Myrtil
Conte musical en deux parties, livret d'Auguste VILLEROY et d'Ernest GARNIER, musique d'Ernest GARNIER.
Création à l'Opéra-Comique (3e salle Favart) le 08 décembre 1909 avec le Cœur du Moulin de Déodat de Séverac ; mise en scène d’Albert Carré ; décors de Lucien Jusseaume ; costumes de Marcel Multzer.
Au 1er acte, « Bacchanale » réglée par Mariquita, dansée par Mlles Régina Badet, Stacia Napierkowska, G. Dugué, Richeaume et les Dames du Corps de ballet.
8 représentations à l’Opéra-Comique au 31 décembre 1950.
personnages | emplois | créateurs |
Myrtil | soprano | Mmes Nelly MARTYL |
Cléo | mezzo-soprano | Suzanne BROHLY |
Bacchia | mezzo-soprano | Marie-Louise CÉBRON-NORBENS |
1re Jeune Fille | mezzo-soprano | Marguerite VILLETTE |
2me Jeune Fille | soprano | Marguerite HERLEROY |
Hylas | ténor | MM. Léon BEYLE |
Proboulos | baryton | Jean DELVOYE |
le Grand-Prêtre | baryton | Louis AZÉMA |
Prêtresses de Diane, Bacchantes, Prêtres de Bacchus Personnages de la Bacchanale, Thébains et Thébaines |
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Chef d'orchestre | François RÜHLMANN |
Nelly Martyl dans sa création de Myrtil "croquée" par son mari Georges Scott
Marie-Louise Cébron-Norbens (Bacchia) lors de la création
Opéra-Comique. — Myrtil, conte musical en deux parties, paroles de MM. A. Villeroy et Ernest Garnier, musique de M. Ernest Garnier. — Le Cœur du Moulin, poème lyrique en deux actes, paroles de M. Maurice Magre, musique de M. Déodat de Séverac. — (Premières représentations le 8 décembre 1909.)
En bonne conscience, je ne saurais affirmer que les deux ouvrages dont on vient de lire les titres et que l'Opéra-Comique a eu « l'honneur de représenter devant nous », sont destinés à passer à la postérité. Il me semble qu'il leur manque pour cela certaines choses importantes qui sont le charme, le relief et la nouveauté. Et ce que je dis là s'applique aussi bien aux livrets qu'à la musique qu'ils ont inspirée, si tant est que l'inspiration soit ici pour quelque chose. Quel diable d'intérêt veut-on que nous prenions aux amours de la tendre Myrtil, jeune prêtresse de Diane, et du bel Hylas, « jeune Grec riche et sceptique », nous dit le livret, que son scepticisme ne met pourtant pas en garde contre les charmes de la jeune vierge qui est prête à déserter l'autel de la divine chasseresse pour tomber dans les bras d'un amant ? Cette histoire nous a été racontée vingt fois de façon plus agréable, et il n'y a qu'à ouvrir André Chénier pour voir comment il s'y prenait, pour nous offrir de tels tableaux, en des vers dont malheureusement nul jusqu'ici n'a pu retrouver le secret.
Franchement, il n'était point besoin de deux longs actes pour faire passer devant nos yeux cette histoire devenue banale, dont les incidents n'offrent pas plus de nouveauté et d'intérêt que le sujet lui-même. En deux mots, la voici. Myrtil rencontre Hylas, qui, subjugué par sa beauté, s'en éprend et bientôt, en dépit des devoirs auxquels celle-ci est assujettie, lui fait partager son amour. Le malheur veut qu'une bacchante un peu « rosse », comme on dit aujourd'hui, et qui, on ne sait pourquoi, en veut à Myrtil, surprend leur entretien. Cette aimable dévergondée n'a rien de plus chaud que d'aller raconter la chose aux prêtres de Bacchus. (Pourquoi les prêtres de Bacchus, puisqu’il s'agit d'une nymphe de Diane ? Je n'en sais rien.) Toujours est-il que le grand-prêtre rend sa sentence. Myrtil est condamnée à mourir, et c'est Hylas qui devra la frapper. (Ça, c'est cruel.) A moins que Myrtil, « se parjurant à Diane », nous dit l'analyse dans un français douteux, n'accepte de devenir « la femme ou la maîtresse (!) d'Hylas ». Myrtil préfère la mort au parjure, mais comme Hylas refuse de la tuer et préfère se tuer lui-même, elle s'empresse, pour éviter ce sacrifice inutile, de lui crier à la face de tous : — « Arrête ! Je t'aime » Cette exclamation inconsidérée est son arrêt de mort. Un froid glacial envahit ses veines, et tandis que le tonnerre gronde et que le ciel s'obscurcit, l'infortunée Myrtil se transforme tout doucement en une touffe de fleurs, dénouement que nous avons connu jadis dans Giselle.
