BARON
Baron en 1875 [photo Franck]
Louis BOUCHENÉ dit BARON
acteur français
(Alençon, Orne, 20 septembre 1837* – Asnières [auj. Asnières-sur-Seine], Seine [auj. Hauts-de-Seine], 02 mars 1920*)
Fils d'Archange Joseph BOUCHENÉ (Valenciennes, Nord, 24 janvier 1797 – Enghien-les-Bains, Seine-et-Oise [auj. Val-d'Oise], 16 septembre 1871), limonadier [fils de Stanislas BOUCHENÉ (v. 1759 – Valenciennes, 10 juillet 1802), perruquier], et de Désirée Sophie PARIS (Alençon, 1811 – Paris 6e, 09 mai 1896*), mariés à Alençon le 21 janvier 1829.
Epouse à Paris 9e le 19 mars 1870* Julie Claire ROUQUARI (Rio de Janeiro, Brésil, 15 juillet 1852 – ap. 1920) ; parents de Louis BOUCHENÉ dit BARON fils (voir ci-dessous), et de Claire BOUCHENÉ (Paris 9e, 17 décembre 1871* – Nice, Alpes-Maritimes, 05 juillet 1964).
Sa famille, qui le destinait au commerce, l'envoya très jeune à Paris, où il entra en qualité de commis dans un magasin de tissus. Il y resta un an à peine. Sa vocation le portait au théâtre et c'est là qu'il passait toutes ses heures de loisir. En 1857, il débuta, sous le nom de Cléophas, sur la petite scène de la Tour-d'Auvergne, dans le rôle de Dufouré, des Faux Bonshommes. Engagé par un directeur de troupe de province, il joua de 1858 à 1860, à Limoges d'abord, à Troyes ensuite. C'est dans cette ville que la conscription le prit en 1860, et il servit pendant trois ans dans les carabiniers. Sans s'en douter, il se préparait dès lors à l'étourdissant succès qu'il devait trouver plus tard dans les Carabiniers d'Offenbach. Peu fait pour la discipline, il lui arrivait souvent, comme dans cette opérette, d'être en retard à la caserne. En 1863, il quitta le régiment et rentra au théâtre. Il se fit applaudir dans les rôles de comique à Toulouse, à Rouen, où M. Cogniard, directeur des Variétés, frappé de son talent plein d'originalité et de rondeur, l'attacha à son théâtre. Louis Bouchené débuta aux Variétés en 1866, dans le Photographe, et changea alors son nom de Cléophas contre celui de Baron, qu'il a rendu fameux. Il obtint de vifs succès dans les Deux Sourds, la Permission de dix heures, l'Homme au pavé, la Grande-duchesse de Gérolstein, l'Affaire de la rue Quincampoix, la Vie parisienne, les Brigands, etc. Pendant la Commune, il fit une excursion artistique en province, puis il revint à Paris où il prit la direction du petit théâtre de la Tour-d'Auvergne, qu'il céda en 1872 à M. Bridault. Il fut alors engagé de nouveau au théâtre des Variétés, où il est resté attaché jusqu'en 1897 et où il a figuré avec éclat dans un grand nombre de pièces et d'opérettes. Nous citerons particulièrement : En 1873, le Commandant Frochard. En 1874, la Petite Marquise ; les Mormons ; l'Ingénue. En 1875, les Trente millions de Gladiator ; la Revue à la vapeur ; le Passage de Vénus ; la Guigne ; la Boulangère a des écus (Coquebert) ; les Bêtises d'hier. En 1876, le Maître d'école ; le Roi dort. En 1877, les Charbonniers (Bidard) de Jules Costé (04 avril 1877 ; qu'il joua à l'Opéra de Paris le 23 décembre 1880) ; Professeur pour Dames ; la Poudre d'escampette ; la Cigale. En 1878, Niniche (le Comte Corniski) de Marius Boullard (15 février 1878) ; la Revue des Variétés ; le Grand Casimir. En 1879, la Femme à papa. En 1880, Nos beaux-pères. En 1882, Lili. En 1883, Mam'zelle Nitouche. En 1886, le Fiacre 117, dont le succès fut retentissant. En 1888, Décoré. En 1890 : Monsieur Betsy ; Ma cousine.
