Charles NICOT
Charles Nicot [photo atelier Etienne Carjat]
Charles Auguste NICOT dit Charles NICOT
ténor français
(maison Clavé, le Canal, Mulhouse, Haut-Rhin, 23 octobre 1843* – Paris 8e, 28 mars 1899*)
Fils de Charles François Toussaint NICOT (Boulot, Haute-Saône, 07 février 1800 – Paris 18e, 04 mars 1880*), négociant [fils de Pierre NICOT], et de Gabrielle Virginie TOURNIER (Baume-les-Dames, Doubs, 05 décembre 1809 – Riedisheim, Haut-Rhin, 24 mars 1871), mariés à Baume-les-Dames le 21 mai 1828.
Epouse à Paris 18e le 02 juillet 1881* Juliette BILBAUT-VAUCHELET (1855–1925), cantatrice ; parents de Marianne NICOT-VAUCHELET (1882–1935), cantatrice.
Admis au Conservatoire, il suivit la classe de Révial et obtint un premier accessit de chant en 1867, puis, au concours de 1868, le premier prix d'opéra-comique et les seconds prix de chant et d'opéra. Il débuta à la salle Favart, dans le rôle de Mergy, du Pré-aux-Clercs, où sa jolie voix de ténor le fit accueillir très favorablement. Sans avoir une grande étendue de voix, il savait la conduire avec infiniment de délicatesse et de goût, et il y avait en lui l'étoffe d'un comédien. Il quitta l'Opéra-Comique en 1870, n'espérant pas, comme ténor, remplacer de sitôt Achard et Capoul, et il alla chanter dans les concerts. Engagé en 1874 à l'Opéra-Populaire du Châtelet, il se fit vivement applaudir dans Frédérick des Amours du Diable, puis reparut, au mois de mai 1875, à l'Opéra-Comique en créant l'Amour africain, de Paladilhe. Chanteur agréable et comédien adroit, il fit apprécier ses qualités dans un grand nombre d'ouvrages du répertoire : le Val d'Andorre, les Dragons de Villars, Philémon et Baucis, Cendrillon, l'Eclair, Fra Diavolo, le Caïd, le Maçon, etc., tout en se faisant applaudir aussi dans diverses créations : les Amoureux de Catherine (1876) ; la Surprise de l'Amour (1877) ; Pepita (1878) ; Suzanne (1878) ; Dianora (1879) ; l'Amour médecin (1880) ; la Taverne des trabans (1881) ; Battez Philidor ! (1882). C'est vers cette époque qu'il épousa une charmante actrice de ce théâtre, Mlle Bilbaut-Vauchelet. Charles Nicot quitta l'Opéra-Comique en 1883 et se consacra à l'enseignement musical. Il fit partie du comité d'examen des élèves de chant, au Conservatoire. Voix fraîche et sympathique, méthode sûre, diction correcte, jeu fin, geste sobre, telles étaient les qualités dominantes de ce ténor, dont le talent n'est pas sans analogie avec celui de Mocker, son premier maître.
En 1880, il habitait 21 rue des Abbesses à Paris 18e. En 1895, il était officier d'Académie et habitait 1 square du Roule à Paris 8e, où il est décédé en 1899 à cinquante-cinq ans.
Sa carrière à l'Opéra-Comique
Il y débuta le 01 mars 1869 dans le Pré-aux-Clercs (Mergy).
Il y créa le 08 mai 1875 l'Amour africain (Nouman) de Paladilhe ; le 08 mai 1876 les Amoureux de Catherine (Heinrick Walter) d'Henri Maréchal ; le 31 octobre 1877 la Surprise de l'amour (Lélio) de Poise ; le 13 juillet 1878 Pépita (sir George Williams) de Léon Delahaye ; le 30 décembre 1878 Suzanne (Richard Edwin) d'Emile Paladilhe ; le 22 décembre 1879 Dianora (le Duc) de Samuel Rousseau ; le 14 juin 1880 la Fée de Hémery ; le 20 décembre 1880 l'Amour médecin (Clitandre) de Poise ; le 31 décembre 1881 la Taverne des Trabans (Aloys) de Maréchal ; le 13 novembre 1882 Battez Philidor ! (Richard) d'Amédée Dutacq.
