Véronique
affiche de Véronique par René Péan (1898)
Opérette en trois actes, livret d'Albert VANLOO et Georges DUVAL, musique d'André MESSAGER.
Création au Théâtre des Bouffes-Parisiens le 10 décembre 1898 ; décors de Visconti ; costumes dessinés par Félix Fournery et exécutés par Auguste Julien et la Belle Jardinière ; mise en scène de Félix Grégoire.
Représentations en français à Bruxelles, le 19 janvier 1900 ; à Lisbonne, au printemps 1901 ; à Genève, le 11 février 1902 ; à Bucarest, en février 1907 ; au Caire, au printemps 1938.
Première à l'Opéra-Comique (3e salle Favart) le 07 février 1925, à l'occasion d'un Gala au bénéfice des Associations d'Artistes.
Seule représentation à l’Opéra-Comique au 31.12.1950.
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personnages |
Bouffes-Parisiens 10 décembre 1898 (création) |
Folies-Dramatiques 30 janvier 1909
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Trianon-Lyrique 17 septembre 1922
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Opéra-Comique 07 février 1925 (1re) |
Hélène de Solanges (Véronique) | Mmes Mariette SULLY | Mmes Mariette SULLY | Mmes Marcelle EVRARD | Mmes Edmée FAVART |
Agathe Coquenard | Anna TARIOL-BAUGÉ | Anna TARIOL-BAUGÉ | Louise PERROLD | Anna TARIOL-BAUGÉ |
Ermerance de Champ d'Azur (Estelle) | Léonie LAPORTE | Léonie LAPORTE | Camille LEJEUNE | Marguerite VILLETTE |
Denise | Madeleine MATHYEU | Odette MYRIL | Renée DESTANGES | |
la Tante Benoît |
BNVAL | |||
Sophie, fleuriste | LANDOZA | |||
Céleste, fleuriste | D'ORBY | |||
Irma, fleuriste | RAYMONDE | |||
Héloïse, fleuriste | LÉRYS | |||
Zoé, fleuriste | FRÉTIGNY | |||
Élisa, fleuriste | RAIMOND | |||
une Demoiselle du Palais | LELOIR | |||
Julie | CLERGUE | |||
Florestan de Valaincourt | MM. Jean PÉRIER | MM. René VERMANDÈLE | MM. Maurice COULOMB | MM. André BAUGÉ |
Évariste Coquenard | REGNARD | REGNARD | José THÉRY | André ALLARD |
Loustot (baron des Merlettes) | Maurice LAMY | JORDANIS | Ch. CARDON | Eugène DE CREUS |
Séraphin | BRUNAIS | FERNAL | Léon JOUBERT | Fernand ROUSSEL |
Octave | GUAL | |||
Félicien | SICOT | |||
un Tambour | HUET | |||
un Huissier | CHOPIN | |||
Fleuristes, Acheteurs, Acheteuses, Gardes Nationaux, Invités de la Noce, Demoiselles du Palais | ||||
Chef d'orchestre | Désiré THIBAULT | Fernand MASSON |
La scène se passe en 1840, à Paris et à Romainville.
Edmée Favart (Hélène) et Jean Périer (Florestan) dans Véronique à la Gaîté-Lyrique le 01 mars 1920
"Qui se souvient ?" Souvenirs sur la création de Véronique Mariette Sully, créatrice du rôle d'Hélène
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Résumé. L'action, située dans le Paris de 1840, brode sur le thème de la fiancée (ici Hélène de Solanges) qui fait incognito la conquête de celui qu'elle doit épouser. Véronique est le nom d'emprunt que la rusée prend, en se faisant passer pour une petite fleuriste de la boutique à l'enseigne du « Temple de Flore ». Quant au fiancé, Florestan de Valaincourt, auquel a été imposée cette alternative : le mariage ou la prison pour dettes, il doit rompre tout d'abord avec Agathe, la femme du fleuriste Coquenard, capitaine de la Garde Nationale.
Acte I. — Une boutique de fleuriste à l'enseigne du « Temple de Flore ». Les acheteurs vont et viennent parmi les vendeuses. Hélène et sa tante Ermerance font ensemble leurs emplettes, accompagnées de leur domestique Séraphin, qui doit se marier le jour même avec une certaine Denise. Hélène comprend son impatience, car elle doit incessamment épouser le vicomte Florestan de Valaincourt qui ne la connaît pas, mais qu'elle a déjà vu et qui est loin d'ailleurs de lui déplaire. Justement le vicomte s'approche. Hélène se retire à l'écart pour ne pas être vue et assiste à la réception du vicomte. [Couplets de Florestan : Vrai Dieu, mes bons amis...]. Le jeune homme désire rompre avec Mme Coquenard, et s'il a, explique-t-il, accepté l'idée d'épouser Hélène de Solanges, c'est qu'il n'avait le choix qu'entre l'hymen et la prison pour dettes. Il est surveillé de près par Loustot, ex-baron des Merlettes. Florestan entend fêter son dernier jour de liberté, et invite tout le magasin à Romainville. Hélène, qui a entendu quelques appréciations déplaisantes sur son compte, assiste encore à la scène de rupture entre Florestan et la bouillante fleuriste [Couplets d’Hélène : « Petite dinde ! » Ah ! quel outrage !] et rumine des projets de vengeance. Coquenard, vient d'être nommé capitaine de la Garde nationale. Hélène et sa tante se présentent, toutes deux habillées en grisettes, comme vendeuses chez Coquenard. Agréées par le patron du magasin, elles partent à Romainville avec les autres fleuristes.
Acte II. — Le Restaurant du « Tourne-bride », au milieu du bois de Romainville. Les invités de Séraphin achèvent de déjeuner. Les gardes nationaux et les fleuristes arrivent à leur tour. Hélène — qui se fait appeler Véronique — et sa tante ne sont pas encore là, car elles ont voulu aller à âne. Hélène arrive la première, très entourée par Florestan, qui tient la bride de la monture. [Duetto Hélène-Florestan : De-ci, de-là, cahin, caha...]. Ermerance, qui se fait appeler Estelle, et qui a fait une chute, entre ensuite, soutenue par Coquenard, et l'on se met à table. Resté en arrière avec Hélène, Florestan lui fait une touchante déclaration, à laquelle la pseudo-fleuriste répond avec toutes sortes de réticences qui le troublent vivement [Duo Hélène-Florestan : Poussez, poussez l'escarpolette...]. Les affaires risquent de se gâter au moment où Séraphin reconnaît tout à coup ses patronnes. Mais elles réussissent à lui clouer la bouche. Il devient toutefois grand temps pour Hélène, et sa tante de s'en aller, ce qu'elles réussissent à faire, non sans peine, dans la voiture des mariés. Florestan découvre alors un billet laissé par Véronique, et décide subitement de ne pas épouser Mlle de Solanges. Loustot l'arrête alors, avec le concours de Coquenard.
Acte III. — Un petit salon aux Tuileries, le même soir. Le contrat de mariage de Mlle de Solanges avec Florestan de Valaincourt va être passé tout à l'heure au cours du bal. Mais Florestan ne paraît pas ; Hélène de Solanges s'inquiète. Séraphin, en livrée de gala, est comme sur des charbons ardents. Arrivent M. et Mme Coquenard. Hélène, apprenant que Florestan a été emprisonné, paye immédiatement la somme nécessaire à son élargissement. Florestan arrive, un peu vexé de devoir sa liberté à Hélène, dont il sait toutefois maintenant qu'elle ne fait qu'une seule et même personne avec Véronique. Il refuse de l’épouser. La pauvre Hélène se désole ; mais ce n'était qu'une revanche de la mystification de Romainville, et, quand on appelle les fiancés, il s'empresse de lui tendre amoureusement la main.
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Opérette représentée avec beaucoup de succès aux Bouffes-Parisiens le 10 décembre 1898. Pièce aimable et gaie, avec une jolie pointe de tendresse, musique élégante, sans grande nouveauté parfois, mais fine et délicate, écrite avec une rare distinction, interprétation exquise de la part de M. Jean Périer et de Mlle Mariette Sully, il y avait là de quoi justifier un succès de bon aloi et qui n'a pas été un instant douteux. (Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1904)
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L'action se passe sous Louis-Philippe. Un jeune libertin, le vicomte Florestan, dépensier en amour autant qu'en argent, est l'amant momentané de la belle fleuriste Agathe Coquenard. Mais le roi lui-même, grâce à l'intervention d'un oncle du jeune écervelé, qui est bien vu à la cour, a désigné une fiancée, Hélène de Solange, pour le vicomte Florestan. Il ne reste plus à celui-ci qu'à choisir entre Clichy, la prison pour dettes, ou le mariage, qui doit mettre un terme à la vie effrénée menée par notre prodigue.
La délicieuse Hélène apprend la liaison de son futur avec la fleuriste. Accompagnée de sa tante, Mme Emerance de Champ d'Azur, elle se rend chez Agathe pour être engagée comme ouvrière, sous le nom de Véronique et pour mieux surveiller Florestan, afin de conquérir son cœur et ne pas être la fiancée imposée par contrainte. Sous son déguisement de petite grisette, Véronique conquiert par son charme le fiancé de demain, qui lui fait audacieusement la cour, ignorant complètement à qui il a affaire, puisque la jeune fille est invitée au même titre que ses compagnes d'atelier à une partie de campagne, offerte par le vicomte au personnel de Mme Coquenard.
Après des situations pleines de quiproquos de belle humeur, mais qu'on retrouve en maint vaudeville, le dénouement s'annonce comme celui de toutes les opérettes : le soir même, au bal des Tuileries, Florestan découvre, en Véronique, sa fiancée Hélène de Solange, qu'il est heureux d'épouser, sans même avoir besoin des ordres matrimoniaux de son oncle, cependant qu'Agathe Coquenard, dont le mari a été nommé capitaine de la garde nationale, se console avec le baron des Merlettes, ex-recors du vicomte Florestan.
Sous les apparences d'une extrême facilité, la partition de Véronique renferme en plusieurs passages la marque d'une science profonde et sûre, avec la recherche d'une invention constante, soit à l'orchestre, soit au chant, sans jamais tomber dans la trivialité ou la banalité.
Il faut signaler le duetto en mi bémol majeur : De-ci, de-là, cahin, caha ; la valse, au joli contour mélodique, en si bémol : Poussez, poussez l'escarpolette ; la chanson de la lettre : Adieu, je pars ! pleine d'émotion ; dans un autre ordre d'idées, les couplets : D'puis c' matin, cherchant d’ l’ouvrage ; la plaintive romance de l'époque, qui cache une fine raillerie : De magasin, la simple demoiselle, et, pour conclure, le délicat duetto final en ré majeur, dont plusieurs couplets connaissent la gloire d'être populaires.
(Stan Golestan, Larousse Mensuel illustré, mai 1909)
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Cette pièce, d'une douce et aimable sentimentalité, jouit d'une très grande faveur. C'est le thème déjà souvent exploité d'une fiancée qui fait, incognito, la conquête de celui qu'elle doit épouser. Mais si la donnée n'est pas neuve, elle est placée dans un cadre original et entourée d'épisodes agréables. Florestan de Valaincourt, au moment où s'ouvre l'action, désire rompre avec Agathe Coquenard, femme d'un fleuriste fort bien achalandé. Il doit en effet épouser, par ordre supérieur, une certaine Hélène de Solanges, qu'il n'a jamais vue. Ce mariage s'impose, car il est pourri de dettes et n'a d'autre alternative qu'entre l'hymen et la prison de Clichy. Il est même suivi comme son ombre par un recors, qui n'est autre qu'un noble, M. des Merlettes, acculé à mettre en prison les autres, sous le pseudonyme de Loustot, pour n'y pas être mis lui-même. Le premier acte nous introduit dans la boutique de Coquenard, à qui sa jolie femme fait des traits, pour l'instant, nous l'avons dit, avec le beau Florestan. Arrivent deux clientes, Hélène de Solanges, fiancée de Florestan et sa tante Ermerance de Champ d'Azur, personne incandescente, quoique mûre, et qu'un veuvage prématuré a laissée fort inassouvie. Si Florestan ne connaît pas Hélène, Hélène, par contre, connaît Florestan et accepte sans déplaisir de l'épouser. Les deux femmes sont accompagnées chez Coquenard par leur domestique Séraphin, qui doit, le jour même, épouser à Romainville une jeune personne du nom de Denise, ce qui le rend fort distrait. Pendant qu'Hélène et sa tante sont occupées à leurs emplettes, on annonce l'approche de Florestan. Pour savoir ce qu'il vient faire chez la jolie fleuriste, Hélène s'éloigne, mais juste assez pour ne pas être vue. Sa curiosité est amplement récompensée : elle assiste à la scène de rupture entre Florestan et Agathe, et apprend que si Florestan l'épouse, c'est uniquement afin d'échapper à la prison pour dettes. Elle entend en outre, sur son propre compte, des propos qui font naître en elle des projets de vengeance. Justement Coquenard, qui vient d'être élu capitaine dans la garde nationale, propose d'aller fêter ce grand événement à Romainville, où, l'on s'en souvient, doit se célébrer la noce de Séraphin. Florestan et Loustot seront du voyage. Hélène en sera aussi et elle décide sa tante à la ruse suivante : Coquenard demande deux vendeuses par voie d'affiches ; déguisées en grisettes, Hélène et sa tante se présentent, sont agréées, et iront avec la bande à Romainville comme de simples fleuristes. C'est à Romainville, au restaurant du Tourne-Bride, que se transporte toute la société au second acte. Au lever du rideau, Denise et Séraphin, entourés de leurs parents et amis, achèvent le repas de noces. Arrivent ensuite les gardes nationaux, venus fêter leur nouveau capitaine. Puis c'est le tour des fleuristes, avec Agathe, mais sans Hélène (qui se fait appeler Véronique) et sans Ermerance (pour l'instant Estelle). Manquent encore à l'appel Florestan, très empressé auprès de Véronique, et Coquenard, qui serre Estelle de près, ce dont Agathe n'est pas sans concevoir une double jalousie, à l'endroit de son mari, mais surtout à l'endroit de son amant. Il est vrai que Loustot ne demanderait pas mieux que de lui fournir les compensations les plus étendues. Les retardataires arrivent enfin, Hélène sur un âne conduit par Florestan, puis Ermerance, que son âne a lâchement abandonnée, soutenue par le galant Coquenard. Tout le monde étant là, le déjeuner peut commencer, et l'on se met à table. Florestan s'arrange toutefois à rester un instant en arrière avec Véronique, à laquelle il fait une touchante déclaration. La coquette se plaît à savourer sa vengeance en affolant le pauvre garçon par ses réticences. Et la fête continue, avec danse et divertissements variés. La bande Coquenard fraternise avec la noce Séraphin, ce qui amène le malheureux domestique nez-à-nez avec ses patronnes. On lui ferme la bouche par de terrifiantes menaces, mais ce témoin est tout de même bien gênant. Florestan et Coquenard devenant de plus en plus pressants, Hélène et Ermerance veulent fuir. Comme il n'y a pas d'autre voiture que celle des mariés, elles soudoient Denise et sa tante pour qu'elles leur permettent de partir voilées avec Séraphin. Hélène-Véronique a pourtant laissé en partant un billet pour Florestan, billet ambigu qui laisse le pauvre garçon désespéré et le pousse à un coup de tête : décidément, il n'épousera pas Mlle de Solanges ; plutôt Clichy ! Et l'acte s'achève sur son arrestation, opérée par Loustot, et à laquelle le capitaine Coquenard doit prêter main-forte. Le dernier acte se passe aux Tuileries, le même soir, au bal royal, pendant lequel doit se signer le contrat de mariage de Mlle de Solanges. Hélène s'attend d'un instant à l'autre à voir paraître Florestan et rit d'avance de sa surprise. Mais Florestan se fait attendre. A sa place arrivent M. et Mme Coquenard, la nouvelle dignité du fleuriste dans la garde nationale lui ayant valu une invitation aux Tuileries. Séraphin est aussi là, dépositaire de secrets terribles ! Tout ce monde se reconnaît, ce qui amène des situations piquantes. Fortuitement, Hélène apprend l'arrestation de son fiancé. Et comme Loustot paraît presque au même instant, elle paye la somme nécessaire à la libération de Florestan. Or, celui-ci n'est pas à Clichy, mais à la porte des Tuileries, car Loustot, qui tient à ce que la présentation des fiancés ait lieu — il y va pour lui d'une forte prime — a obligé son prisonnier à ce détour. Hélène charge Loustot de l'amener et de lui annoncer sa libération, en lui disant seulement qu'il la doit à Mlle de Solanges. Furieux, blessé dans son amour-propre, Florestan arrive, mais avant de voir Hélène il a le temps d'apprendre d'Agathe que Véronique et Hélène ne sont qu'une seule et même personne. C'est mieux sans doute, mais il est vexé tout de même d'avoir été joué de la sorte. Aussi feint-il, au cours de l'entrevue qui suit avec sa fiancée, de vouloir rompre le mariage. La pauvre Hélène est désolée : tous ses jolis plans tombent à l'eau. Heureusement ce n'était qu'une feinte, et quand on appelle Mlle de Solanges pour signer au contrat, Florestan se présente et lui tend la main : il avait simplement voulu une petite revanche de sa mystification de Romainville.
(Edouard Combe, les Chefs-d’œuvre du répertoire, 1914)
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Vanloo, l'un des auteurs de Véronique, a publié sous ce titre : Sur le Plateau, ses souvenirs de librettiste, pleins de saveur documentaire, et dépourvus de prétentions d'aucune sorte. Nous y lisons ces simples lignes au sujet de Véronique, créée aux Bouffes-Parisiens par Mariette Sully et Tariol-Baugé le 10 décembre 1898 : « Son souvenir est trop vivant pour que j'aie à en parler plus longuement. Du reste, comme toutes les pièces heureuses, celle-ci n'a pas d'histoire, — cantavit et placuit, — et ces trois mots résument ce qu'il y aurait à dire pour rappeler le succès de cet ouvrage favorisé du sort. » De fait, Véronique restera comme la benjamine de l'opérette classique : la partition est un bijou serti dans un livret qui est aussi une manière de chef-d'œuvre. Ses trois pères : MM. Vanloo et Duval et M. André Messager, avaient, ensemble, donné dans le même genre les heureuses P’tites Michu, en vérité moins bien venues. Vanloo était d'ailleurs un vieux routier de la scène. Il a signé jadis avec Leterrier nombre d'opéras-bouffes qui demeurent au répertoire : la Petite Mariée, Giroflé-Girofla, le Jour et la Nuit, etc. Mais on reconnaît surtout, comme auteur d'une opérette, l'homme de la musique ; son nom seul se grave dans la mémoire. Saisissons donc cette occasion contemporaine de rendre à Vanloo et Duval la part de gratitude qui leur est équitablement due, — sans enlever à Messager ce qui lui revient justement. Ils ont, depuis Véronique, fait représenter dans des conditions suffisamment honorables les Dragons de l'Impératrice au Théâtre des Variétés (1905). Nous comptons sur eux pour perpétuer, et en la renouvelant, la tradition nationale. Véronique a fait revivre en couleurs exquises l'époque pittoresquement désuète des grisettes et des carabins, des gardes nationaux et des « lions » ténébreux, mais avec cet archaïsme qui nous éloigne de Murger en nous rapprochant de Musset. Quant à l'intrigue, elle s'accommode de tous les styles. Et la preuve, c'est que nous l'avions déjà vue se dérouler sous les jolis costumes Watteau d'une autre opérette, le Cœur et la Main. ... Comment résister au plaisir de reproduire ici le modèle de l'analyse — celle qu'a donnée dans le Figaro (7 mars 1920), M. Robert de Flers ?... C'est un autre chef-d'œuvre du genre, et nous ne pouvions pas ne pas laisser, en la matière, la parole à l'Académie : « Voici donc en quelques mots l'histoire de Véronique. Les jeunes filles peuvent rester. Le vicomte Florestan de Valaincourt est fort bien vu aux Tuileries. Il a fait des dettes importantes et honorables, et un oncle noble et sévère l'a mis en face de ce dilemme : ou bien il épousera Mlle Hélène de Solanges, la nièce de Mme de Champ d'Azur, dame d'honneur de la reine des Français — ou bien il ira tâter de cette fameuse prison de Clichy, très bien fréquentée d'ailleurs et d'où Gavarni, qui l'habita quelques semaines, rapporta cet axiome magnifique : « Ne donnez pas d'acomptes ! Le créancier qu'on ne paye pas n'est qu'un créancier, le créancier qu'on paye est un tigre. » Florestan accepte donc d'épouser Mlle de Solanges et il assistera le soir même au bal des Tuileries, où il doit être présenté. Mais il ira auparavant prendre congé de Mme Agathe Coquenard, fleuriste, qui est aussi épanouie que ses plus belles roses et qui ne lui a refusé aucun de ses bouquets. Florestan vient rompre fort poliment afin d'être libre d'engager honnêtement sa foi à Mlle de Solanges, car il ne faut pas frapper une femme même avec une fleuriste. Le bon Coquenard, qui vient d'être nommé capitaine de la garde nationale, est presque aussi ému que son épouse. Tout irait fort bien si Mlle de Solanges, accompagnée de Mme de Champ d'Azur, n'entrait précisément à la minute, comme cliente, dans la boutique Coquenard. Hélène a vite fait de surprendre le secret de Florestan. Avec la complicité de sa tante, que ce parfum de fleurs et d'aventure ragaillardit, et afin de connaître son fiancé qui, lui, ne la connaît pas, elle se présente au ménage Coquenard comme demoiselle de magasin. Il ne s'agit plus ni de Mlle de Solanges ni de la comtesse de Champ d'Azur : c'est Estelle et Véronique. Aussitôt, les deux « nouvelles » sont accueillies, et comme Florestan a décidé d'emmener à Romainville tout le personnel, elles seront de la partie. Et voilà pourquoi, au second acte, nous sommes à Romainville. Romainville, lieu de plaisir et de délices, petite Capoue champêtre, Babylone de banlieue, où les étudiants, la petite casquette sur leurs cheveux longs, la chemise bouffante et retombant sur le pantalon à la cosaque, venaient retrouver les grisettes, dont une robe de mérinos ou un bout de cachemire comblaient l'ambition et la vénalité, Romainville n'est plus aujourd'hui qu'un bourg de deux mille âmes ; autrefois on n'y comptait que les cœurs. Le petit bois, indulgent aux amours faciles, a disparu. Quelques acacias en indiquent encore la place, mais l'on n'y trouve plus gravé dans l'écorce le nom de Mimi-Pinson. L'écorce a repoussé, tous les arbres ne sont pas fidèles. C'est dans ce cadre fleuri que nous retrouvons Véronique et Florestan. Vous pensez bien qu'ils seront vite follement épris l'un de l'autre. Un âne, une escarpolette, une noce de village, une escouade de gardes nationaux facilitent et entourent leurs aveux. Il pourrait y avoir là une bien jolie scène marivaudante. Mais elle a gentiment cédé la place à deux duos qui en disent bien plus long que toutes les paroles du monde. Afin d'éviter de donner un baiser tendrement réclamé et parce qu'il faut rentrer aux Tuileries pour l'heure du bal, Hélène s'esquive après avoir laissé à Florestan, sous la signature de Véronique, une lettre qui mériterait d'être placée dans la même enveloppe que celle de la Périchole. Depuis Mme de Sévigné, les femmes n'écrivent plus que dans l'opérette. L'opérette, aujourd'hui encore, n'admet ni le télégraphe ni le téléphone ; elle se méfie même de la poste, et comme elle a raison ! Aussi, fait-elle porter ses lettres à la main. Comme cela, elles sont aussitôt remises et aussitôt chantées, et la pièce peut continuer. Au troisième acte, nous retrouvons tout notre monde au bal des Tuileries. Agathe Coquenard, tout émerveillée par le costume et le bonnet à poil de son mari, se sent redevenir conjugale — et quant à Florestan, après avoir puni très dignement Mlle de Solanges, par une brouille simulée, de sa petite ruse de l'après-midi, il tombe à ses pieds et lui jure un amour éternel, et qui peut-être durera très longtemps. Ainsi finit cette petite aventure, qui est assez blanche pour prendre place dans la Bibliothèque rose. »
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C'est d'un charme qui ne date pas. Et, n'eût-elle que le bonnet et la robe de Mimi Pinson, la nouvelle Petite Mariée serait assez belle.
