les P'tites Michu
affiche pour la création par René Péan (1897)
Opérette en trois actes, livret d'Albert VANLOO et Georges DUVAL, musique d'André MESSAGER.
A Monsieur A. M. Coudert [directeur des Bouffes-Parisiens]
En témoignage de gratitude et de vive sympathie.
André Messager
Création aux Bouffes-Parisiens le 16 novembre 1897 ; mise en scène de Félix Grégoire ; décors de Visconti.
Représentation en français à Bruxelles le 13 janvier 1899 ; à Lisbonne au printemps 1901 ; à Alger en mars 1904.
Reprise en 1900 aux Folies-Dramatiques avec Mmes Mariette SULLY (Marie-Blanche), LEBEY (Blanche-Marie) ; M. Jean PÉRIER (Gaston).
Reprise le 25 janvier 1928 à la Gaîté-Lyrique avec Mmes Jane PYRAC (Marie-Blanche), LAPLACE (Blanche-Marie), GÉRARD (Mme Michu) ; MM. Henry JULLIEN (Général des Ifs), NABOS (Rigaud), CASTIN (Michu). Chef d'orchestre : M. CLÉMANDH.
personnages |
créateurs |
Marie-Blanche | Mmes Alice BONHEUR |
Blanche-Marie | Odette DULAC |
Mademoiselle Herpin, maîtresse de pension | Léonie LAPORTE |
Madame Michu | VIGOUROUX |
Madame du Tertre, dame invitée |
MARTY |
Madame Rousselin, dame invitée | LERYS |
Madame Saint-Phar, dame invitée | YRVEN |
Madame d'Albert, dame invitée | BONNEVILLE |
Claire, pensionnaire | MATHYEU |
Irma, pensionnaire | RAYMONDE |
Paméla, pensionnaire | LELOIR |
Palmyre, pensionnaire | CLERC |
Ida, pensionnaire | BERNADETTE |
Francine, pensionnaire | FRÉTIGNY |
Estelle, pensionnaire | DUVERNET |
une sous-maîtresse | PARTHENAY |
1re cliente |
LENOIR |
2e cliente | DAUGE |
3e cliente | Léa BÉVILLE |
le Général des Ifs | MM. BARRAL |
Michu, marchand aux Halles | Victor REGNARD |
Aristide, commis de Michu | Maurice LAMY |
Gaston Rigaud, capitaine de hussards | MANSON |
Bagnolet, brosseur | BRUNAIS |
Invités et Dames, Pensionnaires, Marchands et Marchandes | |
Chef d'orchestre | Désiré THIBAULT |
L'action se passe à Paris en 1810.
Alice Bonheur (Marie-Blanche) lors de la création |
Odette Dulac (Blanche-Marie) lors de la création |
de g. à dr. : Regnard (Michu), Mme Vigouroux (Mme Michu) et Maurice Lamy (Aristide), dans l'arrivée des Michu à l'Acte I, lors de la création
Jolie pièce, plus jolie musique : le tout monté avec soin et élégance et joué dans la perfection.
Nous sommes en 1810. Mlle Herpin, fille et parente d’officiers, tient une institution où on applique tous les principes de la discipline militaire. Parmi ses élèves figurent deux jeunes filles, les petites Michu qui passent pour jumelles, mais qui ne sont même pas sœurs : le père Michu, en effet, il y a dix-sept ans, a voulu faire prendre un bain à sa petite fille et à une autre enfant qui lui a été confiée par le marquis des Ifs : lorsqu’il les a retirées de la baignoire, il n’a plus su reconnaître les fillettes, et force lui a été de les élever toutes deux comme ses enfants. Michu est maintenant marchand de beurre et d’œufs aux Halles, et le marquis des Ifs n’a plus jamais donné signe de vie.
Il est cependant rentré en France, le marquis, las de rester inactif parmi les émigrés : il a pris du service et est actuellement général de l’Empire ; au siège de Saragosse, où il s’est admirablement conduit, il a été sauvé d’une mort certaine par un jeune officier de hussards, dont il a fait son aide de camp et dont, aujourd’hui, se souvenant qu’il a une fille, il veut faire son gendre.
Les complications commencent dès lors pour les Michu. Mis en demeure par le général de lui faire connaître son enfant, ils ne pourraient sortir de l’impasse, si les deux jeunes filles ne s’en mêlaient. Elles savent que l’une d’elle doit épouser l’officier de hussards, qu’en sa qualité de neveu de Mlle Herpin, elles ont vu à l’institution et qu’elles aiment toutes deux. L’une plus douce, moins entreprenante, se sacrifie ; elle restera avec les Michu ; l’autre deviendra Irène des Ifs et épousera l’aide de camp.
Mais vous devinez qu’elles se sont trompées ; leur cœur les a emportées, et l’atavisme aidant, elles ne peuvent se faire à leur situation. Il vient alors à l’idée de la fausse Irène des Ifs d’habiller et de parer sa sœur comme l’est la défunte marquise des Ifs sur son portrait ; la ressemblance est parfaite et chaque jeune fille reprend sa place qui lui convient.
Cette jolie aventure, contée gaîment, sans un mot égrillard, sans une scène à double entente, est agrémentée d’une partition dont la scène n’exclut pas la fraîcheur et l’agrément. C’est délicat tout en restant chantant, c’est charmeur tout en restant joyeux. La musique d’André Messager doit être, dans un avenir prochain, chantée dans les salons parisiens par toutes les jeunes filles qui seront venues voir la pièce.
Mlles Alice Bonheur et Odette Dulac incarnent les deux petites Michu ; elles sont absolument charmantes de finesse, de diction, de jeu et de voix. A côté d’elles, Mlle Laporte, la fantaisiste extraordinaire, Mme Vigouroux, de joyeuse réputation, et les excellents comédiens Barral et Regnard, forment un ensemble comique des plus réussis. M. Brunais est aussi très drôle en pioupiou du temps, et un baryton débutant, M. Manson, a de la prestance. Compliments à M. Maurice Lamy qui, très en progrès, va prendre et tenir avec succès la place que son frère Charles a laissée vacante.
(Albert Vallin, le Photo-programme illustré des théâtres n°23, édité pour la création, novembre 1897)
|
... Nous disions donc que MM. Vanloo et Duval, sans avoir les mêmes prétentions que Richard Wagner au comique grandiose, en avaient peut-être rencontré un de nature plus restreinte, mais plus réelle, avec leurs P'tites Michu des Bouffes-Parisiens.
C'est simple, mais c’est gai. D'un marquis émigrant qui passait la frontière en 1793, M. et Mme Michu, d'honnêtes fermiers, ont reçu en garde une petite fille qui venait de naître et qu'ils ont l'imprudence de confondre dans un même bain avec leur propre enfant, de telle sorte qu’il ne leur est plus possible de reconnaître quelle est la fille du marquis et quelle est la leur. On voit quelles complications cela amènera quand le marquis, devenu général du grand Napoléon, viendra, après dix-sept ans de guerre, réclamer son enfant pour la marier au capitaine Rigaud. Il s'ensuit bien des péripéties amusantes. On finit enfin par distinguer la noble fille du marquis de celle des époux Michu, en les mettant toutes deux devant un panier d'œufs et une motte de beurre. L'une se met d'instinct à débiter les œufs et le beurre à la pratique, comme si elle n'avait fait que cela toute sa vie, tandis que l'autre y apporte une mollesse désobligeante. L'expérience est concluante, paraît-il ; c'est la loi d'atavisme à laquelle personne ne se dérobe.
M. André Messager est un maître dans l'art d'accommoder musicalement ces petits riens. Il procède pour cela à la façon de Charles Lecocq, qui était la bonne, et frise de bien près dans ses opérettes le véritable opéra-comique. Là encore il a parfaitement réussi, avec une petite partition toute proprette, toute guillerette, tout enveloppée de fraîches mélodies.
Comme d'autre part, l'interprétation est excellente avec Mlles Alice Bonheur et Odette Dulac, l'une pleine de malice et d'espièglerie, l'autre pleine de douceur et de sentimentalité, avec M. Regnard et Mme Vigouroux, qui représentent très rondement les époux Michu, avec Maurice Lamy et M. Manson, disant l'un et l'autre non sans talent le couplet ou la romance, avec M. Brunais et Mlle Laporte qui n'engendrent pas la mélancolie, — il est probable que le théâtre des Bouffes-Parisiens tient cette fois un bon et durable succès.
Son nouveau directeur, M. Coudert, a monté la pièce avec grand soin et grand goût.
(H. Moreno [Henri Heugel], le Ménestrel, 21 novembre 1897)
|
Le marquis des Ifs, plus tard général de l'Empire, a dû fuir précipitamment en 1792, comme sa femme venait de mourir en mettant au monde une petite fille. Le même jour, une petite fille était née aux époux Michu, commerçants à Lisieux, résidence du marquis. Avant de partir, ce dernier remit aux Michu sa fille en nourrice, puis il disparut, et depuis dix-sept ans, on n'a pas eu de ses nouvelles. Michu est un excellent homme, mais un peu distrait. Peu de temps après avoir reçu en garde la fille du marquis, il mit les deux enfants ensemble dans un bain ; puis, au moment de les en sortir, il fut incapable de les distinguer. Depuis ce jour, les époux Michu vivent dans des transes. Laquelle est leur fille ? Laquelle celle du marquis ? Ils n'en savent rien, et dans le doute ils les ont élevées sur pied d'égalité complète, leur laissant croire qu'elles étaient jumelles. On les appelle Blanche-Marie et Marie-Blanche. Au moment où s'ouvre l'action, elles sont toutes deux au pensionnat de Mlle Herpin, et c'est là que nous faisons leur connaissance au premier acte. Aristide, le commis des Michu, soupire pour l'une des deux, mais ce qui fait son désespoir, c'est qu'il ne peut arriver à savoir pour laquelle. Le marquis, aujourd'hui général des Ifs, est revenu à Paris, retour du siège de Saragosse, où l'un de ses officiers, Gaston Rigaud, lui a sauvé la vie. En récompense, le général a promis à son sauveur la main de sa fille, Irène des Ifs, et a lancé immédiatement son ordonnance Bagnolet à la recherche des époux Michu, chez qui cette demoiselle doit se trouver. Gaston est le neveu de Mlle Herpin, et il vient dire bonjour à sa tante à l'instant même où Blanche-Marie vient de faire un gage qui consiste à embrasser la première personne qui se présentera. Le baiser est donné ; pour ne pas faire de jalouses, le galant officier embrasse aussi Marie-Blanche ; et aussitôt les deux petites pensionnaires de flamber pour ce beau cavalier. C'est ensuite la visite des parents Michu et d'Aristide, qui risque enfin sa demande en mariage, laissant à ses patrons le soin de lui désigner la fiancée de son choix. Terrible embarras des malheureux, qui ne savent laquelle des deux est leur fille et qui répondent par une fin de non recevoir. Ils ne sont pourtant pas au bout de leurs peines. Voici qu'arrive l'ordonnance Bagnolet avec ordre du général de lui envoyer sa fille. Que faire ? Dans leur trouble, ils décident d'aller chez le général accompagnés des deux jeunes personnes, qui ne comprennent rien à tant de mystère. Au second acte, une nombreuse compagnie a été convoquée chez le général pour se voir présenter Mlle des Ifs. Arrivent les Michu, avec Blanche-Marie et Marie-Blanche. Pour amortir le premier choc, on cache chacune des filles dans une pièce différente. Elles commencent à s'y ennuyer à un moment où le général est seul en scène, et Blanche-Marie se risque à sortir de sa cachette. Le général la reconnaît aussitôt pour son enfant, mais la pauvrette se trouve mal en apprenant de qui elle est la fille. Pendant que le vieux militaire court chercher un verre d'eau sucrée, Blanche-Marie revient à elle et rentre dans sa chambre. Quand le général revient, c'est Marie-Blanche qui le reçoit, et l'annonce qu'elle est Irène des Ifs a sur elle le même effet que sur sa soi-disante sœur. Nouvelle sortie du père étonné, et quand pour la seconde fois il reparaît, il se trouve en possession de deux filles au lieu d'une ! Explication orageuse avec les Michu. Comment faire ? Gaston ne peut épouser deux femmes, il faut donc choisir. C'est ici que Blanche-Marie a un beau mouvement de sacrifice : croyant voir que Marie-Blanche est sérieusement éprise de Gaston, elle y renonce pour sa part et se résigne à n'être que Mlle Michu ; elle sera Mme Aristide. C'est donc Marie-Blanche qui va passer pour Mlle des Ifs et être présentée comme fiancée du capitaine Rigaud. Comme vous l'aurez deviné sans doute, ce choix n'est pas le bon. Pour dénouer l'intrigue et tout remettre à sa place, les auteurs, au troisième acte, font intervenir la « voix du sang ». Blanche-Marie est résignée à épouser Aristide, mais elle n'a aucun goût pour le commerce du fromage. Marie-Blanche, par contre, désole le général et Gaston par ses goûts peuple et ses allures délurées. Trois fois par jour elle quitte le toit paternel pour aller faire de longues séances à la boutique des Michu, où nous la voyons même servir la pratique avec une allure qui en dit long sur ses origines. Le général et Gaston n'arrivent pas à la corriger ; à tout moment, ils lui donnent en exemple Blanche-Marie, si réservée, aux manières si distinguées. C'est Marie-Blanche qui, la première, a vent de l'erreur commise. Elle s'assure que Blanche-Marie aime encore Gaston et lui propose un stratagème qui doit amener un échange des rôles. Pour sa part, être boutiquière avec Aristide pour époux n'a rien qui la rebute, tandis que l'existence d'une dame de l'aristocratie lui déplait souverainement. Elle envoie donc en secret chercher le portrait de la marquise des Ifs et en un tour de main elle fait de Blanche-Marie le vivant portrait de sa mère ; si vivant que lorsqu'il arrive, le général ne s'y trompe pas et reconnaît sa véritable enfant. Ainsi tout s'arrange pour le mieux et l'accident du bain est réparé à la satisfaction générale. Quant à Aristide, à peine s'apercevra-t-il du changement !
(Edouard Combe, les Chefs-d’œuvre du répertoire, 1914)
|
Le 11 novembre 1897, les P’tites Michu faisaient leur entrée dans le monde sur la scène des Bouffes-Parisiens, et sous les exquises espèces « jumelles » de Mmes Alice Bonheur et Odette Dulac. L'auteur lui-même, Albert Vanloo, nous a conté dans ses Souvenirs d'un librettiste leur histoire, et l'amusante genèse de sa collaboration « par la fenêtre » avec Georges Duval. Ils s'étaient connus dans les rédactions et dans les coulisses, et puis s'étaient perdus de vue. Le hasard d'une rencontre leur révéla qu'ils habitaient, dans la même rue, deux maisons contiguës et, au même cinquième étage, des appartements limitrophes... On communiqua, coude à coude, sur le balcon... Moins d'une semaine après, les P’tites Michu commençaient à voir le jour, « par la croisée ». Vanloo se souvenait d'avoir écrit, avec Leterrier, le libretto de Giroflé-Girofla, dont l'intrigue n'est pas sans rapports avec celles des petites Michu. Ces dernières, présumées jumelles, sont élevées dans un pensionnat à discipline toute militaire, comme il en fleurissait à l'époque du premier Empire. Chaque jeudi, le père et la mère Michu, épiciers aux Halles, viennent voir leur progéniture et les comblent de friandises, équitablement réparties. Tout marche par paire, dans cette opérette. Il y a deux Michu, deux amoureux, deux « trials », deux premiers comiques, deux duègnes... ; il n'y a que la pièce, qui est simple, mais d'une simplicité un peu compliquée par ce seul fait que les petites Michu ont également deux papas. A l'origine, Mlle Michu n° 1 était fille unique ; mais, pendant la Terreur, lors de l'émigration, le comte des Ifs a mis sa fille Irène, qui venait de naître, en nourrice chez les Michu, et l'on n'a plus entendu parler de lui. C'est fort heureux, car le père Michu ayant eu l'idée de tremper les deux petites dans la même baignoire n'a jamais pu les distinguer l'une de l'autre lorsqu'il s'est agi de les retirer, et a pris le parti de les élever comme ses enfants, sans plus de différence ni de préoccupation. Or, on vient demander une des deux sœurs en mariage. Le prétendant est Aristide, garçon et neveu des époux Michu. Mais son choix ne s'est pas fixé, ce qui permet à Michu père, d'abord perplexe, de temporiser. Et ce serait parfait si, juste à ce moment, on n'apprenait le retour du comte des Ifs, devenu général, après des vicissitudes diverses au cours de ses campagnes avec Napoléon. Le général vient naturellement chercher sa fille — et il n'est pas commode — et il entre dans une grande colère en apprenant la gaffe de Michu, auquel il donne cinq minutes pour reconnaître Irène. Il doit la fiancer le jour même au lieutenant Rigaud, qui lui a sauvé la vie. Mais laquelle est Irène ? Est-ce Marie-Blanche ou Blanche-Marie !... Les petites voudraient bien le savoir parce qu'elles aiment toutes deux le lieutenant Rigaud, neveu de leur directrice... Alors, pour tirer papa Michu de l'ennui et pour sécher les beaux yeux de Marie-Blanche, Blanche-Marie, la plus douce, va se sacrifier. Elle épousera Aristide, et c'est Marie-Blanche, présentée comme l'héritière des Ifs, qui sera fiancée au beau lieutenant. « Tout d'abord, raconte Vanloo, notre scénario marchait à souhait : les situations, les personnages, les incidents se présentaient avec une facilité des plus encourageantes. Il y avait pourtant un point noir : le dénouement. Comment reconnaître entre ces deux fillettes mélangées dès le berceau la fille d'une marquise et celle d'une paysanne ? Les combinaisons les plus invraisemblables et les plus compliquées étaient tour à tour mises en avant et repoussées avec horreur. C'est à ce moment qu'on nous attendrait, nous nous y trouvions accrochés, et flambés d'avance... ; il fallait quelque chose d'original et de tout à fait naturel. » C'est le naturel, en effet, qui allait donner la vraie solution. Le caractère des Michu n'est pas le même : Marie-Blanche n'a pas toute l'aristocratie de manières nécessitées par sa nouvelle position, et Blanche-Marie ne sait pas servir la pratique au carreau des Halles. Les « futurs » s'en aperçoivent et, insensiblement, dirigent leur « cour » en chassé-croisé. Marie-Blanche réfléchit à son tour, et s'aperçoit que la tendre Blanche-Marie est la véritable victime du sort. « Alors, dit Vanloo, nous avons établi l'épisode du portrait et la transformation de la petite Michu n° 2 », travestie par sa pseudo-sœur en marquise, d'après un portrait de Mme des Ifs, et reconnue enfin pour sa fille par le général, grâce à sa ressemblance avec la mère. Nous laissons maintenant la parole au compositeur André Messager. Découragé par l'insuccès du Chevalier d'Harmenthal à l'Opéra-Comique, il s'était retiré en Angleterre, lorsqu'un beau jour — nous a-t-il confié dans son autobiographie publiée par Musica (septembre 1908) — « je reçus un rouleau flairant le manuscrit, et que je mis de côté sans vouloir l'ouvrir tout d'abord. C'était le livret des P’tites Michu. La gaîté du sujet me séduisit, et, renonçant à mes idées noires, je me mis à écrire avec un tel entrain qu'en trois mois l'ouvrage était terminé, et, destiné d'abord à l'Athénée, joué aux Bouffes avec un énorme succès. J'ai su depuis que ce livret avait été refusé par deux ou trois compositeurs. » Ils ont manqué de flair. La longue fortune des Deux Gosses, dont l'intrigue offre tant d'analogies avec le mystère qui plane sur la naissance de Blanche-Marie et de Marie-Blanche, aurait dû leur donner à réfléchir — tout drame, en général, pouvant être, et avec bonheur (ce qui était le cas), traité comiquement. Le résultat le plus heureux de cette collaboration fut encore de décider Vanloo et Duval à écrire, deux ans après, toujours avec Messager, l'incomparable Véronique.
(Roger Tournefeuille, les Grands succès lyriques, 1927)
|
morceaux séparés aux éditions Choudens
Catalogue des morceaux
Ouverture | |||
Acte I |
|||
01 | Chœur et Couplets | Le tambour résonne | les Pensionnaires |
01bis | Musique de scène | ||
02 | Duetto | Blanche-Marie et Marie-Blanche | Blanche-Marie, Marie-Blanche |
03 | Madrigal | Quoi ! vous tremblez | Gaston |
04 | Trio | Michu ! Michu ! Michu ! | Blanche-Marie, Marie-Blanche, Gaston |
05 | Couplets | Sapristi ! le beau militaire | Marie-Blanche |
06 | Trio | Nous v'là ! nous v'là ! | Mme Michu, Aristide, Michu |
Couplets | A l'ouvrag' dès que vient le matin | Mme Michu, Aristide, Michu | |
07 | Ensemble | Voici papa, maman Gâteau ! | Blanche-Marie, Marie-Blanche, Mme Michu, Michu, les Pensionnaires |
08 | Couplets | Blanche-Marie est douce | Aristide |
09 | Finale | Je viens d'entendre un roulement | Blanche-Marie, Marie-Blanche, Mme Michu, Mlle Herpin, les Pensionnaires, Bagnolet |
Acte II |
|||
10 | Introduction et Chœur | A la santé du général | le Général, Invitées, Invités |
Rondo | Non, je n'ai jamais vu ça | le Général | |
10bis | Sortie | ||
11 | Quartetto | Entre là | Blanche-Marie, Marie-Blanche, Mme Michu, Michu |
12 | Duo | Ah ! quel malheur ! | Blanche-Marie, Marie-Blanche |
13 | Couplets | Me prenez-vous pour un conscrit | le Général |
14 | Prière | Saint Nicolas | Blanche-Marie, Marie-Blanche |
15 | Trio | C'est la fille du général | Blanche-Marie, Marie-Blanche, Gaston |
16 | Finale | Capitaine, approchez | Blanche-Marie, Marie-Blanche, Mme Michu, Aristide, Michu, le Général, Gaston |
Couplets | N'est-ce pas que j'ai de la branche | Marie-Blanche | |
Acte III |
|||
17 | Chœur et Ensemble | A la boutique ! | Mme Michu, Aristide, Michu |
18 | Couplets | Comme une girouette | Aristide |
19 | Romance | Vois-tu, je m'en veux à moi-même | Blanche-Marie |
20 | Chœur | Bonjour, mesdam's les mariées | Blanche-Marie, Marie-Blanche, les Pensionnaires, Aristide, Gaston, Marchandes, Marchands |
Ronde des Halles | On peut chercher en tous pays | Marie-Blanche | |
20bis | Sortie | Aux Hall's on a l'esprit subtil | Chœurs |
21 | Duo | Rassurez-vous | Blanche-Marie, Gaston |
22 | Sextuor | Assieds-toi là | Blanche-Marie, Marie-Blanche, Mme Michu, Michu, Aristide, Gaston |
23 | Finale | Blanche-Marie et Marie-Blanche | Blanche-Marie, Marie-Blanche |
LIVRET
l'Acte I lors de la création
(édition de 1903)
Ouverture
ACTE PREMIER
Le jardin de l'Institution Herpin. A droite, premier plan, les bâtiments du pensionnat. A gauche, un pavillon. Les autres plans sont libres et le jardin se continue de chaque côté. Un banc auprès du pavillon. — Un autre à droite, premier plan. Au fond, au milieu de la scène, un gros arbre.