Il y chanta la première le 16 mai 1876 de Philémon et Baucis (Philémon) de Charles Gounod.
Il y chanta le Chalet (Daniel) ; Haydée (André) ; le Val d'Andorre ; les Dragons de Villars ; Cendrillon ; l'Eclair ; Fra Diavolo ; le Caïd ; le Maçon ; la Fille du régiment ; Richard Cœur de Lion ; la Dame blanche. |
Au moment où l'Opéra-Comique allait enfin sombrer, au mois de mai dernier, il semble que son Directeur, M. Du Locle, avait fini par comprendre combien était contraire aux intérêts de ce théâtre la voie dans laquelle il s'était engagé avec tant d'obstination, malgré les avertissements répétés du public, car il fit alors un retour, trop tardif pour le sauver, mais très franc, vers les saines traditions. Comme lendemains à Piccolino, œuvre finement écrite dans les données claires et précises de l'école française, il fit représenter Philémon et Baucis, chef-d'œuvre empreint d'une poésie toute aimable, d'un maître dont la gloire est aujourd'hui justement consacrée, accompagné des Amoureux de Catherine, premier essai d'un jeune lauréat de l'Ecole de Rome, fermement engagé à la suite des Hérold, des Boieldieu et des Victor Massé. A côte d’une ravissante artiste qui venait de passer à l'état d'étoile dans ces deux derniers ouvrages, la presse fut unanime à mettre en avant le nom d'un jeune ténor, dont les antécédents avaient été déjà bien souvent remarqués, car, sans jamais forcer sa voix et son talent, Nicot s'était fait apprécier plus d'une fois par les dilettante délicats pour la simplicité de son chant, la pureté de sa méthode et, plus encore peut-être, pour son émotion communicative. Aussi, M. Carvalho, qui s'y connaît en artistes, l’a-t-il retenu à l'Opéra-Comique, et lui donnera-t-il, plus souvent que son prédécesseur, des occasions de mettre en évidence un talent des plus sympathiques. Il est toujours intéressant de rechercher les antécédents d'un artiste arrivé, et d'apprendre par quelle suite de circonstances il a été amené à entrer dans la carrière dramatique, dont les commencements sont si ingrats. Chez Nicot, comme chez bon nombre de ses confrères, le chanteur s’est révélé dès l'enfance, en raison du milieu où il a été élevé. Né à Mulhouse (Haut-Rhin) le 23 octobre 1843, Charles Nicot, était le fils d’un entrepreneur de travaux d'asphalte, qui, bien que possédant lui-même une fort jolie voix et aimant beaucoup la musique, avait, à cette époque, la scène en horreur, et se prononçait alors hautement contre toute idée de ses fils d'aborder le théâtre. Je dis de ses fils, car le père Nicot avait eu quatorze enfants, qui, pour la plupart, étaient doués d'une voix si charmante que l'on avait surnommé sa petite famille : la famille des Rossignols. J'ai retrouvé, dans un journal de la localité, la trace des premiers débuts à la scène de Charles Nicot, à l'âge de quinze ans, alors qu'il faisait encore ses études dans l'institution Davin, à Mulhouse. Le fait est curieux à enregistrer. Après la cérémonie de la distribution des prix dans cette institution, le mardi 17 août 1858, une première représentation fut donnée par les élèves sur le théâtre de la ville ; le succès en fut si vif qu'une seconde soirée eut lieu le surlendemain au profit des pauvres, et rapporta une recette brute de 670 francs. Le spectacle puisait, son principal attrait dans la représentation d'une opérette en 2 actes, le Bienfaiteur, due à la collaboration de M. Davin, pour les paroles, et pour la musique de J. Heyberger, actuellement professeur de solfège au Conservatoire national de musique. Dans la distribution des rôles, on lisait : Perrin, maire et fermier, A. Thomas. — Baptiste, premier garçon de ferme, Charles Nicot. — Lucette, femme de Perrin, Raoul