Vol de nuit
Jacques Doucet (Rivière) [à gauche] et Michel Cadiou (le radiotélégraphiste), lors de la première de Vol de nuit.
L'un des moments les plus pathétiques de Vol de nuit. Le radio transmet à Rivière l'annonce de la perte de l'avion.
[Volo di notte]
Opéra italien en un acte, livret et musique de Luigi DALLAPICCOLA (Pisino d’Istria, près de Trieste, Autriche-Hongrie [auj. Croatie], 03 février 1904 – Florence, 19 février 1975), d'après Vol de nuit, roman (1931) d'Antoine Jean-Baptiste Marie Roger DE SAINT-EXUPÉRY (Lyon, Rhône, 29 juin 1900* – disparu en mer au large de Marseille dans une mission aérienne, 31 juillet 1944).
Plutôt qu'un roman, l'œuvre de Saint-Exupéry est une tragédie classique sous la forme d'un documentaire lyrique. Le drame décrit est celui des pilotes d'avion qui savent qu'il n'y a pas « d'arrivée définitive de tous les courriers ». C'est également celui de leur chef, Rivière, confessant que « le but peut-être ne justifie rien, mais l'action délivre de la mort ». Par sa beauté à la fois concrète et méditative, ce sobre récit nous a offert la plus juste image d'un héroïsme sans grandiloquence.
Antoine de Saint-Exupéry (photo Keystone)
Création au Teatro della Pergola de Florence le 18 mai 1940.
Première à l'Opéra-Comique (3e salle Favart) le 07 octobre 1960 [avec la création des Adieux de Marcel Landowski], version française de Jacques BOURGEOIS, mise en scène de Jean Mercure, maquette du décor de Georges Douking.
Mme Denise DUVAL (Madame Fabien, soprano)
M. Jacques DOUCET (Rivière, chef du Service postal aérien, baryton-basse), Jean CHESNEL (Robineau), ROBINEAU, Marcel HUYLBROCK (Pellerin), Michel CADIOU (le radiotélégraphiste, ténor), Serge RALLIER
Chef d'orchestre : Georges PRÊTRE
8 représentations en 1960, 5 en 1961, 1 en 1962, 9 en 1968, soit 23 au 31.12.1972.
Georges Prêtre, au cours d'une répétition de Vol de nuit à l'Opéra-Comique
La comtesse douairière de Saint-Exupéry, qui assistait à la représentation de Vol de nuit de Dallapiccola, à l'Opéra-Comique, a dit : « C'est magnifique ; aussi beau que le livre de mon fils. » (Musica disques, décembre 1960)
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Avec « Vol de nuit » et « les Adieux », deux œuvres contemporaines d'un caractère assez inhabituel viennent de faire leur entrée au répertoire de l'Opéra-Comique... non sans soulever quelques polémiques. Afin d'informer les lecteurs de « Musica » avec le maximum d'objectivité, nous avons demandé à deux de nos collaborateurs — Antoine Goléa et Jean-Louis Caussou — de nous dire, en toute liberté, ce qu'ils pensaient de cette intéressante innovation.
La date de la création, en langue française. de l'opéra Vol de nuit, de Luigi Dallapiccola, à l'Opéra-Comique de Paris, est d'une importance rare dans la vie du théâtre lyrique dans notre pays. Elle marque, en effet : 1° la volonté de renouveau de l'administrateur du Palais Garnier et de la salle Favart, telle qu'elle a été définie à plusieurs reprises, publiquement, par lui-même et par ses collaborateurs immédiats, en ce qui concerne tout particulièrement le répertoire de cette deuxième salle ; 2° l'entrée, à ce répertoire, d'un des hauts chefs-d'œuvre du théâtre lyrique contemporain ; événement qui, dans l'esprit de l'administrateur et de son état-major, ne doit être que le premier d'une série où doit prendre place, notamment, la création, en français toujours, du Wozzeck de Berg, au Palais Garnier ; 3° la confirmation de l'institution de méthodes de travail, déjà éprouvées à l'Opéra, à l'occasion des nouvelles mises en scène de Carmen et de la Tosca, qui doivent enfin placer la vie du théâtre lyrique, en France, dans la ligne d'un style et d'une vision générale correspondant à ce qui se pratique, depuis longtemps, sur les grandes scènes lyriques d'Allemagne, d'Angleterre et d'Italie ; confirmation d'autant plus éclatante qu'il s'agit, cette fois, d'un ouvrage de notre temps.
