Charles de SIVRY

 

Charles de Sivry dit Sivroche, par Victor Lucien Guirand de Scévola

 

 

Louis Charles Erhard de SIVRY dit Charles de SIVRY

 

compositeur, chef d'orchestre et pianiste français

(43 rue de Miromesnil, Paris ancien 1er [auj. 8e], 15 novembre 1848* – Paris 18e, 16 janvier 1900*)

 

Fils de Pierre Louis de SIVRY (Saint-Germain-en-Laye, Seine-et-Oise [auj. Yvelines], 11 mars 1813 – Paris ancien 1er, 11 mars 1849*), homme de lettres, et d’Antoinette Flore CHARIAT (Cambrai, Nord, 30 novembre 1823 – Paris 18e, 23 mai 1883), maîtresse de musique, mariés à Paris ancien 1er le 17 avril 1847* [veuve, sa mère se remarie à Paris le 22 janvier 1852 avec Théodore Jean MAUTÉ (Le Mans, Sarthe, 20 octobre 1805 – Paris 18e, 31 octobre 1887), notaire, de qui elle eut une fille, Mathilde Sophie Marie MAUTÉ (Nogent-le-Rotrou, Eure-et-Loir, 17 avril 1853* Nice, Alpes-Maritimes, 13 novembre 1914*) qui épouse 1. à Paris 18e le 11 août 1870* (divorce à Paris 11e le 22 mai 1885*) le poète Paul Marie VERLAINE (Metz, Moselle, 30 mars 1844 Paris 5e, 08 janvier 1896*) ; 2. (divorce le 12 mai 1905) Bienvenu Auguste DELPORTE (Ardelues, Hainaut, Belgique, 28 mai 1852 – av. 1914), entrepreneur de travaux].

Epouse à Paris 5e le 06 mai 1871* Emma COMIOT (Rouen, Seine-Inférieure [auj. Seine-Maritime], 17 avril 1843* Paris 18e, 18 janvier 1919), artiste dramatique ; parents de :

1. Charlotte Alix Geneviève de SIVRY (Paris 9e, 21 décembre 1872 – Paris 18e, 30 janvier 1873).

2. Jean Erhard de SIVRY (Paris 18e, 26 juin 1875* Paris 18e, 25 août 1896*).

3. Geneviève Charlotte de SIVRY (Paris 18e, 21 avril 1876* Paris 17e, 06 avril 1897), épouse à Paris 18e le 04 mars 1895 Gérard Hilaire Prosper Emmanuel Hippolyte DE BARRIQUE DE FONTAINIEU (Marmande, Lot-et-Garonne, 26 juillet 1863 – Paris 18e, 15 avril 1928).

4. Hugues Erhard de SIVRY (Paris 18e, 04 août 1878* ).

5. Marguerite Claudine de SIVRY dite Claudie de SIVRY (Paris 18e, 31 janvier 1884* 29 rue Mirabeau, Paris 16e, 28 février 1959), vedette du cabaret de la Chaumière et qui créa le 12 décembre 1930 aux Bouffes-Parisiens les Aventures du roi Pausole (Dame Perchuque) d'Arthur Honegger. Epouse 1. à Paris 5e le 28 novembre 1903 (divorce le 12 janvier 1912) Émile Jacques DE MEYER (Lesines, Hainaut, Belgique, 28 janvier 1862 – Asnières [auj. Asnière-sur-Seine], Seine [auj. Hauts-de-Seine], 16 mai 1921), hypnotiseur ; 2. à Paris 18e le 28 octobre 1918 Georges Ernest BRICET (Chatillon-sur-Seine, Côte-d'Or, 24 juin 1882 – Paris 17e, 13 juin 1951), artiste dramatique.

 

 

Comptable dans une compagnie d'assurances, puis chez un agent de change, ce dernier, un jour de « krach », s'étant brûlé la cervelle, Sivry abandonna les chiffres pour la musique. Il prit la succession de Métra comme chef d'orchestre au bal Robert, puis dirigea une troupe de musiciens hongrois à la brasserie Fanta (1867). Il passa ensuite aux Délassements-Comiques, à la Nouvelle Bastille, à la Vieille Amérique, aux Folies-Marigny, et fit de nombreuses tournées avec Rodolphe Salis et Théodore Botrel, dont il était l'accompagnateur attitré. Après avoir succédé à Albert Tinchant comme pianiste au Chat-Noir, il fut, jusqu'à sa mort, l'accompagnateur des Quat'-z-Arts. Il a collaboré, pour la musique, avec tous les chansonniers de Montmartre. C’est au Chat-Noir qu’il rencontra en 1868 le poète Paul Verlaine, qui épousera le 11 août 1870 à l’église Notre-Dame-de-Clignancourt à Paris 18e sa demi-sœur Mathilde Mauté.

