le Roi d'Ys

 

affiche pour la création du Roi d'Ys, lithographie en couleurs d'Auguste François Gorguet (1888)

 

 

Légende bretonne en trois actes et cinq tableaux, livret d'Édouard BLAU, d’après une légende bretonne, musique d'Édouard LALO.

 

 

   partition                  partition d'orchestre de l'ouverture

 

 

                   

 

Acte III. Aubade (pour ténor seul)

 

 

dédicace du livret :

"A M. Jules de La Morandière

C'est toi qui, au retour d'une excursion en Bretagne, m'as conté la légende du Roi d'Ys.

C'est près de toi, dans ta jolie vallée de Chambon, que fut ébauché le poème aujourd'hui publié.

Je crois donc juste, et je trouve doux que l'ouvrier de la première heure ait son nom sur la première page."

Édouard Blau

 

 

Le sujet, emprunté à une légende bretonne, ne manque ni de mouvement ni d’intérêt (Ys, cité bretonne légendaire, aurait été engloutie par la mer au IVe ou Ve s. ; elle se serait élevée près de la baie de Douarnenez). Mais le librettiste transforme et affadit sensiblement l’âpreté du vieux récit celtique. Le centre de l’action est l’engloutissement de la ville d’Ys, causé par la jalouse princesse Margared. Pour se venger de sa sœur, Rozenn, qui lui a ravi le guerrier Mylio, qu’elle aimait, elle n’hésite pas à ouvrir les écluses qui protègent la cité. Elle périt dans les flots, mais l’intervention de saint Corentin sauve le peuple innocent.

Sincère, vivante et très colorée, la partition de Lalo éloignée de tout académisme compte parmi les ouvrages les plus originaux et les plus représentatifs de l’école dramatique française de la fin du XIXe s.

 

 

Création à l'Opéra-Comique (salle du Châtelet) le 07 mai 1888. Décors de Jean-Baptiste Lavastre et Eugène Carpezat. Costumes dessinés par Charles Bianchini. Mise en scène de Charles Ponchard et Louis Paravey. Au 3e acte, danses réglées par Louise Marquet.

Le 28 février 1902, nouvelle mise en scène d'Albert Carré.

490 représentations à l’Opéra-Comique au 31.12.1950, dont 336 entre le 01.01.1900 et le 31.12.1950.

 

 

=> Critiques     => Livret et enregistrements

 

 

 

 

de g. à dr. Blanche Deschamps-Jehin (Margared), Max Bouvet (Karnac), Alexandre Talazac (Mylio), Cécile Simonnet (Rozenn), Arthur Cobalet (le Roi) lors de la création

 

 

 

personnages

emplois

Opéra-Comique

07 mai 1888

(création)

Opéra-Comique

24 mai 1889

(100e)

Opéra-Comique

28 février 1902

(155e)

Opéra-Comique

10 février 1906

 

Opéra-Comique

16 octobre 1909

(204e)

Margared, fille du roi d'Ys mezzo-soprano ou falcon Mmes Blanche DESCHAMPS-JEHIN Mmes Blanche DESCHAMPS-JEHIN Mmes Marie DELNA Mmes Mathilde COCYTE Mmes Marthe CHENAL
Rozenn, sa sœur soprano Cécile SIMONNET Cécile SIMONNET Julia GUIRAUDON Marie THIÉRY Marianne NICOT-VAUCHELET
Mylio ténor MM. Alexandre TALAZAC MM. Albert SALÉZA MM. Léon BEYLE MM. Edmond CLÉMENT MM. Léon BEYLE
Karnac baryton Max BOUVET Max BOUVET Jean DELVOYE Jean DELVOYE André ALLARD
le Roi basse chantante Arthur COBALET Arthur COBALET Félix VIEUILLE Gustave HUBERDEAU Félix VIEUILLE
saint Corentin basse ou baryton René Antoine FOURNETS René Antoine FOURNETS Gustave HUBERDEAU Etienne BILLOT Louis AZÉMA
Jahel baryton ou second ténor José BUSSAC César BERNAERT VIGUIÉ Paul GUILLAMAT Paul GUILLAMAT
Chœurs : Seigneurs, Guerriers, Pontifes, Soldats, Pages, Ecuyers, Peuple, Dames et Suivantes            
Chef d'orchestre   Jules DANBÉ Jules DANBÉ Alexandre LUIGINI Alexandre LUIGINI François RÜHLMANN

 

 

 

 

 

Suzanne Cesbron (Rozenn) et Léon Beyle (Mylio) dans la scène 1 de l'Acte III (1er tableau) à l'Opéra-Comique en 1902

 

 

 

personnages

Opéra-Comique

16 novembre 1909

 

Opéra-Comique

21 avril 1917

(269e)

Opéra-Comique

30 décembre 1917

(286e)*

Opéra-Comique

12 février 1920

 

Opéra-Comique

21 octobre 1924

(379e)*

Opéra-Comique

15 novembre 1927

(409e)*

Opéra-Comique

28 décembre 1928

(421e)*

Opéra-Comique

06 janvier 1940

(490e et dernière)

Margared Mmes Marthe CHENAL Mmes Marthe CHENAL Mmes Suzanne BROHLY Mmes Mathilde CALVET Mmes Lucy PERELLI Mmes Mathilde CALVET Mmes Marguerite SOYER Mmes Renée GILLY
Rozenn Marianne NICOT-VAUCHELET Edmée FAVART Yvonne BROTHIER Yvonne BROTHIER Yvonne BROTHIER Jeanne GUYLA Jeanne GUYLA Irène JOACHIM
Mylio MM. Léon BEYLE MM. Charles FONTAINE MM. Jean MARNY MM. René LAPELLETRIE MM. René LAPELLETRIE MM. Miguel VILLABELLA MM. Raoul GIRARD MM. Gaston MICHELETTI
Karnac Henri ALBERS Henri ALBERS Henri ALBERS Henri ALBERS Henri ALBERS José BECKMANS José BECKMANS Louis MUSY
le Roi Louis AZÉMA Paul PAYAN Julien LAFONT Félix VIEUILLE Félix VIEUILLE Julien LAFONT Félix VIEUILLE Louis GUÉNOT
saint Corentin Pierre DUPRÉ Hubert AUDOIN Raymond GILLES Pierre DUPRÉ Louis GUÉNOT Louis GUÉNOT Louis GUÉNOT Paul PAYEN
Jahel Paul GUILLAMAT Félix BELLET Julien FEINER Jean Adrien WINKOPP André GOAVEC Emile ROUSSEAU Emile ROUSSEAU POUJOLS
Chef d'orchestre François RÜHLMANN Paul VIDAL Paul VIDAL André CATHERINE Maurice FRIGARA Maurice FRIGARA Maurice FRIGARA Gustave CLOËZ

 

* Au 1er acte et au 4e tableau, danses réglées par Mme Mariquita. Décors de Raymond Deshays.

 

=> Principales représentations à l'Opéra-Comique

 

 

 

 

Renée Gilly (Margared), Louis Guénot (le Roi), Irène Joachim (Rozenn) et Louis Musy (Karnac) dans la scène 6 de l'Acte I lors de la dernière représentation à l'Opéra-Comique (06 janvier 1940)

 

 

 

Premières, à Bruxelles (Théâtre Royal de la Monnaie) le 07 février 1889 ; à Londres (Covent-Garden) le 17 juillet 1901 ; à New York (Metropolitan Opera) le 05 janvier 1922.

 

 

personnages

Bruxelles

07 février 1889 (1re)

Londres

17 janvier 1901 (1re)

New York

05 janvier 1922 (1re)

Margared Mmes DURAND-ULBACH Mmes PAQUOT-D'ASSY Mmes Rosa PONSELLE
Rozenn LANDOUZY ADAMS Frances ALDA
Mylio MM. TALAZAC MM. Henri JÉRÔME MM. Beniamino GIGLI
Karnac Maurice RENAUD SEVEILHAC DANISE
le Roi GARDONI Pol PLANÇON ROTHIER
saint Corentin ROUYER Marcel JOURNET ANANIAN
Jahel BOON   PICCO
Chef d'orchestre J. DUPONT Philippe FLON Albert WOLFF

 

 

 

 

maquette du décor de l'Acte I par Jean Souverbie pour la première à l'Opéra le 06 janvier 1941

 

 

Première au Théâtre de l'Opéra (Palais Garnier) le 06 janvier 1941. Mise en scène de Pierre Chereau, décors et costumes dessinés par Jean Souverbie.

Le 13 mai 1966, nouvelle production, mise en scène de Robert Gilles, décors et costumes de Félix Labisse. => photos

125 représentations à l’Opéra au 31.12.1961.

 

 

personnages

Opéra

06 janvier 1941

(1re)

Opéra

09 février 1941

 

Opéra

22 février 1941

 

Opéra

08 mars 1941

 

Opéra

23 mars 1941

 

Opéra

26 avril 1941

 

Opéra

05 octobre 1941

 

Opéra

25 octobre 1941

 

Opéra

14 février 1942

 

Margared

Mmes Marisa FERRER

Mmes Marisa FERRER

Mmes Hélène BOUVIER

Mmes Hélène BOUVIER

Mmes Eliette SCHENNEBERG

Mmes Renée GILLY

Mmes Renée GILLY

Mmes Hélène BOUVIER

Mmes Suzanne JUYOL

Rozenn

Solange PETIT-RENAUX

Solange PETIT-RENAUX

Solange PETIT-RENAUX

Solange PETIT-RENAUX

Solange PETIT-RENAUX

Renée MAHÉ

Solange PETIT-RENAUX

Renée MAHÉ

Elen DOSIA

Mylio

MM. Mario ALTÉRY

MM. Mario ALTÉRY

MM. Mario ALTÉRY

MM. Mario ALTÉRY

MM. Camille ROUQUETTY

MM. Camille ROUQUETTY

MM. Camille ROUQUETTY

MM. Camille ROUQUETTY

MM. Mario ALTÉRY

Karnac

José BECKMANS

José BECKMANS

José BECKMANS

CHARLES-PAUL

José BECKMANS

CHARLES-PAUL

Louis MUSY

José BECKMANS

José BECKMANS

le Roi

Paul CABANEL

Jean CLAVERIE

Paul CABANEL

Paul CABANEL

Jean CLAVERIE

Jean CLAVERIE

Jean CLAVERIE

Jean PETITPAS

Paul CABANEL

saint Corentin

André PACTAT

André PACTAT

André PACTAT

André PACTAT

André PACTAT

André PACTAT

André PACTAT

André PACTAT

André PACTAT

Jahel

Jules FOREST

               

Chef d'orchestre

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

Louis FOURESTIER

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

Louis FOURESTIER

 

 

personnages

Opéra

16 mai 1942

Opéra

27 septembre 1942

Opéra

20 novembre 1942

Opéra

20 décembre 1942

Opéra

28 février 1943

Opéra

10 avril 1943

Opéra

23 mai 1943

Opéra

23 août 1943

Opéra

11 octobre 1943

Margared

Mmes Hélène BOUVIER

Mmes Hélène BOUVIER

Mmes Hélène BOUVIER

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Rozenn

Solange PETIT-RENAUX

Geori BOUÉ

Elen DOSIA

Jane ROLLAND

Geori BOUÉ

Geori BOUÉ

Jane ROLLAND

Huguette SAINT-ARNAUD

Elen DOSIA

Mylio

MM. Camille ROUQUETTY

MM. Camille ROUQUETTY

MM. Camille ROUQUETTY

MM. Camille ROUQUETTY

MM. Camille ROUQUETTY

MM. Georges NORÉ

MM. Raoul GOURGUES

MM. Georges NORÉ

MM. Albert GIRIAT

Karnac

Louis MUSY

Louis MUSY

José BECKMANS

Pierre NOUGARO

Pierre NOUGARO

Pierre NOUGARO

Pierre NOUGARO

Pierre NOUGARO

Pierre NOUGARO

le Roi

André PACTAT

Jean CLAVERIE

André PHILIPPE

Paul CABANEL

Paul CABANEL

Jean CLAVERIE

Jean CLAVERIE

Paul CABANEL

Paul CABANEL

saint Corentin

Charles CAMBON

André PACTAT

André PACTAT

André PACTAT

Charles CAMBON

André PACTAT

André PACTAT

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Chef d'orchestre

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

Gustave CLOËZ

François RÜHLMANN

 

 

personnages

Opéra

21 novembre 1943

 

Opéra

24 mars 1944

 

Opéra

30 octobre 1944

(50e)

Opéra

24 novembre 1944

 

Opéra

25 mars 1945

 

Opéra

16 avril 1945

 

Opéra

04 décembre 1945

 

Opéra

04 mars 1946

 

Opéra

02 juin 1946

 

Opéra

03 août 1947

 

Margared

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne LEFORT

Mmes Hélène BOUVIER

Mmes Lucrèce MISTRAL

Mmes Lucrèce MISTRAL

Mmes Hélène BOUVIER

Mmes Hélène BOUVIER

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Hélène BOUVIER

Rozenn

Geori BOUÉ

Geori BOUÉ

Elen DOSIA

Elen DOSIA

Geori BOUÉ

Solange BONNI-PELLIEUX

Elen DOSIA

Irène JOACHIM

Irène JOACHIM

Solange BONNI-PELLIEUX

Mylio

MM. Albert GIRIAT

MM. Albert GIRIAT

MM. Georges NORÉ

MM. Georges NORÉ

MM. Charles FRONVAL

MM. Charles FRONVAL

MM. Charles FRONVAL

MM. Georges NORÉ

MM. Georges NORÉ

MM. Raphaël ROMAGNONI

Karnac

Louis MUSY

José BECKMANS

Pierre NOUGARO

Pierre NOUGARO

José BECKMANS

CHARLES-PAUL

CHARLES-PAUL

José BECKMANS

José BECKMANS

CHARLES-PAUL

le Roi

Paul CABANEL

Paul CABANEL

Paul CABANEL

Jean CLAVERIE

Jean CLAVERIE

Paul CABANEL

Jean CLAVERIE

Paul CABANEL

Jean CLAVERIE

André PHILIPPE

saint Corentin

André PHILIPPE

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Charles CAMBON

André PHILIPPE

André PHILIPPE

Charles CAMBON

André PHILIPPE

Charles CAMBON

Jahel

   

René DESHAYES

      René DESHAYES      

Chef d'orchestre

Louis FOURESTIER

Eugène BIGOT

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

François RÜHLMANN

Louis FOURESTIER

Désiré-Emile INGHELBRECHT

Désiré-Emile INGHELBRECHT

François RÜHLMANN

 

 

personnages

Opéra

29 mars 1948

 

Opéra

06 août 1948

 

Opéra

24 janvier 1949

 

Opéra

15 mai 1949

 

Opéra

07 août 1949

 

Opéra

15 août 1949

 

Opéra

10 février 1950

(100e)

Opéra

21 août 1950

 

Opéra

08 août 1951

 

Opéra

08 mars 1952

 

Margared

Mmes Hélène BOUVIER

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Rozenn

Solange BONNI-PELLIEUX

Solange BONNI-PELLIEUX

Huguette SAINT-ARNAUD

Elen DOSIA

Marcelle CROISIER

Denise DUVAL

Marcelle CROISIER

Solange BONNI-PELLIEUX

Jeanne SEGALA

Denise DUVAL

Mylio

MM. Jean TALEYRAC

MM. Raphaël ROMAGNONI

MM. Edouard KRIFF

MM. Georges NORÉ

MM. Georges NORÉ

MM. Raphaël ROMAGNONI

MM. Georges NORÉ

MM. Raphaël ROMAGNONI

MM. Georges NORÉ

MM. André LAROZE

Karnac

Pierre NOUGARO

René BIANCO

René BIANCO

René BIANCO

José BECKMANS

René BIANCO

René BIANCO

José BECKMANS

José BECKMANS

Jean BORTHAYRE

le Roi

André PHILIPPE

André PHILIPPE

André PHILIPPE

Pierre FROUMENTY

Pierre FROUMENTY

Pierre FROUMENTY

Pierre FROUMENTY

Pierre SAVIGNOL

André PHILIPPE

André PHILIPPE

saint Corentin

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Jahel

           

Jean PETITPAS

     

Chef d'orchestre

Désiré-Emile INGHELBRECHT

Désiré-Emile INGHELBRECHT

Louis FOURESTIER

Louis FOURESTIER

Albert WOLFF

Louis FOURESTIER

Désiré-Emile INGHELBRECHT

Louis FOURESTIER

André CLUYTENS

André CLUYTENS

 

 

personnages

Opéra

07 juin 1952

 

Opéra

01 septembre 1952

 

Opéra

11 août 1953

 

Opéra

08 août 1954

 

Opéra

25 août 1954

(125e)

Opéra

13 mai 1966

 

Opéra

23 mai 1966

 

Opéra

25 mai 1966

 

Opéra

16 juillet 1966

 

Opéra

18 mars 1967

 

Margared

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Suzanne JUYOL

Mmes Rita GORR

Mmes Berthe MONMART

Mmes Berthe MONMART

Mmes Rita GORR

Mmes Lyne DOURIAN

Rozenn

Lillie GRANDVAL

Christiane CASTELLI

Christiane CASTELLI

Christiane CASTELLI

Christiane CASTELLI

Andrée ESPOSITO

Andrée ESPOSITO

Andrée ESPOSITO

Monique de PONDEAU

Monique de PONDEAU

Mylio

MM. André LAROZE

MM. André LAROZE

MM. Georges NORÉ

MM. Georges NORÉ

MM. Georges NORÉ

MM. Alain VANZO

MM. Alain VANZO

MM. Georges LICCIONI

MM. Alain VANZO

MM. Georges LICCIONI

Karnac

Jean BORTHAYRE

CHARLES-PAUL

CHARLES-PAUL

Jean BORTHAYRE

Jean BORTHAYRE

Julien HAAS

René BIANCO

René BIANCO

René BIANCO

René BIANCO

le Roi

André PHILIPPE

Pierre SAVIGNOL

Pierre SAVIGNOL

Pierre FROUMENTY

Pierre FROUMENTY

Jacques MARS

Gérard SERKOYAN

Jacques MARS

Gérard SERKOYAN

Gérard SERKOYAN

saint Corentin

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Charles CAMBON

Robert MASSARD

Robert MASSARD

Roger SOYER

Pierre THAU

Pierre THAU

Pierre THAU

Pierre THAU

Jahel

 

Camille ROUQUETTY

René DESHAYES

 

René DESHAYES

Claude CALÈS        

Chef d'orchestre

Robert BLOT

Louis FOURESTIER

André CLUYTENS

André CLUYTENS

André CLUYTENS

Pierre DERVAUX

Pierre DERVAUX

Pierre DERVAUX

Pierre DERVAUX

Pierre DERVAUX

 

 

 

 

maquette du décor du 2e tableau de l'Acte III par Jean Souverbie pour la première à l'Opéra le 06 janvier 1941

 

 

 

 

 

Résumé.

 

La scène se passe en Bretagne, dans et aux abords de la ville disparue d'Ys, à l'époque légendaire : la jalousie de deux sœurs, Margared et Rozenn, éprises du même homme, le guerrier Mylio, entraîne, avec la complicité de Karnac, une vengeance dans laquelle la cité d'Ys disparaît sous les flots. Margared se jette à la mer et les flots s'apaisent.

 

Acte I. — La terrasse du château royal d'Ys.