Baron s'est associé en 1886 avec M. Bertrand, directeur des Variétés. Il s'est éloigné à diverses reprises des Variétés pour aller faire quelques créations au théâtre de la Gaîté (le Petit Poucet, féerie, 1885), aux Folies-Dramatiques (1897), au Châtelet (1899) ; puis il est rentré aux Variétés, où il a continué de faire applaudir son jeu plein de fantaisie cocasse, dans Mademoiselle George (le Marquis) de Louis Varney (02 décembre 1900) ; la Rieuse ; les Deux Ecoles ; le Beau Jeune Homme ; le Bonheur, mesdames ! ; etc. Ma tante d’Honfleur fut sa dernière création (1914).
Avec sa petite tête juchée sur un corps tout en longueur, sa voix caverneuse agrémentée d'un zézaiement comique, son jeu plein de naturel et de fantaisie, Baron fut un acteur d’une drôlerie irrésistible.
En 1895, il habitait 8 rue de Maubeuge à Paris 9e ; en 1905, 5 rue des Bourguignons à Bois-Colombes, Seine [auj. Hauts-de-Seine]. Il est décédé en 1920 à quatre-vingt-deux ans, en son domicile, 14 rue de Paris à Asnières.
Son fils, Louis BOUCHENÉ dit BARON fils (Paris 8e, 24 décembre 1870* – Dieppe, Seine-Inférieure [auj. Seine-Maritime], 30 novembre 1939) [épouse à Asnières-sur-Seine le 28 juillet 1914, Julie Zélie Joséphine LOUVET], fut également acteur. Il créa des opérettes d'Henri Christiné : Dédé (Bouffes-Parisiens, 10 novembre 1921) ; J'adore ça ! (Théâtre Daunou, 13 mars 1925).
Baron
Je pourrais révéler au lecteur le nom qui se cache sous le pseudonyme de Baron, mais je sais que je m'exposerais ainsi à causer un jour quelque dommage à l'excellent artiste ; je me borne donc à constater seulement que le fameux chef des carabiniers des Brigands porte un nom de théâtre. Louis X… est né en septembre 1837, à Alençon (Orne), où son père, limonadier, tenait en même temps un hôtel. Il fut destiné par ses parents à l'industrie, et vint fort jeune à Paris, comme employé de magasin dans le commerce des tissus. Il continua à faire cet état jusqu'à l'âge de dix-huit ans, mais, avant de le quitter, il avait déjà, abordé la piquante Thalie dans le petit théâtre de la Tour‑d'Auvergne, dont il suivait assidûment les représentations. Il fréquentait à cette époque, 1857, le petit café qui est devant le théâtre, établissement dont il est actuellement propriétaire et qu'il fait valoir en compagnie de sa femme ; car Baron s'est marié en 1870 et est aujourd'hui le père de deux charmants enfants. Là, il se tenait souvent sombre et taciturne dans un coin, écoutant parler les acteurs dont il enviait le sort, et attendant avec impatience un prétexte pour s'engager dans la troupe. Son étrange attitude l'avait fait surnommer Cléophas par M. Bertrand, aujourd'hui directeur des Variétés et du Vaudeville, alors acteur à la Tour-d'Auvergne, qui comptait également parmi les premiers sujets de sa troupe : Worms, le remarquable jeune-premier du Gymnase. En montant sur les planches de ce petit théâtre, Louis X... conserva le nom de Cléophas. Il débuta par le rôle de Dufouré, des Faux Bonshommes, et resta dans la troupe jusqu'en octobre 1857. Engagé par M. Josset, directeur du théâtre de Limoges, pour la saison 1857‑1858, Cléophas partit, tout fier de toucher des appointements de 100 francs par mois, avec condition de représenter jeunes ou vieux, amoureux ou comiques, en un mot tout ce qui concerne l'état de comédien. Après avoir passé la saison théâtrale 1858-1859 à Troyes, Louis X... fut réclamé, en 1860, pour la conscription. Il devint soldat et fut enrégimenté dans les carabiniers. Bizarre rapprochement : avant d'être devenu légendaire comme chef des carabiniers des Brigands, Baron l'avait déjà été en qualité de brigadier dans son régiment. A Versailles, Nancy, Epinal, où il tint garnison, on le citait comme un sous-officier unique, car si sa conduite ne donnait prise à aucun reproche, ses aptitudes militaires étaient absolument nulles. Retiré du service à la fin de 1862, Louis X… se remit au théâtre. Engagé en 1863, à Toulouse, dans l'emploi de fort second comique, il y joua principalement ce qu'on appelle en province, les Lassagne. Passé à Rouen, en 1864, comme comique, il y fut remarqué par M. Cogniard, directeur des Variétés, qui l'engagea au commencement de 1865. Venu à Paris pour créer les Deux Sourds, Baron ne fut pas appelé à jouer ; il resta huit mois sans rien faire, par suite des exigences de l'affiche. Aussi, sans rompre son engagement, retourna-t-il à Rouen jusqu'en juillet 1866. Rappelé à ce moment par M. Cogniard, il débuta aux Variétés par le Photographe, changea son nom de Cléophas contre celui de BARON, que lui donna son directeur ; puis ne quitta plus ce théâtre que pendant la période 1870-1871. Pendant la guerre, il fut, comme tous ceux d'entre