Delphine UGALDE
Delphine Ugalde [BNF]
Élisabeth Gabrielle Pauline Amène Alida BEAUCÉ dite Delphine UGALDE
soprano et compositeur français
(rue Montmartre, Paris ancien 3e, 03 décembre 1828* – Paris 9e, 18 juillet 1910*)
Fille de Claude BEAUCÉ (Brugheas, Allier, 29 juillet 1785 – av. 1846), éditeur de musique, et d’Anne Augustine Sophie PORRO (Paris, 11 octobre 1788 – Argenteuil, Seine-et-Oise [auj. Val-d'Oise], 04 novembre 1867) [fille de Pierre Jean PORRO (Bagnols-en-Forêt, Var, 07 décembre 1750* – Montmorency, Seine-et-Oise [auj. Val-d’Oise], 31 mai 1831), guitariste, compositeur et éditeur de musique], mariés à Paris le 23 octobre 1810.
Sœur de Mlle STEINER-BEAUCÉ, mezzo-soprano [voir ci-dessous], et d'Henri BEAUCÉ, ténor [voir ci-dessous].
Epouse 1. à Paris ancien 2e le 14 février 1846* Rémond Antoine Casto de UGALDE (Saint-Sébastien, Espagne, 1816 – Cannes, Alpes-Maritimes, 13 mai 1858*), professeur de piano ; parents de Marie Delphine UGALDE (Paris, avril 1847 – Paris ancien 2e, 16 mars 1849).
Epouse 2. à Paris ancien 2e le 25 octobre 1859* (séparation judiciaire en février 1869) François Constantin VARCOLLIER (Paris ancien 2e, 21 octobre 1823* – Paris 9e, 12 juin 1893*), directeur du théâtre du Palais-Royal [fils de Michel Augustin VARCOLLIER (Marseille, Bouches-du-Rhône, 22 juin 1795 – Paris, 26 septembre 1882), directeur des Beaux-Arts, et de Pauline Françoise Atala STAMATY (Rome, 11 août 1803 – Paris 7e, 05 septembre 1885), peintre] ; parents de Marguerite UGALDE (1861–1940), mezzo-soprano.
Sa mère, musicienne, était la fille du guitariste et éditeur de musique Pierre Porro. Mariée à un jeune musicien, Ugalde, elle fut admise au Théâtre-Lyrique (alors Opéra-National), puis débuta au théâtre de l'Opéra-Comique en 1848, dans le Domino noir. Ses interprétations et créations dans : le Toréador, la Fée aux roses, le Songe d'une nuit d'été, la Dame de pique, le Tableau parlant, la Tonelli, Galatée, etc., achevèrent sa réputation. Etant dans l’impossibilité de chanter, elle joua aux Variétés (passage des Panoramas) le 26 juillet 1853 dans les Trois Sultanes (Roxelane) d’après Favart, puis alla se rétablir dans le Midi, avant de rentrer à l’Opéra-Comique en 1854. Elle passa successivement au Théâtre-Lyrique (1858), à l'Opéra-Comique (1861), aux Bouffes-Parisiens (1862) où elle chanta Orphée aux Enfers (Eurydice) et chanta la première, le 20 février 1863, des Bavards (Roland) d’Offenbach ; à la Porte-Saint-Martin (1865). Veuve et remariée en 1859 à François Varcollier, elle prit avec lui la direction des Bouffes-Parisiens de septembre 1866 à juillet 1867. Après quelques démêlés avec Offenbach, elle y remonta le répertoire de ce dernier, notamment Orphée aux Enfers, où elle joua Eurydice, et confia le rôle de l'Amour à la demi-mondaine Cora Pearl. Elle y créa le 17 novembre 1866 les Chevaliers de la Table ronde d’Hervé ; le 29 mars 1867 Monsieur Fanchette (Fanchette) de Bordogni. Elle reparut à la Porte-Saint-Martin dans Cendrillon (le Prince charmant), et entreprit ensuite de nombreuses tournées théâtrales en province et à l'étranger. En 1870, elle retourna à l'Opéra-Comique, où elle créa le rôle de Juana dans Déa. Le 22 décembre 1871, elle créa Javotte (le Prince Edouard) d’Emile Jonas au Théâtre-Lyrique de l’Athénée. En 1872, elle dirigea le Théâtre des Folies-Marigny. En 1873, elle fit partie avec Zulma Bouffar d’une troupe parisienne qui fit une tournée en province de la Fille de Madame Angot ; elle y interprétait le rôle de Mlle Lange, mais était déjà sur son déclin. Elle se consacra alors au professorat et eut notamment pour élèves Marie Sasse et sa fille, Marguerite Ugalde. Elle dirigea à nouveau le théâtre des Bouffes-Parisiens de 1885 à 1888. Douée d'une belle voix de soprano d'une remarquable souplesse, elle chantait et jouait avec infiniment de verve. On lui doit quelques compositions, notamment un opéra-comique : la Halte au moulin, qu'elle fit exécuter aux Bouffes-Parisiens (1867), ainsi que deux Polkas brillantes (1851).