La foule se réjouit du mariage de la belle Margared, fille du Roi, avec le Prince Karnac, union qui doit réconcilier le peuple d'Ys avec la tribu commandée par Karnac. Jahel annonce son arrivée, et le peuple se porte au-devant du Roi.

Rozenn et Margared, sa sœur, sortent du palais. Margared est triste. Toutes deux sont éprises en secret du jeune guerrier Mylio parti pour une expédition lointaine. Cédant aux instances de sa sœur qui la questionne sur l'objet de sa peine. Margared avoue qu'elle n'aime pas Karnac : celui vers lequel volent ses pensées est absent [Duo Margared-Rozenn : En silence, pourquoi souffrir ?...].

Demeurée seule, Rozenn évoque le souvenir de Mylio, dont elle espère le prochain retour. Soudain, Mylio paraît, rentrant victorieux de son expédition [Duo Rozenn-Mylio : Si le ciel est plein de flammes...].

Karnac arrive, suivi de la foule qui l'acclame. Le Roi et ses filles se présentent. Mais Margared, qui vient d'apprendre le retour de Mylio, renonce brusquement à son mariage. Furieux de cet affront, Karnac jette son gant aux pieds du Roi d'Ys et lui déclare une guerre impitoyable. Mylio accepte le défit. Confiant en saint Corentin, protecteur d'Armor, il combattra Karnac et reviendra vainqueur.

 

Acte II. — 1er Tableau : Une salle du palais royal.

Margared est à une fenêtre d'où l'on aperçoit l'armée de Karnac venant assiéger la ville d'Ys. Elle sait maintenant que ce n'est pas elle, mais Rozenn qui est aimée de Mylio [Récitatif et Air de Margared : De tous côtés, j'aperçois dans la plaine...].

Entendant venir son père, Mylio et Rozenn, elle se cache derrière un pilier pour écouter leur conversation. Mylio, qui se dispose à marcher contre Karnac, obtient la main de Rozenn pour prix de la victoire.

Les deux sœurs ont ensuite une orageuse explication, qui apprend à Rozenn que Margared aime aussi Mylio. Dans sa fureur, Margared déclare préférer Mylio mort à Mylio uni à une autre...

 

Acte II. — 2e Tableau : En rase campagne, près de la chapelle de saint Corentin.

Mylio, victorieux, est entouré de ses soldats qui vont déposer aux pieds du Saint les drapeaux et les armes pris à l'ennemi. Quand ils se sont éloignés Karnac paraît, farouche et désespéré. Dans sa rage, il appelle l'enfer à son aide, et c'est Margared qui lui répond, s'associant à sa haine. Désireuse de se venger aussi du bonheur de sa sœur, elle propose à Karnac de lui livrer la clé des écluses qui protègent la ville contre les flots de la mer : à eux deux, ils déchaîneront la mort sur la cité entière ! Reprenant courage, Karnac insulte saint Corentin. Mais, ô miracle ! la statue s'anime : le Saint exhorte les coupables au repentir. Margared tombe à genoux. Mais Karnac, superbe de révolte, se redresse avec un geste de défi.

 

Acte III. — 1er Tableau : Une galerie au fond de laquelle on aperçoit la chapelle.

Mylio vient chercher sa fiancée pour la conduire à l'autel [Aubade de Mylio : O toi, ma bien-aimée, pourquoi me désespérer ?...].

Lorsque les époux sont entrés dans la chapelle, Margared survient. Elle hésite à accomplir son forfait. Karnac, qui l'a suivie, excite sa jalousie et obtient d'elle la clé des écluses. Tous deux se retirent.

Les époux sortent de l'église. Au milieu de leur joie, ils ont une pensée d'affection et de pardon pour celle qui les a quittés. Margared entend, car elle est revenue sans qu'on la voie. Le remords la tenaille ; elle crie à son père, à sa sœur, de fuir la mort qui s'approche. En effet, une rumeur monte : « La mer ! la mer ! ». Un traître a ouvert les écluses. La ville est perdue !

 

Acte III. — 2e Tableau : Une éminence au bord de la mer.

Le flot gronde et monte sans cesse. Le peuple d'Ys, serré autour du Roi, de ses filles et de Mylio implore le Ciel. La prophétie veut que le flot s'arrête quand il aura reçu comme victime l'auteur de la trahison. Karnac, qui a péri de la main de Mylio, ne suffit pas.

Alors Margared s'accuse. Le peuple veut la mettre à mort, mais elle devance son courroux et se précipite du haut d'un rocher dans la mer. Aussitôt les flots se calment. Saint Corentin paraît au-dessus des eaux pour annoncer que le sacrifice expiatoire est agréé par le Ciel vengeur.

 

 

 

 

 

En prenant, pour en faire un drame lyrique, la légende bretonne du pays d'Ys, M. Blau l'a profondément modifiée. Le roi d'Ys a deux filles, Margared et Rozenn. Toutes deux aiment un certain Mylio, qui a jadis quitté le pays et n'a jamais reparu. Quand l'opéra commence, le roi a décidé d'unir l'aînée, Margared, à un prince voisin très redoutable, Karnac, toujours en guerre avec lui. Une paix durable sera conclue par ce mariage. Margared se résigne ; mais, interrogée par sa sœur sur son air de profonde tristesse, elle finit par avouer qu'elle en aimait un autre et que le navire qui portait Mylio « emportait ses amour ». Rozenn reste seule. Mylio survient. Il a été fait prisonnier et s'est évadé. Il aime Rozenn, ils échangent quelques mots. Karnac vient chercher sa fiancée ; mais Margared, qui a appris par Rozenn le retour de Mylio, refuse. Le prince, furieux, jette son gant au vieux roi, et c'est Mylio qui le relève. La guerre va recommencer, plus terrible que jamais.

Le 2e acte a deux tableaux. Le premier se passe dans une salle du palais. Margared est jalouse ; elle sent qu'elle n'est pas aimée. Cachée derrière une colonne, elle entend le roi promettre à Mylio, s'il est vainqueur, la main de Rozenn. La scène qui suit est très belle. Margared, sortant de sa cachette, se présente tout à coup devant sa sœur restée seule ; celle-ci, aux premiers mots, comprend qu'elle est sa rivale. Margared s'emporte. Tandis que chacun fait des vœux pour Mylio, que de toute part des prières sont adressées à saint Corentin, le patron du pays, ce qu'elle veut, c'est que Mylio soit battu, tué, et qu'un mariage odieux ne soit pas conclu, et elle quitte Rozenn avec un cri de haine et un geste menaçant.

Le second tableau représente une grande plaine aux environs de la ville. A droite, la chapelle de Saint-Corentin avec la statue du saint. Mylio et ses soldats viennent remercier le saint de leur avoir donné la victoire. A peine sont-ils partis que Karnac arrive, abattu, les vêtements en désordre. Il s'avance vers la chapelle et appelle l'enfer à son secours. « L'enfer t'écoute », dit derrière lui une femme enveloppée d'un vêtement sombre : c'est Margared. Elle aussi veut se venger. Elle sait un moyen terrible : ouvrir l'écluse qui protège la ville contre l'Océan. Elle a compté sur Karnac pour mouvoir cette barrière d'airain. « Viens donc ! » dit Karnac. « Et maintenant, s'écrie Margared, que le saint fasse un miracle, s'il veut sauver son peuple. » A ces mots, la statue s'anime, le saint apparaît, les adjure de renoncer a ce projet épouvantable, tandis que dans les cieux des voix répètent : « Repentez-vous ! Repentez-vous ! »

Le commencement du 3e acte fait un heureux contraste avec les scènes précédentes. Le palais est en fête pour les noces de Mylio et de Rozenn. (Nous donnons plus loin le chant d'amour de Mylio à la porte de sa fiancée.) Margared revenue, a renoncé à son projet ; mais, pendant que le mariage s'accomplit à la chapelle du palais, Karnac survient. Il réclame la promesse donnée, il excite de nouveau la jalousie de Margared, et tous deux s'enfuient vers le chemin de l'écluse. La nouvelle de l'inondation, la mort de Karnac, accusé du crime et tué par Mylio, terminent ce tableau.

Au dernier acte, les survivants se sont réfugiés sur un haut rocher, jamais atteint en temps ordinaires par la marée. Mais les flots continuent toujours à monter. Ils monteront jusqu'à ce qu'ils aient reçu leur proie, cette Margared qui est là, près de son père, accablée de remords. Le roi dit alors :

 

     Si tu sais quelle est la victime

     Qui doit descendre aux gouffres entr'ouverts,

     Nomme-la donc !

 

« C'est moi », répond-elle, et, malgré les efforts de son père, qui veut la retenir, profitant de l'épouvante de la foule, elle s'élance du rocher élevé et se précipite dans la mer. Alors saint Corentin apparaît dans un rayon lumineux et apaise les flots.

Dans la partition, d'une belle écriture harmonique, très soignée comme orchestration, beaucoup de parties sont à signaler qui mériteraient une longue analyse : l'ouverture, morceau très développé, que depuis longtemps les concerts avaient rendu populaire ; au 1er acte, le duo de Margared et de Rozenn (En silence pourquoi souffrir...), le récit du roi et plusieurs chœurs d'un rythme très animé. Après cet acte un peu touffu, l'intérêt va grandissant jusqu'à la fin. La rivalité des deux femmes et le contraste de leurs caractères ont une forme musicale très saisissante. Les tableaux se succèdent rapidement ; le compositeur ne s'attarde pas aux détails, ne s'égare pas dans les hors-d'œuvre. Réalisées d'une façon très moderne, les scènes sont conçues avec une brièveté qui est le secret de l'art dramatique, une simplicité qui fait penser à Méhul et à la vieille école française. Au 2e acte, il faut citer l'air de Margared, le quatuor très applaudi, la scène entre les deux femmes où se trouve l'arioso charmant de Rozenn, le tableau de l'apparition de saint Corentin ; au 3e acte, toute la musique de la noce, qui a un caractère breton très curieux, l'aubade de Mylio, la prière, la scène superbe où Karnac vient décider Margared à accomplir le crime. Le dernier tableau est d'une valeur uniquement orchestrale ; il termine dignement l'œuvre, une des plus remarquables de l'école moderne, et qui s'est imposée au répertoire par plus de cent représentations consécutives.

Le Roi d'Ys a été très remarquablement interprété par Mlles Simonnet (Rozenn), Deschamps (Margared) ; MM. Talazac (Mylio), Bouvet (Karnac), Cobalet (le Roi), Fournets (saint Corentin).

 

Aubade de Mylio :

1er couplet

     Vainement, ma bien-aimée,

     On croit me désespérer :

     Près de ta porte fermée,

     Je veux encor demeurer !

     Les soleils pourront s’éteindre,

     Les nuits remplacer les jours

     Sans t’accuser et sans me plaindre,

     Là je resterai toujours, toujours !

2e couplet

     Je le sais, ton âme est douce

     Et l'heure bientôt viendra

     Où la main qui me repousse,

     Vers la mienne se tendra !

     Ne sois pas tardive

     A te laisser attendrir.

     Si Rozenn bientôt n'arrive,

     Je vais, hélas ! mourir, hélas ! mourir.

 

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 2e supplément, 1888)

 

 

 

 

 

L’histoire et la légende populaire se mêlent dans cette aventure tragique de la ville d'Is ou Ys, vieille cité bretonne qui, au IVe ou Ve siècle, disparut nuitamment, submergée par les flots. Selon la tradition, la ville d'Ys, capitale du roi Gradlon, était défendue contre les invasions de la mer par un puits ou bassin immense, destiné à recevoir les eaux de l'océan dans les grandes marées. Ce puits avait une porte secrète dont le roi seul avait la clef, et qu'il ouvrait et fermait lui-même quand cela était nécessaire. Or, une nuit, pendant qu'il dormait, sa fille, voulant couronner dignement les folies d'un banquet donné à un amant, lui déroba la clef du puits, courut ouvrir la porte et submergea la ville.

 

C'est de cette légende qu'Edouard Blau, en la dramatisant, a tiré le sujet d'un poème lyrique qui n'est ni sans couleur, ni sans intérêt. Le roi d'Ys est en guerre avec un de ses jeunes voisins, le prince Karnac. Pour faire cesser les hostilités, il accorde à celui-ci la main de sa fille aînée, la belle Margared, qui accepte cette union sans enthousiasme. Sur ces entrefaites, revient d'une expédition lointaine le jeune chevalier Mylio, que l'on croyait mort avec ses guerriers. Or, Mylio aime Rozenn, la seconde fille du roi, dont il est aimé, mais il excite aussi l'amour de Margared, qui, en apprenant son retour, refuse résolument d'épouser Karnac. Fureur de celui-ci, qui reprend les armes et déclare au roi une guerre sans merci. Mylio relève le défi et promet de vaincre Karnac. Mais, avant de partir, il avoue son amour au roi, qui lui promet la main de Rozenn s'il revient vainqueur.

 

On devine la fureur de Margared, qui, jalouse de sa sœur, jure de se venger. Voici Mylio de retour, victorieux, tandis que Karnac, le cœur gonflé de haine et qui a échappé au massacre de ses soldats, se trouve en présence de Margared. Celle-ci lui apprend que la ville n'est protégée contre la mer que par une écluse ; tous deux vont ouvrir cette écluse, et la ville est aussitôt envahie par les eaux, qui font d'innombrables victimes. Le roi et tout son peuple fuient devant la mer en furie, cherchant un refuge impossible. Margared alors sent l'horreur de son forfait ; elle s'en confesse publiquement, provoquant la fureur populaire, et, sachant que le sacrifice volontaire de sa vie doit apaiser la colère céleste, elle s'élance au sommet d'un rocher et se précipite dans les flots, qui, après l'avoir engloutie, se retirent aussitôt. La ville est sauvée.

 

C'est ce poème qui a inspiré à Lalo une œuvre noble et puissante. Vivante et dramatique, généreusement inspirée, écrite d'un style superbe et avec une rare fermeté de main, la partition du Roi d'Ys a la poésie, la couleur, le pathétique, le sentiment scénique. L'œuvre est courte, nette, rapide. De ses meilleures pages, il faut citer, au premier acte, le joli chœur : Noël ! Noël ! le duo des deux sœurs, qui contient un épisode charmant : En silence pourquoi souffrir ? et le finale, qui est plein de chaleur et de mouvement. On trouve au second un air de Margared qui se fait remarquer par sa vigueur, un quatuor excellent, la belle scène dans laquelle Margared entraîne Karnac à la vengeance, et celle, superbe, de l'apparition de saint Corentin, qui veut retenir les deux criminels. Le premier tableau du troisième acte, celui des noces de Mylio et de Rozenn, est à lui seul une sorte de chef-d'œuvre : le chœur dialogué avec danse qui sert d'introduction, les jolies stances de Mylio, Vainement, ma bien-aimée, si pleines de poésie, les strophes délicieuses par lesquelles Rozenn lui répond, le cortège de la noce avec le petit chœur qui l'accompagne, tout cela est délicieux, et tout ce qui vient ensuite : la scène farouche de Karnac et de Margared, le duo plein de tendresse de Mylio et de Rozenn, la scène de Rozenn, de Margared et du roi, n'est pas moins digne d'éloges. Le dernier tableau, plein d'une énergie sombre, termine dignement cette œuvre puissante et remarquable à tous égards.

 

(Arthur Pougin, Nouveau Larousse Illustré, 1897-1904)

 

 

 

 

 

La légende du roi de la ville d'Ys et de la submersion nocturne de la vieille cité armoricaine, engloutie sous les flots, était célèbre au moyen âge et s'est perpétuée jusqu'à nos jours par la tradition dans le pays de Cornouailles. Dans son beau livre sur les Chants populaires de la Bretagne Bargaz Breiz, le comte Hersart de La Villemarqué la résume en ces termes : — « Il existait en Armorique, aux premiers siècles de l'ère chrétienne, une ville, aujourd'hui détruite, à laquelle l'anonyme de Ravennes donne le nom de Kéris ou de ville d'Is. A la même époque, c'est-à-dire vers l'an 440, régnait dans le pays un prince appelé Gradlouveur, ou le Grand, par l'auteur d'un catalogue dressé au VIe siècle. Gradlou eut de pieux rapports avec un saint personnage, nommé Gwénolé, fondateur et premier abbé du premier monastère élevé en Armorique. Voilà tout ce que l'histoire ancienne et contemporaine nous apprend de cette ville, de ce prince et de ce moine ; mais la tradition populaire, toujours plus riche que l'histoire, nous fournit d'autres renseignements. Selon elle, la ville d'Is, capitale du roi Gradlou, était défendue contre les invasions de la mer par un puits ou bassin immense, destiné à recevoir les eaux de l'Océan dans les grandes marées, comme autrefois le lac Mœris celles du Nil. Ce puits avait une porte secrète dont le roi seul avait la clef, et qu'il ouvrait et fermait lui-même quand cela était nécessaire. Or, une nuit, pendant qu'il dormait, sa fille, voulant couronner dignement les folies d'un banquet donné à un amant, lui déroba la clef du puits, courut ouvrir la porte et submergea la ville. Saint Gwénolé l'avait prédit. » Ce n'est pas tout. La tradition de la Cornouailles, comme celle du pays de Galles, comme celle d'Irlande, où a cours la même légende, veut que la jeune fille criminelle ait été punie de son forfait. Réveillé par le désastre, le vieux roi veut fuir le danger ; il monte son meilleur cheval et, prenant sa fille derrière lui, il galope par la nuit noire. « Fuyant à toute bride sa capitale envahie par les flots, qui le poursuivaient lui-même et qui mouillaient déjà les pieds de son cheval, il emportait sa fille en croupe lorsqu'une voix terrible lui cria par trois fois : Repousse le démon assis derrière toi ! Le malheureux père obéir, et soudain les flots s'arrêtèrent. »

Telle est la légende qui a servi de point de départ à M. Edouard Blau pour la construction de son poème du Roi d'Ys. Au premier abord, il semblerait difficile de trouver là prétexte à un livret d'opéra. Le sujet est un peu sombre et un peu nu. Sombre, il l'est resté, et peut-être est-ce là le plus grave défaut du drame, dont la note unique et dominante excite toujours une impression pénible et presque douloureuse. On peut faire encore à l'auteur un autre reproche : celui d'une trop grande simplicité dans les moyens employés. M. Blau n'a pas voulu chercher ou n'a pas su trouver les épisodes secondaires, mais utiles, qui lui eussent permis de corser indirectement son action en lui donnant la variété nécessaire. Il a négligé d'éclairer son sujet, de lui donner un peu d'air en y introduisant certains éléments pittoresques et à côté qui auraient eu l'avantage inappréciable de lui apporter le mouvement, la couleur et la vie, en même temps qu'il aurait offert au musicien les contrastes que la scène lyrique exige d'une façon si impérieuse. Quoi qu'il en soit, voici comment il a conçu son livret.

