le Cor fleuri
Féerie lyrique en un acte, livret d'Éphraïm-Georges MICHEL dit Éphraïm MIKHAËL (Toulouse, Haute-Garonne, 25 juin 1866 – Paris 10e, 05 mai 1890) et André-Ferdinand HEROLD, d’après le Cor fleuri, féerie en un acte en vers d’Éphraïm Mikhaël (Théâtre-Libre, 10 décembre 1888), musique de Fernand HALPHEN.
Création à l'Opéra-Comique (3e salle Favart) le 10 mai 1904, mise en scène d'Albert Carré, décor de Lucien Jusseaume, costumes de Charles Bianchini, avec la première du Jongleur de Notre-Dame de Massenet.
11 représentations à l’Opéra-Comique au 31.12.1950.
personnages | emplois | créateurs |
Oriane | soprano | Mmes Suzanne CESBRON-VISEUR |
Doriette | mezzo-soprano | Lucy VAUTHRIN |
première Fée | ARGENS | |
deuxième Fée | DE PADILLA | |
troisième Fée | Alice CORTEZ | |
Silvère | ténor | MM. Lucien MURATORE |
Obéron | baryton | Etienne BILLOT |
Voix de la forêt | ||
Chef d'orchestre | Henri BÜSSER |
décor lors de la création
Au début de cette très brillante soirée, nous avions eu la première représentation du Cor fleuri, la jolie féerie d'Ephraïm Mikhaël, qu'avec infiniment de tact et tout le talent que l'on sait, M. Ferdinand Hérold a transformé en pièce lyrique. Ou se souvient de la fable d'Ephraïm Mikhaël. La fée Oriane, résolue à venger sa filleule Doriette de la grave injure que vient de lui infliger Silvère, — le sot ne s'est-il point avisé, tandis que Doriette, dénouant sa ceinture, allait se confier à la source sacrée, de passer auprès d'elle, les yeux au ciel, dédaigneux et chantant ? Oriane, dis-je, obtient d'Obéron la permission d'abdiquer pour un jour son rang de fée et de descendre à la condition de femme, car, dit-elle, elle veut être aimée et laisser à celui qui l'aimera « le souvenir mortel de sa lèvre illusoire ». Cependant Obéron, en vieillard expérimenté, lui fait don d'un cor d'argent. Si le cœur d'Oriane fléchissait, si le mortel qu'elle veut asservir l'asservissait à son tour, si son front devait rougir « d'une aurore charnelle », à l'appel de ce cor Obéron l'emporterait loin des hontes de la terre, « vers le pays de rêve et de féerique joie ». Or, il advient ce qui devait advenir. Silvère s'éprend bien vite d'Oriane qui bien vite aussi s'éprend de Silvère. Et lorsque Doriette, pour interrompre un dialogue infiniment serré, veut souffler dans l'olifant, les fleurs qu'en jouant Silvère y déposa, le rendent impropre à tout office sauveur. Ainsi finit le conte gaiement poétique sur lequel M. Fernand Halphen — un jeune musicien parmi les plus jeunes — a écrit, — et écrit avec grand soin, — une partition fort agréable, constamment et facilement mélodique, habilement et très correctement harmonisée, orchestrée le plus souvent avec élégance, mais parfois, cependant, avec quelque excès. La meilleure partie de son œuvre m'a semblé la première, pour la légèreté de la trame sur laquelle se posent les voix des trois gentilles fées, pour la mobilité aisée de la mélodie qu'elles égrènent et pour la fluidité de l'orchestre. D'autres pages encore méritent d'être signalées, telles que le récit de Doriette, l'invocation d'Oriane et certaines parties du duo entre Oriane et Silvère. Je ne saurais oublier d'ailleurs qu'il s'agit d'une œuvre de début et que les charmantes qualités qu'elle offre constituent autant de bonnes promesses. Représenté dans un véritable décor de rêve, le Cor fleuri a la bonne fortune d'être interprété par la charmante et si intéressante artiste qu'est Mlle Suzanne Cesbron, par M. Muratore, Mlles Vauthrin, de Padilla, Argens et Cortez, ainsi que par le délicieux orchestre que dirige M. Henri Büsser.
(Gabriel Fauré, le Figaro, 11 mai 1904)
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Le Cor fleuri est une petite féerie en un acte, tirée par M. Ferdinand Herold d'un poème de feu Éphraïm Mikhael et dont les vers ont de la grâce. Une musique aux élégances modernes un peu trop monotones, aux procédés trop uniformes et qui marque peu la personnalité de M. Halphen, élève de Fauré, les a estompés d'une brume légèrement nuageuse. Mlles Cesbron et Vauthrin, M. Muratore ont encore peu l'habitude de la scène ; ils ont interprété cette bluette poétique avec quelque gaucherie.
