Andréa BARBOT

 

Andréa Barbot dans le Trouvère (Azucena)

 

 

Philippine Madelaine Andrée BARBOT dite Andréa BARBOT

 

contralto français

(24 allée Lafayette, Toulouse, Haute-Garonne, 06 septembre 1852* – 8 avenue de la République, Épinay-sur-Seine, Seine [auj. Seine-Saint-Denis], 30 mars 1923*)

 

Fille de Paul BARBOT, compositeur, et de Caroline Louise Gertrude Pasqualina FRANCO.

Sœur de Jeanne Georgette Marie BARBOT (Saint-Joseph, province de Naples, 03 juillet 1844 – Paris 5e, 11 avril 1921) [épouse 2. à Paris 6e, 01 août 1885* Jean MOUNET dit MOUNET-SULLY (Bergerac, Dordogne, 27 février 1841* – Paris 5e, 01 mars 1916*) tragédien, frère de Paul MOUNET].

Epouse à Paris 6e le 26 juin 1880* Jean Paul MOUNET dit Paul MOUNET (Bergerac, Dordogne, 05 octobre 1847* – Paris 5e, 10 février 1922*), tragédien français.

 

 

Douée d'une belle voix, elle a travaillé le chant avec son père, et Henri Laget, alors professeur au Conservatoire de Paris, l'ayant fait entendre à l'Opéra, elle fut engagée à ce théâtre pour trois ans et y débuta, dans le Trouvère, en février 1872. Quoique ce début ait été bien accueilli, son père jugea qu'il était prématuré, et s'entendit avec l'administration de l'Opéra pour faire chanter sa fille dans plusieurs villes de la province et de l'étranger, et la faire travailler encore avant de lui laisser tenir son emploi sur notre première scène lyrique. C'est ainsi qu'elle s'est fait applaudir en 1872 au Théâtre-Royal de La Haye et l'année suivante à Anvers, chantant alternativement la Favorite, le Prophète, le Trouvère, Odette de Charles VI, Catarina de la Reine de Chypre, Nancy de Martha, Rose-de-Mai du Val d'Andorre, etc. Engagée au théâtre des Arts à Rouen en 1875, elle reprit les meilleurs rôles de son répertoire. Elle s'habillait dans sa loge pour la treizième représentation d'Hamlet, quand éclata le terrible incendie qui consuma ce théâtre le 25 avril 1876. Andréa Barbot, encore revêtue de son costume de reine, n'eut que le temps de passer avec sa femme de chambre par une fenêtre donnant sur une petite cour, car les flammes fermaient déjà d'un côté la retraite. Elle revint à l'Opéra de Paris en 1877. Elle a abordé ensuite le genre tragique, mais avec moins de succès, à la Comédie-Française (débuts le 28 mars 1884), puis à l'Odéon, sous le nom de Mme Paul Mounet. Le 02 mars 1886, elle était revenue au genre lyrique pour participer à la création à la Monnaie de Bruxelles de Saint-Mégrin des frères Hillemacher.

Elle est décédée en 1923 à soixante-dix ans, domiciliée 63 boulevard Saint-Michel à Paris 5e.

 

 

 

Sa carrière à l'Opéra de Paris

 

Elle débuta le 19 février 1872 salle Le Peletier dans le Trouvère (Azucena).

 

Elle chanta au Palais Garnier le Prophète (Fidès, 1877), Guillaume Tell (Edwige, 1878), Hamlet (la Reine Gertrude, 1878), le Comte Ory (Dame Ragonde, 1881), Aïda (Amnéris, 1881).

 

Elle chanta la première le 05 avril 1883 de Mefistofele (acte II, Dame Marthe) d'Arrigo Boito.

 

Elle a créé le 27 décembre 1878 la Reine Berthe (Aliste) de Victorin Joncières ; le 22 mai 1880 la Vierge (une Jeune Galiléenne, Marie-Magdeleine, un Archange) de Jules Massenet ; le 14 avril 1882 Françoise de Rimini (Virgile) d'Ambroise Thomas.

