Camille SAINT-SAËNS

 

Camille Saint-Saëns [photo Henri Manuel]

 

 

Charles Camille SAINT-SAËNS dit Camille SAINT‑SAËNS [prononcez sinsanss]

 

compositeur, pianiste, organiste et chef d’orchestre français

(3 rue du Jardinet, Paris ancien 11e [auj. 6e], 09 octobre 1835* – hôtel de l’Oasis, Alger, Algérie française, 16 décembre 1921*)

 

=> sa généalogie

 

 

Il se révéla d'une précocité étonnante, composant dès l'âge de cinq ans. Elève de Maledev et de Stamaty, il fut présenté aux Tuileries, et donna son premier concert de virtuose du piano salle Pleyel, à onze ans, y exécutant le concerto en mi bémol de Mozart. Il n'en avait que seize lorsqu'il fit exécuter à la Société Sainte-Cécile sa première symphonie. Entré en 1848 au Conservatoire de Paris, il y étudia la composition avec Fromental Halévy et l'orgue avec François Benoist dans la classe de qui il remporta un second prix en 1849 et un premier prix en 1851. Il reçut également les conseils de Gounod. Il fut organiste de Saint‑Merri (1853-1858), puis de la Madeleine (1858-1877), tout en étant professeur à l'Ecole de musique religieuse.

Exécutant et improvisateur hors ligne, il présentait en 1867 au concours organisé pour l'Exposition universelle une cantate : les Noces de Prométhée, qui fut couronnée. Il fonda, en 1871, avec Romain Bussine, la « Société nationale de musique ». En 1878, il perdit ses deux fils, alors en bas âge. Il fut élu membre de l'Académie des Beaux-arts, en remplacement de Reber, le 19 février 1881. Les voyages qu'il entreprit chaque année n'avaient point interrompu son labeur. Il visita l'Espagne, les Canaries, Ceylan, l'Indochine, l'Algérie, l'Egypte d'où il devait rapporter le Ve Concerto pour piano ; et c'est à Alger que la mort l'atteignit, au sortir d'une représentation à l'Opéra.

Son oeuvre, trop abondante, est, de ce fait, inégale. Musicien d’essence classique, formé par la lecture assidue des œuvres des maîtres, Saint-Saëns n’aborda la scène que relativement assez tard. Il y a donné, entre autres : la Princesse jaune (Opéra-Comique, 1872) ; le Timbre d'argent (1877) ; Samson et Dalila, opéra, son chef-d'œuvre, représenté par les soins de Liszt à Weimar en 1877, à Rouen en 1890 et à l'Opéra en 1892 ; Etienne Marcel, opéra (Lyon, 1879) ; Henri VIII, opéra (1883) ; Ascanio, opéra (1890) ; Déjanire, tragédie lyrique (1898) ; les Barbares, tragédie lyrique (1901) ; Parysatis, drame lyrique (1902) ; Hélène, poème lyrique (1904) ; l'Ancêtre, drame lyrique (1906). Il faut y ajouter un opéra-comique, Phryné (1893) ; un ballet, Javotte (1896) ; une satire de la musique moderne : le Château de la Roche-Cardon ou les Cruautés du sort, drame bouffon en trois actes.

On lui doit d'autre part quatre symphonies, dont la troisième, en ut mineur, avec orgue et piano (1886), est la plus célèbre ; quatre poèmes symphoniques : le Rouet d'Omphale (1871), Phaéton (1873), la Danse macabre (1874), la Jeunesse d'Hercule (1877) ; des suites d'orchestre, comme la Suite algérienne, Une nuit à Lisbonne, la Jota aragonaise (1880), Ouverture de fête (1909), des concertos pour piano, pour violon, pour violoncelle ; des romances pour flûte et pour cor et orchestre ; des fantaisies comme la Rapsodie bretonne, la Rapsodie d'Auvergne, Africa, pour piano et orchestre ; la Havanaise, pour violon et orchestre ; une suite humoristique : le Carnaval des animaux (1886), éblouissante fantaisie dont l’andante, le Cygne, fut seul rendu public de son vivant, et qui, publié et révélé au concert peu après sa mort (1922), devint immédiatement populaire.

Il a écrit, en outre, de la musique de scène pour Horace (1860), Antigone (1893), Lola (1900), Andromaque (1903), On ne badine pas avec l'amour (1917) ; des cantates et des oratorios, dont : le Déluge (1875), la Fiancée du timbalier (1887), la Nuit persane (1891), Hymne à la paix (1919), Ivanhoé ; de la musique religieuse : une Messe (1856), l'Oratorio de Noël (1858) ; de la musique de chambre, entre autres un Septuor avec trompette (1881), un Quintette avec piano (1855), un Quatuor avec piano (1875), deux Quatuors à cordes (1899 et 1918), deux Trios pour violon, violoncelle et piano ; des sonates pour instruments divers ; des pièces pour piano à deux mains, entre autres des Etudes, ou à deux pianos comme les Variations sur un thème de Beethoven (1874), le Scherzo (1889), le Caprice arabe (1894), le Caprice héroïque (1898) ; des pièces d'orgue, principalement : Trois rapsodies sur des cantiques bretons (1866), Trois fantaisies, six Préludes et Fugues (1894 et 1898), sept Improvisations (1898) ; de la musique vocale, mélodies comme le Pas d'armes du roi Jean, la Cloche ; etc. On lui doit encore la musique pour le film muet l’Assassinat du duc de Guise (1908).

Ses œuvres sont parmi les plus estimables et les plus solides qu’ait produites l’art musical français pendant les dernières années du XIXe siècle. La musique de Saint-Saëns, d’une facture très savante, toujours fort soignée, manquant rarement d’ampleur, vaut en même temps par des qualités très françaises de clarté dans le développement des thèmes, de pureté et d’élégance dans la mélodie. Le style est brillant et les effets d’orchestration ont autant de puissance que de variété.

Saint-Saëns s’est aussi beaucoup occupé de littérature. Il a écrit de nombreux articles de critique musicale, où il exprime sur l'art et sur les musiciens des jugements ingénieux, mais partiaux. Il a réuni la plupart de ses articles en volumes. Mais il a fait aussi des vers, il a écrit des comédies et il a même abordé l’astronomie et les questions philosophiques. Voici la liste de ses ouvrages : Harmonie et mélodie (1885) ; Note sur les décors de théâtre dans l’antiquité romaine (1886) ; Rimes familières, poésies (1890) ; la Crampe des écrivains, comédie (1892) ; Problèmes et mystères (1894) ; Gounod et Don Juan (1894) ; Portraits et souvenirs (1900) ; Botriocéphale, bouffonnerie en un acte et en vers (Odéon, 22 novembre 1902) ; le Roi Apepi, pièce (1903) ; Ode à Berlioz, poésies (1908). Enfin, il a dirigé l’édition des partitions à orchestre des opéras français de Gluck, et celle des œuvres de Rameau.

Esprit encyclopédique, la personnalité de ce musicien se manifeste surtout par un éclectisme universel et une prodigieuse faculté d'assimilation. Comme lui-même l'écrivit : « Ce n'est ni Bach, ni Beethoven, ni Wagner que j'aime, c'est l'Art. Au fond, je suis un éclectique. »

Défenseur opiniâtre de la musique française et admirateur fervent de Rameau, il a représenté de son temps, avec éclat, l'esprit classique.