(Roger Tournefeuille, les Grands succès lyriques, 1927)
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Véronique, film de Robert Vernay. Ce n'est pas cette opérette filmée qui nous réconciliera avec le genre. Malgré les excellentes photographies que nous procure l'écran, on ne peut que regretter les charmes du théâtre. On admettra difficilement qu'un acteur prenne son temps pour répondre à une simple question de son partenaire, ce temps étant consacré à la préparation du couplet qui servira de réponse, et cela deviendra affreux quand cette réponse chantée sera prise en gros plan. Néanmoins, nous assistons sans ennui aux amours de Florestan (Jean Desailly) et du baron de Valaincourt (Jean Marchat) avec Estelle de Solanges (Giselle Pascal) et Véronique (Marina Hotine), souvent contrariées par la charmante Agathe Coquenard (Mila Parély). Nous retrouverons les airs si connus, l'escarpolette et le petit âne. Giselle Pascal et Jean Desailly ont des voix agréables. (Norbert Dufourcq, Larousse Mensuel Illustré, octobre 1950)
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Quand Véronique fut créée le 10 décembre 1898 aux « Bouffes-Parisiens » par Jean Périer (le futur Pelléas), Mariette Sully et Anna Tariol-Baugé, le critique de « Théâtre » s'exclama : « A en juger par l'empressement du public, je puis pronostiquer cette fois à coup sûr que la disparition de Véronique de l'affiche n'aura lieu qu'à cette date invraisemblable de notre histoire nationale où l'on ne parlera plus de « l'affaire ». Ce critique avait une courte vue : on ne parle plus guère de l'Affaire Dreyfus et Véronique est toujours à l'affiche. A première vue, l'homme, l'artiste et le compositeur semblent différer. « Messager aux victorieuses moustaches », comme le décrivait Willy, était une figure très parisienne. L'opinion était unanime : « un charmeur ». « Il est la coquetterie même », affirmait Colette, et, cependant, sans jamais sacrifier au snobisme ni aux mondanités, Messager resta toute sa vie le plus fidèle des amis, le plus sincère des hommes. S'il apprend « le métier » de chef d'orchestre aux « Folies-Bergère », puis dans les petits théâtres où l'on donne des comédies musicales, il s'oriente tout de suite vers les grandes œuvres. Pèlerin de Bayreuth dès 1883, année de la mort de Richard Wagner, il dirige en 1892, à Marseille, la Walkyrie. En 1898, il est nommé, par Albert Carré, directeur de la Musique à l'Opéra-Comique. Lui qui, toujours, se sacrifiera pour défendre les œuvres des autres, monte des ouvrages aussi différents que Louise et Pelléas (qui, sans lui, n'aurait peut-être jamais vu le jour). En même temps, il dirige la saison musicale au Covent Garden de Londres. En 1907, Messager est directeur de l'Opéra, en compagnie de Broussan. C'est à Messager que revient l'honneur d'avoir fait représenter toutes les œuvres de Wagner (passer de Pelléas au Crépuscule des Dieux représente un bel éclectisme !) Il fait connaître au public parisien des œuvres de Rameau, d'Indy, Saint-Saëns, Chabrier, Moussorgski... puis il quitte l'Opéra, excédé par les difficultés de toute sorte qu'il y rencontre. Président de la Société des Concerts du Conservatoire depuis 1908, il y continue son apostolat. Président de la Société des Auteurs en 1923, il entre à l'Institut en 1926. Sacrifiant sa carrière de compositeur à la défense des œuvres des autres, il n'accepte que des fonctions qui sont pour lui des postes de combat en faveur de la musique. Racé, distingué, il le sera toujours dans sa musique et donnera ainsi ses lettres de noblesse à l'opérette et à la musique légère. Il a démontré qu'il n'existe pas de hiérarchie dans les genres. Avec lui, surtout, la frontière entre l'opéra-comique et l'opérette ne peut être fixée. « Il n'y a pas d'art inférieur : les œuvres dites sérieuses ne sont pas toujours les mieux pensées, les mieux écrites, et les plus dignes d'admiration. Le talent ne se mesure pas au poids », écrivait-il à propos d'un auteur d'opérette... Comment mieux conclure un aperçu de la carrière de Messager qu'en citant Gabriel Fauré : « Il n'y a pas beaucoup d'exemples dans l'histoire de la musique d'un artiste, d'une culture aussi complète, d'une science aussi approfondie, qui consente à appliquer ses qualités à des formes réputées, on ne sait pourquoi, secondaires. De combien de chefs-d’œuvre ce préjugé ne nous a-t-il pas privés ? Et c'est encore là que se révèle la délicatesse de pensée de Messager, c'est là que son éclectisme nous apparaît une admirable direction d'art. Avoir osé n'être que tendre, exquis, spirituel, n'exprimer que la galanterie des passions, avoir osé sourire alors que chacun. s'applique à bien pleurer, c'est là une audace bien curieuse en ce temps. Et c'est surtout l'affirmation d'une conscience d'artiste ».
ACTE PREMIER. — Nous sommes dans une élégante boutique de fleuriste, à l'enseigne du « Temple de Flore », sous le règne de Louis-Philippe, le « Roi-Bourgeois ». Commandant un escadron de jeunes et charmantes vendeuses, la jolie patronne, Agathe Coquenard, au cœur tendre, à l'esprit galant, vante les joies du métier de fleuriste (air d'Agathe : « Le bel état que celui de fleuriste »). Son époux, brave homme au solide embonpoint, ne rêve que d'un grade de capitaine dans la Garde Nationale. La jeune aristocrate, Hélène de Solanges et sa tante, Ermerance de Champ d'Azur, entrent dans le magasin, déserté un instant. La jeune fille, peu habituée à sortir de si bonne heure le matin dans Paris, est éblouie par l'aspect de la grand’ ville (air d'Hélène : « Ah ! la charmante promenade »). Hélène doit être présentée le soir même aux Tuileries au prétendant que le Roi lui destine. Si ce dernier ne l'a jamais vue, elle l'a déjà aperçu plusieurs fois et le trouve charmant. Tandis que ces dames choisissent des fleurs, le domestique de Madame de Champ d'Azur, l'inénarrable Séraphin, piaffe d'impatience, indifférent aux plaisanteries des demoiselles de magasin. Il doit, en effet, se marier le jour même à midi. Hélène et sa tante Ermerance s'apprêtent à sortir quand elles aperçoivent le prétendant, le vicomte Florestan de Valaincourt. Que vient-il faire ici ? Entraînée par Hélène, Ermerance qui se sent très romanesque, accepte de se cacher derrière des plantes pour observer le jeune homme. Désillusion ! Florestan, amant de la belle Agathe Coquenard, se montre sous les traits d'un joyeux vivant, fort peu sérieux (couplets de Florestan : « Vrai Dieu ! mes bons amis »), qui n'a d'autre alternative que de se marier ou d'aller en prison pour dettes. Florestan est suivi par un recors peu ordinaire, Loustot, ex-baron des Merlettes, réduit à cet état peu reluisant pour avoir trop aimé les femmes (couplets de Loustot : « Quand j’étais Baron des Merlettes »). Florestan décide d'enterrer joyeusement sa vie de garçon au « Tourne-bride », à Romainville, et d'y convier tout le « Temple de Flore ». Il marquera ainsi la fin de ses amours avec Agathe que la petite dinde qu'on lui destine ne lui fera jamais oublier. « Petite dinde ! » Hélène ne l'oubliera pas et Florestan ne l'emportera pas en paradis ! (couplets d'Hélène : « Petite dinde !... Ah ! quel outrage ! »). Un tambour arrive haletant : Coquenard est nommé capitaine de la Garde Nationale ! On fêtera cela à Romainville. La gaieté générale est un instant interrompue par l'entrée de deux femmes timides, dont une très jeune. Elles ont vu une pancarte à la porte du « Temple de Flore », demandant du personnel : elles sont sûres de faire l'affaire (couplets de Véronique : « D’puis c’ matin, cherchant d’ l’ouvrage »). C'est entendu, elles sont engagées et voici Hélène et sa tante — car c'est ce que la jeune fille a trouvé pour se venger de Florestan — conviées à partager la liesse générale. Et, en route pour Romainville ! (Final : « Allons ! allons d’un pas agile »).
ACTE SECOND. — Romainville, au milieu des bois : le restaurant réputé du « Tourne-bride ». On y célèbre gaîment le mariage de Séraphin et de Denise. Puis, ce sont tous les invités de Florestan qui font irruption dans cette fameuse guinguette (couplets d'Agathe : « Le Tourne-bride est, mes amis »). Véronique et Florestan arrivent bons derniers : la jeune fille a voulu faire le trajet à âne et le Vicomte, conquis, s'est attardé avec elle (duetto de l'âne : « De ci, de là »). Tandis qu'Ermerance est toute prête à trouver séduisants les charmes limités du sieur Coquenard — pour une Champ d'Azur, quelle honte ! — Florestan fait une cour pressante à la coquette Véronique qui semble l'écouter distraitement (duo de l'escarpolette : « Ah ! méchante, vous voulez rire ? »). La joyeuse équipe du « Temple de Flore » va se joindre aux invités de la noce de Séraphin et tout le monde va danser (ronde d'Agathe : « Lisette avait peur du loup »). Véronique semble un peu effarouchée des avances de Florestan qui lui explique qu'une grisette ne doit pas être si prude (couplets de Florestan : « Une grisette mignonne »). Mais l'instant est venu de mettre fin à la supercherie, Véronique-Hélène et sa tante doivent partir. Véronique laisse un mot d'adieu pour Florestan (rondeau de la lettre : « Adieu ! je pars »). Tant pis ! le Vicomte va se résoudre à partir le cœur bien triste pour rencontrer cette promise qu'on lui impose.
ACTE TROISIÈME. — Dans un petit salon du Palais des Tuileries, attenant aux grandes salles de réception, personne ne reconnaîtrait Véronique dans la ravissante Hélène en toilette de bal (couplets d'Hélène : « Voyons, ma tante »). Les invités au bal de la Cour arrivent nombreux (chœur : « Bal à la cour ») et parmi eux, avec cette logique de situation qui n'existe que dans l'opérette, Coquenard et son épouse. Le Roi a voulu honorer les vaillants capitaines de la Garde Nationale ! (duetto Coquenard-Agathe : « Aux Tuileries »). On imagine la stupeur du couple Coquenard se trouvant soudain en présence d'Ermerance et de sa nièce et découvrant ainsi leur véritable identité. Florestan se fait traîner de force au bal par Loustot : il ne veut pas oublier Véronique et refuse de se marier. Hélène, pour laisser la liberté du choix à celui qu'elle aime, paie le montant de ses dettes : il ne se mariera donc plus par contrainte. C'est de la bouche le la jalouse Agathe que Florestan apprendra toute la vérité (couplets d'Agathe : « Ma foi, pour venir de province »). Furieux, il déclare que s'il aime Véronique, tout mariage avec Hélène est maintenant impossible. Malgré cette déclaration pleine de dignité, les deux jeunes gens tombent dans les bras l'un de l'autre, car une opérette se termine toujours par le couplet final du bonheur.
(Emmanuel Bondeville, de l’Institut, 1961)
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Ouverture | |||
Acte I - le Temple de Flore |
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01 | Chœur et Scène | Quelle fraîcheur délicieuse ! | Coquenard, Chœurs |
Couplets | Le bel état que celui de fleuriste | Agathe, Fleuristes | |
02 | Couplets en trio | Ah ! la charmante promenade ! | Hélène, Ermerance, Séraphin |
03 | Ensemble | Bonjour, Monsieur Séraphin | Séraphin, Fleuristes |
04 | Couplets | Vrai Dieu ! mes bons amis | Florestan |
05 | Couplets | Quand j'étais baron des Merlettes | Loustot |
06 | Quatuor | Alors tout est fini ? | Hélène, Agathe, Ermerance, Florestan |
07 | Couplets | Petite dinde ! Ah ! quel outrage ! | Hélène |
08 | Finale : Scène | Les voitures sont à la porte | Agathe, Coquenard, Florestan, Chœurs |
Finale : Couplets | D'puis c' matin, cherchant d' l'ouvrage | Hélène, Chœurs | |
Finale : Strette | Allons ! allons d'un pas agile | Hélène, Agathe, Ermerance, Loustot, Coquenard, Florestan, Chœurs | |
Acte II - le Tourne-bride, à Romainville |
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09 | Chœur | Buvons ! buvons à la santé | Séraphin, Invités |
10 | Sortie, Musique de scène, Chœur | Lorsqu'il ne veille pas sur la société | Gardes nationaux |
Rondeau du Tourne-bride | Le Tourne-bride est, mes amis | Agathe, Chœurs | |
11 | Duetto de l'Âne | De ci, de là | Hélène, Florestan |
11bis | Sortie | ||
12 | Duo de l'Escarpolette | Ah ! méchante, vous voulez rire ! | Hélène, Florestan |
12bis et 12ter | Musique de scène | ||
13 | Ronde | Lisette avait peur du loup | Agathe, Chœurs |
13bis | Musique de scène | ||
14 | Couplets | Une grisette mignonne | Florestan |
15 | Finale : Chœur | Holà, Madame Séraphin ! | Hélène, Denise, Ermerance, Loustot, Coquenard, Florestan, Séraphin, Chœurs |
Finale : la Lettre | "Adieu, je pars" | Florestan | |
Finale : Strette | Puisque l'ingrate Véronique | Agathe, Loustot, Coquenard, Florestan, Chœurs | |
Acte III - Un salon aux Tuileries |
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Entr'acte | |||
16 | Introduction et Chœur | Chut ! Chut ! | Ermerance, Demoiselles du Palais |
Romance | De magasin, la simple demoiselle | Ermerance | |
17 | Couplets | Voyons, ma tante | Hélène |
18 | Chœur | Bal à la cour ! | Invités |
Danses : Quadrille ; Ballabile-Valse | |||
Couplets en Duo | Aux Tuileries | Agathe, Coquenard | |
18bis | Sortie | Bal à la cour ! | Invités |
19 | Quartette | Oh ! Ah ! Ciel ! | Hélène, Agathe, Ermerance, Coquenard |
20 | Couplets | Ma foi ! Pour venir de province | Agathe |
21 | Duetto | Eh ! bien, par ordre procédons | Hélène, Florestan |
21bis | Musique de scène | ||
22 | Finale | Par une faveur insigne | Hélène, Agathe, Ermerance, Florestan, Loustot, Coquenard |
LIVRET
Enregistrements accompagnant le livret
- Version intégrale 1953 : Geori Boué (Hélène) ; Mary Marquet (Ermerance) ; Geneviève Moizan (Agathe) ; Sophie Mallet (Denise) ; Jackie Rollin épouse Sardou (Tante Benoît) ; Chantal de Rieux (Céleste) ; Micheline Castellier (Zoé) ; Roger Bourdin (Florestan) ; Max de Rieux (Loustot) ; Marcel Carpentier (Coquenard) ; Robert Destain (Séraphin) ; Roland Bourdin (Robert) ; Claude Jourdain (René) ; Orchestre et Chœurs dir. Pierre Dervaux ; réalisation Max de Rieux ; Decca 455.559 et 455.560, enr. en 1953.
- Version anthologique 1961 : Liliane Berton ; Suzanne Auret ; Rémy Corazza ; Emile Peters ; Orchestre des Concerts de Paris dir. André Gallois ; Guilde Internationale du Disque MMS.2228, enr. en 1961.
Léonie Laporte (Ermerance) et Brunais (Séraphin) dans l'acte I lors de la création
[en rouge, les parties chantées]
ACTE PREMIER
Une boutique de fleuriste à l'enseigne du « Temple de Flore », sur le Boulevard de la Madeleine. A droite, en pan coupé la porte d'entrée. A gauche, un escalier montant à une galerie sur laquelle donnent des portes. Porte sous la galerie. Portes vers le fond à gauche, derrière la rampe de l'escalier, des caisses d'orangers, comptoirs, etc.
SCÈNE PREMIÈRE SOPHIE, IRMA, HÉLOISE, ZOÉ, ÉLISA, CÉLESTE, ACHETEURS et ACHETEUSES, puis COQUENARD, puis AGATHE.
Au lever du rideau, grand mouvement. Les acheteurs et les acheteuses vont et viennent, servis par les fleuristes.
CHŒUR. Quelle fraîcheur délicieuse ! Que ces bouquets Sont coquets Et bien faits ! Que leur senteur est capiteuse ! Admirez/Admirons ces frais bouquets, Rose, jasmin ou tubéreuse ! Admirez/Admirons ces frais bouquets, Mais avant tout achetez-les !/achetons-les !
COQUENARD, paraissant sur l'escalier, avec joie. Spectacle qui m'enchante ! Je vois aller la vente Et grâce aux produits de mon art Je rends fameux le nom de Coquenard !
TOUS. Salut à monsieur Coquenard !
COQUENARD. Oui, soit dit sans le moindre fard, Je suis, et ce titre m'honore,
Le seul, le vrai, l'illustre
Coquenard,
TOUS. Salut à monsieur Coquenard !
COQUENARD, voyant s'ouvrir une des portes de la galerie supérieure. Je vais doubler votre allégresse ! Allant prendre par la main Agathe qui arrive de gauche. Vous avez vu le dieu, mais voici la déesse : Incessu patuit, Agathe Coquenard !
TOUS. Salut, madame Coquenard !
AGATHE.
Le bel état que celui de fleuriste ! On est femme et l'on est artiste Et, vivant au milieu des fleurs, On leur prend leurs riches couleurs !... Aussi, mesdemoiselles, Fraîches comme elles Et toutes belles, Nous pouvons passer pour leurs sœurs !
Voyez, messieurs, voyez, mesdames, Voyez les roses, les œillets : Tous les parfums, toutes les gammes Depuis les lys jusqu'aux bluets ! Choisissez ce qui peut vous plaire Et mettez tous, pour quelques francs, Des fleurs à votre boutonnière, A vos corsages, du printemps !
Approchez-vous, tout est à vendre ! Mais, halte là !... Quand je dis tout, Il s'agit de bien nous comprendre — Ceci, pour les messieurs surtout ! Dans les fleurs de mon étalage J'en sais une que voudraient tous : Mais celle-là, fleuriste sage, Doit la garder pour son époux !...
Le bel état que celui de fleuriste ! On est femme et l'on est artiste Et, vivant au milieu des fleurs, On leur prend leurs riches couleurs !... Aussi, mesdemoiselles, Fraîches comme elles Et toutes belles, Nous pouvons passer pour leurs sœurs ! La musique continue à l'orchestre pendant les répliques qui suivent, jusqu'à la fin de la scène.
COQUENARD, à une acheteuse qu'il achève de servir. Voici votre piquet de roses, madame... De Provins, directement... (saluant.) Madame... L'acheteuse sort.
AGATHE, à un acheteur. Votre bouquet sera remis sans faute à la personne, monsieur... Et je suis certaine qu'après cela on vous fera l'accueil le plus aimable... (Saluant.) Monsieur... (A une dame qui s'en va sans avoir rien acheté.) Vous n'avez rien trouvé qui vous plaise, madame ?... Si vous voulez repasser demain, nous attendons des arrivages superbes... Les acheteurs et les acheteuses ont successivement quitté la boutique. Les fleuristes s'occupent, les unes à tout remettre en ordre, les autres à confectionner des bouquets. — La musique s'arrête.
SCÈNE II LES MÊMES, moins les ACHETEURS et les ACHETEUSES.
COQUENARD, qui va et vient avec impatience. Agathe !... (Agathe, absorbée, ne l'entend pas.) Agathe !...
AGATHE, sursautant. Monsieur Coquenard ?
COQUENARD. Quelle heure est-il ?
AGATHE. Neuf heures, mon ami... Elle retombe dans ses réflexions.
COQUENARD. Neuf heures... En ce moment, la compagnie se réunit pour l'élection de son capitaine... Etant candidat, je trouve plus digne de ne pas assister à la réunion, mais je suis sur des charbons !... Capitaine... dire que je me coucherai peut-être capitaine, comme Turenne... sur l'affût d'un canon... et si la patrie était en danger, je pourrais voler à son secours en criant : (D'une voix retentissante.) Aux armes !...
TOUTES LES FLEURISTES, effrayées. Ah !
AGATHE. Que c'est bête... J'ai cru que c'était le feu !...
SOPHIE. Qu'est-ce qu'il y a donc ?
COQUENARD. Rien, mademoiselle, rien !... Vaquez à vos occupations... continuez à vaquer... Vous ne pouvez rien comprendre à ce cri sorti de la poitrine d'un soldat... (A lui-même.) Oh ! la gloire !... les lauriers !... (Il se trouve nez à nez avec une dame qui entre dans la boutique. Changeant de ton et très aimable.) Madame désire ?... Un laurier ?... Non... pardon !... je voulais dire : un myrte ? Le myrte convient mieux au beau sexe. Allons ! une vendeuse... Mademoiselle Sophie...
SOPHIE. Voilà... (Allant à la dame.) Madame.
COQUENARD. A propos de vendeuse... Agathe ? (Voyant qu'Agathe ne répond pas.) Agathe ?
AGATHE, sursautant comme plus haut. Mon ami ?
COQUENARD. Personne ne s'est présenté depuis que nous avons affiché hier à notre vitrine : « On demande pour la vente deux demoiselles d'un physique engageant » ?