 

 

 

 

Passons aux nouvelles de la semaine et enregistrons tout d'abord le début improvisé, à la faveur de Mardi-Gras, de la jolie et expressive Mlle Andréa Barbot dans l'Azucena, du Trouvère. Ce début bien trop prématuré ne pouvait pas mener à bien la pauvre débutante, dont la voix n'est encore ni posée ni développée dans ses divers registres ; mais il témoigne du bel avenir de la jeune artiste, et c'est beaucoup, du temps qui court. Voici ce qu'en dit, avec une grande bienveillance, M. Pierre du Croisy [Ernest Dubreuil], dans le journal la France :

« Nous avons entendu hier, à l'Opéra, une débutante, Mlle Andréa Barbot, qui pourrait bien, dans quelques années, devenir une grande artiste.

Mlle Barbot est admirablement belle et de cette beauté qu'il faut au théâtre. Ses traits sont d'une pureté exquise, mais cependant d'un dessin très net et très ferme.

Les yeux sont magnifiques, profonds ou pleins de flamme, selon que la passion anime ce masque mobile et intelligent. Le geste n'est point trop gauche pour une débutante et je l'ai trouvé juste presque toujours. La démarche est assurée, les attitudes élégantes et le costume n'embarrasse pas l'artiste.

Mlle Barbot a évidemment un profond instinct de la situation dramatique et un grand amour de son art : cela se voit, cela se sent. A côte des choses apprises par le professeur, l'élève a su trouver des effets à elle, qu'elle accusera avec bien plus de relief encore, quand l'habitude du public et la confiance en elle-même lui auront donné la mesure de ce qu'elle peut oser.

A la vue de ce beau visage que la fureur, l'amour ou la haine bouleversent en en instant, il n'est pas permis de douter qu'on ne soit en présence d'une nature supérieurement douée et qui donnera beaucoup, si de maladroits amis ne viennent pas la gâter par l'abus de leurs louanges.

Je me montrerai plus sévère pour la cantatrice que pour la tragédienne, bien que je fasse la part de l'émotion qui étrangle une malheureuse jeune fille de dix-huit ans, jetée toute vive sur cette scène grandiose, si pleine de gloire et de souvenirs.

La voix de Mlle Barbot est un contralto bien accusé par le timbre des notes graves, assez franc et rond. Mais quand on quitte ce registre pour passer au registre supérieur, cette voix n'a plus ni éclat, ni sonorité, et semble trahir déjà une certaine fatigue.

Peut-être, — et nous serions heureux qu'il en fût ainsi, — ce résultat est-il dû en grande partie à cette peur terrible du débutant ; mais enfin, nous n'en devons pas moins le constater, tout en espérant le voir disparaître aux représentations suivantes.

Pour le style, Mlle Barbot ne saurait encore en avoir un à elle ; mais ce dont il faut la féliciter sincèrement, c'est de son admirable articulation. J'ai rarement entendu une diction plus nette, ni portant plus sûrement dans toutes les parties de la salle.

Enfin, telle que nous l'avons vue hier, la jeune artiste n'est pas encore une étoile, mais c'est une des plus sérieuses espérances de l'avenir. »

Nous partageons l'avis de M. du Croisy, à la condition que Mlle Barbot complète préalablement ses études inachevées et reparaisse au théâtre dans des conditions plus dignes de notre première scène lyrique.

(H. Moreno, le Ménestrel, 18 février 1872)

 

 

La Haye. Si j'étais roi, Faust et les Dragons de Villars ont été chantés tour à tour avec succès par nos artistes. M. Bruneau, malgré ses premiers succès, a dû résilier. M. Voisin, second ténor, a été admis. Dans les Dragons, MM. Clergeaud, Bruneau, Delavigne et Mlle Andréa Barbot ont obtenu de chaleureux applaudissements ; Rose Friquet a eu une véritable ovation. Faust a été remarquablement rendu par Mlle Derasse et surtout par MM. Trinquier, Becquié et Clergeaud. A bientôt les débuts de M. Anthelme, Guillot et de Mme Dumoulin.

(la Comédie, 03 novembre 1872)

 

 

M. Lemoigne, directeur du théâtre de Dieppe, clôture sa saison cette semaine, après avoir successivement offert aux baigneurs l'opérette, l'opéra-comique et le grand opéra, dans des conditions vraiment exceptionnelles. On a particulièrement remarqué dans la Favorite et le Trouvère, Mlle Andréa Barbot dont la superbe voix et le type si dramatique seraient bien mieux placés à notre Opéra de Paris que sur nos scènes départementales.