Il fut chef d’orchestre à l’Opéra (débuts le 28 août 1898), où il dirigea certaines de ses œuvres, Déjanire, les Barbares en 1913, la Marche héroïque en 1915 ; et à l’Opéra-Comique, où il a dirigé son oeuvre Phryné en 1916. On peut le voir diriger dans le film muet Ceux de chez nous de Sacha Guitry (1915). Un monument en bronze en son hommage, sculpté par Henri Bouchard, a été inauguré dans le foyer de l'Opéra le 21 mars 1938.

Il fut nommé chevalier (14 août 1868), officier (13 juillet 1884), commandeur (30 juillet 1894), grand officier (16 août 1900) et enfin grand-croix (11 janvier 1913) de la Légion d’honneur.

En 1875, il habitait 168 rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris 8e ; de 1877 à 1889, il habita 14 rue Monsieur-le-Prince à Paris 6e [une plaque est apposée sur cette maison depuis février 1925] ; en 1897, 4 place de la Madeleine à Paris 8e ; de 1910 à 1921, 83 bis rue de Courcelles à Paris 17e [une plaque est apposée sur cet immeuble]. Il est décédé à quatre-vingt-six ans, en 1921. Funérailles nationales le 24 décembre 1921. Il est enterré au cimetière du Montparnasse (13e division).

 

=> Camille Saint-Saëns, par Hugues Imbert (1892)

=> Gounod et Don Juan, par Saint-Saëns (1894)

=> la Musique française moderne, par Georges Servières (1897)

=> Festival Saint-Saëns, par Augé de Lassus (1909)

=> Saint-Saëns, par Augé de Lassus (1914)

=> Saint-Saëns, par Georges Servières (éd. Félix Alcan, 1923)

=> Camille Saint-Saëns, sa vie, son œuvre, par Jean Bonnerot (éd. A. Durand, 1922 ; nouv. éd. 1929)

=> la Vie et l’œuvre de Camille Saint-Saëns, par Arthur Dandelot, préface de Théodore Dubois (éd. Dandelot, 1930)

=> Camille Saint-Saëns, par Jean Chantavoine (1947)

 

 

 

Camille Saint-Saëns par Pauline Viardot (1858)

 

 

œuvres lyriques

 

Horace, musique de scène (1860)

le Timbre d’argent (1865 ; Théâtre‑Lyrique, 1877)

la Princesse jaune (Opéra‑Comique, 1872)

Samson et Dalila

Etienne Marcel (Lyon, 1879)

Henri VIII (livret de Léonce Détroyat et Armand Silvestre, création le 05 mars 1883)

Proserpine (Opéra-Comique, 1887)

Ascanio (1890)

Phryné (Opéra‑Comique, 1893)

Antigone, pièce de Sophocle, musique de scène (1893)

Frédégonde, laissé inachevé par Ernest Guiraud, dont il écrivit les 3 derniers actes (1895)

Javotte, ballet (1896)

Déjanire, aux arènes de Béziers en 1898

Lola, musique de scène (1900)

les Barbares, tragédie lyrique en 3 actes (Opéra, 23 octobre 1901)

Parysatis (Béziers, 1902)

Andromaque, de Racine, musique de scène (Théâtre Sarah-Bernhardt, 1903)

Hélène, poème lyrique en 1 acte, livret et musique (Monte-Carlo, 1904 ; Opéra-Comique, 18 janvier 1905)

l’Ancêtre, pièce lyrique en 3 actes (Monte-Carlo, 24 février 1906)

la Gloire de Corneille, poème lyrique avec soli, chœurs, orchestre, harmonie et grand orgue (Opéra, 06 juin 1906, à l’occasion de la fête du 300e anniversaire de Pierre Corneille)

Déjanire (version opéra)

la Foi, musique de scène pour la pièce d’Eugène Brieux (1858-1932), créée à Monte-Carlo le 10 avril 1909

On ne badine pas avec l'amour, musique de scène (1917)

 

mélodies

 

A quoi bon entendre, poésie de Victor Hugo (1868)

A Voice by the Cedar Tree, poésie d'Alfred Tennyson (1871)

Aimons-nous !, poésie de Théodore de Banville (1892)

Alla riva del Tebro, madrigal

Amour viril, poésie de Georges Boyer (1891)

Canzonetta toscana

Chanson à boire du vieux temps, poésie de Nicolas Boileau (1885)

Chant de ceux qui s'en vont sur mer (le), poésie de Victor Hugo (1868)

Chasse du Burgrave (la) (1855)

Cloche (la), poésie de Victor Hugo (1886)

Coccinelle (la), poésie de Victor Hugo (1868)

Cygnes (les), duo pour contralto et ténor

Dans les coins bleus, poésie de Sainte-Beuve (1880)

Dans ton coeur

Danse macabre, poésie d'Henri Cazalis (1872)

El Desdichado, boléro à 2 voix égales, poésie de Jules Barbier (1871)

Etoile du matin

Fées (les), poésie de Théodore de Banville (1892)

Fière beauté, poésie d'Augustin Mahot

Guitare, poésie de Victor Hugo (1851)

Guitares et mandolines (1890)

Là-bas, poésie de Jean-Louis Croze (1892)

Lac (le), poésie d'Alphonse de Lamartine (1850)

Libellule (la) (1893)

Madeleine, poésie d'Alfred Tranchant (1892)

Maria Lucrezia, poésie d'Ernest Legouvé (1868)

Mélodies persanes, op. 26 (1870) : 1. la Brise. 2. la Splendeur vide. 3. la Solitaire. 4. Sabre en main. 5. Au cimetière. 6. Tournoiement

Menuet, poésie de François Coppée

My land

Nuit persane, poésie d'Armand Renaud (1891)

Pas d'armes du roi Jean (le), poésie de Victor Hugo (1852)

Peut-être, poésie de Jean-Louis Croze (1893)

Pourquoi rester seulette ?, poésie de Jean-Louis Croze (1894)

Premier recueil de vingt mélodies

Présage de la Croix, poésie de Stéphan Bordèse (1890)

Primavera, poésie de Paul Stuart (1893)

Rossignol (le), poésie de Théodore de Banville (1892)

Sérénade, poésie de L. Mangeot

Sérénité (la), poésie de Marie Barbier (1893)

Suzette et Suzon, poésie de Victor Hugo (1888)

Toi ! (1856)

Une flûte invisible, mélodie avec flûte obligée, poésie de Victor Hugo (1885)

Vénus, duo pour ténor et baryton

Violons dans le soir, poésie d'Anna de Noailles (1907)

Vive Paris ! Vive la France !

 

 

 

 

liste des oeuvres de Camille Saint-Saëns éditées par Durand

 

 

 

Camille Saint-Saëns en 1862, quelques années avant l'époque où il dispensait ses enseignements à Gabriel Fauré et André Messager

 

 

 

 

                                                                                    

 

 

caricatures de Camille Saint-Saëns par Gabriel Fauré

 

 

 

billet de Camille Saint-Saëns à Gabriel Fauré, 22 avril 1900

 

 

 

Il avait à peine atteint sa troisième année que déjà il commençait, sous la direction de sa grand'tante, l'étude de la musique. Ses dispositions étaient si grandes, ses progrès furent si rapides, qu'à sept ans on lui donna deux maîtres : Stamati pour le piano, Maleden pour la composition. En outre, il prit des leçons d'Halévy et, à douze ans, il entra au Conservatoire comme élève du cours d'orgue de M. Benoist. Il en sortait à dix-sept ans titulaire de l'orgue de Saint-Merry. Depuis il a succédé à M. Lefébure-Wély comme organiste de la Madeleine.