La volonté de renouveau. J'ai déjà eu l'occasion de commenter, dans cette revue, le plan de renouvellement du répertoire de la salle Favart. Périodiquement condamné par les pouvoirs publics en raison de la diminution de sa clientèle, ce théâtre doit évidemment s'adapter aux temps nouveaux ; il doit faire face aux exigences d'une clientèle nouvelle, qui existe, et qui le remplira, soir après soir, lorsqu'on lui offrira de quoi satisfaire sa curiosité, sa soif d'inédit, ses aspirations conformes à la marche du siècle, à l'évolution du style dramatique et du langage musical. Cette clientèle, telle qu'on peut en supputer l'existence, d'après les triomphes obtenus au Théâtre des Nations par certains spectacles lyriques étrangers, ne doit d'ailleurs constituer que cette avant-garde de choc qui ouvrira la brèche par où la grande masse du public d'autrefois s'engouffrera certainement de nouveau, une fois que ses préventions contre un théâtre et un répertoire poussiéreux seront tombées, du fait de la transformation de ce théâtre et la réforme de ce répertoire. Et cette réforme ne comporte nullement la nécessité de la suppression totale du répertoire dit « traditionnel ». Telle ne saurait être l'intention d'une direction clairvoyante, qui connaît très bien les besoins d'équilibre et d'éclectisme d'une « affiche » qui, précisément, dans un passé récent, n'était plus ni équilibrée, ni éclectique : à de très rares exceptions près, elle ne comportait plus qu'un seul genre d'ouvrages, issus d'une seule époque de création lyrique, à savoir le dernier tiers du XIXe siècle. De ces ouvrages, on le sait, deux chefs-d'œuvre sont déjà passés à l'Opéra : Carmen et la Tosca. D'autres ont été ou sont soumis actuellement à l'indispensable renouvellement de mise en scène, et à une nouvelle étude attentive de leur partie musicale ; tel a été le cas, la saison écoulée, de Madame Butterfly, opéra sorti transformé, rafraîchi, épuré des mains expertes de son nouveau metteur en scène, Jean-Jacques Brothier ; tel doit être le cas, cette saison, de Lakmé, confié au même jeune et excellent homme de théâtre, qui en profitera pour rétablir, dans la partition de Delibes, les « récits » que le compositeur a primitivement écrits, que l'on chante partout à l'étranger, et que l'on a remplacés, chez nous, par des dialogues parlés, sous le prétexte fallacieux que l'ouvrage, joué dans un théâtre qui se nomme « Opéra-Comique », devait absolument correspondre aux définitions étroites d'un genre déterminé. Mais, à côté de ces ouvrages « traditionnels », que l'on donnera simplement un peu moins souvent, mais dans de meilleures conditions que jusqu'à présent, les chefs-d'œuvre anciens et modernes doivent avoir leur place. Et c'est à ce point de vue que la création de Vol de nuit doit être considérée comme un acte d'une capitale signification.