Nicot. — Catherine, fille de Perrin, Fernand Nicot. Dans le compte rendu fait par le journal où j'ai puisé ces détails, je lis au sujet de Charles Nicot : « Arrivons à l'œuvre musicale, véritable chef-d'œuvre, chantée par Baptiste : « En l'honneur de la fermière, etc. Ceci... nous nous y arrêtons… est une chanson à boire, chanson d'un entrain qui fait le plus grand honneur à M. Heyberger..., chanson dite par le jeune artiste qui l'interprétait, avec une verve, une justesse, une gaîté bachique à faire pâlir la réputation de DARCIER, le chanteur né des chansons à boire. Je suis historien, rien de plus, et je dis que les bravos et les bis frénétiques qui ont suivi ce morceau n'étaient que pleine justice, et pour la composition et pour l'exécution. » De semblables triomphes étaient bien faits pour inspirer à Charles Nicot le goût du théâtre. Mais, comme son père préféra l'employer avec lui, à sa sortie de pension, le futur ténor d'opéra-comique se borna, pendant quelques années, à étudier le chant avec un excellent professeur, Mme Rieder, élève de Révial, et à faire partie de la Concordia, société chorale encore existante aujourd'hui, et dirigée alors par J. Heyberger. Puis, ensuite, la vocation l'entraînant, il part pour Strasbourg, où il se fait entendre de Kastner, le célèbre compositeur, membre de l'Institut, qui le dirigea sur le Conservatoire de Paris. Reçu, immédiatement pensionnaire, après avoir chanté la Cavatine de la Dame Blanche, Charles Nicot, entra dans la classe de Révial, en 1866. En 1867, il concourait avec l'air de Sémiramis, et obtenait un premier accessit de chant. Au concours de 1868, l'air du Barbier de Séville lui valait un deuxième prix de chant, à l'unanimité ; en même temps, il remportait le premier prix d'opéra-comique avec une scène de l’Eclair et une autre du Caïd, rôle d'Alibajou, puis le deuxième prix d'opéra, avec le grand duo de la Reine de Chypre. Son engagement à l'Opéra-Comique fut signé en décembre suivant, et il débutait sur cette scène, le 1er mars 1869, dans le rôle de Mergy, du Pré-aux-clercs. Après être resté six mois seulement à l’Opéra-Comique et y avoir joué, avec le Pré-aux-Clercs, Daniel du Chalet, et André, d'Haydée, Nicot dut quitter ce théâtre à la suite d'un procès avec MM. Ritt et de Leuven, ses directeurs ; il avait refusé de reprendre, dans Mignon, le petit rôle de Frédéric, tout à fait en dehors de son emploi ; et son procès gagné devant le Tribunal de Commerce, fut perdu en appel. Ce regrettable incident le détermina momentanément à abandonner la carrière dramatique. Durant deux années, il se borna à chanter dans les concerts à Paris et à parcourir la province en tous sens, en se faisant entendre dans des Sociétés philharmoniques. Heureusement, ce talent, si frais et si aimable, ne devait pas être perdu pour la scène. Cédant aux sollicitations du directeur de l'Opéra-Populaire, fondé dans le Théâtre du Châtelet, il consentit à créer les Amours du Diable, avec cette pauvre Reboux, enlevée si cruellement à l'art, il y a quelques mois. Son succès fut très vif. Sa voix charmante, le style dont il fit preuve comme chanteur, et ses aptitudes de comédien le recommandèrent bien vite au directeur de l'Opéra-Comique, en quête d'un ténor. Sur l'indication de M. Ambroise Thomas, dont il allait remonter le Caïd, M. Du Locle vint entendre Nicot et l'engagea immédiatement. Il reparut donc sur la scène de l'Opéra‑Comique à la reprise du Caïd, le 18 janvier 1875 ; créa l'Amour africain, de Paladilhe, le 8 mai suivant, puis se fit entendre successivement dans le Pré-aux-Clercs, la Fille du Régiment, le Val d'Andorre, Richard Cœur-de-Lion, la Dame Blanche. Au centenaire de Boieldieu, il