt aussi bien comme chanteur d'opéra, que comme diseur de chansonnettes.

Quelques mois plus tard, la troupe entière de ce café-concert partant pour Paris, Berthelier, qui avait amassé un peu d'argent, résolut de se rendre avec elle dans la capitale, vers laquelle se reportaient, déjà, ses espérances.

Mais les bohémiens qui composaient la bande eurent bientôt dévoré les ressources de ceux qui avaient su faire des économies. En arrivant à Amboise, personne n'avait plus un sou dans son escarcelle, excepté Berthelier, qui avait caché deux francs dans ses bretelles.

Pour parer à cette situation désastreuse, quelques-uns eurent l'idée de chanter en pleine rue ; ils prirent pour prétexte une sérénade à donner en l'honneur d'Abd-el-Kader, alors prisonnier dans le château de cette ville. Berthelier vit bien qu'il ne s'agissait pas là de rendre un hommage à un glorieux vaincu ; ne trouvant pas digne de lui de mendier ainsi son argent par un moyen détourné, il refusa de se joindre à eux et partit seul pour Blois, continuant sa route vers Paris.

Arrivé à Blois, il se rend chez le maire, lui explique sa situation et demande à être entendu de lui. En écoutant parler ce jeune homme de dix‑neuf ans, à la figure ouverte, intelligente, au cœur si bien placé, appartenant à une bonne famille, ce magistrat le retient à dîner, le fait chanter le soir, puis, lui remet cinq francs et un permis de circulation pour Paris, par le chemin

de fer d'Orléans.

(Disons, ici, que trois ans après, Berthelier s'empressa de s'acquitter de sa dette envers le maire de Blois, en allant chanter au bénéfice des pauvres de la ville, dans la magnifique salle des Etats).

Mais, ô fatalité ! le jeune voyageur se voit arrêté à Orléans, sous prétexte que le billet dont il est porteur n'est pas valable sur la ligne d'Orléans à Paris. Malgré ses affirmations et ses efforts, il ne peut monter en chemin de fer.

Que fait-il alors ? Il se rend dans un café‑concert. Pour s'y faire agréer de suite, il annonce comme great attraction, qu'il chantera le duo du quatrième acte de la Favorite, faisant, à lui tout seul, les deux parties de Léonore et de Fernand. Ce tour de force, très bien exécuté, lui rapporta... 8 francs, lesquels, avec les 5 fr. du maire de Blois, lui permirent de partir pour Paris, où il arriva, ayant en poches... vingt‑deux sous !

En remontant les boulevards, depuis la Bastille, il regardait à droite et à gauche, lorsque, arrivé devant le théâtre de la Porte-Saint-Martin, ses yeux se portèrent sur l'affiche placardée sur les murs de la salle. Il y lut ces mots : Ce soir : Jocko ou le Singe du Brésil : M. Espinosa, danseur comique, jouera le rôle du singe.

Or, il avait connu Espinosa à Lyon, l'y ayant vu souvent danser le ballet des Meuniers. Le désir d'entrer au théâtre s'empara aussitôt de lui. Il pense pouvoir acheter une contremarque avec ses vingt-deux sous ; mais le marchand la lui fait quatre francs et l'injurie ; Berthelier lui jette alors à la tête son sac de voyage ; une lutte s'engage, et qui eût été fatale au jeune artiste, si un monsieur n'était intervenu pour prendre sa défense.

Berthelier explique sa conduite à son sauveur. Hasard providentiel ! Non seulement celui-ci le fait entrer au théâtre, mais il l'invite à se rendre le lendemain à l'agence dramatique, dont il est le directeur, rue Bergère.

Notons en passant, comme curieux détail, que M. Bizot, c'est le nom de ce directeur, était déjà le professeur de chant de Mlle Frasey, que Berthelier devait épouser quinze ans plus tard.

En entendant une voix étendue et bien timbrée, M. Bizot conseilla tout d'abord à Berthelier de se présenter au Conservatoire ; toutefois, il le fit entrer immédiatement dans un café‑chantant de la place de l'Observatoire, pour qu'il puisse, de suite, subvenir à ses besoins.

Quelque temps après, en 1851, Berthelier eut l'unanimité.

Il entre alors dans deux cafés-concerts à la fois : le Café Charles et le Café des Vosges, situés tous les deux rue Saint-Denis. Un gros rhume qu'il gagna en se rendant d'un endroit à l'autre, lui fit perdre la voix. C'est alors qu'il s'adonna tout spécialement à la chansonnette.

En 1853 et 1854, il chante au Beuglant, rue Contrescarpe, avec un succès étourdissant.

Dans cc café se réunissait toute la jeunesse des Ecoles : Bertall l'y entendit et le présenta dans des salons parisiens, notamment chez Mme Orfila.

Ayant demandé un mois de congé, il se rend à Lyon où, sous le nom de Francisque, il obtient la vogue, au Cercle musical, en chantant des chansonnettes : le Boursier, le Voyage de Lyon à Paris, Qui veut voir la lune, Un jeune homme en loterie, etc... Il touchait, dans cet endroit, trente francs par jour. Cependant il préféra revenir à Paris, et n'avoir au Beuglant que cinq francs par soirée, visant toujours le théâtre et espérant rencontrer, là seulement, une occasion de se faire engager. Clapisson, en effet, l'ayant entendu, le présenta à M. Perrin, alors directeur de l'Opéra-Comique. Mais il ne résulta rien de cette entrevue.

L'auteur de la Fanchonnette, confiant dans l'avenir du jeune artiste, lui donna des leçons pendant six mois.

Offenbach l'entendit, à cette époque et l'engagea aux Bouffes-Parisiens, où il resta neuf mois. Voici ses créations à son premier théâtre :

1855. 5 juillet. les Deux aveugles, de J. Moinaux et Offenbach (rôle de Giraffier).

1855. 5 juillet. Une nuit blanche, d'Ed. Plouvier.

1855. 29 août. Une pleine eau, Ludovic Halévy, comte d'Osmont et Costé.

1855. 31 août. Le Violoneux, Mestépès et Offenbach.

1855. 29 octobre. Périnette, de Lussan et Offenbach (Paimpol).