L'opéra est mort... Vive l'opéra ! On connaît le slogan complaisamment répandu par les adversaires de la musique contemporaine en général, du théâtre lyrique moderne en particulier : l'opéra est mort, depuis trente ou quarante ans au moins ; les derniers en date des opéras ayant trouvé un public sont ceux de Puccini et de Richard Strauss. Depuis longtemps, cette vision étroite des choses est contredite par les faits, un peu partout dans le monde ; depuis longtemps, on sait que les générations ayant succédé à celle des maîtres que je viens de nommer comportent plusieurs grands compositeurs d'opéras ayant chacun composé plusieurs chefs-d'œuvre du genre. Faut-il rappeler Alban Berg et ses deux opéras, Wozzeck et Lulu, Benjamin Britten et son Peter Grimes, son Viol de Lucrèce et sa Tour d'écrou, Hans Werner Henze et son Boulevard Solitude, son Roi cerf, et son Prince de Hombourg ? Voilà trois compositeurs de trois générations se succédant de près, ayant œuvré et continuant de le faire en notre temps, sous nos yeux, et qui trouvent, chaque jour, un public plus large, plus compréhensif. plus enthousiaste. Et j'ai exprès laissé de côté, pour ne le nommer que maintenant, Luigi Dallapiccola, qui est de la même génération que Britten, s'il en diffère profondément, et de qui les deux chefs-d'œuvre, Vol de nuit et le Prisonnier, sont monnaie courante sur bien des scènes étrangères ; je l'ai laissé de côté, pour le présenter, dans mon énumération, en « vedette américaine », puisque c'est à l'un de ses ouvrages qu'est revenu l'honneur d'inaugurer, avec la saison 1960-1961, la nouvelle ère de la salle Favart et, implicitement, la nouvelle ère de la Réunion des Théâtres Lyriques Nationaux. Aux yeux des « traditionalistes » de tous bords, Vol de nuit est, en principe, le type même de l'opéra « mort », de l'opéra ne pouvant pas trouver un public. En effet, c'est une œuvre qui n'est pas « lyrique », au sens étroit où un opéra de Puccini l'est ; ses lignes mélodiques sont évidemment plus difficiles « à retenir », même par bribes, que celles d'un opéra du XIXe siècle et même d'un drame musical. Il n'y a pas d' « airs » dans les drames musicaux de Wagner ; et c'est même pour cela que beaucoup de ses contemporains les trouvaient à la fois inchantables et inaudibles, exactement comme ceux qui les admirent aujourd'hui, avec bientôt cent ans de retard, trouvent inchantables et inaudibles les opéras de Berg et de Dallapiccola. Mais, pour ces retardataires qui, dans le fond de leur cœur, préfèrent encore Verdi à Wagner, non pas pour des raisons de style, ce qui pourrait donner lieu à discussion, mais simplement pour des raisons de « facilité », il y a même, dans les ouvrages wagnériens, des passages qu'ils arrivent à retenir ; des fragments de motifs conducteurs, par exemple, dont ils se souviennent d'ailleurs le plus souvent de manière approximative, ou des lambeaux de passages symphoniques, entendus cent fois dans des concerts. Il n'en est plus de même, pour eux, dans une œuvre comme Vol de nuit ; et cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas là, également, des passages susceptibles d'être « retenus » par une oreille et une mémoire musicale exercées ; mais ces passages comportent peut-être, pour les auditeurs moyens d'aujourd'hui, les mêmes difficultés que les passages correspondants des ouvrages de Wagner comportaient pour les contemporains de ce maître. D'autre part, dans Vol de nuit, Dallapiccola a utilisé, au moins pour certains passages, l'écriture