On sait qu'aux premiers temps historiques, la Bretagne était partagée en un certain nombre de petits royaumes, dont les principicules étaient presque toujours en guerre entre eux. Nous voyons donc que le roi d'Ys est précisément en état de guerre avec un de ses jeunes rivaux le prince Karnac, et que pour mettre fin aux hostilités, il s'est décidé à conclure avec lui une alliance de famille, comme cela se pratiquait souvent au moyen âge. La fille aînée du roi, la belle Margared, épousera Karnac, et celui-ci succédera au vieux monarque lorsque la mort l'enlèvera à l'amour de ses sujets et aux chagrins de ce monde. Cette union laisse Margared froide et indifférente. Non que son cœur n'ait jusqu'alors jamais parlé ; elle aime passionnément au contraire un jeune guerrier, chef d'une expédition envoyée au loin par le roi d'Ys. Mais depuis le départ de cette expédition on n'en a plus eu de nouvelles, soit qu'elle soit tombée aux mains des ennemis, soit que la mer, ce minotaure, ait englouti les navires qui la portaient. Margared, désenchantée, considère comme mort celui qu'elle aimait, et voilà pourquoi elle accepte avec indifférence l'époux que son père lui a choisi. La jeune sœur de Margared, la candide Rozenn, aimait aussi l'un des braves qui sont partis à l'aventure, le chevalier Mylio. Mais, plus confiante que sa sœur dans le destin, elle ne désespère pas de le revoir. « Je t'attends, je t'appelle », s'écrie-t-elle en pensant au bien-aimé :

 

Par une chaîne trop forte

Tous deux nous étions unis.

Puisque je ne suis pas morte,

Tes jours ne sont pas finis.

 

Et comme elle prononce ces mots, Mylio apparaît à ses yeux, Mylio, vainqueur de ses ennemis, et qui revient, chargé de trésors et de gloire.

Mais voici l'heure de la cérémonie nuptiale. Karnac s'avance à la tête de ses soldats. Il vient chercher Margared, pour faire bénir leur union. Rozenn a rejoint sa sœur, et, ne pouvant cacher sa joie, elle lui apprend le retour inattendu de Mylio. Cette révélation change aussitôt les desseins de Margared. « Lui vivant ! » s'écrie-t-elle,

 

…et j'irais

Me lier follement d'une chaîne éternelle !

 

et elle refuse résolument le mariage qu'elle avait accepté. Karnac, furieux de se voir joué de la sorte, déclare alors au roi que c'est désormais entre eux une guerre sans merci, et pour preuve il lui jette son gant en guise de défi. Mylio paraît sur ces entrefaites, relève le gant et jure au roi que lui et ses compagnons combattront cet ennemi jusqu'à la victoire.

On devine que Mylio est l'homme aimé des deux sœurs. Seulement, tandis qu'il rend à Rozenn amour pour amour, Margared le laisse indifférent. Au moment où il va s'éloigner pour combattre Karnac, il s'ouvre au roi, son maître, et celui-ci lui promet Rozenn s'il revient vainqueur. C'est alors que Margared, dans une scène violente avec sa sœur, éclate en imprécations contre la pauvre enfant, qui la conjure en vain d'être clémente et qui cherche à calmer sa douleur. Rien n'y fait, et Margared jure de se venger. L'occasion ne tarde pas à s'offrir à elle. Mylio est de retour, victorieux, et son mariage avec Rozenn va se célébrer. Karnac, vaincu par lui, a échappé au massacre de ses compagnons, et, le cœur gonflé de rage, se trouve en présence de Margared, dont la haine ne cherche qu'à s'assouvir. Celle-ci lui apprend que la ville n'est protégée contre la mer que par une écluse, et tous deux s'en vont ouvrir cette écluse. La ville est aussitôt envahie par les eaux, dont le flot, montant toujours, fait d'innombrables victimes. Le roi d'Ys et tout son peuple fuient devant la mer en furie, cherchant vainement un refuge contre les vagues impitoyables. Devant ce spectacle terrible. Margared sent l'horreur de son crime. Elle s'en confesse devant tous, et tandis que la colère populaire s'élève contre elle en imprécations et en malédictions, elle, sachant que le sacrifice de sa vie devra apaiser la colère céleste, s'élance au sommet d'un rocher, d'où elle se précipite dans les flots. La mer, après avoir englouti sa proie, se retire bientôt, et la ville est sauvée. Tel est le poème du Roi d'Ys. Tout incomplet qu'il soit, il offrait au musicien quelques situations vraiment dramatiques, qui permettaient à celui-ci de donner sa mesure sous ce rapport.

Il n'est pas inutile de faire remarquer ici que notre tempérament français, si sage, si modéré, si logique, se fait jour malgré tout et, le moment venu, en dépit qu'on en ait, balaye impitoyablement toutes les idées fausses, toutes les chimères dont l'esprit aime parfois à se repaître. Lalo, qui, par malheur, ne devait pas longtemps survivre à l'apparition de son œuvre, Lalo s'était toujours trouvé à la tête de nos wagnériens les plus ardents, les plus avancés, les plus intransigeants. Eh bien, ce wagnérien si fougueux a montré, dans le Roi d'Ys, qu'il faisait litière, dans la pratique, des principes extravagants qu'il soutenait en théorie. La partition de cet ouvrage est une œuvre courte, nette, rapide, qui n'est guère autrement coupée que nos opéras traditionnels, avec des airs, des duos, des ensembles, une œuvre dans laquelle le musicien va toujours droit au but, sans se perdre et s'égarer dans d'insipides dissertations, une œuvre qui, malgré sa richesse symphonique, est le triomphe des voix sur l'orchestre, où chaque élément occupe la place qu'il doit avoir, où ceux qui doivent chanter chantent, tandis que ceux qui doivent accompagner se bornent à accompagner. Que cet accompagnement soit plus ou moins recherché, plus ou moins brillant, là n'est pas la question ; ce qui est certain, c'est qu'il reste ce qu'il doit être, et que le véritable maître de la situation musicale, l'élément actif et prépondérant, c'est, comme le veulent, comme l'indiquent la raison, la logique et le sens commun, la seule voix humaine. En un mot, et pour résumer ces réflexions, si la partition très puissante, très remarquable du Roi d'Ys est une œuvre de progrès — et ceci est incontestable — ce n'est ni une œuvre de combat, ni même une œuvre de tendances. Cela me parait d'autant plus utile à constater que c'est peut-être là l'une des causes du succès éclatant qu'elle a obtenu.

L'ouverture, connue dès longtemps par son exécution dans les concerts, n'en est pas, à mon sens, le meilleur morceau, car je la trouve excessive dans ses développements et trop brutale dans ses moyens. Mais dès le lever du rideau sur le premier acte se présente une jolie page vocale, le chœur : Noël ! Noël ! d'un bon dessin et d'une heureuse sonorité, que suit le duo des deux sœurs, dans lequel se trouve une cantilène d'un sentiment tendre et délicat : En silence pourquoi souffrir ? placée dans la bouche de Rozenn. Moins heureuse est la scène de Rozenn, qui n'est pas très bien venue et dont le caractère mélodique est nul. Mais dans celle qui amène le finale, la phrase du roi : Aux jours futurs je dois songer, est d'une ampleur remarquable, et toute la fin de l'acte, avec le défi de Karnak, est pleine de mouvement, fiévreuse et animée.

Le second acte est plus corsé. Il commence par un air de Margared, qui se fait remarquer par sa vigueur et son élan passionné. Vient ensuite un excellent quatuor qui renferme un épisode charmant, celui de la vision de Mylio : Sur l'autel de saint Corentin. La grande scène de Margared et de Rozenn est bien inégale : les imprécations de la première sont vraiment accompagnées avec trop de violence ; il n'est pas besoin de tant de trompettes, de trombones et de timbales pour produire un effet dramatique ; mais la cantilène de Rozenn parlant de son amour : Un jour, il est venu dans le fond de nos cœurs, est tendre, ingénue et d'une jolie couleur, et le contraste du caractère des deux femmes y est indiqué d'une façon frappante. Le chœur triomphal du retour de Mylio est bien bruyant encore. J'aime mieux la belle scène, très vigoureuse, très dramatique, dans laquelle Margared entraîne Karnac à la vengeance, et plus encore celle de l'apparition de saint Corentin, qui cherche à les détourner de leur projet. Celle-ci, très bien traitée, est d'un effet très puissant avec son accompagnement d'orgue et l'intervention lointaine des voix angéliques, qui, tranchant d'une façon si heureuse avec le chant grave du saint, produit une excellente impression.

Mais voici le point culminant de l'œuvre, et celui dont le succès a été le plus complet. Tout ce premier tableau du troisième acte est beau d'un bout à l'autre, d'une beauté achevée, sans l'apparence même d'une faiblesse. Le chœur dialogué avec danse qui sert d'introduction est d'un très heureux effet, avec son rythme élégant et souple. Les stances de Mylio qui viennent ensuite : Vainement, ma bien-aimée, entrecoupées par des réponses du chœur, sont absolument charmantes, d'un dessin mélodique plein de grâce et d'élégance, relevé par de jolies harmonies et un accompagnement discret de violons en pizzicato. Les strophes par lesquelles Rozenn répond à son amant sont délicieuses aussi, d'un caractère plein de tendresse, et fort joliment soutenues par les violons et les violoncelles. Un petit subterfuge harmonique, qui consiste à laisser incomplets la plupart des accords, contribue à donner une couleur toute particulière à ces strophes charmantes. Il faut signaler encore dans ce tableau le cortège de la noce et le petit chœur religieux qui l'accompagne, la scène superbe de Karnac et de Margared, pleine d'une énergie farouche, le duo de Mylio et de Rozenn, qui ne semble pas reposer sur un plan appréciable, mais d'où s'épand comme un charme mystérieux et plein de poésie, et enfin la scène de Rozenn, de Margared et du roi, où l'invocation de celui-ci : Et surtout, Dieu bon !... produit un excellent effet. Le dernier tableau, celui de l'inondation et de la mort de Margared a complété le succès de cette œuvre noble, forte, puissante, qui n'est pas exempte de défauts sans doute, mais qui ne peut avoir été enfantée que par un artiste de premier ordre et supérieurement doué.

 

(Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1903)

 

 

 

 

 

Le livret du Roi d'Ys a été tiré par Edouard Blau d'une naïve légende bretonne. Aujourd'hui encore, les Bretons superstitieux affirment qu'aux jours clairs s'aperçoivent au fond de la mer les toits d'Ys, la ville maudite, ensevelie sous les flots. Il semble bien qu'une ville ait été, dans un lointain passé, engloutie par la mer sur cette côte, qui, depuis le début des temps historiques, a subi bien des modifications appréciables. Quant aux causes de l'engloutissement, elles furent sans doute purement naturelles ; mais une telle catastrophe devait laisser un souvenir durable dans la mémoire du peuple, et la légende ne devait pas tarder à enjoliver l'histoire pour la transposer dans le miracle.

D'après Edouard Blau, Ys n'aurait pas été engloutie pour le châtiment de ses crimes, mais par la vengeance d'une femme. Ainsi soit-il !

Le roy d'Ys, déjà avancé en âge, a deux filles, Margared et Rozenn. Toutes deux, secrètement, sont éprises de Mylio, un vaillant guerrier parti sur la mer depuis de longs mois. On n'en a plus de nouvelles et chacun le croit mort. Des deux sœurs, une seule, Rozenn, a vu son amour payé de retour ; mais Margared l'ignore encore.

Las de guerres perpétuelles, le roi a conclu la paix avec son plus redoutable ennemi, le prince Karnac. La main de Margared sera le gage de la réconciliation et, au moment où se lève le rideau, le peuple d'Ys célèbre la paix signée et l'hymen qui s'approche. Seule Margared n’a pas l'air heureuse et sa sœur Rozenn s'en étonne. Elle voudrait connaître la peine qui assombrit le front de son aînée. Margared, orgueilleuse, ne veut pas qu'on la plaigne et repousse d'abord avec hauteur la pitié de Rozenn. Elle finit par lui confier qu'elle en aime un autre et que « le même navire qui portait Mylio emportait ses amours ». Rozenn ne comprend pas encore qu'il s'agit de Mylio lui-même.

Tandis qu'elle reste seule, Mylio apparaît. Il est de retour du matin même et les deux amants se livrent aux transports de leur tendresse. Mylio s'éloigne. Le cortège nuptial approche. Rozenn annonce à Margared le retour de Mvlio, et aussitôt celle-ci, sans souci des conséquences, fait un esclandre et refuse publiquement la main de Karnac. Tout le monde est consterné. C'est la guerre à nouveau déchaînée, car Karnac voudra tirer vengeance de cet outrage. Mais Mylio s'avance et relève le défi : confiant en saint Corentin, protecteur d'Armor, il combattra Karnac et reviendra vainqueur.

Le premier tableau du second acte représente une salle du palais. Margared sait maintenant : ce n'est pas elle, c'est Rozenn qui est aimée. Et, dans son âme ulcérée, l'amour est sur le point de se changer en haine. Elle assiste au départ de Mylio pour le combat, aux fiançailles de celui qu'elle aime avec sa sœur, et tout fait prévoir que la pauvre femme est sur le bord du crime. Dans une explication orageuse avec Rozenn, elle divague et maudit. déclarant préférer Mylio mort, à Mylio uni à une autre.

Puis la scène change et nous sommes en rase campagne, près d'une petite chapelle de saint Corentin. Mylio et ses soldats sont vainqueurs et passent en portant des trophées. Quand ils se sont éloignés, Karnac paraît. Il est vaincu, blessé, son épée est brisée. Dans sa rage, il appelle l'enfer à son aide : et c'est Margared qui lui répond. Elle lui propose un pacte infâme : vers les écluses qui défendent Ys contre l'Océan, elle guidera les pas de son complice. A eux deux ils déchaîneront la mort sur la cité entière. Reprenant courage, Karnac insulte saint Corentin et le défie de sauver ses protégés, mais... ô miracle ! la statue du saint s'anime : il exhorte les coupables au repentir. Margared tombe à genoux : Karnac, superbe de révolte, se redresse avec un geste de défi.

Le troisième acte débute par une délicieuse cérémonie nuptiale : la supplication de l'époux devant la porte de l'épousée, la résistance des jeunes filles qui lui barrent la route, enfin l'apparition de la mariée qui cède et tend elle-même la main à son vainqueur. La noce entre ensuite à la chapelle.

Pendant la bénédiction du mariage, Margared se glisse jusqu'à la porte du sanctuaire. Son cœur, bien qu'ulcéré, inclinerait à la résignation, quand survient Karnac, qui réclame d'elle l'exécution de sa promesse et triomphe de ses hésitations en excitant sa jalousie. Tous deux sortent pour accomplir leur œuvre de mort.

Les époux sortent de l'église. Au milieu de leur joie, ils ont une pensée d'affection et de pardon pour celle qui les a quittés. Et Margared entend, car elle est revenue sans qu'on la voie. Le remords la tenaille ; elle crie à son père, à sa sœur, de fuir la mort qui s'approche. En effet, une rumeur monte : « la mer, la mer ! » Un traître a ouvert les écluses, la ville est perdue.

La scène change et représente une élévation au bord de la mer. Le flot gronde et monte sans cesse. Le peuple d'Ys, serré autour du roi, de ses filles et de Mylio, implore le ciel. La prophétie dit que le flot s'arrêtera quand il aura reçu comme victime l'auteur de la trahison. Karnac, qui a péri de la main de Mylio, ne lui suffit pas.

C'est alors que Margared s'accuse. Le peuple veut la mettre à mort, mais elle le devance et se précipite du haut d'un rocher dans la mer, qui se calme et s'arrête aussitôt. En même temps, saint Corentin paraît dans la nue comme pour annoncer que le sacrifice expiatoire est agréé par le ciel vengeur.

 

(Edouard Combe, les Chefs-d’œuvre du répertoire, 1914)

 

 

 

 

 

Premier Acte. — La terrasse du Roi d’Ys. — Pour terminer la guerre entre le Roi d'Ys et le prince Karnac, le premier donne sa fille aînée, Margared, comme femme à Karnac.

Rozenn, sœur cadette de Margared, est cependant inquiète ; son aînée ne paraît point goûter l'allégresse générale.

Margared avoue sa secrète souffrance : si pour la paix elle épouse Karnac, elle porte en elle l'image d’un autre qu'elle aimait et qui n'est plus.

Rozenn pleure en secret Mylio, l'ami d'enfance qui partit jadis sur la mer et plus ne revint. Mais peut-être celui qu'aimait Margared accompagnait Mylio ? Oui, répond Margared, oui, le même navire qui portait Mylio m'emportait mes amours.

Et voici qu'il reparaît l'attendu ; il revient vainqueur, après une longue captivité.

Le Roi d'Ys, heureux de trouver un fils dans un rival, annonce à tous qu'il abdique en faveur de Margared et de Karnac. Le mariage va se célébrer, on va se rendre à la chapelle.

Margared voit Mylio et pousse un cri, car c'est lui qu'elle aime ! Jamais elle ne sera à un autre. Karnac outré de l'insulte, jette son gant à la face du Roi d'Ys. Mylio s'avance et le ramasse. C'est la guerre.

 

Deuxième Acte (Premier Tableau). — Une salle du Palais. — Magared souffre. Le Roi, Mylio et Rozenn paraissent. Mylio va partir combattre Karnac.

— Qu’il revienne victorieux et Rozenn, lui dit le Roi, sera à lui.

Alors, seule avec sa sœur, Margared lui déclare qu'elle aimerait mieux le voir mort que de le voir à une autre.

 

Deuxième Acte (Deuxième Tableau). — Une vaste plaine, avec, à droite, la chapelle de Saint-Corentin. — Karnac, vaincu, se désespère, quand il a appelé l'Enfer à son secours, l'Enfer n'a point répondu.

— L'Enfer t'écoute, dit soudain une voix.

C'est Margared qui vient offrir à Karnac de détruire la cité : qu'on ouvre les écluses et la ville sent perdue.

 

Troisième Acte (Premier Tableau). — Une galerie du Roi d'Ys. — Le mariage de Mylio et de Rozenn va se célébrer ; Margared les voit pénétrer dans le temple de Dieu. Le prince Karnac survient et la décide enfin à mettre son projet à exécution : à ouvrir les écluses.

Une rumeur éclate, grandit ; les écluses sont ouvertes. Mylio a surpris Karnac et l'a tué, mais l'Océan envahisseur s'avance, engloutissant tout. Il faut fuir devant le flot. Mylio emporte Rozenn et le Roi entraîne Margared qui, en vain, résiste.

 

Troisième Acte (Deuxième Tableau). — Le plateau d'une colline. — L'Océan ne pourra s'arrêter, le flot vengeur ne s'apaisera que s'il reçoit sa proie. Quelle est donc cette proie, cette victime, demande le Roi ?

— Moi, s'écrie Margared, avouant son crime, et devant le peuple qui veut la mettre à mort, le devançant, priant le Seigneur de sauver ceux qui sont innocents, elle se précipite dans les flots.

Alors l'orage cesse ; le ciel s'illumine ; une blanche clarté s'épand sur les vagues aplanies.

 

Historique de la pièce.

 

D'où provient le beau succès que le Roi d'Ys remporta d'emblée et contre toute attente au printemps de 1888 ? La raison primordiale de ce succès aussi persistant que légitime, c'est, n'en doutez pas, le remarquable talent du musicien symphoniste que possédait Lalo et dont la plupart des gens lui avaient fait un reproche lorsque son délicieux ballet de Namouna avait paru sur la scène de l'Opéra. Le grand mérite de sa musique est justement de ne pas suivre les sentiers battus ; elle n'est pas de primesaut foncièrement originale, mais elle s'efforce à ne pas être banale, et l'auteur rejette avec soin les tours, les formules, les procédés dont notre oreille est fatiguée.