M. Saint-Saëns est une des organisations musicales les plus heureusement douées. Comme pianiste, il n'est inférieur qu'à Liszt et Rubinstein. Ses concerts sont pour lui de véritables triomphes. Comme organiste, il n'a pas de rivaux ; comme compositeur, il procède à la fois de Bach, de Beethoven et de Berlioz. « Le début de M. Saint-Saëns se fit avec éclat, écrit Fétis, par sa première symphonie (en mi bémol) qui fut exécutée par l'orchestre de la Société de Sainte-Cécile, avant qu'il eût accompli sa seizième année. » Un fragment de cette symphonie a été applaudi en 1864 aux concerts populaires de Pasdeloup, qui, bon appréciateur, avait jugé cette œuvre digne de figurer à côté de celles des plus grands maîtres. Trois autres symphonies du jeune et savant compositeur ont obtenu un égal succès. Les autres ouvrages de M. Saint-Saëns consistent, d'après Fétis, en une messe à quatre voix, orchestre et deux orgues ; une tarentelle pour flûte et clarinette avec orchestre ; six bagatelles pour piano ; environ quinze romances ou mélodies avec accompagnement de piano ; deux morceaux pour harmonium ; six duos pour piano et harmonium ; un oratorio de Noël pour voix seules et chœur ; des transcriptions d'après Bach ; une scène tirée des Horaces de Corneille, en partition de piano et chant ; un concerto pour piano et orchestre ; un autre pour violon et orchestre ; une ode en l'honneur de sainte Cécile, pour voix seule, chœur et orchestre ; enfin, un certain nombre de motets, de mélodies et d'études pour le piano. Cette énumération des œuvres de M. Saint-Saëns s'arrête en 1866. Depuis lors, des productions nombreuses sont venues s'ajouter aux premières. Nous citerons la cantate de Prométhée enchaîné, qui a obtenu le grand prix créé à l'occasion de l'Exposition universelle de 1867 ; le Timbre d'argent, opéra en quatre actes ; la Princesse jaune, opéra-comique en un acte, représenté avec succès à l'Opéra-Comique en juin 1872 ; le Rouet d'Omphale, symphonie qui a obtenu tous les suffrages ; Phaéthon, symphonie également fort remarquable, jouée pour la première fois en décembre 1873, etc. M. Saint-Saëns excelle dans les descriptions poétiques, dans les imitations des bruits de la nature ; son style est brillant, ses idées sont bien développées et ses effets d'orchestration ont autant de puissance que de variété.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1872-1876)

  

Parmi ses dernières productions, nous citerons : la Danse macabre (1875) ; un Ave verum, un trio en fa majeur, etc. Le 22 février 1877, il fit représenter au Théâtre-National-Lyrique le Timbre d'argent, opéra en quatre actes, paroles de Jules Barbier et Carré. Bien qu'on y trouve des parties fort remarquables, cet opéra fantastique eut peu de succès. Cette même année, M. Saint-Saëns a fait exécuter la Jeunesse d'Hercule, partition d'orchestre ; le Déluge, composition dans laquelle on trouve des morceaux de la plus grande beauté. Le théâtre Grand-Ducal de Weimar a représenté, en décembre 1877, un opéra biblique en trois actes du même compositeur, Samson et Dalila, dont un air de ballet a été exécuté plusieurs fois aux concerts du théâtre du Châtelet.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1er supplément, 1878)

  

Depuis 1877, il a composé trois grands ouvrages lyriques : Etienne Marcel, opéra en quatre actes, représenté à Lyon le 8 février 1879 ; Henri VIII, opéra en quatre actes, représenté au Grand-Opéra le 5 mars 1883 ; Proserpine, drame lyrique en quatre actes, joué à l'Opéra-Comique le 16 mars 1887. Un autre opéra, Ascanio, complètement terminé en 1889, doit être monté à l'Académie nationale de musique. On lui doit aussi plusieurs compositions pour chœurs et orchestre : la Lyre et la Harpe (Birmingham, 1879 ; Paris, 1880) ; Hymne à Victor Hugo (Paris, 1884). Dans la musique instrumentale, nous citerons : Suite algérienne (1880) ; Symphonie en la mineur (1880) ; Septuor pour trompette, piano et cordes (1881) ; Nuit à Lisbonne (1881) ; Wedding Cake, piano et quatuor ; Rapsodie d'Auvergne, piano et orchestre (concerts du Châtelet, 1885) ; Sonate pour piano et violon ; Symphonie en ut mineur pour orchestre, orgue et piano, exécutée au Conservatoire avec un très grand succès ; cette œuvre avait été précédemment exécutée en Angleterre ; la Fiancée du timbalier, de Victor Hugo (concerts Lamoureux, 1888). Citons encore de M. Saint-Saëns : des Poèmes symphoniques ; des concertos pour piano et orchestre ; le Psaume XVIII, etc. ; Chanson de grand-père, Chanson d'ancêtres, chœurs pour voix de femmes et d'hommes (concerts du Châtelet, 1883), plusieurs mélodies piano et chant, morceaux de piano, des articles de critique musicale, qui ont paru en volume sous le titre de : Harmonie et Mélodie (1885, in-12), et Notes sur les décors de théâtre dans l'antiquité romaine (1887, in-4°). M. Saint-Saëns est membre de l'Institut depuis le 19 février 1881 et officier de la Légion d'honneur.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 2e supplément, 1888)

 

 

 

 

 

Camille Saint-Saëns

 

 

caricature de Camille Saint-Saëns par Charles Garnier (1881)

 

 

 

Camille Saint-Saëns en 1884 [photo Provost]

 

 

 

Les Concours du Conservatoire

La Salle de la rue Bergère.

C'est un sanctuaire, n'en doutez pas.

Qu'est-ce donc qu'un sanctuaire ? C'est un lieu où le bois n'est plus bois, où la pierre n'est plus pierre, où tout semble animé d'une vie mystérieuse, un lieu où l'on n'entre pas sans une légère émotion dont il est impossible de se défendre. Si d'aucuns ne ressentent pas cette émotion, plaignons-les ! tout un monde leur est inconnu...

Oui, c'est un sanctuaire, la salle où Haydn, Mozart, Beethoven se sont emparés de nos âmes, le foyer d'où sont partis les rayons qui ont puissamment modifié l'essence de l'art musical français, le berceau de cette merveilleuse Société où la Musique a trouvé une sphère supérieure, restée unique au monde et inimitable. Est-ce à dire qu'il n'y ait jamais eu, qu'il n'y ait pas ailleurs de belles exécutions symphoniques ? Assurément non. Mais une certaine qualité musicale, un certain cru ne se trouve que là. Qui n'y a pas entendu l'Allegretto de la Symphonie en « la » ne sait pas quelles fibres secrètes, dans les profondeurs de l'âme, le célèbre poème peut faire vibrer...

Et que de souvenirs ! que d'artistes illustres, virtuoses, chanteurs, ont passé, tremblants, mais victorieux, dans cette petite salle ! Les plus fameux ont brigué l'honneur de s'y faire entendre, et les plus fameux aussi n'y ont pas pénétré sans effroi ; tous ont eu le sentiment qu'ils entraient chez les dieux... Nulle part, le terrible « trac », si redouté des artistes, n'a sévi avec une telle intensité. J'ai vu là Joachim, l'impeccable, impressionné au point de jouer faux en commençant le Concerto de Beethoven ; Mme Carvalho tournant fiévreusement et incessamment, pour se donner une contenance, les pages de musique inutiles qu'elle ne regardait pas...