Il a publié un assez grand nombre de chansons et romances, et s'est beaucoup occupé de reconstitution de musique ancienne (il a recueilli et harmonisé des Chansons de France). Il a fait représenter dans des petits théâtres quelques opérettes et pantomimes. Il a fait exécuter un poème symphonique : la Légende d'Hiram, exécuté le 24 octobre 1878 dans la salle des fêtes du palais du Trocadéro, pour une grande solennité franc-maçonnique ; un drame lyrique : la Rédemption d'Istar (Théâtre des Nations, 1880) ; un ballet : le Cœur de Sîtâ (Eden-Théâtre, 18 mai 1891). En 1897, il préparait avec Tiercy Ah, mes enfants !, revue en 3 actes. On lui doit pour le Chat-Noir la musique de pièces du théâtre d’ombres : Phryné de Maurice Donnay (1891) ; Ailleurs de Maurice Donnay (1891) ; le Malin Kangourou, « drame australien », ombres de Gustave Verbeck (1893) ; Roland à Roncevaux, oratorio en trois tableaux, poème de Georges d’Esparbès (Paul Delmet faisait Roland) ; l'Arche de Noé de Georges Moynet. On lui doit encore une Méthode élémentaire de mandoline. Il a pris une part de collaboration à une petite feuille musicale, le Progrès artistique, et il est l'auteur d'un petit monologue, le Prêtre, « monocoquelogue » en trois tableaux, dit par Coquelin cadet.

En 1871, il habitait 14 rue Nicolet à Paris 18e ; en 1897, 47 rue d'Orsel à Paris 18e. Il est décédé en 1900 à cinquante-et-un ans, en son domicile, 38 rue des Abbesses à Paris 18e. Il est enterré au cimetière du Montparnasse (25e division).

 

=> Phryné, scènes grecques de Maurice Donnay représentées au Théâtre d'ombres du Chat-Noir le 14 janvier 1891, avec les décors de Henri Rivière et la musique de Charles de Sivry

=> Ailleurs, revue symbolique en 20 tableaux de Maurice Donnay représentée au Théâtre d'ombres du Chat-Noir le 11 novembre 1891, avec les décors de Henri Rivière et la musique de Charles de Sivry

 

 

 

Charles de Sivry

 

 

œuvres lyriques

 

le Rhinocéros et son enfant, opérette-bouffe en 1 acte, livret de Saint-Fargeau [Lepelletier dit] (Délassements-Comiques, 01 septembre 1874)

le Vicomte de Chrysocale, opérette, livret de Frédéric Dharmenon et Gaston Escudier (Délassements-Comiques, 22 octobre 1874)

le Ménage Pavernay, opérette en 1 acte, livret de MM. Adrien et Georges Thalray (Folies-Marigny, 27 juillet 1875)

Jolicœur, opérette en 1 acte (Fantaisies-Oller, 24 janvier 1877)

Tous gentilshommes, opérette en 1 acte (Fantaisies-Oller, 20 mars 1877)

Un Grand Prix de Rome, comédie en 1 acte de Dubas (Folies-Marigny, 18 février 1879)

la Rédemption d'Istar, drame lyrique en 2 parties, livret de Bertol-Graivil (Théâtre des Nations, 29 juin 1879, avec Mme Irma Marié [Istar] et M. L. Mauzin [le Berger]) => livret

Aveugle par amour, opérette en 1 acte, livret de Bertol-Graivil (château de Ferrières, 10 décembre 1882 ; casino d'Etretat, 07 août 1883) => partition

Agamemnon, tragédie d'Eschyle, adaptation française d'Henri de Bornier, musique grecque reconstituée par Charles de Sivry (Opéra de Paris, 26 janvier 1886 [extraits]) => fiche technique

le Miracle de Saint Nicolas, mystère en 3 actes et 4 tableaux de Gabriel Vicaire (Théâtre d'Application de la Bodinière, 12 décembre 1891)

la Petite princesse, opérette en 1 acte, livret de Bertol-Graivil (Théâtre d'Application de la Bodinière, 08 mai 1893)