sérielle ; et cela, pour les faux traditionalistes d'aujourd'hui, est l'abomination de la désolation. Remarquez que si ceux-ci savent que Vol de nuit est en partie sériel, ce n'est pas parce qu'ils l'ont constaté eux-mêmes, en lisant la partition ou en écoutant l'œuvre ; s'il le savent, c'est uniquement parce qu'ils l'ont appris en consultant un programme, ou une revue spécialisée, ou un livre. A ce propos, les erreurs et les sottises qui ont pu être répandues dans une partie de la presse quotidienne, après la représentation de l'Opéra-Comique, tiennent du délire ; on a pu lire, ainsi, que la « dodécaphonie » — ce qui ne veut strictement rien dire — a fait son entrée salle Favart, et que cette « dodécaphonie marchait par quarts de ton » ! Enfin, Vol de nuit ne traite pas un des sujets traditionnels de l'opéra, ni du drame musical ; il n'y a là ni une belle légende ancienne, ni un sanglant drame d'amour. C'est une œuvre dont l'agencement dramatique est, certes, excellent ; mais cet agencement est fondé sur un débat idéologique, et ses prolongements sont à la fois moraux et métaphysiques. Les monologues sont le plus souvent des débats de conscience, et les dialogues, des affrontements d'idées passionnément défendues ; le drame naît de ces débats et de ces affrontements autant sinon plus que de l'incident dramatique de la disparition d'un aviateur dans une tempête, lors d'un vol nocturne. Très fidèlement, Dallapiccola, qui a extrait lui-même le livret de l'œuvre du célèbre roman de Saint-Exupéry, a transporté sur la scène, et transfiguré musicalement les problèmes posés par celui-ci à propos de la mort du pilote Fabien, de la douleur de sa femme, et de la dureté intellectuelle de Rivière, le responsable des vols nocturnes, qui en maintient le principe, malgré la catastrophe qui vient d'arriver, au nom du progrès technique et social. Voilà beaucoup de raisons qui font que les « traditionalistes » ne peuvent, théoriquement, aimer une œuvre comme Vol de nuit ; et pourtant, le succès du spectacle, salle Favart, a été des plus vifs, non seulement dans la partie jeune et avancée du public, mais aussi, ô, miracle, dans sa partie la plus conservatrice. Les pires ennemis de la musique vivante de notre temps n'ont pu se soustraire à la puissance et à la beauté de l'œuvre ; devant la révélation qui leur était faite, ils oubliaient, au moins momentanément, tous leurs « arguments » ; ils étaient envoûtés par la musique et emportés par l'action ; ils réagissaient, instinctivement, comme devant telle œuvre traditionnelle chère à leur cœur. La partie de l'opéra moderne était gagnée ; gagnée par une œuvre de génie, présentée avec une perfection musicale et scénique incomparables. Je dis « œuvre de génie », car, qui songerait à affirmer qu'il n'existe pas d'œuvres médiocres dans la production contemporaine ? Il suffisait d'avoir entendu, en première partie du spectacle, certains Adieux pour se rendre compte, hélas, de leur floraison ! Il me reste quelques lignes pour dire que tout le monde s'est surpassé : le traducteur, Jacques Bourgeois, la totalité des chanteurs, depuis les plus grands jusqu'aux plus petits rôles, Georges Prêtre au pupitre, l'orchestre et les chœurs, enfin le décorateur Douking, et le metteur en scène Jean Mercure. Cette perfection même fut aussi bouleversante que l'œuvre elle-même, pour tous ceux qui y voyaient le signe de l'installation de méthodes et d'une discipline de travail que l'Opéra-Comique ne connaissait plus depuis fort longtemps.