L'inspiration peut quelquefois n'être ni très saillante, ni très puissante ; mais il y a deux qualités bien précieuses dans cette œuvre, en dehors du coloris orchestral. C'est dans les passages de tendresse ou d'amour, la sincérité du sentiment, l'expression juste et pénétrante de l'idée mélodique, si simple et si courte qu'elle soit ; c'est dans les épisodes pathétiques et violents, la netteté, la vigueur de l'accentuation. Par ces précieux avantages, qu'il les tienne de la nature ou du travail, Lalo se rattache aux maîtres classiques, et, d'ailleurs, il n'en connut jamais d'autres ; par le caractère intime et touchant de sa mélodie, il se rapproche de Schumann, de Schubert ; par la justesse et la puissance de la déclamation, c'est de Gluck qu'il paraît procéder.

L'opéra du Roi d'Ys comporte une grande ouverture, où se trouvent exposés les motifs essentiels du drame. Les deux chœurs qui suivent et dont l'un est bâti sur un chant breton, sont d'une jolie couleur ; mais le passage le plus marquant de ce premier acte est le duo des deux sœurs qui débute par une bien douce phrase de Rozenn pour aboutir à une reprise concertante à deux voix. Le second acte est certainement supérieur avec le grand air de Margared écrit dans le style de Weber, avec une scène dramatique, et non plus un duo, très bien traité entre les deux sœurs. Margared donnant libre cours à sa jalousie, à sa haine. Rozenn s'efforçant de l'apaiser en laissant échapper l'aveu de son amour pour Mylio, dans une cantilène expressive et caressante. Au tableau suivant, la rencontre de Margared avec Karnac dans la plaine où celui-ci vient d'être vaincu, leur sombre alliance et leur défi à la statue de saint Corentin, l'apparition du prélat et ses violentes objurgations, soutenues par les voix célestes, composent vraiment un superbe ensemble. Il serait cependant plus naturel et plus dramatique à la fois que la voix du saint évêque, s'éveillant dans la mort, ne s'appuyant pas sur l'orgue et j'ai toujours trouvé que l'intervention de cet instrument spécial enlevait à cette apparition quelque peu de son caractère surnaturel.

Mais voici venir, au premier tableau du dernier acte, les deux pages maîtresses de l'œuvre : l'une tendre et gracieuse, l'autre dramatique et sombre. Tout le tableau de la noce, ces appels des jeunes gens venant chercher la fiancée, et les rieuses répliques des jeunes filles, ces chœurs dialogués d'après un vieil air breton, la délicieuse aubade de Mylio et la douce réponse de Rozenn, d'une pureté adorable, sur le chant breton de la mariée, forment une succession de morceaux d'une poésie exquise et qui n'engendrent aucune monotonie, malgré la longueur de la scène. Aussitôt après, par un contraste heureusement trouvé, éclate un épisode pathétique. Tandis qu'on entend les chants religieux qui célèbrent l'union de Rozenn et de Mylio, Karnac exaspère la jalousie de Margared et la décide à s'associer au crime qu'il médite une scène vraiment superbe, où certains récits atteignent à l'expression la plus farouche. Dans le duo d'amour qui se déroule ensuite entre Rozenn et Mylio, vous appréciez sans doute le délicieux passage où le ténor reprend sur un rythme nouveau, soutenu par un charmant dessin de flûte, le tendre aveu échappé des lèvres de Rozenn, car c'est là le point lumineux de cette scène qui précède, où les voix de Rozenn et du roi s'unissent dans une même prière et font naître le remords au cœur de Margared.

 

(programme de l’Opéra-Comique, 15 novembre 1927)

 

 

 

 

 

A Bretagne, terre classique des légendes, n'en compte pas de plus populaire et de plus ancienne que celle de la ville d'Ys, submergée dans la baie de Saint-Malo... ou dans la baie de Douarnenez, au VIe ou au VIIe siècle. La tradition armoricaine veut encore que l'on aperçoive dans les bas-fonds, à marée basse, et par atmosphère limpide, les tourelles et les clochetons engloutis d'une cité jadis unique au monde, et si renommée qu'on a fait ingénieusement de son nom l'étymologie de Paris (Par, Is..., égale à Ys). Les conteurs bretons nous ont tous plus ou moins bercés avec cette histoire. Et si l'on voulait de l'immersion d'Ys (Livaden Geris) une narration plus documentée, nous renverrions à la version que M. Hersart de La Villemarqué en donna dans les « Barzaz Breiz ».

Le roi Gradlon régnait sur Ys. Monarque débonnaire, il se laissait mener par sa fille Dahut, première incarnation de cette Marguerite de Bourgogne qu'a immortalisée la Tour de Nesle. Elle fit de la cour bretonne un repaire de débauchés. Subjuguée par un mystérieux étranger, qui pouvait bien être Lucifer lui-même, elle parvint à dérober au cours d'une nuit d'orgie la clé d'or que le roi portait toujours au cou, pour la remettre à son amant. C'était avec ce bijou que l'on fermait les écluses qui défendaient la ville contre l'invasion de la mer... Le traître, dans un but de piraterie, ou simplement par malfaisance diabolique, ouvrit toutes grandes les frêles barrières qui livrèrent passage aux vagues. L'alarme, donnée, réveilla Gradlon. Surpris par l'envahissement des ondes, il eut juste le temps de sauter à cheval, de prendre sa fille en croupe, et de se sauver dans la lande... Plus rapides que son coursier, les cavales écumantes de l'Océan rattrapèrent les fugitifs... Le prince allait périr lorsqu'il entendit une voix céleste, celle de son patron saint Gwénolé, protecteur du pays, qui lui criait du haut des nues : « Gradlon, si tu ne veux mourir, repousse le démon que tu portes derrière toi !... » Le bon roi, frappé par la main vengeresse du Tout-Puissant dans tout ce qui pouvait l'attacher à la terre, tremblait et n'osait s'arracher à l'étreinte désespérée de la maudite... Mais alors Dahut, terrifiée, sentit ses bras meurtris se dénouer d'eux-mêmes, et ses doigts crispés lâcher prise — consciente de son crime et de la justice de ce châtiment, elle se laissa, changée en sirène, glisser dans les flots qui, subitement apaisés, recouvrent depuis de leur nappe glauque la capitale condamnée... Ainsi dorment éternellement Sodome et Gomorrhe, sous les eaux désolées de la mer Morte (*).

(*) Cf. Victor Wilder, les Premières illustrées, 1888.

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Quelles que soient les origines historiques et les causes probablement naturelles de ce cataclysme — si tant est que la cité d'Ys ait réellement existé sur les côtes déchiquetées de la Bretagne, théâtre d'innombrables sinistres — il y avait là les éléments du mythe le mieux fait pour inspirer l'imagination locale des « bardes », et ouvrir un champ vaste aux variations lyriques des aèdes anciens et modernes.

C'est à ce titre que M. Edouard Blau s'en est emparé, pour extraire adroitement un libretto d'opéra de cette légende féconde en effets scéniques puissants, et dont il a confié la paraphrase musicale au maître symphoniste Edouard Lalo.

Pour des considérations étrangères à la valeur réelle de son œuvre, Lalo n'aborda que tard la scène proprement dite. Le Roi d'Ys a connu un stage de dix ans... L'Opéra, la Gaîté, le Théâtre-Lyrique reculèrent devant les frais de réalisation qu'il eût imposés. Mais les orchestres des principaux concerts en avaient depuis longtemps donné l'avant-goût aux dilettanti, notamment par l'exécution fréquente de l'Ouverture. C'est seulement le 7 mai 1888 que le directeur Paravay, venant de Bretagne où il administrait le Grand Théâtre de Nantes, s'enthousiasma pour cet ouvrage et le fit représenter, magnifiquement monté, à l'Opéra-Comique, Talazac y créa le rôle principal... Plus de cent représentations initiales en ont consacré l'immense et bien légitime succès.

 

***

 

La légende est quelque peu modifiée dans ce poème, où l'on a baptisé les héros de noms moins barbares, et toutefois respectueux de la couleur locale, à défaut de la tradition. Trop sombre, d'ailleurs, était celle-ci. En vertu des droits du poète, M. Edouard Blau (qui a écrit des vers exquis) donne au roi d'Ys deux filles au lieu d'une, opposant de la sorte à la farouche Margared (ci-devant Dahut) la radieuse figure de la petite Rozenn ; et il imagine entre cette princesse de vitrail et le chevalier Mylio, créé de toutes pièces, une fraîche idylle qui pourra servir ainsi et d'antithèse et de mobile aux criminels agissements de Margared.

C'est qu'en effet les deux sœurs aiment Mylio : mais cet amour, tout à fait réciproque en ce qui concerne Rozenn, ne peut être pour l'altière aînée qu'une passion fatale ; elle ne tardera pas à présenter le caractère et les symptômes de la haine. Pour le moment, Mylio est parti guerroyer. De son côté, le roi vient de signer la paix avec un redoutable envahisseur, Karnac, auquel il a promis, entre autres conditions, la main de Margared. Celle-ci se renferme dans une attitude inquiétante ; un orage immine : il éclate à l'heure des accordailles. Rozenn a revu Mylio — dans son naïf bonheur, elle l'annonce ingénument à sa rivale qui, sans hésiter devant le scandale, rompt publiquement son propre mariage. Karnac bondit sous l'outrage ; il tire son glaive, menace le Roi, et va précipiter la reprise des hostilités... lorsque Mylio s'élance et lui jette son gantelet. Ils sortent pour combattre ; l'amoureux de Rozenn s'est mis sous la protection de Saint-Corentin. Margared s'épuise en imprécations. D'autres malédictions vont bientôt s'unir à la sienne : les blasphèmes de Karnac, vaincu. Mais il devine en elle son alliée pour une commune vengeance. Il faut que tout périsse au milieu du triomphe qui les atteint dans leur orgueil : et la fureur de leur ressentiment les aveugle au point de les pousser à braver le Saint National, qu'ils accusent d'avoir favorisé leurs ennemis. Dans la lande, voisine du champ de bataille, s'élève une chapelle vouée au culte du bienheureux ; et sa statue, soudain, semble s'être animée... Margared recule — mais là-bas, au loin, c'est la mer qui mugit contre les écluses dont elle a les clefs ; et Karnac l'entraîne.

... Et cependant, au Palais d'Ys, on va célébrer les noces. « Rien de plus joli que le chœur dialogué chanté par les femmes de la princesse qui défendent sa porte contre son fiancé. Rien de plus délicieux que cette cantilène, devenue classique sous le nom de l'Aubade, soupirée par l'amoureux Mylio. Rien de plus chastement naïf que la chanson nuptiale de Rozenn, et dont on peut retrouver le refrain, populaire encore, dans les Echos du temps passé de Weckerlin (Victor Wilder, op. cit. I.)

Margared est là, dans la foule... L'apparition du Saint l'a terrifiée. Son forfait accompli, elle s'abandonne aux remords — et voyant s'approcher en tête du cortège son père et sa petite sœur qui n'ont pour elle qu'apitoiement et qu'indulgence, elle éclate en sanglots, elle s'accroche à eux, les adjure de se sauver : la mer est déchaînée sur Ys !...

Au sommet d'un entassement de rocs, dominant ce qui fut la cité merveilleuse, le Roi, sa famille et son peuple sont agenouillés en prières... Karnac est mort exécuté par Mylio. Pour apaiser les éléments, il faut encore une victime expiatoire : Margared a compris ; elle s'abîme dans les flots, dont l'image de Saint Corentin vient immédiatement arrêter l'ascension sinistre en une irradiation soudaine d'arc-en-ciel.

 

(Roger Tournefeuille, les Grands succès lyriques, 1927)

 

 

 

 

 

L'Opéra, en attendant sans doute de monter une œuvre nouvelle, continue, après Fidelio et le Vaisseau fantôme, la série de ses reprises en empruntant, cette fois, au répertoire de l’Opéra-Comique : le Roi d'Ys.

Ce cadre était d'ailleurs celui qu'avait souhaité l'auteur. Il aura donc fallu plus de soixante ans, et qu'il soit mort depuis longtemps, pour que cette décision soit prise. Qui oserait affirmer que, dans un cas semblable, il n'en serait pas de même aujourd'hui !

Edouard Lalo écrivit le Roi d'Ys à une époque glorieuse pour le théâtre lyrique français : Gounod, Bizet, Saint-Saëns, Massenet donnaient presque simultanément Faust, Carmen, Samson et Dalila, Manon, assurant encore de nos jours la vie à nos grandes scènes.

Certes, le Roi d'Ys ne saurait être mis sur le même pied que ces chefs-d'œuvre incontestés. Lalo, musicien plein de talent, reste sans aucun doute possible, dans le domaine de la musique dramatique, sur un plan nettement secondaire. La partition, malgré la lenteur de l'action, et quelques lourdeurs aussi, est pleine de pages excellentes, vocalement et orchestralement — bien que, sur ce dernier point, il y ait quelque abus des cuivres. Mais on serait aussi embarrassé d'y souligner un défaut manifeste qu'une scène où l'inspiration vous emporte réellement. Aussi, malgré des effets habilement conçus, ne pouvons-nous manquer de nous apercevoir que cette œuvre est assez loin de nous, dans sa forme comme dans son expression.

On se souvient de la légende, qui met aux prises, d'une part Karnac, seigneur d'une terre voisine, vainement amoureux de Margared, fille du roi d'Ys ; et d'autre part Margared, jalouse de sa sœur Rozenn, qui va épouser Mylio, auquel elle-même rêve secrètement. Celle-ci, de dépit, ouvrira les écluses qui menaceraient d'engloutir la ville pendant la célébration du mariage si, au dernier moment, prise de remords, elle ne se jetait dans la mer, qui se calme aussitôt.

Si M. Altéry, qui possède de charmantes demi-teintes, manque, dans le rôle de Mylio, de la puissance nécessaire, par contre l’Opéra a donné au Roi d'Ys, et sous la direction de M. Rühlmann. une remarquable distribution.

L'admirable voix et le jeu dramatique de Mme Marisa Ferrer dans Margared ; le soprano ravissant, brillant et riche de nuances de Mme Petit-Renaux dans Rozenn ; M. Paul Cabanel dans le roi ; M. Beckmans dans Karnac, constituent un des meilleurs ensembles qu'on puisse entendre actuellement sur notre première scène lyrique.

 

(Adolphe Borchard, le Petit Parisien, 08 janvier 1941)

 

 

 

 

 

Si l'on cherchait dans la musique française de théâtre une œuvre pour être, non pas égalée sans doute, mais comparée au Freischütz de Weber, il faudrait désigner le Roi d'Ys, d'Edouard Lalo.

Lalo a toujours aimé la mélodie d' « ailleurs », à laquelle la sienne propre doit peut-être ce rien d'assaisonnement indéfinissable qui lui donne tant de saveur. Il a serti dans plusieurs de ses ouvrages des thèmes russes, norvégiens, voire marocains et, dans la Symphonie espagnole, il imagine si exactement l'Espagne qu'il a l'air de la transcrire. Après ces lointains voyages de sa fantaisie, il est revenu écouter non plus les échos du fjord, de la steppe, de la sierra ou du bled, mais les cloches d'Ys et la lande voisine. Ainsi, après lui, la griserie de l'Orient révélera à Mme de Noailles la limpide douceur de l'Ile-de-France et nos poires seront ses goyaves. Si l'Espagne de la Symphonie espagnole est imaginaire, mais vraie, il y a dans le Roi d'Ys des thèmes bretons, notés tels quels ; d'autres sont interprétés ; certains enfin, créés par Lalo lui-même, ont si bien emprunté l'accent de terroir, le passage de ceux-là à ceux-ci est à ce point insensible que la question d'origine et d'authenticité ne se pose plus pour aucun : ils sont du même sang, frais et pur. Voilà comment, à l'exemple de Weber dans Freischütz, Lalo, dans le Roi d'Ys, où la fantasmagorie se mêle aussi à la vie rustique, a donné à la musique française son œuvre la plus populaire, dans le sens poétique, sain et profond que l'on voudrait rendre ici à un terme dévoyé. Si d'ailleurs, pour chanter avec tant d'accent l'âme de la France, cet amoureux impénitent de l'exotisme musical est allé l'écouter en Bretagne, peut-être est-ce qu'au pays d'Armor, plus que dans toute autre province française, s'attarde je ne sais quelle douce singularité, presque lointaine tant elle est rêveuse et où l'imagination de Lalo — même quand il s'y reposait en bon bourgeois dans la propriété de ses beaux-parents — pouvait croire qu'elle vagabondait encore dans les « pays estranges ».

Composé dès 1880, le Roi d'Ys a été créé en 1888 à l'Opéra-Comique, d'où il a passé depuis quelques années au répertoire de l'Opéra. Il porte le sous-titre de « légende bretonne » et comprend cinq tableaux, répartis sur trois actes.

L'ouverture, comme celles de Weber et de Wagner, résume par avance le drame en groupant les thèmes qui en accompagneront les principaux épisodes : conflit entre la tendresse et la violence, l'amour et la haine, le ravissement et le désespoir, avec la péroraison d'un triomphe guerrier qui, pour ne pas correspondre au dénouement même de la pièce, mais seulement à une scène du deuxième acte, en annonce pourtant la conclusion.

Le premier acte se déroule sur une terrasse, devant le palais du Roi d'Ys. Une foule joyeuse acclame le prochain mariage de la princesse Margared, fille aînée du roi, avec le prince Karnak, un ennemi de la veille, dont cette union, gage de paix, fera demain un allié. Deux des trois thèmes successifs du chœur sont des airs bretons, d'une saveur exquise.

La foule s'éloignant, Margared paraît, sombre, avec sa sœur Rozenn qui cherche à pénétrer le secret de cette tristesse en un jour de noces. Margared feint d'abord la satisfaction de l'orgueil. Mais à une dernière question de Rozenn, faite sur un motif tendre, caressant, pitoyable, un aveu lui échappe : promise à Karnak, elle en aime toujours un autre, qui n 'est plus. Rozenn croit la consoler en lui laissant espérer qu'il reviendra peut-être avec Mylio, leur ami d'enfance, dont on est aussi sans nouvelles.

Un chœur de femmes, aussi breton que s'il transcrivait un thème de folklore, vient chercher Margared, pour la revêtir de ses atours.

Restée seule, Rozenn, avec une chaleur ingénue, appelle de ses vœux le retour de ce Mylio, dont elle vient de prononcer le nom et qu'elle aime. A ce moment, Mylio lui-même paraît, revenant de captivité. Il ne reste qu'un instant pour dire à Rozenn, en une belle phrase entendue dans l'ouverture, la constance de son amour ; puis il va rejoindre ses compagnons.

Le Roi, Margared et toute la cour reviennent, bientôt rejoints par Karnak, ses guerriers et la foule. Karnak, avec quelque rudesse (l'ennemi d'hier est prêt à le redevenir demain) salue le Roi, qui le proclame désormais son fils et la foule les salue avec joie. Mais apprenant de Rozenn le retour de Mylio, Margared refuse maintenant, devant le peuple effrayé, la main de Karnak qui jure de se venger par une guerre sans merci. Mylio revient pour relever le défi et le rideau tombe sur les acclamations du peuple.

Après un court entr'acte où le thème de Mylio est suivi par les échos de fanfares guerrières, Margared, seule, dans un récitatif énergique puis dans un air d'une véhémence passionnée, exhale son désespoir et sa jalousie : car elle aussi aime Mylio. Le Roi entre avec Rozenn et celui-ci. Rozenn tremble à l'idée du combat qui va se jouer, mais le jeune homme, confiant dans la protection de Saint Corentin, promet la victoire : c'est ce quatuor enflammé dont l'ardeur martiale donnait à l'ouverture sa conclusion triomphante. (1)

 

(1) Margared assiste à la scène sans être vue des autres personnages. Elle a un a parte douloureux : « Hélas ! pourrai-je en mes alarmes... » de même qu'aux imprécations de son air se mêlait une phrase émue : « Oui, c'est elle qui reçoit les doux aveux qu'il soupire ». Dans ce rôle de haine et de vengeance subsistent quelques touches de sensibilité. Seul un musicien consommé et seule la musique peuvent faire cela sans disparate, sans artifice et sans trait comme le « Qu'aurais-je fait fidèle ? » d'Hermione.