 

ballets

 

les Actrices pour rire, ballet en 3 actes de F. Savard et G. Numa (Délassements-Comiques, 01 septembre 1874)

l'Avare et son trésor, pantomime en 1 acte de P. Legrand et Bouvret, musique avec Paul Delmet (Galerie Vivienne, 23 octobre 1890)

le Cœur de Sîtâ, grand ballet-pantomime en 3 actes et 8 tableaux avec chœurs et soli, livret de G. de Barrigue de Fontainieu (Eden-Théâtre, 18 mai 1891)

les Faux vieillards, pantomime en 1 acte de Guillaume Livet (Salle Duprez, 09 novembre 1891)

les Images, pantomime en 2 actes de Guillaume Livet, Hubert et Minet (Fantaisies-Parisiennes, 02 janvier 1893)

Joséphine elle est malade, pantomime en 1 acte de Georges Courteline (Scala, 08 septembre 1894)

 

chansons

 

Avecque mes sabots, extrait des Chansons de France recueillies et harmonisées par Charles de Sivry => partition

Cloches de Nantes (les), extrait des Chansons de France recueillies et harmonisées par Charles de Sivry => partition

Partie carrée, fantaisie, paroles de Marcel de Lihus (1895) => partition

 

 

 

       

 

 

la Dernière écuelle, chanson de Théodore Botrel,

harmonisée par Charles de Sivry

 

 

le Retour du gâs, chanson de Théodore Botrel,

harmonisée par Charles de Sivry

 

 

les Loups bretons, chanson de Théodore Botrel,

harmonisée par Charles de Sivry

 

 

 

 

 

Rigaudon provençal de Charles de Sivry sur un thème de Saboly

 

 

 

A l'Éden-Théâtre, un ballet d'action de deux auteurs français, M. de Fontainieu et M. Charles de Sivry, est venu remplacer le mécanique ballet italien et les gros effets musicaux dont il est coutumier.

Bien qu'il ait évidemment cherché les sonorités un peu violentes qui semblent convenir à ce genre, dans ce milieu, M. de Sivry se montre soucieux de la variété et de la couleur que comporte son sujet. C'est un compositeur de valeur réelle.

D'autre part, les combinaisons chorégraphiques sont fort ingénieuses et fort harmonieuses à l’œil.

Je n'en parle toutefois que sur un unique échantillon, car je n'ai vu que le premier des huit tableaux dont se compose le spectacle. Ce soir-là, la machinerie ne fonctionnait pas ; il était onze heures quand la toile s'est levée sur ce premier tableau et j'ai dû, pour cette fois, me contenter de cette impression partielle, comme je viens de le dire.

La fable que M. de Fontainieu a donnée pour thème à M. de Sivry procède d'une de ces nombreuses légendes hindoues qu'on puise dans les livres védiques... quand on ne les invente pas.

L'action se passe à Delhi, à l'époque de la conquête mongole. Sitâ — j'ai oublié de dire que ce ballet a pour titre : le Cœur de Sitâ — Sitâ est aimée à la fois par Irâman et par Baber, le chef mongol. Celui qu'elle aime meurt. C'est Irâman, si j'ai bien compris le drame raconté. Voyant alors qu'elle va appartenir au vainqueur, elle se tue.

Je ne puis parler que par ouï-dire de ce sujet. Tel qu'il m'apparaît, il ne me semble pas sans quelque analogie avec celui du Roi de Lahore, de J. Massenet, selon lequel une autre Sitâ, aimée à la fois du roi Alim et de son ministre Scindia, finit par se frapper pour échapper à la poursuite de ce dernier.

Mais la première Sitâ, celle de M. J. Massenet, ne fait que chanter son amour et ses peines ; celle de M. de Sivry les mime et les danse, et elle les mime et les danse fort bien, avec beaucoup de passion véhémente, par la grâce de Mlle Striscino.

 

(Louis Gallet, la Nouvelle Revue, 01 juin 1891)

 

 

 

Charles de Sivry par Georges Redon (le Rire n°10, 12 janvier 1895)

 

 

 

Le folklorisme musical chez Charles de Sivry.

Le compositeur Charles-Erhardt de Sivry, né en 1848 et qui est décédé en janvier 1900, mérite à bien des égards de laisser un nom dans la mémoire de la Postérité.