En 1855, elle habitait 20 rue Newton à Paris 16e ; en 1859, 36 rue Saint-Marc à Paris 2e ; en 1893, 16 rue Castellane à Paris 8e. Elle est décédée en 1910 à quatre-vingt-un ans, en son domicile, 9 rue Vintimille à Paris 9e. Elle est enterrée au cimetière de Montmartre (33e division).
– Sa sœur, Herminie Joséphine Julie Elisabeth BEAUCÉ dite Mlle Steiner-Beaucé (Montmorency, 10 janvier 1826 – Port-Louis, île Maurice, 10 février 1862), mezzo-soprano [épouse STEINER], débuta à l’Opéra-Comique en décembre 1845 dans le Déserteur (Louise), puis chanta en province, à la Scala de Milan et à la Monnaie de Bruxelles.
– Son frère, Henri Antoine BEAUCÉ dit Henri Beaucé (Montmorency, 09 juin 1832 – Paris 2e, 13 septembre 1887*), violoniste et ténor, débuta au Théâtre-Lyrique en 1856, y créa le 10 juin 1857 le Duel du Commandeur (Armand de Pienne) de Théodore de Lajarte, le 30 décembre 1857 la Demoiselle d'honneur (De Vaudreuil) de Théophile Semet, le 08 septembre 1858 la Harpe d'or de Félix Godefroid, et chanta également aux Bouffes-Parisiens.
œuvres lyriques
la Halte au moulin, opéra-comique en 1 acte, livret de Constant Jardry (Bouffes-Parisiens, 11 janvier 1867) => fiche technique Seule, opéra-comique en 1 acte, à un seul personnage, livret de Francis Tourte, créé par Delphine Ugalde (1873) => partition le Page de Stella, opéra-comique en 1 acte, livret de Charly (Bodinière, 04 janvier 1895) les Quatre Fils Aymon, opérette en 3 actes, non représentée
mélodies
Bal des roses (le), rondeau, paroles d’Emile Klanko (1889) Elève de Saint-Cyr (l’), paroles d’Eugène Leterrier et Albert Vanloo (1882) Sabots (les), chansonnette, paroles d’A. Robbé et A. Larsonneur (1892) Tantum ergo (1889) Vingt mélodies, sonnets d’Adrien Dézamy (1878) => partition |
Sa carrière à l'Opéra-Comique
Elle y débuta le 24 juillet 1848 dans le Domino noir (Angèle).
Elle y créa le 03 janvier 1849 le Caïd (Virginie) d’Ambroise Thomas ; le 31 mars 1849 les Monténégrins (Béatrix) d’Armand Limnander ; le 18 mai 1849 le Toréador (Coraline) d’Adolphe Adam ; le 01 octobre 1849 la Fée aux roses (Nérilha) de Fromental Halévy ; le 21 décembre 1850 la Dame de pique (la Princesse Polowska ; Daria Dolgorouki) d’Halévy ; le 01 décembre 1851 le Château de la Barbe-bleue (Fidelia) de Limnander ; le 14 avril 1852 Galathée (Galathée) de Victor Massé ; le 16 novembre 1852 la Fête des Arts (la Musique) d’Adam ; le 30 mars 1853 la Tonelli (la Tonelli ; Bettina Bernardone) de Thomas ; le 26 janvier 1857 Psyché (Eros) de Thomas ; le 30 avril 1870 Déa (Juana) de Jules Cohen.
Elle y participa à la première le 17 septembre 1860 Ma tante dort (Martine) d’Henri Caspers.
Elle y chanta la Dame blanche (juillet 1848) ; l’Ambassadrice ; la Fille du régiment (Marie, 100e le 18 novembre 1851) ; le Tableau parlant ; le Pré-aux-Clercs (Isabelle), l’Etoile du Nord (Catherine) ; Zampa (Camille, 1856) ; Ma tante dort (Martine, 1862) ; le Songe d’une nuit d’été. |
Sa carrière à l'Opéra de Paris
Elle y débuta le 12 avril 1851 dans Robert le Diable (Alice).