nous qui restèrent à Paris, garde national. Pendant la Commune, il fit une tournée artistique en Normandie. A son retour à Paris, il prit, avec un associé, la direction du théâtre de la Tour-d'Auvergne, qu'il céda à M. Bridault, après six mois d'exercice. Revenu aux Variétés, il y a pris de suite une place importante. Tout le monde se le rappelle dans les Deux Sourds, la Permission de dix heures, l'Homme au pavé, le baron de Grog dans la Grande Duchesse, Une fausse joie, l’Affaire de la rue Quincampoix, les Grues, la Vie Parisienne, les Brigands, le Commandant Frochard, les Domestiques, les Trente millions de Gladiator, la Petite marquise, Vésinet du Chapeau de paille d'Italie, les Trois épiciers, la Boulangère a des écus, etc. Sans avoir au théâtre un genre absolument défini, puisqu'il joue tous les emplois, et indifféremment les jeunes ou les vieux, Baron nous semble particulièrement destiné à représenter les ganaches. A. l'exception de Lhéritier, nous ne voyons sur aucun théâtre de Paris, un autre acteur dont la physionomie, les allures et la diction soient mieux en rapport avec ces sortes de rôles. Le comédien s'y montre naturel et plein de rondeur, il y est d'une bêtise tout à fait réjouissante. Dans les personnages épisodiques, Baron sait également trouver des accents personnels ; il crée des types avec beaucoup de bonheur. Son grand mérite est d'avoir un jeu en dehors et d'être toujours amusant. La masse du public retient de préférence le nom des acteurs qui se distinguent par l'originalité. Aussi Baron, avec des personnages secondaires tels que le chef des carabiniers, des Brigands, l'oncle Vésinet, du Chapeau de paille d'Italie, ou le mari volage, des Grues, par exemple, s'est-il classé de suite à l'égal de ses camarades chargés des premiers rôles. On garde facilement les traits de sa physionomie béate ; la singularité de ses gestes, la bizarrerie de sa prononciation se gravent dans la mémoire du spectateur. Daumier a retracé avec son merveilleux crayon plusieurs figures de prudhommes grotesques que Baron a su mettre en scène sans trahir la moindre recherche. Comme le grand caricaturiste, il a le don d'être naturel tout en ne traduisant que des types exceptionnels. Ses charges sont grotesques, mais restent toujours plaisantes, parce qu'il ne cherche jamais à produire aucun effet en dehors de la vérité. La place qu'occupe Baron au théâtre des Variétés prend chaque jour plus d'importance, et si l'opérette disparaissait pour faire place à la comédie-vaudeville d'autrefois, genre infiniment préférable, la situation de l'excellent comique s'agrandirait encore. La seule chose, en effet, auquel le talent souple de Baron ne se prête pas, est le chant ; et les reprises qui ont lieu dans les matinées du dimanche prouvent quel parti le théâtre du boulevard Montmartre pourrait tirer des aptitudes variées de son pensionnaire. L'engagement de Baron aux Variétés a encore actuellement une durée de trois années.
(Félix Jahyer, Paris-Théâtre, 09 décembre 1875)
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Baron dans la Belle Hélène (Calchas)
Baron dans la Vie parisienne (l'Amiral Suisse)
Le joyeux, l'original comédien que cet ancien carabinier ! Oui vraiment, carabinier. Baron débuta dans la cavalerie après avoir débuté à la Tour-d'Auvergne. Aux Variétés, ses commencements furent modestes ; mais depuis, quelle place il s'y était faite ! Sa première grande soirée fut la création des Brigands, d'Offenbach ; le fameux chef des carabiniers, pour lequel il trouva d'irrésistibles effets comiques, est resté légendaire. Dès lors, Baron fut en pleine évidence. Que d'autres rôles ensuite, jusqu'à Mam'zelle Nitouche et aux Charbonniers, qui lui valurent un nom parmi les premiers comiques parisiens ! Et le Petit Poucet, à la Gaîté, quelle merveille d'invention et de verve ! Et tant d'autres créations, toutes si plaisantes, toujours variées... si fouillées... celle de Monsieur Betzy... de Ma Cousine... Et celles du Premier mari de France et de Madame Satan ! Quant à la prise du rôle de Ricin dans la triomphale introduction de Chilpéric aux Variétés, elle peut compter aussi pour une des créations des plus personnelles. Et qui n'a pas vu Baron dans son extraordinaire Panatellas, de la Périchole, et dans son non moins extraordinaire Belphégor, du Carnet du Diable, n'a rien vu. Qui ne l'a pas entendu dans cette dernière pièce chanter les couplets de l'agence Cook n'a rien entendu. Baron a acquis le talent ; il a toujours eu l'originalité. Pendant quelques temps codirecteur des Variétés, Baron s'est bientôt lassé des tracas administratifs. Il est rentré dans le rang... une bonne place, qu'il n'avait, d'ailleurs, pas quittée.