AGATHE. Personne.
COQUENARD. Tant pis ! Car la besogne presse... Les affaires augmentent tous les jours, notre magasin « Au Temple de Flore », est devenu le plus achalandé de la capitale, et, comme l'a si bien dit M. Guizot, il faut des serviteurs pour les institutions (S'apercevant qu'Agathe ne l'écoute plus.) Ah ! ça !... Agathe !... Agathe !...
AGATHE. Mon ami ?...
COQUENARD Qu'est-ce que tu as, à la fin ?
AGATHE. Mais je n'ai rien...
COQUENARD. Je te demande pardon !... Depuis quelques jours tu es préoccupée, mélancolique, avec des accès d'attendrissement... Cette nuit...
AGATHE, effarouchée. Evariste !...
COQUENARD. Tu n'y es pas !... Cela, je ne te le reprocherai jamais !... Au contraire (Reprenant.) Cette nuit tu as rêvé...
AGATHE, vivement, avec inquiétude. Tout haut ?
COQUENARD. Tout haut !
AGATHE, à part. Sapristi !
COQUENARD. Tu appelais…
AGATHE. Qui ?
COQUENARD. Je n'ai pas pu distinguer... Mais ta voix était suppliante... Je te dis que tu as quelque chose...
AGATHE. Eh bien ! oui !...
COQUENARD. Quoi ?
AGATHE. Une erreur de vingt-cinq centimes dans mes comptes de la semaine dernière.
COQUENARD. Et c'est pour vingt-cinq centimes que...
AGATHE.
Dame !... cinq sous ou mille francs,
c'est toujours une erreur... et, dans le commerce, il n'en faut pas... COQUENARD. C'est vrai... (A part.) Neuf heures et demie... on vote... (Haut.) Ah ! Agathe !... quand on pense qu'à l'heure qu'il est, je le suis peut-être !...
AGATHE, vivement. Tu pourrais supposer !...
COQUENARD. Je fais plus que le supposer je l'espère...
AGATHE, étonnée. Hein ?
COQUENARD, se posant. Capitaine !...
AGATHE, avec un soupir de soulagement. Ah ! bon !
COQUENARD. Quoi ?
AGATHE. Rien ! je crois que je tiens mon erreur !... Je cours m'en assurer. (A part, en montant l'escalier.) Il m'a fait une peur !... Ah ! Florestan ! Florestan ! Quel regret de vous avoir aimé ! Elle disparaît.
SCÈNE III LES MÊMES, moins AGATHE.
Je ne tiens plus en place !... (Aux fleuristes.) Allons, mesdemoiselles !... Un peu d'activité, d'entrain !... Mademoiselle Héloïse, arrangez-moi cet étalage... Il manque de pittoresque...
HÉLOÏSE. Bien, monsieur...
COQUENARD. Mademoiselle Céleste ?
CÉLESTE. Monsieur ?...
COQUENARD. Avez-vous préparé les camélias pour la comtesse de Noisy ?
CÉLESTE. Les voilà dans ce carton...
COQUENARD. Parfait !... montez déjeuner tout de suite pour être prête plus tôt et les lui porter... C'est une cliente qu'il ne faut pas faire attendre... (Céleste s'en va par l'escalier.) Et vous, mademoiselle Sophie, approchez !
SOPHIE, se plantant devant lui. Voilà, monsieur...
COQUENARD.
Je vous défends de me regarder avec ces
yeux-là ! SOPHIE. Tiens ! Avec quoi faut-il qu'on vous regarde ?
COQUENARD. Avec ce que vous voudrez, mais pas avec vos yeux !... (L'examinant, à part.) ils sont troublants ses yeux !... Ah ! si je n'étais pas le père de mes employées ! Il se met machinalement à la caresser.
SOPHIE. Hi ! hi !... Vous me chatouillez !...
COQUENARD, avec un bon sourire. Je vous chatouille vraiment ?... Il continue.
SOPHIE, se tordant. Hi ! hi ! hi !...
COQUENARD, rappelé à lui-même, et à part. Eh bien !... Qu'est-ce que je fais donc ? (Haut d'un ton paternel.) C'est par bonté, mon enfant... par intérêt... l'intérêt que je porte à toutes mes collaboratrices !... Allez !
SOPHIE, sans bouger. C'est tout ce que Monsieur me voulait ?
COQUENARD. Non !... Si !... Je ne sais plus... (A part.) Oh ! ces yeux !... Allons arroser mes géraniums, ça me calmera... Il prend un arrosoir et sort par la porte qui se trouve sur le palier de l'escalier, à gauche.
SCÈNE IV SOPHIE, IRMA, HÉLOÏSE, ZOÉ, ÉLISA, puis CÉLESTE.
A peine Coquenard a-t-il disparu que toutes se lèvent et entourent Sophie.
IRMA. Qu'est-ce qu'il t'a dit, le patron ?
SOPHIE. Rien encore... Il tourne, il tourne...
ZOÉ. Pourquoi ça, qu'il tourne ?
SOPHIE. Est-elle bête, cette petite Zoé !...
HÉLOÏSE. C'est si jeune !... Le fait est que c'est un bien bel homme, le patron.
ÉLISA. Je te crois !... et des manières !... Moi, j'aime ça, les belles manières !...
SOPHIE. As-tu fini !... Ah ! je sens bien que le jour où il voudra me payer une toilette...
ZOÉ. Qu'est-ce que vous ferez ?...
SOPHIE, la toisant. Rien !... des crêpes !... (Toutes rient.) Après tout, il aurait bien tort de se gêner... sa femme lui donne l'exemple...
IRMA. Quant à ça... ce jeune vicomte qui vient ici tous les jours depuis plus de trois mois...
ÉLISA. Le vicomte Florestan !... Un bien gentil garçon… Et distingué !...
HÉLOÏSE. Je t'en prie, laisse-nous tranquilles avec ta distinction !... (Aux autres.) Mais vous ne savez pas la nouvelle ?...
TOUTES, se pressant. Quoi ?... Quoi ?...
HÉLOÏSE. Il la lâche !
TOUTES. Vraiment ?
HÉLOÏSE. Oui, mes chères... On se marie… on fait une fin...
IRMA. C'est donc ça que madame Coquenard est de si mauvaise humeur depuis quelques jours ?
HÉLOÏSE. Juste !
CÉLESTE, paraissant en haut de l'escalier. Mesdemoiselles, je vous annonce que le café au lait vous attend.
ZOÉ. Il ne faut pas le faire languir... Vite, au déjeuner !
TOUTES. Au déjeuner ! Elles montent vivement.
CÉLESTE. Dépêchez-vous... j'ai une course à faire quand vous aurez fini... (Restée seule.) En attendant, je vais me préparer. Elle entre à gauche.
SCÈNE V HÉLÈNE, ERMERANCE, SÉRAPHIN.
Musique. — Hélène et Ermerance en élégantes toilettes du matin paraissent à droite, pan coupé, suivies de Séraphin en tenue de piqueur, tunique sanglée, culotte blanche, bottes, chapeau à cocarde.
I HÉLÈNE. Ah ! la charmante promenade ! Qu'au matin, Paris est joyeux ! Partout ce sont des amoureux Echangeant une tendre aubade, Et le gai salut des pinsons Aux ouvrières matinales, Leurs compagnes et leurs rivales, Qui vont prodiguant les chansons !
O ma tante ! ma bonne tante ! Nous devrions, c'est bien certain, Ne jamais sortir qu'au matin !
ERMERANCE. J'y consens, si ça te contente...
SÉRAPHIN, planté immobile an fond, à droite, près de la porte, à part. Eh ben ! Eh ben ! Ce sera gai pour le larbin !
II HÉLÈNE. Combien de surprises m'enchantent ! J'ignorais qu'il fût des commis, Jolis garçon et très bien mis, De braves ouvriers qui chantent Et des grisettes, sous le ciel, Descendant des faubourgs, pareilles A d'infatigables abeilles Qui s'en vont butiner le miel !
O ma tante ! ma bonne tante ! Nous devrions, c'est bien certain, Ne jamais sortir qu'au matin !
ERMERANCE. J'y consens, si ça te contente !
SÉRAPHIN, même jeu que plus haut. Eh ben ! Eh ben ! Ce sera gai pour le larbin !
ERMERANCE, regardant autour d'elle. Eh bien !... la boutique est déserte !... Je ne m'étonne plus qu'on ait affiché à la porte un écriteau demandant deux demoiselles… ça manque de personnel, ici !
HÉLÈNE. Qu'importe, ma bonne tante !... nous ne sommes pas pressées...
SÉRAPHIN, entre ses dents. C'est que je le suis, moi !
ERMERANCE, se retournant. Hein ?.. Vous avez dit, monsieur Séraphin ?
SÉRAPHIN, au port d'armes. Rien du tout, madame la comtesse.
ERMERANCE. Vous murmurâtes, il me semble...
SÉRAPHIN. Je murmurâte !... Eh bien oui, tout de même !... Mais timidement, madame la comtesse... Bien timidement... comme un faible agneau... Pensez que je me marie aujourd'hui !...
ERMERANCE. Bah !... à midi seulement !
SÉRAPHIN. Oui, mais la noce a lieu extra-muros, comme qui dirait, à la campagne... Aussi je ne dissimulerai pas à madame la comtesse Ermerance de Champ d'Azur ni à mademoiselle Hélène de Solanges, qu'en ce moment, ma douce fiancée Denise, doit piétiner, et que moi je piaffe...
ERMERANCE. Vous piaffez !...
SÉRAPHIN. Oh ! comme un faible agneau !
ERMERANCE. C'est bon !... Allez piaffer dehors... Nous n'en avons pas, du reste, pour longtemps...
SÉRAPHIN. J'y vais, madame la comtesse !... (A part.) C'est égal !... De service un jour de noces, c'est dur ! Heureusement que j'ai la nuit en perspective...
ERMERANCE. Qu'est-ce que vous dites encore ?
SÉRAPHIN. Rien du tout, madame la comtesse... C'est des petites réflexions à moi... Il sort par la droite et on l'aperçoit faisant les cent pas sur le boulevard.
SCÈNE VI HÉLÈNE, ERMERANCE.
HÉLÈNE, regardant s'éloigner Séraphin. Pauvre garçon !... il est pressé... Je dois comprendre ça, moi qui dois me marier aussi !
ERMERANCE. Oh ! pas aujourd'hui !
HÉLÈNE. Presque !... puisque c'est ce soir qu'a lieu la présentation... Il y a huit jours, la reine Marie-Amélie me fait appeler et me dit : Ma chère enfant, vous avez dix-huit ans ; je vous ai déjà donné une preuve de ma royale amitié en vous attachant à ma personne en qualité de demoiselle du Palais. Je vais vous en donner une seconde : le roi et moi, nous avons fait choix pour vous d'un époux...
ERMERANCE. Le vicomte Florestan de Valaincourt...
HÉLÈNE. Attaché du cabinet... Et c'est ce soir qu'on nous présente l'un à l'autre au bal des Tuileries... Aussi, vous jugez de mon impatience !... Car, si le vicomte ne me connaît pas...
ERMERANCE. Tu le connais, toi... et tu le trouves ?...
HÉLÈNE. Charmant ! c'est vrai... Mais pas curieux, par exemple... Comprenez-vous que, depuis huit jours, il n'ait pas une seule fois cherché à me voir !... Voyons, ma tante, vous avez été mariée...
ERMERANCE, soupirant. Hélas !...
HÉLÈNE. Eh bien ! Est-ce que feu le comte de Champ d'Azur, mon oncle, n'était pas plus empressé que ça ?
ERMERANCE. Il l'était trop, ma nièce... C'est ce qui fait qu'il n'a pas duré très longtemps... Six mois de mariage, et je suis restée avec un grand vide...
HÉLÈNE. Au cœur !...
ERMERANCE. Au cœur !... (A part, en soupirant.) Partout !
SCÈNE VII LES MÊMES, CÉLESTE.
CÉLESTE, revenant et les apercevant. Comment ! Ces dames sont seules !... Oh ! que d'excuses !... Il fallait appeler !... le magasin déjeune !... qu'y a-t-il pour votre service, mesdames ?
ERMERANCE. Nous voudrions voir des garnitures de corsage pour un bal...
CÉLESTE. Si ces dames veulent me suivre, elles pourront choisir elles-mêmes les fleurs sur pied.
HÉLÈNE. C'est ça, conduisez-nous.
CÉLESTE, ouvrant une porte du fond à gauche, sous la galerie. Par ici...
HÉLÈNE, entrant. Allons, ma tante...
ERMERANCE. Voilà !... (A part, suivant son idée.) Oui, partout !... Elle entre à son tour, suivie de Céleste. Séraphin qui, en passant et repassant, s'est arrêté à la porte, les voit entrer.
SCÈNE VIII SÉRAPHIN, puis SOPHIE, IRMA, HÉLOÏSE, ZOÉ, ÉLISA.
SÉRAPHIN, entrant. Eh bien !... les voilà qui s'en vont flâner ailleurs... Bon sang de bon sang !... Elles n'en finiront pas ! Et pendant ce temps-là, ma Denise continue à piétiner ! C'est-il bisquant tout de même !...
SOPHIE, paraissant sur l'escalier. Allons, mesdemoiselles, remettons-nous au travail. Elle descend avec les autres.
ZOÉ. Tiens ! un client !...
SOPHIE. Mais non c'est un domestique !...
SÉRAPHIN, à part. Les demoiselles de magasin... Cristi !... On se met bien dans les fleurs !...
IRMA, allant à lui. Vous désirez, mon garçon ?
SÉRAPHIN. Rien... C'est-à-dire, si ! Je désirerais m'en aller…
Qui vous en empêche ?
SÉRAPHIN. J'attends mes bourgeoises qui sont là…
HÉLOÏSE. Eh bien ! Attendez-les... Est-ce que vous avez peur de vous ennuyer avec nous ?
SÉRAPHIN. Je ne dis pas ça... En temps ordinaire, je suis même sûr que je m'amuserais beaucoup... mais pas aujourd'hui...
ÉLISA. Pourquoi, pas aujourd'hui...
SÉRAPHIN. Parce qu'aujourd'hui les femmes ne comptent pas pour moi.
ZOÉ. Vraiment ?...
SÉRAPHIN. Oui... Rien à faire, mesdemoiselles... il n'y en a plus qu'une, une seule !... Denise Badureau, ma fiancée, qui, avant midi, sera madame Séraphin.
IRMA. Séraphin ! Il s'appelle Séraphin !...
TOUTES. Séraphin !...
SÉRAPHIN. De père en fils... C'est suave, n'est-ce pas ?
SOPHIE. Je crois bien !... (Bas aux autres.) Il a une bonne tête, le Séraphin !
I TOUTES, l'entourant. Bonjour, monsieur Séraphin Souffrez qu'on vous félicite ! Un garçon d'un tel mérite Doit être heureux, c'est certain ! Vous avez fort bonne mine, L'œil est vif et provocant, Le profil est élégant Et la jambe parait fine... Enviable est le destin De madame Séraphin !
SÉRAPHIN, se rengorgeant. C'est aussi ce que je pense Et Denise a de la chance !
TOUTES, riant. Ah ! Ah ! Ah !
SÉRAPHIN, riant de les voir
rire.
[ LES FLEURISTES. [ C'est amusant, en vérité [ Il se pavane, il fait la roue [ Et ne voit pas que l'on se joue. [ De sa naïveté ! [ [ SÉRAPHIN. [ C'est fort honnête, en vérité ! [ Et de votre accueil je me loue [ Je suis touché, je vous l'avoue, [ De tant d'urbanité !
II TOUTES. Bonjour, monsieur Séraphin, Si l'on se sentait jalouse, On en voudrait à l'épouse Qu'attend un si bel hymen. Soyez heureux et prospère Et puisse-t-elle bientôt Vous présenter un marmot Dont vous serez bien le père !... Enviable est le destin De madame Séraphin !
SÉRAPHIN. C'est aussi ce que je pense Et Denise a de la chance !
TOUTES, riant. Ah ! Ah ! Ah !
SÉRAPHIN, riant de les voir
rire.
[ LES FLEURISTES. [ C'est amusant, en vérité [ Il se pavane, il fait la roue [ Et ne voit pas que l'on se joue. [ De sa naïveté ! [ [ SÉRAPHIN. [ C'est fort honnête, en vérité ! [ Et de votre accueil je me loue [ Je suis touché, je vous l'avoue, [ De tant d'urbanité !
SCÈNE IX
LES MÊMES, COQUENARD. COQUENARD, paraissant à droite, deuxième plan. Eh bien ! mesdemoiselles ! Qu'est-ce que vous faites ?
TOUTES. Oh ! le patron ! Elles se séparent vivement.
COQUENARD. Il me semble qu'on musarde au lieu de travailler… Et nous avons un lot de camélias qui arrive...
SOPHIE. Nous y allons, monsieur ! Elle s'en va avec Irma, à gauche, par la porte du palier.
COQUENARD, apercevant Séraphin de dos. Un uniforme !... Mon sort est décidé... (Séraphin se retourne et met son chapeau.) Non, c'est un domestique. Il m'a flanqué une émotion !... (A Séraphin.) Qu'est-ce que vous demandez ?
SÉRAPHIN. J'attends mes bourgeoises qui n'en finissent pas.
COQUENARD. Allez les attendre dehors !
SÉRAPHIN. On y va !... (A part.) Pas commode, l'homme aux fleurs... il est plein d'épines... (En sortant.) Bon sang de bon sang ! Que je me fais t'y donc vieux !... Je vais toujours me faire friser... Ça me gagnera du temps.
COQUENARD, à part. Ce retard commence à m'inquiéter... Serais-je en ballottage ?... (A Héloïse et Élisa.) Mesdemoiselles, vos comptoirs sont en désordre !... Allons ! Allons !... un peu plus de zèle !
ZOÉ, qui était remontée, paraissant au haut de l'escalier. Madame fait dire à monsieur que son café au lait est froid...
COQUENARD. C'est vrai !... Je l'avais oublié... (En montant.) Je ne sais plus où j'en suis... (D'en haut.) S'il vient une lettre... ou un tambour... ou les deux à la fois, vous m'appellerez immédiatement... Il disparaît.
ÉLISA. Qu'est-ce qu'il a donc le patron, ce matin, à nous secouer comme ça ?
HÉLOÏSE. Je ne sais pas... Il se sera peut-être aperçu de quelque chose pour madame...
ÉLISA. Ça, ça serait drôle !... Elles ont pris sur le comptoir des fleurs et des plantes et se dirigent vers le fond à droite, sous la galerie où elles entrent, pendant que Hélène, Ermerance et Céleste reviennent par le fond à gauche.
SCÈNE X
ERMERANCE. C'est bien entendu, mademoiselle, ce soir avant huit heures ?
CÉLESTE. Ces dames peuvent y compter... Vous permettez ? Le temps de prendre ce carton et je vous reconduis. Elle va au comptoir.
ERMERANCE. Ne vous dérangez pas...
CÉLESTE. Si ! Si ! Je suis à vous !
HELENE, qui avait pris les devants, s'arrêtant à la porte, à mi-voix. Ah ! ma tante !
ERMERANCE. Quoi ?
HÉLÈNE. Le vicomte de Valaincourt avec des amis !... Il vient de ce côté.
ERMERANCE. Désigne-le moi. Je serais enchantée de le connaître.
HÉLÈNE. Restons !... Vous pourrez l'apprécier tout à votre aise. Et puis, je ne serais pas fâchée de savoir ce qu'il vient faire ici...
ERMERANCE. Ma foi, la curiosité l'emporte ! (A Céleste qui attend, son carton à la main.) Réflexion faite, mademoiselle, nous avons d'autres choix à faire... Ne vous occupez pas de nous...
CÉLESTE. Mais je vais appeler...
ERMERANCE. C'est inutile... allez...
CÉLESTE. Comme ces dames voudront... Mesdames... Elle salue et sort.
HÉLÈNE, qui a rouvert la porte par où elles venaient de sortir. Vite, ma tante...
ERMERANCE, gaîment. Ça a tout le parfum d'une aventure ! Elle rentre à gauche avec Hélène. — Musique.
SCÈNE XI ZOÉ, puis SOPHIE, IRMA, HÉLOÏSE, ÉLISA, puis FLORESTAN, OCTAVE, FÉLICIEN, puis COQUENARD et AGATHE.
ZOÉ, descendant vivement par l'escalier. Mesdemoiselles ! Mesdemoiselles !... Voici le vicomte !
SOPHIE, accourant avec les autres. Le vicomte Florestan !
ZOÉ. Avec ses amis !... Je les ai aperçus de là-haut !
TOUTES, courant au fond. Mais oui !
ZOÉ. Quelle chance ! Ils sont si gais ! Elles se sont toutes rangées sur le passage des jeunes gens qui arrivent.
FLORESTAN, entrant avec ses deux amis. Bonjour, mes belles !... A Octave et à Félicien.
Jean Périer (Florestan) dans l'acte I lors de la création
Couplets.
I …Vrai Dieu ! mes bons amis, Pour qui sait employer la vie Il n'est tel qu'un grain de folie : A vingt ans, c'est le paradis ! Nous avons pour nous la jeunesse, Il faut gaîment en profiter : Quel chagrin peut-on redouter Entre les bras d'une maîtresse ?
Matin et soir, la nuit, le jour, Aimant la brune, aimant la blonde, Il n'est qu'un seul refrain au monde : Vivent les femmes et l'amour ! Aimant la brune, aimant la blonde, Chantons, amis, les femmes et l'amour. Non ! rien ne vaut l'amour !
II L'amour c'est le soleil, Dont l'ardeur enivre notre âme, Et c'est lui qui donne à la femme Ce charme à nul autre pareil ! Loin de nous les esprits moroses Qui veulent nous moraliser : La morale, c'est le baiser : Cueilli sur deux lèvres bien roses !
Matin et soir, la nuit, le jour, Aimant la brune, aimant la blonde, Il n'est qu'un seul refrain au monde : Vivent les femmes et l'amour ! Aimant la brune, aimant la blonde, Chantons, amis, les femmes et l'amour. Non ! rien ne vaut l'amour !
TOUTES, l'entourant. Bonjour, monsieur le vicomte !...
OCTAVE. Ce Florestan ! Il n'y en a que pour lui !
FÉLICIEN. Toutes les femmes en raffolent !
FLORESTAN. De même que je raffole de toutes les femmes.
TOUTES, riant. Ah ! Ah !
COQUENARD, qui a paru sur l'escalier avec Agathe. Je le disais bien !... Ces rires ! Cette gaîté !... Ça ne pouvait être que le vicomte !
FLORESTAN. Lui-même, mon cher Coquenard... (A Agathe.) qui vient vous exprimer, madame, toute sa tristesse de renoncer à une existence à laquelle le rattachaient tant de souvenirs... (Bas.) et dont il gardera tant de regrets...