Elle y chanta le Trouvère (Léonore), lors de la soirée extraordinaire au bénéfice de Gustave Roger le 28 août 1858. |
Sa carrière au Théâtre-Lyrique
Elle y débuta le 08 mai 1858 en participant à la première des Noces de Figaro (Suzanne) de Mozart [version française de Barbier et Carré].
Elle y créa le 28 février 1859 la Fée Carabosse (Carabosse) de Victor Massé ; le 21 janvier 1860 Ma tante dort (Martine) d’Henri Caspers ; le 23 mars 1860 Gil-Blas (Gil-Blas) de Théophile Semet.
Elle y participa à la première le 11 mai 1859 de l’Enlèvement au sérail (Blondine) de Mozart [version française de Prosper Pascal] ; le 23 février 1865 de la Flûte enchantée (Papagena) de Mozart [version française de Nuitter et Beaumont].
Elle y chanta Obéron (Rézia, 16 mai 1863) ; Mireille (Taven, 15 décembre 1864). |
Delphine Ugalde dans Cendrillon (le Prince charmant), caricature d'André Gill parue dans la Lune, 26 mai 1867
Demandez à Victor Massé, à Semet, à Offenbach qui a fait le grand succès de Galathée, de Gil Blas, des Bavards. Ils répondront : Madame Ugalde. Nous nous trouvons en face d'une véritable artiste ; toutes ses créations sont des triomphes ; comme comédienne, c'est le Couderc femelle des théâtres de chant. Un brio ! une furia francese inouïe ! Tous les rôles lui sont bons, elle imprime à tous son cachet. Que nous sommes loin des chanteuses à l'eau de rose de nos jours ; presque toutes savent chanter, mais bien peu sont capables de tenir un rôle. Madame Ugalde va aborder le drame ; je suis certain à l'avance d'un énorme succès... Madame Ugalde est, à la ville, une femme charmante, adorant ses enfants. Elle habite Levallois ; elle y passe le peu d'heures que lui laisse le théâtre, à la dévotion et à la charité. Nous voilà bien loin de ce petit démon de Gil Blas et de cet enjôleur de Prince Souci.
(Yveling Rambaud et E. Coulon, les Théâtres en robe de chambre : Porte-Saint-Martin, 1866)
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Elle reçut de sa mère, artiste distinguée, ses premières leçons de musique et s'essaya à la salle Chantereine, théâtre de société qui était situé rue de la Victoire. Mariée à un jeune musicien, Ugalde, mort en 1858, elle se fit entendre dans les concerts. Sur la recommandation du compositeur Limnander, elle fut admise à l'Opéra-National pour y interpréter le principal rôle des Monténégrins. Mais la fortune du nouveau théâtre ayant été compromise, M. Limnander donna sa partition au théâtre de l'Opéra-Comique, et y fit engager la jeune cantatrice. Elle y débuta sous le nom d’Ugalde-Beaucé en 1848 dans le Domino noir, puis dans l'Ambassadrice, avec un très grand succès qui se continua dans le Caïd. Les Monténégrins (mars 1849) la posèrent comme une cantatrice de premier ordre, et on lui reconnut dès lors une voix souple, étendue, hardie et légère, permettant d'aborder toutes les difficultés et de prendre toutes les expressions. Ses créations dans le Toréador, la Fée aux roses, le Songe d'une nuit d'été, la Dame de pique, le Tableau parlant, la Tonelli, achevèrent sa réputation. Son triomphe à l’Opéra-Comique fut complet dans Galatée (1852), celle de toutes ses créations qui se prêtait le mieux à son talent plein de verve et d'entrain. Nulle autre n'a mieux su exprimer les transports de la volupté païenne. Aucune des cantatrices qui a tenté de reprendre ce rôle n'est parvenue à la faire oublier. Du 3 au 27 septembre 1852, elle fit une série de représentations à la Monnaie de Bruxelles. Prise d'une extinction de voix, Mme Ugalde résilia son engagement à l’Opéra-Comique et, après un peu de repos, elle joua pendant quelques semaines, au théâtre des Variétés, la comédie à ariettes des Trois