(Adrien Laroque, Acteurs et actrices de Paris, juillet 1899)
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Baron dans les Charbonniers (Bidard) de Jules Costé, par Henri de Toulouse-Lautrec (1897) |
Marcelle Lender et Baron, lithographie d'Henri de Toulouse-Lautrec (1893) |
Venu à Paris vers l'âge de dix-huit ans, il fut d'abord commis de magasin ; mais il se sentait plus de vocation pour le théâtre que pour le commerce et, en 1857, il paraissait, sous le nom de Cléophas, au théâtre de La Tour-d'Auvergne. Peu après, il partit jouer en province, séjourna successivement à Limoges, à Troyes, où il fut pris par la conscription et incorporé — était-ce une prédestination ? — dans les carabiniers. En 1863, on retrouve Bouchenez à Toulouse et, l'année suivante, à Rouen ; c'est là que Cogniard, directeur des Variétés, remarque le jeune acteur et décide de l'attacher à son théâtre. En 1866, Bouchenez, ayant troqué son pseudonyme de Cléophas pour celui de Baron, débute aux Variétés dans le Photographe, une amusante fantaisie de Meilhac et Halévy. Mais ce n'est que trois ans plus tard que Baron révéla son véritable talent, dans le rôle du chef des carabiniers des Brigands, d'Offenbach ; quand, juché sur ses longues jambes et remuant ses longs bras à la façon d'un automate, il traversa la scène d'un pas tranquille et mécanique, scandant de sa voix profonde et grave le fameux refrain : Nous arrivons toujours trop tard, toute la salle fut conquise par ce comique d'une si intense drôlerie. Le succès du nouvel acteur s'affirma peu après avec les Deux sourds, la Grande-Duchesse de Gérolstein (baron Grog), la Vie parisienne (Bobinet). Un moment, Baron quitta les Variétés pour prendre la direction du petit théâtre de La Tour-d'Auvergne (1871) ; mais son absence ne fut pas de longue durée et, dès 1872, il revenait aux Variétés, où il joua sans interruption pendant quinze ans. C'est à cette période que se rattachent ses plus fameuses créations. Pour n'en omettre aucune, il faudrait citer toutes les pièces qui furent représentées aux Variétés entre 1872 et 1886 : en 1873, le Commandant Frochard ; en 1874, la Petite Marquise, où il incarna le marquis de Kergazon, l'historien des troubadours, l'Ingénue (Dauberthier) ; en 1875, les Trente millions de Gladiator, la Guigne, la Boulangère a des écus ; en 1876, le Maître d'école, qu'il devait reprendre en 1899, au Palais-Royal ; en 1877, les Charbonniers, où il personnifiait l'ahuri Bidard, sous-secrétaire de commissaire de police, la Cigale, où il représentait le physicien en tous genres et directeur de troupe, Carcassonne ; en 1878, Niniche, le Grand Casimir ; en 1879, la Femme à papa, où, dans le rôle de Bodin-Bridet, il donnait la réplique à Judic et à José Dupuis ; en 1882, Lili ; en 1883, Mam'zelle Nitouche, où tout Paris voulut l'entendre, dans le rôle de Célestin Floridor, chanter avec Judic le fameux duo du « soldat de plomb » ; en 1886, le Fiacre 117. Il avait, l'année précédente, tenu à la Gaîté, dans la féerie le Petit Poucet, le rôle de Truffentruffe, le pitoyable cuisinier de l'Ogre. En 1886, Baron s'associa avec Bertrand et assuma la direction des Variétés, qu'il céda ensuite à Samuel, pour reprendre sa place dans une troupe fameuse, dont il finit par rester le dernier représentant. Dans l'esprit de la génération d'hier, le nom de Baron est inséparable de ceux de Léonce, de Christian, de José Dupuis, de Lassouche, de Céline Chaumont, de Judic... Plus tard, Baron trouva en Guy, Brasseur, Réjane, Jeanne Granier, etc., d'excellents partenaires. Avec les uns et les autres, il créa, à partir de 1888, Décoré, la Bonne à tout faire, Monsieur Betzy — qui fut, avec le personnage de Laroque, un de ses principaux succès, — Ma