AGATHE, de même. On ne le dirait pas !
FLORESTAN. Mais que voulez-vous ? Tout conspire contre moi, y compris le roi Louis-Philippe lui-même, qui devrait pourtant être dégoûté des conspirations !... Il a fait appeler le duc Horace de Valaincourt, mon oncle, qui est grand intendant du palais, et lui a dit qu'après m'avoir attaché à son cabinet, il ne pouvait tolérer plus longtemps ma vie de plaisir et de dissipation.
COQUENARD. Le fait est que vous vous en êtes donné !
FLORESTAN. Pas encore assez !... mais c'est fini !... Pour y couper court, le roi exige que je me marie et, ce soir, au bal des Tuileries, on me présente ma fiancée, une jeune fille de l'entourage de la reine, mademoiselle Hélène de Solanges...
AGATHE. Que vous aimez, sans doute ? Elle va à droite, du côté de la devanture.
FLORESTAN, allant à elle. Que je ne connais pas, et que je n'ai même pas voulu voir avant le moment fatal... Il pose son chapeau et sa canne sur une chaise à droite.
AGATHE. Alors, il fallait dire non !...
FLORESTAN. Impossible !... mon oncle avait trop bien pris ses mesures... Il s'est procuré, sans beaucoup de peine du reste, une jolie petite lettre de change de vingt mille francs signée de moi, dûment protestée et munie d'une contrainte en bonne forme... Puis il m'a proposé cette alternative : le mariage ou Clichy !... Comment résister à de pareils arguments ?... Tenez ! En ce moment, je suis même gardé à vue...
AGATHE. Gardé à vue !
FLORESTAN. Oui... il y a là à la porte, un garde en faction !
Un homme en faction !... Un garde national peut-être... Le tambour avec ma nomination...
FLORESTAN. Ce n'est pas un tambour... C'est M. Loustot... Charmant garçon, d'ailleurs et que je vous demande la permission de vous présenter... (Allant au fond.) Entrez donc, cher ami !...
SCÈNE XII LES MÊMES, LOUSTOT.
LOUSTOT, à la porte du fond. Monsieur le vicomte me fait l'honneur de m'appeler ? Il entre, redingote râpée, chapeau usé, l'air pauvre.
FLORESTAN, le présentant. Mesdames et messieurs, mon inséparable, mon second moi-même, mon ange gardien, mon ombre, monsieur Loustot...
LOUSTOT, saluant. Mesdames, messieurs...
FLORESTAN. Le plus aimable des compagnons, j'en conviens, mais le plus intraitable de ces bourreaux de liberté que la Justice nomme des exécuteurs de la loi, et que le commun appelle des recors...
TOUS, avec un mouvement de recul. Oh !...
FLORESTAN. Mais pas un recors ordinaire... Devinez, mesdames et messieurs, quelle personnalité se cache sous les habits râpés et le chapeau douteux de Loustot ? Tout simplement, le noble rejeton d'une ancienne famille, le baron des Merlettes.
LOUSTOT, se rengorgeant. Branche aînée.
COQUENARD, surpris. Un recors qui est baron...
LOUSTOT. Authentique !... Il y a deux ans à peine, je brillais au firmament de la jeunesse dorée, tout comme le vicomte... et aujourd'hui... la fortune a de ces vicissitudes !
COQUENARD. Mais par suite de quelles circonstances.
LOUSTOT. Les circonstances, elles se résument en un mot : les femmes !
AGATHE. Les femmes ?
LOUSTOT. Et ferme !... (A Agathe.) Surtout quand elles étaient jolies, comme vous, ma belle...
AGATHE. Trop aimable !
COQUENARD, à Loustot. Ma femme.
LOUSTOT. Ma foi ! Vous en avez bien l’air !...
Couplets.
I Quand j'étais baron des Merlettes, Toutes les femmes m'adoraient ; Femmes du monde ou bien grisettes, Le jour, la nuit, m'accaparaient ! De mon grand nom pour être digne Je n'eus d'autres lois que mon goût, Mais l'heure sonna de la guigne, De mon argent je vis le bout ! Quelles débâcles sont les nôtres ! Clichy voulut me retenir, Et je ne vis pour en sortir Qu'un moyen : y fourrer les autres !...
Et voilà comment, aussitôt, Des Merlettes devint Loustot, Comment, pour expier mes torts, Je dus m'engager dans le corps Des recors !
II C'est un emploi, je le confesse, Qui manque plutôt de vernis, Mais j'y fréquente la noblesse Et j'y retrouve des amis ! J'y fais de belles connaissances Qui pourront me servir un jour, A moins qu'ayant les mêmes chances Elles ne me prennent mon tour. Enfin, pour ma nouvelle vie, Trop pleine d'abdication, Si j'ai peu d'inclination, J'ai beaucoup de philosophie !...
Et voilà comment, en un mot, Des Merlettes devint Loustot, Comment, pour expier mes torts, Je dus m'engager dans le corps Des recors !
... Du reste, je n'avais pas le choix... Le garde du commerce qui m'avait coffré, mettait ma liberté à ce prix...
COQUENARD, à Loustot. Si jamais je dois être conduit à Clichy, je vous promets ma pratique...
LOUSTOT. A votre service !...
FLORESTAN. Mais ce soir, baron, votre philosophie aura sa récompense...
LOUSTOT. C'est vrai... Le duc, votre oncle, m'a promis qu'aussitôt votre contrat signé je toucherai la forte prime... Six mois de noce au moins !... Vicomte, je vous promets de vous inviter.
FLORESTAN. En attendant, c'est moi qui vous invite... Oui !... J'entends employer gaîment mon dernier jour de liberté !... (bas à Agathe.) En vous le consacrant... (Haut.) J'emmène tout le magasin à Romainville.
LES FLEURISTES, avec joie. Ah !
LOUSTOT. Je vous recommande le restaurant du Tourne Bride... J'étais un habitué... de mon temps...
FLORESTAN, à Agathe. Est-ce dit ?
AGATHE. Dame ! C'est bien tentant...
COQUENARD. Mais permettez... Et la vente ?...
FLORESTAN. Bah ! pour combien vous reste-t-il de fleurs ?
COQUENARD. Dame... deux mille, deux mille deux, à peu près…
FLORESTAN. J'achète le tout !
TOUS. Oh !
AGATHE, à part. Il est superbe !
COQUENARD, à part. J'aurais dû dire trois...
FLORESTAN. Fleurissez-vous, mes toutes belles...
TOUTES. Ah ! Elles s'emparent des fleurs.
LOUSTOT, à Agathe. Très chic !... De mon temps, je n'aurais pas trouvé mieux !...
FLORESTAN. Eh bien, monsieur Coquenard ?
COQUENARD. C'est sans réplique !... Accepté !...
LES FLEURISTES. Vive le patron !...
FLORESTAN. Allez vite vous préparer, mesdemoiselles.
TOUTES. Oui ! Oui ! Elles se précipitent sur l'escalier.
EDMOND. Nous, nous allons nous occuper des voitures...
JULES. Et prévenir les camarades...
FLORESTAN. C'est ça... (Les jeunes gens s'en vont ; à Agathe.) Et nous tâcherons d'oublier jusqu'à ce soir cette mademoiselle de Solanges que je ne connais pas, mais que je vois d'ici : une bonne demoiselle de province comme les aime la reine, avec des airs modestes, une tournure guindée et des pantalons jusqu'aux chevilles. Ce que les familles appellent une perle et les hommes une petite dinde !...
TOUS, riant. Une petite dinde !...
HÉLÈNE, qui à plusieurs reprises avait rouvert la porte et s'était avancée pour écouter. Petite dinde !... Elle referme vivement la porte et disparaît.
LOUSTOT, à Coquenard. J'en voudrais bien une pareille, moi !... avec beaucoup de truffes !
COQUENARD. Oui... Mais je vous demande pardon... il faut que j'aille m'habiller.
LOUSTOT. Faites donc... (En sortant.) Allons, vicomte ?
COQUENARD, montant l'escalier. Tu viens, Agathe ?
AGATHE, du fond. Je te suis, mon ami...
FLORESTAN, qui reconduit Coquenard. A tout à l'heure, mon cher Coquenard. Coquenard sort par la porte du palier à gauche.
SCÈNE XIII HÉLÈNE, ERMERANCE, AGATHE, FLORESTAN.
HÉLÈNE, reparaissant, très agitée. Partons, ma tante ! (Apercevant Florestan et Agathe) Oh ! Elle se cache vivement avec Ermerance derrière les plantes qui sont en bas de l'escalier.
AGATHE, à Florestan. Restez !... nous avons à causer !...
FLORESTAN, à part. La scène redoutée !... Il n'y avait pas moyen de l'éviter... Moment de silence.
AGATHE. Florestan !...
FLORESTAN, gêné. Agathe !
HÉLÈNE, à part. Il paraît qu'ils se connaissent bien !
AGATHE, avec élan. Mon Florestan !
FLORESTAN, la calmant. Voyons ! Voyons !
Mariette Sully (Hélène), Léonie Laporte (Ermerance), Jean Périer (Florestan) et Anna Tariol-Baugé (Agathe) dans l'acte I lors de la création
AGATHE. Alors, tout est fini ?
FLORESTAN. Le sort le veut ainsi !
AGATHE. Cruel ! Vous oubliez Agathe !
FLORESTAN. Me croyez-vous une âme ingrate ?... Au contraire, je fais serment De penser à vous très souvent.
HÉLÈNE, à part. O perspective qui me flatte !
AGATHE, avec explosion, se jetant dans les bras de Florestan. Mon Florestan ! Pourtant ! Pourtant ! Je t'aimais tant !
FLORESTAN. Voyons ! Chérie ! Je vous en prie !... Si quelqu'un nous voyait !...
AGATHE. Eh bien ! c'est vous qu'on blâmerait !...
[ AGATHE. [ Ah ! je t'en conjure ! [ Ne sois pas parjure ! [ Reste-moi, mon Florestan ! [ Je maudis la créature [ Qui me ravit mon amant ! [ [ FLORESTAN, à part. [ Fâcheuse aventure ! [ Pour une rupture, [ Ça prend difficilement! [ C'est bien gênant, je le jure, [ D'être aimée si tendrement ! [ [ HÉLÈNE, à part. [ Bizarre aventure ! [ Pour une future, [ Le spectacle est régalant ! [ Mais d'une pareille injure [ Il sera puni, vraiment ! [ [ ERMERANCE, à part. [ Bizarre aventure ! [ Avec ma nature, [ Cette scène, assurément, [ Paraît prendre une tournure [ Qui me trouble énormément !
I FLORESTAN. Le mal n'est pas irréparable : Vous trouverez d'autres amours !
AGATHE. Non ! non ! je suis inconsolable ! Je veux pleurer au moins huit jours !
FLORESTAN. Y songez-vous ? huit jours de larmes ! Que deviendront ce teint si blanc, Ces yeux au regard plein de charmes !
AGATHE, s'essuyant les yeux.
HÉLÈNE et ERMERANCE, à part. Charmant ! Charmant ! Au moins, voilà du sentiment ! Charmant ! Charmant ! Il faut voir ça patiemment.
II Voyons ! restons bons camarades, Il faut se faire une raison !
AGATHE. Non ! Non ! Craignez mille algarades Pour payer votre trahison.
FLORESTAN. Et moi, je veux qu'on me pardonne ! Pourrais-tu résister vraiment Aux doux baisers que je te donne !
Ah ! dame ! Vous en ferez tant !
HÉLÈNE, et ERMERANCE, à part. Charmant ! Charmant ! Il faut voir ça patiemment ! Charmant ! Charmant ! Il faut voir ça patiemment !
FLORESTAN, allant remettre son chapeau et prendre ma canne.
Eh bien ! c'est calmé, maintenant
? AGATHE. C'est calmé, mais, pourtant ! Se rejetant dans ses bras. Mon Florestan ! Pourtant ! Pourtant ! Je t'aimais tant !
FLORESTAN, à part. Ah ! mais ça devient fatigant !
REPRISE ENSEMBLE
[ AGATHE. [ Ah ! je t'en conjure ! [ Ne sois pas parjure ! [ Reste-moi, mon Florestan ! [ Je maudis la créature [ Qui me ravit mon amant ! [ [ FLORESTAN, à part. [ Fâcheuse aventure ! [ Pour une rupture, [ Ça prend difficilement! [ C'est bien gênant, je le jure, [ D'être aimée si tendrement ! [ [ HÉLÈNE, à part. [ Bizarre aventure ! [ Pour une future, [ Le spectacle est régalant ! [ Mais d'une pareille injure [ Il sera puni, vraiment ! [ [ ERMERANCE, à part. [ Bizarre aventure ! [ Avec ma nature, [ Cette scène, assurément, [ Paraît prendre une tournure [ Qui me trouble énormément !
FLORESTAN. Voyons ! Voyons !... Ne pensons plus à tout ça et n'attristons pas les dernières heures que nous avons à passer ensemble !... Tâchons qu'elles soient les meilleures, au contraire...
AGATHE, résignée. Je ferai mon possible, mon ami !
FLORESTAN, la conduisant vers l'escalier. Allez vous faire bien belle, pour m'inspirer plus de regrets encore... A tout â l'heure, mon Agathe !...
AGATHE. A tout à l'heure, Florestan... (Elle monte. — S'arrêtant en haut de l'escalier.) Mais c'est bien vrai, au moins ?
FLORESTAN. Quoi ?
AGATHE. Que c'est une petite dinde ?
FLORESTAN. Oui, grosse bête !... (Il lui envoie un baiser. — Agathe disparaît. — A part.) Ouf !... Il sort vivement par la porte de droite.
SCÈNE XIV HÉLÈNE, ERMERANCE.
HÉLÈNE, sortant de sa cachette. Eh bien ! ma tante !... Il me semble que me voilà suffisamment édifiée !... Monsieur Florestan m'épouse parce que le roi le lui impose !... Monsieur Florestan consent à prendre femme parce que c'est la seule façon d'éviter la prison pour dettes !...
ERMERANCE, la calmant.
Allons ! Allons !... L'histoire de ton
vicomte est un peu celle de tous les hommes avant le mariage. HÉLÈNE. Même de M. de Champ d'Azur ?
ERMERANCE. Je ne sais pas... je n'ai jamais approfondi... J'étais si occupée autrement...
HÉLÈNE, se montant de plus en plus. Ah ! je suis une petite provinciale avec des pantalons jusqu'aux chevilles... Ah ! je suis une petite dinde !...
ERMERANCE. Voyons ! Hélène !...
HÉLÈNE, sans l'écouter.
Couplets.
I Petite dinde ! Ah ! quel outrage ! Vraiment, je suffoque de rage ! Pour me traiter du haut en bas Ce monsieur ne me connaît pas !... Il ne sait rien de ma personne, Ni si je suis méchante ou bonne, Ni la couleur de mes cheveux, Ni ce que sont mon nez, mes yeux ! Et, tout gonflé dans sa cravate, Il veut trancher ! Du coup j'éclate !
Ah ! monsieur Florestan ! A nous deux maintenant ! Entre nous c'est la guerre ! Et bientôt, je l'espère, Je vous le prouverai tout sec : La petite dinde a bon bec !
II Et moi, j'allais, pauvre ingénue ! Venir à lui, tremblante, émue ! Je me faisais un doux roman Dont il était le dénouement ! Fière de me dire sa femme, Je lui donnais toute mon âme Et, prête à me laisser charmer, Je ne demandais qu'à l'aimer !... Mais c'est fini ! Brisé, le charme ! Je lui dois ma première larme !...
Ah ! monsieur Florestan ! A nous deux maintenant ! Entre nous c'est la guerre ! Et bientôt, je l'espère, Je vous le prouverai tout sec : La petite dinde a bon bec !
(Appelant.) Séraphin ! Séraphin !...
SCÈNE XV
LES MÊMES, SÉRAPHIN. SÉRAPHIN. Voilà, mademoiselle... Je m'ai fait friser...
HÉLÈNE. Nous n'avons plus besoin de vous... Vous êtes libre jusqu'à ce soir...
SÉRAPHIN. Veine !... Je vole vers ma Denise !
HÉLÈNE. Ah ! Séraphin !...
SÉRAPHIN. Mademoiselle ?...
HÉLÈNE. Je ne sais pas comment sont les pantalons de votre fiancée.
ERMERANCE, la rappelant à l'ordre. Hélène !
SÉRAPHIN, surpris. Moi non plus, mademoiselle...
HÉLÈNE. Mais qu'ils soient longs ou courts, si vous ne vous montrez pas galant et soumis, vous aurez affaire à moi... Allez !...
SÉRAPHIN. Oui, mademoiselle... (A part, en s'en allant.) Pourquoi qu'elle m'a parlé des pantalons de Denise ?
ERMERANCE. Ah ! ça ! Que veux-tu faire ?
HÉLÈNE. Lui donner la leçon qu'il mérite !... Rapportez-vous en à moi... Je veux le prendre, le surprendre, le mettre à mes pieds... Et ce soir, au bal des Tuileries, quand il se retrouvera face à face avec moi, quand il verra ce qu'est la petite dinde, la provinciale aux pantalons qui descendent jusqu'aux chevilles, je me promets de m'amuser de sa confusion, sinon de son repentir !...
ERMERANCE. Mais, ma nièce...
HÉLÈNE. Oh ! nous n'avons pas le temps d'entrer dans de plus longues explications !... Venez, ma tante...
ERMERANCE. Je suis sûre que tu médites quelque folie...
HÉLÈNE, l'entraînant. Peut-être bien !...
ERMERANCE. Dire que j'étais comme ça !... Elles sortent. Coquenard paraît en haut de l'escalier.
SCÈNE XVI
COQUENARD, puis UN TAMBOUR DE LA GARDE
NATIONALE puis AGATHE. COQUENARD, revenant par la gauche. Me voilà prêt... Et toujours pas de nouvelles de l'élection... Je n'y tiens plus... Il faut que j'aille voir si ce tambour... (Apercevant le tambour qui arrive par le fond.) Ah !... (Dans sa précipitation, il glisse jusqu'en bas des marches. — Allant au tambour, tout haletant.) Vous avez une lettre, tambour ?
LE TAMBOUR. Pour monsieur Coquenard.
COQUENARD, la lui arrachant. Donne !... (Il l'ouvre fiévreusement et lit.) Ah! (Appelant.) Agathe !... Agathe !... Agathe !...
AGATHE, accourant, par l'escalier. Qu'est-ce qu'il y a ?... Tu te trouves mal ?
COQUENARD, suffoquant. Non ! non ! (Avec élan.) Agathe ! Embrasse ton capitaine !...
AGATHE. Capitaine !...
COQUENARD. Oui ! Ça y est !... Je suis nommé !... (Il relit la lettre avec amour.) Et il y a une députation de la compagnie qui m'attend pour m'offrir à déjeuner... Mieux que ça !... Tambour, allez dire à ces messieurs que c'est moi qui les invite à Romainville, au Tourne-Bride... et ça sera soigné... C'est le vicomte Florestan qui paie !... Allez les chercher !...
LE TAMBOUR. Vive le capitaine !...
COQUENARD. Non ! Vive la France ! (Le tambour sort. Se posant devant Agathe) Hein ? Capitaine ? Capitaine des grenadiers... de la garde nationale !...
AGATHE, à part. Je pourrai peut-être le raimer !... (Musique.) Ah ! Voici M. Florestan et ses amis...
SCÈNE XVII COQUENARD, AGATHE, FLORESTAN et SES AMIS, puis LES FLEURISTES, puis LE TAMBOUR et DES GARDES NATIONAUX, DES VOISINS et DES VOISINES.
FLORESTAN, arrivant par le fond avec des jeunes gens. Les voitures sont à la porte : Allons, cher monsieur Coquenard, Dépêchons-nous, faites en sorte Que l'on active le départ !
TOUS. Dépêchons, monsieur Coquenard !
COQUENARD, très ému. Si vous saviez !...
FLORESTAN. Non ! non ! pas de retard ! Vite appelons ces demoiselles ! Appelant. Venez ! Venez, mes toutes belles !
LES FLEURISTES, apparaissant sur la galerie. Nous voilà prêtes au départ !
COQUENARD, voulant encore parler. Mais permettez !...
FLORESTAN. Non ! non ! pas de retard ! On part !
COQUENARD. Pourtant !
TOUS. On part ! On part !
AGATHE. Il faut pourtant qu'on vous apprenne Une étonnante aubaine ; Le voilà capitaine !
TOUS. Capitaine !
COQUENARD. Oui ! je suis nommé — Et vous m'en voyez tout pâmé — Dans la Garde Nationale !
TOUS. Dans la Garde Nationale ! Entrent le tambour et les gardes nationaux, suivis des voisins et des voisines.
FLORESTAN.
Jamais, en vérité, Allure martiale, Energique maintien, Et mine triomphale, Qu'il est beau, qu'il est bien ! Des lois, de la morale, Il sera le soutien : En lui tout nous signale Un héros citoyen !
TOUS. Allure martiale, Energique maintien, Et mine triomphale, Qu'il est beau, qu'il est bien ! Des lois, de la morale, Il sera le soutien : En lui tout nous signale Un héros citoyen !
FLORESTAN. Un ban pour le capitaine !
TOUS. Ran, plan, plan, plan, plan, plan, plan !
COQUENARD. Ah ! je suis confus vraiment, Cela n'en vaut pas la peine !
FLORESTAN. Un reban pour le capitaine.
TOUS. Ran, plan, plan, plan, plan, plan, plan !
REPRISE. TOUS. Allure martiale, Energique maintien, Et mine triomphale, Qu'il est beau, qu'il est bien ! Des lois, de la morale, Il sera le soutien : En lui tout nous signale Un héros citoyen ! Sur cette reprise, les fleuristes descendent de la galerie en marchant militairement.
AGATHE. Et maintenant, en route !
SCÈNE XVIII LES MÊMES, HÉLÈNE et ERMERANCE, puis LOUSTOT.
HÉLÈNE, paraissant à la porte de droite avec Ermerance. Elles sont en costume de grisettes. Pardon ! Je suis indiscrète, sans doute...
FLORESTAN. Oh ! la charmante enfant ! Allant à elle. Non pas, vraiment ! Entrez, ma belle enfant !
HÉLÈNE. Le patron, s'il vous plaît…
COQUENARD, s'avançant. Parlez, je vous écoute ! Dites ce qu'il vous faut.
HÉLÈNE. Donc, voici la chose en un mot :
I D'puis c' matin, cherchant d' l'ouvrage Nous nous prom'nions dans Paris, Quand j'avis' votre étalage : V'là notre affair' que je m'dis ! Ici l'on d'mand' deux d'moiselles, Nous somm's deux, fort justement, L'occasion est des plus belles, Ça nous ira comme un gant !
C'est Estelle et Véronique, Monsieur, prenez-nous, Nous serons, tout nous l'indique, On n' peut mieux chez vous !