(Antoine Goléa, Musica disques, décembre 1960)
La création mondiale des Adieux, de Marcel Landowski, et la création en langue française de Vol de nuit, de Dallapiccola, au Théâtre National de l'Opéra-Comique, constituent un événement considérable dans l'histoire du théâtre lyrique français. C'est la première fois que deux œuvres dramatiques contemporaines entrent conjointement au répertoire de la salle Favart. C'est la première fois également qu'une soirée de gala est donnée dans de telles conditions publicitaires, mondaines et parisiennes ; c'est aussi la première fois qu'on note l'absence des enfants du Paradis ; on n'avait, en effet, jamais vu, salle Favart, public aussi indifférent, et les habitués se détourner de façon aussi nette d'une telle initiative. Plus que les bruits de disparition de l'Opéra-Comique, plus que les erreurs et la curiosité des distributions, le choix de ces ouvrages pose, de façon aiguë, et malgré la réussite réelle et totale de la présentation, celui du répertoire de l'Opéra-Comique. Pourquoi faut-il donc que les responsables tombent alternativement et obligatoirement dans des erreurs extrêmes ? Les uns ne voudraient que du répertoire, les autres ne présenteraient que des œuvres contemporaines. La réalité est tout autre. Il faut être bien ignorant des problèmes du théâtre lyrique pour chercher une solution absolue. La mission de l'Opéra-Comique est entièrement consignée dans les statuts de la Réunion ; elle n'a pas encore changé, à notre connaissance, puisque les réformes ont uniquement consisté à changer les têtes. En fait, la salle Favart n'est pas un théâtre d'essai. Ou, tout au moins, ce n'est ni son rôle unique, ni sa mission essentielle. Elle se doit de présenter, d'une part, les œuvres du répertoire lyrique traditionnel, de créer et de reprendre, d'autre part, les ouvrages lyriques français contemporains. Si l'on en croit la tendance nouvelle, à la suite d'une évolution que nous n'avons pas à juger. et à la suite de nouvelles structures fortement suggérées, elle a désormais une quadruple mission. Tout d'abord, jouer — dans un but commercial et de fréquentation — le répertoire traditionnel (Gounod, Massenet, Bizet, Puccini, Rossini, Offenbach, etc.) dans des présentations scéniques modernes, mais vocalement bien distribuées. Reprendre également, dans un but essentiellement culturel, puisqu'on sait que cela n'est pas rentable, les principaux chefs-d’œuvre du XVIIe et du XVIIIe siècle. Créer ensuite les ouvrages lyriques des compositeurs contemporains, avec priorité aux Français. Enfin, elle a pour mission particulière de travailler en liaison directe avec la décentralisation lyrique de province.
Ni théâtre ni opéra. Créer des ouvrages contemporains ne veut pas dire créer n'importe quoi. Il y a, dans l'expression « théâtre lyrique », deux éléments indispensables : théâtre et lyrisme. Tout ce qui n'est pas du théâtre à caractère lyrique n'a rien à voir avec l'Opéra-Comique, pas plus d'ailleurs qu'avec l'Opéra. En ce sens, ce premier spectacle de la saison est une erreur, et nous oblige à écrire aujourd'hui, de façon nette : non aux Adieux, mais oui à Vol de nuit. Les Adieux, qui se pare de la classification « drame lyrique », est un échec, parce que nullement adapté aux exigences du théâtre lyrique. Auteur des paroles et de la musique, Marcel Landowski présente ainsi son œuvre : « Il y a parfois, chez certaines âmes, des amours si intenses, si terribles, que, dépassant l'être qui en est l'objet, elles s'envolent directement vers l'éternité qu'elles n'arrivent pas à saisir en ce monde ». Cela est extrêmement intéressant et aurait pu être aisément exploité par quelque romancier ; mais il ne se passe malheureusement rien sur la scène. En outre, il semble que la direction de l'Opéra-Comique ait fait, en choisissant Jane Rhodes, une erreur de distribution. Le rôle d'Isabelle n'a rien à voir avec le personnage de Carmen : il est même à l'opposé. Peut-être trop marquée, trop influencée par ses précédentes prestations, Jane Rhodes n'a pas la possibilité d'exprimer cette spiritualité, ces sentiments intérieurs : monstre sacré de la scène, les rôles passionnés et lyrico-dramatiques lui conviennent mieux.