cousine, le Premier Mari de France, la Rieuse, le Carnet du diable — où il crayonna un amusant Belphégor, — les Pantins de madame, le Truc de Séraphin, Mademoiselle George (1900). Il participait aussi à des reprises fameuses et réincarnait Ricin dans Chilpéric, Panatellas dans la Périchole, le bailli dans l'Œil crevé, l'amiral dans la Vie parisienne, Calchas dans la Belle Hélène (1899) et John Styx dans Orphée aux Enfers. L'âge n'avait pas ralenti son activité : en 1902, à soixante-quatre ans, il dessinait dans les Deux écoles, de Capus, l'amusante silhouette de Joulin ; l'année suivante, il donnait un pittoresque relief au rôle épisodique de l'agent d'affaires Bluche, dans le Beau Jeune Homme ; en 1905, il réalisait, dans le Bonheur, mesdames !, une étonnante caricature du vieux marquis des Arromanches et, reprenant ce rôle sept ans plus tard, à soixante-quinze ans, y apportait une égale fantaisie. Ses dernières créations furent le duc de Roncevaux dans Paris-New-York (1907), M. Mondoucet dans Jean III (1912) et, enfin, le père Dorlange dans Ma tante d'Honfleur (1914), par quoi il clôtura sa longue carrière dramatique. Pour avoir diverti plusieurs générations, Baron était devenu une sorte de figure symbolique et, pour beaucoup, le type même du comique. Il faut remarquer, cependant, qu'à peu d'exceptions près, Baron n'a jamais rempli les rôles de premier plan et n'avait pas, par exemple, l'envergure d'un José Dupuis. Mais — et c'étaient là l'originalité et la valeur de son talent — il savait communiquer un relief extraordinaire aux personnages épisodiques dont il tenait généralement l'emploi. Une simple réplique prenait dans sa bouche une drôlerie irrésistible et fixait l'attention amusée du public. Il suffisait, d'ailleurs, de le voir pour être disposé au rire : très grand, tout en longueur, il offrait au sommet d'un corps démesuré l'amusement d'une petite tête, éclairée ordinairement d'un regard malicieux, mais qui revêtait à l'occasion des mines plaisamment ahuries. Dès qu'il ouvrait la bouche, le rire se déchaînait, à entendre cette voix caverneuse, raboteuse, qu'il tirait, semblait-il, du plus profond de lui-même et qui avait par instants des résonances d'aboiement. Il en corsait, d'ailleurs, l'effet par une bizarrerie de prononciation, une sorte de zézaiement, qui devenait un nouvel élément de comique. Son jeu, très en dehors, offrait un curieux mélange de naturel et de fantaisie. Il ne manquait pas, certes, d'agrémenter ses rôles de trouvailles personnelles et imprévues ; mais, si loin qu'il poussât la bouffonnerie, il ne perdait jamais contact avec la réalité. Comme ces caricaturistes qui, dans leurs charges les plus outrées, observent toujours la ressemblance, Baron, dans ses compositions excentriques et grotesques, gardait un souci de la vérité, qu'il exprimait par la simplicité de ses gestes, sa bonhomie et sa rondeur. Avec l'âge, d'ailleurs, sans rien perdre de ses dons de comique excessif et de bouffonnerie épique, Baron avait introduit dans son jeu plus de finesse et de juste mesure : du ton de la farce il s'était élevé au style de la comédie. A cette dernière manière appartiennent le Joulin des Deux écoles, le père Mondoucet de Jean III, le père Dorlange de Ma tante d'Honfleur. A la ville, Baron était un homme simple, modeste, ennemi de tout cabotinage, très aimé de ses camarades ; il les amusait, d'ailleurs, par son esprit, qu'il avait naturellement fin et plaisant. Avec sa mort, c'est une longue page de l'histoire de notre théâtre comique qui s'achève ; il se trouve que le dernier témoin de cette époque en a été un des plus brillants acteurs. (F. Guirand, Larousse mensuel illustré, mai 1920)
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