 

Aux doux vœux dont Rozenn le salue quand il s'éloigne, Margared répond par sa malédiction. Les deux sœurs se reconnaissent rivales et, dans un dialogue pathétique, opposent l'une à l'autre la tendresse la plus pure et la vindicte la plus farouche.

Le second tableau figure, devant la ville d'Ys, une plaine où s'élève la chapelle de Saint-Corentin. Mylio a conduit ses troupes à la victoire que tous célèbrent sur le motif qui, au tableau précédent, la promettait. Le théâtre restant bientôt vide, Karnak paraît seul, défait, égaré. Il appelle à son secours l'enfer : Margared lui répond. La ville est protégée par une écluse : cette écluse ouverte, la cité s'engloutirait. A cette trahison de Margared, la tombe de Saint-Corentin s'ouvre. Le Saint se dresse et, accompagné d'un orgue et de chœurs invisibles, d'une sévérité solennelle, accable de ses reproches et de ses menaces les deux conjurés.

Le premier tableau du dernier acte, dans une galerie du Palais, est un enchantement. Pour célébrer la « noce bretonne » de Rozenn et de Mylio, on danse et l'on chante, sur des thèmes d'une délicieuse saveur populaire. Un groupe feint de barrer la route à Mylio qui demande passage en chantant les deux couplets d'une tendre aubade, dont le chœur reprend avec lui le refrain. Rozenn, qui paraît en toilette de mariée, accepte de lui faire accueil. Plus fidèle que celui de « Magali » dans Mireille, son chant reproduit ici le thème de la naïve chanson bretonne : « Nous somm 's venus vous voir ».

Aux sons de l'orgue et du Te Deum entendus dans la coulisse, se déroule derrière le théâtre la cérémonie religieuse du mariage. Karnak reparaît alors, suivi de Margared, à qui il rappelle sa promesse d'engloutir la ville. Le contraste des échos pieux, venus du sanctuaire, avec le dialogue criminel de Karnak et de Margared, est d'un effet puissant. Margared résiste d'abord à l'idée du forfait, mais Karnak excitant sa jalousie, elle finit par le suivre.

Le cortège sort de l'église et les deux nouveaux époux échangent les aveux de leur tendresse, dans un duo d'une pureté et d'une émotion rares, d'une suavité sans fadeur. (2) Le Roi s'attriste du départ de Rozenn et de l'absence de Margared, qui a disparu. Tous, avec recueillement, prient pour elle, qui, sans être aperçue d'eux, les écoute et s'attendrit.

 

(2) Un des plus beaux thèmes (« A l'autel j'allais rayonnant ») en a été pris par Lalo dans son opéra de Fiesque, édité à vrai dire (les exemplaires en sont rarissimes), mais jamais joué et dont un autre thème, fort beau également (« Unissons notre deuil, Fiesque n'est plus à nous ») a passé dans sa symphonie en sol mineur.

 

Mais soudain s'élève une rumeur d'effroi. Margared surgit, annonçant l'irruption du flot par l'écluse ouverte. Mylio a découvert le coupable, Karnak et l'a tué.

Le second et dernier tableau montre le plateau d'une colline où le peuple s'est réfugié pour échapper à l'envahissement du flot qui ne cesse de monter irrésistiblement — comme dans la deuxième partie du Déluge de Saint-Saëns.

Margared s'avance alors comme sous l'empire d'une hallucination et prophétise que le flot s'arrêtera quand il aura reçu sa proie. Interrogée anxieusement, elle se dénonce elle-même comme la victime désignée par le crime qu'elle avoue. La foule la maudit et veut la frapper : le Roi, Mylio et Rozenn essaient en vain de la défendre. A la faveur du tumulte, elle gravit un rocher, d'où elle se précipite dans la mer, qui s'apaise aussitôt.

Une apparition de Saint Corentin et quelques mesures de chœur pieux terminent sur un accent de foi religieuse cette scène toute de terreur et de violence, puissante assurément, mais moins précieuse que les pages pittoresques ou tendres qui donnent au Roi d'Ys tant de couleur et de charme.

 

(Jean Chantavoine, Petit guide de l’auditeur de musique, 1948)

 

 

 

 

 

le Roi d'Ys à l'Opéra (acte I) [revue l'Opéra de Paris n°2, novembre 1950]

 

 

 

 

Si la ville d'Ys a jamais existé, son emplacement exact demeure un mystère. On pense généralement qu'elle s'élevait autrefois en bordure de la baie de Douarnenez, protégée par une digue, comme le sont aujourd'hui encore certaines parties de la Hollande situées au-dessous du niveau de la mer. Dans la digue aurait été pratiquée une porte secrète dont le roi d'Ys, seul, possédait la clé. Le dernier de ces rois, qui s'appelait Gradlon, avait une fille fort débauchée qui, un soir d'orgie, déroba la clé et ouvrit la porte, livrant aux flots de l'Océan la cité qui se trouva définitivement submergée.

Cela se passait, selon la légende, vers le cinquième siècle de l'ère chrétienne.

Mille cinq cents ans plus tard, la même légende devait inspirer à Claude Debussy l'un de ses plus beaux préludes pour piano : la Cathédrale engloutie. Mais elle avait déjà fourni le thème d'un opéra, qui reste l'un des principaux titres de gloire d'un grand musicien français : Édouard Lalo.

Né à Lille le 7 janvier 1823, Lalo, comme son nom l'indique, comptait évidemment parmi ses ancêtres d'anciens occupants des Pays-Bas espagnols. Et cette ascendance n'est sans doute pas étrangère à son caractère fier et entier, très « hidalgo », ennemi de tout mensonge, même pieux, et rebelle à toute compromission.

Ce qu'il était capable de faire pour son idée de la musique, il ne tarda pas à le montrer. Élève, au Conservatoire de sa ville natale, d'un musicien allemand qui avait connu Beethoven, il quitta sa famille à seize ans pour poursuivre ses études dans la capitale. Comme Berlioz quelque vingt ans plus tôt, il avait dû encourir la réprobation d'une famille hostile à sa vocation. Mais à la différence de Berlioz, il ne put jamais forcer les portes du Conservatoire de Paris. Il prit des leçons de composition avec Schulhoff, un ami de Chopin, tout en travaillant assidûment son instrument.

L'instrument en question n'était pas le piano ou le violon, qui eussent pu lui apporter fortune et gloire comme à Liszt ou Paganini, mais le plus ingrat des instruments à cordes : l'alto. Pour un virtuose de l'alto, il n'existe pas d'autre débouché que le premier pupitre d'un orchestre symphonique ou d'un orchestre de chambre, ou encore le quatuor. C'est cette dernière solution que choisit Édouard Lalo, co-fondateur et altiste du Quatuor Armingaud. Et bien que la musique de chambre, à cette époque, fût beaucoup moins appréciée qu'elle ne l'est de nos jours, Lalo, jusqu'aux approches de la cinquantaine, dut l'essentiel de sa notoriété à son talent d'instrumentiste plutôt qu'à ses compositions.

Il avait d'ailleurs tout juste cinquante ans lors de son premier succès « public » : la Symphonie espagnole en 1873, suivie de plusieurs concertos pour violon, piano et violoncelle qui consolidèrent sa réputation de symphoniste. Malheureusement, ce genre de réputation n'était pas une recommandation auprès des directeurs de théâtre de ce temps. Vaucorbeil, directeur de l'Opéra, se risqua pourtant à commander à Lalo non pas un ouvrage lyrique, mais un ballet. Ce fut Namouna. Le compositeur, malade et à demi paralysé, ne put achever l'orchestration, et c'est Charles Gounod qui, fraternellement, s'en chargea. Une cabale imbécile fit échouer en mai 1882 cette superbe partition, qui prit aussitôt sa revanche au concert. Bien des années plus tard, Serge Lifar devait lui assurer un durable triomphe en la choisissant pour support musical de sa Suite en Blanc, le plus beau de ses « ballets académiques ».

Et le Roi d'Ys ?

Édouard Lalo l'avait mis en chantier bien avant Namouna, et en avait donné des extraits en concert, avec le plus grand succès, dès 1876. Si l'on en croit un témoin très digne de foi, le regretté Adolphe Boschot, c'est grâce à un critique d'art qu'il fut monté.

La Salle Favart avait brûlé en 1887, faisant quelque 200 victimes. L'Opéra-Comique fut donc transféré dans la salle de l'ancien « Théâtre-Lyrique », place du Châtelet, futur « Théâtre Sarah-Bernhardt », puis « Théâtre de la Ville », sous la direction d'un certain Paravey. Le directeur des Beaux-Arts, lointain prédécesseur de nos ministres de la Culture, s'appelait alors Castagnary et laissait tout le travail à son adjoint Roger-Marx. C'est cet éminent critique de peinture, sans doute influencé par son ami Louis de Fourcaud, qui imposa le Roi d'Ys. Et malgré la mauvaise humeur de certains interprètes, la première représentation du 7 mai 1888 (six ans jour pour jour après l'échec de Namouna) fut un éclatant triomphe.

Le triomphateur — hélas ! — avait déjà soixante-cinq ans. Il mourut subitement quatre ans plus tard, le 22 avril 1892, en travaillant à un autre opéra qui s'appelait la Jacquerie.

Il va de soi qu'Édouard Blau, librettiste émérite, ne s'en est pas tenu aux strictes données de la légende pour composer le poème du Roi d'Ys. Le geste insensé de la fille du roi, livrant la cité et son peuple à la fureur des flots, s'explique désormais par la jalousie qu'elle éprouve à l'égard de sa sœur cadette. Pour le plus grand bien des conventions de l'opéra — qui sont d'ailleurs d'ordre purement musical — le soprano et le ténor des « bons » s'opposeront au mezzo-soprano et au baryton des « méchants ».

Après la célèbre Ouverture — où l'on remarquera une citation textuelle du « Chœur des Pèlerins » de Tannhäuser qui, d'ailleurs, n'ôte rien à l'originalité du reste —, le rideau se lève sur une terrasse du château d'Ys. Le peuple, dialoguant avec le héraut Jahel, célèbre les fiançailles de la princesse Margared avec le chef d'une tribu jusqu'alors ennemie, Karnac. Margared paraît, sombre et préoccupée, et sa sœur Rozenn s'inquiète de la voir si triste en ce jour de liesse. Margared finit par avouer qu'elle pense à Mylio, dont nul ne sait ce qu'il est devenu. Et Rozenn à son tour, restée seule, dit son amour pour le jeune guerrier dont elle se refuse à croire qu'il ait définitivement disparu.

Justement, Mylio paraît, le temps de rassurer Rozenn : il a échappé avec ses compagnons à la captivité en un lointain pays. Margared revient accompagnée de Karnac, annoncée par le roi son père qui se félicite d'une union qui met fin à la guerre. Mais, sa sœur l'ayant informée du retour de Mylio, elle refuse catégoriquement d'épouser Karnac. Celui-ci, horriblement vexé et non sans cause, jette au roi son gant que relève Mylio.

Au deuxième acte, d'une grande salle du palais, Margared regarde les armées en marche en se disant que Mylio, qui les commande, n'a d'yeux que pour Rozenn. La rage au cœur, elle se cache en voyant entrer le roi, Rozenn et Mylio qui clame sa certitude de la victoire. La jeune fille, déjà, lui donne le nom d'époux, et le roi confirme cette tendre promesse. Les deux hommes partis, Margared se montre à sa sœur et éclate en imprécations. Rozenn épouvantée tente de calmer la furie, mais n'en tire que de nouveaux blasphèmes. Margared maudit les fiancés et défie saint Corentin de sortir de sa tombe pour la punir.

Un deuxième tableau nous transporte sur une plaine immense, sous les murs de la ville d'Ys qu'on aperçoit dans le lointain. La chapelle de saint Corentin s'élève au premier plan, et c'est au saint que Mylio, entouré de ses soldats et de paysans enthousiastes, rend grâces de sa victoire toute fraîche. Au vainqueur succède le vaincu, seul et désarmé, ruminant de noirs desseins : Karnac, que Margared rejoint pour lui offrir son alliance. Vaincue elle aussi, mais non découragée, elle lui révèle le secret de la porte d'airain qui protège la ville des flots de l'Océan, et qu'elle n'a pas la force de briser seule.

Karnac accepte, un peu gêné malgré tout, et bien plus gêné encore quand l'infernale princesse éprouve une fois de plus le besoin d'outrager saint Corentin. L'évêque de Cornouaille se dresse dans sa tombe et adresse aux conjurés un solennel avertissement, les exhortant au repentir.

Au troisième acte, nous sommes dans une galerie du palais, entre la chapelle et les appartements de Rozenn. Suivant la coutume, les jeunes gens amis de Mylio font mine de donner l'assaut à la chambre de sa fiancée, défendue par les jeunes filles amies de Rozenn. Mylio lui-même intervient, chante la fameuse Aubade, et la porte s'ouvre enfin pour livrer passage à Rozenn, radieuse, en grande toilette de mariée. Le cortège nuptial se forme et disparaît dans la chapelle.

Margared et Karnac s'approchent à leur tour, le second pressant la première de tenir ses engagements. Mais l'infortunée princesse, à qui les chœurs pieux venant de la chapelle remettent en mémoire les avertissements de saint Corentin, mesure maintenant l'énormité du crime qu'elle se disposait à commettre. Pour la décider à le conduire jusqu'à l'écluse, Karnac doit exciter sa jalousie en lui décrivant cyniquement le bonheur de Rozenn et Mylio.

Ceux-ci reparaissent avec le cortège, mariés et se disant leur amour. Seul le roi est triste : sa fille aînée est partie et l'autre va le quitter. Rozenn le console : elle a tant prié pour sa sœur que celle-ci ne peut manquer de revenir, pardonnée. Margared, qui surprend leur conversation, en est bouleversée. Elle voudrait se jeter dans leurs bras, mais au même instant, une rumeur confuse annonce la catastrophe qu'elle a provoquée. Mylio vient donner l'alarme, expliquant brièvement que Karnac a ouvert l'écluse, et qu'il l'a tué. Tous s'enfuient, même Margared que son père entraîne malgré ses protestations.

Sur une colline où il s'est réfugié, le peuple d'Ys implore la clémence divine, mais les flots continuent à monter. Margared, comme en transe, avoue sa trahison. Le roi, Rozenn et Mylio plaident sa cause tout en l'empêchant de se jeter à l'eau. Elle leur échappe enfin et se précipite dans la mer qui s'apaise aussitôt.

 

(Maurice Tassart)

 

 

 

 

 

 

 

 

maquettes de costumes de Félix Labisse [de g. à dr. : Mylio ; le Roi ; Margared ; un Soldat de Karnac]

 

 

L'Opéra reprend le Roi d'Ys d'Edouard Lalo, par Jacques Feschotte.

 

 

Le 7 mai 1888, la vaste salle du Châtelet retentissait d'ovations : elles saluaient, avec une admirative gratitude, la création du Roi d'Ys qui, ayant triomphé de tant d'injustes vicissitudes, assurait enfin à Édouard Lalo l'hommage d'un public éclairé et conquis... Hélas ! le grand musicien ne devait survivre que peu d'années (il est mort en avril 1892) à la création de son œuvre maîtresse. C'est cependant Salle Favart, grâce à Albert Carré, que le Roi d'Ys devait poursuivre une éclatante carrière, puisqu'il allait y atteindre en janvier 1940 près de cinq cents représentations. Mais en janvier 1941, l'Opéra, cadre tout indiqué pour une telle œuvre, le présenta au Palais Garnier en de fort belles conditions. C'est donc avec joie que nous avons salué l'annonce de la reprise du Roi d'Ys : nous faisons des vœux très vifs pour qu'ayant retrouvé sa place au répertoire, il puisse la conserver, et révéler ainsi aux jeunes publics une des œuvres les plus représentatives du théâtre lyrique français.

 

Édouard Lalo, nous l'avons indiqué, avait été poursuivi par une véritable malchance dans sa carrière de compositeur de théâtre. Il avait déjà dépassé quarante ans (étant né à Lille le 27 janvier 1823), lorsqu'il présenta sa première partition dramatique : Fiesque, à un concours ouvert par le Théâtre-Lyrique. Fiesque n'obtint qu'un troisième prix, et Lalo découragé, renonçant à l'espoir de le voir jamais représenté, en utilise un certain nombre de « morceaux » dans diverses œuvres symphoniques ou dramatiques (le beau duo nuptial du Roi d'Ys en provient).

 

Cependant, l'accueil fait au concert à plusieurs de ses compositions renforça Lalo dans sa volonté d'écrire une nouvelle œuvre théâtrale. Édouard Blau lui proposait alors une « légende bretonne » qu'il tenait de M. de la Morandière. Elle était inspirée par une des plus saisissantes histoires du riche livre de contes bretons : l'engloutissement dans l'Océan de la ville d'Ys pour la punir de l'action maléfique de la pécheresse Dahut, fille du Roi Gralon. Depuis, la ville noyée serait restée endormie au fond de la mer... et certains jours, on croit entendre sourdement les cloches mystérieuses résonner au fond de l'abîme.

 

Un tel thème ne pouvait que séduire Lalo. Il enchante naturellement les poètes, ainsi Heredia :

 

« ... Et l'Océan qui roule en un lit d'algues d'or Ys la voluptueuse... »

 

et même depuis, le Roi d'Ys inspira les musiciens. Comment ne pas rappeler l'admirable Prélude de Debussy : la Cathédrale engloutie suggérant les poignantes harmonies des cloches et de l'orgue noyés, et, plus récemment encore, la très poétique et lyrique Magicienne de la Mer de Paul Le Flem et José Bruyr, présentée à l'Opéra-Comique et qui évoquait dans une belle originalité la trahison de Dahut et l'envahissement de la cité d'Ys par le flot.

 

Lalo se mit donc au travail sur le scénario de Blau qui, dans ce décor de la ville d'Ys, avait agencé un drame ingénieux et riche en péripéties. Les deux filles du Roi Gralon sont éprises du même héros le guerrier Mylio, mais Margared, irritée de voir sa sœur Rozenn préférée par Mylio s'allie au farouche Karnac, épris d'elle, pour anéantir la ville en ouvrant les écluses qui la défendent contre la mer. Ys est engloutie et l'Océan ne cesse de monter jusqu'au moment où après la mort de Margared, Saint Corentin obtient le pardon céleste et l'apaisement des flots... Il y avait certes là non seulement de riches possibilités d'inspiration pour le compositeur, mais aussi prétexte à un grand spectacle d'Opéra. Lalo travailla passionnément : sa partition était achevée en 1880.