Il y avait, dans un tel sujet, de quoi faire une romance en trois couplets. Pour un livret d'opéra en deux actes, c'est un peu sec et un peu nu, malgré tout l'art des développements dont les auteurs ont pu faire preuve. L'un des auteurs de ce livret, M. Ernest Garnier, est aussi celui de la musique. C'est un débutant dont l'existence, me dit-on, compte déjà un demi-siècle. Ancien élève de M. Massenet, il fut longtemps professeur à Lyon. Il connaît évidemment son métier de musicien ; malheureusement le métier ne suffit pas, et il faut quelque chose avec. Ce quelque chose, c'est, avec l'inspiration, le sentiment de la scène et l'art des contrastes lorsqu'il s'agit de théâtre ; et c'est là ce qui me paraît manquer un peu trop à M. Ernest Garnier. Sa partition est d'un bout à l'autre uniforme, monotone dans le sens technique du mot, et l'absence de mouvement, de couleur, de variété s'y fait vraiment trop sentir. Toute cette musique semble estompée et comme enveloppée de brouillard. On y voudrait un peu de nerf, un peu de vigueur pour chasser la somnolence qui s'en dégage. Malgré le talent qu'ils y déploient, Mme Nelly Martyl (Myrtil), M. Beyle (Hylas), Mlle Cébron-Norbens (Bacchia) et M. Delvoye (Probulos) n'ont pu insuffler la vie à ce pastel aux couleurs fâcheusement effacées.
(Arthur Pougin, le Ménestrel, 11 décembre 1909)
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Deux pièces en deux actes forment le nouveau spectacle de l'Opéra-Comique. Dans Myrtil, M. Villeroy nous conte l'histoire d'une prêtresse de Diane qui s'éprend d'Hylas, jeune Grec riche et sceptique ; Bacchia, jalouse parce qu'elle aussi aime Hylas, ameute le peuplé contre Myrtil, coupable d'avoir osé filer la laine le jour de la fête de Bacchus. Hylas la protège, mais le grand prêtre du dieu ne laisse à Myrtil que deux alternatives : prendre Hylas pour amant ou mourir. Elle hésite d'abord, puis préfère la mort au parjure ; comme Hylas va se frapper lui-même elle s'élance en criant : « Arrête, je t'aime ! » L'aveu qui s'est échappé des lèvres de la vierge va lui être fatal : tandis que le tonnerre gronde un froid mortel la saisit, elle se métamorphose en une touffe de lis. J'ignore si ce conte qui ne manque ni de charme ni d'agrément est tiré de quelque légende antique ou s'il fut imaginé par le poète ; toujours est-il qu'il aurait gagné à être traité avec plus de concision. Le contraste souvent répété entre les cérémonies du culte de Diane et l'orgie bacchique lasse à la longue le spectateur par la facilité des effets qui en résultent. La musique de M. Garnier ne m'a pas semblé d'une très heureuse venue ; il se complaît trop aux formules consacrées, on pourrait même dire aux lieux communs musicaux. Sa partition ressemble à un bon devoir d'élève appliqué à mériter les suffrages des juges sévères qui siègent sous la Coupole. C'est très sage, trop sage même et la bacchanale manque vraiment par trop d'emportement et d'entrain. Quelques jolies phrases au premier acte dans le duo entre Hylas et Myrtil, mais qui ne s'élèvent pas au-delà d'une honnête banalité courante. L'impression générale est grise et terne, empreinte d'une très grande monotonie. L'orchestration est également peu satisfaisante, pas toujours bien pondérée et souvent compacte. Elle contribue beaucoup à alourdir la déclamation déjà trop lente et à accentuer le sentiment de fatigue qu'on éprouve en écoutant cette partition. M. Beyle chante et joue avec beaucoup de chaleur le rôle d'Hylas ; M. Delvoye, excellent comique, incarne en perfection l'ivrogne Probulos, tandis que la voix grave et chaude de M. Azéma prête au rôle du Grand Prêtre toute la majesté voulue. Dans les robes blanches des prêtresses de Diane, Mlles Martyl et Brohly sont charmantes et chantent fort bien ; il en est de même de Mme Cébrons-Norbens qui traduit à merveille la fougue et les emportements de Bacchia. Comme à son habitude, l'orchestre, sous la direction de son distingué chef M. Rühlmann, s'est parfaitement acquitté de sa tâche.