sultanes, de Favart. Au retour d'un voyage dans le Midi, qui lui rendit l'organe et la santé, elle fit sa rentrée à l'Opéra-Comique, le 23 décembre 1854, avec un engagement de quatre années, par la reprise de Galatée, et y obtint une véritable ovation. Parmi ses créations d'alors, nous rappellerons celle de l'Amour dans Psyché (1857). En 1858, elle fut attachée au Théâtre-Lyrique, pour jouer le rôle de Suzanne dans les Noces de Figaro, et obtint un vif succès dans la Fée Carabosse (mars 1859) ; elle interpréta aussi d'une façon très remarquable le Gil Blas de M. Semet (1860). Revenue l'année suivante à l'Opéra-Comique, elle reparut dans Galatée, le Toréador et l’Etoile du Nord. En septembre 1865, elle alla jouer à la Porte-Saint-Martin une féerie, la Biche aux bois, dans laquelle on avait intercalé les morceaux qu'elle avait rendus populaires par son talent. Un peu plus tard, en 1867, elle ressuscita cette nouvelle vogue attachée à sa personne dans le prince Charmant d'une autre féerie, Cendrillon, jouée au même théâtre. Dans l'intervalle, remariée à M. François Varcollier (1866), Mme Ugalde avait pris la direction des Bouffes-Parisiens. Après quelques démêlés avec M. Offenbach, elle remonta le répertoire de ce dernier, reprit Daphnis et Chloé (octobre 1866), puis Orphée aux Enfers, où elle joua Eurydice, et eut assez peu de respect de sa personne et de son art pour accorder le rôle de l'Amour dans cette bouffonnerie à une personne hautement protégée, mais d'une renommée jusque-là étrangère au théâtre, la fameuse Cora Pearl. Cet oubli des convenances artistiques occupa les oisifs toute une saison (janvier 1867), mais le théâtre n'y gagna rien sous le rapport de la prospérité. Après cette désastreuse campagne, Mme Ugalde reparut, ainsi que nous l'avons dit précédemment, à la Porte-Saint-Martin, dans Cendrillon, et entreprit ensuite de nombreuses tournées théâtrales en province et à l'étranger. Partout elle fut accueillie avec succès. En 1870, elle a de nouveau fait sa rentrée à l'Opéra-Comique, où elle a créé le rôle de Juana dans Déa. Au mois de février 1869, Mme Ugalde a été séparée judiciairement de M. Varcollier, son second mari. Douée d'une voix de soprano d'une remarquable souplesse, Mme Ugalde vocalisait avec une agilité prodigieuse, et chantait et jouait avec infiniment de verve. Ses notes aiguës étaient brillantes, sonores et vigoureuses. Comédienne consommée, au jeu varié et hardi, plein d'inspiration, ou la comparait à Mme Damoreau, dont elle n'a pas eu toute la perfection, mais a laquelle elle était supérieure peut-être par la force de l'organe, par sa mimique pleine d'ardeur. Déjà, malheureusement, un critique musical, Scudo, pouvait dire d'elle en 1861, alors que deux extinctions de voix l'avaient coup sur coup éloignée de la scène : « Si Mme Ugalde était femme à conformer son humeur à sa fortune, et se résignait à n'accepter que des rôles secondaires qui exigeraient plus de verve que de grâce, plus d'esprit et d'activité scénique que de voix, elle pourrait être encore utile à un théâtre (l'Opéra-Comique) qui a autant besoin de comédiens que de chanteurs. » Excellente musicienne, professeur distinguée, Mme Ugalde a souvent donné le concours de son talent à des soirées musicales et à des concerts de bienfaisance. Elle a formé de bonnes élèves. Nous citerons entre autres Mme Marie Sass, qu'elle fit débutera ses côtés sur la scène du Théâtre-Lyrique, dans la comtesse des Noces de Figaro, en 1859, et qui depuis lors a brillé à l'Opéra. On lui doit quelques compositions musicales, notamment un opéra-comique, la Halte au moulin, qu'elle a fait exécuter aux Bouffes-Parisiens au mois de février 1867.