(Revue universelle, 1904)
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LIVRET
(édition de mai 1904)
Une clairière dans la forêt des fées. Des herbes lumineuses. Des fleurs. Une fontaine. Légères et souriantes, paraissent trois fées, qui cueillent des fleurs.
SCÈNE I
TROIS FÉES, puis ORIANE Voici la divine journée
Où chantent les arbres fleuris.
TROISIÈME FÉE
C'en est fait des nuits trop sévères
DEUXIÈME FÉE
C'est le doux printemps ! Les amantes Écoutons les chansons clémentes Voler gaîment dans le soleil ! (Entre Oriane. Elle tient une quenouille où il y a des fils pareils â des rayons de lune.)
ORIANE O fils resplendissants, ô fils couleur d'étoile, Serez-vous le manteau d'un prince ou bien le voile D'une reine ?... Non, non, fils couleur du printemps, Je veux que vous soyez les clairs rideaux flottants Éployés sur le lit ardent d'une amoureuse Comme un pavillon d'or sur une barque heureuse.
DEUXIÈME FÉE Rêveuse reine des forêts, Blanche Oriane, Salut ! Où va ton rêve frais Et diaphane ?
ORIANE Ah, moi, la calme sœur du lys et du ramier, J'aime l'amour, et c'est mon plaisir coutumier D'endormir une vierge en des songes d'épouse ! O songes nuptiaux !
PREMIÈRE FÉE Folle reine, vois la pelouse Que le soleil parsème de joyaux,
Entends chanter la mandragore !
ORIANE
Ah, mes longs cheveux, mes bras nus, Obéron, le maître insensible, L'ordonne : je suis invisible, Et ma beauté se mêle à la brume des bois : Toi seule, ô forêt, tu me vois !
PREMIÈRE FÉE Reine, la forêt est vivante, Et le baiser que ton rêve te vante, Le baiser ne vaut pas la caresse du soir !
ORIANE
Oui, plus doux que l'amour encore est mon
pouvoir, (Doriette entre brusquement.)
SCÈNE II ORIANE, DORIETTE, LES FÉES
LES FÉES Doriette !
ORIANE Quels yeux en colère !
DORIETTE Marraine, Venge-moi !
ORIANE Dis quelle est ta peine ? (Sur un geste d’Oriane, les Fées s'éloignent.)
DORIETTE Ce matin Je ne sais quel chanteur puéril et hautain M'insulta.
ORIANE L'impertinent !
DORIETTE Écoute. — J'errais
Écoutant vaguement sous les feuillages frais Et je jetai ma robe aux reflets éclatants Dans les buissons où riait le printemps. Je me cachai dans la splendeur de la fontaine !
ORIANE
Alors, passant sur la route lointaine, Il te prit dans ses bras nerveux...
DORIETTE
Ce ne fut pas cela... Le fou sauvage,
ORIANE
Il t'a gravement offensée !
DORIETTE
Je n'ai pas la pensée
ORIANE Veux-tu qu'il t'aime ?
DORIETTE Non ! il est trop tard... Invente Un châtiment.
ORIANE La terre est pauvre de douleurs...
DORIETTE Si, parmi le parfum des fleurs, Se dressait quelque femme étrange et décevante... Que j'entende monter aux cieux lointains et sourds Le sanglot et le cri de ses vaines amours...
ORIANE Bien ! Qui pourra le punir ? — Quelle idée ! C'est par quelqu'un de grand que tu seras aidée !
DORIETTE O marraine, c'est toi qui vas...
ORIANE Je veux le châtier moi-même...
DORIETTE Ah, quand il te criera : « Je t'aime » Et quand il te dira tout bas Des mots victorieux, tu ne faibliras pas ?
ORIANE Oriane ne peut s'attendrir.
DORIETTE Es-tu sûre ?
ORIANE Oui, mon cœur souverain ne craint pas la blessure Des amours vaines...
DORIETTE Soit... Si tu veux, venge-moi ! (Oriane fait des signes magiques.)
ORIANE Obéron, Obéron, je t'appelle, ô mon roi ! (Obéron apparaît.)
SCÈNE III ORIANE, DORIETTE, OBÉRON
OBÉRON Que veux-tu ? que vas-tu me demander encore ? Une robe trempée au gouffre de l'aurore Ou des étoiles en collier ?...
ORIANE Non : mon souhait C'est de n'être plus seule avec le bois muet.