SCENE PREMIÈRE MADEMOISELLE HERPIN, puis CLAIRE, PALMYRE, IDA, FRANCINE, PAMÉLA, IRMA et AUTRES PENSIONNAIRES.
Introduction
MADEMOISELLE HERPIN, arrivant de droite, premier plan, et parlant sur la musique. Institution Herpin. Prix Modérés. Education de famille. Discipline militaire. Elle se dirige vers le pavillon de gauche auprès duquel se trouve un tambour posé sur un trépied de bois et exécute un roulement prolongé. Les pensionnaires paraissent à droite, deuxième plan, et défilent deux par deux.
Chœur
LES PENSIONNAIRES. Pour nous réunir : Au signal qu'il donne Il faut obéir ! En silence, En cadence, Qu'on s'avance
Militairement,
MADEMOISELLE HERPIN.
Roulement, (Parlé) Halte ! Front ! Toutes les pensionnaires se trouvent rangées fixes et immobiles sur une même ligne.
Couplets
I CLAIRE, s'avançant. D'abord, dès que pointe le jour, Premier roulement de tambour ! Cela veut dire : Qu'on se lève ! Et que la toilette s'achève En deux temps, Trois mouvements !
II PALMYRE. Puis de la classe c'est le tour : Second roulement de tambour ! Avec ardeur on étudie : Devoirs, leçons, tout s'expédie En deux temps, Trois mouvements !
TOUTES. En deux temps, Trois mouvements !
III IDA. Puis on s'échappe dans la cour : Nouveau roulement de tambour ! Voici l'heure du réfectoire Et l'on s'en va manger et boire En deux temps, Trois mouvements !
TOUTES. En deux temps, Trois mouvements !
IV FRANCINE. Bref, tout se fait en ce séjour Avec roulement de tambour ! Et l'éducation finie, Quand on en sort, on se marie En deux temps, Trois mouvements !
TOUTES. En deux temps, Trois mouvements !
MADEMOISELLE HERPIN, parlé. Par le flanc droit, par file à droite, marche ! (Les pensionnaires exécutent le mouvement sur une reprise d'orchestre.) Halte ! Fixe !... Mademoiselle Palmyre ?
PALMYRE. Mademoiselle ?
MADEMOISELLE HERPIN. Vous n'êtes pas à l'alignement...
PALMYRE. Mais si, mademoiselle...
MADEMOISELLE HERPIN. Je vous demande pardon... Rentrez la poitrine !
PALMYRE. Mais je ne peux pas... Après tout, ce n'est pas ma faute, si...
MADEMOISELLE HERPIN. Je ne dis pas que ce soit votre faute... Je constate que vous nuisez à l'alignement... A une autre... Mademoiselle Paméla... (Paméla, qui rêve, ne répond pas.) Mademoiselle Paméla !
PAMÉLA, en sursaut. Mademoiselle ?
MADEMOISELLE HERPIN. A quoi rêvasser-vous donc ?
PAMÉLA. Je pensais à mon cousin...
MADEMOISELLE HERPIN. Vous y pensez trop souvent, à votre cousin !... Et qu'est-ce qu'il fait, votre cousin ?
PAMÉLA. Avec moi ?
MADEMOISELLE HERPIN. Tâchez de me répondre d'une façon plus convenable !... Je vous demande quelle profession il exerce ?
PAMÉLA. Hector ? Il est artilleur...
MADEMOISELLE HERPIN. Vous avez de la chance ! S'il avait été dans le civil, je vous flanquais huit cent lignes à copier... Mademoiselle Francine ?
FRANCINE. Mademoiselle ?
MADEMOISELLE HERPIN. Tenez-vous droite !
FRANCINE, se rebiffant. Mais, je me tiens droite !
MADEMOISELLE HERPIN. Pas d'observation !... Je ne dirige pas mon institution d'une façon toute militaire pour que mes élèves aient l'air de conscrits... Je suis fille d'un commandant, mesdemoiselles, et j'ai un neveu sous les drapeaux... Et, si Sa Majesté, l'Empereur Napoléon... Saluez !... (Toutes saluent militairement.) Si Sa Majesté se trouvait un jour à court de soldats, je serais fière de pouvoir lui dire : « Sire, prenez mes élèves !... Je vous garantis qu'elles ne sont pas manchotes ! »
TOUTES. Vive mademoiselle Herpin !...
MADEMOISELLE HERPIN. Bien !... Je suis contente de vous, comme française et comme patriote... Mais, comme maîtresse d'institution, j'ai bien des reproches à vous adresser au point de vue des notes... Formez le cercle !... Mesdemoiselles, l'attention se relâche, l'application diminue... Non pas que la dernière composition, sur la façon de démolir un carré au moyen de l'artillerie de montagne, ait été absolument mauvaise, mais enfin, il y a encore eu des dernières...
TOUTES, protestant. Oh !
MADEMOISELLE HERPIN. Il ne devrait pas y en avoir !... J'espère qu'il n'y en aura plus à l'avenir !... Sur ce... rompez !...
TOUTES, se débandant avec joie. Ah !... Elles se mettent à jouer, qui au ballon, qui, aux grâces, qui, à sauter à la corde.
MADEMOISELLE HERPIN. Amusez-vous, mes enfants... (Elle se dirige vers la droite ; au moment de rentrer dans les bâtiments du pensionnat, elle jette un dernier regard sur les jeunes filles. A part.) L’avenir de la France !...
SCÈNE II LES MÊMES, moins MADEMOISELLE HERPIN, UNE SOUS-MAÎTRESSE.
UNE SOUS-MAÎTRESSE, paraissant à droite, deuxième plan. On demande au parloir mesdemoiselles Blinval, Champion, Rabuteux et Saint-Ernest... Les élèves désignées vont rejoindre la sous-maîtresse et sortent avec elle.
CLAIRE, qui joue au ballon. Eh bien ! On ne joue pas à quelque chose de plus amusant ?
IDA, qui tient un des bouts de la corde. Il nous manque les deux qui mettent toujours les parties en train...
FRANCINE, sautant. C'est vrai !... Où sont donc les petites Michu ?
IRMA, qui joue aux grâces. Marie-Blanche est allée à la lingerie pour faire une reprise à sa robe qu'elle avait déchirée en escaladant les tables...
CLAIRE. Elle n'en fait jamais d'autres... Et Blanche-Marie a suivi sa sœur ?...
IDA. Naturellement... Vous savez bien qu'elles ne font jamais un pas l'une sans l'autre...
FRANCINE, sautant toujours à la corde. Ça se comprend... deux jumelles... Elles sont inséparables...
IRMA. Elles ont jusqu'au même amoureux.
TOUTES, cessant de jouer et l'entourant. Ah ! qui donc ?
CLAIRE. M. Aristide... le premier commis de M. et Madame Michu...
IDA. Les grands marchands des Halles, à l'enseigne de « La Poule aux œufs d'Or ». Beurre, œufs et fromages...
FRANCINE. Eh bien ! Il a une bonne tête leur amoureux !...
IRMA. Et les Michu, donc !
CLAIRE. Oui ! Mais je défends qu'on en dise du mal... Ce sont de si bonnes gens !... Le cœur sur la main... Tous les jeudis, ils arrivent ici, chargés de paquets, bourrés de friandises...
PAMÉLA. Qu'ils distribuent généreusement à tout le pensionnat.
FRANCINE. Et comme c'est aujourd'hui jeudi, nous ne tarderons pas à les voir arriver, eux et leurs provisions.
IRMA. Flanqués du jeune Aristide... mesdemoiselles... n'oubliez pas de le regarder, le jeune Aristide, reluquant les deux sœurs l'une après l'autre, avec des yeux de carpe et des soupirs à faire tourner un moulin, sans parvenir à décider pour laquelle des deux il en tient le plus.
TOUTES, riant. Ah ! Ah !...
CLAIRE, qui regarde au fond à droite. Chut !
TOUTES. Quoi ?
CLAIRE. Taisez-vous ! Voici les petites Michu et elles seraient furieuses si elles savaient qu'on s'occupe de leurs affaires.
SCÈNE III LES MÊMES, MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE.
MARIE-BLANCHE, entrant par la droite et courant après Blanche-Marie, qu'elle attrape. Tu y es !
BLANCHE-MARIE. J'y suis !
TOUTES LES DEUX, aux autres. C'est nous !
ENSEMBLE. Blanche-Marie et Marie-Blanche, Deux têtes sous un seul bonnet, Deux fleurs sur une même branche ; Qui voit l'une, l'autre connaît : Blanche-Marie et Marie-Blanche, Les deux forment un tout complet !
I MARIE-BLANCHE. Comme entre nous tout devait être Pareil en tout absolument,
BLANCHE-MARIE. Le ciel prudent nous a fait naître Toutes les deux au même instant.
MARIE-BLANCHE. Tout juste j'arrivais au monde, Mes yeux s'ouvraient à peine au jour,
BLANCHE-MARIE. Que moi, dans la même seconde, Je fis mon entrée à mon tour !...
ENSEMBLE. Blanche-Marie et Marie-Blanche, Deux têtes sous un seul bonnet, Deux fleurs sur une même branche ; Qui voit l'une, l'autre connaît : Blanche-Marie et Marie-Blanche, Les deux forment un tout complet !
II MARIE-BLANCHE. Nous sommes toutes deux semblables Avec la gaîté d'un pinson !
BLANCHE-MARIE. Malignes comme deux vrais diables Et l'effroi de la pension !
MARIE-BLANCHE. Mais avec ça, douces, gentilles, Malgré nos airs de casse-cou !
BLANCHE-MARIE. En résumé, fort bonnes filles Et pas méchantes pour un sou !
ENSEMBLE. Blanche-Marie et Marie-Blanche, Deux têtes sous un seul bonnet, Deux fleurs sur une même branche ; Qui voit l'une, l'autre connaît : Blanche-Marie et Marie-Blanche, Les deux forment un tout complet !
BLANCHE-MARIE, parlé. Maintenant, mesdemoiselles, à quoi jouons-nous ?... As-tu une idée, Marie-Blanche ?
MARIE-BLANCHE. Mais oui, Blanche-Marie... Et toi ?
BLANCHE-MARIE. Moi aussi...
CLAIRE, aux autres. Je parie que ça va être la même.
MARIE-BLANCHE. A la main chaude...
BLANCHE-MARIE. C'est ce que j'allais proposer...
CLAIRE. Qu'est-ce que je disais ?...
FRANCINE. A qui la pose ?
BLANCHE-MARIE. Tirons !... Elle compte. Je mangerais bien la queu' d'une poire Et par conséquent, la poir' tout entière, Prends tes seaux, belle jardinière, Prends tes seaux, et va-t'en à l'eau !... (S'arrêtant.) C'est Francine !
FRANCINE. Vous ne taperez pas trop fort, dites ?
MARIE-BLANCHE. A tour de bras, tout simplement !
FRANCINE. Méchante !
MARIE-BLANCHE, la câlinant. Non, va... on ne te fera pas de mal. Le jeu commence à gauche.
FRANCINE, au bout d'un instant. C'est Claire !
CLAIRE. Non ! C'est Paméla... A recommencer !
FRANCINE. Ida !
IDA. Non plus !...
PALMYRE. C'était moi !... On recommence.
FRANCINE. Ah ! pour le coup, Blanche-Marie !
BLANCHE-MARIE, gaîment. J'y suis !
FRANCINE, avec joie. A ton tour !... Je te cède la place...
MARIE-BLANCHE. Seulement, cette fois, il faut intéresser le jeu... Chaque fois qu'on se trompera, il y aura un gage...
TOUTES. Bravo !...
BLANCHE-MARIE. Oui, mais pas de mauvaise farce ?
MARIE-BLANCHE. Va donc !... Le jeu recommence avec Blanche-Marie.
BLANCHE-MARIE. C'est Palmyre !...
PALMYRE, avec une révérence. Non, mademoiselle...
MARIE-BLANCHE. Un gage !... (Aux autres.) Qu'est-ce que nous allons bien lui imposer ?
IDA. Faire six fois le tour du jardin à cloche-pied ?...
MARIE-BLANCHE. Il fait trop chaud...
IRMA. Rester dix minutes le visage contre le mur ?...
BLANCHE-MARIE. Mais ce n'est pas un gage, ça !... C'est une pénitence !...
MARIE-BLANCHE. Attendez !... J'ai trouvé !... Embrasser la première personne qui entrera.
TOUTES. Oui ! Oui ! c'est ça !...
BLANCHE-MARIE. Et si c'est quelqu'un que je ne connaisse pas ?
MARIE-BLANCHE. Tant mieux ! ça n'en sera que plus amusant !...
CLAIRE. Voyons, qui est-ce qui va arriver ?... Elles remontent toutes au fond à droite, en guettant.
TOUTES. Oh !...
PALMYRE. Un soldat !
FRANCINE. Un officier !
BLANCHE-MARIE. Ah ! mon Dieu... (Aux autres.) Non ! ce n'est pas de jeu ! je ne veux pas !
MARIE-BLANCHE. Si ! Si ! C'est jugé !... Il le faut !... (Criant.) L'embrassera ! L'embrassera pas !
TOUTES. L'embrassera ! L'embrassera pas !
BLANCHE-MARIE, voyant paraître Gaston, avec effroi. Le voici !... Où me fourrer ?... Elle se cache derrière Marie-Blanche.
TOUTES. L'embrassera ! L'embrassera pas !
SCÈNE IV LES MÊMES, GASTON.
GASTON, arrivant par le fond à droite. Il est en costume de hussards. Mon Dieu ! mesdemoiselles, serait-ce de moi qu'il s'agit ?
BLANCHE-MARIE. Non, monsieur... Certainement non !...
MARIE-BLANCHE, à Gaston. Ne l'écoutez pas !... Voici la chose, mon capitaine, nous jouions à la main chaude...
GASTON. Et mademoiselle a perdu un gage ?
TOUTES. Juste !
GASTON. Consistant à embrasser la première personne qui se présenterait ?
BLANCHE-MARIE. Comment !... Vous savez ?...
GASTON. Non... mais je devine...
PAMELA, bas, à sa voisine. Il est très bien le capitaine... presque aussi bien que mon cousin Hector.
GASTON, à Blanche-Marie. Et alors, mademoiselle, c'est ce gage qui cause votre embarras ?
BLANCHE-MARIE. Dame !...
MARIE-BLANCHE. Allons va !... Il ne te mangera pas !... Et puis, un soldat, ce n'est pas un homme...
GASTON, protestant. Oh !...
MARIE-BLANCHE. C'est un héros !
GASTON, s'inclinant. Ah ! Voilà qui est flatteur !
MARIE-BLANCHE, à Blanche-Marie qu'elle fait passer à Gaston. Mais va donc !
BLANCHE-MARIE. Tu sais que c'est très bête, ça !...
GASTON.
I Quoi ! Vous tremblez, ma belle enfant, Vous tremblez pour ce badinage ! Vous devez payer cependant : Il faut obéir à l'usage ! Voyons ! Calmez ce grand émoi, Il s'agit d'une bagatelle Et le danger, mademoiselle. Serait plus à craindre pour moi !
II Ne baissez pas ainsi les yeux. Un petit moment de courage ! Là, sur le front, près des cheveux Je vais acquitter votre gage, Bien doucement... Il l'embrasse. C'est fait, ma foi ! C'est fait, et vous n'êtes pas morte... A part. Mais je crois, le diable m'emporte ! Que le danger était pour moi !
CLAIRE. Maintenant, à chat perché.
TOUTES. A chat perché.
CLAIRE. Gare à celles que j'attrape !...
TOUTES. Ah !... Elles se sauvent en désordre par le fond à gauche.
SCÈNE V MARIE-BLANCHE, BLANCHE-MARIE, GASTON.
MARIE-BLANCHE, allant à Blanche-Marie, qui s'est mise à l'écart dans un coin à gauche. Eh bien ! Quoi donc, petite sœur ?... Tu boudes ?...
BLANCHE-MARIE. Oui !... Je suis furieuse après toi !...
MARIE-BLANCHE. Allons, voyons ! Faites risette !
BLANCHE-MARIE, riant malgré elle. Tiens ! Tu es un démon !
MARIE-BLANCHE. Et toi, un ange... (L'embrassant.) Je t'adore ! Allons jouer...
BLANCHE-MARIE, gaîment. Allons !
GASTON, qui était resté au fond à les regarder. Pardon, mesdemoiselles...
MARIE-BLANCHE Mon capitaine ?...
GASTON. Je ne voudrais pas vous distraire de vos jeux, mais j'avoue que je ne serais pas fâché de savoir à qui je suis redevable de l'agréable surprise qui m'attendait ici !...
BLANCHE-MARIE, gaîment. Blanche-Marie...
MARIE-BLANCHE, même jeu. Marie-Blanche...
BLANCHE-MARIE, saluant. Michu...
MARIE-BLANCHE, même jeu. Michu...
GASTON. Michu !...
GASTON. Michu !
MARIE-BLANCHE. Michu !
BLANCHE-MARIE. Michu !
MARIE-BLANCHE. Oui tel est, capitaine, Le nom qui nous est dévolu.
BLANCHE-MARIE. Et puisqu'il faut qu'on vous l'apprenne, C'est nous les petites Michu.
GASTON. Michu !
MARIE-BLANCHE. Michu !
BLANCHE-MARIE. Michu !
TOUTES LES DEUX. C'est nous les petites Michu !
GASTON. Deux sœurs alors ?
MARIE-BLANCHE. Deux sœurs jumelles !
GASTON. Le ciel en vous faisant toutes deux aussi belles N'a pas voulu, sans doute, égarer ses faveurs, C'est pour cela, mesdemoiselles, Qu'il vous a faites sœurs !
MARIE-BLANCHE. Monsieur ! Pas de galanterie !
GASTON. Et vous, pas de coquetterie ! Je parle très sincèrement Et ne pourrais dire vraiment, Qui de vous est la plus jolie !... Michu !
MARIE-BLANCHE. Michu !
BLANCHE-MARIE. Michu !
[ MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. [ Oui, tel est, capitaine, [ Le nom qui nous est dévolu, [ Et puisqu'il fait qu'on vous l'apprenne, [ C'est nous les petites Michu ! [ Michu ! Michu ! Michu ! [ C'est nous les petites Michu. [ [ GASTON. [ Elles sont ravissantes ! [ Jamais, non jamais je n'ai vu [ Deux jeunes filles plus charmantes [ Que les deux petites Michu [ Michu ! Michu ! Michu ! [ Ce sont les petites Michu.
GASTON. Mais, en ce cas, il faut que je m'accuse Je viens d'être fort maladroit Et de vous faire un passe-droit. Une injustice sans excuse.
MARIE-BLANCHE. Comment ?
BLANCHE-MARIE. Comment ?
GASTON. Entre deux sœurs, il est d'usage, N'est-il pas vrai, qu'on se partage Toute chose équitablement ?
MARIE-BLANCHE. Certainement !
BLANCHE-MARIE. Évidemment !
GASTON. Donc, puisque tout est commun à chacune, Tout à l'heure en embrassant l'une, Devais-je pas embrasser l'autre aussi ; Celle-là, comme celle-ci ?
MARIE-BLANCHE. C'est fort logique !
BLANCHE-MARIE. Très véridique.
GASTON. Et bien ! Alors, J'ai des remords !
MARIE-BLANCHE, riant. Ah ! Ah ! mon capitaine ! Ne soyez pas en peine, Ce baiser-là Ma sœur me le rendra !
BLANCHE-MARIE. Oui, tout s'arrangera Comme cela, Mon capitaine ! Ce baiser-là n'est pas perdu !
MARIE-BLANCHE. Rien ne se perd chez les Michu !
GASTON. Michu !
MARIE-BLANCHE. Michu !
BLANCHE-MARIE. Michu !
[ MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. [ Oui, tel est, capitaine, [ Le nom qui nous est dévolu, [ Et puisqu'il fait qu'on vous l'apprenne, [ C'est nous les petites Michu ! [ Michu ! Michu ! Michu ! [ C'est nous les petites Michu. [ [ GASTON. [ Elles sont ravissantes ! [ Jamais, non jamais je n'ai vu [ Deux jeunes filles plus charmantes [ Que les deux petites Michu [ Michu ! Michu ! Michu ! [ Ce sont les petites Michu.
GASTON. Du moment que cela vous suffit ainsi... mais c'est égal... ma conscience n'est pas en repos...