(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1866-1876)
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Delphine Ugalde [photo Benque]
Petite-fille, par sa mère, de l'excellent guitariste Porro, qui fut éditeur de musique, elle reçut de celle-ci, qui était très bonne musicienne, presque toute son éducation artistique. Dès l’âge de six ans elle jouait du piano, à neuf ans elle donnait des leçons, et à onze ans elle obtenait un grand succès en se faisant entendre, aux côtés de ces grands artistes qui s'appelaient Rubini, Lablache et Tamburini, dans un concert donné à la salle Herz. Remarquée par le prince de la Moskowa, cet amateur, qui avait le talent d'un artiste, l'engagea pour chanter les solos dans les séances de la Société de chant classique, société fondée et dirigée par lui, exclusivement composée de dilettantes, et dont la jeune Delphine Beaucé était la seule artiste ; elle acquit là, par la fréquentation et l'étude des œuvres des grands maîtres, une instruction pratique qui développa d'une façon considérable son sens artistique et exerça une utile et bienfaisante influence sur la suite de sa carrière. La jeune fille, pourtant, se destinait au théâtre. Elle devint élève de Moreau-Sainti, et fit ses premiers pas en ce genre sur la petite scène d'amateurs connue sous le nom de théâtre de la Tour-d'Auvergne, où elle se montrait à la fois dans la comédie et dans l'opéra-comique. C'est alors que M. Limnander, qui se préparait à faire jouer à l'Opéra-National son opéra les Monténégrins, la fit engager pour en remplir le principal rôle. La révolution de février 1848 étant survenue, et le théâtre ayant fermé ses portes, Mlle Beaucé se vit obligée d'accepter les propositions qu'on lui faisait pour chanter au Château-des-Fleurs, établissement de concerts situé aux Champs-Élysées. Mais avant qu'elle y eût paru, M. Limnander, qui avait porté et fait recevoir sa pièce à l'Opéra-Comique, y faisait engager aussi sa jeune interprète. C'est donc dans le courant de l'année 1848 que Mme Ugalde fit ses débuts à l'Opéra-Comique, où elle parut d'abord dans le Domino noir et dans l'Ambassadrice avec un véritable succès. Elle créa ensuite plusieurs rôles qui lui firent beaucoup d'honneur, dans le Caïd, les Monténégrins, le Toréador, la Fée aux Roses, le Songe d'une nuit d'été, la Dame de pique, la Tonelli, et surtout dans Galathée, qui convenait à merveille à la nature de son talent fougueux et expansif. Tout d'un coup, une maladie grave des cordes vocales vint éloigner l'artiste de la scène. On put croire un instant qu'elle avait complètement perdu la voix. Cependant, après avoir quitté l'Opéra-Comique, elle put entrer aux Variétés pour y jouer Roxelane dans les Trois Sultanes, de Favart, ouvrage auquel M. Jules Creste avait, à son intention, ajusté quelques morceaux de chant. Puis, à la suite d'un voyage aux Pyrénées, Mme Ugalde rentra au théâtre Favart (1854), où elle créa, entre autres, le rôle de l'Amour dans Psyché. Engagée ensuite au Théâtre-Lyrique pour y jouer celui de Suzanne dans les Noces de Figaro (1858), elle y créa la Fée Carabosse et Gil Blas, où elle retrouva tous ses succès passés, après quoi elle rentra de nouveau à l'Opéra-Comique, pour le quitter encore au bout de peu de temps. Elle fit alors une apparition à la Porte-Saint-Martin, où l'on arrangea pour elle un rôle chantant dans une reprise de la Biche aux Bois, et de là fut engagée aux Bouffes-Parisiens par M. Varney, qui lui fit faire deux excellentes créations dans les Bavards et dans les Géorgiennes. Mme Ugalde, qui avait perdu son premier mari en 1858, et qui avait épousé en secondes noces M. Varcollier, prit avec celui-ci la direction des Bouffes-Parisiens, au mois de septembre 1866 ; mais sa direction ne dura pas plus de six mois et demi, pendant lesquels elle joua un rôle important dans les Chevaliers de la table ronde et fit représenter la Halte au moulin, opérette dont elle avait écrit la musique (11 janvier 1867). Depuis lors elle n'a plus fait beaucoup parler d'elle, et s'est bornée à quelques tournées en province. Douée d'une voix superbe, chaude et colorée, mais qui perdit assez rapidement une partie de son éclat, cette artiste était remarquable par sa fougue, sa verve, son entrain, par la hardiesse de ses traits, par la largeur de son phrasé, et, sinon par le style, du moins par un grand sentiment musical. Dépassant parfois le but en raison de sa nature expansive, elle n'en produisait pas moins un grand effet, parce qu'il y avait en elle l'étoffe et le tempérament d'une grande artiste, et qu'elle se livrait tout entière. Ses défaillances étaient rachetées d'ailleurs par les qualités d'une excellente musicienne. Mme Ugalde a, dit-on, formé plusieurs élèves, dont la plus remarquable est assurément Mme Marie Sass. Sa fille et son élève, Mlle Marguerite Ugalde, âgée de dix-huit ans environ, a débuté d'une façon heureuse à l'Opéra-Comique, au commencement de 1880, dans la Fille du régiment. Depuis qu'elle semble avoir tout à fait quitté la scène, Mme Ugalde s'est beaucoup occupée de composition. Elle a fait entendre récemment, dans un concert (1878), toute une série de mélodies vocales, dont quelques-unes étaient vraiment aimables et écrites avec goût, et elle a en portefeuille la musique d'une opérette en 3 actes, les Quatre Fils Aymon, qui jusqu'ici n'a pas été représentée.