(Albert Bertelin, Comœdia illustré, 01 janvier 1910)
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Après la première de Myrtil.
Nous avons reçu la lettre suivante de M. Ernest Garnier, l'un des auteurs de Myrtil :
Lorsque Villeroy et moi, il y a une dizaine d'années, vîmes Myrtil reçu à l'Opéra-Comique, nous ne nous doutions guère que ce petit poème d'amour serait un jour si vivement attaqué. Il est vrai que, quelque temps avant la première, nous fûmes prévenus, de divers côtés, qu'une propagande active se faisait contre notre ouvrage, avant même qu'il ait été entendu. Je n'ai nullement l'intention de discuter la prose, plus ou moins inepte, de vagues journalistes qui parlent de polyphonie d'instrumentation, sans même savoir ce que ces mots signifient. Je veux négliger aussi les rosseries d'amuseurs en mal d'esprit, tel l'aimable farceur qui me renvoie mourir dans ma calme province. Tout cela a si peu d'importance qu'il serait oiseux de s'y arrêter. Une seule chose arrête mon attention, c'est cette maladie spéciale, cette exclusivité aiguë, dont quelques confrères sont affligés. Elle se caractérise par la phobie de toute phrase vocale un peu développée. D'après eux, on doit considérer comme criminel tout compositeur qui, même dans une œuvre appelant la forme mélodique comme Myrtil, garce le souci d'adapter son tissu musical au texte de son poème, en un mot : de faire la musique de la pièce. Affaire de snobisme, peur de ne pas paraître assez avancés, bref, tout un ensemble de préoccupations d'où la logique et le bon sens demeurent, hélas ! totalement absents. Je fais depuis vingt ans de la critique musicale, soit à Paris, dans des revues d'art, soit à Lyon, dans un grand quotidien. Mon unique souci a toujours été de me tenir à l'abri des mesquines influences d'écoles. Un critique peut avoir une prédilection pour telles ou telles tendances, il n'a pas le droit de dire : telles ou telles tendances sont mauvaises. Le seul critérium en matière musicale, abstraction faite du métier nécessaire, est dans l'émotion qu'une œuvre provoque, dans la sincérité qui en émane. Puis, cet exclusivisme crée un danger qu'il importe d'envisager. Le public s'inquiète fort peu des questions de formules, ce qu'il demande avant tout au théâtre, c'est une action musicale suffisamment claire à laquelle la scène participe pour une large part. Les campagnes de parti pris et de mauvaise foi menées contre des œuvres nouvelles où les auteurs, s'inspirant des classiques, se sont efforcés d'allier une déclamation juste et précise à une trame orchestrale claire et solide sont d'une inintelligence absolue. Leur plus sûr résultat est d'amener le public à déserter l'Opéra-Comique, sauf lorsque deux ou trois œuvres françaises, consacrées par de longues années de succès, comme : Carmen, Manon, Werther, ou des œuvres étrangères d'une extériorité facile comme : la Vie de bohème, la Tosca, Madame Butterfly figurent sur l'affiche. Je sais parfaitement que je prêche dans le désert. Qui diable, parmi les professionnels du débinage, se soucie des intérêts matériels des artistes ? C'est ailleurs que ces malheureux doivent chercher des compensations. En ce qui nous concerne personnellement, mon vieil ami, le regretté Luigini, directeur de la musique à l'Opéra-Comique, m'écrivit un jour : « Votre Myrtil est une chose charmante, je goûte beaucoup la claire ordonnance de son agencement polyphonique et son coloris instrumental. » Le public d'élite qui a suivi les représentations d'abonnement de Myrtil, ainsi du reste que celui de la première, a pleinement ratifié la flatteuse opinion de mon ancien maître, puisqu'il a fait, à notre œuvre, le sympathique et chaleureux accueil qu'ont pu constater tous les gens de bonne foi. Nous mettons cette satisfaction-là au-dessus de toutes les autres. Je veux maintenant remercier M. Alfred Bruneau de la campagne particulièrement malveillante qu'il