Narcisse
Idylle antique pour solo et chœur de Paul COLLIN, musique de Jules MASSENET (1877).
C'est une petite idylle, qui, évidemment, n'occupe dans l'œuvre de Massenet qu'une place toute secondaire, mais où néanmoins se manifestent fort bien les qualités de grâce, de charme, de distinction habituelles au Maître. Le poème de Paul Collin a de la fraîcheur et de l'harmonie ; il a permis au musicien d'écrire nombre de pages séduisantes, d'autant plus séduisantes qu'elles offrent un parfum tout intime, tour à tour pittoresque ou attendri. Après un chœur initial de bergers et de nymphes qui chantent le réveil de Phébus, vient une petite danse dont la musique est d'une finesse, d'une verve achevées, et dont le motif continue à se développer durant l'aimable chœur des soprani : « Oui, le vent qui s'y joue... ». Les voix d'hommes interviennent, complétant cet ensemble qui à lui seul mériterait d'assurer le succès de l'œuvre. Cependant une nymphe chante les dangers du ruisseau qui coule parmi les fleurs de la prairie : quiconque s'y mire est atteint d'une étrange folie et devient amoureux de lui-même. Chacun de s'exclamer, moitié riant, moitié inquiet. On reprend bientôt les jeux et les chants. Seul, le beau Narcisse manque à la fête ; voilà plusieurs jours qu'on ne l'a vu. La folle troupe a disparu dans les profondeurs de la forêt. Narcisse survient, s'assure qu'il est bien seul. Puis, couché sur la rive, tout près de la surface miroitante de l'onde, il adresse une longue invocation à la fontaine dont les eaux l'attirent invinciblement : car il est une victime du charme mystérieux que révéla tout à l'heure la nymphe ; il est devenu amoureux de sa propre image reflétée par les eaux. La plaintive cantilène de Narcisse est remarquable par ses qualités expressives : par la souplesse avec laquelle la musique y évoque les sentiments troubles, divers, aigus, qui agitent l'âme du jeune homme. Après quelques temps, un chœur lointain vient interrompre cette rêverie. Tous ses compagnons appellent Narcisse, le supplient de revenir. Mais lui ne veut même pas répondre : c'est l'image seule qu'il veut, dût-il en mourir. Et, avec une passion sans cesse croissante, il s'abandonne à la contempler, à lui parler, pendant que résonnent les voix des bergers et des nymphes. Et enfin il s'élance dans l'eau, tandis qu'un chœur final chante la mort très douce du beau rêveur. Puis les nymphes et les bergers reviennent et reprennent leur chœur joyeux à Phébus. C'est là une petite chose comme l'on voit, mais une petite chose exquise. (Louis Schneider, Massenet, 1908)
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