1855. 20 octobre. Le Duel de Benjamin, de Mestépès et Jonas (Benjamin).

1855. 29 décembre. Ba-ta-clan, d'Offenbach (Ké-ki-ka-ko).

Le bruit qui se fit autour du nom de Berthelier fut alors si grand que M. Perrin l'engagea à l'Opéra-Comique avec un traité de 7.200 francs par an. Il débuta à la salle Favart par la création d'Aignelet dans Maître Pathelin, qui le rendit populaire et le désigna immédiatement pour prendre la succession de Sainte-Foy.

Berthelier resta six ans et demie à l'Opéra‑Comique, ses créations furent les suivantes :

1856. 12 décembre. Maître Pathelin, op.-c., 1 a., de F. Bazin (Aignelet).

1857. 20 juin. le Mariage extravagant, 1 a., de E. Gautier (Simplet).

1858. 26 janvier. les Désespérés, 1 a., de F. Bazin (Flamborough).

1858. 16 décembre. Les Trois Nicolas, 3 a., de Clapisson (Trial).

1859. 12 août. Le Voyage autour de ma chambre, 1. a., d'Albert Grisar (Clairvoyant).

1860. 23 avril. Château Trompette, 3 a., de Gevaert (Frigousse).

1860. 28 août. Le Docteur Mirobolant, 1 a., d'E. Gautier (Grand Simon).

1860. 24 décembre. Barkouf, 3 a. d'Offenbach. (Xaïloum).

1861. 18 mars. Maître Claude, 1 a., de J. Cohen (Bouton de Rose).

1861. 17 juin. Marianne, 1 a., de Th. Ritter (Jean-Pierre).

1861. 11 décembre. les Recruteurs, 3 a., de Lefébure‑Wély (Vestris).

1862. 12 août. la Servante maîtresse, 2 a., de Pergolèse, 1re [reprise] à l'Opéra-Comique (Scapin).

Les autres ouvrages du répertoire dans lesquels il a repris un rôle, sont :

Jeannot et Colin, de Nicolo (Blaise) ; — Fra Diavolo, d'Auber (Beppo, puis Mylord Kokbourg) ; — Quentin Durward, de Gevaert (le Maugrabin) ; — les Rendez-vous bourgeois, de Nicolo (Bertrand) ; — le Déserteur, de Monsigny (Bertrand) ; — le Diable au moulin, de Gevaert (Fargeau) ; — la Dame blanche, de Boieldieu (Dickson, où il fut dans la distribution à la 1000e représentation) ; — le Pré‑aux-Clercs, d'Hérold (Cantarelli) ; — le Caïd, d'A. Thomas (Ali-Bajou) ; — les Sabots de la marquise, de Boulanger (Nicolas).

Mentionnons encore, durant cette période d'engagement à l'Opéra-Comique, une création faite au Palais-Royal, dans une représentation extraordinaire : Jeune poule et vieux coq, d'Abadie, qu'il joua avec Mlle Schneider, le 11 septembre 1858.

Berthelier resta à l'Opéra-Comique jusqu'au 1er février 1863. Il débuta, au Palais-Royal le 7 du même mois dans Jean Torgnole où il obtint un succès étourdissant. Rarement on n'avait, en

effet, rencontré un comédien de plus belle humeur, plus fin, plus vivant, plus naturel, doué d'une voix plus charmante et aussi rompu à l'art du chant. Son entrain, sa crânerie, sa verve étourdissante eurent là leur cours, tout à leur aise.

Voici les créations de Berthelier, au Palais‑Royal :

1863. 7 février. Jean Torgnole, c.-v., 1 a., de E. Grangé et Le Thiboust (Jean).

1863. 16 mai. l'Oiseau fait son nid, 1 a., de Clairville, Grangé et Thiboust (Clovis Ducroquet).

1863. 23 décembre. le Pifferaro, c.-v., 1 a., de Duru et Chivot (Antonio).

1864. 24 décembre. l’Histoire d’une patrouille, c.-v., 1. a., d'A. Monnier et E. Martin (Tropasol).

Néanmoins, le Palais-Royal n'offrait pas, à cette époque surtout, assez d'occasions à Berthelier pour faire valoir son talent de chanteur. Tout un côté de son mérite restait donc inaperçu, malgré les nombreuses chansonnettes qu'il faisait entendre, comme intermèdes. Aussi rentra-t-il aux Bouffes-Parisiens, où il débuta dans Avant la Noce, au mois d'avril, et en même temps que Mlle Frasey, qu'il devait épouser le 24 juin suivant et qu'il devait perdre, si fatalement, quelques mois plus tard, le 25 décembre 1865, après qu'elle eût créé, avec un si grand succès, le rôle de la marquise, dans les Bergers.

Après cette opérette, Berthelier crée successivement :

1865. 21 septembre. les Refrains des Bouffes, fantaisie musicale pour la réouverture (John Bull).

1865. 19 octobre. les Douze innocentes, op. 1 a., d'Em. de Najac et Griser (Le Chevalier).

1865. 11 octobre. les Bergers, op.-c., 3 a., de Crémieux, Ch. Gille et Offenbach (Myrianne).

Le 1er février 1867, Berthelier effectue sa rentrée au Palais-Royal, remplaçant Brasseur dans les rôles de Frick, du Major et du Brésilien, de la Vie Parisienne, qu'il joue s'en désemparer jusqu'au 30 juin.

1868. 30 septembre. l’Ile de Tulipatan, op. b., 1 a., de Duru, Chivot et Offenbach (Cacatois XXII).

1868. 19 décembre. Petit bonhomme vit encore, op.-c. 2 a., de E. Najac et E. Deffès (Belleface).

1869. 28 octobre. la Revanche de Candaule, op.-c., 1 a., de H. Thierry, P. Avenel et Debillemont (Gygès).

1868. 7 décembre. la Princesse de Trébizonde, op.-c., 3 a., de Nuitter, Tréfeu et Offenbach (le Prince Casimir).

1870. 27 avril. les Bavards (reprise), de Nuitter et Offenbach (Sarmiento).

La guerre fait bientôt fermer tous les théâtres. Berthelier s'engage dans les francs-tireurs aux avant-postes de la Folie, près Pantin. Après le siège, il se voit porter pour la médaille militaire.