Il fut un Rénovateur de la « Chanson populaire » qu'il s'appliqua à recueillir dans toutes les provinces de France, notamment en Bretagne. Citons : « la Chanson de Jean Renaud », celle de la Mariée, « Voici la Noël », etc., que l'on a chantées partout après qu'il les eût fait connaître aux Quat’-z-Arts du Boulevard de Clichy-Montmartre et ailleurs. On sait quel succès elles y eurent, ainsi que lorsqu'à une conférence du Cercle Saint-Simon, M. Quellien les signala. Elles sont réunies dans une publication de l'éditeur Quinzard, 24, rue des Capucines... Mais l'œuvre de Charles de Sivry ne se borne pas à cela. Il a fait de nombreux ballets, des oratorios : « le Cidre », la « Cucaracha », « l'Absinthe », « Daphnis et Chloé »... d'autres encore et la fameuse « Légende d'Hiram », jouée en 1878, au Trocadéro, pour la grande Fête Maçonnique de la réception des Maçons étrangers et de ceux des départements et des colonies par leurs Frères de Paris.

L'inspiration de cette œuvre me rappelait, pour les paroles, la belle Ode symphonique presque oubliée aujourd'hui que les anciens Maçons Ortolan et Steimer dédièrent aux « Amis de Sully » de Brest ; mais la musique de Sivry avait une originalité tout à fait à elle et d'un caractère moderne bien marqué. Elle mériterait d'être reprise dans quelques fêtes du Grand Orient et des Fraternités d'Ateliers Maçonniques du monde entier...

M. de Sivry était un érudit et un évocateur du Passé en même temps que le chantre le plus primesautier des actualités et des créations parisiennes « fin de siècle », si l'on peut dire. Il a reconstitué la musique grecque pour l'adaptation française d'Henri de Bornier à l'Agamemnon d'Eschyle, donné à l'Opéra en 1885. Les compositeurs les plus célèbres se récusaient, effrayés des difficultés d'un tel travail. Charles de Sivry se mit à l'œuvre et sa composition fut unanimement acclamée et produisit une impression profonde. Les Palmes académiques lui furent remises à cette occasion...

Citons encore « le Cœur de Sita », en 1891, à l'Eden-Théâtre, premier ballet accompagné de chant qui se soit joué à notre époque. Ce n'est qu'à la suite de cette œuvre que l'Opéra est entré dans cette voie, mais Charles de Sivry fut l'initiateur de cette forme nouvelle. Je citerai aussi un « Christophe Colomb », oratorio pour la Vieille Amérique reconstituée en 1892, etc... On voit par ces indications trop sommaires la valeur de l'œuvre musicale de ce compositeur...

 

(Théodore Lefebvre, Notes historiques sur la Bretagne-Finistère, 1902)

 

 

 

 

         

 

la Marche à l'Etoile de Georges Fragerolle, pièce du théâtre d'ombres du Chat-Noir (06 janvier 1890)

 

 

 

 

Un grand, un très grand artiste, en dépit de sa petite taille. Simple, bon, modeste à l'excès, Charles de Sivry fit les beaux soirs des Quat'z­-Arts après avoir vécu ceux du Chat-Noir où il prit la place laissée vacante au piano d'accompagnement par le décès d'Albert Tinchant.

Dans le journal des Quat'z-Arts, il publia ses mémoires qu'il intitula Souvenirs sans regrets. Malheureusement, il ne put les achever. Nous y trouvons des notes amusantes sur ses débuts dans le monde artistique :

 

« Je suis né le 15 novembre 1848...

Et passerai sur l'horreur des pensions et des collèges...

Ma famille, me voyant quelques dispositions pour la haute chimie, s'empressa, usant des plus sérieuses protections, de me placer dans une compagnie d'assurances.

Le travail consistait, dans une sorte de salle d'étude très immense, à faire, sur d'énormes in-folio, de très longues additions qu'il fallait refaire en large après les avoir faites en long.

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

Mais comme ces interminables additions s'étaient rapidement transformées en méningite dans mon crâne, je dus abandonner la compagnie et entrer chez un agent de change.

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

Le soir, j'allais souvent dans une douce et paisible famille de bourgeois où m'avait présenté un camarade de collège. On faisait un peu de musique, car le pater familias avait une grande fille à marier.

Thé, petits fours, rhum dans un litre, jeux innocents et valses.

Et, chaque semaine, l'excellent homme me disait : « Vous devriez, puisque vous n'aimez pas les chiffres, donner des leçons de musique. Vous savez que je gagne ma modeste aisance à vendre, à tant par mois, des pianos de tous facteurs... je vous procurerai des élèves, et vous tâcherez de me faire faire des affaires. »

La proposition avait bien des côtés tentants. Mais je ne me sentais pas très calé comme « pianiste ». Et puis, que dirait ma famille ?