consentit, pour l'éclat de la représentation, à jouer le fermier Dickson, où il fut très remarqué. Enfin, la reprise de Philémon et Baucis, et la création de Walter dans les Amoureux de Catherine, au mois de mai dernier, consacrèrent sa juste réputation de chanteur distingué et de comédien plein de feu et de verve. Nicot se recommande en effet par une voix douce et pénétrante, et un vif sentiment du style. Bien peu d'artistes ont chanté mieux que lui l'air : O ma douce Amie du Pré-aux-Clercs, et, en général, toutes les parties d'opéra qui demandent du goût et de la tendresse. Il détaille avec soin, connaît à fond l'art des nuances, ne force jamais le son, préférant charmer plutôt que de provoquer l'étonnement. Possesseur d'un excellent organe dont il a appris sûrement à se servir, nourri de fortes études musicales, intelligent à la scène, il est du petit nombre de ceux qui commandent l'attention. Pour lui, il n'y a pas de petits rôles ; et soit qu'il chante le Pré-aux-Clercs ou le Caïd, c'est toujours l'artiste intéressant, esclave de la pensée du maître, et comme nous en cherchons vainement un, depuis plusieurs années pour nous faire revivre ces personnages si charmants de l'opéra-comique, sacrifiés, de longue date, entre les mains de chanteurs inexpérimentés.
(Félix Jahyer, Paris-Théâtre, 28 septembre 1876)
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photographie dédicacée de Charles Nicot en 1873 [photo Carjat]
Après l'avoir entendu chanter au Châtelet les Amours du Diable avec Mélanie Reboux, M. du Locle l'a engagé. Un ténor de plus n'est jamais inutile. (le Théâtre de l’Opéra-Comique, Jules Prével, le Figaro, 17 janvier 1875)
Né à Mulhouse, le 23 octobre 1843. Il entra au Conservatoire en 1866, y obtint un deuxième prix de chant en 1868, et fut engagé à l'Opéra-Comique, où il débuta le 1er mars 1869, dans le rôle de Mergy du Pré-aux-Clercs. Il abandonna l'Opéra-Comique pendant un an, à la suite d'un procès avec les directeurs MM. Ritt et de Leuven et alla jouer en province. Il fut réengagé par M. du Locle et reparut sur la scène de ses premiers succès, le 18 janvier 1875, dans le Caïd. Il créa ensuite l'Amour africain, se fit entendre dans la Fille du régiment, le Val d'Andorre, Richard Cœur-de-Lion, la Dame blanche, etc. (Journal spécial du Théâtre de l’Opéra-Comique, 17 décembre 1881)
[Henri Maréchal parle des créateurs de son œuvre les Amoureux de Catherine] Nicot — Walter — fut parfait et semblait prédestiné à ce rôle qui resta parmi ses meilleurs. Sa voix toute de charme et de finesse, conduite avec un très grand art, obtenait de surprenants effets de douceur. Plein d'autorité comme chanteur, il se sentait un peu moins à l'aise dans les scènes parlées, et cette sorte de gène qu'il y éprouvait servit admirablement un personnage tout de timidité, d'hésitation et de tendresse inavouée. Nicot resta longtemps encore l'Opéra-Comique : il y fit plusieurs créations remarquables, entre autres celles de Suzanne de Paladilhe ; puis il se retira du théâtre pour s'adonner au professorat. Une classe de chant au Conservatoire lui était certainement réservée lorsqu'il mourut subitement en 1899. Avec Bosquin, avec Caron, Nicot était le camarade de la jeunesse, le chanteur des premières notes ! Nous cheminions ensemble dans la vie dévoués l'un à l'autre ; et, puisque le dernier mot me reste, c’est encore revivre un peu avec ces chers amis que rappeler leur talent, leurs succès en soulignant aussi qu'ils furent de braves gens. (Henri Maréchal, le Ménestrel, 08 août 1914)
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La Belle Tradition vocale française : Ch. Nicot, J. Bilbaut-Vauchelet, Marianne Nicot-Vauchelet.