(François-Joseph Fétis, Biographie universelle des musiciens, supplément d'Arthur Pougin, 1878-1880)
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Delphine Ugalde en 1875 [photo Truchelut]
Le nom de Mme Ugalde est un de ceux qui marqueront dans les annales de l'Opéra-Comique. Dans les arts, une des choses les plus difficiles à conquérir, c'est la popularité. Que d'artistes, d'un talent supérieur pourtant, dont le nom n'a point franchi le cercle des connaisseurs ? Au théâtre, certaines qualités contribuent, plus sûrement que d'autres, à rendre populaires ceux qui les possèdent. Ainsi : l'imprévu, la hardiesse, le brio, entraîneront toujours le vulgaire plus rapidement que ne le pourrait faire l'étude simple et consciencieuse du vrai et du beau, si approfondie qu'elle soit. Aussi, lorsqu'une artiste, comme Mme Ugalde joint à ces qualités un talent de musicienne consommée et d'excellente comédienne, rien n'est plus naturel que de voir la popularité s'attacher à ses pas et la suivre sur toutes les scènes où sa fantaisie la conduit. Nature primesautière, s'il en fut, se livrant tout entière à son inspiration, Mme Ugalde savait escalader, avec une audace inouïe, les obstacles les plus difficiles que les compositeurs se plaisaient à jeter à travers son chant. Le goût et la distinction lui firent peut-être quelquefois défaut, mais son instinct profond de la scène lui suggérait de ces mouvements soudains qui soulèvent une salle. C'est bien d'elle qu'on pouvait dire : elle a le feu sacré ! Artiste par excellence, elle possédait au suprême degré le brio, et avec ce don si rare, elle éblouissait les plus rebelles aux sensations de l'art, et les forçait à accepter ses hardiesses les plus téméraires. Elle sut marquer chacune de ses créations du sceau de son individualité, rendant ainsi très périlleux, pour celles qui lui ont succédé, le chemin par où elle a passé triomphante. Tous les genres lui furent familiers. D'abord vocaliste habile à l’Opéra-Comique et comédienne de race, elle a laissé les variations et les difficultés du gosier pour pénétrer dans le drame lyrique où les lignes larges et inspirées lui permirent d'acquérir une nouvelle réputation. Mais remontons vers le passé, et nous suivrons pas à pas les métamorphoses successives de son talent. Née à Paris le 3 décembre 1828, Delphine BEAUCÉ apprit, de bonne heure, à chanter sous la direction de sa mère, professeur des plus distingués. Elle apparut, pour la première fois au théâtre, à la salle Chantereine, puis chanta au Château des Fleurs. Vers la fin 1847, un compositeur Belge, Limnander, la proposa à Adolphe Adam, directeur de l'Opéra-National, pour créer à ce théâtre un de ses ouvrages : les Monténégrins. Delphine Beaucé fut bien accueillie par l'auteur du Chalet, mais la révolution de février ayant porté un coup terrible à l'Opera-National, Limnander ne voulut point compromettre le succès de son œuvre ; il la porta à l'Opéra-Comique où il amena avec elle la jeune cantatrice. Mme Ugalde débuta à la Salle Favart, par le Domino noir. Son succès fut immédiat et se continua dans l'Ambassadrice, le Tableau parlant, les Monténégrins, le Caïd et le Toréador qui achevèrent de la placer au premier rang. Alors ce ne fut plus qu'une suite non interrompue de succès : la Fée aux Roses, le Songe d'une nuit d'Été, la Dame de pique, etc., toutes créations charmantes, jusqu'à Galathée, jouée le 14 avril 1852, où elle s'éleva à une hauteur que n'a pu atteindre aucune de celles qui, depuis, ont osé toucher à ce rôle. Mme Ugalde