 

Il n'était cependant pas au bout de ses peines : l'œuvre, reçue par Vizentini, devait être créée au Théâtre-Lyrique... Celui-ci fit faillite. Lalo la porta alors à l'Opéra : mais son directeur, Vaucorbeil, pourtant admirateur de Lalo, préféra lui demander un ballet (ce fut l'adorable Namouna qui, inexplicablement, tomba à sa création !) Enfin lorsque Paravey, à la suite du dramatique incendie de l'Opéra-Comique, s'installa pour des années au Châtelet, le Roi d'Ys y fut enfin représenté : et ceci particulièrement grâce à l'intervention de Roger-Marx, alors directeur des Beaux-Arts. Il connut enfin le triomphe : l'Ouverture fut jouée très fréquemment aux concerts, de nombreuses pages — airs et duos — devinrent célèbres. Cela n'était que justice : nous ne pouvons ici étudier la grande personnalité de Lalo, mais nous avons à cœur de citer quelques formules excellentes de Gaston Carraud (par ailleurs éminent historiographe d'Albéric Magnard, autre grand musicien dont la gloire doit être servie...) qui la situent excellemment.

 

« Tout, dans la musique de Lalo est lumière et mesure... Le rythme y est roi... Une émotion qui ne déclame ni ne larmoie... Balsamique tonifiante et légère comme l'air des hauteurs... »

 

Puisse donc ce Roi d'Ys bientôt centenaire retrouver et conserver à la faveur de la nouvelle reprise à l'Opéra, une place qu'il mérite à tous égards.

 

 

 

maquette de Félix Labisse pour l'acte I

 

 

 

maquette de Félix Labisse pour le 1er tableau de l'acte II

 

 

 

maquette de Félix Labisse pour le 2e tableau de l'acte II

 

***

 

La mise en scène du Roi d'Ys, par Robert Gilles.

 

 

M. Georges Auric a bien voulu me charger de la nouvelle mise en scène du Roi d'Ys que l'Opéra reprend cette saison en faisant appel uniquement aux artistes et aux techniciens de la Maison. Cette circonstance me permet d'établir ma première mise en scène, au Palais Garnier, dans une excellente atmosphère d'amicale et harmonieuse collaboration.

 

J'ai donc travaillé en parfaite communion d'esprit avec Félix Labisse, qui a peint les décors en fonction de nos conceptions communes, nous inspirant étroitement de la partition d'Édouard Lalo, dont Pierre Dervaux assure l'interprétation musicale. Nous avons voulu replacer l'œuvre dans son cadre légendaire ; écartant le plus possible le côté folklorique du livret, nous avons tenté de révéler le caractère mystique et fantastique de la légende. J'ai respecté le « style Opéra » qui est d'abord spectacle ; l'utilisation du cinémascope, de la stéréophonie permettra au spectateur d'assister à l'engloutissement d'Ys la Magnifique, les personnages du drame se trouvant littéralement entourés par les flots. Par ailleurs, j'ai voulu opposer au statisme des chœurs les mouvements scéniques du ballet. Les danseurs, engagés récemment au service du répertoire lyrique, trouveront donc place dans cette réalisation.

 

La légende de la Ville d'Ys fait partie des mythes éternels. La Bretagne, terre de légendes, n'en compte pas qui soit plus ancienne et plus populaire. Cette nouvelle présentation sera l'évocation de ce monde imaginaire et fantastique.

 

[revue l'Opéra de Paris n°24, 2e trim. 1966]

 

 

 

 

 

 

 

Karnac (Julien Haas) [photo Michel Petit]

 

 

 

de g. à dr. : Rozenn (Andrée Esposito), le Roi (Jacques Mars) et Mylio (Alain Vanzo) [photo Bernand]

 

 

De son vivant, Edouard Lalo dut attendre presque quinze ans pour que son Roi d'Ys fut représenté. La reprise décidée en 1966, venait elle aussi, après une longue période de silence. C'est une des œuvres majeures du théâtre lyrique français du XIXe siècle qui renaissait ainsi, dans la mise en scène de Robert Gilles, les décors et les costumes de Félix Labisse, et une distribution où Andrée Esposito et Alain Vanzo se faisaient particulièrement remarquer.

 

[revue l'Opéra de Paris n°25, 2e trim. 1967]

 

 

 

Margared (Berthe Monmart)

 

Mylio (Alain Vanzo) et Rozenn (Andrée Esposito) [photo Michel Petit]

 

 

 

Engloutissement de la ville d'Ys [photo Bernand]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Catalogue des morceaux

 

Ouverture

   
Acte I. Une terrasse du palais des Rois d'Ys

Chœur

Noël ! Noël ! Noël ! Les guerres sont terminées Jahel, la Foule

Duo

Margared, ô ma sœur — En silence pourquoi souffrir Rozenn, Margared

Chœur de femmes

Venez, l'heure presse ! Dames d'honneur et suivantes

Scène

Vainement j'ai parlé de l'absence éternelle — Par une chaîne trop forte Rozenn
  Si le ciel est plein de flammes Mylio

Entrée de Karnac

Désireux d'accomplir l'union résolue Karnac
  Dans un rival je trouve un fils — Aux jours futurs j'ai dû songer le Roi
  Nous voulons ici leur promettre obéissance la Foule

Ensemble

O criminelle démence ! Rozenn, Margared, Mylio, Karnac, le Roi, Peuple et Guerriers
Acte II. Premier tableau Une grande salle du palais d'Ys

Récit et Air

De tous côtés j'aperçois dans la plaine — Lorsque je t'ai vu soudain reparaître Margared

Scène et Quatuor

Que demain au lever de l'aurore le Roi
  Oui, je le sens, je l'atteste ! Mylio
  Le ciel saura bénir nos armes Rozenn, Margared, Mylio, le Roi

Scène

Quand pour lui chacun fait des vœux Margared
  Tais-toi, Margared ! quel délire t'entraîne ? — Que ta justice fasse taire Rozenn
Acte II. Deuxième tableau Une plaine immense

Chœur

Victoire ! Honneur à Mylio Mylio, Soldats et Peuple

Scène

Perdu ! Je suis perdu ! Karnac
  L'enfer t'écoute Margared

Apparition

Malheur sur vous ! Saint Corentin, Voix célestes
Acte III. Premier tableau Une galerie du palais conduisant à la chapelle

Noce bretonne

Ouvrez cette porte à la fiancée Jeunes gens et Jeunes filles

Aubade

Vainement ma bien aimée Mylio
  Pourquoi lutter de la sorte ? Rozenn

Scène

Allons, pas de lâche faiblesse ! Karnac
  Vois ton amant joyeux et beau Karnac
  Qu'ils périssent ! Que la mer emporte Margared, Karnac

Duo

A l'autel j'allais rayonnant Rozenn, Mylio

Scène

Je reviendrai bientôt mon père Rozenn

Prière

Que dans l'asile choisi Rozenn, Margared, le Roi

Scène

Ces rumeurs, ces cris d'alarme Rozenn, Margared, Mylio, le Roi
Acte III. Deuxième tableau Le plateau d'une colline

l'Inondation

O puissance infinie ! Rozenn, Margared, Mylio
  L'eau monte ! L'eau monte encore ! le Roi, le Peuple
  Ah ! mon juge m'appelle ! Margared
  Gloire à Saint Corentin !... Gloire à Dieu tout puissant ! Mylio, le Peuple

 

 

 

LIVRET

 

 

Enregistrement accompagnant le livret

 

- Version intégrale 1957 : Janine Micheau (Rozenn), Rita Gorr (Margared), Henri Legay (Mylio), Jean Borthayre (Karnac), Pierre Savignol (le Roi), Jacques Mars (saint Corentin), Serge Rallier (Jahel), Chœurs et Orchestre National de la R.T.F. dir. André Cluytens (chef des chœurs : René Alix), enr. du 10 au 15 juin 1957 Salle de la Mutualité à Paris. => détails

 

 

 

 

Acte I à l'Opéra-Comique en 1902

 

 

(livret, 7e édition, 1910)

 

 

Ouverture

 

 

 

Ouverture

intégrale 1957 (01)

distribution

 

 

         

 

Ouverture (début)

Orchestre dir François Rühlmann (avec solo de cor anglais)

Pathé saphir 90 tours n° 5206, réédité sur 80 tours n° 6164, enr. vers 1910

 

 

                   

 

Ouverture

Musique de la Garde Républicaine dir Guillaume Balay

Gramophone K 5116 et K 5117, mat. 230428 à 230431, enr. en janvier 1927

 

 

                   

 

Ouverture

Orchestre Symphonique dir Maurice Frigara (violoncelle solo : Léon Lagge)

Parlophone 28061 et 28062, mat. 106033 à 106036, enr. vers 1927

 

 

         

 

Ouverture (début)

Orchestre Philharmonique de Berlin dir Albert Wolff

Polydor 66722, mat. F 20062 et F 20063, enr. en 1928

 

 

              

 

Ouverture (extraits)

Grand Orchestre Symphonique dir Gustave Cloëz

Odéon 170.007, mat. XXP 6511-1 et XXP 6512-2, enr. en 1928

 

 

                   

 

Ouverture

Orchestre dir François Rühlmann (violoncelle solo : Hippolyte Lopès)

Pathé X 8749 et X 8750, mat. N 300769 à N 300772, enr. vers 1929

 

 

                   

 

Ouverture

l'Association Artistique des Concerts Colonne dir Gabriel Pierné (violoncelle solo : Hippolyte Lopès)

Odéon 123.704 et 123.705, mat. XXP 7084 à XXP 7087, enr. le 10 juin 1930

 

 

              

 

Ouverture

London Symphony Orchestra dir Piero Coppola

Gramophone L 863 et L 864, mat. 52-836 à 52-838, enr. le 21 novembre 1930

 

 

                   

 

Ouverture

Orchestre Symphonique dir Philippe Gaubert (violoncelle solo : Auguste Cruque)

Columbia LF 77 et LF 78, mat. L 2782 à L 2785, enr. en décembre 1930

 

 

 

ACTE PREMIER

 

 

La terrasse du palais du roi d'Ys. — A gauche, grands arbres et l'entrée des jardins. — A droite, la porte du palais, précédée d'un grand escalier de granit ; à l'horizon, la mer.

 

 

 

 

Chœur. Noël !

intégrale 1957 (02)

distribution

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

 

CHŒUR GÉNÉRAL.

Noël ! c'est l'aurore bénie,

C'est le temps de joyeux émoi ;

Toute crainte est bannie,

Aux jours meilleurs nous avons foi ;

Que l'antique cité s'éveille rajeunie

Pour acclamer la fille de son roi !

 

Une enfant par ses charmes

Enchaîne un ennemi jaloux ;

Vaincu par ses regards plus puissants que nos armes

Nous le verrons tomber à ses genoux.

Oublions nos alarmes,

L'amour a triomphé pour nous.

Déployons les bannières ;

Parons le seuil de nos maisons ;

De nos heureux destins célestes messagères,
Cloches, sonnez à tous les horizons !

 

JAHEL, au milieu du peuple.

Oui, peuple, voici l'heure où le roi, notre sire,

Au front de son enfant met la couronne d'or ;

Où le prince Karnac aux autels va conduire

La belle Margared, la perle de l'Armor.

 

LE CHŒUR.

Noël !

 

JAHEL.

            Pour cet hymen, pour la paix qu'il nous donne

Saint Corentin, gardien de la terre Bretonne,

Nous prêta son secours,

Fidèle aux jours présents ainsi qu'aux anciens jours.

 

CHŒUR DES FEMMES.

Les guerres sont terminées,

Voici pour nous désormais

Les tranquilles destinées,

Les doux travaux de la paix.

Les glaives sur la muraille

Vont reposer pour toujours

Et les récits de bataille

Font place au chant des amours.

Que notre gaîté renaisse,

Revienne le cher loisir ;

Quand les rois ont la jeunesse,

Les peuples ont le plaisir.

(Appel de trompettes au dehors.)

 

JAHEL.

Entendez ce signal. A l'horizon se montre

Déjà notre hôte glorieux ;

Allons tous lui porter notre hommage et nos vœux.

 

CHŒUR GÉNÉRAL.

Allons à sa rencontre ;

Deux fois élu, deux fois vainqueur,

Bientôt il va paraître,

Et doit régner en maître

Sur notre ville et notre cœur.

Chantons, foule enivrée,

Nos hymnes les plus triomphants ;
Fêtons tous son entrée,

Peuple, seigneurs, vieillards, enfants.

(Sortie de Jahel et du peuple. Tandis que la foule se retire et s'éloigne, Margared et Rozenn apparaissent au haut de l'escalier ; à mesure que décroît l'écho du chœur lointain, elles descendent et arrivent en scène.)

 

 

 

 

Duo. Margared, ô ma sœur

intégrale 1957 (03)

distribution

 

 

SCÈNE II
MARGARED, ROZENN.

(Rozenn regarde sa sœur avec une sympathie inquiète.)

 

ROZENN.

Margared, ô ma sœur, quand chaque front rayonne,

Le tien est pâle ; dans tes yeux

Brille une sombre flamme...

(Lui prenant la main.)

            Et cette main frissonne.

 

MARGARED, avec une ironie fiévreuse et retirant sa main brusquement.

Rozenn ! Que dis-tu donc ? non, mon cœur est joyeux.

 

Eh quoi ! partout sur ma route

Se lève un peuple enchanté !

Un prince que l'on redoute

Par mes charmes est dompté !

J'ai la puissance royale,

J'ai le sceptre des aïeux,

Et tu dis que je suis pâle,

Tu vois la fièvre en mes yeux !

 

Si mon regard s'illumine,

C'est devant tant de splendeur,

Et ma tète ne s'incline

Que sous le poids du bonheur !

 

ROZENN, qui a observé tristement cette exaltation.

(A part.)

Ah ! dans son cri d'orgueil un sanglot se devine !

(A Margared.)

En silence pourquoi souffrir ?

Dans mon cœur épanche ta peine,

Que la moitié m'en appartienne

Si je ne sais pas la guérir !

 

On voit sous la fraîche rosée

Se relever le lis tremblant.

Parfois une larme en coulant

Fait aussi notre âme apaisée.

 

MARGARED.

Je n'ai rien a pleurer tout bas ;

Et ta pitié, je ne la comprends pas.

Va, ta douce parole est vaine ;

En silence je veux souffrir.

A quoi bon conter une peine

Que tu ne saurais pas guérir ?

 

ROZENN, avec une affectueuse insistance.

Pour terminer une sanglante guerre,

Au prince Karnac notre père

T'a promise. Aurais-tu regret de cet hymen ?

 

MARGARED, moins farouche.

Je fais mon devoir sans faiblesse,

Et n'ai pas aujourd'hui, d'ailleurs, plus de tristesse

Que je n'en eus hier et n'en aurai demain !

 

ROZENN.

Alors pourquoi sur ton visage

Ces chagrins amers que j'ai lus ?

 

MARGARED, avec une explosion douloureuse.

C'est qu'en moi je porte l'image

D'un autre que j'aimais !

 

ROZENN.

            D'un autre ?

 

MARGARED.

                        Et qui n'est plus !

 

ROZENN, à part.

Elle avait la même souffrance !

Comme le mien son cœur saignait !

(A Margared.)

Cet autre, Margared, peut-être accompagnait
Mylio, notre ami d'enfance,

Mylio qui partit naguère... et pour toujours !

 

MARGARED.

Ah ! tu viens de le dire !

Oui, le même navire

Qui portait Mylio m'emportait mes amours !

(L'entretien est interrompu par l'arrivée des femmes et des suivantes de Margared.)

 

 

 

 

Chœur. Venez, l'heure presse !

intégrale 1957 (04)

distribution

 

 

SCÈNE III

LES MÊMES, FEMMES, SUIVANTES de Margared.


CHŒUR.

Venez, l'heure presse !

Devez-vous, princesse,

Tarder un instant ?

L'attente est cruelle,

Quand elle est si belle,

Celle qu'on attend.

 

Laissez vos femmes empressées

Sur votre front mettre à la fois

Le voile blanc des fiancées

Et la couronne de nos rois.

 

MARGARED, à Rozenn.

Tu connais le secret de mes tristes pensées.

Je dois suivre à l'autel un époux détesté !

 

ROZENN.

Ah ! cet hymen, pourquoi l'as-tu pas rejeté ?

 

MARGARED.

J'étais la rançon de la guerre !

 

ROZENN.

Oh ! n'accuse pas notre père !

 

MARGARED.

J'ai pour votre repos vendu ma liberté !

 

REPRISE DU CHŒUR DES FEMMES

Venez, l'heure presse !

etc.

(Margared faisant à Rozenn un geste de découragement et de lassitude, se laisse emmener par ses femmes.)

 

 

 

 

Scène. Vainement

intégrale 1957 (05)

distribution

 

 

SCÈNE IV

 

ROZENN, seule.

Vainement j'ai parlé de l'absence éternelle

Et de l'avenir sans espoir !

Non ! non ! je n'y crois pas !... Je t'attends, je t'appelle !

Oh ! Mylio, je sens que je dois te revoir.

 

Par une chaîne trop forte

Tous deux nous étions unis.

Puisque je ne suis pas morte,

Tes jours ne sont pas finis.

 

Quand tu remplis à chaque heure

Mon rêve ou mon souvenir,

Une voix intérieure

Me dit que tu vas venir.

(En ce moment, Mylio paraît au fond de la scène ; il s'arrête en voyant Rozenn et l'écoute avec ravissement.)

 

Si celui que je réclame

N'était plus, ô vastes cieux,

Vous n'auriez pas tant de flamme

Et tant d'azur pour mes yeux !

 

O mer profonde et sereine,

Pourrais-tu sourire encor,

Si tu n'étais pas certaine

De me rendre mon trésor !

(Mylio s'est peu à peu rapproché de Rozenn qui ne l'a pas aperçu encore.)

 

 

SCÈNE V

ROZENN, MYLIO.

 

MYLIO.

Si le ciel est plein de flammes

O Rozenn ! c'est qu'il sait bien

Qu'à l'heure où tu me réclames

Mon cœur tremble près du tien.

(Rozenn se tourne, aperçoit Mylio et le contemple, muette, extasiée.)

 

Et les flots bleus ont encore

Ici le droit de chanter,

Puisqu'à celle que j'adore

Ils ont su me rapporter.

 

ROZENN, dans les bras de Mylio.

Mylio ! Mylio ! Cette joie est possible !

 

MYLIO.

C'est moi ! C'est ton amant !

Le Seigneur à ta voix ne fut pas insensible !

 

ROZENN.

Le Seigneur est clément !

On te disait perdu sur la lointaine plage,

Trahi par le destin plus fort que ton courage.

 

MYLIO.

J'étais captif avec mes compagnons ;

C'est vainqueurs maintenant que nous vous revenons !

 

ROZENN.

Le bonheur est si grand que j'ose à peine y croire !

S'il allait se briser !

 

MYLIO.

Non ! J'ai conquis trésors et gloire !

A notre hymen le roi ne peut plus s'opposer !

(On entend les chants et les cris de la foule qui revient vers le palais.)

 

ROZENN.

Voici le prince et son cortège.

 

MYLIO, étonné et inquiet.

Le prince ?

 

ROZENN, le rassurant d'un sourire.

            C'est l'époux par ma sœur accepté !

 

MYLIO, joyeux.

Je vais rendre la liberté

Aux amis qui, jaloux de mon doux privilège,

Veulent aussi revoir leurs toits et leurs amours !

 

ROZENN.

Quand vous verrai-je ?

 

MYLIO.

Ce soir... demain... toujours...

(Il sort.)

 

 

 

 

Entrée de Karnac. Désireux d'accomplir

intégrale 1957 (06)

distribution

 

 

SCÈNE VI

LE ROI, KARNAC, MARGARED, ROZENN, PONTIFES, CHEVALIERS, PAGES, ÉCUYERS, etc., puis MYLIO.