Roi, je veux qu'un jeune homme à la lèvre
attendrie
OBÉRON
Vous voulez être femme, Oriane ! Comment ?
Que des rayons clairs ont coiffée,
ORIANE Non, non, sire : je veux apparaître un moment
Aux yeux d'un passant, pour qu'il m'aime, puis
qu'il pleure ! Alors il gardera, parfum amer, Le souvenir mortel de ma lèvre illusoire !
OBÉRON Va : mais garde ce cor d'argent pâle et d'ivoire ! (Il prend à sa ceinture un cor qu'il tend à Oriane.)
Si l'amant te troublait d'une mauvaise ardeur,
Appelle-moi ! Sinon, exilée éternelle,
Tu ne connaîtras plus la divine splendeur ! Où que tu sois, dans les bois endormis,
Les champs, ou le val solitaire, Et je t'emporterai, farouche proie, Vers le pays de rêve et de féerique joie ! (Oriane prend le cor. Oberon disparaît.)
SCÈNE IV ORIANE, DORIETTE
ORIANE Doriette, j'ai peur délicieusement... Le vent du soir me caresse.. si doucement...
Naguère, volant par la nue, Je t'aime, ô senteur inconnue, Senteur nouvelle des forêts ! Je me sens frissonner d'un étrange désir Quand le vent rude effleure mes épaules, Et, là-bas, je voudrais courir Et me perdre parmi les saules ! Mais cherchons l'insulteur, Doriette : il est temps !
DORIETTE J'aurais préféré moins de zèle.
ORIANE Viens, viens tout le bois étincelle ! Cherchons.
DORIETTE Il est là c'est sa chanson que j'entends.
UNE VOIX, au loin. Les filles dansent dans les vignes. Sur le grand lac sombre et charmant, Entendez-vous l'adieu des cygnes Mourant mélodieusement ? Des chœurs dansants de vendangeuses S'unissent autour du pressoir ; Entendez-vous les voix songeuses Des cygnes mourant dans le soir ?
ORIANE Les murmures de flûte éveillent les fleurs closes. Epions-le : viens nous cacher parmi les roses. (Oriane entraîne Doriette dans les buissons. Elles se cachent. Entre Silvère.)
SCÈNE V SILVÈRE ; ORIANE, DORIETTE, cachées.
SILVÈRE
Ah, les cygnes... les blancs chanteurs ! O musique ! Des bois il monte des senteurs,
Et des vergers s'échappe une chanson puissante...
(Il écoute chanter un rossignol.)
Rossignol ! Il s'en va : les bêtes sont
méchantes. (Il est adossé à un arbre, comme en extase. Oriane sort à demi des buissons et fait signe à Doriette de rester cachée.)
ORIANE
Nuit langoureuse ! Odeur lointaine des moissons ! (Elle va vers Silvère.) Tiens, il dort. (A Silvère.) Sans doute, Vous ne m'entendez pas.
SILVÈRE, sans se retourner. Je ne dors pas : j'écoute. Allez-vous-en. Le soir tranquille était si doux.
ORIANE Farouche ! Non : je veux m'asseoir auprès de vous Pour vous troubler. (Elle éclate de rire. Silvère se retourne, étonne.)
SILVÈRE Mon Dieu, suis-je en délire ? Quel oiseau merveilleux a chanté ?
ORIANE C'est mon rire !
SILVÈRE Oh, par grâce, riez encore.
ORIANE Vous vouliez Être tout seul dans l'ombre des halliers : Faites rire les bois, je pars.
SILVÈRE Je vous en prie. Nous veillerons tous deux dans la forêt fleurie. Reste ! Tu dois savoir des airs mystérieux. J'étais méchant... oublie... Ah ! qu'ils sont clairs, tes yeux Tes yeux, pleins d'un heureux sourire,
Sont des lacs frêles où se mire
Reste ! des fourrés et des sentes Reste ! que je te voie, ô belle, Et que je t'adore à genoux !
ORIANE
Je me sens qui frissonne toute. J'écoute murmurer sa voix. Voici qu'à travers les ramées
Passent des chansons embaumées... (Silvère cueille une fleur. Oriane s'est assise sur un banc de mousse. Elle joue avec le cor qu'elle tient à la main.)
SILVÈRE Prends cette fleur... c'est une primevère… Cette autre encor.
ORIANE, prenant la fleur. Comment te nommes-tu ?
SILVÈRE Silvère.
ORIANE Et que fais-tu ?