II Le métier est bien facile. Que faut-il, en vérité Pour être fleuriste habile ? Un peu d' grâce et de beauté ! Estelle pour le physique Ne craint rien : regardez-la. Et vot' servant' Véronique N'est pas plus mal tourné' qu' ça !
C'est Estelle et Véronique, Monsieur, prenez-nous, Nous serons, tout nous l'indique, On n' peut mieux chez vous !
TOUS.
C'est Estelle et Véronique. Oui, voilà pour la boutique Deux jolis bijoux !
le final de l'acte I lors de la création
COQUENARD. C'est dit ! Je vous arrête !
AGATHE. Et vous entrerez dès demain.
HÉLÈNE, à part. Demain ! je suis refaite !
FLORESTAN, vivement. Mais aujourd'hui, noce complète Pour la campagne ce matin Nous partons tous, vous serez de la fête ! Aux autres. Qu'en dites-vous ?
TOUS. C'est adopté A l'unanimité !
HÉLÈNE. Merci de votre honnêteté ! Bas à Ermerance. Je prétends lui tourner la tête. Dès ce soir, je l'aurai maté !
LOUSTOT, entrant. — Parlé. Eh bien ! Je vous attends ! partons pour Romainville !
TOUS. Partons pour Romainville !
FLORESTAN. Mettons-nous en chemin Partons pour Romainville En avant et bon train ! Que la gaîté champêtre Nous tienne sous ses lois, Où pourrait-on mieux être Que dans ce joli bois ?
TOUS. Allons ! d'un pas agile, Mettons-nous en chemin Partons pour Romainville En avant et bon train ! Que la gaîté champêtre Nous tienne sous ses lois, Où pourrait-on mieux être Que dans ce joli bois ?
LOUSTOT. Omelette et friture Qu'arrose le clairet, Quand on a l'âme pure, Un tel régal vous plaît !
TOUS. Omelette et friture Qu'arrose le clairet, Quand on a l'âme pure, Un tel régal vous plaît !
COQUENARD. Allons ! je commande la marche ! Attention et garde à vous ! Bras dessus, bras dessous !
TOUS. Bras dessus, bras dessous !
COQUENARD. Bras dessus, bras dessous ! Colonne ! En avant arrche !...
REPRISE GÉNÉRALE. TOUS. Allons ! d'un pas agile, Mettons-nous en chemin Partons pour Romainville En avant et bon train ! Que la gaîté champêtre Nous tienne sous ses lois, Où pourrait-on mieux être Que dans ce joli bois ?
Le rideau baisse sur un tableau animé
de départ.
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l'acte II lors de la création [erratum : Maurice Lamy joue Loustot et non Aristide, personnage qu'il a créé dans les P'tites Michu]
ACTE DEUXIÈME
Le restaurant du « Tourne-Bride », au milieu du bois de Romainville. — Bâtiments à gauche, premier plan. — Au fond, à droite, porte d'entrée à claire-voie donnant sur le bois. Bosquets et tonnelles. — Chaises et tables. — Une balançoire suspendue entre deux arbres.
SCÈNE PREMIÈRE SÉRAPHIN, DENISE, LA TANTE BENOÎT, INVITÉS de la noce, GARÇONS et SERVANTES du restaurant.
Au lever du rideau, toute la noce est attablée au milieu de la scène, achevant de déjeuner.
Buvons ! Buvons à la santé Et de l'époux et de l'épouse ! Buvons à leur prospérité : Qu'ils aient des enfants jusqu'à douze, Jusqu'à douze ou bien jusqu'à cent, Cela ne fait rien à l'affaire Le principal étant d'en faire Tant qu'on y a de l'agrément !
SÉRAPHIN, se levant. Pour Séraphin et pour Denise, Merci, grand merci du souhait, Et, voulant qu'il se réalise, Je promets, comme elle promet, D' n'y pas mettr' de fainéantise !
REPRISE. CHŒUR DES INVITÉS. Buvons ! Buvons à la santé Et de l'époux et de l'épouse ! Buvons à leur prospérité : Qu'ils aient des enfants jusqu'à douze, Jusqu'à douze ou bien jusqu'à cent, Cela ne fait rien à l'affaire Le principal étant d'en faire Tant qu'on y a de l'agrément !
SÉRAPHIN. N'est-ce pas, ma petite Denise, que nous aurons du cœur à l'ouvrage ?
DENISE. Dame ! j' veux bien !...
SÉRAPHIN. Vous voyez ! Je ne le lui fais pas dire !
TOUS. Bravo ! Vive Denise !
DENISE. Et puis, j'ai de qui tenir... Tante Benoît en a eu vingt-trois...
TANTE BENOÎT, rectifiant. Vingt-quatre...
TOUS. Vingt-quatre !...
TANTE BENOÎT. Oui, mes petits !...
SÉRAPHIN. Pas possible !... Feu Benoît se faisait aider !
TANTE BENOÎT. Aider !... Vous saurez que je n'ai jamais trompé Benoît... (Par réflexion.) Si !... une fois...
TOUS. Ah ! Ah !
TANTE BENOÎT. A propos du vingt-quatrième... Je lui avais annoncé un garçon et ça été une fille.
SÉRAPHIN. Fameux !... (Levant son verre.) A la santé de tante Benoît !
TANTE BENOÎT. A la vôtre, mes enfants !...
DENISE, poussant un cri. Ah !
SÉRAPHIN. Qu'est-ce que tu as ?
DENISE. Je crois que j'ai un hanneton !
SÉRAPHIN. Où ?...
DENISE. J' peux pas le dire !...
UN INVITÉ. Je vas le chercher !...
SÉRAPHIN. Ah ! mais non ! C'est moi que ça regarde…
DENISE, avec un second cri, se levant. J'en ai deux !...
PREMIER INVITÉ. Si qu'on faisait la chaîne !...
DEUXIÈME INVITÉ, sortant de dessous la table. Inutile !... L' z' hanneton, c'est moi ! Il brandit les jarretières de Denise qu'il tient à la main.
Mes jarretières !...
TOUS, se levant. Les jarretières de la mariée !
SÉRAPHIN, à l'invité. Farceur, va ! Mais, là-dessous, il faudrait danser et nos deux violons ne sont pas encore arrivés... Je propose d'aller au devant d'eux ! Allons ! le bras aux dames !...
TOUS Le bras aux dames !... Sortie sur une musique de scène.
SÉRAPHIN, ayant Denise à son bras et sortant le dernier. Est-elle gentille, ma petite femme. Il l'embrasse.
DENISE. Oh ! déjà !...
SÉRAPHIN. Et ce n'est qu'un commencement ! Ils sortent. La musique continue.
SCÈNE II DEUX GARÇONS de restaurant, puis LE TAMBOUR, GARDES NATIONAUX, puis AGATHE, LOUSTOT, IRMA, SOPHIE, HELOÏSE, CÉLESTE, ZOÉ, ELISA et LES JEUNES GENS.
PREMIER GARÇON. Chaud !... Chaud !... Dépêchons d'enlever cette table.
DEUXIÈME GARÇON. Eh bien ! Et le déjeuner Valaincourt ?
PREMIER GARÇON, désignant le fond à gauche. Là ! sous les tonnelles... le couvert est prêt, il ne manque plus que ces messieurs et ces dames...
DEUXIÈME GARÇON. Qui ne vont pas tarder... car voici l'avant-garde. Ils emportent la table par la droite. Au fond paraissent les gardes nationaux précédés du tambour qui fait semblant de jouer de la caisse. Ils ont tous leur tunique sur le bras et tiennent des branches en guise de fusil.
Morceau d'ensemble.
Lorsqu'il ne veille pas sur la société Le gard' national aime à se mettre à l'aise : Le bonnet sur l'oreille et l' torse en liberté, Il n'est pas ennemi d' la vieill' gaîté française Halte ! Front ! Nom d'un bouchon ! Le gard' national est un gai compagnon ! Halte ! Front ! Nom d'un bouchon ! Le gard' national est un joyeux luron !
LE TAMBOUR, se retournant vers le fond et appelant. — Parlé sur la musique. Ohé ! les autres !
LOUSTOT, arrivant avec Agathe que suivent les fleuristes et les jeunes gens. Nous voilà !
AGATHE, aux fleuristes. Mesdemoiselles, nous sommes au « Tourne-Bride ».
TOUTES. Oh ! que c'est gentil !
Anna Tariol-Baugé (Agathe) dans l'acte II lors de la création
AGATHE. Je vous crois !...
Le « Tourne-Bride », est, mes amis, Des amoureux le paradis ! Sous l'abri des vertes tonnelles L'amour y vient battre des ailes. Impossible de résister : Quand il lui plaît de le dicter Plus d'une vertu se décide Au Tourne, tourne, tourne-bride !
C'est la perle des cabarets, Tous les bosquets y sont discrets ! La cuisine est fort primitive Et la cave très relative. Mais, n'importe ! pour s'amuser, Pour rire, chanter, pour aimer Où court le viveur intrépide ? Au Tourne, tourne, tourne-bride !
Dame ! pour la moralité, Ce n'est pas un endroit vanté : L'air est si doux, l'herbe est si drue Que malgré soi l'on est ému Et la blanche fleur d'oranger Ne peut y fleurir sans danger : Ah ! n'allez pas, vierge candide, Au Tourne, tourne, tourne-bride !
TOUS. Au Tourne, tourne, tourne-bride !
AGATHE, regardant autour d'elle. Eh bien ! M. Florestan et mon mari ne sont pas là ? Elle se promène nerveusement.
IRMA.
Dame ! Les deux nouvelles ont voulu aller
à âne... HÉLOÏSE.
Le vicomte et M. Coquenard les ont
accompagnées. ZOÉ. Et on ne va pas vite avec ces bêtes-là !
CÉLESTE. De qui parles-tu ? de ces messieurs ?
ZOÉ, scandalisée. Oh ! Elle lui tourne le dos. Toutes se mettent à rire.
LE TAMBOUR, aux gardes nationaux. Une partie de tonneau, en attendant ? Ils entrent sous les tonnelles pendant que les fleuristes se promènent, examinant tout avec curiosité. Groupes divers.
AGATHE, à Loustot. Et vous ne craignez pas de laisser ainsi votre prisonnier sans surveillance, monsieur Loustot ?
LOUSTOT. Oh ! je le sais sous bonne garde... (Avec galanterie.) D'ailleurs, ne suis-je pas prisonnier moi-même, ô ravissante Agathe ?
AGATHE, avec dignité. Monsieur Loustot...
LOUSTOT, tendrement. Appelez-moi des Merlettes... à la campagne...
Eh bien ! des Merlettes ou Loustot, vos galanteries me sont insupportables.
LOUSTOT. Tant mieux !... Ça prouve qu'elles ne vous sont pas indifférentes... Mais je vois ce que c'est... Vous êtes énervée, jalouse ?
AGATHE, vivement. De qui ?... de cette petite Véronique ?... un museau de grisette ?...
LOUSTOT. Auquel on aimerait à se frotter... Je parle pour les autres...
AGATHE. Ma foi, non ! Ce matin, avec Florestan, j'ai failli pleurer... c'était ridicule !... Comme il le dit, ça m'abîmerait les yeux.
LOUSTOT. Alors, c'est Estelle ?
AGATHE. Oh ! celle-là, je lui devrais plutôt de la reconnaissance, puisqu'elle me débarrasse momentanément de M. Coquenard... Et puis, je le connais : il a l'air comme ça de s'allumer...
LOUSTOT. Mais il ne flambe pas !
AGATHE. Si rarement !...
LOUSTOT. Eh bien, alors, quoi ?...
AGATHE. Vous avez raison ! je ne sais pas ce que je dis... Il faut prendre le temps comme il est… des Merlettes, je vous autorise à me faire la cour.
LOUSTOT. Oh !...
AGATHE. Seulement je vous préviens que vous n'arriverez à rien...
LOUSTOT, lui baisant la main. Convenu !... (A part.) Ça se dit toujours !
IRMA, regardant au fond. Ah ! voici mademoiselle Véronique et le vicomte.
Et c'est lui qui tient l'âne par la bride... Il est risible, ma parole...
Jean Périer (Florestan) et Mariette Sully (Hélène) dans l'acte II lors de la création (photo Nadar)
SCÈNE III
Entrée d'Hélène sur un âne que conduit Florestan. Elle tient à la main une grosse gerbe de fleurs des champs.
HÉLÈNE, FLORESTAN. De ci, de là, Cahin, caha, Va ! Trottine, Va ! chemine, Va ! petit âne, va ! De ci, de là, Cahin, caha ! Le picotin te récompensera !
I HÉLÈNE. Ah ! mes amis, je suis heureuse, Et je ris sans savoir pourquoi !
FLORESTAN, à part. Et moi, de la voir si joyeuse Je me sens triste malgré moi !
HÉLÈNE. Ah ! que c'est amusant un âne ! Mais, capricieux, entre nous !
FLORESTAN, à mi-voix. Bien moins encore, entendez-vous ? Que la coquette qui me damne !
HÉLÈNE, FLORESTAN. De ci, de là, Cahin, caha, Va ! Trottine, Va ! chemine, Va ! petit âne, va ! De ci, de là, Cahin, caha ! Le picotin te récompensera !
II HÉLÈNE, montrant les fleurs qu'elle tient. Et puis, voyez la belle gerbe ! J'ai dévalisé tout le bois.
FLORESTAN, à part. Mais en cueillant des fleurs dans l'herbe Elle a cueilli mon cœur, je crois !
HÉLÈNE. Dans l'eau que l'on mette bien vite Marguerites, coquelicots...
FLORESTAN. Combien je voudrais, à huis clos, Interroger la marguerite.
HÉLÈNE, FLORESTAN. De ci, de là, Cahin, caha, Va ! Trottine, Va ! chemine, Va ! petit âne, va ! De ci, de là, Cahin, caha ! Le picotin te récompensera !
AGATHE, bas à Florestan. Tous mes compliments, monsieur Florestan.
FLORESTAN, de même. Est-ce une scène ?
HÉLÈNE. Aidez-moi à descendre, monsieur Florestan !
FLORESTAN, un peu gêné. Mais... Il hésite entre les deux.
AGATHE. Allez donc !... J'ai M. des Merlettes pour me tenir compagnie…
FLORESTAN. Au fait... il est très aimable, le baron... (Allant à Hélène.) Me voici, mademoiselle...
HÉLÈNE, s'apprêtant à descendre. Une ! deux ! Ne regardez pas, vous autres... Une ! deux !
FLORESTAN, l'enlevant et la déposant à terre. Et trois !... (A part.) Elle est délicieuse, cette petite Véronique... Il s'en va par la droite, premier plan, emmenant l'âne.
HÉLÈNE, regardant autour d'elle. Où est donc ma t… (Se reprenant.) mon amie Estelle ? je la croyais derrière nous...
SCÈNE IV
COQUENARD, du fond, il entre en soutenant Ermerance. Appuyez-vous, ma charmante...
ERMERANCE, dolente. Ah ! quelle aventure !... J'en tremble encore !
HÉLÈNE. Qu'est-il donc arrivé ?
ERMERANCE. Mon âne, mon animal d'âne, qui s'est emballé et qui m'a brutalement déposée au beau milieu d'un fossé.
COQUENARD. De sorte que j'ai vu...
TOUS. Oh !...
ERMERANCE. Monsieur Coquenard !
COQUENARD
J'ai vu le moment où l'accident aurait
des suites... TOUS, avec soulagement. Ah !...
COQUENARD, à part.
Quels dessous !.. Seigneur, quels
dessous ! et quand je pense que ces dessous ont encore des dessus !...
FLORESTAN, reparaissant au fond. Je vous annonce que le déjeuner est servi... A table !...
TOUS. A table ! Musique de scène. Sortie générale.
Passez devant, monsieur Coquenard...
COQUENARD, soumis. Oui, bonne amie... (A part.) Pincé !... (En s'en allant.) Quels dessous !...
AGATHE, à part, regardant Hélène et Ermerance. Voilà deux péronnelles qui ne feront pas long feu chez nous.
LOUSTOT, s'approchant d'elle. Mon bras, madame ?... (Galamment.) Et mon cœur.
Ah ! le bras me suffit !...
LOUSTOT. Il faut bien commencer par quelque chose... Ils sortent par le fond. La musique s'arrête.
SCÈNE V
ERMERANCE.
HÉLÈNE. Eh bien ! il m'a tout l'air d'être en train de se laisser prendre.
ERMERANCE. Partons, alors !...
HÉLÈNE. Oh ! pas encore !... Evidemment, mademoiselle Véronique lui plaît assez : le beau mérite !... Mais elle disparaîtrait en ce moment, qu'au bout d'une demi-heure il l'aurait oubliée avec n'importe laquelle de ces demoiselles... Ce n'est pas tout à fait là ce que je veux, et je prétends que mon départ lui soit un peu plus sensible.
ERMERANCE. Oui, mais, en attendant, le rôle que nous jouons me paraît plutôt dangereux.
HÉLÈNE. Allons donc !
ERMERANCE S'il ne l'est pas pour toi, il l'est pour moi... Déjà M. Coquenard m'a aperçue sous un jour intempestif... En outre, pour sauver la vraisemblance, j'ai dû tolérer certaines familiarités… Et ça trouble toujours un peu... sans compter qu'il est très bien, cet animal-là ! Une Champ d'Azur troublée par un bourgeois ! que doivent penser mes aïeux ?
HÉLÈNE. Bah ! ils s'occupent bien de ça !... Mais, rassurez-vous, ma bonne tante, j'espère vous rendre bientôt toute votre tranquillité.
ERMERANCE. Je ne la retrouverai que lorsque nous serons loin d'ici.
FLORESTAN, paraissant au fond avec Coquenard qui a sa serviette autour du cou. Allons, mesdemoiselles ! on vous attend...
COQUENARD, à Ermerance. Je vous ai gardé une place à côté de moi.
ERMERANCE. J'y vais ! (Elle passe devant lui. Il en profite pour lut prendre la taille. Elle se retourne, la main levée comme pour lui donner un soufflet.) Qu'est-ce que c'est ?
COQUENARD, surpris. Hein ?
ERMERANCE, changeant de ton immédiatement. Je voulais dire, vous me chatouillez !... (A part.) Que de sacrifices il faut faire à la vraisemblance !...
COQUENARD, la suivant, à part. Oh ! ces dessous !... Au moment où Hélène va sortir derrière eux, Florestan la retient.
SCÈNE VI HÉLÈNE, FLORESTAN.
FLORESTAN, qui avait aidé Hélène à défaire son chapeau et lui avait offert le bras pour suivre Coquenard. Est-ce que vous avez bien faim, mademoiselle Véronique ?
HÉLÈNE. Mais, tout de même assez... Et je ne serai pas fâchée de…
FLORESTAN, la retenant encore. C'est que j'aurais tant voulu vous parler un instant seul à seule...
HÉLÈNE. Vraiment ?... En ce cas, je ferai taire mon appétit pour vous écouter... (Jouant négligemment avec la corde de la balançoire.) Parlez, monsieur Florestan, parlez... Bien que je sache d'avance à peu près tout ce que vous allez me dire...
FLORESTAN. Et quoi donc ?...
HÉLÈNE. Mon Dieu !... que vous me trouvez gentille...
FLORESTAN. Dites, jolie !
HÉLÈNE. Jolie, soit !... Idéale, si vous voulez... Elle est toujours idéale, la femme qui vous inspire un caprice...
FLORESTAN. Un caprice !... Oh !
HÉLÈNE. Pardon ! une passion !... Pour vous, un caprice doit s'appeler une passion...
Jean Périer (Florestan) et Mariette Sully (Hélène) dans l'acte II lors de la création
I FLORESTAN. Oh ! méchante ! Vous voulez rire !
N'est-ce pas le meilleur parti !
FLORESTAN. Vous riez quand, moi, je soupire !
HÉLÈNE. Vous soupirez ?... Ça, c'est gentil !
FLORESTAN. Croyez-moi, je vous en conjure, Prenez pitié de mon tourment !
HÉLÈNE. Mais, ce soir, à votre future N'en direz-vous pas tout autant ?
FLORESTAN. Ma future !
HÉLÈNE, s'asseyant sur la
balançoire. Votre future ! Ce soir même elle vous attend, La pauvre créature !
FLORESTAN, avec feu. Aura-t-elle ces jolis yeux, Le charme exquis de ce corsage, Ce teint si blanc, si merveilleux, Et la fraîcheur de ce visage ?
HÉLÈNE, se balançant doucement. Peut-être bien ! Peut-être bien ! Voyez-vous, ne jurons de rien !
FLORESTAN. Ah ! quittez cet air ironique ! Croyez-moi, chère Véronique !
VÉRONIQUE. Je vous crois, monsieur Florestan ; Je vous crois, mais, en attendant... Se balançant. [ Poussez, poussez l'escarpolette [ Poussez, pour mieux me balancer ! [ Si ça me tourne un peu la tête, [ Tant pis ! Je veux recommencer ! [ Poussez, poussez l'escarpolette ! [ [ FLORESTAN, à part. [ Poussons, poussons l'escarpolette ! [ Poussons pour ne pas la froisser ! [ Par ce manège, la coquette [ En vain espère me lasser ! [ Poussons, poussons l'escarpolette !
II FLORESTAN. Allons ! soyez plus sérieuse !
HÉLÈNE, s'arrêtant. Me voilà plus grave que vous !
FLORESTAN. Pourquoi vous montrer si moqueuse Lorsque je suis à vos genoux ?
HÉLÈNE. Mais je pense à votre future : Puis-je lui voler son époux ?
FLORESTAN, même jeu que plus haut. Ma future !
HÉLÈNE. Eh ! oui, vraiment, Votre future
Elle m'occupe énormément,
FLORESTAN. Aura-t-elle votre gaîté Et votre grâce enchanteresse, L'éclat de ce rire argenté, Enfin, cette fleur de jeunesse ?
HÉLÈNE, se remettant à se balancer. Peut-être bien ! Peut-être bien ! Voyez-vous, ne jurons de rien !
FLORESTAN.
Non ! non ! pour moi la femme
unique, Je vous crois, monsieur Florestan, Je vous crois, mais, en attendant... [ Poussez, poussez l'escarpolette [ Poussez, pour mieux me balancer ! [ Si ça me tourne un peu la tête, [ Tant pis ! Je veux recommencer ! [ Poussez, poussez l'escarpolette ! [ [ FLORESTAN, à part. [ Poussons, poussons l'escarpolette ! [ Poussons pour ne pas la froisser ! [ Par ce manège, la coquette [ En vain espère me lasser ! [ Poussons, poussons l'escarpolette !
FLORESTAN.
HÉLÈNE, se levant en riant. Oui !... Et pour commencer, vous oubliez le déjeuner, quand je vous ai dit que je meurs de faim !... Ce n'est pas galant !... Allons !... A table !...