(Entrée du peuple d'Ys, précédant le prince Karnac qui s'avance entouré de ses guerriers. Au même instant, le roi d'Ys apparaît sur le haut de l'escalier, ayant Margared à côté de lui. Rozenn va rejoindre son père et sa sœur.)

 

KARNAC.

Désireux d'accomplir l'union résolue,

Oubliant les débats qui nous armaient jadis,

Roi de la ville d'Ys,

Le prince Karnac te salue !

 

LE ROI, descendant les degrés.

Dans un rival je trouve un fils !

Soit béni le destin qui t'ouvre ma demeure !

(Se tournant vers le peuple.)

Et vous tous, écoutez ma parole à cette heure !

 

Aux jours futurs je dois songer,

Lorsque je suis glacé par l'âge ;

Que ma mort soit un deuil et non pas un danger !

Mes enfants ne pourront vous aimer davantage,

Ils sauront mieux vous protéger.

 

Bras vaillant et beauté sereine

Font le pouvoir puissant et doux :

Margared, vous serez leur reine !

Karnac, vous serez son époux !

 

SEIGNEURS ET GUERRIERS.

Nous voulons ici leur promettre

Obéissance à l'avenir !

 

LE PEUPLE.

Nous acceptons Karnac pour notre maître.

 

LES PRÊTRES,

Aux autels du Seigneur nous allons les bénir !

(Le roi, suivi de Karnac, s'approche des groupes divers qui l'entourent et leur présente leur nouveau souverain. Rozenn est près de Margared et lui a parlé bas avec animation.)

 

MARGARED, avec un cri.

Quoi ! Mylio vivant ! par quel prodige ?

 

ROZENN.

Il m'a parlé, te dis-je !

 

MARGARED.

Jour maudit !

 

ROZENN.

            Avec lui l'ami que tu pleurais

Sans doute est revenu !

 

MARGARED, qui n'écoute plus sa sœur.

            Lui vivant ! et j'irais

Me lier follement d'une chaîne éternelle !

 

LE ROI, revenant vers elle et lui offrant la main.

Venez, ma fille, à la chapelle !

 

MARGARED, avec éclat.

Non, mon père, jamais !

 

TOUS.

            Qu'a-t-elle dit, ô cieux !

 

MARGARED, avec exaltation.

Je vous dis d'oublier la promesse donnée ;

Car je repousse un hyménée

Hier indifférent, maintenant odieux !

 

 

 

Ensemble. O criminelle démence !

intégrale 1957 (07)

distribution

 

 

ENSEMBLE

LE CHŒUR.

O criminelle démence !

De cette mortelle offense

Karnac saura se venger.

Si la guerre est rallumée

Hélas ! contre son armée

Qui pourra nous protéger ?

 

LE ROI.

O la fatale démence !

 

ROZENN.

Quelle est donc son espérance ?

 

MARGARED.

Je méprise le danger.

 

KARNAC ET SES SOLDATS.

Tremblez tous, de cette offense

Karnac saura se venger !

(Pendant cet ensemble, Mylio a paru sans être aperçu de personne ; il observe et écoute.)

 

KARNAC.

O roi ! c'est maintenant une guerre sans trêve,

Un combat sans merci !

Voici mon gant !

(Il jette son gantelet aux pieds du roi.)

 

MYLIO, s'avançant.

            Je le relève !

 

TOUS.

Mylio !

 

MARGARED, le contemplant avec ivresse.

            Mylio !

(La foule s'est écartée et a laissé voir les compagnons d'armes de Mylio.)

 

MYLIO.

                        Nous revenons ici,

Pour combattre avec vous !

 

KARNAC.

Toi qui parles ainsi,

As-tu donc pour la mort une ardeur si jalouse !

Par elle méprisé, tu la cherches toujours.

 

MYLIO.

Va ! c'est toi qu'elle attend, toi qui veux une épouse,

Et ton lit nuptial est au pied de ces tours !

(Cris du peuple acclamant Mylio. — Menaces et cris de fureur des soldats de Karnac. — Ensemble final.)

 

 

 

 

 

 

Acte II. 1er tableau à l'Opéra-Comique en 1902 [de g. à dr. Léon Beyle (Mylio), Gustave Huberdeau (le Roi), Suzanne Cesbron (Rozenn), Mlle Coulon (Margared)]

 

 

 

 

ACTE DEUXIÈME

 

 

PREMIER TABLEAU

 

 

Une salle du palais. Fenêtre donnant sur la campagne. Margared, debout, contemple la plaine. Au fond de la salle, une grande statue de saint Corentin.

 

 

 

 

Récit et Air. De tous côtés

intégrale 1957 (08)

distribution

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

 

MARGARED.

De tous côtés j'aperçois dans la plaine
Les soldats sous nos murs par Karnac amenés ;

O Mylio, si la lutte est prochaine,

De plus rudes combats en moi sont déchaînés.

 

Lorsque je t'ai vu soudain reparaître

Vivant et superbe ainsi qu'autrefois,

Mon cœur aussitôt s'est pris à renaître

Au feu de tes yeux, au son de ta voix ;

Sans m'inquiéter de ceux que je blesse

Au-devant de toi j'ai voulu courir,

Et l'emportement de ma folle ivresse

A tout renié pour te conquérir !

Mais chacun des jours qu'en pleurant je compte,

Est venu venger l'oubli du devoir,

Mettant à mon front un peu plus de honte,

Laissant à mon âme un peu moins d'espoir.

 

C'est Rozenn, je le sens, qu'il aime et qu'il admire.

Oui ! c'est elle qui reçoit

Les doux aveux qu'il soupire,

Et si je le vois sourire

Hélas ! c'est qu'il l'aperçoit !

 

J'espère encor pourtant, si grande est ma démence !
Quand je serai sans espérance,

Vous qui m'aurez frappée, implorez le destin !

L'amour que rien ne lasse

En mon cœur fera place

A la haine que rien n'éteint !

(Elle aperçoit le Roi, Mylio et Rozenn.)

Les voici !

(Elle se retire dans l'ombre et assiste, cachée, à leur entretien.)

 

 

 

 

Scène et Quatuor. Que demain au lever de l'aurore

intégrale 1957 (09)

distribution

 

 

SCÈNE II

LE ROI, MYLIO, ROZENN, MARGARED, cachée derrière un pilier.

 

LE ROI, à Mylio.

            Que demain au lever de l'aurore

La bataille s'engage. Allez donc sans retard

Rejoindre vos soldats.

 

ROZENN.

            Mon père, ce départ,

Ce combat, c'est affreux !

 

MYLIO.

            Pourquoi trembler encore ?

(Dans une sorte d'extase.)

Sur l'autel de saint Corentin,

Le protecteur de la Bretagne,

Pour que sa grâce m'accompagne,

Plein d'une ardente foi j'ai prié ce matin.

Et soudain j'ai cru voir que l'image sacrée

S'animait... Une voix d'en haut a murmuré :

« Mon fils, marche au combat d'une âme rassurée ;

Je veille sur mon peuple et je le défendrai... »

(S'animant.)

 

Oui, je le sens, je l'atteste,

Le salut nous est promis !

C'est à nos seuls ennemis

Que ce jour sera funeste !

 

Sans en garder le souci,

Nous pouvons compter leur nombre ;

Pour les rejeter dans l'ombre,

Le Seigneur les compte aussi.

 

C'est lui qui pour les abattre,

Va seconder nos efforts !

Qui sait prier sait combattre,

Et les croyants sont les forts !

 

 

    

 

"Le salut nous est promis!"

Miguel Villabella (Mylio) et Orch. de l'Opéra-Comique dir Gustave Cloëz

Odéon 188.555, mat. KI 1491-2, enr. le 26 janvier 1928

 

 

    

 

"Le salut nous est promis!"

Miguel Villabella (Mylio) et Orch. dir François Rühlmann

Pathé X 90.064, mat. N 250.291, enr. en 1933

 

 

MARGARED, à part.

Pourrais-je, en mes alarmes,

Prier comme autrefois ?

O ciel, je ne te vois

Qu'au travers de mes larmes !

 

LE ROI, MYLIO, ROZENN.

Le ciel qui bénit nos armes

Va seconder nos efforts !

Oui ! les croyants sont les forts !

 

LE ROI, à Mylio.

Aux plaines où tu vas descendre,

La Foi sera ton bouclier :

Pour tous ceux que tu dois défendre,

Combats sans peur, preux chevalier !

 

ROZENN.

O Mylio, qu'il te souvienne

Que je mourrais des mêmes coups !

Puisque ta mort serait ta mienne,

Défends-toi bien, mon cher époux !

 

MYLIO.

Son époux !

 

MARGARED, à part.

            Son époux !

 

LE ROI, à Mylio.

                        Espère !

Du combat reviens en vainqueur,

Et ma fille est à toi !

 

MYLIO, avec un cri de joie.

            Dieu puissant !

 

MARGARED, avec un cri de douleur et de rage.

                        Dieu vengeur !

(Elle fait un mouvement peur s'élancer, puis retombe contre le pilier, brisée, défaillante. Au dehors, un appel de clairons.)

 

LE ROI, à Mylio.

Entends cet appel ! viens ! ton souverain, ton père

Veut être près de toi jusqu'aux derniers instants !

 

MYLIO.

Partons ! c'est trop longtemps

Retarder les exploits payés par sa tendresse !

 

LE ROI.

Viens ! mon fils !

(Sortie du Roi et de Mylio.)

 

 

SCÈNE III
MARGARED, ROZENN.

(Margared s'est ranimée, et, lente, farouche, s'est rapprochée de sa sœur.)


ROZENN , suivant du regard celui qui vient de la quitter.

            Va ! demain, c'est l'éternelle ivresse !

 

MARGARED, d'une voix sombre.

Ou le deuil éternel !

 

ROZENN, avec un cri d'effroi.

            Seigneur !

Est-ce toi qui la dis cette parole affreuse ?

 

MARGARED.

Oui! j'ai trop lutté... ma douleur

Éclate enfin !

 

ROZENN, frappée d'un éclair subit.

            Tu l'aimais, malheureuse !

 

 

 

Scène. Quand chacun pour lui

intégrale 1957 (10)

distribution

 

 

MARGARED.

Quand chacun pour lui fait des vœux,

On m'oubliait peut-être !

Ceux-là que j'ai formés veux-tu pas les connaître ?...

 

ROZENN, à part.

Quel sombre éclair est dans ses yeux !

 

MARGARED.

Ah ! que dans sa main trompée
Son épée

Ne soit qu'un roseau !

Que l'ennemi qu'elle blesse

Se redresse

Pour combattre de nouveau !

Et si la mort elle-même

Peut seule vous désunir,

(Se retournant dans la direction suivie par Mylio et avec une rage croissante, comme s'il était devant ses yeux.)

Pars ! c'est là mon vœu suprême !

Pars ! pour ne plus revenir !

 

ROZENN.

Tais-toi ! quel délire t'entraîne ?

Songe à ceux que maudit ton aveugle fureur,

Et tremble que le ciel où va ton cri de haine

S'indigne de l'entendre aux lèvres d'une sœur.

 

Ah ! si j'avais souffert de la même torture

Et vu mon fiancé pour toi m'abandonnant,

Peut-être je serais morte de ma blessure,

Mais en vous pardonnant !

(Plus douce et plus suppliante encore.)

 

Que ta justice fasse taire

La plainte d'un espoir brisé ;

Comme le mal qu'il a causé

Notre amour fut involontaire.

 

En nous il est venu comme viennent les fleurs

Sous la rosée en pleurs.

Sans qu'on puisse voir qui les sème ;

Par une même extase éblouis et charmés

Nous nous sommes aimés,

Avant de savoir que l'on aime ;

Nos âmes l'une à l'autre allaient si doucement

Que nos chastes bonheurs nous ont semblé vraiment

Être voulus par Dieu lui-même.

 

 

    

 

"Tais-toi Margared"

Yvonne Brothier (Rozenn) et Orchestre

Disque Pour Gramophone W 378, mat. 033189, enr. le 30 décembre 1919

 

 

MARGARED, la repoussant avec violence.

Soyez maudits !

 

ROZENN.

            Le ciel

Est avec nous !

 

MARGARED.

            Le jour viendra de la vengeance.

 

ROZENN, se retournant vers la statue.

Le Saint prendra notre défense !

 

MARGARED.

Aux puissances des cieux, ah ! tu peux faire appel !

Que ton saint défenseur sorte donc de sa tombe,

Il entendra mes vœux !

Et si son bras vengeur sur ma tête retombe,

Mon suprême soupir vous maudira tous deux !

(Rozenn tombe, brisée, au pied de la statue.)

Quand il combat pour sa maîtresse,

Que Mylio trouve un vainqueur !

J'aime encor mieux lui voir, en ma lâche détresse,

Un glaive dans le flanc qu'un autre amour au cœur !

(Elle sort avec un dernier cri de colère et d'adieu !)

 

 

 

 

 

 

Acte II. 2e tableau à l'Opéra-Comique en 1902

 

 

 

 

ACTE DEUXIÈME

 

 

DEUXIÈME TABLEAU

 

 

Une vaste plaine. — A l'horizon la silhouette de la ville d'Ys ; à droite, une antique chapelle, sur la porte de laquelle est sculptée l'image de saint Corentin.

Au lever du rideau, Mylio est debout au milieu de la scène, entouré par ses soldats, l'épée nue. Plusieurs groupes portent des drapeaux et des armes enlevés à l'ennemi. Au fond et sur les côtés, des paysans et des femmes acclamant les vainqueurs, et tenant des fleurs et des guirlandes.

 

 

 

 

Chœur. Victoire !

intégrale 1957 (11)

distribution

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

MYLIO, SOLDATS, PAYSANS et PAYSANNES.

 

CHŒUR.

Victoire ! honneur à Mylio ! Victoire !

 

MYLIO.

Non ! ce n'est pas à moi qu'appartient tant de gloire ;

(Montrant la chapelle.)

Il repose en ce lieu celui qu'il faut bénir :

C'est à saint Corentin que tout doit revenir !

 

LE CHŒUR.

C'est à saint Corentin que tout doit revenir !

(Des soldats s'avancent vers la tombe et disposent de chaque côté les drapeaux dont ils sont chargés. Les paysans portent leurs guirlandes.)

 

CHŒUR DES SOLDATS ET DU PEUPLE.

Tu nous a donné le courage

Qui nous a gagné ces drapeaux ;

Que leur trame guerrière ombrage

Le lieu sacré de ton repos.

 

MYLIO, puis LE CHŒUR.

Oui ! c'est lui qui pour abattre

Nos ennemis seconda nos efforts ;

Qui sait prier sait combattre,

Et les croyants sont les forts !

(Sortie générale.)

 

 

 

 

Scène. Vaincu !

intégrale 1957 (12)

distribution

 

 

SCÈNE II

(Quand la scène est vide, Karnac apparaît, farouche et désespéré, les vêtements en désordre, la main crispée sur son épée rompue.)

 

KARNAC.

Vaincu ! Je suis vaincu ! Mon armée est détruite !

Les plus vaillants sont morts ; le reste a pris la fuite ;

Et pour suprême affront j'ai survécu !

Vaincu ! Je suis vaincu !

(Se tournant vers la chapelle.)

Celui qu'ils imploraient leur demeura fidèle
A l'heure des combats,

Et moi lorsque j'appelle

L'enfer à mon secours, l'enfer ne répond pas !

 

 

SCÈNE III
KARNAC, MARGARED.

(Margared vient de paraître. Elle a d'abord contemplé Karnac en silence ; à son dernier cri de rage, elle fait un pas vers lui.)

 

MARGARED, sombre.

L'enfer t'écoute !

 

KARNAC, qui a tressailli à sa voix, se retourne et la reconnaît.

Margared ? Ah ! tu viens sans doute

Une fois encor m'outrager !

(Il s'avance vers elle, menaçant.)

 

MARGARED.

Je viens te venger !

 

KARNAC.

            Me venger !

 

MARGARED.

Ta haine a passé dans mon âme !

(Etendant la main vers la ville entrevue à l'horizon.)

Là-bas, tous m'ont trahie et déchiré le cœur,

Et je n'ai plus d'amant, de père, ni de sœur,

Dans la cité trois fois infâme !

(Sourdement.)

Si tu veux nous unir,

Elle ne sera plus demain qu'un souvenir.

 

KARNAC.

Ah ! seuls, que pouvons-nous, quand à l'heure où nous sommes

Une armée a péri pour l'avoir essayé !

 

MARGARED.

N'avons-nous pas un allié

Plus terrible que tous les hommes ?

L'Océan !...

 

KARNAC.

            Que veux-tu dire ?

 

MARGARED.

                        Notre cité

Par une écluse est défendue

Contre la mer au flot sans cesse tourmenté ;

Qu'on ouvre cette écluse et la ville est perdue !

 

KARNAC.

Pourquoi l'as-tu pas fait ?

 

MARGARED.

            La barrière d'airain

Ne saurait se mouvoir sous une seule main,

Et j'ai compté sur toi...

 

KARNAC.

            Si fort que soit l'obstacle,

Va, je le briserai !

 

MARGARED.

Viens donc !

(Elle lui prend la main, fait quelques pas ; devant la chapelle elle s'arrête avec un geste de défi. Le ciel s'est obscurci. La scène est plongée dans l'ombre.)

            Et toi, qui dors en ce lieu vénéré

Allons ! fais un miracle

Pour défendre ton peuple ! Il est temps ! lève-toi !

 

KARNAC.

Partons !

(Un cri de terreur de Margared l'arrête. Pâle, défaillante, elle lui montre la chapelle.)


MARGARED.

            Ah ! regarde !

(La chapelle s'est éclairée intérieurement ; à la place de la statue l'ombre de saint Corentin se dresse, terrible.)

 

KARNAC.

                        La tombe

S'entr'ouvre...

 

MARGARED.

            Je succombe

Sous l'effroi !

 

 

 

Apparition. Malheur sur vous !

intégrale 1957 (13)

distribution

 

 

SAINT CORENTIN

Malheur sur vous !... Puisqu'au fond de vos âmes

N'a pas tressailli le remords,

Dieu, témoin des projets infâmes,

Fait des tombeaux ouverts sortir la voix des morts.

 

VOIX D'EN HAUT.

Repentez-vous !

 

SAINT CORENTIN, à Karnac.

            Prince sans diadème,

Chef sans armée, avare sans trésor,

O spectre de toi-même,

Pour rêver un forfait suprême

Es-tu lassé de vivre encor ?

(Il se retourne vers Margared, qui tombe à genoux. D'une voix moins sévère.)

Et toi que je retiens au penchant de l'abîme,

Désarme, en le fuyant, le céleste courroux.

Dieu qui venge le crime

Pardonne au repentir...

 

MARGARED, acceptée.

            Pitié !

 

VOIX D'EN HAUT.

                        Repentez-vous !

(La vision s'efface. — Karnac se redresse. — Margared est tombée à genoux.)

 

 

 

 

 

 

Acte III. 1er tableau à l'Opéra-Comique en 1902

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME

 

 

PREMIER TABLEAU

 

 

Une galerie du palais du roi d'Ys. A droite, l'entrée de la chapelle. A gauche, la porte de la chambre de Rozenn, précédée de quelques marches. Groupes de jeunes seigneurs, compagnons de Mylio, et de jeunes filles, suivantes et amies de Rozenn. Entre les deux groupes se tient Jahel, grand maître du palais.