MARIE-BLANCHE. Oh ! s'il s'agit de votre conscience !... Je ne voudrais pas la troubler pour si peu de chose !... (S'approchant de lui.) Allons, capitaine, rétablissez l'égalité... Elle lui tend son front.
GASTON, à part. Elle est tout à fait piquante... Il l'embrasse, à ce moment, mademoiselle Herpin paraît à droite, premier plan.
MADEMOISELLE HERPIN. Qu'ai-je vu ?
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Mademoiselle Herpin !... Ah !... Elles se sauvent vivement.
SCÈNE VI GASTON, MADEMOISELLE HERPIN.
MADEMOISELLE HERPIN Ça va bien ici !... Monsieur, me direz-vous ?... (Le reconnaissant.) Gaston !
GASTON, l’embrassant. Moi-même, ma bonne tante !...
MADEMOISELLE HERPIN. Comment ! C'est toi qui viens jeter le trouble au milieu de mon troupeau ?...
GASTON. Oh ! Le trouble !... Il s’agissait d’acquitter un gage… ces demoiselles avaient décidé que la perdante devrait embrasser la première personne qui entrerait... Et comme la première personne c'était moi...
MADEMOISELLE HERPIN. Tu n'as pas laissé perdre l'occasion, chenapan !...
GASTON. Dame !
MADEMOISELLE HERPIN. Je te reconnais là !... (L'examinant.) Mais qu'est-ce que je vois ? Capitaine !... Tu es capitaine ?
GASTON, faisant le salut militaire. Oui, mon commandant !... Le capitaine Gaston Rigaud ! Ça sonne bien, pas vrai ?...
MADEMOISELLE HERPIN. Je te rêverais maréchal de France !
GASTON. Eh bien ! c'est déjà un commencement !
MADEMOISELLE HERPIN. Embrasse moi encore, capitaine !...
GASTON, l'embrassant. Ma bonne tante !
MADEMOISELLE HERPIN. Et d'où rapportes-tu ce grade-là ?
GASTON. De Saragosse, d'où j'arrive en droite ligne... Pendant une des dernières sorties des assiégés, j'ai eu l'honneur de sauver mon général... Résultat une balle dans l'épaule et capitaine sur le champ de bataille.
MADEMOISELLE HERPIN, avec orgueil. Blessé !... il a été blessé !... Voilà comme nous sommes, dans la famille !...
GASTON. Le siège terminé, mon régiment, remplacé par de la garde, reprenait le chemin de Paris, où je suis arrivé ce matin...
MADEMOISELLE HERPIN. Ce matin ! Et je ne te vois que maintenant !...
GASTON. Et le service, ma bonne tante ?... Sans compter que mon général m'a pris en si vive affection qu'il ne peut plus se passer de moi... au point... attendez-vous à une grande émotion... au point qu'il veut faire de moi... son gendre...
MADEMOISELLE HERPIN. Son gendre !... Tu vas épouser la fille de ton général, toi !...
GASTON. Tout simplement !... Il doit aujourd'hui même demander l'autorisation de l'Empereur et, ce soir, la nouvelle sera officielle... Aussi, ai-je tenu à ce que vous fussiez la première informée... Et maintenant que je vous ai vue, que je vous ai embrassée...
MADEMOISELLE HERPIN. Moi et mes pensionnaires !
GASTON. Vous voyez bien que c'est sans conséquence...
MADEMOISELLE HERPIN. Ne te défends pas !... Après chaque victoire, je te permettrai de les embrasser toutes.
GASTON. En ce cas, les ennemis n'ont qu'à bien se tenir !... Allons ! au revoir ma tante...
MADEMOISELLE HERPIN. Je te reconduis, mon capitaine ! Elle le reconduit par la droite.
SCÈNE VII MARIE-BLANCHE, BLANCHE-MARIE.
MARIE-BLANCHE, reparaissant avec Blanche-Marie. Tu as entendu, Blanche-Marie ?
BLANCHE-MARIE. Je n'ai pas perdu un seul mot.
MARIE-BLANCHE. Crois-tu qu'elle est cachottière cette mademoiselle Herpin !... Avoir un pareil neveu et ne nous l'avoir jamais présenté !
BLANCHE-MARIE. Puisqu'il était à la guerre !...
MARIE-BLANCHE. Elle aurait pu nous en parler au moins ?
BLANCHE-MARIE. Dame ! Ce n'est pas dans le programme des études !...
MARIE-BLANCHE. Je te demande pardon... un capitaine que a sauvé son général, c'est de l'histoire contemporaine... Sans compter qu'il est très gentil, le capitaine... Il me plairait beaucoup... Et à toi ?...
BLANCHE-MARIE. Pourquoi me demandes-tu cela ? Il va se marier.
MARIE-BLANCHE. Malheureusement ! Mais enfin, s'il était libre ?
BLANCHE-MARIE. Il ne l'est pas !...
MARIE-BLANCHE. Ce n'est pas une raison, ça... Tu éludes... Mais je t'ai bien vue, va, tout à l'heure... Tu as rougi quand il t'a embrassée...
BLANCHE-MARIE, troublée. Moi !
MARIE-BLANCHE. Oui, mademoiselle, une vraie pivoine !... Voyons ! Avoue !...
BLANCHE-MARIE. Eh bien ! Et toi ?... Tu as ri !
MARIE-BLANCHE. Parce que sa moustache me chatouillait... Et puis, après tout, je serai plus franche que toi !... Oui !... J'en tiendrais volontiers pour ce beau militaire-là !... Et dire qu'il va épouser la fille de son général !... Quelque grande pimbêche, sans doute, et qui ne nous vaut sûrement pas... Ah ! c'est bisquant tout de même !
BLANCHE-MARIE, la calmant. Marie-Blanche !
MARIE-BLANCHE. Il n'y a pas de Marie-Blanche ! Voilà comme je suis !...
I Sapristi ! le beau militaire ! Avec son allure si fière Il pourrait de la plus sévère Tourner la tête en un moment ! Ah ! je voudrais être à la place De la jeune et tendre bécasse Qui va nous souffler — quelle audace ! Un militaire aussi charmant !... Oui, ma chère, Pour me plaire, Il n'aurait qu'à dire un seul mot ! Oui, ma chère, Pour me plaire, C'est tout à fait l'homme qu'il faut !
II Si je pouvais, pauvre fillette, Choisir un époux à ma tête, Je voudrais faire sa conquête Et subjuguer ce beau vainqueur ! Pas de chance ! La place est prise ! Vrai, la nouvelle me défrise Et, si je tenais la promise, Je l'étranglerais de bon cœur !... Oui, ma chère, Pour me plaire, Il n'aurait qu'à dire un seul mot ! Oui, ma chère, Pour me plaire, C'est tout à fait l'homme qu'il faut ! (Parlé) Et dire qu'au lieu de ça, nous en sommes réduites à nous partager l'amour de ce brave Aristide, dont le cœur va de l'une à l'autre comme un balancier... En voilà une perspective !...
BLANCHE-MARIE. Tiens ! Tu es folle !
MARIE-BLANCHE. Et toi, veux-tu que je te dise ce que tu es ?... Tu es jalouse... Tu es ma rivale !...
BLANCHE-MARIE. Oh !
MARIE-BLANCHE. Tant mieux ! Nous nous le disputerons !... Ça me donnera l'occasion de parler de lui.
PALMYRE, paraissant au fond à gauche. Eh ! les deux Michu !... On vous attend pour une partie de barres !... Elle disparaît.
BLANCHE-MARIE. Allons ! Viens !... Ça vaudra mieux que de dire des bêtises !...
MARIE-BLANCHE. Oui, oublions !... (Gaîment.) La première arrivée au fond du jardin !... Elle sort en courant avec Blanche-Marie. Musique.
SCÈNE VIII MADAME MICHU, MICHU, ARISTIDE. Ils entrent par le deuxième plan à droite. Aristide porte un gros panier recouvert d'une serviette. Michu a une bouteille sous chaque bras et madame Michu tout un paquet de pâtisseries.
TOUS LES TROIS. Nous v'là ! Nous v'là ! Nous v'là ! En habits de gala, Nous arrivons des Halles ! Nous v'là ! Nous v'là ! Nous v'là ! R'gardez, admirez ça, Nous ons de bonnes balles ! Nous v'là ! Nous v'là ! Nous v'là ! N'y a pas à dir', nous v'là !
MADAME MICHU, à Michu. Arriv' mon homm' !
MICHU. J'te suis, ma femme !
MADAME MICHU, à Aristide. Avanc' clampin !
ARISTIDE. Voilà madame !
MADAME MICHU. Ous' qu'est l' panier ?
ARISTIDE. L' panier, l' voici !
MADAME MICHU. Et les bouteill's ?
MICHU. Ah ! Sapristi ! J' les ai laissés dans la carriole ! Cours, Aristide !
MADAME MICHU. Mais, tête folle ! Tu les as tout's les deux sous l' bras !
MICHU. Tiens ! Je n' m'en apercevais pas !
MADAME MICHU. Dieu ! Quel homm' plein d'insuffisance ! C'est un linotte ! A rien y n' pense ! Michu, t'es bien heureux, ma foi, D'avoir un' femme comme moi !
MICHU. Ça, j’ le r'connais !
MADAME MICHU. C'est pas dommage ! Pardin' ! C'est moi qui fais tout dans l' ménage !
Couplets
I A l'ouvrag' dès que vient l' matin, J' suis la première à la boutique Et viv'ment je sers la pratique, Car il faut qu' tout marche bon train ! Je tranch', je coup', je taill', je rogne, Jamais je ne fais rien à d'mi ! J' suis un vrai ch'val à la besogne Bref, de nous deux, c'est moi l' mari... (Parlé.) Aussi... Des Innocents à la Point' Saint-Eustache C'est un refrain de tout le mond' connu, Bien que n'ayant ni barbe, ni moustache, Ah ! quel rude homm' que madame Michu !...
TOUS LES TROIS. Des Innocents à la Point' Saint-Eustache C'est un refrain de tout le mond' connu, Bien que n'ayant ni barbe, ni moustache, Ah ! quel rude homm' que madame Michu !...
MADAME MICHU. II Mais, malgré ça, je n' manque pas De c' qu'il faut au sexe pour plaire J'ai l' superflu, j'ai l' nécessaire En fait de grâces et d'appas ! Comme une autre je suis coquette, Je sais prendre des airs vainqueurs, Je sais, quand je suis en toilette, Par mon regard charmer les cœurs ! (Parlé.) Aussi... Des Innocents à la Point' Eustache... Lorsque je passe mon beau fichu, Ma chaîne d'or et ma robe pistache, On s'dit : Quelle femm' que madame Michu !...
TOUS LES TROIS. Des Innocents à la Point' Saint-Eustache C'est un refrain de tout le mond' connu, Bien que n'ayant ni barbe, ni moustache, Ah ! quel rude homm' que madame Michu !...
MICHU. Oh ! oui !... T'es une rude femme !... Cré coquin !... Et bien en chair, avec ça ! Il la lutine.
MADAME MICHU. Voyons, Michu ! nous ne sommes pas seuls.
MICHU, cherchant autour de lui. Ah !... qui donc ?
MADAME MICHU, désignant Aristide qui se tient à l'écart dans une posture mélancolique. Aristide !...
MICHU. Tiens ! c'est vrai, je l'oubliais... Il est là planté sur ses deux pattes comme un pingouin, sans prononcer une seule parole... Mais, regarde-moi ça !... qu'est-ce qu'il a, ce garçon-là, depuis quelque temps ?... (A Aristide.) Qué qu' t'as ?
ARISTIDE. J'ai rien, mon parrain.
MICHU, l'imitant. J'ai rien !
MADAME MICHU. Laisse-le ! c'est la jeunesse qui le travaille.
MICHU, à Aristide. C'est-il la jeunesse ?
ARISTIDE. Peut-être bien qu'oui, mon parrain...
MICHU. Peut-être bien qu'oui... peut-être bien qu' non !... Voilà tout ce qu'on peut en tirer !... (A Aristide.) Mais, à ton âge, quand ça me travaillait, cré coquin !...
MADAME MICHU, sévèrement. Michu !
MICHU. Not' femme ?
MADAME MICHU. Tu vas dire des bêtises !...
MICHU. T'as raison !... gardons ça pour plus tard... (Se fouillant.) Tiens ! je l'ai perdu !
MADAME MICHU. Quoi donc ?
MICHU. Mon mouchoir...
MADAME MICHU. Nigaud !... Le voilà qui dépasse !...
MICHU. T'as encore raison !
MADAME MICHU. Ce qui m'étonne, c'est qu'il ne t'arrive pas plus souvent de sortir sans ta casquette...
MICHU. J'ai si peu de tête !... Heureusement que tu en as pour moi...
MADAME MICHU. Tu peux t'en vanter !... Sans cela, nous serions encore à Lisieux, petits fermiers, comme lorsque nous nous sommes mariés, au lieu d'avoir une belle boutique aux Halles, un cheval, une carriole et un commis... Et qui est-ce qui fait marcher tout ça ?
MICHU. C'est toi !
MADAME MICHU. Je crois bien !... Tu n'es même pas capable de servir la pratique... Ce matin encore, tu allais donner un camembert au lieu d'un quart de beurre.
MICHU. J'avais mal entendu... je suis si distrait !
MADAME MICHU. Tu devrais pourtant en être guéri, de tes distractions... Il y en a une, dans ton passé, qu'a eu des suites assez graves...
MICHU. Ne parlons pas de ça... Je me la reproche tous les jours.
MADAME MICHU. Comme si ça pouvait y changer quelque chose !... Enfin, quoi !... Ce qui est fait est fait... (Changeant de conversation.) Mais ce n'est donc pas l'heure de la récréation que nous n'avons pas encore vu nos petites ?
ARISTIDE, qui est allé au fond et n'a cessé de regarder à gauche. Si !... elles sont en train de jouer là-bas...
MICHU. Tiens ! le voilà réveillé, lui... (A madame Michu.) Attends... je vais les appeler !... (Se faisant un porte-voix de ses mains.) Ohé ! Ohé !
MADAME MICHU. Veux-tu te taire !... Il se croit le matin, à la criée, ma parole !
MICHU. Tu as raison, ma femme !... Tu as toujours raison.
l'Acte I lors de la création
SCÈNE IX LES MÊMES, MADEMOISELLE HERPIN.
MADEMOISELLE HERPIN, paraissant à droite. Quel est ce vacarme ?... (Les reconnaissant.) Ah ! monsieur et madame Michu !
MADAME MICHU. Là, tu as dérangé mademoiselle Herpin !... Excusez-nous, mademoiselle Herpin...
MADEMOISELLE HERPIN Comment donc ! Je suis enchantée...
MICHU. Vous voyez, toujours exacts, nous et nos provisions.
MADEMOISELLE HERPIN. Pour la grande distribution du jeudi... Vous gâtez nos pensionnaires...
MADAME MICHU. Ça leur fait tant de plaisir !... Et les petites vont bien ?
MADEMOISELLE HERPIN Admirablement, mes chères mignonnes !... mais vous allez les voir à l'instant...
ARISTIDE, à part, avec émotion. Elles vont venir !... Ah ! Mademoiselle Herpin qui s'est dirigée vers le tambour, exécute un roulement.
MICHU. Tiens ! Encore des soldats qui partent. Vive l'armée !...
MADAME MICHU. Mais non, étourneau !... C'est mademoiselle Herpin.
MICHU. C'est vrai !... Ça me surprend toujours...
ARISTIDE, voyant paraître Marie-Blanche et Blanche-Marie, à part. Elles !... Ce sont elles !...
SCÈNE X LES MÊMES, MARIE-BLANCHE, BLANCHE-MARIE, puis CLAIRE, PALMYRE, IDA, FRANCINE, PAMELA, IRMA, LES PENSIONNAIRES.
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE, accourant. Ah ! maman et papa ! Bonjour, maman. (Elles se jettent au cou de madame Michu.) Bonjour papa ! (Même jeu avec Michu.)
Morceau d'ensemble
CHŒUR. Voici papa, maman Gâteau, Avec leurs friandises Et leurs surprises ! Accourons toutes au plus tôt : Voici papa, maman Gâteau !
UN GROUPE, s'adressant à Michu. Bonjour, monsieur !
UN AUTRE GROUPE, s'adressant à madame Michu. Bonjour, madame !
MICHU. Bonjour, mes charmantes enfants ! Voyez leur regard qui s'enflamme En reluquant tous nos présents.
MADAME MICHU. Nous allons procéder par ordre Et sans attendre plus longtemps Vous allez mordre, mordre, mordre, Vous allez mordre à belles dents !
TOUTES. Nous allons mordre, mordre, mordre ! Nous allons mordre à belles dents !
MARIE-BLANCHE. Allons ! mettons le panier au pillage ! Voici des fruits, du pâté, du fromage ! Donnons-nous en Notre content !
TOUTES. Donnons nous en notre content ! Notre content !
BLANCHE-MARIE. Et pour dessert, des chatteries ! Des gâteaux et des sucreries !
TOUTES. Des gâteaux et des sucreries ! Vraiment nous sommes attendries !
REPRISE. Vive papa, maman Gâteau Avec leurs friandises Et leurs surprises ! Du fond du cœur crions bien haut : Vive papa, maman Gâteau ! Elles se sont partagé tout le contenu du panier et des paquets et se mettent à dévorer.
MADAME MICHU. S'en donnent-elles !... C'est un vrai plaisir !
ARISTIDE, les yeux fixés sur Marie-Blanche et Blanche‑Marie, à part. Sont-elles gentilles, toutes les deux, quand elles grignotent !... Ah ! Tant pis !... Ça sera pour aujourd'hui !...
MADEMOISELLE HERPIN. Sur ce, mesdemoiselles, remerciez monsieur et madame Michu et laissez vos deux compagnes à leurs épanchements de famille.
TOUTES. Au revoir, madame Michu !... Au revoir, monsieur Michu ! Sortie des pensionnaires et de mademoiselle Herpin.
SCÈNE XI MADAME MICHU, MICHU, MARIE-BLANCHE, BLANCHE-MARIE, ARISTIDE.
MADAME MICHU, aux deux jeunes filles. Maintenant, que je vous regarde à mon aise !
MICHU. Moi aussi !
ARISTIDE, à part. Moi aussi !
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE, se posant. Voilà, maman ! Voilà papa !
MADAME MICHU. En ont-elles des mines !... Elles sont superbes !
MICHU. Je trouve qu'elles ont encore forci !
MADAME MICHU. On le dirait ! Hein ! Est-ce beau ?...
MICHU. C'est dru !
ARISTIDE, à part. Oh !
MADAME MICHU. Seulement, c'est fagoté... deux vrais petits démons.
MARIE-BLANCHE. Dame ! quand on joue...
BLANCHE-MARIE. On fait les folles...
MADAME MICHU. Et vous avez raison... C'est de votre âge...
MICHU. Vous n'avez que ça à faire...
MARIE-BLANCHE. Et nous nous en acquittons... Le chat perché, les barres, la main chaude... (Avec intention.) La main chaude surtout... Il y a des gages... c'est ça qui amuse Blanche-Marie !...
BLANCHE-MARIE. Pas plus que toi, toujours !... (Aux Michu.) N'écoutez pas Marie-Blanche, c'est une taquine !...
MICHU, ravi. Sont-elles gaies ! Sont-elles drôles !...
MADAME MICHU. On voudrait passer son temps à les embrasser...
ARISTIDE, malgré lui. Oh ! oui !...
MICHU. Hein ?
MADAME MICHU. Qu'est-ce que tu dis, toi ?
MARIE-BLANCHE. Pardi ! J'ai bien entendu !
BLANCHE-MARIE. Moi aussi !
MARIE-BLANCHE, l’imitant. Il a dit : oh ! oui !
BLANCHE-MARIE, même jeu. Oh ! oui !...
ARISTIDE. Tant pis !... Puisque ça m'a échappé, faut que j'éclate tout à fait !... Vous me demandiez tout à l'heure ce que j'ai depuis trois mois... Eh bien ! j'ai que je dessèche, que je dépéris, que je m'étiole et que ça ne peut plus durer comme ça !... J'ai... que je suis amoureux !
TOUS. Hein ?
ARISTIDE. Madame Michu, mon parrain, j'ai l'honneur de vous demander la main de vos filles !
MADAME MICHU, avec saisissement. La main !
MICHU. La main !
MADAME MICHU, à part. Voilà ce que je craignais !
MARIE-BLANCHE, riant. Il demande les deux, encore !
BLANCHE-MARIE. Il ne se refuse rien !...
ARISTIDE. Quand je dis les deux, bien entendu, il ne s'agit que d'une !... Seulement, je ne sais pas laquelle... Je prendrai celle qu'on voudra…
Couplets
I Blanche-Marie est douce et bonne, C'est un mouton, c'est un agneau ! Mais Marie-Blanche est si mignonne, Avec un si gentil museau ! Entre les deux, c'est difficile, Parole d'honneur, de fair' son choix, Si bien qu'il faudrait, à c'que j'crois, Prendre les deux pour être habile...
Cell' que j'veux, Je n'en sais rien moi-même ! Pour tout's les deux Je fais des vœux, Sans savoir laquell' j'aime, Et je s'rai bien content tout de même Si vous m' donniez l'une des deux, Car, en prenant l'une des deux, Je s'rai sûr d'avoir cell' que je veux !
II Près d' Blanche-Marie mon cœur soupire, Je suis rêveur et ténébreux ; Mais Marie-Blanche me fais rire, J' voudrais Blanche-Marie pour femme, J' voudrais Marie-Blanche, également ! Oui, mais voilà, malheureus'ment, Ça n' se peut pas, sans êtr' bigame !...
Cell' que j'veux, Je n'en sais rien moi-même ! Pour tout's les deux Je fais des vœux, Sans savoir laquell' j'aime, Et je s'rai bien content tout de même Si vous m' donniez l'une des deux, Car, en prenant l'une des deux, Je s'rai sûr d'avoir cell' que je veux !