dans Galathée ne se montra pas seulement virtuose accomplie, elle était si pénétrée du sentiment profond de l'antique, qu'elle vous transportait deux mille ans en arrière et donnait au chef-d'œuvre de Victor Massé toute sa grandeur. Je ne connais pas à l'Opéra-Comique, depuis vingt ans, un succès d'artiste aussi élevé que celui-là. En 1853, après une autre création, la Tonelli, d'Ambroise Thomas, Mme Ugalde fit une excursion aux Variétés, dans les Trois sultanes. Les lauriers de Mlles Tautin et Schneider l’empêchaient‑ils donc de dormir ? Non sans doute, mais elle succombait au danger que lui créait la prodigieuse souplesse de son talent. L'écart, heureusement fut court en dehors de la bonne voie. Revenue en 1854 à l'Opéra-Comique ave un engagement de quatre ans, elle y reprit son répertoire et fit encore de nouvelles créations telles que : la Cour de Célimène et l’Amour dans Psyché, deux autres ouvrages de Thomas dont le dernier est presqu'un chef-d'œuvre. Engagée au Théâtre-Lyrique en 1858 pour y reprendre avec Mmes Carvalho et Caroline Duprez les Noces de Figaro, elle chanta ce rôle écrasant de Suzanne avec une maestria inconnue jusqu'alors dans un théâtre de genre. On se rappelle encore l'enthousiasme suscité par les trois incomparables virtuoses. Cent cinquante représentations consécutives ne purent la satisfaire et des trains de plaisir s'organisèrent, dans la province, pour venir entendre une exécution dont on n'a point eu, depuis, pareil exemple. A ce théâtre, Mme Ugalde, créa : Ma Tante dort, la Fée Carabosse, etc., mais ses deux grands succès, avec les Noces, furent l'Enlèvement au sérail de Mozart et Oberon de Weber. Elle prouva, dans ce dernier ouvrage, que la passion la plus intime lui était aussi familière que la fantaisie la moins réglée dont elle avait fait preuve dans les œuvres légères, telles que Gil Blas que j'allais oublier, et où elle obtint cependant un véritable triomphe. En 1865, Mme Ugalde, dont la voix était très fatiguée quitta les théâtres lyriques de premier ordre pour n'y plus rentrer. Après avoir joué à la Porte-Saint-Martin la Biche au Bois où on avait intercalé ses airs les plus populaires, puis Cendrillon, elle se fit, elle-même, directrice de spectacle aux Bouffes-Parisiens. Là, elle ne put résister à la tentation de chanter. Eurydice, d'Orphée aux Enfers, les Bavards, etc., confisquèrent cette admirable artiste, et je fus de ceux qui s'en affligèrent profondément. En 1867, Mme Ugalde se retira du théâtre, où elle ne fait plus que quelques excursions, par hasard. Elle s'est depuis adonnée à l'enseignement. Comme professeur, on la doit également avoir en très sérieuse considération. C'est elle, d'ailleurs, qui a formé complètement Mlle Marie Sass. Possédant à fond toutes les ressources de la voix, elle doit enseigner avec sûreté, la hardiesse des traits et la largeur du style, et ce n'est pas seulement l'art du chant mais celui du comédien dont elle peut apprendre les secrets. On doit à Mme Ugalde plusieurs morceaux de musique bien écrit et d'un bon sentiment. Sous sa direction, en 1867, les Bouffes-Parisiens représentèrent un petit ouvrage d'elle : la Halte au moulin qui fut bien accueilli. Quand reverrons-nous à l'Opéra-Comique, une artiste pareille ; possédant une aussi admirable voix de soprano qui pouvait se jouer avec une facilité sans exemple des difficultés les plus arides, animant la scène par son esprit vif et entraînant et sachant soulever les masses par un de ces éclairs imprévus qu'ont seules, les grandes individualités.