Pendant la Commune, n'ayant pas le cœur à chanter, il refuse de suivre à Londres la troupe dont il fait partie, et se retire dans son pays.

Revenu à Paris en juin 1871, Berthelier fait sa rentrée aux Bouffes, à la réouverture, le 16 septembre, dans la Princesse de Trébizonde puis y crée encore :

1871. 23 octobre. le Testament de M. de Crac, op.-b., 1 a., de Moinaux et Ch. Lecocq (Issolin).

1871. 14 décembre. Boule de Neige, op.-b., 3 a., de Nuitter, Tréfeu et Offenbach (le Caporal).

1872. 10 février. le Docteur Rose, op.-b., 3 a. et 4 t., de E. de Najac et F. Ricci (Coronini).

Engagé aux Variétés, il y débuta le 13 mai suivant, et n'a pas quitté, depuis ce jour, ce théâtre, dont il est un des plus fermes soutiens. Voici les créations qu'il y a déjà faites :

1872. 13 mai. les Cent Vierges, op.-b., 3 a., de Clairville, Chivot, Duru et Ch. Lecocq (Quillenbois).

1872. 15 août. Ne la tue pas ! Conférence de M. A. Dreyfus.

1872. 22 novembre. la Revue n'est pas au coin du quai, c.-v., 4 t., de Clairville, Siraudin et Koning (le Recenseur, Polycarpe, Egynhard).

1873. 29 janvier. les Braconniers, op.-b., 3 a., de Chivot, Duru et Offenbach (Lasteconérès).

1873. 26 avril. la Veuve du Malabar, op.-b., 3 a., de Delacour, Crémieux et Hervé.

1874. 14 décembre. les Prés-Saint-Gervais, op.-b., 3 a. de Sardou et Ch. Lecocq (Narcisse).

1875. janvier. les Chapeaux, conférence, de Vibert.

1875. 22 janvier. les Trente millions de Gladiator, c. v., 4 a. de Labiche et Ph. Gille (Gladiator).

1875. 27 mai. le Manoir de Pictordu, op., 3 a. de Mortier, Saint-Albin et Serpette (Saturnin de Pictordu).

1875. 30 juin. Berthelier citez les Mormonnes, fantaisie pour son bénéfice (Berthelier).

On voit que, chez Berthelier, le chanteur et le comédien comptent, en partage, un nombre à peu près égal de créations, qui, presque toutes furent pour lui, matière à succès.

Et pourtant, il y a encore chez cet excellent artiste, un troisième homme qui ne le cède en rien aux autres, c'est le jovial diseur de chansonnettes comiques. Berthelier a interprété, tant sur les théâtres, dans les cafés-concerts, que dans les salons du monde, peut-être plus de cinq cents chansonnettes avec lesquelles il a fait passer par le rire ou les larmes des milliers de spectateurs de tous genres.

Je citerai entre toutes :

 

CHANSONNETTES ET SCÈNES COMIQUES

la Chanson des gestes. — Air bouffe anglais. — les Jolis pantins. — le Vieux braconnier. — le Ténor léger. — Ça m'agace. — C'est ma fille.— Si j'étais-t‑invisible. — le Boursier. — l'Amour dans tous les pays. — Laissez-moi donc tranquille. — les Péchés de jeunesse. — Végétal, animal et minéral. — Papa Négué. — le Dîner de ma tante. — Pile ou face. — l'Amour britannique. — Bibi Bambam. — Coquelicot-ci, coquelicot-là. — le Proverbe de ma fille. — le Vieux farceur. — l'Amoureux de la lune. — le Speeck. — la Chanson de Fortunia. — le Beau danseur. — On n'est pas parfait. — Je m'en passe. — le Mouton de Betzy. — la Cinquantaine. — Je ne l'entretiens pas. — le Docteur Puff. — Mon Idalia. — l'Enfant de la Canebière. — Nos danseuses. — Dératatatchim. — l'Editeur de musique. — le Baptême du p'tit ébénisse. — le Tribunal en sabots. — Pauv' Jérôme pointu. — le Supplice d'un maître de maison. — la Province a du bon. — Il est minuit. — Bonheur des champs. — Vive monsieur le maire. — le Cotillon. — Y m' manque quéque chose. — l'Invalide à la tête de bois. — Un pique-nique d'Auvergnats. — le Dîner du gros major. — Quand la patrie est en danger. — Ma Denise. — Une drôle de soirée. — Quatre bêtes dans une. — Trois lettres d'un soldat. — Expliquez ça si vous pouvez. — Nos bons portiers. — le Banquiste. — le Discret.

 

DUOS COMIQUES

les Deux tourtereaux. — Jean Pierre et Jean‑Louis. — Héraclite et Démocrite.

 

Deux mots pour finir et pour résumer l'homme et l'artiste.

Berthelier, comédien, est le type de la gaieté franche et communicative. Sa physionomie éveillée, narquoise au besoin, son rire dilaté, le bon goût dont il ne se départ jamais, la manière dont il lance le trait et détaille le couplet, son entente savante de la musique, son talent d'observation, son instinct scénique, sa diction claire, le naturel de ses gestes, l'ont fait applaudir sur toutes les scènes par où il a passé. C'est un de nos acteurs les plus justement populaires.

L'homme, chez Berthelier, vaut l'artiste. Sa première bonne action fut, sitôt qu'il eût quelques sous d'épargnés, d'aller, dès 1853, dans son village pour y chercher sa mère qu'il entoura toujours de soins pieux et qui vécut près de lui jusqu'au 7 février 1873, époque à laquelle elle mourut ; sa dernière est présente encore à l'esprit de tous les hommes de cœur : c'est l'abandon qu'il fit, il y deux mois, en faveur des inondés du Midi, d'une somme de 8,000 francs environ, produit de sa représentation à bénéfice.

Entre ces deux actes si honorables, on pourrait citer de lui, de nombreux traits de charité, car il s'empresse toujours de prêter gratuitement son précieux concours, soit pour des œuvres de bienfaisance, soit à des camarades peu fortunés.