LOUSTOT, paraissant au fond et se croisant avec elle. Ah ! vous vous décidez enfin !... On m'envoyait votre recherche !...
HÉLÈNE, à part. Cette fois, je crois que je le tiens !... Elle entre sous les tonnelles.
SCÈNE VII FLORESTAN, LOUSTOT.
FLORESTAN, à Loustot. Décidément, elle est délicieuse !...
LOUSTOT. Prenez garde, vicomte... Vous me semblez en train de vous emballer à fond... Et ces petites-là sont les plus dangereuses... J'en sais quelque chose...
FLORESTAN. Que m'importe !... Je me pique au jeu !...
LOUSTOT. Mais, vous n'avez que jusqu'à ce soir.
FLORESTAN, à part. Ce soir, c'est vrai !...
LOUSTOT. Et encore jusqu'à cinq heures... Les voitures sont commandées...
FLORESTAN, à part. Jusqu'à cinq heures... C'est ce que nous verrons.
LOUSTOT, s'effaçant pour le laisser passer. Vicomte...
FLORESTAN. Après vous, baron.
LOUSTOT. Transigeons ! (Il lui prend le bras, en s’en allant.) Vous savez que je suis enchanté... je suis à côté de madame Coquenard... j'ai déjà bu trois fois dans son verre... Ils vont au fond, à gauche, où ils sont accueillis par un murmure de satisfaction.
SCÈNE VIII SÉRAPHIN, DENISE.
DENISE, arrivant par le fond à droite, en se défendant en pleurnichant. Laissez-moi, que je vous dis !...
SÉRAPHIN. Voyons ! ma petite Denise !
DENISE. Vous êtes un monstre !
SÉRAPHIN. Mais non, je suis ton mari, ton petit mari !... Qu'est-ce que j'ai fait de mal après tout ?
DENISE. Vous osez le demander ? Quand vous avez profité de ce que nous étions seuls dans un petit chemin pour m'embrasser malgré moi ?
SÉRAPHIN. C'était malgré moi aussi !
DENISE. Tante Benoît l'avait pourtant bien défendu !
SÉRAPHIN. Tout à l'heure, ici, je t'ai embrassée et elle n'a rien dit...
DENISE. Il y avait du monde, ça ne comptait pas !
SÉRAPHIN. Sapristi ! T'es par trop naïve aussi, ma Denise !... S'il faut que chaque fois que j'aurai envie de t'embrasser, je convoque toute la famille ! non !
DENISE. Je ne dis pas ça !... Mais fallait avoir un peu de patience... Ma pauvre fleur d'oranger... J'oserai plus la porter !...
SÉRAPHIN. Pour un malheureux petit bécot !... Je porte bien la mienne, moi !...
DENISE. C'est pas la même chose... Pour un homme, c'est un ornement, tandis que pour une femme, il paraît que c'est un symbole !
SÉRAPHIN. Les symboles, c'est des bêtises !... Allons, la noce va revenir avec les violons... Va vite te requinquer un brin.
DENISE. Embrasse-moi !...
SÉRAPHIN. Hein ?... Il n'y a pourtant personne...
DENISE. Oh ! maintenant que vous avez commencé !
SÉRAPHIN. Je peux continuer... (L'embrassant.) Et plutôt deux fois qu'une...
DENISE. Oh ! oui ! Tu es... Vous êtes un monstre ! Elle entre à gauche.
SCÈNE IX SÉRAPHIN, puis LA NOCE et DEUX VIOLONS, puis DENISE.
Et toi, t'es un ange... Un vrai ange !... T'étais bien digne d'épouser un séraphin !... (On entend le son de deux crincrins dans la coulisse.) Ah ! voici les violons !... Les invités arrivent deux par deux, les violons en tête, et font le tour du théâtre.
PREMIER INVITÉ. Tiens ! le marié est seul ! Où est donc la mariée ?
Elle vient tout de suite... La promenade dans le bois l'avait un peu défrisée...
DEUXIÈME INVITÉ, lui tapant sur l'épaule. Compris !... (Appelant.) La mariée ! La mariée !
TOUS. La mariée ! La mariée !
DENISE, revenant. Me voilà !... En place pour la contredanse...
TOUS. En place !... Les violons exécutent le commencement d'un quadrille. A ce moment, Coquenard paraît au fond, à gauche.
SCÈNE X LES MÊMES, COQUENARD.
COQUENARD, parlant au fond. N'ayez pas peur !... Je vais négocier ça... (Il s'avance au milieu des danseurs qui, se trouvant interrompus, l'accueillent avec des murmures.) Mesdames et messieurs, pardon si je vous dérange... Je me présente comme ambassadeur...
SÉRAPHIN, allant à lui. De quoi qu'il s'agit ? (S'arrêtant, à part.) Il me semble que je connais cette tête-là ! (Haut.) Ah ! J'y suis !... l'homme aux fleurs !...
COQUENARD. Le domestique que j'ai rudoyé ce matin !... (Lui tendant la main.) Ça va bien ?...
SÉRAPHIN. Pas mal, merci... (A part.) Tiens ! il a retiré ses épines...
COQUENARD. Voici la chose : Je suis là en nombreuse société... Il y a des dames et, d'entendre la musique, ça leur a donné des fourmis dans les jambes... Alors, elles m'ont chargé de vous demander la permission de profiter des violons... En échange, j'offre le champagne...
TOUS, avec joie. Du champagne !
COQUENARD. A discrétion... c'est le vicomte de Valaincourt qui régale... ça va-t-il ?
DENISE, avec joie. Je crois bien !... du champagne !
SÉRAPHIN. Et puis, tant plus qu'on est de fous, tant plus on rit... Appelez votre société.
COQUENARD. Merci... (Remontant au fond.) C'est arrangé... Vous pouvez venir !...
Regnard (Coquenard) et Léonie Laporte (Ermerance) dans l'acte II lors de la création
SCÈNE XI LES MÊMES, IRMA, SOPHIE, CÉLESTE, HÉLOÏSE, ZOÉ, ÉLISA, LES JEUNES GENS, puis, AGATHE, et LOUSTOT, HÉLÈNE, ERMERANCE, FLORESTAN.
IRMA, accourant, suivie des autres. Ah ! quel bonheur on va danser !
SOPHIE. Dépêchons-nous, mesdemoiselles !
COQUENARD, qui était retourné au fond. Arrivez donc, charmante Estelle !...
ERMERANCE, à part. Ah ! mais !... Il ne me lâche plus !
FLORESTAN, à Hélène. Mademoiselle, je réclame la première...
HÉLÈNE. Comment donc ! (Bas à Ermerance.) Ma tante, préparons-nous à nous échapper au premier moment !...
ERMERANCE. Il ne sera que temps !
LOUSTOT, à Agathe.
O Agathe ! je vais donc pouvoir vous
étreindre ! AGATHE. Un peu de modération, monsieur des Merlettes...
LOUSTOT. Jamais de la vie ! Le cri de guerre de mes aïeux était : « En avant et quand même ! »
LES FLEURISTES, frappant dans leurs mains avec impatience. En place !... En place !...
DENISE. Mais ça n'est pas très gai de danser tant de monde avec seulement deux violons... Si on chantait en même temps... dans les noces, il y a toujours une ronde.
TOUS. C'est ça !... Une ronde !...
AGATHE. Je m'en charge !...
Lisette avait peur du loup : Quand ell' s'en allait seulette, Au fond du bois la pauvrette Elle tremblait comme tout ! Hou ! Hou ! Hou !
Ma foi ! tant pis pour Lisette ! En avant les violons ! N'importe ce qui nous guette, Amusons-nous et dansons !
TOUS, dansant. Ma foi ! tant pis pour Lisette ! En avant les violons ! N'importe ce qui nous guette, Amusons-nous et dansons !
A ce moment, Ermerance se trouve face à face avec Séraphin. La danse continue pendant le dialogue suivant.
ERMERANCE, toujours dansant. Ah !
ERMERANCE. Séraphin !
SÉRAPHIN. Madame de Champ d'Azur !
ERMERANCE. Pas un mot !... Si vous avez l'air de me reconnaître, je vous chasse.
SÉRAPHIN, effrayé. Muet comme le goujon, madame la baronne... (A part, s'éloignant.) En voilà une aventure !... Il se remêle à la ronde.
ERMERANCE, de même, à part. Compromise aux yeux d'un valet !... c'est le bouquet !...
COQUENARD. Stop !... La danse s'arrête.
LOUSTOT. Pour le second couplet, je fais une motion : c'est qu'à la fin chacun embrasse sa chacune.
COQUENARD. Oui !... Oui !...
ERMERANCE. Par exemple !
HÉLÈNE. Mais je ne veux pas !...
FLORESTAN. Aux votes !... (Tout le monde lève la main à l’exception d'Hélène et d'Ermerance.) Adopté !
HÉLÈNE, avec effroi. Oh !
ERMERANCE, à part. Eh bien ! c'est du joli !
AGATHE. Attention ! au deuxième couplet ! II Mais v'là qu'un soir Nicolas Y rencontre la fillette, Et d'puis, quand ell' va seulette Lisette ne tremble pas : Ah ! ah ! ah ! Lisette ne tremble pas ! Ma foi ! tant mieux pour Lisette ! En avant les violons ! Quand c'est l'amour qui nous guette, Amusons-nous et dansons !
TOUS, dansant. Ma foi ! tant mieux pour Lisette ! En avant les violons ! Quand c'est l'amour qui nous guette, Amusons-nous et dansons !
LOUSTOT, pendant que la danse continue. Chacun sa chacune. Il embrasse Agathe, Coquenard embrasse Ermerance, etc. Seule, Hélène évite le baiser de Florestan.
HÉLÈNE, toujours en dansant. Manqué !... (Le mouvement qu'elle a fait pour échapper à Florestan, l'a mise face à face avec Séraphin.) Oh !...
SÉRAPHIN, même jeu que plus haut. Ah !...
HÉLÈNE. Séraphin !
SÉRAPHIN. Mademoiselle de Solanges !
HÉLÈNE. Pas un mot !... Si vous avez l'air de me reconnaître, je vous chasse !
SÉRAPHIN. Muet comme la carpe, mademoiselle ! (A part.) Toutes les deux ! Qu'est-ce que ça veut dire ? Même jeu que la première fois.
ERMERANCE, à part, après la danse. Embrassée par un bourgeois !... J'en mourrai de honte ! On entend au fond sauter un bouchon de champagne.
TOUS. Ah ! le champagne !
COQUENARD. Ce n'est pas de refus !... On a besoin de se rafraîchir... (A Ermerance.) N'est-ce pas, Estelle ?
ERMERANCE, très émue. Oui !... Oui !...
ZOÉ. Mais après, on recommencera ?
AGATHE. Après, on s'en ira !...
TOUTES. Oh ! déjà !...
AGATHE. Il est bientôt cinq heures, mesdemoiselles, et les voitures doivent être prêtes.
FLORESTAN. Rassurez-vous ! On ne partira pas !...
TOUTES. Comment ?
FLORESTAN. Il y a dix minutes que j'ai renvoyé les voitures avec ordre de ne revenir qu'à huit heures...
TOUTES. Bravo ! Bravo !
HÉLÈNE, à part. A huit heures !... Ah ! mon Dieu !...
ERMERANCE, éclatant. Mais c'est impossible !... Il faut que je sois à six heures aux Tuileries !...
TOUS, surpris. Aux Tuileries !
ERMERANCE, vivement. Dans le jardin ! j'ai un rendez-vous !
COQUENARD, vivement, avec jalousie. Avec qui ?...
ERMERANCE, éperdue. Avec un tambour-major !...
COQUENARD. Mais je suis capitaine, moi !...
ERMERANCE, s'essuyant le front. Ah ! j'en ai chaud !
COQUENARD. C'est le moment d'aller boire...
LOUSTOT. Mesdames et messieurs, au champagne !
TOUS. Au champagne ! Loustot a pris Agathe par la taille, Coquenard s'est emparé d'Ermerance.
REPRISE. TOUS. Ma foi ! tant pis pour Lisette ! En avant les violons ! N'importe ce qui nous guette, Amusons-nous et dansons ! Ils sortent tous en dansant par le fond à gauche. Hélène absorbée est restée seule sur le devant de la scène. Florestan s'est arrêté au fond et la regarde.
SCÈNE XII HÉLÈNE, FLORESTAN.
HÉLÈNE, à part. Me voilà dans une jolie situation !
FLORESTAN, s'approchant. Eh bien ! ma petite Véronique !
HÉLÈNE, à part. Ma petite !... (Haut, avec colère.) Tenez, monsieur, votre conduite est indigne...
FLORESTAN. Mais non !... elle prouve tout simplement mon désir de vous garder le plus longtemps possible...
HÉLÈNE. Sans vous demander si ce retard ne peut avoir pour moi les plus graves conséquences... si je ne suis pas attendue...
FLORESTAN. Par un amoureux, peut-être ?...
HÉLÈNE. Quand cela serait !...
FLORESTAN. C'est justement ce que je ne veux pas !... Croyez-vous que je n'aie pas démêlé votre manège depuis ce matin ?... Vous avez tout fait pour me troubler, pour vous emparer de mon cœur... Vous n'y avez que trop bien réussi, tant pis pour vous !
HÉLÈNE. Que voulez-vous dire ?
FLORESTAN. Qu'on ne se joue pas ainsi d'un homme !... Et je jure bien maintenant que vous serez à moi !...
HÉLÈNE. Qui vous dit le contraire ?... Seulement, monsieur Florestan... plus tard, vous verrez, vous comprendrez !
FLORESTAN. Non ! non ! Et pour commencer, ce baiser que vous m'avez refusé tout à l'heure, il m'est dû, j'y ai droit et je vais le prendre !
HÉLÈNE.
FLORESTAN. Non ? Vous allez voir !...
HÉLÈNE. Monsieur, si vous approchez, j'appelle.
FLORESTAN, riant. Ah ! Ah ! Ah ! J'appelle !... Mademoiselle Véronique va appeler !... Voyez-vous le monde, la société, la force armée se mettant sur pied, parce qu'un aimable garçon aura voulu quelque peu chiffonner une grisette...
HÉLÈNE, à part. Une grisette... Il a raison... Ici je ne suis qu'une grisette...
Couplets.
I Est une aimable personne Qui doit faire sans façon Le bonheur d'un beau garçon Si vous êtes fraîche et belle, Si Dieu vous a faite telle, N'est-ce pas pour le désir ? N'est-ce pas pour le plaisir ?
Ah ! mignonne, mignonnette ! Ne faisons pas notre tête ! Les grands mots, les embarras, Voyez-vous, cela n'est pas L'affaire d'une grisette !
II Un baiser, pour la grisette Ce n'est rien qu'une amusette ! Quand on lui dit : Je le veux ! Elle doit en donner deux ! Les trésors qu'elle possède, Sans compter elle les cède : Auprès d'elle être amoureux Cela veut dire : Etre heureux !
Ah ! mignonne, mignonnette ! Ne faisons pas notre tête ! Les grands mots, les embarras, Voyez-vous, cela n'est pas L'affaire d'une grisette !
(Parlé.) Eh bien ! Qu'est-ce que vous avez à répondre ?
HÉLÈNE. Rien, c'est vrai...
FLORESTAN. En ce cas, mieux vaut vous exécuter de bonne grâce !... Allons !
HÉLÈNE. Non ! non ! Monsieur Florestan ! Je vous en prie, je vous en supplie !
FLORESTAN. Mon Dieu ! Ce baiser vous coûterait donc beaucoup ?
HÉLÈNE. Oh ! oui !
FLORESTAN. A la bonne heure ! Voila qui est franc !
HÉLÈNE. Oh ! je vous demande pardon si je vous ai fâché... Mais pensez-vous qu'il serait bien généreux à vous d'abuser de la faiblesse d'une pauvre fille ? (Presque pleurant.) Voyons, monsieur Florestan !..
FLORESTAN, à part. Comme elle est émue... (Haut, avec douceur.) Eh bien ! soit !... Pour vous prouver que le sentiment que vous m'avez inspiré n'est pas un simple caprice, comme vous le disiez, je n'insiste pas... je vous laisse...
HÉLÈNE, avec joie. Ah !...
FLORESTAN. Je ne veux rien devoir qu'à vous-même... Mais promettez-moi que, tout à l'heure, nous reprendrons cet entretien, de bonne amitié, sans rancune ?
HÉLÈNE, avec élan. Je vous le jure, monsieur Florestan !
FLORESTAN. A tout à l'heure donc... Je vous laisse... je vous laisse... (Il s'en va lentement par le fond sans cesser de la regarder.) A tout à l'heure... Il disparaît sous les tonnelles.
HÉLÈNE, à part, avec émotion. Ah ! c'est gentil, ce qu'il vient de faire là... Et il lui sera pardonné bien des choses à cause de ça !... Oui, mais maintenant, il s'agit de partir coûte que coûte.
SCÈNE XIII
HÉLÈNE, ERMERANCE, puis DENISE et LA
TANTE BENOÎT. ERMERANCE, arrivant par le fond à droite. Le misérable avait dit vrai... Pas plus de voitures que sur la main !... Il n'y a absolument que celle de la mariée...
HÉLÈNE, vivement. Il y a une voiture pour la mariée ?
ERMERANCE. On est en train de l'atteler...
HÉLÈNE, avec joie. Mais alors, nous pourrons être rentrées à temps.
ERMERANCE. Comment ?
HÉLÈNE, voyant paraître Denise. Laissez-moi faire !...
DENISE, au fond, à gauche. Oui, mon petit Séraphin... une minute... Le temps de remettre mon voile...
TANTE BENOÎT. Et moi, mon chapeau et mon manteau. Elles se dirigent vers la gauche.
HÉLÈNE, à Denise. Pardon, madame, un mot...
DENISE. A votre service, mademoiselle...
HÉLÈNE. Combien avez-vous de dot ?
DENISE. Cent écus...
HÉLÈNE. Je les triple !...
DENISE. Est-il possible ? J'apporterais trois cents écus à Séraphin ?
HÉLÈNE, montrant sa bourse. Les voici !... (A la tante Benoît.) Et vous, ma bonne dame, qu'est-ce qui vous ferait plaisir ?
TANTE BENOÎT. Oh ! moi, j'ai toujours eu envie d'une montre en argent.
HÉLÈNE, tirant la sienne. En voici une en or... à une condition...
DENISE et TANTE BENOÎT. Laquelle ?
HÉLÈNE. C'est que vous allez nous laisser partir à votre place dans la voiture qui doit vous emmener avec votre mari...
DENISE. Mais...
ERMERANCE. Il y va des plus graves intérêts !
DENISE. Il faut au moins que je prévienne Séraphin...
HÉLÈNE. Inutile ! Il pourrait tout gâter.
ERMERANCE. Il vaut mieux qu'il ne se doute de rien !
DENISE. Mais qu'est-ce qu'il dira ?
HÉLÈNE. Nous nous chargerons de lui faire entendre raison. (Montrant la bourse et la montre.) Est-ce dit ?
DENISE. Trois cents écus... Après tout, Séraphin pourra bien attendre un peu... (A part.) d'autant plus que...
TANTE BENOÎT. Quoi ?
DENISE. Rien !... (A Hélène.) C'est dit !
HÉLÈNE, avec joie. Ah !... on vient... Entrons vite ! Elles entrent toutes les quatre à gauche.
SCÈNE XIV SERAPHIN, puis COQUENARD, HÉLÈNE, ERMERANCE, FLORESTAN, LOUSTOT, AGATHE, LES FLEURISTES, LES JEUNES GENS, LES INVITÉS et LES GARDES NATIONAUX.
SÉRAPHIN, au fond, à gauche.
Au revoir... ne vous dérangez pas pour
nous ! COQUENARD, le suivant. Mais si !... mais si !... Il faut que nous fassions nos adieux à la mariée... Musique. — Entrée générale.
Finale.
CHŒUR. Vite, il faut se mettre en chemin ! Le temps est beau, l'air est serein, La journée est à son déclin ; Partez, et que, jusqu'à demain L'amour vous berce sur son sein ! Holà ! madame Séraphin ! Vite, il faut se mettre en chemin !
DENISE, de l'intérieur. Je viens, mon ami, me voici.
HÉLÈNE et ERMERANCE, paraissant, l'une avec la coiffure et le voile de la mariée qui la dissimule complètement, l'autre avec le chapeau et le châle de la tante Benoît. Nous voici ! nous voici !
SÉRAPHIN. Quoi ! la tante Benoît aussi ! A Hélène. Il me semble que sa présence Est inutile maintenant ! Sur un mouvement d'Hélène. Compris ! c'est pour la vraisemblance !
HÉLÈNE, bas à Ermerance.
Ma tante, j'ai le cœur
tremblant ! ERMERANCE, de même. Un peu d'aplomb, c'est le moment !
FLORESTAN, COQUENARD et LOUSTOT. Madame, notre compliment !
HÉLÈNE, à part. A ce soir, monsieur Florestan, Vous serez bien surpris, je pense !
REPRISE DU CHŒUR. Adieu, madame Séraphin ! Propice vous soit le chemin ! Hélène et Ermerance s'en vont par le fond à droite, avec Séraphin, suivies des invités de la noce.
SCÈNE XV LES MÊMES, moins HÉLÈNE, ERMERANCE et SERAPHIN, puis DENISE et LA TANTE BENOÎT.
LOUSTOT, à Agathe. Qu'ils sont heureux, ces deux époux, Vrai ! de leur sort je suis jaloux !
COQUENARD, à part. Mais je n'aperçois plus Estelle... Estelle, Estelle, où donc est-elle ?...
FLORESTAN, à part, cherchant de son côté. Véronique n'est pas ici !...
COQUENARD, se dirigeant vers la gauche. Voyons par là !... Il ouvre la porte. Ciel ! qu'est ceci ?
DENISE, sortant avec la tante Benoît. C'est nous !...
FLORESTAN, allant à elle. Mais qui donc est parti ? Vite ! répondez !
DENISE. Cette lettre, Monsieur, vous le dira peut-être...
TOUS. Une lettre !
l'Acte II lors de la création [Jean Périer (Florestan) chante l'air de la Lettre]
FLORESTAN, lisant la lettre que lui remet Denise.
Rondeau.
Adieu ! je pars ! c'est mon devoir, Puisque ce soir on vous marie : Ne m'accusez pas sans savoir, Monsieur Florestan, je vous prie !...
Il est quelqu'un qui vous attend, Une bonne petite fille, Qui vous aimera tendrement ; C'est bon, croyez-moi, la famille,
Auprès d'elle vous m'oublierez, Je vous l'assure, tout de suite. Et, quand, ce soir, vous la verrez, Vous serez consolé bien vite !...
Adieu ! je pars ! O Florestan, Souffrez, sans plus qu'elle s'explique, Que vous quitte bien tristement Celle qui signe — Véronique !