Dans son livre, si documenté, sur la Société des Concerts, M. Dandelot raconte que la célèbre salle fut construite par l'architecte Delannois, à la suite d'un décret du 3 mars 1806 ; il ne nous dit pas à quelle époque elle fut terminée. De proportions heureuses, excellente au point de vue de l'acoustique, elle n'était pas très plaisante à l'œil ; les baies s'ouvrant sur l'amphithéâtre se continuaient de chaque côté par de fausses baies occupées par des spectateurs en peinture, dont les ajustements démodés étaient prodigieusement comiques ; de jolis lustres en style Empire étaient la seule chose qu'on eût à regretter lorsqu'en 1865 une décoration nouvelle, due à l'architecte Louvet, secondé, je crois, dans son travail, par le peintre décorateur Dennelle, beau-père de Taine, vint remplacer l'ancienne. Elle est charmante cette décoration pompéienne, où dominent les tonalités rouge et or, avec cette gracieuse théorie des Muses qui garnissent le fond de la scène et semblent veiller gravement sur la sainteté du lieu.

Ce fut le 9 mars 1828 que l'illustre Société, sous la direction d'Habeneck, donna son premier concert ; on y entendit la Symphonie Héroïque. C'était, comme on dit, attaquer le taureau par les cornes, car cette symphonie, la troisième de l'auteur, est la première symphonie « révolutionnaire », et son avènement ne se fit pas sans protestations. Commencer par les deux premières eût été plus habile, ou simplement plus prudent ; mais Habeneck avait, sans doute, ses raisons. Ce qu'on ne saurait approuver, c'est la façon dont il avait disposé les chœurs : toutes les femmes lui tournaient le dos, de sorte que, lorsque arrivait un passage scabreux, il se produisait presque toujours des accidents. Habeneck se retournait alors vers les infortunées choristes, ou plutôt vers le public, en faisant des grimaces, et, comme il était fort laid, le seul résultat qu'il obtenait était un accès de gaieté dans l'auditoire. De là, est venue longtemps l'opinion que la partie vocale des fameux concerts n'était pas à la hauteur de la partie instrumentale ; opinion tout à fait erronée, car des chanteurs de premier ordre se faisaient un plaisir de figurer au nombre des choristes, et il a suffi de disposer ceux-ci convenablement pour que les exécutions devinssent parfaites de tout point.

Autrefois, les femmes arrivaient vêtues de blanc, et leur apparition mettait dans la salle une lumière ; un beau jour, on imagina de les vêtir de noir, et le public, chose étrange, accueillit cette réforme avec enthousiasme !

Une réforme plus appréciable fut celle des « deux séries ».

La salle n'est pas grande ; entièrement remplie d'avance par les abonnés, elle était restée longtemps fermée au grand public. Celui-ci réclamait. Que faire ? On ne pouvait pas agrandir la salle. On eut l'idée de créer deux séries d'abonnement et d'exécuter deux fois le même programme, en donnant tous les dimanches les concerts qui, dans le principe, n'avaient lieu que tous les quinze jours.

On doubla ainsi le nombre des auditeurs ; et, chose imprévue, le public de la rue Bergère, qui, jusque-là, se décidait péniblement à écouter des œuvres nouvelles, devint peu à peu moins intransigeant ; la petite chapelle se muait en vrai public. Ce lieu vénérable conserve toujours un caractère de Musée, où les œuvres consacrées tiennent la première place ; c'est son droit, c'est sa principale fonction ; mais il n'est plus fermé aux œuvres modernes, et tel auteur, autrefois tenu à l'écart, voit maintenant son nom figurer souvent sur l'affiche glorieuse et enviée.

Dans cette salle auguste, j'ai ressenti mes premières grandes émotions musicales, celles qui ont orienté ma carrière ; j'ai pour elle un sentiment filial.

(Camille Saint-Saëns, de l'Institut, les Annales politiques et littéraires, 07 juillet 1912)

 

 

 

              

 

Camille Saint-Saëns [photos Pierre Petit]

 

 

 

Camille Saint-Saëns vers 1895 [photo Paul Nadar]

 

 

 

caricature de Camille Saint-Saëns par Charles Giraud

 

 

 

Camille Saint-Saëns et Jules Massenet (assis)

 

 

 

festival donné à la salle Pleyel le 02 juin 1896 par Camille Saint-Saëns, avec le concours de Pablo Sarasate et Paul Taffanel, à l'occasion du Cinquantenaire de son premier concert dans cette salle, en 1846

 

 

 

L'illustre compositeur Camille Saint-Saëns revient à la charge pour protester contre ceux qui, même en matière musicale, osent encore afficher d'audacieuses préférences à l'égard d'œuvres allemandes n'ayant que trop longtemps et trop injustement causé aux nôtres de graves préjudices :

WAGNÉROMANIE

Il ne faut s'étonner de rien. Malgré les crimes de l'Allemagne, malgré son intention ouvertement déclarée de détruire notre race, la wagnéromanie persiste en France dans certains esprits.

La langue, dit-on, est l'âme d'une race. La musique l'est bien plus encore. Ecoutez les chants napolitains, espagnols, russes, suédois, arabes : ne sont-ils pas les portraits mêmes de ces peuples ? N'en disent-ils pas plus sur leur nature que tous les commentaires ?

On ne veut plus de la langue allemande, on ne veut plus qu'on la parle, on ne veut plus qu'on la chante, on ne veut plus qu'on l'apprenne.

Mais on veut quand même la musique de Richard Wagner, sans langue allemande. Combien de fois faudra-t-il répéter que cette musique, sans la langue qui l'accompagne, n'est pas compréhensible, et que ceux qui s'imaginent la comprendre ainsi se font une prodigieuse illusion ? Mais cette illusion leur plaît, cette chimère les séduit. Il faut qu'elle ait sur eux un bien puissant empire pour qu'on ose, en ce moment, se déclarer « l'admirateur éperdu de Parsifal ».

Après les massacres de femmes et d'enfants, après les bombardements d'hôpitaux, après les destructions de cathédrales, après les profanations, après l'aveu cynique de la haine pour la France, comment peut-il se trouver des Français pour réclamer la musique de celui que l'Allemagne considère depuis longtemps comme son génie national, de l'auteur d'Une Capitulation, cette infamie « que nous nous efforçons d'oublier », comme me l'écrit une mélomane, correspondante anonyme ? On ne l'a que trop oubliée, et le moment est venu de nous en souvenir. La morale des individus n'est pas celle des nations ; si, pour ceux-là, l'oubli des injures est une vertu, pour celles-ci, c'est une faute, et, pour ceux-là même, cet oubli a des limites.

Camille Saint-Saëns (L'Echo de Paris.)

(les Annales politiques et littéraires, 18 octobre 1914)

 

 

 

 

 

Camille Saint-Saëns, peinture anonyme [Conservatoire de Naples]

 

 

 

Camille Saint-Saëns en 1898 [coll. Paul Prouté et fils]

 

 

 

Camille Saint-Saëns, détail d'un pastel par Alberto Rossi (1903) [bibliothèque de l'Opéra]

 

 

 

Né à Paris le 9 octobre 1835, Camille Saint-Saëns s'y fit remarquer de bonne heure par sa précocité. Presque octogénaire aujourd'hui, le maître français a eu une carrière d'autant plus longue qu'elle commença fort tôt, et sa période de grande production appartient déjà à une autre génération. Camille Saint-Saëns s'est distingué dans tous les genres, et ce n'est pas au théâtre qu'il a remporté ses succès les plus éclatants et les plus nombreux. Pourtant, certains de ses ouvrages dramatiques, principalement Samson et Dalila, figurent en très bonne place au répertoire des théâtres de musique.