a menée contre notre œuvre, non seulement dans les couloirs, mais encore au foyer des artistes, lieu que le tact le plus élémentaire lui interdisait de choisir pour semblable besogne. Si dénué de sens moral que puisse être cet homme, aigri par de persistants insuccès, on ne saurait cependant admettre qu'il ait pu s'atteler à pareille tâche sans un mobile secret. Ce mobile, je crois l'avoir découvert. Fortement houspillé en maintes circonstances par les journaux qui s'inspirent des idées de la Schola, M. Bruneau a supposé qu'en éreintant Myrtil, œuvre d'un isolé, en témoignant d'un zèle tapageur en faveur du Cœur du Moulin, dont l'auteur est considéré par cette école comme son champion, il s'assurerait, pour plus tard, le bénéfice d'une indulgente reconnaissance. Un très grand très probe artiste, haut coté à la Schola, fut interrogé un jour par un de ses élèves sur le sens du mot musical. Voici sa réponse, elle est lapidaire : « On appelle musicales les œuvres de Bach, de Beethoven et celles qui s'inspirent de ces maîtres, on peut considérer comme anti-musicales, les productions de M. Bruneau et de ses imitateurs. » Si, après cela, M. Bruneau garde des illusions, il aura vraiment la confiance tenace.
(Ernest Garnier, Comœdia, 04 janvier 1910)
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L'affabulation antique que les auteurs nous content dans ce poème est d'une action peut-être un peu mince, et d'une forme poétique assez conventionnelle.
Une jeune Hellène, Myrtil, vouée au culte de Diane, se laisse parler d'amour par l'élégant Hylas ; en outre, elle commet l'imprudence, malgré l'interdiction de la loi religieuse, de se livrer aux travaux de la quenouille, car c'est précisément le jour destiné aux fêtes orgiaques de Dionysos. Ces deux sacrilèges mènent la foule en fureur et une rivale, Bacchia la bacchante, que le bel Hylas dédaigna, dénonce Myrtil aux prêtresses de Diane, qui chassent du temple leur compagne, doublement criminelle, et la livrent au jugement du Grand-Prêtre. Celui-ci, par une sentence impitoyable, condamne Myrtil à périr de la main même d'Hylas, à moins que la victime ne consente à devenir l'épouse du jeune Thébain. Myrtil préfère mourir plutôt que de renoncer à ses vœux. Hylas, dans son désespoir, tourne l'arme contre lui et veut se frapper. Mais Myrtil s'émeut ; son cœur ne peut plus résister et elle se jette éperdument dans les bras de celui qu'elle aime, malgré ses chastes serments.
Diane s'irrite de voir son autel déserté par une de ses vestales : elle métamorphose la vierge impie en un myrte fleuri, qu'arroseront désormais les larmes du malheureux Hylas.
Ce petit conte charmant est écrit en vers souples. Il semble un symbole du bonheur dans l'amour vrai. L'auteur ne voit cette félicité ni dans les violences de l'amour sensuel, ni dans les gênes de l'austérité, mais dans l'union harmonieuse de l'enthousiasme et de la sagesse.
La musique d'Ernest Garnier ne brille point par une originalité bien marquée. La ligne mélodique est simple et naïve, même un peu trop simple. L'orchestration a quelque lourdeur et les harmonies ne sont pas très neuves. Il faut toutefois louer la sincérité avec laquelle le compositeur exprime ses pensées, en se contentant de « chanter » suivant les élans de sa nature, sans chercher à imiter les modes du jour.
Le chœur des vierges (en ré majeur) : « C'est l'heure paisible » est délicieux et rappelle la coupe lointaine des contemporains de Victor Massé. Signalons une jolie page, avec un effet vocal pour le ténor : « Si ! Je crois au soleil ! » Toute la scène des bacchantes, avec son cortège et les dialogues de Probulos, est bien traitée, avec du rythme et de la couleur.
(Stan Golestan, Larousse Mensuel Illustré, janvier 1911)
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l'Acte I lors de la création, de g. à dr. : Nelly Martyl (Myrtil), Léon Beyle (Hylas), Jean Delvoye (Probulos)