MARIE-BLANCHE. Mais pardon, mon bon Aristide, dans tout ça, il me semble que vous oubliez une chose, c'est de nous consulter...
BLANCHE-MARIE. Il faudrait notre consentement peut-être...
ARISTIDE. Oh ! je serais si bon, si doux, si soumis, si aimant, que je serais bien sûr d'arriver à le mériter !... Seulement, avant tout, il faut qu'on m'en désigne une... Car, voyez-vous, je ne peux plus vivre dans cette incertitude... (Aux Michu, qui, pendant ce qui précède sont restés absorbés.) Eh bien, madame Michu ? Eh bien, mon parrain ?...
TOUS LES DEUX, se réveillant. Hein ?... Quoi ?...
ARISTIDE. La réponse ?
MICHU. Quelle réponse ?
ARISTIDE. A ce que je viens de vous demander ?
MADAME MICHU. La réponse... Il n'y en a pas !...
ARISTIDE. Hein ?
MICHU, avec force. Il n'y en a pas, de réponse !
MADAME MICHU. Comment, mon garçon ! Tu viens de dire toi-même que, depuis trois mois, tu n'as pas pu te décider, et tu veux que nous, nous nous décidions comme ça ? Tout de suite, à la minute ?...
MICHU. Nous en recauserons dans un an...
ARISTIDE. Oh !
BLANCHE-MARIE, insistant. Un an !
MADAME MICHU. Dans deux ans !
ARISTIDE. Oh !
MARIE-BLANCHE. Deux ans !
MICHU. Dans trois ans !...
ARISTIDE. Oh !
BLANCHE-MARIE. Trois ans !
MICHU. Et sur ce, tu vas me faire le plaisir de tourner les talons et d'aller surveiller la carriole... Et plus vite que ça...
ARISTIDE, désolé. C'est bien, mon parrain, j'y vais... (A part, en s'en allant.) Trois ans !... Comme ça va être long ! Il sort par la droite, deuxième plan.
MADAME MICHU, aux jeunes filles. Et vous, les enfants, allez jouer un instant avec vos compagnes... J'ai besoin de causer avec votre père...
BLANCHE-MARIE. Bien, maman !
MARIE-BLANCHE, s'en allant avec elle. C'est égal, si mademoiselle Herpin savait qu'on vient de nous demander en mariage !...
BLANCHE-MARIE, se rengorgeant. Ah ! ma chère... Elles s'en vont par le fond à gauche.
SCÈNE XII MADAME MICHU, MICHU.
MADAME MICHU, après un moment. Eh bien, Michu ?...
MICHU. Eh bien, ma femme ?...
MADAME MICHU. Cette fois, ça y est !... Voilà qu'on nous les demande... Parbleu ! Ça devait nous tomber un jour ou l'autre...
MICHU. J'espérais que ça serait plutôt l'autre...
MADAME MICHU. Dame ! Elles ont dix-sept ans, elles sont jolies, bien élevées... Les Michu passent pour avoir des économies... C'était fatal !... Aristide encore, ça ne compte pas... C'est un nigaud qui n'a pas inventé le fil avec lequel je coupe mon beurre... On s'en débarrasse en l'envoyant garder la carriole... Mais il peut s'en présenter un autre, un sérieux et qui plaise aux petites... Nous ne pourrons pas l'envoyer garder la carriole, celui-là... Qu'est-ce que nous lui répondrons ?...
MICHU. Je te dis que je n'ose pas y penser !...
MADAME MICHU. Et tout ça par ta faute !...
MICHU. Voilà dix-sept ans que je n'en dors plus !...
MADAME MICHU. Je vous demande un peu !... Aller s'aviser de les fourrer dans un bain le lendemain de leur naissance pendant que je dormais...
MICHU. Si bien que, lorsqu'il s'est agi de les retirer, impossible de les reconnaître !... Je ne savais plus laquelle était l'autre...
MADAME MICHU. Pardine ! C'était facile à prévoir... On n'est pas bête comme ça !...
MICHU. Le fait est que j'ai eu une fichue d'idée, ce jour-là !
MADAME MICHU. Heureux encore que nous n'ayons jamais eu de nouvelles du père de celle qui n'est pas à nous... le marquis...
MICHU, avec crainte. Chut ! Tais-toi !... C'est pour ça que nous avons quitté le pays sans dire où nous allions.
MADAME MICHU. Et depuis ce temps-là, je vis dans des transes continuelles. A chaque instant, il me semble que je vais le voir paraître...
MICHU. Ne parlons pas de ça ! Ça me ferait rentrer sous terre !...
MADAME MICHU. Et maintenant, ce sont les petites qui vont en souffrir... Parbleu ! Nous, nous en avons été quittes pour les aimer tout autant l'une que l'autre... Mais elles, le jour où leur cœur parlera, impossible de les marier... nous n'avons pas le droit d'en disposer sans savoir... Nous vois-tu, donnant la fille d'un marquis à un simple commis de rien du tout...
MICHU. C'est épouvantable !
MADAME MICHU. Enfin, pour nous changer les idées, allons rembrasser nos filles !...
MICHU. Tu as raison ! allons !... Au moment où ils vont se diriger vers le fond à gauche, Bagnolet paraît à droite, conduit par mademoiselle Herpin.
MADEMOISELLE HERPIN, à Bagnolet, lui désignant les Michu. Tenez, les voici !... Monsieur et Madame Michu, une visite pour vous...
BAGNOLET. Merci bien, la patronne ! Mademoiselle Herpin sort à droite.
MADAME MICHU, qui s'est arrêtée, surprise. Hein ? Que nous veut ce militaire ?...
SCÈNE XIII MADAME MICHU, MICHU, BAGNOLET.
BAGNOLET, s'avançant. Pardon, excuse, les bourgeois... Que c'est-il bien vous les dénommés Michu, qu'a autrefois habité Lisieux ou les environs d'alentour ?...
MADAME MICHU. Pourquoi ?
BAGNOLET. R'pondez d'abord... C'est-il vous ?
MADAME MICHU et MICHU. Oui...
BAGNOLET. Il y a quelque chose comme dix-sept ans, proximativement ?
MADAME MICHU, à part. Mon Dieu !
MICHU, de même. Dix-sept ans ! Ils s'appuient l'un sur l'autre en défaillant.
BAGNOLET. Eh ! bien ! quoi t'est-ce qui leur prend ?... R'pondez, voyons !
TOUS LES DEUX, d'une voix éteinte. Oui !...
BAGNOLET. Alors, que c'est bien à vous qu'une nuit on a apporté une petite fille qui venait de voir le jour ?...
MADAME MICHU, ahurie. Une petite fille ?
MICHU, même jeu. Une petite fille !...
BAGNOLET, impatienté. Oui !... une petite fille, du sexe féminin... N'avez pas l'air de comprendre... Il me semble que je ne vous parle pas chinois !...
MADAME MICHU, à part. Patatras ! La voilà, la tuile !
MICHU, de même. C'est le moment de rentrer sous terre ! Ils s'affalent sur le banc en s'éventant avec leurs mouchoirs.
BAGNOLET. Qu'est-ce qu'ils ont ?... Ils se pâment... Pas de ces manières-là !... Voulez-vous r'pondre oui-z-ou-non ?...
MADAME MICHU, avec un souffle. Oui !...
MICHU, de même. Oui !...
BAGNOLET. Pour lors, que c'est la fille de mon général.
MADAME MICHU, se levant vivement, à part. Un général ! quel espoir !...
MICHU, de même. Un général !... Sauvés !...
TOUS LES DEUX, à Bagnolet avec triomphe. Ce n'était pas un général !...
BAGNOLET. Possible... Paraît que, dans le temps, il n'était que marquis... le marquis des Ifs...
TOUS LES DEUX, désolés, à part. C'était bien lui !...
BAGNOLET, comme s'il récitait une leçon. Même que, pour échapper à la révolution, il avait été obligé de s'expatrier dans les pays étrangers, laissant au château sa femme qui était dans une situation pleine d'intérêt, rapport à la petite dont est-ce qu'il s'agit... Vous me suivez bien ?...
TOUS LES DEUX. Oui... oui...
BAGNOLET, reprenant sur le même ton. Ensuite de ça, le château ayant été envahi par une bande de révolutionnaires, la générale — qui n'était pas la générale, vu que le général n'était pas général — la marquise, enfin, qui venait de donner le jour à un rejeton du sexe en question, en mourut de saisissement le soir même... Vous me suivez toujours ?
TOUS LES DEUX. Oui... oui...
BAGNOLET, reprenant sur le même ton. Alors, qu'on porta l'enfant chez vous, — vu que vous veniez d'en avoir un le même jour — avec un bout de lettre vous expliquant la chose, et une somme d'argent en conséquence, comme qui dirait pour les mois de nourrice... C'est-il toujours exact ?
MADAME MICHU. Que trop !...
BAGNOLET, même jeu. Pour lors, quand le marquis rentra en France, — le marquis qui n'était plus le marquis, attendu qu'il était devenu le général — vous aviez disparu avec la petite, si bien que ce n'est qu'il y a deux mois seulement, au siège de Saragosse, que le général apprit par une note de police que vous étiez établis aux Halles en face la Pointe Saint-Eustache... Alors, dès notre arrivée à Paris, ce matin, mon général m'a dit : « Bagnolet » — Bagnolet, c'est mon nom, — « tu vas aller lico aux Halles... » J'y suis t'été, on m'a renvoyé ici et voilà !... (Après avoir soufflé.) Pour lors, que vous allez me remettre la demoiselle...
MICHU. Oh !...
MADAME MICHU. Mais c'est impossible !...
BAGNOLET. Impossible !... A cause ?...
MADAME MICHU. A cause... A cause qu'elles sont deux !...
MICHU, insistant et montrant ses deux doigts. Deux !...
BAGNOLET. Deux !... J'ai bien entendu !... Je ne vous en demande pas deux !... Ne compliquez pas !... Je ne vous en demande qu'une.
MICHU. Mais on vous dit...
BAGNOLET. Pas d'observation !... donnez-moi la demoiselle...
MADAME MICHU. Mais puisque nous ne savons pas laquelle !...
BAGNOLET. Comment ça, vous ne savez pas laquelle ?... Mon général n'en a pas trente-six, nom de nom ! Il n'en a qu'une... (Montrant son doigt.) Une !... Et c'est celle-là que je viens chercher... il me semble que c'est clair, pourtant...
MADAME MICHU. Mais non !... Nous les avons mêlées !
BAGNOLET. Mêlées !... quoi t'est-ce que vous me chantez ?
MICHU, s'expliquant. Oui, mêlées... mélangées, si vous aimez mieux... Dans un bain...
BAGNOLET. Un bain ! Qu'est-ce que c'est que ça, un bain ?
MICHU. Quelle brute !...
MADAME MICHU, avec douceur. Voyons, mon ami, tâchez de me comprendre. Il y en a une qui est a nous...
BAGNOLET. Eh bien !... Je ne vous la demande pas, celle-là... Vous pouvez la garder... Donnez-moi l'autre !...
MADAME MICHU, y renonçant. Oh !... (Criant.) C'est la même !...
MICHU. La même !...
BAGNOLET, qui se prend la tête à deux mains. Ah ! ça ! Vous vous fichez de moi !... Écoutez !... Vous allez venir avec moi chez le général et vous expliquerez votre affaire...
MADAME MICHU. Au fait, ce sera plus simple...
MICHU. Oui...
BAGNOLET. Seulement, je vous engage à filer droit... Il n'est pas commode, mon général... C'est de la poudre, du salpêtre !... Pif ! Paf ! V'lan !...
MICHU. J'en tremble d'avance !
BAGNOLET. Allons ! appelez vos deux jeunes personnes, puisque vous tenez absolument à lui en donner deux... Vous êtes d'un entêtement !...
MICHU. Mais...
BAGNOLET. Pas d'observation !... Et appelez-les !...
MADAME MICHU. Tout de suite !... Ah ! je sens que ma tête éclate !... Elle va au tambour et exécute un roulement.
BAGNOLET, joyeux. Colonne en avant ! Arrche !...
SCÈNE XIV LES MÊMES, MADEMOISELLE HERPIN, MARIE-BLANCHE, BLANCHE-MARIE, LES PENSIONNAIRES, puis ARISTIDE.
MADEMOISELLE HERPIN, paraissant la première. Je viens d'entendre un roulement !
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Que veut dire ce roulement ?
LES PENSIONNAIRES. Que veut dire ce roulement ?
BAGNOLET. Ce roulement, Rataplan ! Veut dire qu'a l'instant, Rataplan ! Il faut partir incontinent ! Rataplan ! Rataplan ! Tambour battant, Voici l'heure et le moment !
MADAME MICHU, à mademoiselle Herpin. Hélas ! mademoiselle, C'est une heure cruelle, Un fâcheux contre-temps. Nous emmenons nos deux enfants !
MADEMOISELLE HERPIN. Est-il possible !
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. O joie immense !
LES PENSIONNAIRES. Ont-elles de la chance !
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Quel bonheur ! Plus de pension ! Tous les jours récréation ! Plus de grammaire ! Plus de prison ! La bonne affaire ! Ah ! que c'est bon ! On pourra faire Sa volonté, Et se distraire En liberté !
LES PENSIONNAIRES. Plus de grammaire, Plus de prison ! Etc.
ARISTIDE, revenant. Mon parrain, me voici...
MADAME MICHU. Retourne à la boutique. Nous ne rentrerons que plus tard.
ARISTIDE. Mais...
MICHU, le renvoyant. Allons ! File sans retard. Il faut quelqu'un pour la pratique.
BAGNOLET. Et nous, en route promptement !
MADAME MICHU et MICHU, à part. Mon Dieu, qu'est-ce qui nous attend ?
CHŒUR GÉNÉRAL. Tambour battant Rataplan ! [ Nous partons à l’instant ! [ Partez vite à l'instant ! Rataplan ! Allons ! en route incontinent ! Rataplan ! Rataplan ! Voici l'heure et le moment ! Les pensionnaires se sont rangées au fond avec mademoiselle Herpin et font le salut militaire. Michu et madame Michu sortent par le fond, à droite, suivis de Marie‑Blanche et de Blanche-Marie. Bagnolet sort le dernier. Rideau.
|
l'Acte II lors de la création
ACTE DEUXIÈME
Chez le général des Ifs. Grand salon ouvrant au fond par trois larges baies sur une galerie. Portes à droite et à gauche.
SCÈNE PREMIÈRE LE GÉNÉRAL, DES DAMES, OFFICIERS de différentes armes, INVITÉS CIVILS.
Au lever du rideau, un punch flambe sur une table au milieu du salon. — Les invités, le verre en main, entourent le général. — Des domestiques en livrée offrent des sorbets aux dames.
CHŒUR. A la santé du général ! Que l'on vide gaîment son verre ! Fêtons ce guerrier martial ! Fêtons ce brave militaire ! A la santé du général !
LE GÉNÉRAL. Merci, messieurs ! Merci, mesdames ! Pour moi, ce jour est un beau jour ! Mon cœur flambe de plus de flammes Que ce punch fêtant mon retour.
REPRISE A la santé du général !... Etc.
LES DAMES, entourant le Général. Mon général, une prière ; Vous seriez mille fois gentil De faire ici le récit De votre campagne dernière !
LE GÉNÉRAL. Morbleu ! Je n'ai pas l'habitude Au sexe de refuser rien ! Donc, mesdames, écoutez bien, Et vous, messieurs, car ce fut rude !
Non ! Je n'ai jamais vu ça ! Depuis que je roul' ma bosse ! Mill' z' yeux ! Il m'en souviendra. Du siège de Saragosse !
Dans ma carrièr' de soldat. J'ai, que le diable m'emporte ! A l'assaut, avec éclat Enlevé plus d'un’ plac' forte, Mais un sièg' comm' celui-là On en trouv' peu dans l'histoire : Il faut avoir été là Et l'avoir vu pour le croire ! Ah ! les satanés démons ! Ils ne boudaient pas l'ouvrage. C'est en vain que nos canons Les mitraillaient avec rage ! A chaque instant, branle-bas, Embuscades, escarmouches, Vrai Dieu ! l'on ne flânait pas, Nous tombions comme des mouches !
De plus, on s' nourrissait mal, Rien à s' mettr' sous les quenottes ; J'ai mangé trois fois mon ch'val, J'ai failli manger mes bottes !... Bref, la ville fut à nous : Mais je vous le dis, mesdames ; Quel fier exemple pour vous, Ainsi que pour tout's les femmes !
Y en a peu d' capabl's vraiment. D'une lutte aussi féroce, Qui tiendraient contre un amant Aussi longtemps qu' Saragosse !
MADAME DU TERTRE. Vous nous calomniez, général.
MADAME DE SAINT-PHAR. Il m'est arrivé de résister six mois !...
MADAME D'ALBERT. Et moi, trois mois !...
MADAME ROUSSELIN. Et moi six semaines !...
LE GÉNÉRAL. C'est qu'ils ne savaient pas faire donner la garde... Moi... je vous aurais prises...
MADAME ROUSSELIN. Par la famine ?
LE GÉNÉRAL. Non, par la taille. — Mais, ce que j'oublie de vous dire, c'est qu'a un certain moment ? j'ai bien failli y passer, nom de d'là ! Pendant une sortie de ces enragés Espagnols, comme je m'étais trouvé emporté un peu loin par mon cheval ? mon quatrième !... je me suis vu enveloppé, serré, par des gaillards qui n'avaient pas positivement l'intention de me porter en triomphe... Quand ? tout à coup, un brave garçon, le lieutenant Rigaud, aujourd'hui capitaine, accourt à la tête d'une vingtaine de lapins de sa trempe... J'étais sauvé !... Ah ! c'est de bon cœur que je me suis mis à crier...
SCÈNE II LES MÊMES, GASTON
GASTON, paraissant au fond. Vive la France !
LE GÉNÉRAL. C'est lui ! Le voilà !... Mesdames, messieurs, je vous présente le capitaine Gaston Rigaud, mon sauveur, mon ami, et bientôt mon gendre...
TOUS, l'entourant. Capitaine !...
MADAME DU TERTRE, bas. Il est charmant !
MADAME DE SAINT-PHAR. Avec lui, la Garde serait du superflu.
MADAME D'ALBERT. Un simple petit engagement...
MADAME ROUSSELIN. Et l'on rendrait les armes !...
LE GÉNÉRAL. Maintenant, je vous demanderai la permission de consacrer quelques moments à mes devoirs de famille... Si vous voulez faire un tour dans les jardins en attendant la réception qui aura lieu tantôt à l'occasion des fiançailles de ma fille... J'aurai l'honneur de vous présenter mademoiselle Irène des Ifs. Sortie des invités. — Les domestiques emportent la table chargée de verres.
SCÈNE III LE GÉNÉRAL, GASTON.
LE GÉNÉRAL. Eh bien, capitaine ? Pressé, hein ?
GASTON. Oh ! mon général...
LE GÉNÉRAL. Si, si !... pressé !... Ne vous en défendez pas ! Désireux de connaître votre fiancée, de l'épouser, de l'emmener, de... Je comprends ça... A votre âge, j'étais un volcan !... Sans compter que ces sacrées femmes espagnoles ont mis nos températures à une rude épreuve... des sauvages, dont on ne peut pas chatouiller les jambes sans se piquer à des poignards et dont les corsets sont des arsenaux !... C'était dur pour les Français habitués à entremêler les roses et les myrrhes de Vénus aux lauriers de Mars !... Enfin, bientôt, vous allez être casé.
GASTON Est-ce que mademoiselle des Ifs ?...
LE GÉNÉRAL. Je l'attends avec Bagnolet... Cet animal-là n'en finit pas !... Je l'attends !... fameuse émotion pour un père !... Une fillette que je n'ai jamais vue...
GASTON. C'est vrai !
LE GÉNÉRAL. Je vous ai raconté... Obligé de filer en 92, avant sa naissance... Coblentz, la Suisse, l'Angleterre, est-ce que je sais !... Mais ça ne m'allait pas, l'émigration !... Rester là, les bras croisés, en compagnie d'un tas de clampins, pendant qu'on se battait de tous les côtés, crebleu ! M'en fiche, moi, des titres et des parchemins... Rentré en France pour offrir mon épée à mon pays... Dix-sept ans de campagnes et de batailles... Tonnerre ! C'est la vie, ça !... Pas le temps de songer aux douceurs de la paternité... Enfin, n'importe !... Vous pouvez être tranquille... Quand un des Ifs se mêle de quelque chose, ce qu'il fait est bien fait. Je suis sûr que c'est une gaillarde dont vous me ferez le compliment... La mère était une créature exquise !... C'est égal, ça me remue tout de même, l'idée que tout à l'heure... Satané Bagnolet. qui n'arrive pas !... S'il n'est pas ici dans dix minutes, le flanque à la salle de police !...
GASTON. Reste à savoir si j'aurai le don de plaire à la fille de mon général...
LE GÉNÉRAL. Hein ? Quoi ? Le don de plaire ? Qu'est-ce que vous me fichez là ? Il ferait beau voir qu'après ne pas avoir veillé sur elle pendant dix-sept ans, le premier soin de ma fille fût de me contredire !... Le don de plaire, vous !... D'abord, vous me plaisez, ça suffit... Le devoir de la fille d'un soldat est l'obéissance... Obéissance passive ! Je ne connais que ça ! (Changement de ton.) A propos, ce matin, j'ai vu l'Empereur !...
GASTON. L'Empereur !
LE GÉNÉRAL. Je lui ai dit : « Sire, je marie ma fille au capitaine Rigaud. » — Il m'a répondu : « Parfait ! La France a besoin d'enfants. » Et il a ajouté : « Je signerai au contrat. »
GASTON. Sa Majesté me ferait cet honneur ?