(Edouard Combe, les Chefs-d’œuvre du répertoire, 1914)

 

 

 

 

 

caricature de Camille Saint-Saëns dans l'Assiette au beurre du 27 septembre 1902

 

 

 

Charles-Camille Saint-Saëns, né à Paris au centre même du quartier Latin (rue du Jardinet, n° 3), a été le représentant le plus illustre de l'art musical officiel français du XIXe siècle. Dès son enfance, il fut, comme Mozart ou Mendelssohn, un petit prodige. Son père (né près de Dieppe) étant mort très tôt, sa mère (d'origine champenoise) l'éleva dans l'amour des arts plastiques, et sa grand'tante Masson, bonne musicienne, lui enseigna les premiers principes de la musique. A peine âgé de trois ans, le petit Saint-Saëns jouait du piano ; à cinq ans, il déchiffrait impeccablement les œuvres de Grétry et, déjà, il composait de petites mélodies avec accompagnement. La partition d'orchestre du Don Juan de Mozart, qu'il reçut alors en cadeau, lui fut une révélation des immenses possibilités de la musique orchestrale : il commença dès lors l'étude de l'harmonie avec Malleden, tout en continuant l'étude du piano (avec Stamaty). Les progrès inouïs qu'il réalisa de sa septième à sa dixième année lui permirent de donner, le 6 mai 1846, salle Pleyel, son premier concert : il avait alors dix ans et demi. Toute la critique salua l'aurore d'une belle carrière et, pour une fois, ne se trompa point.

Saint-Saëns entra alors au Conservatoire ; il étudia quelque temps la composition avec Halévy, puis, avec Benoit, l'orgue : cette étude lui valut en 1849 le second prix et, en 1851, le premier. En 1852, âgé de dix-sept ans à peine, il concourait, mais vainement, pour le prix de Rome ; une seconde tentative, en 1864, n'ayant pas réussi davantage, il renonça à conquérir ce titre, comme y ont renoncé depuis d'autres grands musiciens.

Entre temps, Saint-Saëns avait été nommé organiste à l'église Saint-Merry. Il occupa ces fonctions de 1853 à 1858, puis il succéda à Lefébure-Wély comme titulaire du grand orgue de la Madeleine (1858-1877). Les premières œuvres qu'il écrivit alors, et notamment une première Symphonie en mi bémol (1853) et une deuxième Symphonie en fa majeur (qui n'a jamais été publiée) le signalèrent à l'attention du public et lui valurent d'être chargé, en 1861, d'une classe à l'école Niedermeyer. Il y enseigna le piano. Ce fut le point de départ de son activité de virtuose, car il est peu de pianistes professionnels qui aient pu rivaliser avec Saint-Saëns pour la maîtrise sur cet instrument, où il révéla des dons de déchiffreur et d'improvisateur presque uniques. Cette activité pianistique fit, pendant les années qui précédèrent immédiatement la guerre de 1870, quelque tort à son activité créatrice. Cependant, en 1867, il présentait une cantate (les Noces de Prométhée) au concours organisé pour l'Exposition universelle. Tous les biographes de Saint-Saëns ont raconté comment il fit expédier d'Angleterre son manuscrit non signé et comment les membres du jury, après avoir couronné l’œuvre qui ne se recommandait à eux que par sa seule valeur, s'étonnèrent de la personnalité de l'auteur et se réjouirent de le voir triompher de 102 concurrents.

De 1870 à 1890 environ, se déploie la période la plus féconde de la vie de Saint-Saëns. C'est pendant cette période qu'il écrit la plupart de ses opéras, presque toute sa musique de chambre et d'orchestre et la moitié environ de ses mélodies. Après la guerre de 1870, à laquelle il participa comme mobile au bataillon de marche de l'Elysée, il fonda avec un professeur de chant du Conservatoire, Romain Bussine, la Société nationale de musique (25 février 1871) qui, malgré des luttes intestines, continue encore aujourd'hui d'affirmer sa vitalité. Cette société (dont Bussine était président et Saint-Saëns vice-président) était primitivement destinée à ne faire entendre que les œuvres des compositeurs français vivants. Dix ans après sa fondation, l'influence de César Franck y étant devenue prépondérante et, en 1886, Vincent d'Indy, qui avait proposé d'introduire dans les exécutions des œuvres de compositeurs étrangers, ayant fait adopter sa proposition, Saint-Saëns donna sa démission.

Cette décision lui fut d'autant moins douloureuse qu'il avait été élu, le 29 février 1881, membre de l'Académie des beaux-arts en remplacement de Henri Reber. Il devint successivement membre des Académies de Belgique, de Suède, de Prusse, de l'Atheneo de Madrid. En 1893, il était nommé docteur en musique de l'Université de Cambridge. En 1900, le conseil de la Légion d'honneur lui conféra le grade de grand officier, et la plupart des grands ordres étrangers lui furent attribués.

Il avait fondé à Dieppe un musée (musée Saint-Saëns), où restent réunis ses souvenirs de famille et divers objets d'art qu'il rapportait de ses nombreux voyages. En 1907, il assista à l'inauguration de sa propre statue, œuvre du sculpteur Marqueste. En 1913, des fêtes furent données à Londres pour célébrer le soixante-quinzième anniversaire de ses débuts comme pianiste. En janvier 1914, il était fait grand-croix de la Légion d'honneur.

Depuis 1872, la santé de Saint-Saëns avait reçu quelques atteintes. Déjà, les privations qu'il endura pendant le siège de Paris avaient ravivé ses dispositions à la phtisie. Il prit désormais l'habitude de se rendre en Algérie, à la Pointe-Saint-Eugène ou à la Pointe-Pescada. Dès lors, s'affirme sa passion des voyages. Après la mort de sa mère (1888), il parcourt l'Espagne, visite Malaga, Grenade et, de Cadix, s'embarque pour les Canaries, sans donner son adresse à personne. De décembre 1889 à avril 1890, il vécut à Las Palmas, dans la Grande Canarie. En 1891, il partit pour Ceylan et, en 1895, pour l'Indochine. Plusieurs fois il séjourna en Egypte, où le frère du khédive Mohammed Aly-pacha mettait à sa disposition un palais dans l’île de Rodah. Avec l'Egypte, l'Algérie avait ses préférences. C'est à Alger, au sortir d'une représentation de l'Opéra, qu'il mourut brusquement dans une chambre d'hôtel, le 16 décembre 1921. « La mort le frappe en voyage », fit remarquer un critique. Aurait-elle pu le saisir autrement, plein de verve et certainement plein de projets ? Toute la vie de cet artiste extraordinaire aura été un voyage : voyage autour de la terre, voyage autour de la musique et — comme critique, écrivain, poète, philosophe, voire astronome — voyage autour des idées et des systèmes.

La production musicale de Saint-Saëns a été considérable, et l'on ne peut ici qu'en indiquer les
points culminants. Saint-Saëns a traité tous les genres avec une égale facilité et un bonheur presque toujours égal.

