Zadig

 

quelques costumes pour la création de Zadig, dessinés par Gus Bofa : 1. Moabdar ; 2. Zadig ; 3. l'Ermite et l'Ange ; 4 et 5. les Mages ; 6. Orcan

 

 

Comédie musicale en quatre actes et cinq tableaux, livret d’André-Ferdinand HEROLD, d'après Zadig ou la Destinée, conte de Voltaire (1747), musique de Jean DUPÉRIER.

 

Création à l'Opéra-Comique (3e salle Favart) le 24 juin 1938, décors et costumes de Gus Bofa, mise en scène de Jean Mercier.

 

4 représentations à l’Opéra-Comique au 31.12.1950.

 

=> recueil de coupures de presse

 

 

 

personnages

créateurs

Astarté Mmes Bernadette DELPRAT
Missouf Jennie TOUREL
le Perroquet Marguerite LEGOUHY
une Jeune Fille Renée MAZELLA
la Servante de Missouf Marinette FENOYER
Zadig MM. Charles FRIANT
Moabdar, le roi Henry-Bertrand ETCHEVERRY
Yébor, mage René HÉRENT
Arimage, mage André BALBON
Orcan Louis MOROT
l'Ermite Émile ROUSSEAU
le Pauvre Pêcheur Willy TUBIANA
Cador Gabriel COURET
un Villageois Raymond GILLES
un Marchand Alban DERROJA
quatre Pêcheurs Raymond MALVASIO ; Albert GIRIAT ; Louis DUFONT ; Henri BARBERO
Chef d'orchestre Gustave CLOËZ

 

 

 

 

Henry-Bertrand Etcheverry (Moabdar) et Jenny Tourel (Missouf) lors de la création.

 

 

 

une scène de Zadig lors de la création

 

 

 

 

Zadig à l’Opéra-Comique.

 

Je ne veux pas parler de la pièce ni de la musique. Ne rien dire est une opinion, tout comme dormir. Je serai simplement juste en louant grandement la présentation de cette comédie musicale : décors, costumes et mise en scène lui formèrent un écrin d'une beauté qu'elle ne méritait pas.

 

L'interprétation était parfaite : Mesdames Delprat et Jennie Tourel, MM. Charles Friant, Etcheverry, Hérent, Balbon, L. Morot, Rousseau, Tubiana et Couret, prodiguèrent leur voix et leur talent. On sait déjà ce que je pense de ces artistes. J'ai été heureux de retrouver sur cette scène où il recueillit tant de succès, le ténor Ch. Friant, qui en avait été injustement éloigné. Il demeure l'un des rares parmi les ténors, qui soit autre chose qu'un ténor.

 

Quand à Etcheverry, que je connaissais fort peu, je dois dire l'admiration qu'il m'a causée. Sa voix est magnifique, son style aisément noble. Et quelle belle articulation. Tout cela s'ajoutant à un physique imposant a relevé singulièrement le tableau dont il faisait partie.

 

Cloëz a remarquablement dirigé l'excellent orchestre de l'Opéra-Comique.

 

(Lyrica n° 152, juillet à septembre 1938)

 

 

 

 

 

Zadig ou la Destinée parut en 1748. Il n'est pas certain que son auteur ait pensé jamais que son œuvre pourrait être transposée au théâtre en servant de livret à un ouvrage lyrique. Les contes philosophiques de Voltaire sont en effet aux antipodes d'une action dramatique. Ce sont des sortes de « promenades autour d'un lac ». On explore minutieusement chaque point de la rive. Une brève notation en fixe l'impression et l'on continue pour se retrouver au point de départ, le périple accompli. Ces récits se prêtent admirablement aux fantaisies de l'auteur qui suit pas à pas sa pensée, celle-ci dominant tout, surtout les personnages qui n'en sont que la fidèle et toujours éloquente expression. Voltaire reprend, sur un ton plus réservé, on pourrait dire plus mondain, Rabelais, le truculent et formidable conteur. Chez Voltaire, la satire est pareille, mais d'une philosophie plus amère, plus métaphysique, plus absolue. Les chaînes qui chargent la créature ne donnent plus le bruit tintamarresque de ferraille. Les nécessités et les joies sensuelles n'ont plus d'explosions héroïques. Les imperfections et les vices de la nature humaine n'éclatent plus en fanfares. Les chaînes n'en sont pas moins lourdes ; les tares et les défauts n'en sont que plus profonds. Le pessimisme, toujours voilé d'ironie, est poussé jusqu'au désespoir, un désespoir souriant.

 

Zadig est un jouet entre les mains de la Destinée. Non seulement il est résigné à ce rôle, mais il s'y soumet avec une sorte de volupté. Sachant vain et inutile tout geste de révolte, il n'en esquisse aucun. C'est un prisonnier sans espoir d'évasion et qui finit par aimer sa geôle. Les esclaves n'avaient-ils pas l'effroi de la liberté ? Pourtant, Zadig est un sage, c'est-à-dire un des premiers dans la hiérarchie humaine. Il n'en suit pas moins avec une passivité qui n'est pas feinte ses divers avatars, imitant l'épave qui suit le flot, ce flot obéissant lui-même au maître inconnu, inimaginé et inimaginable. Puis, après tout, qu'importe être en haut ou en bas ? Tous les niveaux ne sont-ils pas les mêmes marches du même néant ?