Un jour de « liquidation », après le fameux krach de 1866, mon agent de change se brûla la cervelle.

J'acceptai les offres artistiques de mon ami et, quelques jours après, j'étais professeur de piano.

Puisque j'étais professeur de musique, je me décidai à étudier cet art. Je lui devais bien ça.

La bibliothèque du Conservatoire ne vit plus que moi. J'y dévorai tous les traités d'harmonie, de contrepoint, de fugue, etc... et les digérai.

En ces temps, les cafés fermant à minuit et demi, divers refuges existaient cependant pour les noctambules peu fortunés qui ne pouvaient s'offrir le luxe du Brébant ou du Helder. C'étaient les arrière-boutiques de certains pâtissiers.

Chez l'un, faubourg Montmartre, nous causions musique avec Paul Henrion. Chez l'autre, chaussée Clignancourt, on discutait avec des musiciens.

Un homme assez étrange fréquentait cet endroit occulte.

Plus petit que moi, grêlé comme une écumoire, coiffé d'un très grand chapeau haut de forme, vêtu d'un macfarlane démodé, solitaire et silencieux, il buvait des « demi-setiers » dans un coin, mais il entendait nos disputes musicales. Un jour, l'homme bizarre pleurait et ses larmes s'arrêtaient aux trous profonds de sa face exagérément contaminée par d'anciennes varioles.

— Qu'avez-vous à pleurer ? lui dis-je.

— Vous allez peut-être me sauver, répondit l'homme. Je suis Robert, directeur du bal Robert que j'ai fondé. Mon chef d'orchestre vient de me quitter pour aller diriger un grand établissement : « le Château des Fleurs ». C'était Olivier Métra. Son successeur ne vaut pas un clou. Je vous entends causer depuis quelque temps, vous êtes jeune, voulez-vous essayer ?

— Je crois bien, dis-je enchanté. Mais combien y a-t-il de musiciens chez vous ?

— Six, répondit-il avec une nuance de fierté.

— Hein ? Il y a alors un piano ?

Puis, tel Reyer :

— Jamais ! Un flageolet, une clarinette, un piston, un trombone, un tambour, une contrebasse, et vous, avec votre violon.

Devant ma tête ahurie, il ajouta :

— Mais cela va très bien. C'est ici que Métra a créé le Tour du Monde et les Roses, deux valses que vous devez connaître.

J'entrai donc en qualité de chef d'orchestre au bal Robert. Quinze francs par jour, c'était bien payé, mais un peu fatigant.

Je ne pus rester longtemps en ce borgne établissement, caché comme une indécence au fond d'une impasse louche. Un beau soir, à la suite d'une rixe, la police mit à pied l'établissement (!) pour un mois. Je dus chercher ailleurs. »

 

En quittant le bal Robert, Charles de Sivry dirigea, pendant l'Exposition de 1867, une troupe de musiciens hongrois à la brasserie Fanta. Il nous faudrait citer entièrement les Souvenirs sans regrets pour énumérer les aventures de la vie d'artiste de Charles de Sivry. Qu'on sache seulement qu'il fut chef d'orchestre aux Délassements comiques, chef d'orchestre à la Nouvelle
Bastille
en 1889, de la Vieille Amérique en 1890, qu'il fit de nombreuses tournées avec Salis et Théodore Botrel, dont il fut longtemps l'accompagnateur attitré. Il resta aux Quat’z-Arts jusqu'au jour où la maladie l'obligea à s'aliter.

Charles de Sivry a composé la musique de plusieurs pièces : Agamemnon, le Cœur de Sita, Istar, Rédemption ; il eut un ballet joué pendant quatre mois aux Folies-Bergère de Rouen, fit la mélodie de Roland, pièce d'ombres de Georges d'Esparbès, jouée au Chat-Noir ; eut la Légende d'Iram représentée au Palais de l'Industrie. Il a, en outre, collaboré pour la musique avec presque tous les chansonniers de Montmartre.

Charles de Sivry est mort en 1899, à cinquante et un ans, regretté de tous, qui appréciaient son caractère d'une grande douceur et son talent si personnel.

 

(Anne de Bercy et Armand Ziwès, A Montmartre... le soir, 1951)

 

 

 

 

 

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