J'ajouterai encore que Berthelier emploie noblement l’argent qu'il a su gagner. Il est possesseur d'une galerie de tableaux où figurent la plupart de nos maîtres d'aujourd'hui. Les Diaz, les Corot, les Hébert, les Daubigny y coudoient les Vibert, les Worms, les Daumier, les Baron, etc. Ce n'est point chez lui spéculation. Il tient à ses toiles comme l'avare à ses pièces d'or, avec la différence qu'au lieu de les renfermer dans une cassette et de les enterrer, il les étale à tous les yeux, sur les murs de son appartement, où il n'y a pas un coin qui ne retienne l'œil attentif. Heureux homme, qui, après avoir amusé les autres, sait trouver pour lui-même de si aimables distractions.

 

(Félix Jahyer, Paris-Théâtre, 19 août 1875)

 

 

 

programme d'un concert donné par Berthelier à Panissières le 17 juillet 1875 [don de la ville de Panissières]

 

 

 

Né à Panissières, où son père était notaire. Il obtint dès l'âge de onze ans des succès dramatiques, en figurant dans une représentation donnée, à l'occasion de la distribution des prix, par les élèves de l'Ecole normale de son département. Placé plus tard chez un libraire de Lyon, nous le retrouvons ensuite à Poitiers, chantant au théâtre le rôle de Fernand dans la Favorite. En 1850, il est attaché à Paris au café-concert de la rue Contrescarpe ; en même temps, il obtient quelques succès encourageants dans divers salons et prend les leçons de Clapisson. Après une campagne au casino de Lyon, M. Berthelier vint enfin débuter à Paris au théâtre des Bouffes-Parisiens, le 5 juillet 1855 (jour de l'ouverture), par le rôle de Giraffier dans les Deux Aveugles, rôle qui commença sa réputation. Ba-ta-clan, le Violoneux, le Duel de Benjamin, furent pour lui d'heureuses créations, et le Rêve d'une nuit d'été le fit engager à l'Opéra-Comique, sur la recommandation de M. Auber. Sa première apparition sur cette dernière scène eut lieu dans Maître Pathelin, par un rôle charmant, naïf, mais difficile, qui le plaça à côté de Sainte-Foy dans l'emploi de trial. Maître Claude et un certain nombre de créations mirent en relief son talent vif et sincère, plein de gaieté et de naturel. Quittant l'Opéra-Comique, il passa au Palais-Royal, où il débuta le 7 février 1863 avec beaucoup de bonheur dans le rôle de Jean Torgnole, de la pièce de ce nom. Depuis, il a créé, avec un succès toujours croissant, Clovis Ducroquet, dans l'Oiseau fait son nid, pièce à travestissements qui lui permettait de figurer un commis aux Villes de France, une vieille femme et un Anglais ; Antonio, dans le Pifferaro ; Tropasol, dans l'Histoire d'une patrouille, etc. ; mais c'est surtout par ses chansonnettes que M. Berthelier s'est acquis la vogue dont il jouit ; ses créations en ce genre, illustré par Achard et Levassor, et dont il est aujourd'hui le maître, sont nombreuses ; nous citerons entre autres : le Docteur Puff, la Cinquantaine, le Vieux braconnier, Ça m'agace !, C'est ma fille !, l'Humour britannique, l'Amoureux de la lune, la Chanson de Fortunia (un de ses grands succès), Pile ou face, le Proverbe de ma fille, Mon Idalia, Coqu'licot ci, coqu'licot là !, Un vieux farceur, l'Amour dans tous les pays, la Chanson des gestes, le Baptême du p'tit Ebéniste, l'Enfant de la Cannebière, Speech, l'Editeur de musique, Nos danseuses, Deratatatchine !, Miss Sensitive. Recherché avec empressement dans les hauts salons et les concerts, M. Berthelier possède en outre un répertoire d'environ deux cents chansonnettes, pour ainsi dire à l'usage particulier des maisons où il va porter sa gaieté de bon goût, sa jolie voix et son originalité. Plusieurs fois appelé à la cour, il a fait les délices des soirées de Vichy. Cet acteur, justement applaudi, rappelle aux amateurs du théâtre l'excellent Achard qui n'avait pu encore être remplacé ; talent franc, crâne et plein de verve, il est un brûleur de planches sans pareil. Chanteur comique de la bonne école, il a de la distinction, qualité rare qui l'empêche de dépasser le but et de tomber dans la charge, comme cela arrive trop souvent aux interprètes des rôles burlesques. Il y a en outre, dans son jeu, une sincérité, un naturel et une naïveté qui ont un grand attrait.
M. Berthelier, d'ailleurs excellent musicien, a composé la musique de la ronde de Jean Torgnole, l'air anglais de l'Oiseau fait son nid, la chanson de Tropasol dans l'Histoire d'une patrouille. On lui doit encore la musique de la chansonnette l'Enfant de la Cannebière. Il signe ses compositions musicales de Berthel.
M. Berthelier avait épousé, en 1865, Mlle Estelle Frasey, qui, à sa sortie du Conservatoire, débuta à la Gaîté dans Peau d'âne, en 1863, par le rôle de la princesse Lélia. Engagée au théâtre des Bouffes-Parisiens peu après son mariage, elle y parut à côté de son mari, sous le nom de Mme Frasey-Berthelier, dans Fleur-de-soufre de Croquefer ou le Dernier des paladins. Fort troublée par un accident arrivé pendant une des répétitions des Bergers, elle tomba malade et mourut, à peine âgée de vingt-trois ans, le 26 décembre 1865, laissant d'unanimes regrets. Elle s'était fait remarquer surtout par son charme décent, les grâces de son visage, une voix fraîche et bien timbrée.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1866-1876)

 