Froissant la lettre. Allons ! je suis joué !
AGATHE. Ah ! ah ! l'oiseau s'est envolé ! Il a pris qui voulait le prendre !
COQUENARD, à part. Par Estelle, je suis roulé ! Vraiment, pouvais-je m'y attendre ?
LOUSTOT, à Florestan. Bast ! Oublions cet accident ! Ce soir au bal on vous attend !...
FLORESTAN. Au bal ! je n'irai pas !
LOUSTOT. Qu'entends-je ? Eh bien ! Et ma lettre de change ? Vous n'avez que le choix : mariage ou prison.
AGATHE. Le mariage ou la prison : Il faut vous faire une raison !
FLORESTAN. Non ! Non ! mille fois non !
AGATHE, s'approchant de lui. Sans façon vous a fait la nique, Il faut, mon cher, pour l'oublier, Sans plus tarder vous marier. Songez que Clichy vous réclame Si ce soir vous n'avez pris femme : Marié Ou coffré
Vicomte, pas d'enfantillage ! Ou coffré : Mieux vaut-il pas le mariage ?
COQUENARD. Réfléchissez !
FLORESTAN. C'est réfléchi !
AGATHE. Gare à Clichy !
FLORESTAN. Eh ! je me moque de Clichy Et je n'en ferai qu'à ma tête !
LOUSTOT. Vicomte, alors, je vous arrête : Vous serez bientôt converti ! Sur un signe, quatre des gardes nationaux s'avancent et se placent derrière Florestan.
Reprise. [ TOUS. [ Puisque l'ingrate Véronique [ Sans façon vous a fait la nique, [ Il faut, mon cher, pour l'oublier, [ Sans plus tarder vous marier. [ Songez que Clichy vous réclame [ Si ce soir vous n'avez pris femme : [ Marié [ Ou coffré
[ Vicomte, pas d'enfantillage ! [ Ou coffré : [ Mieux vaut-il pas le mariage ? [ [ FLORESTAN. [ Moi ! renoncer à Véronique ! [ Non pas ! car au jeu je me pique ! [ Toujours, toujours je l'aimerai ! [ Il me la faut et je l'aurai ! [ Vainement Clichy me réclame ! [ Il n'est pas pour moi d'autre femme. [ Marié [ Ou coiffé, [ Je ne vois plus que son image ! [ Marié [ Ou coiffé, Tout plutôt que ce mariage ! Loustot et Coquenard ont pris Florestan par le bras et l'entraînent au fond. Tout le monde les suit. Rideau.
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Anna Tariol-Baugé (Agathe), Brunais (Séraphin) et Regnard (Coquenard) dans l'acte III lors de la création
ACTE TROISIÈME
Un petit salon aux Tuileries. Au fond, large baie fermée par des rideaux et donnant sur une galerie qui conduit aux grands salons de réception. — En pan coupé, de chaque côté, deux autres baies dont l'une, celle de gauche, communique avec les appartements privés, et l'autre, celle de droite, donne sur un vestibule. Chaises et fauteuils. A droite, premier plan, une table, bureau.
SCÈNE PREMIÈRE ERMERANCE, DEMOISELLES DU PALAIS.
Au lever du rideau, Ermerance, en toilette de bal est assise sur le devant de la scène. Auprès d'elle une harpe, sur les cordes de laquelle elle promène rêveusement les doigts. Les demoiselles du palais qui accouraient par la gauche s'arrêtent et avancent avec précaution.
Introduction.
LES DEMOISELLES, à mi-voix. Chut ! Chut ! Chut ! faisons silence ! Elle médite, elle pense : Marchons à tout petits pas Ou craignons la gronderie !... Chut ! Chut ! Chut ! ne troublons pas Cette douce rêverie !...
ERMERANCE, soupirant. Ah ! de ce jour, pour mon cœur plein d'émoi, Le souvenir me trouble malgré moi !...
LES DEMOISELLES. Chut ! Chut ! Chut ! Faisons silence ! Elle médite, elle pense ! Elles disparaissent à droite.
ERMERANCE. Extase des beaux jours, Ah ! que ne durez-vous toujours ?
I De magasin la simple demoiselle, A son gré peut se divertir
Et, tout un jour, la trop
sensible Estelle Mais il faut changer de visage, Je me retrouve au poste de l'honneur : Pourquoi faut-il, hélas ! que ma grandeur Me rattache au rivage ?
II Qu'il est joli, le bois de Romainville ! Quel vainqueur que ce Coquenard ! Brève ! — Oh ! combien ! — fut cette douce idylle Que termina notre départ !... Mais oublions ce jour d'orage, Je me retrouve au poste de l'honneur : Pourquoi faut-il, hélas ! que ma grandeur Me rattache au rivage ?
TOUTES, revenant. Ah ! que c'est joli !
ERMERANCE, vivement. Vous étiez là, mesdemoiselles ?
UNE DEMOISELLE, vivement. Nous arrivons !...
ERMERANCE. Je faisais un peu de musique en vous attendant... La solitude me porte à la rêverie. Voyons ! que j’examine vos toilettes... (Elles se rangent.) Très bien ! La mise est élégante sans provocation, ainsi qu'il sied aux demoiselles d'un palais vanté par toute l'Europe pour la pureté et la simplicité de ses mœurs… (A part.) Si elles m'avaient vue à Romainville !... (Haut.) Mesdemoiselles, je vous autorise à aller faire un tour dans les salons, où les invités doivent commencer à arriver...
TOUTES, avec joie. Ah !
ERMERANCE. Mais je ne saurais trop vous le répéter, mesdemoiselles, de la décence, beaucoup de décence, extraordinairement de décence... et surtout, n'allez jamais à Romain... (se reprenant.) N'allez jamais plus loin qu'il faut... Les demoiselles s'inclinent devant elle et s'en vont par le fond.
SCÈNE II
ERMERANCE, les regardant s'éloigner, à part. Chères et tendres brebis !... Puissiez-vous rester longtemps à l'abri des orages de la passion... (Apercevant Hélène qui arrive par la gauche.) Ah ! te voilà, Hélène ?
HÉLÈNE, gaiement. Oui, ma bonne tante, et sous les armes... Grâce au ciel, personne ici ne s'est aperçu de notre escapade et les choses n'ont plus qu'à suivre leur cours régulier... Ah ! je suis d'une joie !... Et, en même temps d'une inquiétude !... Mais, d'abord, regardez-moi !...
Couplets.
Dites, ma tante, à ma coiffure Voyez-vous rien à reprocher ? Trouvez-vous bien cette frisure ? N'y a-t-il rien à retoucher ? Regardez bien, soyez sévère : Pas de complaisance surtout, Car aujourd'hui, je tiens à plaire, Je veux lui paraître à son goût...
Ah ! ma tante ! Combien je suis tremblante ! Il ne tremble pas plus, je crois,
Le pauvre conscrit aux abois,
II J'ai pris grand soin de ma toilette Et, cela soit dit entre nous, Je m'en trouve assez satisfaite, Mais vous, dites, qu'en pensez-vous ? Voyez mon corsage, ma taille, Sont-ils tels que vous les aimez ? Un bal, c'est comme une bataille : La victoire est aux mieux armés !
Ah ! ma tante !
Combien je suis tremblante !
Allons ! Prononcez !
ERMERANCE. C'est parfait, adorable !... Rien qui cloche... Pas la moindre faute d'orthographe.
HÉLÈNE. Pas trop provinciale, alors ?
ERMERANCE. Provinciale ! toi !... Il fallait ne t'avoir jamais vue pour dire une monstruosité pareille !...
HÉLÈNE. Alors, quand il me verra ?
ERMERANCE. Il n'aura qu'à implorer son pardon à deux genoux ! et je sais bien qu'à ta place, je le lui ferais un peu attendre !...
HÉLÈNE. Impossible ! Je n'en aurais jamais le courage...
ERMERANCE. Voyez-vous ça...
HÉLÈNE. Oui... Si Véronique a su faire la conquête du vicomte Florestan de Valaincourt, de son côté, le vicomte a complètement subjugué mademoiselle Hélène de Solanges.
ERMERANCE. Echange de prisonniers, alors ?
HÉLÈNE.
Vous l'avez dit... mais quelle heure
est-il donc ?... ERMERANCE. Neuf heures, je crois...
HÉLÈNE. Il ne saurait tarder, maintenant... Je le vois... en frac... culotte courte, la jambe tendue, la tête frisée... « Mademoiselle de Solanges, s'il vous plaît ? — C'est moi, monsieur. — Vous ! Véronique !... » Ah ! ah ! ah ! jamais je ne pourrai garder mon sérieux... (Changeant de ton.) Vous êtes bien sûre qu'il n'est que neuf heures ?...
ERMERANCE. Mais oui !...Quelle impatience !...
HÉLÈNE. Ah ! ma tante ! Je voudrais bien vous y voir !... Elle va à la table et sonne.
ERMERANCE. Qu'est-ce que tu fais ?
HÉLÈNE. Vous le voyez, je sonne...
SCÈNE III LES MÊMES, SÉRAPHIN.
SÉRAPHIN, paraissant à gauche, — il est en livrée de gala — d'un ton lugubre, à Ermerance. Madame a sonné ?
ERMERANCE. Non ! C'est mademoiselle.
SÉRAPHIN, se tournant vers Hélène, du même ton lugubre. Mademoiselle a sonné ?
HÉLÈNE. Oui... Qu'est-ce que vous avez encore ?
SÉRAPHIN. Je suis abruti, mademoiselle, tout à fait abruti par le chagrin... Ce qui m'arrive depuis ce matin est tout bonnement fantasquemagorique !... Il n'y a pas d'autre mot... En voilà une nuit de noces !... Je me demande ce que doivent penser tante Benoît, les invités et le reste...
HÉLÈNE. Puisque votre femme et la tante Benoît étaient de notre complot...
SÉRAPHIN. Oui, mais moi je n'en étais pas !... Aussi, dans la voiture j’ai eu une surprise bien désagréable, lorsque voulu taquiner un peu les jambes de ma femme et que j'ai reçu une de ces giroflées que j'en ai encore les oreilles qui grésillent !... C'étaient les jambes de mademoiselle !...
HÉLÈNE, avec confusion. Oh ! ma tante !... Elle cache sa tête sur l'épaule d'Ermerance.
ERMERANCE, sévèrement. Monsieur Séraphin ! N'oubliez pas que je vous ai défendu de faire jamais la moindre allusion à cette journée !
SÉRAPHIN. Sufficit, madame la comtesse... Mais c'est égal, c'est dur pour un marié de passer sa nuit à servir des consommations aux autres, quand il en aurait tant besoin lui-même !...
HÉLÈNE. Monsieur Séraphin !
SÉRAPHIN. On se tait !... Mais tout de même, si quelqu'un pouvait insinuer à Sa Majesté de ne pas faire durer le bal trop tard pour que je puisse rappliquer à Romainville pour retrouver Denise...
HÉLÈNE. C'est bon !... On verra à vous rendre votre liberté le plus tôt possible... En attendant, répondez... le monde commence-t-il à arriver ?
SÉRAPHIN. Un peu... Mais le fretin, les nouveaux, ceux qui sont invités pour la première fois... Le dessus du panier ne sera pas là avant une demi-heure, à dix heures…
HÉLÈNE. Vous allez vous tenir dans l'antichambre auprès de l'huissier de service, et quand on annoncera le vicomte de Valaincourt vous viendrez immédiatement nous prévenir...
SÉRAPHIN. Oui, mademoiselle...
HÉLÈNE. Allez !...
SÉRAPHIN, en s'en allant, à part. J'ai le sang qui bout... En passant, je vais m'offrir une glace... Il sort par la droite.
SCÈNE IV HÉLÈNE, ERMERANCE.
ERMERANCE. Pauvre Séraphin !... Il est sur le gril !...
HÉLÈNE. Pas plus que moi !... Décidément, le vicomte n'est guère pressé de connaître sa future !
ERMERANCE. Peut-être s'attarde-t-il à penser à Véronique.
HÉLÈNE. En ce cas, il serait tout pardonné... Mais je ne tiens plus en place... Ma tante, allons faire un tour dans les salons.
ERMERANCE. Volontiers... (Voyant les rideaux de droite qui s'écartent.) D'autant plus que voici tout un arrivage d'invités qui menace d'envahir celui-ci. Musique. Hélène et Ermerance s'en vont par le fond, pendant que paraît à droite un groupe d'invités.
Regnard (Coquenard) dans l'acte III lors de la création
SCÈNE V INVITÉS, puis AGATHE et COQUENARD.
CHŒUR DES INVITÉS. C'est un beau jour, Quand le roi nous invite ! En falbala, En grand gala, Chacun accourt bien vite Nobles, bourgeois, Tous à la fois. On tourne, l'on gravite, Et, d'être vu, Et reconnu On se fait un mérite ! Bal à la Cour !
C'est un beau jour Agathe et Coquenard arrivent par le fond. Agathe en toilette de bal et Coquenard en grande tenue de capitaine de grenadiers de la garde nationale.
AGATHE et COQUENARD. Place ! Place ! Rangez-vous ! C'est nous ! c'est nous !
Duetto. Eh ! oui ! vraiment, Dans le séjour des féeries,
Parmi les velours, les soieries, Nous voilà donc nous pavanant !
I On y rencontre des duchesses Ayant l'habitude des cours, Des baronnes et des comtesses Couvertes de riches atours. Mais sans commettre une hérésie Ou des autres penser du mal, Le seul ornement de ce bal C'est encore la bourgeoisie ! (A Coquenard qui piétine avec inquiétude.) Ça ne semble pas vous flatter ! Qu'avez-vous à vous agiter Comme un chat dans une fontaine ?
COQUENARD. C'est mon bonnet, C'est mon bonnet, Mon bonnet à poil qui me gêne !
AGATHE. Vrai ! vous me faites de la peine !... Il est des choses, capitaine, Qui n'ont pas su vous tourmenter ! (A part.) Quoique plus lourdes à porter !
II AGATHE. Nous possédons de ces manières Qui font qu'on n'y résiste pas, Nous savons nous montrer moins fières En dissimulant plus d'appas. Ce ne sont que des précieuses Tandis que nous avons du sang, Enfin en un mot comme en cent Nous étions aux Trois Glorieuses !... (A Coquenard.) Ça ne semble pas vous flatter ! Qu'avez-vous à vous agiter Comme un chat dans une fontaine ?
COQUENARD. C'est mon bonnet, C'est mon bonnet, Mon bonnet à poil qui me gêne !
AGATHE. Vrai ! vous me faites de la peine !... Il est des choses, capitaine, Qui n'ont pas su vous tourmenter ! (A part.) Quoique plus lourdes à porter !
COQUENARD. Merveilleux bal, mesdames et messieurs !... Superbe fête !... On peut se répandre dans les salons !...
REPRISE DU CHŒUR. Bal à la Cour Etc. Les invités s'en vont par le fond, Agathe et Coquenard restent seuls.
SCÈNE VI AGATHE, COQUENARD.
Ah !... on est bien dans les fauteuils du roi... Goûte plutôt !...
AGATHE, s'asseyant à droite. C'est vrai !... (se levant.) Mais non ! J'ai peur de chiffonner ma belle robe...
COQUENARD. Chez le roi !... Il n'y a pas à dire, nous sommes chez le roi !... Qui aurait pu imaginer ça ce matin !
AGATHE.
C'est vrai... En rentrant, nous avons
trouvé cette invitation : Bal des Tuileries, le capitaine Coquenard. COQUENARD. Et sa dame !... Il pense à tout notre bon roi !... Quel tact !... Tout à fait grand siècle !... Heureusement que j'avais commandé mon uniforme, il y a un mois, à tout hasard... (Se levant.) Hein ? Il me va bien ?
AGATHE. Très bien !
COQUENARD. Par exemple, le bonnet à poil m'intimide... mais en me tenant bien droit...
AGATHE. Et moi, comment me trouves-tu ?
COQUENARD. Ruisselante !
AGATHE. Aussi bien que mademoiselle Estelle ?
COQUENARD. Estelle !... Ah ! fi !... une grisette... Tu comprends bien qu'un homme qui est reçu à la cour… On n'y rencontre pas de ces péronnelles-là. (Avec élan.) Embrasse-moi, mon Agathe !
AGATHE. Qu'est-ce qui vous prend ?
COQUENARD. Je veux pouvoir dire que je t'ai embrassée chez le roi !...
AGATHE, voyant paraître Séraphin au fond. Un peu de tenue ! Voici quelqu'un...
COQUENARD. Mais non ! C'est un domestique avec un plateau. Au fait, nous prendrions bien quelque chose, pas vrai ? (Appelant.) Eh ! garçon ?
Brunais (Séraphin) dans l'acte III lors de la création
SCÈNE VII LES MÊMES, SÉRAPHIN.
SÉRAPHIN, entrant par le fond, un plateau dans les mains, à part, en marchant. Il y a un majordome, un grand sec qui m'a dit : « Qu'est-ce que vous fichez là, planté comme un serin dans l'antichambre, au lieu de faire circuler les rafraîchissements ?... Allons ! ouste !... » Alors, je viens par ici, parce qu'il y a moins de monde... Là-bas, c'est plein de gourmands qui me licheraient tout... Il prend un verre et s'apprête à boire.
COQUENARD, qui l'a suivi sans pouvoir se trouver face à face avec lui, l'arrêtant. Après vous, garçon !... (Le reconnaissant.) Oh ! Séraphin !
AGATHE. Le marié de tantôt !
SÉRAPHIN. Monsieur et madame Coquenard !... (A Coquenard.) Tenez, puisque c'est vous, je vous recommande cette orangeade, c'est frais au gosier !...
COQUENARD. Vraiment ? Il prend un verre.
SÉRAPHIN, en offrant un à Agathe. Vous m'en direz des nouvelles... A la vôtre !
AGATHE. Hein ?
COQUENARD. Il n'est pas fier !... (Après avoir trinqué, il boit.) Oh ! exquis !... (A Agathe.) N'est-ce pas ?...
AGATHE. Mais oui !... (A Séraphin.) Ah ! ça, vous êtes donc à la Cour, vous ?
SÉRAPHIN. Vous voyez, j'y fonctionne...
AGATHE. Eh bien ! Et votre femme ?
SÉRAPHIN, sans avoir l'air de comprendre. Ma femme ?
AGATHE. Oui, votre femme que vous avez laissée à Romainville avec sa tante.
SÉRAPHIN, même jeu. Allons donc !
COQUENARD. A preuve que vous avez ramené Estelle et Véronique à leur place...
SÉRAPHIN, à part. Et madame la comtesse qui m'a défendu de faire la moindre élusion à ce qui s'est passé ?... (Haut.) Sais pas ce que vous voulez dire...
AGATHE. Comment ! Vous ne savez pas ?...
COQUENARD. Elle est forte !...
SÉRAPHIN. D'abord, il n'y a pas d'Estelle et de Véronique !... Et d'une !
AGATHE et COQUENARD. Par exemple !...
SÉRAPHIN. C'est comme ça !... Et puis... Et puis, vous êtes trop curieux après tout ! Vous me retenez à causer quand j'ai à faire !... Je vous dis que je ne sais rien, moi !... Je ne sais rien du tout !... (A part, en s'en allant.) Ils m'ont donné chaud !... Il disparaît au fond en vidant un nouveau verre d'orangeade.
SCÈNE VIII AGATHE, COQUENARD, puis HÉLÈNE et ERMERANCE.
AGATHE. Ce garçon a quelque chose qui n'est pas naturel.
COQUENARD. Il se sera peut-être offert à lui-même un peu trop de consommations... Enfin !... Si nous nous répandions à notre tour dans les salons…
AGATHE. J'allais le proposer... (Elle fait un mouvement vers le fond, s'arrêtant avec surprise.) Ah !
COQUENARD. Quoi donc ?
AGATHE. Regardez... ces deux dames qui se dirigent par ici.
COQUENARD. Oh ? ce n'est pas possible !... une pareille ressemblance !
AGATHE. Il faut en avoir le cœur net ! Hélène et Ermerance ont paru au fond. Elles entrent dans le salon. Agathe et Coquenard se sont placés de chaque côté, de façon à se trouver nez à nez avec elles.
AGATHE. Oh !
HÉLÈNE, s'arrêtant. Ah !
ERMERANCE, de même. Ciel !
COQUENARD. Ai-je bien vu ?
AGATHE. Quoi ?
HÉLÈNE. Vous ?
ERMERANCE. Eux ?
COQUENARD. Qui l'aurait cru ?
ENSEMBLE. Rencontre bizarre ! Hasard surprenant ! Mon esprit s'effare Exorbitamment ! Vraiment, c'est un rêve, Une illusion, Et cela m'enlève Toute notion !
AGATHE. Oh !
HÉLÈNE, s'arrêtant. Ah !
ERMERANCE, de même. Ciel !
COQUENARD. Ai-je bien vu ?
AGATHE. Quoi ?
HÉLÈNE. Vous ?
ERMERANCE. Eux ?
COQUENARD. Qui l'aurait cru ?
AGATHE, à Hélène. Quoi ! l'on vous trouve ici, ma chère ?
HÉLÈNE. Eh ! oui ! ma chère, pour vous plaire !
ERMERANCE. Voyez-vous grand mal à l'affaire ?
COQUENARD. Du coup m'en tombent les deux bras !
HÉLÈNE. Vous-mêmes n'y êtes-vous pas ?
COQUENARD. Oh ! nous, ce n'est pas l'embarras !
AGATHE. Nous venons comme capitaine. Mais vous ? mais vous ?
COQUENARD. Oui, vous ? Oui, vous ?
HÉLÈNE. Eh ! bien ! nous sommes chez nous !
AGATHE. Chez vous ?
HÉLÈNE. Chez nous !
COQUENARD. Chez vous ?
ERMERANCE. Chez nous !
HÉLÈNE, se présentant avec une révérence. Je suis mademoiselle Hélène De Solanges, tout simplement.
AGATHE. La future de Florestan !
ERMERANCE, même jeu qu'Hélène. Et moi, madame la comtesse Ermerance de Champ d'Azur.
AGATHE. COQUENARD, à part. Ah ! quel honneur ! J'ai vu pour sûr Tous les dessous d'une comtesse !
Reprise.
AGATHE. Oh !
HÉLÈNE, s'arrêtant. Ah !
ERMERANCE, de même. Ciel !
COQUENARD. Ai-je bien vu ?
AGATHE. Quoi ?
HÉLÈNE. Vous ?
ERMERANCE. Eux ?
COQUENARD. Qui l'aurait cru ?
ENSEMBLE. Rencontre bizarre ! Hasard surprenant ! Mon esprit s'effare Exorbitamment ! Vraiment, c'est un rêve, Une illusion, Et cela m'enlève Toute notion !
AGATHE. Oh !
HÉLÈNE, s'arrêtant. Ah !
ERMERANCE, de même. Ciel !