Aux deux symphonies que nous avons déjà signalées il convient d'en ajouter une en ré majeur, composée en 1859 (mais non publiée), une en la mineur, datant de la même année et connue sous le nom de Deuxième symphonie ; enfin, la plus célèbre, la Troisième symphonie en ut mineur avec orgue, qui date de 1886 : dédiée à la mémoire de Liszt, elle fut exécutée, l'année même de sa composition, à Londres, par la Société philharmonique et, quelques semaines après, à Paris, par l'orchestre de la Société des concerts (9 et 16 janvier 1887). Cette œuvre grandiose, de caractère classique, reprend la formule beethovenienne.

En 1871, Saint-Saëns, lié avec Liszt qu'il admirait fort et qui lui rendait cette admiration, entreprit d'écrire, à l'exemple de celui-ci, une série de poèmes symphoniques. Parmi eux, le plus populaire est assurément la Danse macabre (1874) qui n'a jamais cessé, et ne cessera jamais, de plaire à tous les auditoires. Ce poème avait été précédé par le Rouet d'Omphale (1871) et Phaéton (1873) ; il fut suivi, en 1877, de la Jeunesse d'Hercule. Dans la même catégorie de musique à programme, on peut ranger d'autres œuvres à succès : la Rapsodie bretonne (1891) ; la Suite algérienne (1880), la Marche héroïque (1871), Une Nuit à Lisbonne (1880), la Rapsodie d'Auvergne (pour piano et orchestre, 1884), Africa (1891) ; le Carnaval des animaux, suite humoristique écrite en 1887 et qui n'a été publiée qu'en 1922, la Havanaise pour violon et orchestre (1887), l'Ouverture de fête (1909), Cyprès et lauriers (1918). Il faut enfin signaler plusieurs concertos pour instrument soliste avec accompagnement d'orchestre : 5 concertos (très brillants) pour piano, deux pour violon, deux pour violoncelle, une romance pour cor, une pour flûte, un morceau de concert pour harpe et, sous des noms divers (Rondo capriccioso, Caprice andalou), des morceaux analogues pour violon. La Muse et le Poète (1919) comporte deux instruments solistes : violon et violoncelle, et la Tarentelle (1857) une flûte et une clarinette.

Intermédiaires entre la musique symphonique et la musique dramatique, sont les cantates et scènes lyriques. La plus connue est le Déluge, poème biblique de Louis Gallet en trois parties, écrit en 1875 et joué l'année suivante aux concerts du Châtelet ; l'œuvre est conçue pour soli, chœurs et orchestre. La Lyre et la Harpe, moins souvent jouée, n'eut pas moins de succès ; commandée pour le Festival de Birmingham en 1879 et exécutée aux Concerts populaires en 1880, elle est construite sur un poème de Victor Hugo. Du même poète Saint-Saëns choisit aussi la Fiancée du timbalier, dont il fit en 1887 une ballade pour mezzo-soprano et orchestre. La Nuit persane, pour soli, chœurs et orchestre, a été dotée d'un argument dramatique et représentée sur le théâtre de Monte-Carlo (1923). A côté de ces scènes lyriques, se rangent des musiques de scène de moindre importance : pour Antigone (1893), pour Andromaque (1903), pour l'Assassinat du duc de Guise (Lavedan, 1908), pour la Foi (d'Eug. Brieux, 1910).

La musique dramatique attira toujours Saint-Saëns. Dès 1868, il traçait le plan de son chef-d'œuvre — et d'un des chefs-d'œuvre de la scène lyrique française — Samson et Dalila. La composition de l'ouvrage, longtemps interrompue, fut terminée sur les instances de Liszt, qui le fit jouer le 2 décembre 1877 au théâtre grand-ducal de Weimar. Représentée ensuite à Rouen (1890), l'œuvre, qui participe à la fois de l'oratorio et de l'opéra, fut inscrite, le 23 novembre 1892, au répertoire de l'Académie nationale de musique. Mais Saint-Saëns n'avait pas attendu cette date éloignée pour écrire d'autres musiques destinées à la scène. La première œuvre qu'il put faire représenter fut la Princesse jaune (opéra-comique en un acte, 1872). Puis parurent : le Timbre d'argent (drame lyrique, 4 actes, 1877), Etienne Marcel (opéra, 4 actes, Lyon, 1879 ; Paris, 1884), Henry VIII (opéra, 4 actes, 1883), Proserpine (drame lyrique, 4 actes, 1887, à l'Opéra-Comique), Ascanio (opéra, 5 actes, 1890), Frédégonde (drame lyrique, 4 actes, 1895), Déjanire (tragédie lyrique, 4 actes, Arènes de Béziers et Odéon, 1898), les Barbares (tragédie lyrique, 3 actes et un prologue, 1901), Parysatis (drame lyrique, 3 actes, Béziers, 1902), Hélène (poème lyrique, 1 acte, Monte-Carlo, 1904 ; Opéra-Comique, 1905), l'Ancêtre (drame lyrique, 3 actes, Monte-Carlo, 1906 ; Opéra-Comique, 1911), Déjanire (tragédie lyrique, 4 actes, Monte-Carlo et Opéra, 1911). A cette liste il convient d'ajouter un opéra-comique en 2 actes : Phryné (1893) et un ballet en 1 acte et 3 tableaux : Javotte (Lyon, 1896 ; Opéra-Comique, 1899 ; Opéra, 1909). Une parodie d'opéra italien, Gabriella di Vergy, que Saint-Saëns fit représenter à la société la Trompette en 1895, n'a jamais été publiée, non plus qu'une « satire de la musique moderne » : le Château de la Roche-Cardon.

La musique de chambre de Saint-Saëns, assez peu considérable, offre quelques pièces de premier ordre. Chose curieuse : ce n'est pas pour le piano que ce virtuose du clavier a principalement écrit (en dehors des concertos avec accompagnement d'orchestre). A peine une vingtaine d'œuvres pour piano seul forment son bagage (Valses, Mazurkas, trois livres d'Etudes, dont un pour la main gauche, six Fugues). Plus rares encore sont les œuvres qu'il écrivit pour piano à quatre mains et pour deux pianos (Berceuse, Caprice héroïque). Mais, parmi les œuvres concertantes de musique de chambre, on trouve nombre de pièces qui survivront. Saint-Saëns a écrit : deux sonates et une berceuse pour violon et piano, deux pour violoncelle et piano (outre une Suite, un Chant saphique et un Allegro appassionato pour les mêmes instruments) ; deux trios (avec piano), trois quatuors (dont un, le premier, avec piano),
deux quintettes (dont l'un sous forme de caprice-valse intitulé Wedding-Cake), un Septuor (très justement célèbre) avec trompette. A noter encore une Fantaisie pour harpe seule, une autre pour violon et harpe, et le fameux Cygne, extrait du Carnaval des animaux, pour violoncelle et piano. Peu de temps avant de mourir, il publiait encore une sonate pour clarinette et piano, une pour basson et une pour hautbois.

La musique religieuse de Saint-Saëns a une valeur plus historique qu'intrinsèque. Elle est apparue à un moment où la composition religieuse en France était en complète décadence. Avec Gounod et Franck, Saint-Saëns est un de ceux qui ont rendu son lustre à cette forme de notre activité musicale. Dès 1856, il composa une Messe solennelle ; puis en 1878 une Messe de Requiem. Ce sont, si l'on fait abstraction des oratorios profanes comme le Déluge, ses deux
grandes œuvres de musique religieuse. On y peut joindre un petit Oratorio de Noël et de nombreux Tantum ergo, Ave Maria, Ave verum, O Salutaris. Pour orgue, il faut citer la Bénédiction nuptiale (1859), la Fantaisie en ré bémol, les trois Rapsodies sur des cantiques bretons, la Marche religieuse, les deux livres de Préludes et Fugues, les Sept Improvisations (1918) et pour l'harmonium Six duos et une Elévation.