LE GÉNÉRAL. Elle vous le fera... A moi aussi !... Seulement, il s'agira de reconnaître ça... Dans neuf mois, je compte sur un petit-fils... au moins !... Vous entendez, capitaine ? Service commandé.
GASTON. On fera son possible, mon général...
LE GÉNÉRAL, lui frappant sur l'épaule. A la bonne heure !... Vous êtes un brave, vous ! Vous avez prouvé que vous ne boudiez pas au feu... (Tirant sa montre.) Satané Bagnolet ! Je commence à piaffer !... capitaine !...
GASTON. Mon général ?
LE GÉNÉRAL. Au train où va ce clampin-là, vous avez le temps de courir jusqu'aux Tuileries pour remercier Sa Majesté !... Moi, je vais retrouver mes invités... (Ouvrant une porte à droite, premier plan.) Passez devant !...
GASTON, s'excusant. Oh ! mon général !
LE GÉNÉRAL. Je vous dis de passer devant !... Comme capitaine, vous devez me suivre à cinq pas, mais, comme gendre, votre distance n'a pas été prévue par les règlements militaires. (Amicalement.) Allons !... arrche !... (Il le fait passer devant. Sortant derrière lui par la droite, premier plan.) Sacré mille noms de Bagnolet, va ! Le ferai fusiller... au moins !...
SCÈNE IV
BAGNOLET, paraissant au fond. Allons !... Arrivez !...
MICHU, arrivant le premier avec crainte. Nous voilà, militaire... Ne brusquez pas !...
BAGNOLET. Je ne brusque pas je vous dis... arrivez !... (Le poussant en scène.) Arrivez donc !... Vous marchez comme des tortues. (Se tournant vers madame Michu qui paraît à son tour avec Marie-Blanche et Blanche-Marie.) Et vous aussi, la petite mère !...
MADAME MICHU, se rebiffant. Qu'est-ce que c'est ? (Aux deux jeunes filles.) Allons ! venez, mes enfants !... Elles entrent toutes les trois.
MARIE-BLANCHE. Où sommes-nous donc ?...
BLANCHE-MARIE. Oui... Où sommes-nous ?
MADAME MICHU. Vous voyez... Dans un salon...
MICHU. Dans un beau salon, même... C'est rudement installé ici.
BAGNOLET. Asseyez-vous... Je vais aller prévenir mon général que vous êtes là...
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE, surprises. Le général !...
BAGNOLET. Et vous lui raconterez vos histoires à dormir debout... Nous verrons s'il y comprend quelque chose... Vous vous entêtez à compliquer... c'est qu'il n'est pas patient, mon général... de la poudre !...
MICHU, tombant assis. De la poudre !
BAGNOLET. A canon !...
MADAME MICHU, même jeu que Michu. De la poudre à canon !...
BAGNOLET. Vous voilà assis !... Bon ! J'y vas... Il sort par le fond.
SCÈNE V LES MÊMES, moins BAGNOLET.
BLANCHE-MARIE. Qu'est-ce que tout cela veut dire ?
MARIE-BLANCHE. Oui... j'espère que vous allez nous expliquer pourquoi ce départ précipité de la pension, sous la conduite d'un soldat, cette arrivée chez un général dont nous n'avons jamais entendu parler et enfin cet air troublé et ce visage à l'envers !...
MICHU. Je l'ai troublé ?
BLANCHE-MARIE. Oh ! oui, papa !
MADAME MICHU. J'ai le visage à l'envers ?...
MARIE-BLANCHE. Oh ! oui, maman !...
MADAME MICHU, à part. Papa !... maman !... tous les deux !... quand tout à l'heure, peut-être !... (Avec éclat.) Ah ! mes enfants !... Si vous saviez !...
MICHU. Si vous pouviez vous douter !...
MARIE-BLANCHE. Mais c'est justement ce que nous vous demandons.
BLANCHE-MARIE. Parlez, voyons !...
MARIE-BLANCHE. De quoi s'agit-il ?... Vous me faites bouillir !...
MADAME MICHU. Si vous croyez que c'est facile à dire... Enfin, voilà... D'un instant à l'autre, il peut se produire un grand changement dans notre existence à tous les quatre...
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Hein ?
MADAME MICHU, émue, avec des larmes dans la voix. Qu'est-ce que vous diriez si nous étions forcés de nous séparer de l'une de vous deux ?
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE, avec effroi. Nous séparer !...
MICHU, vivement. Nous séparer n'est pas le mot ! Nous quitter pour toujours, seulement...
BLANCHE-MARIE. Ah ! mon Dieu !...
MARIE-BLANCHE. Ce n'est pas vrai, n'est-ce pas ?
MADAME MICHU. Non ! Non ! Nous disions ça...
MICHU. Comme nous aurions dit autre chose.
BLANCHE-MARIE. Eh ! bien, alors, pourquoi pleures-tu ?
MICHU. Je ne pleure pas, je me mouche...
MARIE-BLANCHE. Et toi, maman ?... Tu ne te mouches pas ?
MADAME MICHU. Je ne me mouches pas, je pleure.
MARIE-BLANCHE. Oh ! tout ça n'est pas naturel !... Je veux que vous vous expliquiez !...
BLANCHE-MARIE. Et tout de suite !...
MADAME MICHU, avec effort. Eh bien ! mes enfants, écoutez...
SCÈNE VI LES MÊMES, BAGNOLET.
BAGNOLET, paraissant au fond. J'ai prévenu mon général, il vient tout de suite... le voilà !... Il disparaît dans la galerie.
MADAME MICHU, bas à Michu. Le général !... Et nous ne leur avons encore rien dit !... Il ne faut pas qu'il les voie avant que nous les ayons prévenues !...
MICHU. Où les cacher ?... (Cherchant et avisant la porte de droite.) Ah ! là !
MADAME MICHU, même jeu à gauche. Et là !...
MADAME MICHU, à Blanche-Marie désignant la gauche. Entre là !
BLANCHE-MARIE. Mais pourquoi ?
MADAME MICHU. Je le veux !
MICHU. Il le faut !
BLANCHE-MARIE. Quand vous m'aurez dit pourquoi faire !...
MADAME MICHU. Non ! cela n'est pas ton affaire !
MICHU. Désobéir est un défaut !
MADAME MICHU, à Marie-Blanche, désignant la droite. Entre là !
MARIE-BLANCHE. Mais pourquoi ?
MADAME MICHU. Je le veux !
MICHU. Il le faut !
MARIE-BLANCHE. Mais je veux savoir le mystère !
MADAME MICHU. Obéissez à votre mère !
MICHU. Obéissez sans dire un mot !
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Non ! Non !
MADAME MICHU. Voyez nos alarmes !
MICHU. Songez donc que le général...
MARIE-BLANCHE. Eh bien ! quoi ? ça nous est égal !
BLANCHE-MARIE. Nous nous moquons du général !
MICHU. Vous vous moquez du général !
MADAME MICHU. Malheureuses ! Voyez mes larmes !
MICHU. Il vient ! Il vient ! le général !
MADAME MICHU. Il est violent et brutal !
MICHU. Voulez-vous qu'il nous fasse mal !
MADAME MICHU et MICHU. Il vient ! Il vient, le général !
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Rassurez-vous ! Séchez vos larmes ! Nous entrerons puisqu'il le faut !
MADAME MICHU et MICHU. Entrez vite !
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Entrons vite !
MADAME MICHU et MICHU. Il le faut !
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Il le faut !
ENSEMBLE Sans chercher quel est ce mystère. [ Obéissons à notre mère [ Obéissez à votre mère [ Obéissons sans dire un mot ! [ Obéissez sans dire un mot !
MADAME MICHU et MICHU. Entrez vite !
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Entrons vite !
MADAME MICHU et MICHU. Il le faut !
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Il le faut ! Elles entrent l'une à droite et l'autre à gauche, sous la conduite de M. et Madame Michu.
BAGNOLET, du fond. Voilà mon général !
MADAME MICHU et MICHU, en fermant vivement les portes. Sapristi ! Il était temps !
BAGNOLET, à part. Tiens ! Qu'est-ce qu'ils ont fait des petites ?
SCÈNE VII MADAME MICHU, MICHU, LE GÉNÉRAL et BAGNOLET.
LE GÉNÉRAL. arrivant par le fond, à Bagnolet. Eh bien ! clampin ! Tu as amené ma fille ?...
BAGNOLET. Oui, mon général... C'est-à-dire... V'là les Michu !... C'est eux que ça regarde... (A part.) J'aime autant ne pas être là... Il s'esquive.
LE GÉNÉRAL, descendant en scène. Alors, c'est vous les nourriciers ?
MADAME MICHU. Oui, général. (A part.) C'est vrai qu'il n'a pas l'air commode !
MICHU, de même. J'en ai froid et chaud en même temps.
LE GÉNÉRAL. Allons ! avancez à l'ordre...
MICHU, bas à sa femme. Voilà le moment terrible !... Mes jambes flageolent !
LE GÉNÉRAL, les examinant. Bonnes têtes !... Vous avez l'air de braves gens. Conséquemment, vous avez dû en avoir bien soin... Saurai reconnaître ça... Où est-elle ?
MICHU, faisant semblant de ne pas comprendre. Qui ?
LE GÉNÉRAL. Comment, qui ?... Vous ne vous imaginez pas que je vous parle des Tours Notre-Dame !... Ma fille, crebleu ?...
MICHU. Votre fille ?...
LE GÉNÉRAL. Ah ! ça ! Est-ce que vous êtes sourd ?...
MICHU. Sourd !... Ah ! bien !... J'ai l'oreille d'un fin !... J'entends voler une mouche dans la boutique... Au point que nous avons remercié notre chien de garde !...
LE GÉNÉRAL. Nom d'une sabretache ! Je ne vous demande pas des nouvelles de votre boutique ni de votre chien...
MICHU. Je croyais que ça pouvais vous intéresser...
LE GÉNÉRAL. Mille millions !...
MICHU, vivement. Ne vous fâchez pas !... Elle va très bien...
LE GÉNÉRAL. Parbleu !... Si elle a mon tempérament, elle digérerait des baïonnettes... Mais je vous disais...
MICHU. Oui ! Oui !... J'ai entendu !... (Se retranchant derrière madame Michu.) Réponds, notre femme...
LE GÉNÉRAL. Ah ! c'est votre femme qui a la parole, à présent ?...
MICHU. Oui... Parce que, moi...
LE GÉNÉRAL. Vous ! vous êtes une tourte !... Taisez-vous !... (A madame Michu.) Allez, la mère... (A part.) Crebleu ! Riche créature !... On aimerait à lui chercher son poignard... (Haut.) Vous avez dû être rudement bien, vous !..
MADAME MICHU. Mon général...
LE GÉNÉRAL. Vous l'êtes encore ! Je m'y connais...
MICHU, s’insinuant. Aux Halles, on ne l'appelle que la belle madame Michu.
LE GÉNÉRAL. Silence, l'homme !... Ce n'est plus votre tour de faction ! (A madame Michu.) C'est vous qui donniez le sein ?...
MADAME MICHU. Dame...
MICHU, entre ses dents. C'était pas moi. bien sûr !... Le général le regarde, il se tait.
LE GÉNÉRAL. Lequel ?... Droite ?... Gauche ?...
MADAME MICHU. Tantôt l'un, tantôt l'autre...
MICHU. On en a deux, c'est pour ça...
LE GÉNÉRAL, furieux. Encore vous !... Vous m'agacez à la fin !... Allez-vous en !... Votre femme vous rejoindra tout à l'heure !
MICHU. Quant à ça, je ne demande pas mieux...
LE GÉNÉRAL. C'est bon ! Tournez les talons !
MICHU. Oui, m'sieur le général... (A part.) Quelle chance ! M'en v’là tiré !... Il sort par le fond.
SCÈNE VIII LE GÉNÉRAL, MADAME MICHU.
Là ! nous allons pouvoir causer tranquillement. Est-il assommant, cet animal-là ! vous devez joliment lui en faire porter, hein ?
MADAME MICHU. Par exemple !... Mais non !...
LE GÉNÉRAL. Vous avez tort !... c'est tout ce qu'il mérite... J'aurais été content de le savoir... Enfin !... Maintenant, j'espère que vous allez m'expliquer comment il se fait que ma fille ne soit pas encore dans mes bras...
MADAME MICHU, très gênée, cherchant ses phrases. Mon Dieu ! Je vais vous dire, mon général... Encore un peu de patience... Je n'ai pas voulu comme ça... sans préparation... parce que... La pauvre fille s'attendait si peu !... Il fallait bien lui donner le temps de se remettre... Vous voyez bien que vous-même...
LE GÉNÉRAL. Le fait est... Je le disais tout à l'heure... Rude émotion !... On a beau avoir dix-sept ans de campagne, on sent quelque chose qui vous chatouille dans la poitrine !... Allons ! En attendant, parlez-moi d'elle !... Comment est-elle ?... Brune ? Blonde ?...
MADAME MICHU. Oh !... il y en a qui diraient brune... d'autres qui diraient blonde...
LE GÉNÉRAL. Entre les deux, alors ?
MADAME MICHU. C'est ça ! Entre les deux...
LE GÉNÉRAL. Les yeux ?... Noirs ou bleus ?...
MADAME MICHU. Entre les deux aussi... Il y en a un qui... et l'autre...
LE GÉNÉRAL. Elle louche donc ?
MADAME MICHU, affolée. Non ! Non !
LE GÉNÉRAL. Et le nez ?... Retroussé ? Ou droit ?...
MADAME MICHU. Dame ! un peu de chaque... Il y en a un qui... et l’autre...
LE GÉNÉRAL. Hein ? Elle en a deux ?...
MADAME MICHU. Non ! Non ! Je voulais dire...
LE GÉNÉRAL. Ah ! ça ! Est-ce que vous seriez aussi bête que votre mari ?
MADAME MICHU. Oh ! général...
LE GÉNÉRAL. Ma parole ! Il a déteint sur vous ! Je vois qu'il faut que je me rende compte par moi-même... Allez me la chercher...
MADAME MICHU. Mais...
LE GÉNÉRAL. Allez ! mille millions !
MADAME MICHU, à part. Après tout, il finira bien par ouvrir une porte et en trouver une des deux... C'est le hasard qui décidera... au petit bonheur ! (Haut.) J'y vais, mon général, j'y vais !... Un peu de patience !... (A part.) Allons retrouver Michu !...
SCÈNE IX LE GÉNÉRAL, puis BLANCHE-MARIE, puis BAGNOLET.
LE GÉNÉRAL, seul. Un peu de patience... Il me semble que, depuis une heure, ils ont mis la mienne à une assez rude épreuve !... Je suis sûr que j'en ai la tête qui fume !... A ce moment, la porte de gauche s'ouvre et Blanche-Marie paraît avec précaution.
BLANCHE-MARIE, à part. Je n'entends plus rien. (Apercevant le général.) Ah !
LE GÉNÉRAL, se retournant au bruit et l'apercevant. Ah !
BLANCHE-MARIE, à part. Le général !
LE GÉNÉRAL, de même. Ce costume... C'est ma fille !... Qu'est-ce que me disait donc cette Michu, qu'elle allait la chercher... Elle était là !... J'y suis !... C'est une surprise !... Crebleu !... Un coup de canon à bout portant ne ferait pas plus d'effet !...
BLANCHE-MARIE, timidement. Pardon... Je cherchais...
LE GÉNÉRAL. Les deux Michu ?... C'est moi qui les ai envoyés en bas...
BLANCHE-MARIE. Ah ! alors... je vais...
LE GÉNÉRAL. Inutile... Nous n'avons pas besoin d'eux... Approchez !... (Avec émotion.) Approche...
BLANCHE-MARIE, surprise, à part. Hein ?
LE GÉNÉRAL. Allons !... (Blanche-Marie obéit. — L'arrêtant du geste.) Assez !... Fixe !... (A part.) C'est parfait !... Superbe !... Tout mon portrait !... Rien n'y manque !... (Haut, ouvrant ses bras.) Eh bien ! J'attends !
BLANCHE-MARIE. Quoi donc ?
LE GÉNÉRAL. Elle le demande !... Tu le demandes !... quand nous nous retrouvons au bout de dix-sept ans ! Quand mon cœur bat au point que j'entends sonner mes décorations ?... Quand je t'ouvre mes bras ! Tu ne t'y précipites pas pour embrasser ton père !
BLANCHE-MARIE. Mon père !... Vous !...
LE GÉNÉRAL. Est-ce que par hasard, tu te croyais la fille du Grand Turc ? Tu es ma fille.... Irène des Ifs !...
BLANCHE-MARIE, à part. Je comprends !... Cette séparation... c'était moi ! Ah !... Elle se laisse tomber évanouie dans un fauteuil.
LE GÉNÉRAL. Eh bien !... Elle se trouve mal... Voilà l'effet que je lui produis !... Mille millions !... Je n'avais pas prévu celle-là !... (Appelant.) Holà !... quelqu'un !... Bagnolet !...
BAGNOLET, arrivant par le fond. Mon général !...
LE GÉNÉRAL. Un verre d'eau vite !...
BAGNOLET. Un verre d'eau !... Mon général veut boire de l'eau !...
LE GÉNÉRAL. Mais non, clampin !... Pas pour moi !... Un verre d'eau sucrée avec de la fleur d'oranger !...
BAGNOLET. C'est que, mon général, sais pas comment ça se fait, cette tisane-là, moi !...
LE GÉNÉRAL. Animal !... J'aurai plus tôt fait d'y aller moi-même... Allons ! file devant !
BAGNOLET. Mais, mon général...
LE GÉNÉRAL. Veux-tu filer !... (Il le pousse par le fond et sort derrière lui.) Qui est-ce qui m'a fichu un gaillard qui ne sait pas seulement faire un verre d'eau sucré !...
SCÈNE X
BLANCHE-MARIE, seule. Irène des Ifs, moi !... Qu'est-ce que va dire ma pauvre Marie-Blanche quand elle apprendra ?... Et papa et maman Michu ?... Il faudra donc les quitter ?... Oh ! c'est affreux !... (Prêtant l'oreille avec inquiétude.) Mon Dieu !... Il va revenir !... Je ne veux pas qu'il me voie pleurer... Il ne serait pas content. Rentrons bien vite. Elle rentre à gauche.
SCENE XI MARIE-BLANCHE, puis LE GÉNÉRAL.
La porte de droite s'ouvre et Marie-Blanche passe sa tête.
MARIE-BLANCHE, seule. Je m'ennuie là-dedans ! Personne ! Je puis me risquer... Où sont donc passés papa et maman ? Quelqu'un !... (Voyant paraître le général.) C'est le général !... Elle reste immobile.
LE GÉNÉRAL, revenant par le fond avec un verre d'eau. Voilà le verre d'eau... (Il se dirige vers la gauche. Ne voyant plus Blanche-Marie.) Eh bien ! Ah ! la voici !... Et debout ! A la bonne heure !... M'en a-t-elle fichu, une secousse !... Je ne suis pas habitué à soigner les fillettes qui s'évanouissent, moi !... (Il vide machinalement le verre d'eau.) Pouah !... que c'est fade !... ça manque de rhum !...
MARIE-BLANCHE, à part. Il a l’air bon enfant, le grognard !...
LE GÉNÉRAL. Eh bien ! Ça va mieux ?...
MARIE-BLANCHE, lui tendant la main. Ça ne va pas mal, je vous remercie !... J'avais besoin de circuler, de me dégourdir un peu.
LE GÉNÉRAL. Oui... Excellent, le mouvement !... (A part.) C'est curieux... elle m'avait paru un peu plus... ou un peu moins... et puis, les cheveux... Bah ! c'est sans doute l'émotion... Je suis si troublé... Après dix-sept ans, on le serait à moins !... (Haut.) Approche-toi encore...
MARIE-BLANCHE, à part. Hein ?... Il me tutoie !
LE GÉNÉRAL. Et tiens-toi droite !... au port d'armes !...
MARIE-BLANCHE. Ah !... (Obéissant, à part.) Qu'est-ce qu'il a ?
LE GÉNÉRAL, la contemplant, à part. Il n'y a pas à dire... tout mon portrait... (Haut.) Attends !... Ne bouge pas !...
MARIE-BLANCHE. C'est donc pas fini, l'exercice ?
LE GÉNÉRAL. Non, encore un moment...
MARIE-BLANCHE. C'est que ça me donne des fourmis, de rester en place...
LE GÉNÉRAL, à part. Elle est vive !... Comme moi !... (Haut.) Alors, je ne te fais plus peur ?
MARIE-BLANCHE. Peur, vous !... Au contraire... Vous m'allez... plutôt... Vous avez l'air d'un zig !...
LE GÉNÉRAL, à part. Un zig !... Elle est gaie... Tout mon caractère... (Haut.) Romps, maintenant !
MARIE-BLANCHE. Plaît-il ?
LE GÉNÉRAL. Je te dis romps... tu peux rompre !
MARIE-BLANCHE. Ah ! bien !... Vous avez une façon de vous exprimer !...
LE GÉNÉRAL. Écoute... Tu viens de m'appeler zig... ça me va !... J'aime cette rondeur militaire... Seulement, tu me dis : vous et ça me déplaît... je veux que tu me dises tu... C'est plus affectueux... Puisque tu es ma fille...
MARIE-BLANCHE, avec éclat. Votre fille !...
LE GÉNÉRAL, à part. Elle manque de mémoire ! (Haut.) Mais certainement, voyons !... Irène des Ifs !...
MARIE-BLANCHE, à part. Irène des Ifs !... Je comprends !... Ah ! maman Michu !... Elle se laisse tomber évanouie dans un fauteuil à droite.
LE GÉNÉRAL. Hein ? Encore !... Curieux ! Cette enfant-là !... Se trouve mal chaque fois que je lui dis que je suis son père !... Vite ! le verre d'eau !... Ah ! Je l'ai bu !... Courons en chercher un autre !... Il sort par le fond.