Cet excellent artiste a passé plusieurs fois des Bouffes-Parisiens, « théâtre » de ses débuts, au Palais-Royal, et vice versa. Engagé aux Variétés en 1872, il y demeura jusqu'en 1876 et entra alors à la Renaissance, d'où il sortit, en 1879, pour entrer aux Nouveautés, où il est encore, à la grande joie du public. Si nombreuses sont les créations qu'il a ajoutées à celles que nous avons déjà citées, que nous nous bornerons à énumérer ici les principales.
Bouffes-Parisiens : Myriame, dans les Bergers (1865) ; Palais-Royal : Cacatois XXII, dans l'Ile de Tulipatan (1868) ; Belleface, dans Petit bonhomme vit encore (1868) ; le prince Casimir, dans la Princesse de Trébizonde (1869) ; Bouffes-Parisiens : le caporal, dans Boule de neige (1871) ; Variétés : Quillenbois, dans les Cent Vierges (1872) ; Lasteconérès, dans les Braconniers (1873) ; Narcisse, dans les Prés Saint-Gervais (1874) ; Gladiator, dans les Trente Millions de Gladiator (1875) ; Flammèche, dans la Boulangère a des écus (1875) ; Namiron, dans le Dada (1876) ; Renaissance : créations diverses, dans Kosiki (1876), la Marjolaine (1877), la Tsigane (1877), le Petit Duc (1878), la Camargo (1878), la Petite Mademoiselle (1879). Aux Nouveautés, M. Berthelier, après s'être fait applaudir dans la Cantinière (1880), le Mariage de Groseillon (1881) et le Jour et la nuit (1881), a, dans ces dernières années, créé les rôles suivants : le roi, dans le Cœur et la main (1882) ; Tancrède, dans le Droit d'aînesse (1883) ; Tirechappe, dans le Roi de carreau (1883); Bricoli, dans l'Oiseau bleu (1884) ; Karamatoff, dans Babolin (1884) ; le marquis, dans le Château de Tire-Larigot (1884) ; Chiquito, dans la Vie mondaine (1885) ; Bardoulet, dans le Petit Chaperon rouge (1885) ; Gavaudan, dans Serment d'amour (1886) ; Adramalec, dans Adam et Eve (1886) ; le sénéchal, dans la Princesse Colombine (1886) ; etc.
Berthelier ne connaît que le succès. Artiste aimé du public, partant des directeurs, il possède aujourd'hui une jolie fortune, dont il use généreusement, et intelligemment : il s'est créé pour son plaisir une fort belle galerie de tableaux où les Diaz, les Corot, les Hébert, les Daubigny, coudoient les Vibert, les Worms, les Daumier, etc.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 2e supplément, 1888)

 

 

 

 

 

Berthelier dans le Petit Duc (Frimousse) lors de la création au Théâtre de la Renaissance en 1878, dessin de Draner

 

 

 

Son père, qui était notaire, en voulait faire un avocat, mais il mourut alors que l'enfant avait douze ans. D'abord commis chez un libraire de Lyon, nommé Ponet, qui jouait le soir les troisièmes rôles au théâtre des Célestins, le jeune Berthelier puisa dans cette ville ses premiers goûts pour le théâtre ! Devenu voyageur en imagerie, dans la maison Pintard de Lyon, il charmait chaque soir les convives de la table d'hôte par ses chansonnettes comiques. Bref, en 1849, il trouva un engagement à Poitiers, comme fort premier ténor, et débuta par le rôle de Fernand de la Favorite. Mais le théâtre ayant fermé ses portes avant la fin de la campagne, Berthelier n'eut d'autres ressources que le café-concert. Après une foule de déboires, le malheureux jeune homme arriva Paris avec... vingt-deux sous dans sa poche. Un agent dramatique, Bizot, qui, par hasard fut le professeur de Mlle Frasey, que lui, Berthelier, devait épouser quinze ans plus lard, Bizot lui conseilla de se présenter au Conservatoire, et lui procura, en attendant, un engagement dans un café-concert de la place de l'Observatoire. En 1851, il a son audition au Conservatoire, mais… il est refusé à l’unanimité. Il chante alors au café Charles et au café des Vosges situés tous deux rue Saint-Denis. Il perd la voix à ce métier, et s'adonne uniquement à la chansonnette. En 1853 et 1854, il chante au Beuglant, rue Contrescarpe, avec un succès étourdissant. Bertall qui l’y avait entendu, le présente dans les salons et notamment chez Mme Orfila. A Lyon, sous le nom de Francisque (?) il fait fureur avec ses chansonnettes au Cercle musical : le Boursier, le Voyage de Lyon à Paris, Qui veut voir la lune ?, un Jeune homme en loterie, etc. Mais, malgré les trente francs qu'il gagnait la par soirée, il préfère revenir à Paris où Clapisson lui donne des leçons. C'est alors qu'Offenbach l’engagea aux Bouffes-Parisiens, où il resta neuf mois. Voici ses créations à ce théâtre :

5 juillet 1855 (inauguration de la salle des Champs-Elysées) : les Deux aveugles (rôle de Giraffier), succès colossal.

Juillet 1855 : Une nuit blanche.

29 août 1855 : Une pleine eau.

29 octobre 1855 : Périnette.

Septembre 1855 : le Violoneux.

Novembre 1855 : le Duel de Benjamin.

25 décembre 1855 (inauguration de la salle du passage Choiseul) : Ba-ta-clan.

Le bruit qui se fit alors autour du nom de Berthelier attira l'attention de M. Perrin qui l'engagea à l'Opéra-Comique avec un traité de 7.200 francs. Cette partie de sa carrière (1856-1862) ne nous regarde guère, ne nous occupant pas des chanteurs. Nous rappellerons toutefois qu'elle fût des plus brillantes, et que Berthelier fut un incomparable Aignelet dans Maître Pathelin. En 1858, il fut prêté cependant au Palais-Royal, où il parut avec Mlle Schneider dans Jeune poule et vieux coq (représentation extraordinaire, 11 septembre). Le 7 février 1863, Berthelier débuta au Palais-Royal où il obtint un succès complet dans Jean Torgnole. Plus chanteur que comédien, il apportait à la scène de la verve, de l'entrain, un art consommé dans la chansonnette.

16 mai 1863 : l'Oiseau fait son nid.

23 décembre 1863 : le Pifferaro.

24 décembre 1864 : l'Histoire d’une patrouille.

Mais le genre de ce théâtre ne faisait guère son affaire. On n'y chantait pas assez. Il revint donc aux Bouffes en avril 1864, en même temps que Mlle Frasey (Avant la noce), qu'il épousa le 24 juin 1865 et perdit si fatalement le 25 décembre 1865 à la suite d'un accident.