Enfin, la musique vocale et les chœurs occupent une place importante dans l'œuvre de Saint-Saëns. Parmi les cent mélodies environ qu'il a écrites, quelques-unes jouissent de la popularité : le Pas d'armes du Roi Jean, la Cloche, et beaucoup sont très connues : Clair de lune, Mélodies persanes, l'Amour oyseau. Saint-Saëns s'est inspiré, avec le plus de bonheur, de Victor Hugo, de Banville, de Ronsard et de Mme de Noailles. Sa musique chorale, qui comprend une vingtaine de numéros, n'est pas, à beaucoup près, aussi intéressante ; elle a été gâtée, surtout après la guerre de 1914, par une inspiration plus généreuse que réelle (Hymne aux aviateurs, Hymne au travail, aux mineurs).

Enfin, l'on ne saurait oublier les nombreux travaux de transcription, d'arrangement et de reconstitution d'œuvres anciennes : transcriptions de Bach, de Beethoven, arrangements au piano de partitions de Berlioz, de Bizet, de Gounod, de Liszt, de fragments wagnériens ; restauration du Malade imaginaire de Marc-Antoine Charpentier, révision (sur laquelle il est permis de faire des réserves) des œuvres de Mozart pour piano, publication des œuvres complètes de Rameau, de Gluck, etc...

De même qu'il a abordé tous les genres de musique, Saint-Saëns a voulu que rien ne lui fût étranger dans le domaine littéraire, artistique et scientifique. Tour à tour il fut poète, dramaturge, philosophe, journaliste, critique, astronome, acousticien.

Comme poète, il a donné des Rimes familières (1890) et une Ode à Berlioz (1908). Comme auteur dramatique, il a écrit des comédies : Botriocéphale (1908), la Crampe des écrivains (1892), le Roi Apépi (1903) et le livret de ses opéras Hélène et Déjanire. Comme philosophe, il a publié Problèmes et mystères (1894) et Divagations sérieuses (œuvre posthume), où il pose les problèmes de l'être et de la connaissance, mais sans chercher à les résoudre. Ce n'est pas lui faire tort que de préférer à ces essais, qui n'ont désormais qu'une valeur documentaire, les pages de critique musicale qu'il a répandues à profusion dans nombre de journaux et de revues et dont plusieurs ont été réunies par lui sous divers titres : Matérialisme et musique (1882), Harmonie et mélodie (1885), Portraits et souvenirs (1899), Ecole buissonnière (1913), Au courant de la vie (1914), Germanophilie (1916), les Idées de M. Vincent d'Indy (1918). On n'y trouve pas, à proprement parler, l'expression d'une doctrine, mais ce sont des notes, souvent très pénétrantes et toujours très personnelles, sur diverses œuvres et sur divers musiciens rassemblés selon la loi de l'éclectisme le plus large. A y jeter un coup d'œil superficiel, il semblerait que Saint-Saëns ait passé sa vie à se déjuger : à des pages enthousiastes sur Wagner et sur la Tétralogie succèdent des pamphlets violents contre la doctrine wagnérienne ; il se fait le champion de Liszt et, plus tard, ne tarit pas d'éloges sur Meyerbeer ; il admire profondément Gounod et fait les plus expresses réserves sur la valeur de César Franck. En réalité, ces jugements accusent non pas un flottement dans le jugement de Saint-Saëns, mais le flottement de l'opinion publique. Jean Chantavoine a très bien remarqué que l'éclectisme de Saint-Saëns n'a de sens qu'au travers de la polémique : « Il choisit, pour louer une œuvre et un artiste, le moment où cette œuvre et cet artiste sont inconnus, méconnus, ou dédaignés : Liszt et Wagner à l'heure où triomphe Meyerbeer, — Meyerbeer à l'heure où triomphe Wagner. » C'est dire que, dès qu'une admiration pour une œuvre ou un musicien devient affaire de mode, Saint-Saëns réagit en sens contraire : son sentiment intime ne change pas ; c'est la nature de l'objet qui a changé. On conçoit que, dans ces conditions, sa critique soit vivante et pleine d'aperçus ingénieux, mais qu'il y aurait danger à l'accueillir sans réserve et à la choisir pour guide. Elle nous renseigne sur Saint-Saëns lui-même, bien plus que sur les musiciens auxquels elle s'applique.

La curiosité de Saint-Saëns étant universelle, il n'est pas étonnant qu'il se soit intéressé aux découvertes scientifiques. Certains biographes assurent qu'il regretta toujours de ne pas être entré à Polytechnique. Dans le domaine des sciences, il a touché à beaucoup de choses : à la biologie avec un article sur la Parenté des plantes et des animaux (« Nouvelle Revue », janvier 1906), à la cosmographie et à l'astronomie : il fit notamment, en 1904, une conférence sur les phénomènes de mirage et se rendit à Burgos en 1905 pour observer une éclipse de soleil ; il s'occupa des odeurs, des parfums et échangea avec Rémi Caillier une correspondance sur une question de géologie. L'acoustique fit fréquemment l'objet de ses recherches, qui portèrent aussi bien sur la théorie que sur les applications pratiques (par exemple, sur la disposition de l'orchestre de l'Opéra). On lui doit enfin des études sur la musique et le théâtre antique : Notes sur les décors de théâtre dans l'antiquité romaine (1886), Essai sur les lyres et cithares antiques (1902), les Gammes égyptiennes (dans la « Revue musicale », 15 novembre 1909).

L'influence de Saint-Saëns n'aura pas été, cependant, aussi grande que le fut son activité. Ce musicien considérable, qui pendant un demi-siècle a incarné la musique française aux yeux de l'étranger, n'a pas eu de disciples. On parle du « franckisme », du « debussysme », mais on ne peut dire qu'il y ait une « école Saint-Saëns ». S'il a occupé une place de premier plan dans l'histoire de notre musique, il n'a joué aucun rôle dans son évolution. La raison doit en être cherchée dans son esthétique, qui est, comme sa critique, fille d'un éclectisme absolu. Il lisait tout, retenait tout ; c'est le plus prodigieux assimilateur qui ait jamais paru en musique. Ascanio montre comment il sut utiliser les procédés wagnériens. « J'en ai fait autant, disait-il, avec Sébastien Bach, avec Haydn, Beethoven, Mozart et tous les maîtres de toutes les écoles ». Entre tous ces apports divers, il a su maintenir un parfait équilibre et donner à tout ce qu'il écrivait une apparence élégante et classique. Sa personnalité n'était pas formée d'une pensée neuve et originale : elle résidait dans la netteté, la clarté et la concision de la forme. C'est en ce sens que cet artiste, très instruit, d'une culture encyclopédique, peut être considéré comme le représentant, au XIXe siècle, de l'esprit classique français. Mais, par là même, sa musique était tournée vers le passé plus que vers l'avenir. Cette circonstance explique l'exceptionnelle valeur de sa forme musicale, dont la pureté restera inimitable ; mais elle restreint, et elle restreindra de plus en plus, son rôle dans la musique de l'avenir.

 

(André Cœuroy, Larousse Mensuel Illustré, juin 1923)

 

 

 

 

Camille Saint-Saëns au piano, portrait-charge de Bils

 

 

 

Camille Saint-Saëns à l'orgue de l'église Saint-Séverin, à Paris

 

 

 

 

Camille Saint-Saëns, né à Paris en 1835, était Normand d'origine, d'une famille de cultivateurs, fixée à une lieue et quart de Dieppe. Il a dit lui-même que composer de la musique lui était une fonction aussi naturelle qu'à « un pommier de produire des pommes », phrase imagée qui ne pouvait sortir que des lèvres d'un Normand authentique.