SCÈNE XII MARIE-BLANCHE, puis BLANCHE-MARIE.
MARIE-BLANCHE. Mon Dieu ! Qu'est-ce que je viens d'apprendre ?... Comment annoncer ça à ma pauvre Blanche-Marie ?... (Voyant la porte qui s'ouvre et Blanche-Marie qui paraît.) Ah ! Blanche-Marie !
BLANCHE-MARIE. Ah ! Marie-Blanche !...
MARIE-BLANCHE. Si tu savais !...
BLANCHE-MARIE. Je sais tout !...
MARIE-BLANCHE. Ah ! Quel malheur !
BLANCHE-MARIE. Ah ! Quel malheur !
MARIE-BLANCHE. J'en demeure tout étourdie !
BLANCHE-MARIE. Marie-Blanche !
MARIE-BLANCHE. Blanche-Marie !
TOUTES LES DEUX. Je ne suis plus ta sœur !...
I
BLANCHE-MARIE. Le voilà connu, le mystère Qui planait sur l'une de nous !
MARIE-BLANCHE. Le secret qu'ils voulaient nous taire, Et dont ils étaient si jaloux !
BLANCHE-MARIE. Le secret dont le sort barbare Nous réservait le triste émoi !
MARIE-BLANCHE. Bref, le secret qui nous sépare, Qui fait que toi, ce n'est plus moi !
ENSEMBLE. Quel malheur ! Quel malheur ! Je ne suis plus ta sœur !
II
BLANCHE-MARIE. Mais moi je t'aimerai quand même, Malgré ce qui peut advenir !
MARIE-BLANCHE. Si tu m'aimes comme je t'aime, Que nous importe l'avenir ?
BLANCHE-MARIE. Fille du peuple ou grande dame, On peut s'aimer comme autrefois.
MARIE-BLANCHE. Qu'on soit Jeanneton ou madame, On est toujours du même bois !...
REPRISE. Ah ! Quel malheur ! Etc. A la fin, elles se jettent dans les bras l'une de l'autre. Le général paraît au fond.
SCÈNE XIII LES MÊMES, LE GÉNÉRAL, puis BAGNOLET, puis MADAME MICHU et MICHU.
Hein ?... Elles sont deux à présent !... Est-ce que j'ai la berlue ! Tentons une expérience... Irène, dans mes bras.
BLANCHE-MARIE et MARIE-BLANCHE. Voilà... (Surprises.) Comment ! toi aussi ?
LE GÉNÉRAL. Ça y est !... Elles sont deux !... Je suis pourtant bien sûr que la marquise et moi... Qu'est-ce que ça veut dire ?... Bagnolet !...
BAGNOLET, paraissant. Il tient un verre d'eau sur un plateau. Mon général...
LE GÉNÉRAL. Pourquoi en as-tu amené deux ?
BAGNOLET. Ce n'est pas moi, mon général... C'est les Michu... Tiennent absolument à compliquer, ces gens-là... Mais je vais les appeler, pour qu'ils s'expliquent. (Allant au fond.) Ohé ! les Michu !... Avancez à l'ordre...
MICHU, paraissant le premier. C'est-il que vous nous appelez ?
LE GÉNÉRAL. Oui !... Arrivez ici !...
MADAME MICHU. ...Voilà, général... (Apercevant les deux jeunes filles, bas à Michu.) Ah ! il les a vues toutes les deux !
MICHU. C'est du guignon ! Tout est à recommencer...
LE GÉNÉRAL. Ah ! ça ! Vous fichez de moi les Michu !... Quelle est ma fille de ces deux-là ?...
MADAME MICHU. Choisissez !...
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Hein ?
LE GÉNÉRAL Comment ! Que je choisisse ?... Est-ce que je sais, moi ?...
MADAME MICHU. Nous non plus !
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Oh !...
LE GÉNÉRAL. Qu'est-ce que vous me chantez ?
MADAME MICHU. La vérité, général...
MICHU. C'est rapport au bain...
BAGNOLET, haussant les épaules. Le bain ! Encore !...
LE GÉNÉRAL. Au bain ! Quel bain ?... A propos de quoi me parlez‑vous de bain ?
MADAME MICHU. Eh bien ! Justement... A propos de ça...
MICHU, allant à lui. Une supposition qu'on nous mette tous les deux dans le même bain, vous et moi, moi-z-et vous ?
LE GÉNÉRAL, froissé. Vous dites ?
BAGNOLET. Il en a un toupet.
MICHU. Une supposition !... En sortant de là, on nous distinguerait parfaitement, pas vrai ?
LE GÉNÉRAL, goguenard. Il me semble !... Un clampin de votre espèce !...
MICHU. Oui... Mais deux enfants... deux tout petits enfants...
MADAME MICHU. Deux chérubins d'amour qui tiendraient dans le creux de la main... Allez donc vous y reconnaître !...
MICHU. Ah ! Parbleu!... Si ça avait été un garçon et une fille !...
LE GÉNÉRAL. Tonnerre !... Vous avez confondu ma fille avec la vôtre !...
MICHU. Vous y êtes, en plein !...
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Mon Dieu !
BAGNOLET. Ah ! je comprends la manigance !...
LE GÉNÉRAL. Nous allons bien voir !... (Aux deux jeunes filles.) Déshabillez-vous !...
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Oh !
LE GÉNÉRAL. C'est-à-dire non !... Ne sais plus ce que je dis ! Me croyais au recrutement !... (Aux Michu.) Mille millions !... Ainsi, par votre stupidité, me voilà exposé à n'avoir plus de fille du tout, ou à prendre pour la mienne celle d'un rustre, d'un manant, d'un malotru !... Et l'empereur qui doit signer au contrat !... Ne peux pas lui raconter une histoire pareille !... Se ficherait de moi, le grand homme !... Arrangez-vous comme vous pourrez, mais ça ne peut pas se passer comme ça !
Couplets
I Me prenez-vous pour un conscrit, Mille millions de sabretache ! Ai-je donc l'air si déconfit, Ai-je l'aspect d'une ganache ? Ai-je la mine d'un lourdaud, D'un imbécile, d'une bête, D'un benêt, d'un âne, d'un sot, Pour qu'on se paie ainsi ma tête ?
Que ma fille ait les cheveux blonds, Ou bruns, ou bleus, ou verts, ou roux, Qu'elle ait les yeux carrés ou ronds, Le nez en haut, le nez en d'ssous, Je m'en fiche autant que de vous ! Mais, ce que j'sais de positif, C'est que je n'ai pas fait une If Pour qu'elle reste dans la lune Et, des deux que j'aperçois là, Il m'en faut une, Ou, sans cela, De vous et de vot' fourniment, J'en fais d’ la soup' pour l' régiment !...
II J'aurais crevé plus d'un cheval Afin de contenter ma flamme, Je me serais donné le mal D'offrir un enfant à ma femme, Pour qu'un matin, un polisson, De son devoir faisant litière, Mêle l'avoine avec le son, La paysanne et l'héritière !...
Que ma fille ait tous les appas, Qu'elle soit laide à faire peur, Qu'elle ait les jambes en compas, Qu'elle ait la barbe d'un sapeur, Tout ça ne me regarde pas. Ce que je sais de positif, C'est que je n'ai pas fait une If Pour qu'elle reste dans la lune, Et, des deux que j'aperçois là, Il m'en faut une, Ou sans cela, De vous et de vot' fourniment, J'en fais d’ la soup' pour l’ régiment !... (Parlé) Je vous donne une demi-heure pour dénouer la chose. Et si, dans une demi-heure, vous ne m'en avez pas désigné une, la vraie... gare au rata !... Je vous apprendrai, moi, à confondre les matricules !... Il sort furieux, par le fond.
BAGNOLET. Vous avez entendu ?... Gare au rata ! Ça n'rata, ça n'ratera pas !... Il sort derrière le général.
SCÈNE XIV LES MÊMES, moins LE GÉNÉRAL et BAGNOLET.
MADAME MICHU. Comme il y va !... Lui donner l'une de nos enfants au hasard !...
MICHU. Sans savoir si ça ne serait pas justement la nôtre...
MADAME MICHU. Ah ! mais non !... C'est que je ne veux pas les quitter moi, mes deux petites Michu !
BLANCHE-MARIE. Et nous non plus, nous ne voulons pas être séparées de vous... N'est-ce pas, Marie-Blanche ?
MARIE-BLANCHE. Je te crois !... Ah ! il ne serait pas blanc, le général, s'il s'avisait de s'en prendre à moi !... Mille millions ! Je te le mettrais à l'alignement... Et ferme !...
MADAME MICHU. A la bonne heure !... Mais qu'est-ce que nous allons faire ?
MICHU. Le temps presse...
MARIE-BLANCHE. C'est bien simple... Il faut filer tous les quatre et nous réfugier à l'Étranger... du côté de Saint-Mandé !...
MADAME MICHU et MICHU. Parfait !
BLANCHE-MARIE. Oui !... Partons vite !...
MADAME MICHU. Non ! pas ensemble... Votre costume attirerait l'attention et on n'aurait qu'à vous empêcher de sortir... Je vais courir à la maison vous chercher des manteaux et prendre de l'argent... (A Michu.) Toi, tu vas te procurer une voiture... Allons ! vite !... (Aux jeunes filles.) Attendez-nous ici... Elle entraîne Michu par le fond.
MICHU. Eh bien ! Et la boutique ?
MADAME MICHU. Bah !... Fermée pour cause de déménagement !... Ils sortent vivement.
SCÈNE XV MARIE-BLANCHE, BLANCHE-MARIE.
MARIE-BLANCHE. Ah ! ça fait du bien, d'avoir pris une résolution virile !...
BLANCHE-MARIE. Oui, mais je pense à une chose…
MARIE-BLANCHE. Laquelle ?
BLANCHE-MARIE. Il y en a une de nous deux tout de même qui est la fille du général... Il y en a une qui va abandonner son père... Et c'est peut-être mal...
MARIE-BLANCHE. Heureusement que nous ne savons pas laquelle c'est... Alors, la responsabilité est moins grande...
BLANCHE-MARIE. C'est égal !... Je n'ai pas la conscience rassurée.
MARIE-BLANCHE. Ah ! mon Dieu !... Eh bien ! écoute... Pour nous mettre en règle avec ta conscience, si nous évoquions le bon saint Nicolas, le protecteur de tous les enfants !...
BLANCHE-MARIE. Tu as raison !... Invoquons-le...
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Saint-Nicolas, qui faites tant de choses, Qui nous donnez le pain de chaque jour, A qui l'on doit le soleil et les roses, Qui nous comblez de grâces et d'amour,
Saint-Nicolas, s'il faut que, d'aventure, L'une de nous prenne un nouvel emploi, Saint-Nicolas, ah ! je vous en conjure, Saint-Nicolas, que ce ne soit pas moi !
MARIE-BLANCHE. Eh bien !... Es-tu plus tranquille ?...
BLANCHE-MARIE. Un peu !...
MARIE-BLANCHE. Maintenant, papa et maman Michu peuvent revenir. (Elle remonte au fond avec un cri.) Ah ! Qui est-ce qui arrive là ?... En voilà une surprise !...
BLANCHE-MARIE. Le capitaine de ce matin !...
MARIE-BLANCHE. Le capitaine Gaston Rigaud !... Silence, mon cœur !...
BLANCHE-MARIE. Ah ! ça me fait quelque chose !
SCÈNE XVI LES MÊMES, GASTON.
GASTON, entrant. Est-il possible !... Les petites Michu !...
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Nous-mêmes !
GASTON. Par quel hasard ?... Et que faites-vous ici ?...
MARIE-BLANCHE. Nous pourrions vous adresser la même question...
GASTON. Oh ! Moi ma présence est toute naturelle... Je suis chez mon général...
MARIE-BLANCHE. Ah ! le général des Ifs ?...
GASTON. J'ai l'honneur de servir sous ses ordres…
BLANCHE-MARIE. Oh ! alors, je comprends...
GASTON. Et puis, il y a encore une autre raison.
MARIE-BLANCHE, vivement. Laquelle ? (S'excusant.) Oh ! pardon ! Je suis indiscrète !...
GASTON. En aucune façon... Ce n'est pas un mystère, loin de là... Je viens pour être présenté à ma fiancée.
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE, à part. Il va se marier !
MARIE-BLANCHE, à part. C'est vrai... Ce qu'il disait ce matin... Ah ! mon Dieu !... (Haut.) Et le nom de cette fiancée ?...
GASTON. Mademoiselle Irène des Ifs !...
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Ah !
Trio MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE.
GASTON. Elle-même ! Qu'on se le dise !
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Hélas ! ô contre-temps fatal !
GASTON. Mais d'où vient donc votre surprise ?
ENSEMBLE. C'est la fille du général !
GASTON. Plus heureuses que moi, peut-être La connaissez-vous ? Répondez !
MARIE-BLANCHE. Tout juste assez pour nous permettre De vous dire ses qualités.
GASTON. Calmez donc mon impatience, Ici, faites-moi son portrait !
BLANCHE-MARIE. L'une de nous, en conscience, Lui ressemble, mais trait pour trait, Mêmes cheveux, même figure, Même taille, même tournure, Même façon de s'habiller, De sourire, de babiller, A ce point, la chose est bizarre, Que vous-même, je le déclare, Lorsque vous serez son époux, La confondrez encore avec une de nous !
GASTON. A parler franc, un tel aveu m'enchante, Vous me tirez d'un doute périlleux ! Il suffit de vous voir toutes deux. Pour être sûr qu'elle sera charmante... Pardon ! J'abuse en ce moment. Mais le hasard seul est coupable... Son caractère ?...
MARIE-BLANCHE. Il est charmant ! L'une de nous, c'est incroyable, A le même, précisément... Même douceur et modestie. Même entrain dans la repartie. Même amour pour la vérité. Même enjouement, même gaîté : A ce point, la chose est bizarre, Que vous-même, je le déclare, Lorsque vous serez son époux, La confondrez encore avec une de nous !
GASTON. Pareille épouse est donc un bien suprême. Vous me tirez d'un doute périlleux, Il m'a suffi de vous voir toutes deux, Pour être sûr, à présent, que je l'aime !...
(Parlé.) Mais je vous demande pardon... mon général m'attend sans doute... (Saluant.) Mesdemoiselles...
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Capitaine... Sortie de Gaston. La musique continue à l'orchestre.
SCÈNE XVII MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE.
A peine Gaston a-t-il disparu, que Marie-Blanche et Blanche-Marie, sans rien se dire, se dirigent vivement chacune vers un côté de l'avant-scène et reprennent leur prière en cachette l'une de l'autre.
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Saint Nicolas, qui faites tant de choses, Qui nous donnez le pain de chaque jour, A qui l'on doit le soleil et les roses, Qui nous comblez de grâces et d'amour ;
Saint-Nicolas, s'il faut que d'aventure, L'une de nous doive engager sa foi, Saint-Nicolas, oh ! je vous en conjure. Saint-Nicolas, faites que ce soit moi !
MARIE-BLANCHE, d'un ton aigre doux. Qu'est-ce que tu viens de faire, Blanche-Marie ?
BLANCHE-MARIE, de même. La même chose que toi, sans doute ?
MARIE-BLANCHE. Tu as invoqué saint Nicolas !...
BLANCHE-MARIE. Comme tu l'as invoqué toi-même...
MARIE-BLANCHE. Tu aimes donc le capitaine ?
BLANCHE-MARIE. Tu l'aimes bien, toi !...
MARIE-BLANCHE, se montant. Oh ! moi, c'est différent !... C'est le coup de foudre !
BLANCHE-MARIE, même jeu. Et moi, l'étincelle !...
MARIE-BLANCHE. Qu'est-ce qu'il va arriver alors ? Il ne peut pourtant pas nous épouser toutes les deux !
BLANCHE-MARIE. Évidemment ! il faudra bien qu'il se décide à prendre l'une ou l'autre !
MARIE-BLANCHE. Et si ça allait être toi... oh !
BLANCHE-MARIE. Qu'est-ce que tu ferais ?
MARIE-BLANCHE. Je ne sais pas ce que je ferais ! Mais ce que je sais, c'est que je serai bien malheureuse... (Fondant en larmes.) Oh !... oui... bien malheureuse !...
BLANCHE-MARIE, émue. Rassure-toi, petite sœur ! je ne l'aime pas.
MARIE-BLANCHE, avec joie. Bien vrai ?
BLANCHE-MARIE. Bien vrai !... (A part.) Je ne l'aime plus !...
SCÈNE XVIII LES MÊMES, LES MICHU.
MADAME MICHU. Nous voilà !
MICHU. Tout est prêt !...
MARIE-BLANCHE. Papa et maman Michu !... Je les avais oubliés !
BLANCHE-MARIE. Moi, pas !...
MADAME MICHU. En route !...
BLANCHE-MARIE. C'est inutile !... Nous n'avons plus besoin de nous sauver.
MICHU. Comment !...
BLANCHE-MARIE. Marie-Blanche se décide à rester...
MADAME MICHU. Elle nous quitterait pour le général !...
MICHU. Oh !...
BLANCHE-MARIE. Ce n'est pas pour le général.
MADAME MICHU. Pour qui donc ?
MARIE-BLANCHE. Pour...
BLANCHE-MARIE. Allons, dis-le donc ! C'est pour un bel officier qui doit épouser la fille du général !
LES MICHU. La fille du général !...
MARIE-BLANCHE. Mais ça ne m'empêchera pas de vous aimer toujours, allez !
MADAME MICHU. A la bonne heure !... Tu m'ôtes un poids. J'aime mieux que ce soit de l'amour que de l'ingratitude…
MICHU. Moi aussi. (Regardant au fond.) Voilà le porc-épic !...
SCÈNE XIX LES MÊMES, LE GÉNÉRAL.
LE GÉNÉRAL. La demi-heure est écoulée... J'attends...
MARIE-BLANCHE, à part. Allons !... (Courant à lui.) Mon père !...
LE GÉNÉRAL. Le zig !... Ça me va !... Je vais appeler mon futur gendre... Seulement, pas un mot... Je veux voir s'il sera aussi malin que moi et s'il devinera... (Allant au fond et appelant.) Capitaine Rigaud, votre fiancée vous attend !...
SCÈNE XX LES MÊMES, GASTON.
Finale
LE GÉNÉRAL. Capitaine, approchez ! qu'on vous fasse connaître Le trésor qui vous est échu. (Désignant les deux jeunes filles.) Regardez ! dites-nous qui ça peut-il bien être.
GASTON. Eh ! quoi ! Les petites Michu !
LE GÉNÉRAL. Capitaine, il s'agit de vous y reconnaître, L'une est des Ifs, l'autre est Michu : A vous de deviner laquelle ! L'occasion est solennelle ! L'une est des Ifs, l'autre est Michu : Surtout pas de malentendu !
ENSEMBLE. L'une est des Ifs, l'autre est Michu : [ A vous de deviner laquelle ! [ Mais comment deviner laquelle ! L'occasion est solennelle ! L'une est des Ifs, l'autre est Michu : [ Surtout pas de malentendu ! [ Mais je crains un malentendu !
LE GÉNÉRAL. Je n'admets pas qu'un soldat tergiverse ! Interrogez votre cœur Et tâchez que résolument s'exerce Votre flair de connaisseur !
GASTON. Mon général, l'épreuve est bien embarrassante Et je dois m'avouer inhabile à ce jeu. Car Salomon lui-même y perdrait son hébreu, S'il devait décider laquelle est plus charmante !
REPRISE. L'une est des Ifs, l'autre est Michu... Etc.
LE GÉNÉRAL. Allons ! voyons !...
MARIE-BLANCHE, à part. Je suis émue !
LE GÉNÉRAL, à Gaston qui les regarde, l'une après l'autre. Eh bien ?
GASTON, hésitant. Eh bien ?
LE GÉNÉRAL. Eh bien ?
GASTON. Eh bien ? Mon général, je n'en sais rien !
LE GÉNÉRAL, lui montrant Marie-Blanche qui se tient à quatre pour ne pas s'élancer vers lui, tandis que Blanche-Marie détourne la tête avec tristesse. Pardieu, ça se voit pourtant bien ! Il fait passer Marie-Blanche du côté de Gaston.
GASTON. Quoi ! Marie-Blanche !
LE GÉNÉRAL. Eh ! non ! Irène !
MADAME MICHU. J'en pleure comme une fontaine !
MICHU. Moi j'en ai l'œil tout humecté.
MARIE-BLANCHE. Enfin, mon bonheur se décide ! Mon cœur de joie est transporté !
BLANCHE-MARIE, à part. Allons ! Le sort en est jeté ! Je serai madame Aristide...
SCÈNE XXI LES MÊMES, LES INVITÉS.
LE GÉNÉRAL, qui était remonté au fond, aux Invités qui arrivent. Mesdames, et vous, messieurs, je vous présente Ma fille, mon enfant ! Il prend Marie-Blanche par la main et la présente à tout le monde.
TOUS. Recevez notre compliment. C'est une fille ravissante.
LES DAMES Grâce, beauté, En vérité Elle a tout pour nous plaire ! L'air ingénu, L'aspect ému. D'une pensionnaire, C'est une fleur Dont la fraîcheur Est toute printanière,
MARIE-BLANCHE. Mesdames grand merci. De me juger ainsi !
Couplets
I
N'est-ce pas que j'ai de la branche, Du ton, de la ligne en un mot ; Enfin, quelque chose qui tranche Tout en étant comme il faut ? Bien vite on voit de quelle souche Sort la fillette que voilà Et j'ai le nez, les yeux, la bouche Du général, mon cher papa !...
Se pavanant comme une souveraine Et séduisant les plus rétifs, Sur son passage avec ses airs de reine Elle fait tous les cœurs captifs. Admirez tous, mademoiselle Irène ! Des Ifs !
TOUS. Se pavanant comme une souveraine, Et séduisant les plus rétifs, Sur son passage avec ses airs de reine Elle fait tous les cœurs captifs. Admirez tous, mademoiselle Irène ! Des Ifs !