Berthelier créa encore aux Bouffes :

21 septembre 1865 : les Refrains des Bouffes.

11 octobre 1865 : les Bergers.

19 octobre 1865 : les Douze innocentes.

Rentré au Palais-Royal le 1er février1867, il remplaça Brasseur dans la Vie Parisienne. A l'instar de ses prédécesseurs Achard et Levassor, Berthelier triompha surtout dans la chansonnette, et ne fut jamais qu'un comédien à côté. Le Baptême du P’tit ébéniste et 200 autres chansonnettes établirent sa réputation ; il composa même la musique de quelques-unes sous le pseudonyme de Berthal. C'est ainsi qu'on lui doit par exemple, l'air de la ronde de Jean

Torgnole, l'air anglais de l'Oiseau fait son nid, l'air de la chanson de l'Enfant de la Cannebière, etc. Tous les concerts, tous les salons se le disputaient. Il fut appelé à la Cour, fit les délices des soirées de Vichy. Au théâtre, ce n'était guère — comme Achard — qu'un brûleur de planches, au débit précipité.

Berthelier parut de nouveau sur la scène des Bouffes dans les pièces suivantes :

30 septembre 1868 : l’Ile de Tulipatan.

19 décembre1868 : Petit Bonhomme vit encore.

28 octobre 1869 : la Revanche de Candaule.

7 décembre 1869 : la Princesse de Trébizonde.

27 avril 1870 : les Bavards (reprise).

La guerre venue, Berthelier s'engagea dans les Francs-Tireurs et se battit aux avant-postes de la Folie, près de Pantin. Après le siège, on le porta même pour la médaille militaire. Pendant la Commune, il refusa de suivre ses camarades à Londres et se retira dans son pays. Revenu à Paris en juin 1871, il fit sa rentrée aux Bouffes, le jour de la réouverture, le 16 septembre, dans la Princesse de Trébizonde. Il créa encore à ce théâtre :

23 octobre 1871 : le Testament de M. Crac.

14 décembre 1871 : Boule de neige.

10 février 1872 : le Docteur Rose.

Engagé aux Variétés, il y débuta le 13 mai 1872.0

13 mai 1872 : les Cent Vierges.

15 août 1872 : Ne la tue pas !, conférence burlesque.

22 novembre 1872 : la Revue n'est pas au coin du quai.

29 janvier 1873 : les Braconniers.

26 avril 1873 : la Veuve du Malabar.

14 décembre 1874 : les Prés Saint-Gervais.

Janvier 1875 : les Chapeaux, conférence.

22 janvier 1875 : les Trente millions de Gladiator.

18 mai 1875 : les Portraits.

27 mai 1875 : le Manoir de Pictordu.

30 juin 1875 : Berthelier chez les Mormonnes, fantaisie à son bénéfice.

Ayant appris les désastres causés par les inondations dans le midi de la France, il abandonna généreusement aux inondés la recette totale de la soirée. Cette belle action lui valut une médaille d'honneur qui lui fut décernée le 27 mai 1877 par la Société d'encouragement au bien.

Voici un jugement porté sur Berthelier en 1866 : « Il est l'exemple le plus frappant de la volonté de parvenir, lisons-nous dans les Théâtres en robe de chambre ; il est parti de bas, d'un café-concert de la rue Contrescarpe, et en quinze ans, a passé par les Bouffes, le Palais-Royal et l'Opéra-Comique et a chanté dans tous les salons de Paris et dans toutes les villes d'eau d'Europe. Il est arrivé, à force de travail, à conquérir une belle position. En dehors de son théâtre, il se fait vingt-cinq à trente mille francs par an. Propriétaire de quelques immeubles à Montmartre, il excite la jalousie de quelques-uns de ses confrères... Comme la fourmi, il n'est pas prêteur ».

P. Mahalin (Triolet du Gaulois) ne fait que paraphraser ces quelques lignes.

Berthelier passa encore par la Renaissance, les Nouveautés et la Gaîté.

Théâtre de la Renaissance :

18 octobre 1876 : Kosiki, rôle de Xicoco.

3 février 1877 : la Marjolaine, Palamède.

25 janvier 1878 : le Petit Duc, Frimousse.

20 novembre 1878 : la Camargo, Pont Calé.

Théâtre des Nouveautés :

18 décembre 1880 : les Parfums de Paris.

27 janvier 1883 : le Droit d'aînesse, Tancrède.

20 mars 1883 : le Premier baiser, Zug.

26 octobre 1883 : le Roi de carreau, Tirechappe.

Sa dernière campagne fut celle qu'il fit à la Gaîté :

1886 : le Petit Poucet.

1886 : le Grand Mogol.

31 mai 1887 : le Dragon de la Reine, Cornensac.

22 novembre 1887 : Dix jours aux Pyrénées, Chaudillac.

19 mars 1888 : le Bossu, opéra-comique, Cocardasse.

La mort de Berthelier, survenue en septembre 1888, fut annoncée en ces termes, par Eug. Garraud, au Rapport de la Société des artistes, le 24 juin 1889.

« S'il faut juger des sympathies qu'un homme a su conquérir, par la grandeur de l'émotion qui se produit à l'heure de son décès, nous pouvons affirmer que Berthelier jouissait de celle de tous les comédiens de Paris... Berthelier n'était pas seulement un artiste d'un incontestable mérite. C'était aussi un travailleur infatigable, cherchant toujours le mieux, dans le bien... Comme membre du Comité, toutes les fois qu'il eut à manifester son opinion ou ses sentiments sur la façon de secourir une misère intéressante, il nous a montré qu'il avait l'intelligence élevée, le cœur généreux, et une grande entente des affaires, ce qui, dans maintes questions, faisait souvent prévaloir son avis. Pour lui donner un dernier témoignage de leur unanime attachement, tous ceux de ses ex-collègues qui se trouvaient à Paris, assistaient à ses obsèques, et c'est entouré par eux, que le président de l'Association, dans un discours où il avait mis tout son cœur, a longuement retracé les qualités de l'homme et de l'artiste. Pauvre Berthelier ! si gai, si bon enfant, c'est au moment où tout lui souriait que l'implacable mort est venue l'enlever à sa femme et à son fils, à ses nombreux amis, en leur laissant à tous d'inconsolables regrets ».