Chose curieuse ! les artistes normands ont toujours eu la hantise de l'Espagne, de l'Afrique ou de l'Orient. Reconnaissons ici l'aventureuse imagination des « vikings », leur désir de conquête ou simplement d'évasion, cette folie qui anima l'héroïque Robert Guiscard conquérant Naples et faisant prisonnier le Saint Père que gardaient pourtant les Allemands, ou ce prodigieux Robert Crespin battant les Sarrasins en Espagne, secourant le monarque de Constantinople et projetant de devenir empereur d'Orient...

Aussi bien, Saint-Saëns fut un grand voyageur et son œuvre se ressent de cette passion d'errer, ainsi qu'en témoignent les décors exotiques de ses grandes compositions symphoniques ou dramatiques : le Déluge, Samson, Proserpine, Déjanire, Parysatis, Hélène, Suite algérienne, Africa, Hail, California, etc... Il a pourtant son « coin » préféré : la pointe Saint-Eugène en Algérie, où gravement malade, il séjourne pour la première fois en 1872, et vers laquelle il reviendra souvent par la suite. La merveilleuse couleur arabe, si bien reproduite par Saint-Saëns en tant d'ouvrages, et que, seul, un autre musicien normand, Gabriel Dupont, a su retrouver dans son superbe opéra d'Antar, digne pendant de Samson et Dalila, cette couleur chaude dont Fromentin nous a révélé les composants dans Un été dans le Sahara, et Une année dans la Sahel, voilà que la musique la plus haute, grâce au génie français, va s'en imprégner pour réaliser inconsciemment le vœu de Nietzsche — lassé de Wagner — « d'une gaieté vraiment africaine... d'une sensibilité méridionale, cuivrée, ardente... » « Il faut, ajoutait le philosophe, méditerraniser la musique. » Saint-Saëns, avant même l'auteur de Carmen, s'y employa généreusement. Ne lui doit-on pas ce joli mot : « J'étais fait pour vivre sous les tropiques, j'ai manqué ma vocation ». Or, si l'on songe qu'après nous être libérés de Wagner (qui régna en tyran sur notre art jusqu'à la fin du XIXe siècle) les jeunes artistes post-debussystes ont tous rêvé du continent noir, à commencer par Francis Poulenc, débutant par une Rapsodie nègre, on ne peut s'empêcher de rendre hommage à la clairvoyance de Saint-Saëns, écrivant Africa en 1891, c'est-à-dire l'année où Lohengrin était créé à l'Opéra de Paris.

Saint-Saëns vécut également aux îles Canaries, en l'île de Ceylan, aux îles de Poulo Condor. Ces beaux voyages expliquent la qualité de sa musique, qui est celle des pays chauds : la sécheresse de l'air, sa limpidezza. Cette musique est toute de clarté, vertu préconisée par l'auteur qui dans ses Problèmes et mystères fait appel précisément à la jeunesse pour défendre « la clarté du monde menacé » contre les brouillards du Nord, les dieux scandinaves, les divinités de l'Inde, le spiritisme, l'ésotérisme et « l'amphigourisme ».

Esprit universel, épris de vérité, Saint-Saëns, musicien et poète, se double encore d'un savant. En biologie, on lui doit un opuscule fort curieux sur la Parenté des plantes et des animaux ; en astronomie de nombreuses communications à la Société astronomique de France, et observations d'éclipses ; en acoustique, des études remarquables sur les vibrations des cloches ; en géologie, des aperçus nouveaux sur la tectonique. « Ce Latin est avide de faits — écrit Rémi Ceillier — comme le Germain Goethe fut avide de théories, en matières scientifiques, mais l'un de ces noms appelle irrésistiblement la comparaison avec l'autre. Et sans doute l'avenir négligera-t-il, dans toute leur œuvre, plus de pages de Goethe que de Saint-Saëns. »

Nous sommes donc en présence d'un maître complet et qui vise à la perfection de la forme, à laquelle nul ne peut atteindre, s'il ne domine de très haut la technique. A cet égard, Saint-Saëns apparaît sans rival : « Si Camille Saint-Saëns eût été exclusivement organiste — écrit, par exemple, Jean Huré, on saluerait en lui le plus grand virtuose qui ait vécu depuis J.-S. Bach. Sa science d'improvisateur tient du prodige. Il improvise en contrepoint, à deux, trois, ou quatre voix, allegro, en suivant un plan merveilleusement ordonné, et avec une pureté, une logique, dans la marche des parties composantes, telles que le musicien le plus érudit et doué de l'oreille la plus exercée, croit entendre une composition mûrement pensée et écrite avec soin. Comme difficultés d'exécution, certains de ses impromptus représenteraient pour le plus adroit de nos organistes, un an de travail assidu... Et il est une face de son talent encore plus intéressante peut-être, et plus purement esthétique : c'est son art de la registration. »

Après cela, comment s'étonner de ce que Saint-Saëns soit considéré, dans le monde entier, comme notre plus grand musicien symphoniste ?

Sa Première Symphonie, il la composa à seize ans ! Elle est déjà d'un maître qui, notait Charles Gounod, « écrirait à volonté une œuvre à la Rossini, à la Verdi, à la Schumann, à la Wagner ». Et ce maître composera, en fait, des œuvres supérieures dans tous les styles et dans tous les genres : messes, opéras, opéras-comiques, cantates, symphonies, poèmes symphoniques, oratorios, concertos, musique pour orchestre, pour orgue, pour instruments, pour piano, pour voix, musique de chambre, tous ouvrages d'une inconcevable richesse technique, d'une science tellement assimilée que le pédantisme y est absent.

Et dans chaque genre, au moins un chef-d'œuvre : la messe de Requiem, l'opéra de Samson et Dalila, l'opéra-comique de Phryné, la cantate pour l'Exposition de 1867, la Troisième Symphonie avec orgue, le poème symphonique de Phaéton (à moins que l'on ne préfère la Danse macabre), l'oratorio du Déluge, la Suite algérienne et Africa pour orchestre, les Sept improvisations et la Marche religieuse pour orgue, le Concerto en ut mineur, la Sonate pour violoncelle, le Septuor en mi bémol, le Quatuor en sol, le Quintette en la mineur, le Scherzo pour piano et les admirables variations à deux pianos sur un thème de Beethoven, enfin des mélodies telles que la Cloche, la Nuit persane, Violons dans le soir, etc...

Mais pourquoi choisir ? Rien n'est indifférent dans l'œuvre du maître qui nous propose d'éternels modèles d'art français caractérisés par la pureté absolue de la forme, l'équilibre constructif, la claire inspiration, le sens aigu de la mesure et l'infaillible goût.

 

Henri Collet

Membre de l'Académie des Beaux-Arts et de l'Académie d'Histoire de Madrid

(les Musiciens célèbres, 1946)

 

 

 

 

Camille Saint-Saëns

 

 

 

manuscrit-autographe de Camille Saint-Saëns

(chaque portée de ce manuscrit-autographe est prise dans une des oeuvres dramatiques du Maître)

 

 

 

 

monument de Camille Saint-Saëns à Dieppe (1907), statue par Laurent Marqueste

 

 

 

chapelle de Camille Saint-Saëns au cimetière du Montparnasse

 

 

 

 

 

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