II
MARIE-BLANCHE, qui a pris un éventail des mains d'une des dames. Certainement, dans le grand monde. J'aurais des succès de salons : Je veux que l'on cite à la ronde Mon nom parmi les plus grands noms ! Je ne suis pas plus mal, je pense, Que toutes les beautés du jour, Et je prétends que l'on m'encense A la ville comme à la cour !...
REPRISE. Se pavanant comme une souveraine, Et séduisant les plus rétifs, Sur son passage avec ses airs de reine Elle fait tous les cœurs captifs. Admirez tous, mademoiselle Irène ! Des Ifs !
Rideau.
|
l'Acte III lors de la création
ACTE TROISIÈME
L'intérieur de la boutique des Michu, à l'enseigne de la Poule aux Œufs d'Or, aux abords des Halles. Au fond, la porte d'entrée, laissant apercevoir une partie de l'Église Saint-Eustache. — A droite, escalier praticable, montant à une galerie également praticable, sur laquelle donnent des chambres. Portes à droite et à gauche. — Comptoir ; étalage de beurre et de fromages, paniers d’œufs, grandes boîtes à lait.
SCÈNE PREMIÈRE CLIENTS, CLIENTES, ARISTIDE, puis MICHU et MADAME MICHU.
Introduction
CHŒUR. A la boutique ! A la boutique ! Allons, patrons, il faut servir, Et satisfaire la pratique, Pour l'engager à revenir ! A la fin du chœur, madame Michu et Michu arrivent de droite, se sont mis à servir avec empressement.
MICHU, servant. Des œufs que l'on nous expédie De la campagne en droit chemin !
MADAME MICHU, de même. Du beurre de la Normandie, Flairez ! mettez l'article en main !
ARISTIDE, de même. Si vous voulez du bon fromage. Prenez celui-ci, mon plus frais ! S'il en est aussi bon, je gage, Du meilleur, il n'en fut jamais !
MADAME MICHU, prenant une grande boîte à lait. Certains possèdent la science Dans un peu d' lait d' mettr' beaucoup d'eau. Nous méprisons en conscience Un moyen aussi peu nouveau. Et, changeant la vieille méthode, A chaque client satisfait, Nous servons, telle est notre mode, Presque pas d'eau dans beaucoup d' lait !...
REPRISE. A la boutique, à la boutique ! Les clients s'en vont l'un après l'autre sur la ritournelle.
SCÈNE II MICHU, MADAME MICHU, ARISTIDE.
MICHU, avisant madame Michu, qui s'est assise soucieuse à droite auprès du comptoir. Eh bien ! Not' femme ?... Qué qu' t'as ? Il s'est installé à gauche et mire des œufs.
MADAME MICHU. C' que j'ai ! Pardi ! Toujours la même chose... J'ai que je n'ai plus qu'une fille et que je ne peux pas m'y faire.
MICHU. Tout ça, c'est des idées !... D'abord, depuis huit jours qu'elle nous a quittés, Marie-Blanche n'a jamais manqué de venir nous embrasser, — et plutôt trois fois qu'une... Elle est plus souvent dans notre boutique que dans celle du général.
MADAME MICHU. Mais ça n'empêche pas qu'elle est mademoiselle des Ifs, à présent !...
MICHU, se levant et allant porter son panier d'œufs au-dessus du comptoir. Pour si peu de temps !... Aujourd'hui même elle va devenir madame Gaston Rigaud...
ARISTIDE. De même que Blanche-Marie va devenir madame Aristide !... Rien que d'y penser, j'en ai des fourmis jusqu'à la pointe des cheveux !...
MICHU, à sa femme. Eh bien ! une fois les deux petites mariées, est-ce que ça ne sera pas pour nous absolument comme s'il ne s'était rien passé et comme si elles n'avaient pas cessé un seul instant d'être nos filles, voyons ?...
MADAME MICHU. C'est ce que je dis... Et malgré ça, tiens, Michu, j'ai comme un vague pressentiment que ce qui est n'est pas ce qui aurait dû être !...
MICHU. Ah ! si tu vas chercher midi à quatorze heures ! Après tout, l'important, c'est que les petites soient heureuses, pas vrai ?
MADAME MICHU, soupirant. Heureuses !...
ARISTIDE. Oh ! pour ce qui est de Blanche-Marie, j'en réponds !... Depuis huit jours elle ne fait que soupirer et elle ne m'a pas regardé une seule fois... Preuve qu'elle en tient !... Seulement, elle n'ose pas, elle se concentre...
MADAME MICHU, entre ses dents. Elle se concentre même trop !... Enfin !... (Tirant sa montre.) Neuf heures !... Il faut penser à notre toilette... C'est à dix heures que nous fermons la boutique pour aller à la mairie...
MICHU. Oui... Rendez-vous général chez les Michu, à l'enseigne de la Poule aux Œufs d'Or. Marie-Blanche a voulu que sa noce partît d'ici, des Halles, où elle a été élevée... C'est gentil, ça !...
MADAME MICHU. Chère Marie-Blanche !
MICHU. Le père des Ifs a d'abord fait le nez !... mais elle a tenu bon et il a été obligé de céder... Tout lui cède, d'abord, à cette gamine-là !...
ARISTIDE. Le fait est qu'elle est rudement d'attaque.
MADAME MICHU. Ce n'est pas comme Blanche-Marie. Un pauvre mouton, celle-là, et qui...
MICHU, voyant paraître Blanche-Made sur la galerie de droite. Chut ! la voici !
ARISTIDE. En robe de mariée !... Comme ça lui va bien !... Voilà mes fourmis qui redoublent.
SCÈNE III LES MÊMES, BLANCHE-MARIE, en costume de mariée.
BLANCHE-MARIE. Bonjour, papa... Bonjour, maman.
MICHU. Bonjour, ma fille.
MADAME MICHU. Est-elle jolie !... Embrasse-moi.
MICHU. Et moi aussi.
ARISTIDE, s'avançant. Et moi ?
BLANCHE-MARIE. Oh ! vous !... Plus tard.
ARISTIDE, à part. Plus tard !... Elle n'ose pas encore... M'aime-t-elle !
MADAME MICHU. Allons vite nous faire beaux à notre tour. (Bas à Michu.) Je sens que si je restais plus longtemps, j'aurais une crise de larmes.
MICHU. Eh bien !... si ça peut te soulager, ouvre le robinet.
MADAME MICHU, se jetant dans ses bras en sanglotant. Ah ! Michu ! Michu !... (Se maîtrisant.) Non ! pas devant elle ! (Changeant de ton.) Viens nous habiller, mon homme !...
MICHU. J' te suis, notre femme !... Ils sortent par la droite, premier plan.
SCÈNE IV BLANCHE-MARIE, ARISTIDE.
ARISTIDE. Eh bien, Blanche-Marie !... Le voilà donc arrivé, le grand jour ?...
BLANCHE-MARIE, distraitement. Le voilà arrivé !
ARISTIDE. Vous êtes contente pas vrai ?
BLANCHE-MARIE. Dame !
ARISTIDE. Je comprends ça !... Je m'explique votre ravissement.
BLANCHE-MARIE. Oh !
ARISTIDE. Mais il ne peut pas être plus grand que le mien... Depuis des mois et des mois que j'attendais après vous...
BLANCHE-MARIE, souriant. Ou après Marie-Blanche...
ARISTIDE, machinalement. Ou après Marie-Blanche... (Se reprenant.) C'est-à-dire...
BLANCHE-MARIE. Vous n'allez pas essayer de le nier !...
ARISTIDE, avec joie. Jalouse !... Elle est jalouse !
BLANCHE-MARIE. Jalouse !... moi !... Oh !
ARISTIDE. Oui !... Oui !... Eh ! bien ! Ça prouve que vous m'aimez...
BLANCHE-MARIE. Vous trouvez ?
ARISTIDE. J'en suis sûr !... Seulement, il ne faut pas m'en vouloir... Si j'hésitais entre vous deux, ça fait votre éloge à l'une et à l'autre... Mais moi, ça me faisait bien souffrir, allez !... Je peux me vanter d'en avoir passé des nuits !... Quelles nuits ! Je ne savais plus où j'en étais !...
Couplets
I Mon cœur tournait, tournait, Le vent de la tempête Sur moi se déchaînait ! Était-ce l'une ou l'autre ? Problème désastreux ! Ah ! pauvres amoureux, Quelle angoisse est la nôtre !...
Enfin, je suis fixé !... Le sort s'est prononcé : Ivresse qui m'enflamme ! Enfin, je suis fixé ! Me voilà fiancé Et je vous ai pour femme : Je suis un fiancé Fixé ! (Parlé.) Ah ! ça vous fait rire !
II Maintenant, je respire L'orage s'est calmé : J'aime et je puis me dire Que moi, je suis aimé ! Je possède, cher ange, Le trésor de ton cœur Et je t'offre, ô bonheur ! Tout le mien en échange !...
Enfin, je suis fixé ! Le sort s'est prononcé : Etc.
BLANCHE-MARIE, à part. Ce pauvre Aristide !... C'est un bon garçon, tout de même !... ça me ferait de la peine de le détromper !...
ARISTIDE, avec câlinerie. Ma petite femme !... Ma chère petite femme ! J'aurais tant voulu un petit baiser... grand comme ça !...
BLANCHE-MARIE. Vous savez bien ce que je vous ai dit : plus tard.
ARISTIDE. Plus tard !... Plus tard !... Pardi ! il y aura autre chose avec... J'y compte bien ! Mais, en attendant... si je vous le demandais à genoux !...
BLANCHE-MARIE. Par exemple !
ARISTIDE. Tenez, m'y voici... Il se jette à genoux devant elle.
BLANCHE-MARIE, grondeuse. Voulez-vous bien vous relever ?...
ARISTIDE. Non !... Tant que vous ne m'aurez pas accordé ce que je vous demande !
BLANCHE-MARIE. Voyons, Aristide !
ARISTIDE, avec force. J'y suis ! J'y reste !
SCÈNE V
MARIE-BLANCHE, paraissant au fond, elle est en robe de mariée enveloppée d'un grand manteau. Eh bien ! A la bonne heure !
BLANCHE-MARIE. Marie-Blanche !
MARIE-BLANCHE. Il me semble que je suis de trop...
BLANCHE-MARIE, l'embrassant. Mais non ! mais non, petite sœur !... Au contraire !...
MARIE-BLANCHE. Comme ça, vous n'avez pas la patience d'attendre monsieur le maire ?
BLANCHE-MARIE. Ce n'est pas moi, c'est Aristide !
ARISTIDE. Dame ! Un pareil jour, on a bien le droit d'être exubérant !...
MARIE-BLANCHE. Ah ! il est exubérant !... lui ? (Le regardant.) Son œil est très exubérant, en effet... (Se retournant vers le fond et appelant.) Fusilier Bagnolet, avancez à l'ordre !
BAGNOLET, paraissant au fond, il est surchargé de paquets et de cartons. Présent !...
BLANCHE-MARIE. Mon Dieu ! que de cartons !... Qu'est-ce que c'est que tout cela ?...
BAGNOLET. Ne m'en parlez pas, mam'zelle !... Des tas de futilités, pour sûr !...
MARIE-BLANCHE, lui prenant les paquets qu'elle va poser à droite. Des futilités !... Nos coiffures et nos bouquets de mariées !... On vous en confiera, monsieur Bagnolet, de la fleur d'oranger !...
BAGNOLET, pendant que Marie-Blanche et Blanche-Marie vérifient le contenu des cartons. Je vous demande un peu si c'est l'affaire d'un militaire !... ça regarde les modistes, ces corvées-là... Ma parole ! Je ne suis plus un soldat, je suis...
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Quoi donc ?
BAGNOLET. Un trottin ! Un simple trottin !... Il ne me manquerait plus qu'un petit bonnet à rubans !... Je suis t' humilié dans ma dignité de guerrier !...
BLANCHE-MARIE, riant. Son désespoir m'émeut.
MARIE-BLANCHE. Sans compter qu'il n'est pas au bout de ses peines.
BAGNOLET, inquiet. Hein ? Quoi ?... Encore une corvée ?
MARIE-BLANCHE, allant à lui. Juste !... Mon pauvre Bagnolet vous avez oublié le carton aux voiles...
BAGNOLET. Les voiles !... Est-ce qu'on ne pourrait pas s'en passer, une fois par hasard ?
MARIE-BLANCHE. S'en passer !... Des mariées sans voiles, ça serait du joli ! Autant vaudrait un voltigeur sans son plumet !... Allons ! fusilier Bagnolet, par file à gauche !
BAGNOLET. C'est bon ! On y va ! (A part.) Si les camarades du régiment me voyaient !... Cantinier, ça n'est déjà pas très chouette... mais cartonnier ! Ah ! nom de nom !... Il sort par le fond.
MARIE-BLANCHE, se retournant et voyant Aristide qui fait mine d'ouvrir un carton. Eh bien, Aristide ? Qu'est-ce que vous faites ?
ARISTIDE. Je voulais voir la coiffure de Blanche-Marie.
BLANCHE-MARIE. Vous la verrez plus tard !... Allez vous habiller... Vous ne serez jamais prêt !...
ARISTIDE. C'est ma foi vrai !... J'y vais, ma petite femme !... (A part.) Comme elle est impatiente !... (Haut.) A tout à l'heure, ma petite femme !... Oh ! les fourmis ! Il entre à gauche.
SCÈNE VI MARIE-BLANCHE, BLANCHE-MARIE.
MARIE-BLANCHE, regardant s'éloigner Aristide, à part. L'exubérance lui va bien, tout de même !... (A Blanche-Marie.) Et maintenant que nous voilà seules, causons, veux-tu ? Elle la prend par la taille et l'emmène à gauche.
BLANCHE-MARIE. Je veux bien...
MARIE-BLANCHE. Causons comme au bon temps. (La faisant asseoir.) Es-tu heureuse ?
BLANCHE-MARIE. Et toi ?
MARIE-BLANCHE, s'asseyant sur une caisse à côté de Blanche-Marie. Oh ! moi !... Oui et non.
BLANCHE-MARIE. Comment ça, oui et non ?
MARIE-BLANCHE. Mon Dieu ! Le capitaine est aimable, empressé, même... Il me plaît toujours beaucoup... Seulement...
BLANCHE-MARIE. Seulement ?
MARIE-BLANCHE. D'abord, je ne m'amuse pas beaucoup à l'hôtel des Ifs. On reçoit des gens à cérémonies. Mademoiselle Irène par ci, mademoiselle des Ifs par là !... Il faut être guindée... Moi, je n'en ai pas l'habitude... et il paraît que ça se voit, car tous le temps ce sont des conseils, des remontrances : « Tiens toi droite ! Ne te dandine pas !... La fille d'un marquis ne doit pas mettre les poings sur les hanches ! » Et patati ! Et patata !... Pour comble, on a suspendu dans ma chambre le portrait de la marquise des Ifs, ma mère pour l'instant... Une belle dame en costume Louis XVI... en me recommandant de la regarder tous les jours au moins pendant une heure et de prendre modèle sur sa distinction... Elle était charmante, la marquise... Mais j'ai beau faire, je sens bien que je ne pourrai jamais lui ressembler... (Se levant et passant à droite.) Ah ! j'étais bien plus à mon aise, chez maman Michu !...
BLANCHE-MARIE. Qu'importe... Pourvu que ton futur mari...
MARIE-BLANCHE. Ah ! oui, mon futur mari !... Comme je te le disais, il est fort aimable... Mais je crains qu'il ne partage un peu trop les opinions de son général.
BLANCHE-MARIE, vivement. Ah !...
MARIE-BLANCHE. Oh ! Il ne dit rien... Seulement, il a une façon de me laisser entendre... sa plus habituelle est de me faire ton éloge et de te citer comme exemple.
BLANCHE-MARIE. Moi ?
MARIE-BLANCHE. Oui... « Voyez comme mademoiselle Blanche-Marie a l'air réfléchi et modeste... Voyez comme elle est distinguée ! » Est-ce que je sais !... (Repassant à gauche.) Ah ! si on voulait être jaloux !...
BLANCHE-MARIE. J'espère bien que tu ne l'es pas !
MARIE-BLANCHE. Ah ! bien ! Il ferait beau voir !... Mais, c'est assez parlé de moi. A ton tour de te confesser... T'es-tu faite un peu à la boutique ?
BLANCHE-MARIE. Pas trop !...
I Vois-tu, je m'en veux à moi-même, Et j'ai grand tort, je le sais bien : Ce métier, il faut que je l'aime. Eh ! bien, cela ne me dit rien ! Pour une âme aussi poétique Ici tout est triste et banal Et c'est en vain que je m'applique : Ce n'est pas là mon idéal !... Ah ! sœurette, Ma sœurette, Combien je regrette La pension ! Ah ! sœurette, Ma sœurette, La pension, Avait du bon !
II Oui, quand j'y pense, ma chérie, Pour nous deux, c'était le bon temps ! Quelquefois on était punie, Ces malheurs-là sont amusants ! Rire, chanter, faire tapage, C'était charmant, en vérité. Ah ! qu'on nous rende notre cage Si l'on nous rend notre gaîté ! Ah ! sœurette, Ma sœurette, Combien je regrette La pension ! Ah ! sœurette, Ma sœurette, La pension, Avait du bon !
MARIE-BLANCHE. Oui, mais chez mademoiselle Herpin, tu n'avais pas Aristide !... Et il t'aime, Aristide ! Je l'ai bien vu, tout à l'heure, à genoux devant toi... Tu l'aimes aussi, n'est-ce pas ?...
BLANCHE-MARIE. Il n'est pas méchant !
MARIE-BLANCHE. Ah ! mais, dis donc !... Tu me parais manquer d'enthousiasme.
BLANCHE-MARIE. Tu en manques bien, toi !
MARIE-BLANCHE. C'est vrai !... Enfin on se fait à tout.
BLANCHE-MARIE. Oui... On se fait à tout…
MARIE-BLANCHE, à part. Oh ! j'en aurai le cœur net.
SCÈNE VII LES MÊMES, DEUX CLIENTES.
PREMIÈRE CLIENTE, entrant. Je voudrais des œufs.
BLANCHE-MARIE. Bien, madame. Elle se dirige vers la droite.
MARIE-BLANCHE. Où vas-tu ?
BLANCHE-MARIE. Voir si maman Michu peut venir.
MARIE-BLANCHE. Tu as besoin de déranger maman Michu pour ça ?
BLANCHE-MARIE. C'est que, chaque fois que je touche un œuf, je le casse.
MARIE-BLANCHE. Laisse-moi faire, veux-tu ? Ça m'amusera... (Retroussant sa robe et ses manches.) Voilà, la bourgeoise... et tous frais pondus... Combien ? Une demi-douzaine !... Allons ! prenez la douzaine pendant que vous y êtes... L'arrivage peut manquer demain... Oui... Enlevez la douzaine d'œufs !... (A Blanche-Marie.) Passe-moi un sac. (Prenant le sac et y mettant les œufs.) Voilà, la bourgeoise... Quinze sous... C'est le dernier cours. (Prenant l'argent et tendant le sac à la cliente qu'elle reconduit jusqu'à la porte.) A une autre fois, madame... (A Blanche-Marie.) Hein ? Qu'en dis-tu ?... On jurerait que je n'ai jamais fait que ça...
BLANCHE-MARIE. Tu as de la chance de prendre les choses aussi gaiement !... Moi, je ne peux pas m'y habituer...
MARIE-BLANCHE. Eh bien ! regarde-moi faire, ça t'apprendra. (Allant à une deuxième cliente qui entre.) Il faut quelque chose, la petite mère ?
DEUXIÈME CLIENTE. Deux sous de Brie...
MARIE-BLANCHE. Du Brie !... Voilà !... Et tout crème !... Je vous enveloppe le morceau, n'est-ce pas ?... Vous ne laisserez pas passer une pareille occasion !... Ça nous fait trois sous... vous voyez que ce n'est pas la peine de s'en priver. (Lui donnant le paquet.) Enlevez ! c'est pesé ! Madame... (A la cliente qui s'en va.) Eh bien ! et mes trois sous !... La cliente s'arrête et la paie, puis sort par le fond, Michu et madame Michu ont paru à gauche depuis un moment, regardant Marie-Blanche avec complaisance.
SCÈNE VIII LES MÊMES, MICHU, MADAME MICHU, puis UNE TROISIÈME CLIENTE.
MICHU. Bravo, Marie-Blanche !
MADAME MICHU. Une vraie fille des Halles !
MARIE-BLANCHE, fièrement. N'est-ce pas ?
MADAME MICHU. Les grandeurs ne l'ont pas changée !
MARIE-BLANCHE. Pour sûr !... Il me semble que j'ai ça dans le sang !...
MICHU, à Blanche-Marie. Ah ! si tu pouvais t'y mettre aussi carrément qu'elle !
BLANCHE-MARIE. Dame ! Je fais ce que je peux.
MICHU, gaiement. Ça viendra, va !... Seulement, il y a des vocations plus ou moins décidées !...
MADAME MICHU. Et la sienne ne l'est pas encore.
MICHU. Mais, bah !... Une fois mariée !...
BLANCHE-MARIE, avec contrainte. C'est ce que je me dis... Une fois mariée...
MADAME MICHU, à part. C'est égal, ça ne sera jamais ça !
MARIE-BLANCHE, qui est allée à une troisième cliente qui est entrée. Du beurre, madame ?... Bretagne ou Normandie ?... Tenez, faites votre choix... Hein ?... Vous dites ?... Ça ne vous plaît pas ?... On ne force personne, madame. Ça sera pour une autre... Nous n'en sommes pas embarrassés !... En voilà une pimbêche !...
BLANCHE-MARIE, la tirant par sa robe. Voyons, Marie-Blanche !