En dehors du théâtre, Berthelier avait été bon fils et brave soldat. Dès qu'il eut quelques sous, il alla chercher sa mère en 1853, et la garda près de lui jusqu'à sa mort, le 7 février 1873. Son concours était d'avance acquis à toutes les œuvres de charité, et son plaisir était de garnir son appartement de tableaux de maîtres. Riche de l'argent gagné par son travail, il faisait bien quelques envieux. De là vient peut-être cette réputation d'économe dont on le gratifia un peu trop.

Berthelier fut nommé officier d'académie en 1888. Il avait été question, vers 1885, de la publication de ses Mémoires. L'affaire, croyons-nous, n'eut pas de suite.

Biographie : Paris-Théâtre, n° 118. 19-25 août 1875. Longue notice par Félix Jahyer. — Foyers et Coulisses, les Variétés, p. 65 et suiv. — Adrien Laroque, Acteurs et Actrices, 1888.

Bibliographie : Yveling Ram Baud et E. Coulon, les Théâtres en robe de chambre, p. 225 (1866). — Paul Mahalin, Au bout de la lorgnette, p. 237, 1883.

 

(Henry Lyonnet, Dictionnaire des Comédiens français, 1912)

 

 

 

 

 

Berthelier dans le Château de Tire-Larigot

 

 

 

Chaque hiver, l'hôtel des ventes est en pleine fête : les collections y défilent les unes après les autres, et le public qui lit à quel chiffre se sont vendus les tableaux peut se figurer que jamais Paris n'a été dans une prospérité plus grande et qu'à aucune époque on n'a vu de plus nombreux amateurs se disputer des toiles à des prix plus fabuleux. C'est une erreur. Le plus souvent, ces prix sont imaginaires ; trois fois sur quatre les acquéreurs sont des amis chargés par le vendeur de pousser l'enchère, et neuf fois sur dix, dans le courant de l'hiver, les toiles, en apparence vendues à un si beau tarif, sont rentrées discrètement au logis après avoir paradé pendant quelques jours dans les salles de l'hôtel des commissaires-priseurs. Si donc on vous raconte que telle collection a rapporté un million, lisez trente ou quarante mille francs, car le reste ne s'est pas vendu, soyez-en bien convaincus. Les hommes qui connaissent le dessous des cartes, les familiers des coulisses de l'hôtel, vous diront comme un seul homme que les ventes de tableaux ne marchent pas toujours bien ; que les amateurs se méfient d'un avenir embrouillé et que les gens qui poussent les tableaux à des prix fabuleux sont le plus souvent des compères chargés de soutenir la vente.

Ce métier de pousseur n'est d'ailleurs pas sans danger, témoin cette histoire de Berthelier, avec laquelle on pourrait faire un livret d'opéra-comique, si la situation n'avait pas déjà été exploitée dans la Dame blanche. Le comique bien connu possède à Montmartre une propriété qu'il loue à un peintre. Si vous demandez à Berthelier des nouvelles de son immeuble, vous verrez son front se plisser et son regard s'assombrir, car, pour avoir poussé les enchères, Berthelier est devenu propriétaire malgré lui. L'histoire remonte déjà à pas mal d'années, mais elle n'en est pas moins curieuse. A force de dire des chansonnettes dans les salons, Berthelier avait amassé ses premiers cinquante mille francs quand il eut le malheur de rencontrer un de ses amis d'enfance qui lui dit :

— Je bénis le hasard qui te conduit sur mon chemin. Que fais-tu aujourd'hui ?

— Rien, je flâne.

— Cela te serait-il égal de venir du côté de la place du Châtelet ?

— Absolument.

— Eh bien, tu vas me rendre un grand service. On vend aujourd'hui la maison de papa ; il me faut un ami pour pousser les enchères. Je serai derrière toi, et tant que je ne n'appuierai pas la main sur ton épaule, tu mettras cent francs de plus.

— Très bien, répond Berthelier, je suis à toi.

Et voilà les deux amis devant le notaire ; les bougies brûlent. Berthelier, à force de mettre cent francs de plus, arrive à cent mille francs. Il s'arrête, se retourne, regarde son ami d'un œil inquiet ; l'autre lui sourit, et Berthelier met encore cent francs de plus. A cent vingt mille francs, la maison lui est adjugée. Le notaire lui demande ses noms et sa qualité. Berthelier se retourne pour interroger son ami sur la conduite à observer. L'ami a disparu.

— Votre nom ? reprend le notaire.

A ces mots, le comique comprend enfin quelle responsabilité il a endossée. L'émotion l'étrangle, la colère lui arrache des larmes ; il se voit à la tête d'un immeuble qu'il n'a pas convoité, sans argent pour le payer ; il balbutie des phrases incohérentes...

— Votre nom ? répond le notaire.

Alors Berthelier éclate ; il veut raconter son histoire pitoyable, expliquer la duperie dont il vient d'être victime, mais il ne parvient qu'à prononcer quelques phrases sans suite. Le notaire rajuste ses lunettes, et d'un ton sévère :

— Allons ! finissons-en, s'écrie-t-il, votre nom ? Berthelier perd la tête ; il saute sur le banc ; ses cheveux se dressent sur la tête ; ses yeux lancent des éclairs.

— Mais je n'en veux pas de votre maison, s'écrie-t-il, je n'en veux à aucun prix. J'ai surenchéri pour le compte d'un ami.

Et, d'une voix étranglée, Berthelier appelle : « Auguste ! Auguste ! » Rien ! Auguste est loin.

Même calme du notaire, qui fait comprendre à l'acteur qu'il est le propriétaire d'une maison sise à Montmartre, telle rue, tel numéro. Le pauvre garçon perd tout à fait la tête ; il injurie le notaire, il donne des coups de poing sur la table ; les bougies volent en l'air ; le greffier est inondé d'encre ; les paperasses gisent sur le parquet.

— A la garde ! s'écrie le notaire.

Les gardes municipaux arrivent et appréhendent Berthelier au collet ; on va le traîner au violon, il se débat contre les sergents de ville ; son cas s'aggrave. Heureusement pour l'acteur, il rencontre sur son passage un avocat qui le connaît. En voyant l'un des deux aveugles des Bouffes entraîné par la force armée, l'avocat intervient.