(le Ménestrel, 19 septembre 1875)

 

 

Excellentes nouvelles de Mlle Andréa Barbot, au Grand-Théâtre de Marseille ; ses représentations de la Fidès du Prophète lui ont valu de véritables ovations. Bref, la pensionnaire de M. Halanzier a triomphé des dilettantes marseillais, si difficiles à satisfaire. M. Desaix, du Sémaphore, a consacré ses meilleurs éloges à Mlle Barbot.

(le Ménestrel, 13 janvier 1878)

 

 

Ne terminons pas cette semaine théâtrale sans combler une regrettable lacune de la précédente. Nous voulons parler de la réapparition de Mlle Andréa Barbot dans la Fidès du Prophète. De retour du Grand-Théâtre de Marseille, — qui devient, sous la direction de M. Campocasso, une véritable succursale de nos théâtres lyriques de Paris, — Mlle Barbot a été appelée par M. Halanzier à redire le grand rôle de Fidès devant le public parisien. Au point de vue scénique, rien à reprendre : belles et expressives attitudes, sentiment dramatique des plus élevés. Sous le double rapport de la voix et du chant, constatons de beaux éclairs et une moyenne honorable. Adoucir les angles des notes aiguës et se perfectionner dans l'art de la respiration appliquée à la voix chantée, voilà quelles doivent être les préoccupations de la nouvelle Fidès et de son professeur, M. Barbot, de notre Conservatoire de musique et de déclamation.

(H. Moreno, le Ménestrel, 17 février 1878)

 

 

 

 

 

Débuts de Madame Paul Mounet, 28 mars 1884.

Une chanteuse de l'Opéra qui déserte l'art lyrique pour jouer les reines de tragédie, cela ne se voit pas tous les jours, et l'on pourrait s'étonner qu'un événement aussi curieux n'ait pas attiré, rue Richelieu, un public plus brillant, plus nombreux que celui de ce soir.

C'est devant une salle médiocrement remplie, en présence d'un Tout-Paris fort incomplet que Mme Paul Mounet vient d'aborder le rôle écrasant d'Agrippine, pour ses débuts de pensionnaire à la Comédie-Française.

On avait pourtant fait quelque bruit à l'avance autour de cette représentation de Britannicus, et la personnalité de la nouvelle tragédienne a eu, pendant quelque temps, les principaux honneurs de tous les courriers dramatiques.

Il est vrai que les révélations publiées sur son compte ont été plus nombreuses qu'exactes, ce qui me permet de les augmenter ici de quelques détails biographiques destinés, s'il y a lieu, aux Vapereau de l'avenir.

Mme Paul Mounet, dont le nom paraît pour la première fois sur l'affiche, fut engagée, il y a dix ou douze ans, à l'Opéra, par M. Halanzier. Elle s'appelait alors Mlle Barbot.

Il faudrait n'avoir pas lu un seul journal depuis quinze jours, pour ignorer qu'elle a épousé, il y a trois ans, M. Paul Mounet, le tragédien de l'Odéon, et qu'elle est, par conséquent, la belle-sœur de Mounet-Sully, le tragédien du Théâtre-Français.

A l'Académie nationale de musique, elle tenait très honorablement l'emploi de contralto et chanta Fidès, du Prophète, Amnéris d’Aïda, la Reine d'Hamlet. Ses créations lyriques se bornèrent à un rôle de traîtresse dans la Reine Berthe et au personnage de Virgile, du prologue de Françoise de Rimini, dans lequel elle fut néanmoins très remarquée.

En outre, pendant deux congés qu'elle obtint de M. Vaucorbeil, Mme Barbot alla faire de très heureuses apparitions à Rouen, puis à La Haye. Sa vogue fut grande dans ces deux villes où elle a laissé d'assez bons souvenirs pour y retrouver, à l'occasion, comme tragédienne, le succès qu'elle y obtint d'abord comme chanteuse.

On pourrait croire que, femme et belle-sœur de tragédiens, Mme Barbot-Mounet n'a changé de genre que pour ne pas se singulariser au milieu des siens.

Sa seconde vocation est pourtant due à d'autres circonstances.