MARIE-BLANCHE. Laisse-moi !... (Sur le seuil de la porte.) Dites donc, madame... Si vous avalez jamais le clocher de Saint-Eustache, prévenez-moi... je n'irais plus à la messe !...
MADAME MICHU, se tordant. Ah ! Ah ! Qu'est ce que tu dis de ça, Michu ?
MICHU. Rudement tapé !... Le général et Gaston ont paru au fond.
MARIE-BLANCHE, à part. Cristi !... Le général et mon futur.
BLANCHE-MARIE. C'est bien fait !
MARIE-BLANCHE. Je suis pincée !
SCÈNE IX LES MÊMES, LE GÉNÉRAL, GASTON.
LE GÉNÉRAL, à Gaston. Qu'est-ce que je vous disais ?... Elle n'en sort pas !... Elle y monte la garde !... Elle y est de planton !... Et elle sert la pratique... Une des Ifs !...
MARIE-BLANCHE, allant à lui. Mais, monsieur mon papa...
LE GÉNÉRAL. Oh ! parbleu, je sais que vous allez me retourner comme un gant !... On ne peut pas lui tenir rigueur, à ce satané démon-là !... Mais enfin, demandez au capitaine ce qu'il en pense... (A Gaston qui, après avoir salué Marie-Blanche, est allé à gauche, du côté de Blanche-Marie.) Voyons, capitaine, qu'est-ce que vous en pensez, de cette tenue sous les armes ?
GASTON. Je pense que mademoiselle risque d'abîmer ses jolis doigts.
MICHU, à sa femme, bas. Oh ! là ! là !
MADAME MICHU, de même. Ses doigts !
LE GÉNÉRAL, à Gaston. Vous vous en tirez par du marivaudage. Caponnez aussi, comme moi !... (A Marie-Blanche.) Crebleu !... Tâche donc d'imiter la réserve de mademoiselle Blanche-Marie, dont ce serait plutôt le rôle...
MARIE-BLANCHE, remontant à gauche. C'est plus fort que moi !...
GASTON, qui s'est approché de Blanche-Marie. Et c'est peut-être trop fort pour vous...
BLANCHE-MARIE, gênée. Oh ! Capitaine !...
MARIE-BLANCHE, qui a entendu, à part. Tiens ! Tiens ! Tiens !...
LE GÉNÉRAL. Et vous, les Michu... La laissez faire ?...
MADAME MICHU. Dame ! Général, elle n'en a plus pour si longtemps !...
LE GÉNÉRAL. En a encore pour une heure. Venons de la mairie… Cérémonie retardée de soixante minutes par suite de recrudescence de la conscription. L'armée avant le conjungo ! En attendant, dépêchez-vous de fermer boutique, pour qu'il ne prenne plus fantaisie à ma fille de servir encore des clients...
MICHU. Tout de suite, mon général. (Appelant.) Aristide !
SCÈNE X LES MÊMES, ARISTIDE, puis MADEMOISELLE HERPIN.
ARISTIDE, arrivant en toilette. Voilà !... Je suis prêt !... (Allant à Blanche-Marie.) Eh bien ! ma petite femme ! Je suis beau, hein ?
BLANCHE-MARIE. Oh ! très beau, monsieur Aristide !...
MARIE-BLANCHE. Comme la toilette lui va bien !...
MICHU, au général et à Gaston. Messieurs, je vous présente Aristide, mon filleul et mon gendre...
ARISTIDE. Messieurs, enchanté...
MICHU. Assez de cérémonies... Aide-moi à mettre les volets...
ARISTIDE. Mais ce n'est pas pour ça que j'ai mis des gants !...
MICHU. Je te permets de les retirer !... Allons ! Allons !... Il l'emmène.
MADEMOISELLE HERPIN, paraissant à la porte. Un instant !... Laissez-moi entrer d'abord.
MADAME MICHU. Ah ! mademoiselle Herpin !
BLANCHE-MARIE et MARIE-BLANCHE, courant à elle. Mademoiselle Herpin !
MADEMOISELLE HERPIN. Bonjour, mes enfants !... (A Gaston.) Bonjour, mon neveu...
GASTON. Bonjour, ma tante. (Au général.) Mon général, mademoiselle Herpin, ma tante...
LE GÉNÉRAL, saluant. Mademoiselle... Je vous connaissais déjà de nom... L'éducation de ma fille... denier rejeton d'une famille de soldats... (Lui tendant la main.) Touchez là !...
MADEMOISELLE HERPIN. Général !...
LE GÉNÉRAL. Contente de marier votre neveu, hein ?... Heureux gaillard !... Une fille qui me ressemble... (La regardant.) Credieu !... (A Gaston, lui faisant signe de s'écarter.) Une seconde !... (A mademoiselle Herpin.) Vous êtes rudement bien, dites donc !...
MADEMOISELLE HERPIN. Général !...
LE GÉNÉRAL. Et ça ne vous gêne pas de rester demoiselle ?
MADEMOISELLE HERPIN. Je suis si occupée !
LE GÉNÉRAL. Moi aussi, credieu !... Plus occupé que vous... Mais ça n'empêche pas que... (Lui poussant le coude.) Vous n'avez pas de poignard, vous ?
MADEMOISELLE HERPIN. Pourquoi ?...
LE GÉNÉRAL. Pour rien... Ne pourriez pas comprendre...
MADEMOISELLE HERPIN, à part. Il est un peu original !...
LE GÉNÉRAL, remontant vers Gaston. Capitaine, je vais à la mairie, voir où ils en sont. Attendez-moi !... Il salue et sort.
MADEMOISELLE HERPIN, à Marie-Blanche et Blanche-Marie. Chères mignonnes !... Sont-elles jolies !... Je vous ai amené quelques-unes de vos anciennes compagnes.
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Quelle bonne idée !
MADEMOISELLE HERPIN, à Madame Michu. Les meilleures élèves !
MADAME MICHU. Où sont-elles ?
MADEMOISELLE HERPIN. A votre porte... En contemplation devant un superbe tambour-major... (Allant à la porte.) Arrivez, mesdemoiselles !...
MICHU, rentrant avec Aristide. Et je vous annonce en même temps une députation des Halles !...
Musique.
SCÈNE XI LES MÊMES, moins LE GÉNÉRAL, CLAIRE, PALMYRE, FRANCINE, IDA, etc., puis MARCHANDS et MARCHANDES DES HALLES.
Morceau d'Ensemble
CHŒUR DES PENSIONNAIRES. Bonjour, mesdam's les mariées ! A votre noce conviées, Nous venons en ce jour heureux Vous offrir nos fleurs et nos vœux. Que dans votre futur ménage Le bonheur règne sans partage ! Et vous, messieurs les deux maris, Soyez toujours doux et gentils, Pour votre pein' vous s'rez fleuris ! Elles mettent des fleurs aux boutonnières de Gaston et d’Aristide.
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Merci, merci, mes toutes belles !
GASTON et ARISTIDE. Merci, merci, mesdemoiselles !
LES MARCHANDES et LES MARCHANDS, arrivant. Voici maintenant, mes enfants, Les marchandes et les marchands, Qui viennent tous au nom des Halles A leur tour vous complimenter Et sans façon vous apporter Ces bouquets de fleurs virginales !...
MARIE-BLANCHE. Mes bons amis, vivent les Halles !
TOUS. Vivent les Halles !
I MARIE-BLANCHE. On peut chercher en tous pays Et fouiller tout's les capitales : De mêm' qu'en Franc' rien n' vaut Paris, A Paris rien ne vaut les Halles ! On n'y trouv' que des braves gens L’ cœur sur la main, la parol' franche, Ripostant gaîment aux chalands Avec les deux poings sur la hanche !
Aux Hall' on a l'esprit subtil, On n'y craint ni tromp'ri' ni leurre, Car c'est des Hall's que vient le fil, Le fil à couper l' beurre !
TOUS. Aux Hall' on a l'esprit subtil, On n'y craint ni tromp'ri' ni leurre, Car c'est des Hall's que vient le fil, Le fil à couper l' beurre !
II MARIE-BLANCHE. Faut entendre les propos joyeux : — Arrivez donc ! hé ! les p'tit's mères ! Qui veut du beurr' ? Qui veut des œufs ? Allons ! voyons ! pas de manières ! — De quoi ? Ce poisson-là par frais ? On t'en fichira, grand' mijaurée ! As-tu fini ? V'là c' que tu m' fais ! Eh ! va donc, Madam' la sucrée !...
Aux Hall' on a l'esprit subtil, On n'y craint ni tromp'ri' ni leurre, Car c'est des Hall's que vient le fil, Le fil à couper l' beurre !
TOUS. Aux Hall' on a l'esprit subtil, On n'y craint ni tromp'ri' ni leurre, Car c'est des Hall's que vient le fil, Le fil à couper l' beurre !
MICHU, ravi. Hein ? Cette Marie-Blanche ! Est-ce envoyé ?
MADAME MICHU. Eh bien ! Maintenant, qu'est-ce que nous allons faire ?... Mes enfants, il faut vous dire que la cérémonie est retardée d'une heure.
TOUS. Oh !...
MICHU. Pour passer le temps, j'offre une tournée en face, à l'Escargot de Bourgogne !...
LES MARCHANDS et LES MARCHANDES. Adopté ! Vive Michu !
Reprise
Aux Halles on a l'esprit subtil, Etc. Les gens des Halles sortent avec Michu et madame Michu. La musique continue à l'orchestre.
MADEMOISELLE HERPIN, aux pensionnaires qui s'apprêtaient à suivre à la débandade les marchands et les marchandes. Eh bien ! mesdemoiselles ! Qu'est-ce que c'est ?... A vos rangs ! Je vais vous faire faire le tour des Halles... L'estomac de Paris... Elle sort avec elles.
BLANCHE-MARIE, à Aristide. Vous pouvez aller avec les autres, Aristide.
ARISTIDE, à part. Elle a peur de rester avec moi... Faut-il qu'elle m'aime !...
GASTON, à Marie-Blanche, galamment. Et moi, je vais tenir compagnie à ma femme.
MARIE-BLANCHE. Ou plutôt à Blanche-Marie.
BLANCHE-MARIE. A moi ?...
MARIE-BLANCHE. Oui, je désire passer ces derniers instants dans ma chambre de jeune fille, avant de la quitter pour toujours. (A part.) Et puis, je veux savoir... Elle monte, Gaston et Blanche-Marie restent seuls. Marie‑Blanche qui s'est arrêtée dans la galerie, les observe un instant, puis disparaît après la première partie de la scène.
SCÈNE XII MARIE-BLANCHE, GASTON. Moment de silence embarrassé. Gaston va et vient sans pouvoir se décider à parler.
BLANCHE-MARIE, qui s'est assise à gauche. Vous pouvez vous asseoir, capitaine.
GASTON. Merci. Je ne saurais tenir en place.
BLANCHE-MARIE. L'impatience ?
GASTON, allant à elle. C'est peut-être pour dissimuler la vôtre que vous affectez tant de calme.
BLANCHE-MARIE. Oh ! la mienne !...
GASTON. Ce serait pourtant bien naturel... M. Aristide est un assez bon parti pour cela.
BLANCHE-MARIE. Qu'en savez-vous ?
GASTON. Mademoiselle des Ifs me l'a dit à plusieurs reprises.
BLANCHE-MARIE. Elle n'a pourtant rien à m'envier.
GASTON. Qui sait ?... Par le temps qui court, le métier de soldat est si hasardeux... La guerre a ses bonnes comme ses mauvaises chances... Une balle a quelquefois bien vite tranché la question.
BLANCHE-MARIE, émue. Une balle !
GASTON. Et l'on est veuve avant d'avoir eu le temps de connaître son mari... Tandis qu'un commerçant, un boutiquier... C'est peut-être vous qui avez fait le bon choix et je vous en félicite... (Il s'éloigne. Blanche-Marie s'est levée avec énervement. — Allant à elle.) Qu'avez-vous ?
BLANCHE-MARIE. Moi ?... Mais... Rien...
GASTON. Vous aurais-je, sans le vouloir, causé quelque peine ?
BLANCHE-MARIE, se contenant. De la peine !...
Duo
I BLANCHE-MARIE. Rassurez-vous, monsieur Gaston. Je suis heureuse, très heureuse !
GASTON Pourquoi le dire sur ce ton ?
BLANCHE-MARIE. C'est que je suis un peu nerveuse...
GASTON. On dirait que votre regard Trahit quelque peine secrète...
BLANCHE-MARIE. J'ai tiré l'aiguille très tard Pour terminer cette toilette...
GASTON. Sur vos lèvres je cherche en vain D'autrefois le joyeux sourire.
BLANCHE-MARIE. Je ne veux pas y contredire, Mais ce sera fini demain !
Ensemble
GASTON, à part. Sachons lui cacher mes alarmes Et tenir secret prudemment A quel point je suis regrettant Ses charmes !
BLANCHE-MARIE, de même. Sachons lui cacher mes alarmes Et sous un air indifférent Dissimuler adroitement Mes larmes !
II BLANCHE-MARIE. Mais vous-même, précisément, N'avez-vous pas quelque tristesse ?
GASTON. Vous vous trompez assurément : Mon cœur est rempli d'allégresse.
BLANCHE-MARIE. Sur votre front semble passer En ce moment même un nuage.
GASTON. Il suffirait, pour l'effacer. De contempler votre visage !
BLANCHE-MARIE. Bref, je vous ai connu, je crois. Plus heureux : répondez sans fraude !
GASTON. Oui, c'était la première fois, Et vous jouiez à la main chaude !
REPRISE DE L'ENSEMBLE. Sachons lui cacher mes alarmes !... Etc.
BLANCHE-MARIE, très émue. Tenez, capitaine... Cessons cette conversation, voulez-vous ?
GASTON. Mais, pourquoi ?
BLANCHE-MARIE. Parce que... (Éclatant malgré elle en sanglots et tombant sur une chaise en se cachant la figure dans ses mains.) Ah ! c'est plus fort que moi !...
GASTON. Vous pleurez ?
BLANCHE-MARIE. Non !... Non !... Ne vous approchez pas !... Marie-Blanche a paru en haut de la galerie et Aristide à la porte du fond.
SCÈNE XIII LES MÊMES, ARISTIDE, MARIE-BLANCHE, MICHU et MADAME MICHU.
ARISTIDE, accourant avec les Michu, pendant que Marie‑Blanche descend vivement. Eh bien ! Qu'est-ce qu'il y a ?...
MICHU et MADAME MICHU. Oui !... Qu'est-ce qu'il y a ?...
ARISTIDE. Vous pleurez, Blanche-Marie ?
BLANCHE-MARIE. Moi ?... Mais non !...
MARIE-BLANCHE, courant à Blanche-Marie. Si !... Tu pleures...
MICHU et MADAME MICHU. Elle pleure !...
MARIE-BLANCHE. N'est-ce pas, monsieur Gaston ?
GASTON, embarrassé. Mais je ne sais pour quelle raison mademoiselle aurait pleuré...
ARISTIDE. Peut-être à cause de mon absence ?
MARIE-BLANCHE, le toisant. Pauvre ami, va !... Eh bien ! Je le sais, moi, je le sais ! (A Blanche-Marie.) N'est-ce pas, petite sœur, que j'ai deviné ?...
BLANCHE-MARIE, se jetant à son cou. Eh bien oui !...
MARIE-BLANCHE. Mais c'est qu'il n'y a pas de temps à perdre alors !... Il faut absolument trouver un moyen.
BLANCHE-MARIE. Ah ! oui, petite sœur, je t'en prie !... Mais j'ai bien peur qu'il n'y en ait pas !...
MARIE-BLANCHE, qui en la câlinant l'a regardée avec attention. Si ! Si !... Attends... J'ai trouvé...
BLANCHE-MARIE. Vraiment ?...
TOUS. Quoi ?
MARIE-BLANCHE. Ça ne vous regarde pas... Laissez-moi...
SCÈNE XIV LES MÊMES, BAGNOLET.
BAGNOLET, revenant essoufflé et couvert de sueur. Mademoiselle, voici les voiles...
MARIE-BLANCHE. Bagnolet ! Il arrive à pic !... (Allant à lui.) Mon bon Bagnolet, vous allez repartir.
BAGNOLET. Encore !
MARIE-BLANCHE. Oui… (Elle lui parle bas.) C'est entendu, n'est-ce pas ?
BAGNOLET. Oui, mademoiselle... Mais c'est une drôle de fantaisie.
MARIE-BLANCHE. Allons ! Allez ! Il sort.
SCÈNE XV LES MÊMES, moins BAGNOLET.
MARIE-BLANCHE. Maintenant, à l'ouvrage !
TOUS. Comment ?...
MARIE-BLANCHE. Oh ! il faut m'obéir de point en point et sans m'adresser la moindre question !...
MARIE-BLANCHE, à Blanche-Marie, lui désignant une chaise. Assieds-toi là.
BLANCHE-MARIE. Que veux-tu faire ?
MARIE-BLANCHE. Obéis-moi sans raisonner, De vous tous, je fais mon affaire ; Mais rien ne doit vous étonner. A Gaston. Veuillez me donner, je vous prie, La glace à côté du comptoir.
GASTON. La voici.
MARIE-BLANCHE. Je vous remercie ! A Blanche-Marie. De la façon, tu pourras voir...
GASTON, interrompant, à Blanche-Marie. A quel point vous êtes jolie !
MARIE-BLANCHE, à madame Michu. Dans ma chambre, tu trouveras Ma boîte à poudre sur la table ; Va vite, tu l'apporteras.
MADAME MICHU, sortant. C'est une enfant inconcevable !
MARIE-BLANCHE. Toi, papa Michu, de ce pas. Cherche un peigne. Michu sort. Et vous, Aristide, D'un vieux chapeau, coupez la bride.
ARISTIDE, sortant. C'est un démon !
MARIE-BLANCHE, à Blanche-Marie qui se penche vers Gaston. Ne bouge pas !
Ensemble
GASTON et BLANCHE-MARIE. Je n'y comprends rien sur l'honneur, Rien du tout, mais que nous importe, Puisqu'en agissant de la sorte, Elle agit pour notre bonheur.
MARIE-BLANCHE. Ils n'y comprennent rien d'honneur, Rien du tout, mais que leur importe, Puisqu'en agissant de la sorte, Je travaille à notre bonheur.
MICHU, rentrant. Le peigne !...
ARISTIDE, idem. Le ruban !... je pense Qu'il vous conviendra.
MARIE-BLANCHE. C'est très bien.
MADAME MICHU, rentrant. La poudre !
MARIE-BLANCHE. Il ne manque plus rien ! Attention ! car je commence. Elle fait tourner Blanche-Marie, le dos au public et commence à la poudrer et à la coiffer.
Rondeau-Menuet
Une poudre à frimas, Madame la marquise, Quoiqu'ici l'on en dise. Rehausse les appas. Elle donne au sourire Un air plus langoureux, Au regard, plus d'empire, De douceur aux cheveux ! Lui passant un ruban dans les cheveux. Si près du front, l'on pose Un ruban de satin, Qu'il soit bleu, blanc ou rose, Il relève le teint, Et vous fait, je le jure, L'aspect plus riant, tels Une miniature Ou les anciens pastels... Fixant une mouche. Sur un coin de la bouche, Il vous suffit, vraiment, De poser une mouche Très délicatement Et l'on a, sur mon âme, Le charme, la beauté, Avec la majesté D'une très grande dame !... Elle prend Blanche-Marie par les deux mains et la fait lever en s'inclinant devant elle.
Ensemble
BLANCHE-MARIE, GASTON, ARISTIDE et LES AUTRES. Je n'y comprends rien sur l'honneur, Rien du tout. Mais que nous importe ! Puisqu'en agissant de la sorte, Elle agit pour notre bonheur.
MARIE-BLANCHE. Ils n'y comprennent rien, d'honneur, Rien du tout. Mais que leur importe, Puisqu'en agissant de la sorte, Je travaille à notre bonheur !
SCÈNE XVI
BAGNOLET, accourant, encore plus essoufflé et plus en nage qu'à l'entrée précédente. Il porte un tableau enveloppé d'une toile. Mademoiselle, voici ce que vous m'avez demandé.
TOUS. Qu'est-ce que c'est que ça ?
MARIE-BLANCHE. Regardez !... Elle enlève la toile et démasque un portrait.
TOUS. Un portrait !
MARIE-BLANCHE. Celui de la marquise... et dites-moi si ce n'est pas en même temps celui de Blanche-Marie.
TOUS. C'est vrai !...
GASTON. C'est frappant !
LE GÉNÉRAL, arrivant très vite, suivi des invités. Allons... Dépêchons !... Le maire nous attend !... (S'arrêtant devant le portrait.) Hein ? le portrait de la marquise ?
MARIE-BLANCHE, prenant Blanche-Marie par la main. Dont je vous présente un nouvel original...
LE GÉNÉRAL. Oh ! prodigieux !... Mais, la voilà, ma fille !... Qu'est-ce que vous me chantiez depuis huit jours ?... Et vous ne vous étiez aperçus de rien ? Vous êtes donc tous des crétins ?...
MICHU. Eh bien, et vous ?...
LE GENERAL. Silence ! Je suis votre général ! (A Gaston.) Mais alors, capitaine, changement de front... les mains passent... A vous celle-ci...
MARIE-BLANCHE, courant à Aristide. Et à toi l'autre !
ARISTIDE. Vous savez que je n'ai jamais hésité.
MICHU, prenant Blanche-Marie et Marie-Blanche par la main. Permettez !...
MADAME MICHU. N'y touche plus ! Tu les mêlerais encore !... Michu se retire après avoir amené les deux jeunes filles devant le public.
MARIE-BLANCHE et BLANCHE-MARIE. Blanche-Marie et Marie-Blanche Mesdam's, messieurs, n'ont qu'un souhait : Pour que leur gaîté soit bien franche, Applaudissez tous, s'il vous plaît, Blanche-Marie et Marie-Blanche, Et leur bonheur sera complet !...
|
l'Acte III lors de la création