(Félix Jahyer, Paris-Théâtre, 29 avril 1875)
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Elle reçut de sa mère, excellente musicienne, son éducation musicale, avant de devenir l'élève de Moreau-Sainti. Dès l'âge de six ans touchant du piano ; donnant des leçons à neuf ; à onze ans elle chantait déjà dans des concerts, et y obtenait de précoces succès. Engagée comme soliste à la Société de chant classique dirigée par le prince de la Moskowa, elle essaya ensuite ses forces au théâtre de la Tour d'Auvergne. Limnander, qui l'entendit, augurant bien de son talent futur, la fit engager au théâtre national pour lui confier le principal rôle de ses Monténégrins. Mais la révolution de 1848 ayant contrarié ses projets, il transporta pièce et chanteuse à l'Opéra-Comique. A ce théâtre, Mme Ugalde parut d'abord dans le Domino noir avec succès ; puis elle créa le Caïd, les Monténégrins, le Songe d'une nuit d'été, etc., avec un talent grandissant, et enfin Galatée, qui fut pour elle un vrai triomphe. Une maladie du larynx la forçant à quitter l'Opéra-Comique, elle se réfugia aux Variétés et y joua les Trois Sultanes, de Favart. A son rétablissement en 1854, la vaillante artiste rentra à l'Opéra-Comique et y créa d'une façon charmante le rôle de l'Amour dans Psyché. Passant au Théâtre-Lyrique en 1858, elle y parut dans les Noces de Figaro et créa ensuite la Fée Carabosse et Gil Blas, qui lui firent le plus grand honneur. Cependant, à partir de cette époque, ses succès allèrent décroissant. Elle reparut pourtant quelque temps après à l'Opéra-Comique ; donna quelques soirées à la Porte-Saint-Martin dans la Biche au bois ; enfin, elle alla chanter les Bavards aux Bouffes-Parisiens, théâtre qu'elle dirigea avec son second mari, en 1866. Durant les six mois que dura sa direction, elle créa les Chevaliers de la Table ronde et une opérette de sa composition : la Halte au moulin. Puis elle ne chanta plus qu'en province ou dans les concerts. Il y a quelques années, Mme Ugalde donna une séance musicale intéressante, dans laquelle elle fit entendre un certain nombre de ses œuvres. Parmi celles-ci : les Bœufs, mélodie tirée d'un de ses recueils, produisit le plus grand effet.
(Georges Baudouin, Petite Encyclopédie musicale, 1884)
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Mme Ugalde (elle était devenue célèbre sous le nom de son premier mari) avait eu une carrière dramatique aussi brillante que tourmentée. D'une rare précocité musicale (à neuf ans elle donnait des leçons de piano), elle avait fait ses débuts de cantatrice à la salle Chantereine, petit théâtre de société situé rue de la Victoire (Paris), reçu des leçons de Moreau-Sainti, et débuté à l'Opéra-Comique en 1858, sur la recommandation du compositeur belge Limnander, dans le Domino noir. Six ans après, son triomphe dans Galatée la mettait au rang des cantatrices de grand ordre : une voix chaude, colorée, d'une souplesse inouïe dans les vocalises, une fougue et un entrain extraordinaires firent d'elle l'idole du public. Elle fut, de 1855 à 1867, une des reines de Paris, amie de Rachel, d'Augustine Brohan, de Dumas père, d'Arsène Houssaye, protectrice de Gounod, alors à ses débuts. La jeunesse des écoles courut lui faire une ovation le soir où un jugement prononça la séparation de corps entre elle et son mari. Ses principales créations ont déjà été mentionnées au Nouveau Larousse illustré. La Biche au bois, en 1865, fut une des plus heureuses et des plus retentissantes. Mais, bientôt, l'étoile déclina. Mme Ugalde fut un peu éclipsée par la renommée naissante de Galli-Marié. Remariée avec le photographe Varcollier, en 1866, elle dirigea, en 1866-1867, les Bouffes-Parisiens. Elle eut le tort d'y engager, dans Orphée aux Enfers, Cora Pearl, dont la réputation tapageuse était le seul mérite. Son théâtre en souffrit, et, en 1867, Mme Ugalde, redevenue comédienne, figurait, de nouveau à la Porte-Saint-Martin dans Cendrillon. Puis ce furent des tournées — d'ailleurs brillantes — en province et à l'étranger. Bientôt, sentant sa voix compromise, elle renonça presque complètement à la scène, paraissant surtout dans les concerts, toujours prête, d'ailleurs, à rendre service aux œuvres de charité ou aux camarades dans l’embarras. Une nouvelle tentative de direction des Bouffes-Parisiens (de 1885 à 1888), après avoir très brillamment débuté avec la Béarnaise et Joséphine vendue par ses sœurs, finit mal. Après que sa fille, Marguerite Ugalde, dont l'apparition sur la scène de l'Opéra-Comique avait encouragé toutes les espérances, dut à son tour abandonner le théâtre, Delphine Ugalde vieillit péniblement, devenue sur la fin de ses jours presque aveugle, s'occupant de dicter ses Mémoires et ses souvenirs.
(J. Delisle, Larousse Mensuel Illustré, octobre 1910)
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tombe de Delphine Ugalde, où elle est enterrée avec sa fille Marguerite, au cimetière de Montmartre [photo ALF, 2022]