SILVÈRE Je chante au milieu des bergers. Tenez, ces fleurs aussi. Mettez ces lys légers Là, dans ce cor, ainsi que dans une urne blanche. Je connais tout le bois. Je sais où la pervenche Se dérobe et je sais quel arbre va fleurir. Ah, c'est tout le printemps que je voudrais t'offrir !
ORIANE Tout le printemps ?
SILVÈRE J'ai peur... vous êtes Trop belle ! vous régnez aux bois obéissants Et votre voix apaise les tempêtes ! Venez... venez... parmi les lys... oh, je me sens Défaillir.. Reste rapprochée... (Silvère n'a pas cessé de cueillir des fleurs. — Oriane les a mises dans le cor comme dans une urne. — Au moment où Silvère l'attire vers lui, elle dépose nonchalamment le cor sur le banc de mousse.) Je rêve que la nuit divine s'est penchée Sur moi comme une belle et pacifique sœur.
DORIETTE, paraissant un instant.
ORIANE, à Doriette. Tout à l'heure. (A elle-même.) O douceur ! (A Silvère.)
Parle : ta parole berceuse
SILVÈRE
Vois luire en l'herbe paresseuse
TOUS DEUX
Voici par la bonne clairière Des chants d'espoir !
DORIETTE, reparaissant. Hâtons-nous.
ORIANE, à Doriette. Un instant : aurais-tu peur ? (Elle rit. — A elle-même.) Je ris : Mais mon cœur a tremblé comme un oiseau surpris.
SILVÈRE Je t'aime !
DORIETTE Prends le cor !
ORIANE Soit ! Ma tâche est finie. (Elle se lève. Avec une ironie affectée.)
Bonsoir, ami ! Va : j'ai laissé par ironie Et je riais de toi... mais c'est assez... je pars ! (Elle va vers le banc et reprend le cor.)
SILVÈRE
Vous partez, vous partez, je tremble !
Puisque vous fuyez de mes yeux,
Et que vous emportez, comme des fleurs volées,
(Il pleure. Oriane repose le cor sur le banc.)
ORIANE, rêvant. Ah ! le songe d'amour était délicieux !
SILVÈRE
Femme, tu m'as pris mes soirs calmes, Tu m'as pris les jardins de palmes, Tu m'as donné les sanglots éternels ! Quand j'irai dans la forêt grise,
Je n'écouterai plus la chanson d'autrefois ; Et je mourrai de ton regard qui me méprise.
ORIANE
Eh bien, non... j'ai menti ! Vous le savez, ô
brise, Et toi, fontaine, tu le sais, Toi vers qui je penchais ma gloire aérienne ! Je ne puis plus partir maintenant. Je suis sienne !
SILVÈRE Que dit-elle ?
ORIANE, se jetant dans les bras de Silvère.
Prends-moi dans tes bras frémissants,
SILVÈRE
Viens, je t'emporterai dans la forêt complice !
C'est le triomphe des amants !
ORIANE
Viens, nous nous en irons vers le monde où l'on
aime,
SILVÈRE
Viens, je t'emporterai dans la forêt complice ! C'est le triomphe des amants !
ORIANE
Viens, tu m'emporteras dans la forêt complice (Ils disparaissent. — On entend la voix d'Oriane.)
Ah ! l'ivresse d'aimer trouble mon âme ardente.
SCÈNE VI
DORIETTE, puis ORIANE et SILVÈRE, LES FÉES, LES
VOIX DE LA FORÊT
Le cor... le cor... Elle fuit ! La folle
imprudente ! Oh ! je veux la sauver ! (Elle saisit le cor et le porte à ses lèvres. Il ne rend aucun son.) Il est muet ! Prodige...
Ce sont les fleurs ! Allez-vous-en, vous dis-je,
(Elle arrache les fleurs.) Enfin mes appels éclatants Vont évoquer le roi sauveur ! (Elle porte le cor à ses lèvres ; mais avant de sonner, elle regarde encore dans le buisson.) Il n'est plus temps ! (Des voix sortent des buissons et des arbres, et, parmi le chœur grandissant, Oriane et Silvère passent au milieu des fleurs. Les Fées paraissent, les suivant du regard.)
SILVÈRE Regarde rayonner les clairières magiques !
ORIANE Je suis femme, et, fuyant les rêves nostalgiques, J'oublierai dans tes bras les féeriques chemins !
TOUS DEUX O douce paix d'amour ! ô lumineux demains ! (Peu à peu, les voix se sont précisées.)
LES VOIX DE LA FORÊT Lorsque le baiser joint les lèvres attendries, L'amour terrestre est la plus douce des féeries. (Le rideau se ferme lentement.)
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