COQUENARD. Ai-je bien vu ?
AGATHE. Quoi ?
HÉLÈNE. Vous ?
ERMERANCE. Eux ?
COQUENARD. Qui l'aurait cru ? Je sens tous les poils de mon bonnet se dresser sur ma tête.
HÉLÈNE. Pour ne pas prolonger inutilement votre surprise, j'ajouterai que, si, ce matin, nous nous sommes présentées chez vous sous des costumes et noms d'emprunt, c'était dans l'unique but de nous rendre compte de certaines petites choses qui nous ont d'ailleurs suffisamment édifiées.
AGATHE, inquiète. Que voulez-vous dire ?
HÉLÈNE, bas. Rassurez-vous, madame, je vous garderai le secret, de même que vous me le garderez, j'en suis sûre…
AGATHE, à part. Elle me tient !
COQUENARD, à Ermerance, galamment. Croyez, madame la comtesse, que je conserverai toujours le souvenir...
ERMERANCE, sèchement. Je vous demanderai de vouloir bien oublier, au contraire !...
COQUENARD, défrisé. Ah !...
HÉLÈNE. Et maintenant que les présentations sont faites, vous nous permettrez d'aller au devant de mon futur...
AGATHE. Florestan !... (Se reprenant.) Le vicomte de Valaincourt ! Comment ! Vous ne savez pas ?...
COQUENARD. Mais il ne viendra pas, M. de Valaincourt !
HÉLÈNE et ERMERANCE. Hein ?
COQUENARD. Devinez où il est pour le moment ?
HÉLÈNE et ERMERANCE. Où donc ?
AGATHE. A Clichy !
HÉLÈNE et ERMERANCE. A Clichy ?
COQUENARD. Bouclé comme un simple boutiquier qui n'aurait pas payé sa fin de mois...
HÉLÈNE. Mais comment se fait-il ? Parlez ! Expliquez-vous ?...
COQUENARD. Voici la chose... Il faut vous dire que... parce que... (S'arrêtant.) C'est curieux comme je m'exprime difficilement avec un bonnet à poil !... Je vais l'ôter !... Il l'enlève.
HÉLÈNE. Ah ! vous me faites mourir !...
AGATHE. Eh bien ! Tantôt après votre départ, quand on lui a eu remis votre lettre, M. de Valaincourt a perdu complètement la tête et a déclaré qu'il voulait se mettre à votre poursuite et retrouver à tout prix Véronique...
HÉLÈNE. Ah !
COQUENARD, qui en voyant Agathe prendre la parole avait remis son bonnet. A quoi le baron, c'est-à-dire, Loustot, (A part.) j'ai eu tort de le remettre, (Il ôte de nouveau son bonnet, continuant.) lui a fait observer que sa fiancée l'attendait au bal des Tuileries...
AGATHE. Au diable les Tuileries ! Au diable mademoiselle de Solanges ! a répondu M. de Valaincourt...
COQUENARD, qui avait remis son bonnet. Alors le baron, c'est-à-dire, Loustot... (A part.) Pas moyen !... (Il ôte encore son bonnet et le passe à Ermerance qui le prend machinalement.) Je vous demande pardon !... (Continuant.) Le baron a tiré de sa poche une lettre de change et une contrainte et lui a dit qu'il était dans la nécessité de l'arrêter... Comme capitaine de la force armée j'ai même dû prêter main forte... Un homme qui nous avait payé un si bon déjeuner, c'est dégoûtant !... A la barrière, on a réquisitionné un fiacre et à l'heure qu'il est...
HÉLÈNE. Ah ! mon Dieu !... En prison !... A cause de moi !... Ah ! je n'ai que trop bien réussit !...
ERMERANCE. Quel scandale, quand il va falloir apprendre à Sa Majesté !...
HÉLÈNE. C'est son avenir brisé !... Oh ! non !... A tout prix il faut le faire sortir avant que la chose ne s'ébruite... (A Coquenard.) A quelle somme se monte la lettre de change ?
COQUENARD. Vingt mille...
HÉLÈNE, à Ermerance. Vite, ma tante !... Allez dans votre appartement prendre l'argent.... Avec une bonne voiture nous arriverons peut-être à la prison assez tôt pour parler au directeur !...
ERMERANCE. Je cours et je reviens !... Elle se dirige vivement vers la gauche.
COQUENARD. Pardon, madame, mon bonnet !... (Ermerance revient sur ses pas et lui rend le bonnet en échangeant avec lui un long regard, puis elle sort.) Et nous, reprenons notre promenade... (Offrant cérémonieusement son bras à Agathe.) Madame de Coquenard...
AGATHE, minaudant. Mon cher capitaine !... Ils sortent par le fond. Hélène, restée seule, s'est assise à gauche.
SCÈNE IX HÉLÈNE, puis LOUSTOT.
HÉLÈNE, seule. Quelle journée, mon Dieu !... Mais, après tout, qu'est-ce que je voulais ? Me faire aimer de lui ?... Eh bien ! Je suis sûre qu'il m'aime, à présent... Il me l'a prouvé... Trop prouvé, même... Bah ! Tout cela s'arrangera et mademoiselle de Solanges est là pour réparer le mal causé par Véronique… (Se levant, avec impatience.) Le temps presse… pourvu que ma tante ne tarde pas trop !
LOUSTOT, parlant à la cantonade. Faites vite ma commission... J'attendrai dans ce petit salon... (Il entre par la droite, apercevant Hélène.) Oh !...
HÉLÈNE. Monsieur Loustot !...
LOUSTOT. La petite Véronique !... Ah ! ça ! On vous trouve donc partout !...
HÉLÈNE. Dites mademoiselle de Solanges !...
LOUSTOT. Est-il possible !... Vous seriez ?...
HÉLÈNE. Je suis furieuse après vous !... Ah ! vous pouvez vous vanter d'avoir fait un joli coup ! Aller enfermer mon futur à Clichy !...
LOUSTOT. A Clichy !
HÉLÈNE. Oui !... M. et madame Coquenard viennent de me le dire...
LOUSTOT. Les Coquenard !... Ils sont ici !... Tout le monde, alors ?...
HÉLÈNE. Ainsi, grâce à vous, M. de Valaincourt est sous les verrous !...
LOUSTOT. Mais non ! mais non !... Il est en bas, dans un fiacre, sous bonne garde...
HÉLÈNE, avec joie. Vraiment ?
LOUSTOT. Oui... En route, j'ai réfléchi.... Je me suis dit qu'une fois bouclé, il le serait au moins jusqu'à demain matin... Du coup, adieu son mariage... Et surtout, adieu la prime, la douce prime qui devait me permettre de faire figure pendant six bons mois !... Alors, j'ai donné ordre au cocher de rebrousser chemin et j'ai mené le vicomte chez lui où je l'ai décidé non sans peine à endosser son frac... Mais, une fois ici, il s'est absolument refusé à paraître à ce bal, si bien que je venais réclamer l'intervention du duc de Valaincourt, qui seul pourra avoir raison de son neveu...
HÉLÈNE, radieuse. Mais alors, tout est sauvé !...
LOUSTOT. Ça m'en a l'air... Et vous aviez bien raison de dire que je pouvais me vanter d'avoir fait un joli coup... Sans moi, Dieu sait où serait à présent le vicomte, occupé à courir après une introuvable Véronique !
HÉLÈNE. C'est vrai !... Merci, monsieur Loustot, merci !
SCÈNE X LES MÊMES, ERMERANCE.
ERMERANCE, revenant par la gauche, un portefeuille à la main. Là ! J'ai l'argent...
LOUSTOT, surpris. Estelle, maintenant !...
HÉLÈNE. Non !... La comtesse de Champ d'Azur, ma tante...
LOUSTOT. Ah !... (Par réflexion.) Ah ! oui ! Ah ! bien ! Je comprends... (Saluant.) Madame...
ERMERANCE. Monsieur Loustot !... Mais...
HÉLÈNE. Oui... Tout est changé... Je vous expliquerai... (Elle lui prend le portefeuille. — A Loustot.) Vous avez la lettre de change ?
LOUSTOT. La voici....
HÉLÈNE. Donnez (Lui tendant le portefeuille.) Ce portefeuille en contient le montant... Allez rendre la liberté à M. de Valaincourt.
LOUSTOT. J'y vole... Et vous pouvez compter qu'il ne se fera pas prier pour venir à ce bal, quand il saura...
HÉLÈNE. Au contraire, j'entends qu'il ne sache rien... Je veux avoir tout le plaisir de sa surprise. Vous lui direz tout simplement que c'est mademoiselle de Solanges qui vient d'acquitter elle-même cette lettre de change !... Je suis certaine que le dépit qu'il en aura le fera venir encore plus vite... Allez !...
LOUSTOT, avec un grand salut de cour. Mesdames... (A part.) Enfin ! Me voilà redoré !... Je cours annoncer cette nouvelle... à mon tailleur !... Il sort par la droite.
SCÈNE XI HÉLÈNE, ERMERANCE.
HÉLÈNE, avec joie. Il va venir ! Il vient !...
ERMERANCE. Déjà !
HÉLÈNE. Il était en bas, gardé à vue dans une voiture et en ce moment, M. Loustot... Ah ! que je suis heureuse… Je...
Elle s'arrête et porte la main à
son front comme étourdie. ERMERANCE. Eh bien !... Te voilà toute tremblante...
HÉLÈNE. Oui... la joie... l'émotion, en pensant que dans une minute peut-être... Je suis tellement contente que j'ai envie de pleurer !...
ERMERANCE. Voyons ! Voyons !... Remets-toi un peu... Songe qu'il faut te présenter et lui avec tous tes avantages...
HÉLÈNE. Vous avez raison... Je ne veux pas qu'il me voie ainsi... Venez !... (Se jetant à son cou et l'embrassant.) Ah ! ma bonne tante !... Venez ! Venez !... Elle entre à droite.
ERMERANCE, la suivant, à part. Eh bien ! Voilà un vicomte qui ne sera pas à plaindre !...
SCÈNE XII FLORESTAN, puis AGATHE.
FLORESTAN, arrivant par la droite, avec agitation. Je suis d'une fureur !... Cette mademoiselle de Solanges, se permettre de payer mes dettes !... Si elle croit ainsi me forcer la main !... C'est d'une indiscrétion, d'une inconvenance !... Le temps de voir mon oncle, de lui démontrer la nécessité de me dégager d'une pareille obligation et je romps avec éclat !
AGATHE, arrivant par le fond, en cherchant. Je viens de perdre M. Coquenard... Tiens! Florestan !
FLORESTAN. Agathe ici !...
AGATHE. Oui, mon cher !... Avec une invitation... Cela vous étonne un peu !
FLORESTAN. AGATHE.
Eh bien ! Vous êtes poli ! A la bonne
heure !... FLORESTAN. Pardon !... Mais voyez-vous, en ce moment, je suis tellement contrarié...
AGATHE. Contrarié de quoi ?... D'avoir enfin retrouvé votre Véronique ?...
FLORESTAN. Véronique !...
AGATHE. Faites donc l'étonné !... Mais je le savais avant vous !...
FLORESTAN. Je vous assure...
AGATHE. Ah ça !... Est-ce que vraiment, vous ne seriez pas au courant ?
FLORESTAN. Au courant de quoi ?
AGATHE. Mais de... Non, au fait... Puisque vous ne savez rien, je dois peut-être vous laisser toute la surprise...
FLORESTAN. Mais quelle surprise ?... De quoi s'agit-il ?... Parlez, je vous en supplie !...
AGATHE. Eh bien ! Véronique et mademoiselle de Solanges ne sont qu'une seule et même personne !
FLORESTAN, stupéfait. Mademoiselle de Solanges !...
AGATHE. Sans vous en douter, vous avez passé toute la journée avec elle, mon cher !... Et, pendant que vous faisiez le galant auprès de l'innocente Véronique, mademoiselle de Solanges a dû bien rire tout bas et se moquer de vous, comme de nous tous, d'ailleurs !...
FLORESTAN. Est-il possible !...
Anna Tariol-Baugé (Agathe) dans l'acte III lors de la création
Couplets.
AGATHE. I Ma foi ! Pour venir de province, Le tour n'est pas trop mal, oui-dà ! Et le mérite n'est pas mince De débuter comme cela ! Vous avez perdu la partie, Payez sans maudire le sort Et dites-vous qu'en cette vie Il n'est pire eau que l'eau qui dort.
Ah ! Ah !... Vrai ! Je m'en veux de rire Quand je devrais y compatir, Mais de voir un homme souffrir, Lorsqu'on est femme, on a beau dire, Ça fait toujours un peu plaisir !
II Vous aurez une vicomtesse Digne de vous, sans contredit, Au prestige de la noblesse Ajoutant celui de l'esprit ! Vous aviez peur qu'elle fût bête ! D'avance elle vous donna tort En tournant prestement la tête D'un homme qui se croit si fort !..
Ah ! Ah !... Vrai ! Je m'en veux de rire Quand je devrais y compatir, Mais de voir un homme souffrir, Lorsqu'on est femme, on a beau dire, Ça fait toujours un peu plaisir !
Sur ce, je vous laisse au charme de la reconnaissance et je vais tâcher de retrouver monsieur Coquenard... A tout à l'heure, vicomte... Et bonne chance !... (A part.) Au fond, je ne suis pas fâchée de ce qui lui est arrivé ! Elle s'éloigne par le fond.
SCÈNE XIII
FLORESTAN, seul. Ainsi, j'ai été joue !... Joué par mademoiselle de Solanges !... Et je l'aime, à présent !... Et elle ?... Elle, pardieu ! En ce moment, elle triomphe !... Elle m'attend pour s'amuser de ma confusion, pour en rire !... Oh ! non ! mille fois non !... Elle ne rira pas, je le jure !... (Voyant s'ouvrir une porte à gauche.) La voici !... A nous deux, mademoiselle ma future !... Il va s'asseoir à droite.
SCÈNE XIV FLORESTAN, HÉLÈNE.
HÉLÈNE, entrant, à part. Il est là !... Comme il va être surpris !... (Elle fait quelques pas, toussant.) Hum ! Hum !... Il ne m'a pas entendue... (Elle fait encore quelques pas. Feignant de l'apercevoir.) Oh ! pardon, monsieur !...
FLORESTAN, se levant et saluant. Mademoiselle !... Il remonte et passe à gauche, d'un air indifférent.
HÉLÈNE, à part. Hein ? Il a l'air de ne pas me reconnaître... (Silence. — Au bout d'un moment, impatientée, elle va se camper devant lui.) Eh bien ! monsieur Florestan ! C'est tout ce que vous trouvez à me dire ?
FLORESTAN, froidement. Mais, pour vous dire quelque chose, mademoiselle, il faudrait d'abord savoir à laquelle des deux j'ai l'honneur de parler, de Véronique ou de mademoiselle de Solanges...
HÉLÈNE. Ah ! Il savait !... Vous saviez !... On vous a prévenu, ce n'est pas de jeu !... (Nouveau silence.) Mais parlez donc, à la fin, dites-moi quelque chose !
FLORESTAN. Je vous le répète, pas avant de savoir à qui j'ai l'honneur...
HÉLÈNE, avec impatience. Oh !
Duo.
HÉLÈNE. Puisqu'il faut être méthodique, Allons, monsieur, et commençons. Que direz-vous à Véronique ?
FLORESTAN. I A Véronique je dirai : D'un regard tu fis ma conquête Et bien longtemps je garderai Le souvenir de la grisette De ce jour passé tous les deux Les heures m'ont paru bien brèves Et ce fut un voyage heureux Dans le joli pays des rêves !... Mais le voyage est terminé, Adieu le doux rêve magique !... Voilà, le cœur bien chagriné, Ce que je dis à Véronique !
HÉLÈNE. Qu'importe ! Rien n'est terminé, Puisqu'Hélène, c'est Véronique !
FLORESTAN. Non ! non ! Le rêve est terminé, Hélène n'est pas Véronique !
II Hélène a voulu sans façon Se faire un jeu de ma tendresse, Ce qu'elle crut une leçon Etait un affront qui me blesse ! Rien ne peut plus nous réunir ; L'amour est une fleur sauvage, Un sourire le fait fleurir, Mais il se fane sous l'outrage !... Mon cœur ce matin fasciné En vain à revivre s'applique : Tout mon bonheur est condamné, Hélène n'est pas Véronique !...
HÉLÈNE, suppliante. Ah ! que tout lui soit pardonné, En souvenir de Véronique !
FLORESTAN. Non ! non ! Le rêve est terminé, Hélène n'est pas Véronique !
HÉLÈNE. Alors, vous m'en voulez donc bien fort ?
FLORESTAN. Je ne vous en veux plus, mademoiselle... Je constate seulement que vous avez rendu notre mariage impossible...
HÉLÈNE. Impossible !...
FLORESTAN. Maintenant que vous m'avez rendu ridicule à vos propres yeux, je craindrais trop, à tout moment, de surprendre sur vos lèvres un sourire de moquerie... Et c'est justement parce que j'ai aimé Véronique, que je suis forcé de renoncer à la main de mademoiselle de Solanges...
HÉLÈNE, tremblante. Oh ! vous dites cela pour me punir... pour me faire peur !
FLORESTAN. Je le dis parce que c'est la vérité... Et pour vous en convaincre... Il se dirige vers la table à droite.
HÉLÈNE, à part, avec inquiétude. Que va-t-il faire ?...
FLORESTAN, écrivant. « Mon cher oncle. — En vous priant de remercier hautement Sa Majesté du choix qu'elle avait fait pour moi… »
HÉLÈNE, timidement. J'y avais bien un peu aidé !...
FLORESTAN, continuant. « J'ai le regret de ne pouvoir l'accepter... Des incidents inattendus rendent ce mariage impossible… »
HÉLÈNE, comme étourdie. Oh ! Florestan sonne. Un huissier paraît au fond.
FLORESTAN, lui tendant la lettre qu'il vient de plier. Ce billet à mon oncle le duc de Valaincourt !... (Saluant Hélène.) Mademoiselle... Après l'avoir longuement regardée, il s'éloigne par le fond à droite. Hélène, restée seule, se met à sangloter.
SCÈNE XV HÉLÈNE, ERMERANCE.
ERMERANCE, entrant par la gauche. Eh bien, Hélène, tu as vu le vicomte ?
HÉLÈNE. Oui, ma tante, je l'ai vu... Il a été superbe !... Quelle noblesse !... Quelle dignité fière !... Et voilà l'homme que j'ai perdu !...
ERMERANCE. Comment ?
HÉLÈNE Il est parti !
ERMERANCE. Parti ?
HÉLÈNE Pour toujours !
ERMERANCE. Qu'est-ce que cela signifie ?
HÉLÈNE. Cela signifie qu'il avait raison et que je ne suis qu'une petite dinde... J'ai voulu jouer sottement avec mon bonheur et je l'ai brisé !... Elle se laisse tomber dans un fauteuil à gauche.
ERMERANCE. Voyons ! Hélène !... Calme-toi !... Tout n'est peut-être pas perdu !...
HÉLÈNE. Oh si !... Ah ! ma tante !... Je ne m'en consolerai jamais !... À ce moment l'orchestre joue en sourdine l'air : Vive Henri IV. Les demoiselles du palais entrent par la gauche.
ERMERANCE, qui a prêté l'oreille allant ouvrir les rideaux du fond qui laissent voir les invités encore inclinés pour le passage du roi. Leurs Majestés viennent de quitter la salle de bal pour entrer dans les salons. Et voici les invités qui reviennent de ce côté...
HÉLÈNE, s'essuyant les yeux. Oh ! je ne veux pas qu'on me voie pleurer !
SCÈNE XVI LES MÊMES, INVITÉS, DAMES et DEMOISELLES DU PALAIS, puis AGATHE et COQUENARD.
COQUENARD, arrivant avec Agathe. Il est entouré d'invités et dans la plus grande joie. Oui, mesdames, oui, messieurs !... Je suis dans l'enthousiasme !... Le roi a daigné m'adresser la parole. Il m'a dit : « Eh bien, capitaine, qu'est-ce que vous pensez de nous ? » Alors, moi, j'ai perdu la tête et je lui ai dit : « Sire, vous êtes un brave homme ! » Il s'est mis à rire et m'a donné une poignée de main... (Otant son gant et le portant à ses lèvres.) Voilà un gant que je garderai toute ma vie !
UNE DEMOISELLE DU PALAIS, au fond. Leurs Majestés font prévenir mademoiselle de Solanges qu'on l'attend pour la signature du contrat...
HÉLÈNE, tristement. Ah bien oui !... Le contrat !... il est loin maintenant !...
SCÈNE XVII LES MÊMES, FLORESTAN, puis LOUSTOT, puis SÉRAPHIN. Florestan paraît au fond. En l'apercevant, Ermerance est sur le point de pousser un cri de surprise, mais il lui fait signe de se taire et vient lentement derrière le fauteuil sur lequel est assise Hélène.
FLORESTAN, doucement. Venez-vous, mademoiselle ?
HÉLÈNE, se levant, avec un cri de joie. Ah ! Vous !...
FLORESTAN. Pouviez-vous croire que j'aurais réellement le courage de m'éloigner ?
HÉLÈNE. Mais votre lettre au duc de Valaincourt ?
FLORESTAN. Lui disait que j'étais heureux du choix que le roi avait fait pour moi et que je m'efforcerais de m'en rendre digne.
HÉLÈNE. Oh ! le méchant ! Comme il s'est vengé !
FLORESTAN. Il fallait bien que nous fussions quittes !
LOUSTOT, qui s'est glissé prés d'eux, il est en tenue de bal. Dire que voilà un petit bonheur qui est un peu mon ouvrage...
AGATHE. Monsieur Loustot !...
LOUSTOT. Pour six mois au moins le baron des Merlettes... À votre service, belle dame...
AGATHE. Grand merci, baron... (Prenant le bras de Coquenard.) J'ai un bras...
COQUENARD. Et un cœur !...
LOUSTOT. N'importe !... Vous avez de jolies demoiselles de magasin !... Je vous promets ma pratique...
SÉRAPHIN, se faufilant près d'Ermerance. Madame la comtesse... Je peux t'y m'en aller ?
ERMERANCE. Oui !... Vous êtes libre !...
SÉRAPHIN. Quelle chance !... Je file à Romainville !
HÉLÈNE. A Romainville ?
FLORESTAN. Nous y retournerons, n'est-ce pas... Véronique ?
HÉLÈNE. Par une faveur insigne, En présence de la cour A mon contrat le roi signe, Pour moi c'est un heureux jour ! Il est une signature Que j'implore également, Messieurs, je vous en conjure, Allons un bon mouvement !... Pour Hélène et Véronique
Montrez-vous bien doux ! A vous plaire à tous !
TOUS. Pour Hélène et Véronique Messieurs, soyez doux ! Car l'une et l'autre s'applique A vous plaire à tous !
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