C'est au cours de répétitions sur la scène de l'Opéra que M. Régnier, spécialement chargé, comme on sait, de faire jouer la comédie à ses chanteurs, fut frappé des qualités dramatiques de Mme Barbot. Il lui fit alors apprendre un ou deux grands rôles classiques, et cette expérience ne fit que confirmer l'opinion de l'éminent professeur.

Ce ne fut néanmoins que beaucoup plus tard, et après s'être retirée momentanément du théâtre, que l'ex-pensionnaire de l'Opéra songea sérieusement à aborder la nouvelle carrière vers laquelle la poussaient à la fois et son instinct et le désir bien naturel de faire de l'art en famille.

M. Mounet-Sully fut son professeur et, après six mois d'études assidues, la jugea en état de supporter une première épreuve.

Il vint alors trouver M. Perrin et lui dit :

— Je vous ai déjà parlé d'une artiste que je préparais pour notre scène. Je la crois prête maintenant. Cette artiste est ma belle-sœur. Voulez-vous l'entendre ?

M. Perrin convoqua à la hâte quelques membres du comité et l'audition eut lieu le lendemain même.

Mme Paul Mounet déclama le quatrième acte de Britannicus et la grande scène de la Tisbé dans Angelo.

Elle y produisit, à ce qu'il paraît, une impression favorable, puisque son engagement à la Comédie-Française fut immédiatement décidé et signé quelques jours plus tard.

La débutante n'est âgée, me dit-on, que de vingt-huit ans. Sa physionomie régulière, expressive, mais quelque peu virile, lui assure cependant les apparences de la quarantaine, ce qui, après tout, ne saurait être un inconvénient pour les rôles généralement marqués qu'elle voudrait jouer, d'ailleurs, sur notre première scène littéraire.

Mlle Barbot n'avait pas besoin de devenir Mme Paul Mounet pour vivre dans un milieu artistique. Son père est un professeur de chant très célèbre dans le Midi, et son oncle*, le ténor Barbot, eut l'honneur de créer le Faust de Gounod.

M. Émile Perrin attachait une grande importance à cette soirée. Administrateur patriarcal, il croit à l'importance des dynasties artistiques dans ce Théâtre-Français où, de tout temps, le même nom fut porté par des frères, des sœurs, des mères, des filles, des tantes, des nièces, également célèbres.

La maison de Molière possédait déjà un Mounet aîné ; cela lui fait deux Mounet avec Mme Mounet cadet, et bientôt peut-être pourra-t-on aller jusqu'à trois avec M. Mounet cadet lui-même. Ajoutez à ce groupe en formation deux Coquelin et deux Samary, et vous reconnaîtrez que, comme le bon Dieu, M. Perrin bénit les nombreuses familles.

(Un Monsieur de l’orchestre [Arnold Mortier], les Soirées parisiennes de 1884, éd. E. Dentu, 1885)

[*en réalité un cousin éloigné de son père]

 

 

 

 

 

Le succès de la reprise de l'Étrangère s'accuse. On fait de fortes recettes. M. Perrin qui ne s'endort pas sur la caisse a monté Britannicus pour sa jeune troupe en même temps qu'il reprenait l'Étrangère. Il nous offre dans Britannicus une figure nouvelle, madame Paul Mounet, femme de l'artiste de l'Odéon et belle-sœur de M. Mounet-Sully. Madame Paul Mounet, sous le nom de madame Barbot, appartenait à l'Opéra. C'est sur les conseils de M. Régnier qu'elle a quitté le chant pour la déclamation. Elle a choisi pour début le rôle d'Agrippine.

[…]

Quand à madame Paul Mounet, tragédienne par alliance et par nature, il convient de s'arrêter à elle plus longuement. Non pas que madame Paul Monnet soit une comédienne compliquée. Mais il est compliqué de la juger si l'on veut tout dire, tout le bien et tout le mal. On la voit ; on commence par dire : ouf ; puis on s'écrie : oh ! oh ! et l'on sort du théâtre sans plus savoir que penser. Par la taille, c'est un géant. Très belle personne pourtant, elle a sous l'optique de la scène un faux air de phénomène. Le tempérament du théâtre y est. Mais quel débarbouillage il va falloir qu'elle fasse de son goût et de son accent de terroir ! Agaçant, ce goût. Quel est le terroir criminel ? Le Quercy ? Brioude ? Bellac ? Sarlat ? Saint-Flour ? J'appelle le tout un goût de Corrèze. Voyez-vous : il nous faut en prendre notre parti, nous autres Français de France,

Le temps de la Corrèze est à la fin venu.