 

 

 

 

Noce bretonne [avec Aubade]. Ouvrez cette porte

intégrale 1957 (14)

distribution

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

ROZENN, MYLIO, JAHEL, JEUNES FILLES, JEUNES GENS.

 

JAHEL, aux jeunes seigneurs.

Vous qui venez ici chercher notre maîtresse,

Il faut, suivant l'usage antique de l'Armor,

Envoyés de l'époux, que votre vœu s'adresse

Aux gardiennes de ce trésor.

 

CHŒUR DES JEUNES GENS.

Ouvrez cette porte à la fiancée,

Avec nous bien vite elle s'en ira.

 

JEUNES FILLES.

D'un espoir trompeur votre âme est bercée ;

Celle que l'on réclame ici restera.

 

JEUNES GENS.

Toujours rester seule est-ce point folie

Avec tant de grâce et tant de beauté ?

 

JEUNES FILLES.

On peut être sage en étant jolie,

Et la solitude est la liberté.

 

JEUNES GENS.

Au moindre désir prompt à se soumettre,

C'est un tendre amant qui lui tend les bras.

 

JEUNES FILLES.

Cet amant bientôt fera place au maître,

La porte pour lui ne s'ouvrira pas.

 

MYLIO apparaissant, et écartant ses amis.

Puisqu'on ne peut fléchir ces jalouses gardiennes,
Amis, ah ! laissez-moi

Conter mes peines

Et mon émoi.

(Il se tourne vers la porte de Rozenn.)

Vainement, ô bien-aimée,

On croit me désespérer ;

Près de ta porte fermée

Je veux encore demeurer.

Les soleils pourront s'éteindre,

Les nuits remplacer les jours,

Sans t'accuser, sans me plaindre

Là, je resterai toujours.

Je sais que ton âme est douce,

Et qu'enfin l'heure viendra

Où la main qui me repousse

Vers la mienne se tendra.

Mais ne sois pas trop tardive

A te laisser attendrir,

Si Rozenn bientôt n'arrive,

Je m'en vais, hélas, mourir !

(La porte s'est ouverte, Rozenn a paru sur le seuil.)

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Adolphe Maréchal (Mylio) et Piano

Pathé saphir 90 tours n° 325, enr. en 1904

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

a) Nellie Melba (Mylio) et Landon Ronald au piano

Disque Pour Gramophone 03072, mat. 693c, enr. à Londres le 07 juillet 1906

b) Nellie Melba (Mylio) et Victor Orchestra

Victor 88250, mat. C-9372, réédité sur Disque Pour Gramophone 2-033025, puis Gramophone DB 354, enr. à Camden, New Jersey, le 25 août 1910

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Charles Rousselière (Mylio) et Orchestre

Pathé saphir 90 tours n° 4711, enr. en 1907

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Albert Vaguet (Mylio) et Orchestre dir François Rühlmann

Pathé saphir 90 tours n° 3737 bis, réédité sur 80 tours n° 42, enr. vers 1910

 

 

         

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Edmond Clément (Mylio) et Victor Orchestra dir Walter B. Rogers

Victor 74264, mat. C-11391, réédité sur Disque Pour Gramophone 032258, puis Gramophone DB 166, enr. à Camden, New Jersey, le 18 décembre 1911

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Léon Campagnola (Mylio) et Orchestre

Disque Pour Gramophone 4-32357, mat. 18606u, enr. à Paris le 03 janvier 1914

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Léon Beyle (Mylio) et Orchestre

Idéal 7211, enr. vers 1914

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Lucien Muratore (Mylio) et Orchestre

Pathé saphir 80 tours n° 249, mat. 66134, enr. en 1916/1918

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Jean Marny (Mylio) et Orchestre

Pathé saphir 80 tours n° 468, mat. 1012, enr. le 30 août 1925

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Miguel Villabella (Mylio) et Orchestre

Pathé saphir 80 tours n° 623, mat. 200710, enr. le 09 juin 1927

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Joseph Rogatchewsky (Mylio) et Orch. dir Elie Cohen

Columbia 12527, mat. LX 89, enr. le 07 juillet 1927

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

David Devriès (Mylio) et Orchestre de l'Opéra-Comique dir Gustave Cloëz

Odéon 188.505, mat. KI 1081-1, enr. en 1927

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Miguel Villabella (Mylio) et Orchestre de l'Opéra-Comique dir Gustave Cloëz

Odéon 188.555, mat. KI 1512-1, enr. le 30 janvier 1928

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

José de Trévi (Mylio), Chœurs de l'Opéra-Comique et Orchestre dir Piero Coppola

Gramophone P 786, mat. 4-32826, enr. le 28 octobre 1928

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Gaston Micheletti (Mylio) et Grand Orch. dir Gustave Cloëz

Odéon 188.654, mat. KI 2375-2, enr. le 19 avril 1929

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Miguel Villabella (Mylio) et Orchestre

Pathé X 0660, mat. N 201721, enr. en 1929

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Paul-Henri Vergnes (Mylio) et Grand Orch. dir Gustave Cloëz

Odéon 188.847, mat. KI 4830, enr. le 08 octobre 1931

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

André d'Arkor (Mylio) et Orchestre de la Monnaie de Bruxelles dir Maurice Bastin

Columbia RF 63, mat. LB 325-1, enr. le 22 octobre 1932

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Jean Planel (Mylio) et Orchestre dir François Rühlmann

Pathé X 90.036, mat. 250.224, enr. vers 1932

 

 

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Miguel Villabella (Mylio) et Orchestre

enr. vers 1935

 

 

    

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Georges Noré (Mylio) et Orchestre de l'Opéra dir Eugène Bigot

Pathé PDT 176, mat. CPTX 738, enr. au Théâtre des Champs-Elysées le 27 octobre 1947

 

 

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Alain Vanzo (Mylio) et Orchestre dir Jésus Etcheverry

enr. en 1962

 

 

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Pierre Fleta (Mylio) et Orchestre

enr. vers 1965

 

 

 

Aubade "Vainement, ma bien-aimée"

Georges Liccioni (Mylio) et Orchestre dir Raymond Lefevre

enr. le 13 octobre 1966

 

 

 

ROZENN, à ses femmes.

Pourquoi lutter de la sorte ;

Croyez-vous que je voudrai

Laisser l'amant à la porte

Lorsque l'amour est entré ?

(A Mylio.)

Puisqu'une âme trop rebelle

Doit briser si noble cœur,

J'entends la voix qui m'appelle :

Soyez mon maître et seigneur.

 

Où cela pourra vous plaire,

Avec vous emmenez-moi ;

Toujours clémente ou sévère,

Votre loi sera ma loi.

Et c'est une douce chose

De tenir ce qu'on promet,

Quand le devoir qui s'impose

Est le rêve qu'on formait.

(Elle va placer sa main dans celle de Mylio. Le Roi a paru suivi de seigneurs.)

 

 

 

"Pourquoi lutter de la sorte"

Marguerite Carré (Rozenn) et Xavier Leroux au piano

Disque Pour Gramophone 33477, mat. 3439F, enr. Paris juin 1904

 

 

CHŒUR.

Salut à l'époux, comme à l'épousée

Pour être bénis, marchez à l'autel ;

Sur vos jeunes fronts, comme une rosée,

Descendront bientôt les grâces du ciel !

(Le Roi, Rozenn, Mylio et le cortège entrent dans la chapelle.)

 

 

 

 

Scène. Pas de lâche faiblesse !

intégrale 1957 (15)

distribution

 

 

SCÈNE II

MARGARED, puis KARNAC.

(Margared entre au moment où le cortège disparaît. Elle regarde et étend les bras du côté de la chapelle avec un geste de passion désespérée et attendrie.)

 

MARGARED.

Mylio ! Mylio !

(Karnac a paru au même instant au fond de la scène et s'est rapproché d'elle.)

 

KARNAC.

            Pas de lâche faiblesse !

 

MARGARED, se retournant avec un cri d'effroi.

Lui ! J'ai voulu le fuir ! il a suivi mes pas!

 

KARNAC.

Ce palais est désert ; accomplis ta promesse !

 

MARGARED, avec égarement.

Qu'ai-je promis ?

 

KARNAC.

            Ne dois-tu pas

Me conduire aux écluses,

Afin que sous les flots délivrés par ma main

Cette ville maudite ait disparu demain ?

 

MARGARED, avec force.

De lâcheté vainement tu m'accuses !

Je ne veux plus commettre un tel crime !

 

KARNAC, ironique et désignant la chapelle d'où sortent les chants religieux.

            Vraiment !

Mylio mieux que toi sait tenir son serment.

 

MARGARED.

Oubliant les terreurs de la funeste plaine,

Veux-tu que Dieu par nous soit encore outragé ?

 

KARNAC.

Ah ! mon seul souvenir est celui de ma haine

Et je n'ai que l'effroi de n'être pas vengé !

(Se rapprochant de Margared.)

Bannis aujourd'hui de ton âme,

Le spectre sorti du tombeau !

Vois ton amant joyeux et beau

Incliné près d'une autre femme !

 

MARGARED.

Tais-toi ! tais-toi !

 

KARNAC.

            Faut-il donc que ce jour

Qui voit ton désespoir consacre leur amour ?

(Les chants redoublent. La cérémonie touche à sa fin.)

 

KARNAC.

Ils vont sortir de la chapelle,

Le cœur tremblant d'un doux émoi ;

L'une songeant : Il est à moi !

L'autre disant : Comme elle est belle !

Et puis ils s'en iront et les vents embrasés

T'apporteront ce soir le bruit de leurs baisers.

 

MARGARED, affolée.

Ah ! plutôt qu'ils périssent !

Viens ! que la mer emporte en ses profondes eaux

Ceux qui s'aiment et se haïssent,

Les victimes et les bourreaux !

(Elle sort précipitamment, suivie de Karnac qui triomphe.)

 

 

SCÈNE III

MYLIO, ROZENN.

(La cérémonie est achevée. — Les époux, se tenant par la main, sortent de la chapelle où demeure encore le Roi. — Peu à peu la foule se disperse ; les deux époux restent seuls.)

 

MYLIO.

Que le Seigneur est bon ! il nous délivre

Des ennemis et des jaloux ;

Puis il place ta main dans ma main...

 

ROZENN.

            Cher époux,

T'appartenir, c'est commencer de vivre.

 

 

 

Duo. A l'autel j'allais rayonnant

intégrale 1957 (16)

distribution

 

 

         

 

Duo. A l'autel j'allais rayonnant

Jany Delille (Rozenn), Jean Planel (Mylio) et Orchestre dir Godfroy Andolfi

Pathé PG 40, mat. CPT 1275-1 et 1276-1, enr. en 1934

 

 

MYLIO.

A l'autel j'allais rayonnant ;

Mon amour était ma prière ;

Je tremble maintenant

D'un bonheur trop grand pour la terre.

Dieu qui remet, comme un trésor sacré,

Un de ses anges sous ma garde,

Désormais me regarde.

 

ROZENN.

En mon cœur enivré

Ne tressaille qu'une pensée,

C'est que toujours je sentirai

Ma main dans la tienne pressée.

Je ne connais,

Et n'ai connu jamais

Que la route par toi suivie,

Et ta vie est ma vie !

 

MYLIO.

Que le ciel, se penchant vers nous,

Mêle son éternelle flamme

Au baiser que l'époux,

Donnant toute son âme,

Met au front de la femme !

(Il l'embrasse.)

Des chemins où tu dois marcher à mon côté,
Sois la seule clarté,

De tous mes rameaux sois la rose ;

Et, laissant jusqu'au soir tes regards sur les miens,
En mes songes reviens,

Quand ma paupière sera close

 

ENSEMBLE.

Aimer, c'est la loi sainte et c'est la douce loi !

Dans l'ivresse infinie, à toi, toujours à toi,

Mon cœur sur ton cœur se repose !

(En ce moment, le Roi sort de la chapelle, triste, la tête inclinée. Rozenn fait un geste de douce supplication à Mylio qui s'éloigne et la laisse seule avec son père.)

 

 

 

 

Scène. Je reviendrai bientôt

intégrale 1957 (17)

distribution

 

 

SCÈNE IV

LE ROI, ROZENN, puis MARGARED.

 

ROZENN.

Ah ! ne soyez pas triste ainsi ;

Je reviendrai bientôt, mon père !

 

LE ROI.

Et l'autre enfant qui m'a quitté naguère,

Doit-elle revenir aussi ?

 

ROZENN.

Margared reviendra !... J'ai tant prié pour elle !...

(En ce moment, Margared a reparu au fond de la galerie ; elle s'est arrêtée à la vue de son père et de sa sœur, et a entendu les paroles qu'ils viennent d'échanger.)

 

MARGARED, à part.

Leur cœur à tous les deux m'est donc resté fidèle !

 

 

 

Prière. Que dans l'asile choisi

intégrale 1957 (18)

distribution

 

 

ROZENN et LE ROI.

Que dans l'asile choisi

Elle trouve en sa détresse

Un peu de cette tendresse

Qu'elle a méconnue ici !

 

MARGARED, à part.

Leur douce pitié m'accable et m'oppresse.

 

LE ROI et ROZENN.

Et surtout, Dieu bon, permets

Qu'un jour elle se rappelle

La demeure paternelle

Qui ne l'oubliera jamais !

 

MARGARED.

Leur amour me désarme !

(Rumeurs et cris au dehors.)

 

 

 

Scène. Cette rumeur

intégrale 1957 (19)

distribution

 

 

LE ROI.

Cette rumeur,

Ces cris d'alarme,

Qu'est-ce donc ?

(Il se retourne et aperçoit Margared.)

            Ma fille !

 

ROZENN, courant à Margared, avec un cri de joie.

                        Ma sœur !...

 

MARGARED.

Ah ! fuyez ! Ces rumeurs confuses,

Ce sourd mugissement à chaque instant plus fort,

C'est la voix de la mort qui s'approche...

 

LE ROI ET ROZENN.

            La mort ?

 

 

SCÈNE V

LES MÊMES, MYLIO.
 

MYLIO, apparaissant.

Oui !... de coupables mains ont ouvert les écluses.

 

LE ROI.

Quel infâme ?...

 

MYLIO.

            Karnac ! je l'ai tué !... sur nous

La mer vient et grandit ; le flot se précipite.

 

VOIX AU DEHORS.

            Fuyons vite ! Fuyons tous !

 

MYLIO, prenant Rozenn dans ses bras.

Rozenn, Dieu nous laissera vivre !

 

LE ROI, cherchant à entraîner Margared.

Viens, Margared !

 

MARGARED, résistant.

            Je ne dois pas vous suivre !

Non, le remords me le défend !

 

LE ROI.

L'amour m'ordonne à moi de sauver mon enfant.

(Mylio emporte Rozenn presque évanouie. Le Roi entraîne Margared. Changement à vue.)

 

 

 

 

 

 

Acte III. 2e tableau à l'Opéra-Comique lors de la création (dessin d'Adrien Marie)

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME

 

 

DEUXIÈME TABLEAU

 

 

Le plateau d'une colline où le peuple s'est réfugié. Le ciel est noir et, par intervalle, traversé d'un long et sourd roulement de tonnerre. A l'horizon, la mer sombre et houleuse ; à gauche de la scène, et sur le bord du plateau, des groupes d'hommes observent le progrès du flot dont on entend le grondement, toujours plus rapproché. A droite, vers le fond, se dresse un rocher qui domine tous les autres et surplombe la mer. Une partie de la foule est agenouillée. Au milieu d'elle, le Roi est debout ayant Mylio et Rozenn à ses côtes. A quelque distance d'eux, se tient Margared affaissée sur elle-même, la tête dans les mains.

 

 

 

 

l'Inondation. O Puissance infinie

intégrale 1957 (20)

distribution

 

 

SCÈNE UNIQUE

ROZENN, MARGARED, MYLIO, LE ROI, CHŒUR.

 

LE CHŒUR.

O Puissance infinie

Qui par ta volonté

Fais le flot irrité

Ou la vague aplanie,

Aujourd'hui prends pitié

De l'impuissance humaine.

Sur ton peuple agenouillé

Étends ta main souveraine !

 

LE ROI.

J'ai perdu ma cité, mes palais, mes trésors,

La moitié de mon peuple est déjà chez les morts.

Seigneur, épargne au moins ceux qui survivent !

 

LE CHŒUR.

L'eau monte encor !

 

MYLIO.

            Les flots arrivent

Jusqu'ici même ! Avant ce jour jamais

Ils n'avaient atteint ces sommets.

 

MARGARED, s'avançant et parlant comme dans un rêve.

Allant où le maître l'envoie,

Toujours l'Océan montera ;

Quand il aura reçu sa proie,

Le flot vengeur s'apaisera.

 

LE ROI.

Si parmi nous est la victime

Qui doit descendre aux gouffres entr'ouverts,

Nomme-la donc ?

 

MARGARED.

            C'est moi !

 

TOUS.

                        Margared !

 

LE ROI.

                                   Et quel crime

As-tu commis ?

 

MARGARED.

            Complice d'un pervers,

Sur la cité, sur vous, j'ai déchaîné les mers !

(A cet aveu, le peuple exaspéré entoure Margared et la menace.)

 

CHŒUR.

Mort à l'infâme !

Perfide femme,

Qu'elle meure ici !

Frappons sans merci !
Mort à l'infâme !

(Le Roi, Mylio et Rozenn cherchent à s'interposer entre la foule irritée et Margared.)


ROZENN.

Grâce pour ma sœur,

Apaisez votre fureur !

 

LE CHŒUR.

Pas de grâce pour cette femme !

Qu'elle meure ici !

Frappons sans merci !

 

LE ROI.

Par vous qu'elle soit pardonnée !

 

LE CHŒUR, resserrant son cercle autour de Margared et de ceux qui la défendent.

Des innocents par toi perdus

Les cris vengeurs sont entendus.
Par tous maudite et par tous condamnée,
L'enfer t'appelle et ton heure est sonnée !

Tu dois mourir ici !

 

LE ROI ou MYLIO.

Votre roi vous implore !

 

LE GROUPE, placé sur les rochers.

L'eau monte encore !

 

LE CHŒUR.

Frappons sans merci !

C'est le jour de justice,

Le ciel lui-même ordonne son supplice

Oui, que l'infâme meure ici !

 

LE ROI.

Si grand que soit le crime et juste la sentence,
O peuple, souviens-toi

Qu'à Dieu seul appartient le soin de sa vengeance.

(Coup de tonnerre très violent.)

 

MARGARED.

Dieu ! j'ai compris sa loi ;

Oui ! mon juge m'appelle !

(Elle repousse ceux qui la défendent, se dégage et gravit rapidement le sentier qui mène à la roche la plus élevée. Mylio veut s'élancer à sa suite ; mais il est d'abord retenu par quelques-uns de ceux qui menaçaient Margared ; celle-ci arrive au sommet avant lui. Là, elle se dresse et tend les bras au ciel.)

 

MARGARED.

Seigneur ! Sauve un peuple innocent !

Pardonne à l'âme criminelle !

(Elle s'élance dans les flots. A ce moment Mylio est arrivé également au sommet de la roche et va s'élancer à son tour quand l'ombre de saint Corentin apparaît dans le ciel qui s'éclaire. Mylio ploie le genou, Rozenn est arrivée près de lui.)

 

LE CHŒUR.

O justice ! ô terreur !

(L'orage a cessé tout à coup ; le ciel s'illumine et une blanche clarté s'épand sur les vagues aplanies.)

 

CHŒUR GÉNÉRAL.

            Gloire au Dieu tout-puissant !

 

 

 

 

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