le Grillon du foyer

 

eau-forte de Pierre Leroy (1948) pour le Grillon du foyer de Charles Dickens

 

Comédie en trois actes d'Emile Louis Guillaume de VENTE DE FRANCMESNIL dit Ludovic de FRANCMESNIL (75001.Paris, 31 janvier 1852 1930), d'après le conte de Charles Dickens, musique de scène de Jules MASSENET.

 

   livret

 

 

Représentée au théâtre national de l'Odéon le 01 octobre 1904 avec Mmes Sylvie (Dot), Taillade (Bertha), Dehon (mistress Fiedling), Jeanne Rémy (May Fiedling), MM. Dorival (John), Janvier (Caleb), Cazalis (Tackleton), Gaston Séverin (Edouard).

 

Reprise à l'Odéon en 1918.

 

 

     

 

Programme de la reprise à l'Odéon de 1935

 

 

 

 

L'action se passe dans les environs de Londres, en 1800, sous George III. Au premier acte, nous sommes dans la grande cuisine de la maison de John Peerybingle, le mari de Dot, un peu plus âgé qu'elle. C'est la veille de Noël. Il neige, la bûche flambe dans la cheminée où la bouilloire et le grillon chantent de concert sur une pittoresque musique imitative écrite par Massenet.

Dot est seule. Arrive le vieux Caleb, le pauvre fabricant de joujoux d'enfants. La conversation du vieillard et de Dot fait l'exposition : Caleb travaille pour un vieil industriel avaricieux et brutal, M. Tackleton, qui le traite durement et le paye peu.

Le pauvre ouvrier a une fille aveugle, Bertha, à laquelle il se dévoue, et un fils, Edouard, qui est parti depuis dix ans en Amérique et dont on n'a plus de nouvelles. On le croit mort, et sa fiancée, May Fiedling, désespère de jamais le revoir.

Le mari de Dot, qui est messager, arrive avec sa voiture. Après avoir embrassé sa femme, il apporte tous les colis dont il est chargé ; entre autres, un grand gâteau de noce pour M. Tackleton. Un vieil homme à barbe blanche, enroulé dans un grand manteau, l'accompagne.

Ce vieux vagabond est sourd. Il s'assoit devant l'âtre ; pendant que John va dételer les chevaux et que Caleb va étudier le chien de la maison en vue de la fabrication d'un petit chien qui lui a été commandé, le vieillard mystérieux se fait connaître de Dot ; il enlève sa perruque : c'est Edouard, le fils de Caleb, qui revient riche et toujours fidèle pour épouser May Fiedling, sa fiancée.

Mais, comme a dit Mme de Girardin, « la joie fait peur ». Il faudra qu'il se fasse reconnaître peu à peu et insensiblement, surtout de son vieux père.

« Le bonheur tue quelquefois, dit Dot, quand on n'en a pas l'habitude ».

Elle consent à seconder Edouard, d'abord pour le cacher et, ensuite, pour lui faire obtenir le plus tôt possible une entrevue avec May Fiedling.

La chose presse d'autant plus que celle-ci, de désespoir, a accepté d'épouser le vieux et riche Tackleton.

Cependant, on prépare le réveillon, comme dans toute bonne famille anglaise. Tackleton sollicite une invitation pour lui, pour sa fiancée et pour sa future belle-mère.

John refuse de recevoir chez lui ce mauvais homme ; d'ailleurs, le réveillon se fera chez Caleb.

Tackleton, furieux, malmène son malheureux ouvrier, qui est aussitôt vengé, car Edouard, indigné, dans une scène bien venue, menace Tackleton de lui chatouiller les côtes avec la mèche et le manche du fouet de John, s'il ne fait pas toutes ses excuses au vieillard. Tackleton file doux. John et Dot restent seuls et remuent ensemble, devant la flamme de la cheminée, les charmants souvenirs de leurs fiançailles.

Le deuxième acte se passe chez Caleb Plumer. C'est une chambre misérable, au papier déchiré. La cheminée est vide. Sur un établi, on voit les carcasses des joujoux que le vieux fabrique, pour gagner péniblement sa vie. Sa fille Bertha, aveugle, est dans un fauteuil. On comprend, à la conversation du père et de la fille, l'héroïque dévouement paternel du vieux Caleb. Il a réussi à faire croire à sa fille qu'ils habitent un appartement luxueux, qu'il est vêtu lui-même de riches habits, qu'ils ont largement de quoi vivre, que son patron, M. Tackleton, est jeune, bon et généreux.

Illusion funeste, car la jeune Bertha, dans le monde idéal de son rêve, voit se former une image chimérique de cet homme, pour lequel elle a, peu à peu, senti naître en elle un grand amour ; aussi éprouve-t-elle une grande douleur quand Tackleton vient annoncer son mariage avec May Fiedling et demande à Caleb de lui réserver trois places à la table de Christmas, pour lui, sa fiancée et sa belle-mère.

La scène du repas est animée et curieuse. La future belle-mère, Mme Fiedling, montre un orgueil amusant en appelant « entrepreneur de messageries » le pauvre charretier qu'est John.

Cependant, après le repas, Dot a tenu sa promesse : elle a caché Edouard dans la pièce voisine ; elle lui ménage une entrevue en tête à tête avec May Fiedling ; Edouard la remercie avec effusion et l'embrasse. A ce moment précis, Tackleton amène John derrière un vitrage et lui montre son épouse entre les bras d'un homme ; John, furieux, part à la recherche de l'inconnu pour le tuer.

Au troisième acte, Dot est seule dans sa grande salle-cuisine ; elle souffre de voir John égaré sur une fausse piste et, pourtant, elle ne peut pas encore révéler la présence d'Edouard, car il faut ménager la faiblesse du vieillard Caleb et, aussi, ne pas compromettre par une indiscrétion le projet qui a été concerté entre Edouard et May de se marier devant le pasteur avant l'heure où Tackleton espère célébrer son propre mariage.

John rentre, désolé, excité méchamment par Tackleton ; mais tout s'explique et s'arrange. Caleb retrouve son fils, Bertha apprend que son père, dans l'excès de sa bonté, la fait vivre dans un rêve que la réalité dément et que Tackleton est un être méprisable ; elle l'oublie, et elle donnera désormais à sa vie un autre but, qui sera de se consacrer au bonheur du meilleur des pères.

Quant à Tackleton, il est joué : il faut qu'il renonce à son rêve de mariage ; il est puni pour sa méchanceté et pour avoir voulu tuer le grillon du foyer, sans avoir compris que le chant du grillon est le symbole du bonheur de la famille.

L'auteur a fort habilement fait passer dans sa pièce les principaux éléments qui font le charme du conte de Dickens. La pièce a le mérite de ne sentir aucunement la gêne d'une adaptation d'après un roman. Le mouvement est naturel, aisé ; le sentiment est partout délicat et charmant ; les situations sont touchantes, la couleur locale est posée en teintes adroites et légères ; le style est facile et agréable ; la mémoire de Dickens a reçu là un charmant hommage.

(Léo Claretie, Larousse mensuel illustré, juillet 1920)

 

 

 

 

 

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