Le plantureux Rouher, le premier, a installé l'éloquence corrézienne à la tribune politique ; elle s'y est avantageusement continuée par M. Brunet sous le fragile ministère Broglie et ce n'est pas encore la Chambre actuelle qui est en train de l'en faire déguerpir. Les Corréziens ! Ils en sont à nous permettre de garder le nom de Paris, pourvu qu'une loi nous y autorise. La Corrèze est aux rostres ; il fallait bien qu'elle prit aussi sa place sur la scène française.

D'abord, on se dit que M. Regnier a eu une forte lubie en adressant madame Paul Monnet à M. Perrin. Elle gasconne comme M. de Crac. Elle fait rouler les r comme si elle battait avec sa voix un ban pour César-Auguste. Elle développe la dernière partie du récit d'Agrippine comme les canes qui vont aux champs :

La première va par devant,

La seconde suit la première,

La troisième vient par derrière.

Voilà la première impression générale que donne madame Paul Mounet. La seconde n'est guère plus favorable ; on cherche avec inquiétude quels rôles ce colosse pourra remplir à la Comédie quand il aura épuisé celui d'Agrippine. Marguerite de Bourgogne ? Cléopâtre ? Guanhumara ? Oui, oui, elle y paraîtrait à son honneur. Mais il est à craindre que M. Perrin, qui est pourtant audacieux et entreprenant, ne pousse jamais l'audace jusqu'à transporter à la Comédie la Tour de Nesle, quoique le premier tableau et le sixième en soient d'une dramaturgie si pittoresque et si tranchante. Il ne reprendra pas davantage Rodogune ; le public d'à-présent n'est plus de force à supporter une telle œuvre. Il ne reprendra pas enfin les Burgraves ; cette sublime épopée du Rhin allemand serait trop douloureuse à qui n'a pas su garder le Rhin français. Alors quoi ? Agrippine, toujours Agrippine ! Ainsi, nous nous inquiétons, et soudain un geste nous subjugue... Mais comment donc nous dit-elle cela ! Mais elle est tout bonnement admirable ! Mais ce n'est plus du tout une Hercule de Capdenac ; c'est une tragédienne, et de grande allure ! Mais le masque est celui d'une médaille antique ! Mais il faut qu'elle ait été élevée sous la tunique et le péplum pour s'y mouvoir avec cette sûreté ! Mais elle a des façons de s'asseoir sur la chaise curule qui sont triomphales ; elle a des manières de bras tendu à soulever sans efforts cent kilos et un public à trois mille têtes. Non ! non ! Régnier ne s'est pas trompé. Ah certes ! mademoiselle George était tout autre dans le récit d'Agrippine ; je tiens madame Paul Mounet comme inexcusable de ne s'être pas fait expliquer, par ceux de ses camarades qui ont encore pu entendre George, les intonations et les physionomies de la grande artiste débitant les endroits qui marquent péripétie :

Approchez-vous, Néron......

Je souhaitai son lit... J'allai prier Pallas...

Son maître, chaque jour, caressé dans mes bras...

C'était beaucoup pour moi ; ce n'était rien pour vous...

Il mourut...

George pourtant, George elle-même ne bondissait pas sur Burrhus et sur Néron avec la majesté sauvage et écrasante de madame Paul Mounet. George elle-même n'aurait pas lancé d'un visage et d'une vibration aussi terrible le vers

... Arrêtez, Néron ; j'ai deux mots à vous dire :

Je connais l'assassin...

Il ne s'en faut pas de l'épaisseur d'un cheveu, en ces moments-là, que madame Mounet ne donne le grand frémissement tragique. Je vous le dis en vérité : si madame Mounet se nuance, si elle arrive à secouer de sa voix l'empreinte limousine, le phénomène d'aujourd'hui sera une merveille de demain.

(Jean-Jacques Weiss, Autour de la Comédie-Française, Trois années de théâtre 1883-1885, éd. Calmann Lévy, 1892)

 

 

 

 

 

Encylopédie