— Pourquoi arrêtez-vous monsieur ? dit-il.

— Il est joli, votre monsieur, répond un agent, il se fait adjuger des maisons dont il ne veut pas ; il injurie le notaire ; il est en rébellion contre la police. Ce malfaiteur s'expliquera chez le commissaire.

— Mais non, reprend l'avocat, c'est Berthelier, l'artiste des Bouffes.

L'acteur se jette dans les bras de ce protecteur, et avec des larmes dans la voix, il raconte son aventure lamentable. On retourne chez le notaire ; Berthelier lui demande pardon de son emportement, il décline ses noms, suivis d'une protestation. Mais rien n'y fait ; il est propriétaire de l'immeuble, qui vaut soixante mille francs et qu'il a payé cent vingt mille. Un procès s'engage. Berthelier est condamné ; propriétaire il est et propriétaire il restera. La maison est d'ailleurs dans un état pitoyable ; elle a besoin de réparations ; il lui faut un architecte, des maçons, des fumistes. Les épargnes du comédien ne suffisent pas ; il emprunte de l'argent, il grève son avenir, et finalement, après s'être ruiné de fond en comble, il trouve un peintre qui consent à louer l'immeuble à la condition que le propriétaire lui fasse construire un atelier. L'architecte revient avec son cortège de maçons, d'ébénistes et de fumistes, et enfin, après avoir payé cent cinquante mille francs, l'acteur récolte le prix de son dévouement à l'amitié ; il loue sa propriété deux mille quatre cents francs par an.

Et les plus belles années du pauvre garçon se sont passées à réparer ce désastre. Quand, dans les salons, il imitait un Anglais pour gagner vingt-cinq louis.. c'était pour sa maison ; quand il émargeait à la caisse d'un théâtre, c'était pour sa propriété. Que de larmes répandues sur cet immeuble, qui en est devenu humide ! Et dire que dans le monde des théâtres on considère Berthelier comme un veinard. Que de fois les acteurs m'ont dit, en parlant de leur camarade :

— Berthelier ! mais il a gagné une fortune colossale en faisant construire des maisons à Montmartre.

Les grandes affaires de Berthelier se bornent à l'achat de la susdite propriété et à une découverte qu'il a faite. L'acteur des Nouveautés est collectionneur : il a chez lui une assez gentille collection de petits tableaux modernes. Mais voilà que tout dernièrement, chez un brocanteur, il avise une vieille toile crasseuse ; une voix secrète lui dit que c'est un Murillo.

— Combien ? demande-t-il au marchand.

— Cinq cents francs.

— Cet homme ne sait pas quel trésor il a dans sa boutique, se dit Berthelier. N'ayons pas l'air...

Et d'un ton indifférent, il ajoute :

— Trois cent cinquante francs, pas un liard de plus !

— Prenez le tableau tout de même, lui dit le marchand.

Et voilà mon Berthelier dans la rue avec son Murillo. Son cœur bat ; il relève la tête avec une certaine fierté : il semble se dire que la Providence lui devait bien cette revanche de l'histoire de sa propriété. Et, rentré chez lui, le comique s'enferme à double tour, dépose le Murillo sur une table, et dit :

— A nous deux maintenant !

Il étend sur la toile une mince couche de savon noir et d'essence, et frotte la peinture légèrement.

Mais à mesure qu'il frotte, le tableau devient plus ignoble ; bientôt ce n'est plus qu'un amas de boue. Un ami survient. « Mais tu risques d'abîmer ton chef-d’œuvre, dit-il à Berthelier. Le nettoyage d'un vieux tableau demande de grands soins. Il faut aller trouver un restaurateur habile. »

Berthelier se le tient pour dit ; il va trouver le restaurateur, qui, moyennant deux cents francs, s'engage à rendre au Murillo son éclat primitif ; il demande huit jours, et chaque matin Berthelier passe chez le restaurateur de tableaux qui lui répond invariablement :

— Ça vient !

L'acteur passe une semaine délicieuse. Il rêve les splendeurs de l'Orient. Avec le bénéfice de ce Murillo, pense-t-il, il pourrait se faire construire un palais sur les rives d'un lac quelconque. Au bout de huit jours, on lui livre son Murillo nettoyé ; il paye deux cents francs pour l'opération et se dit :

— Voilà un tableau qui me coûte maintenant cinq cent cinquante francs et qui va me payer ma maison de Montmartre. Comme tout s'enchaîne dans la vie ! O Providence ! tes desseins sont mystérieux !

Et, son chef-d’œuvre sous le bras, Berthelier entre chez un des premiers experts de Paris et lui dit :

— Combien estimez-vous mon Murillo ?

Et l'autre, après avoir contemplé la toile, répond d'une voix grave :

— Cela n'a pas de prix !

A ces mots, Berthelier tremble de joie. Son chef-d’œuvre n'a pas de prix : c'est une de ces toiles admirables dont on ne peut pas estimer la valeur !

— Mais enfin, reprend-il d'une voix altérée par l'émotion, à dix mille francs près, combien cela peut-il valoir ?

Et l'expert lui répond :

— De sept francs cinquante à onze francs. Peut-être quinze francs, si vous trouvez un amateur !

 

(Albert Wolff, la Gloire à Paris, 1886)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le Baptême du p'tit ébéniste

(par. Emile Durandeau / mus. Charles Plantade)

scène de famille exécutée par Berthelier du Palais-Royal

 

 

 

Ma femme et son valet

(par. E. Grangé et L. Thiboust / mus. Victor Robillard)

chanson populaire chantée par Berthelier du Palais-Royal dans Jean Torgnole

 

 

 

le Docteur de mon village

(par. et mus. Pierre Michel)

chansonnette interprétée par Berthelier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On n'est pas parfait

(par. Joachim Duflot / mus. Ernest Boulanger)

chansonnette interprétée par Berthelier de l'Opéra-Comique

 

 

 

 

 

         

 

 

 

chapelle funéraire de la famille Berthelier au cimetière de Montmartre [photo ALF, 2022]

 

 

 

 

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