 

Comme Candide reviendra à la culture de son jardin après ses mirifiques et désabusées aventures, Zadig, devenu roi par le jeu d'événements dont il ne pense pas à apprécier le caprice, bénit le Ciel qui lui réserve peut-être de nouvelles épreuves.

 

M. Hérold a essayé de tirer de cette suite de réflexions philosophiques qui forment l'or du récit une action dramatique. Sa tâche était une gageure. Il est déjà surprenant qu'il n’en soit pas sorti totalement vaincu. Il s'est ingénié, dans un très louable effort, à « corser » certaines conjonctures qui ne paraissent pas avoir dans l'œuvre de Voltaire plus d'importance que les autres, notamment le grotesque incident des « pieds », les uns tenant pour le droit, les autres pour le gauche. M. Hérold a fait triompher l'amour comme dans les meilleures opérettes modernes. Dans l'esprit de Voltaire, peut-être que le mariage de Zadig et d'Astarté n'est pas la conclusion morale de l'aventure.

 

M. Jean Dupérier, notable compositeur helvétique, n'a pas dû être très à son aise pour construire musicalement sur ce sable mouvant qui se dérobe à chaque instant sous les pas. Le « poème » doit disparaître derrière la musique comme les armatures métalliques, qui fixent les lignes des architectures, disparaissent dans les édifices en ciment armé ; mais l'existence de ces armatures n'en est pas moins d'une vitale nécessité. Ici, le « poème » et la « musique » essayent parallèlement, chacun de son côté, de suppléer à l'absence d'armature. De là un perpétuel flottement qui va jusqu'à la confusion, à l'entassement de matériaux non œuvrés.

 

M. Dupérier a recours, avec une conscience qu'il serait injuste de ne pas lui reconnaitre, à d'inépuisables trésors d'une science musicale consommée. Tantôt il s'attarde tantôt il s'égare dans un vide insaisissable. Il a droit à une revanche.

 

Les notes officielles d'avant-première faisaient savoir que Zadig avait été choisi, pour être joué cette saison, par les soins du « Comité » qui, dans l'ombre propice aux irresponsabilités, gouverne l'Opéra-Comique.

 

Le choix de Zadig a-t-il été heureux ? Il faut attendre pour le savoir la réouverture de septembre qui donnera la parole aux « usagers ».

 

La mise en scène de M. Jean Mercier présente avec un goût parfait les décors et les costumes de M. Gus Bofa.

 

M. Charles Friant prête au sage Zadig sa voix vibrante et généreuse. M. Etcheverry est le roi Moabdar, ganache pittoresque. M. Hérent et M. Balbon sont des prêtres joyeux. M. Morot est Orcan. M. Rousseau est très « mousquetaire au couvent » dans l'Ermite, à qui des ailes poussent pour se muer en ange. M. Tubiana fait penser au pauvre pêcheur de Puvis de Chavannes.

 

Mme Delprat tient avec autorité le rôle d'Astarté ; Mme Jennie Tourel celui de Missouf ; Mme Legouhy pourrait être l'oiseau de Siegfried. Elle est le perroquet de Zadig.

 

(Henri Austruy, la Nouvelle Revue, juillet 1938)

 

 

 

 

 

Tout le monde connaît le conte de Voltaire. La comédie qu'en a tirée A.-F. Hérold est charmante et bien agencée. Tout de suite nous voyons comment Zadig, tranchant le différend des mages, qui prétendent l'un qu'on ne doit entrer au temple que du pied droit, l'autre du pied gauche, est choisi comme premier ministre par le roi Moabdar ; et déjà nous savons que Zadig est en secret épris de la femme du roi, Astarté. Naturellement les jaloux et les envieux provoquent la chute de Zadig, et l'acte trois sera ainsi l'occasion d'un agréable intermède au bord d'un lac, où se rencontreront le ministre déchu, son ami le bouillant Cador avec ses compagnons de chasse, l'ermite et le pauvre pêcheur. Cador qui a pris fait et cause pour son ami triomphe de Moabdar, et Astarté peut enfin avouer elle aussi son amour à Zadig.

 

Une analyse un peu sèche ne saurait rendre ni la courbe gracieuse des événements, ni l'aisance des vers, ni sans doute cette atmosphère de conte qui, mieux qu'aucun autre, convient à l'opéra-comique. C'est avec plaisir qu'on revoit ces Persans de fantaisie, mi-Iraniens, mi-Français du XVIIIe siècle, que Gus Bofa a vêtus des costumes les plus pittoresques et fait évoluer dans de séduisants décors. De plus l'auteur a eu soin de ménager au musicien des strophes, des couplets sur lesquels peut s'épandre la mélodie ou la chanson ; et même au troisième il a prévu le retour final d'un air de chasse qui ouvre le tableau.

 

M. Jean Dupérier a écrit sur les vers d'Hérold la musique la mieux appropriée, fine, légère, délicate, toujours bien chantante ; il s'est gardé de mettre en évidence son savoir qui est grand ; s'il montre le bout de l'oreille, c'est dans quelques chorals, mais justement il les traite en manière comique et comme se moquant de lui-même ; il a trouvé de justes inflexions pour les duos amoureux et sa jolie chanson de chasse est pleine de franchise. Tout cela est varié, fort attachant, clair et facile à saisir. L'orchestrateur loin de se laisser aller à la richesse de ses œuvres de concert, s'efforce en effet de demeurer toujours discret, ce qui ne veut pas dire banal, en sorte qu'on distingue toujours parfaitement les voix.

 

(Larousse Mensuel Illustré, août 1938)

 

 

 

 

 

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