Indiscutablement du théâtre. A l’opposé, et sans doute aussi par un phénomène de relativité, on peut souscrire à l'entrée de Vol de nuit au répertoire de l'Opéra-Comique. Peu importe si, pour la première fois, une œuvre appartenant musicalement au système dodécaphonique schönbergien est inscrite au répertoire. Le problème est ailleurs. L'habileté et la fidélité de l'adaptation de Jacques Bourgeois, l'intensité de la mise en scène de Jean Mercure, la direction parfaite de Georges Prêtre, la quasi-perfection de la distribution — avec Denise Duval et Michel Cadiou en évidence, parce que plus humains — accentuent l'intelligence théâtrale de l'œuvre. Voilà pourquoi Vol de nuit séduit, convainc et s'impose. Vol de nuit est une œuvre de théâtre, même si elle n'est pas résolument lyrique. Elle marque, en tout cas, les limites possibles dans le domaine délicat du théâtre lyrique d'essai. Il y a quelques années, lorsqu'il fut appelé à la tête de l'Opéra, M. Jacques Ibert avait préconisé la création d'une troisième salle nationale où seraient réalisées, dans les meilleures conditions possibles, des tentatives de ce genre. Contrairement à ce que l'on a écrit, les Américains, les Anglais, les Allemands, les Italiens même n'agissent pas autrement. C'est ainsi que la Voix humaine est née à la Petite Scala. La création d'une scène complémentaire permettrait de préparer le répertoire de demain, renouvelant ainsi insensiblement celui de la salle Favart, avec des œuvres ayant fait leur preuve sur cette troisième scène. Dans cet esprit, Vol de nuit est une réussite, et les Adieux, un échec définitif. Avec le Fou et le Ventriloque, Landowski nous avait habitués à mieux. Car c'est une erreur de déclarer avec certains : « Le public ne se dérange pas. Mais on lui jouera ça jusqu'à ce qu'il vienne... » Le public ne viendra pas. Quant aux snobs et aux esprits forts, ils ne se dérangent que sur invitation gratuite...
(Jean-Louis Caussou, Musica disques, décembre 1960)
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Vol de Nuit porte à la scène un drame de la conquête de l'air, en Amérique du Sud, dans les années héroïques des débuts de l'Aéropostale. Afin d'avoir raison de la rivalité qui oppose l'avion, encore dangereux et incertain, aux services postaux maritimes et ferroviaires, le commandant Rivière oblige ses pilotes à effectuer des vols nocturnes pleins de risques par-dessus les Andes. L'action se passe tout entière à l'aéroport de Buenos-Aires, dans le bureau de Rivière et dans celui des radiotélégraphistes qui lui est adjacent. Une tempête est annoncée au-dessus des Andes, que doit affronter le courrier de Patagonie, Fabien. La jeune épouse du pilote, angoissée, vient aux nouvelles. Rivière ne peut qu'accroître son funeste pressentiment. Grâce à la liaison qu'établit le radiotélégraphiste avec Fabien, on assiste à l'agonie du pilote, qui subit son héroïque destin dans une joie extatique et va « rejoindre les étoiles ». En dépit du mouvement de révolte des amis de Fabien, à la suite de cette mort, Rivière décide de poursuivre les vols de nuit, et ordonne le départ du courrier d'Europe.
(Marcel Sénéchaud, le Répertoire lyrique d’hier et d’aujourd’hui, 1971)
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Luigi Dallapiccola
Compositeur, librettiste et critique musical italien. Il étudia, notamment, avec Casella. Son œuvre, fort abondante, comprend : Hymnes pour 3 pianos, Volo di notte [Vol de nuit] (opéra d’après Saint-Exupéry, 1940), un ballet, Marcias, et quantité d’œuvres chorales (Cori di Michelangelo Buonarroti il Giovine, 1933-1936). Pendant la Seconde Guerre mondiale, il en vint à adopter la technique de 12 sons (dodécaphonisme), discipline qu’il a utilisée dans toutes ses dernières œuvres, où l’on remarque : un nouvel opéra, Il Prigioniero [le Prisonnier] (d’après Villiers de L’Isle-Adam, 1949-1950) ; un oratorio : Job ; de très nombreuses mélodies pour chant et ensembles instrumentaux (Cinque frammenti di Saffo, Sex Carmina Alcaei, Due Liriche di Anacreonte) ; Chaconne, intermezzo et adagio pour violoncelle solo ; Deux Etudes pour orchestre (1947) ; Requiescant, pour chœurs et orchestre (1958). Il a enseigné l’harmonie au Conservatoire de Florence.