Parmi les grands chanteurs français qui contribuèrent le mieux à faire valoir et à répandre notre belle école vocale, il faut placer Ch. Nicot et Juliette Bilbaut-Vauchelet ainsi que leur fille, heureuse héritière de leurs dons et de leur parfaite méthode (1).
(1) C'est une grande joie pour moi d'exposer dans cette revue centenaire, toujours plus active, l'art de mes maitres à qui j'ai voué une affectueuse reconnaissance « filiale ès art du chant », puis-je dire avec l'assentiment de Marianne Nicot-Vauchelet.
Charles Nicot, né à Riedisheim, village alsacien, en 1843, n'avait pas vingt ans lorsque sa passion pour le chant le conduisit vers Révial. Celui-ci le fit admettre dans sa classe en 1866 comme « pensionnaire » ce qui représentait alors un titre, le nombre des pensions étant limité à dix. Dis 1868, l'élève recevait un second prix de chant, « un second prix d'opéra seulement, parce que Nicot s'est contenté de chanter, n'a pas hurlé... » dit la France Musicale, et un remarquable premier prix d'opéra-comique à propos duquel on vante « son goût exquis, sa méthode parfaite » dans une scène de l'Éclair qui le révèle déjà « comédien et chanteur adorable malgré le peu d'ampleur de sa voix si pure ». Toute sa vie, l'artiste souffrira de ce manque d'ampleur qui lui interdit les rôles dramatiques auxquels aurait convenu son tempérament très ardent.
En mars 1869, il débute à l'Opéra-Comique dans le Pré-aux-clercs. On lui bisse « ô ma tendre amie » et l'orchestre associe ses applaudissements à ceux du public. Mais en juillet, ayant refusé le rôle de Frédéric dans Mignon, les directeurs attaquent leur ténor qui se trouve ainsi privé du théâtre si propice à ses dons. Persévérant, il chante sur les grandes scènes de province. A Paris, le jeune ténor, très bon musicien, est la grande vedette des concerts classiques.
1870. Pendant la guerre, l'ardent patriote dut s'enrôler, car en février 1871, on retrouve sa trace à Bâle d'où une bande de jeunes gens demandent à rentrer en France.
En 1872, Ulmann, l'impresario des grands artistes, engage Nicot pour une tournée européenne dans laquelle il récolte de beaux succès. Revenu à Paris en 1873, Reyer le signale comme chanteur et musicien parfait dans la Vie d'une Rose de Schumann. En 1874, il chante à l'Opéra Populaire où il succède à Capoul de qui la voix généreuse pourrait lui nuire ; mais la presse admire son adresse : « Nicot a mieux à faire que d'imiter Capoul, il sait rester Nicot. » On aime son joli timbre, « ses notes élevées qui vibrent sans effort. » L'Opéra-Comique ayant changé de directeur, il y reparaît en janvier 1875 dans le Caïd, demandé par l'auteur. « Le nouveau pensionnaire phrase bien, sait vocaliser, an presque perdu en France par les voix d'hommes » dit le Ménestrel. Successivement, il joue Richard Cœur de Lion, l'Amour africain, le Val d'Andorre, la Dame blanche, Philémon et Baucis qui lui vaudra des ovations pendant toute sa carrière et « on voit dans la salle, bon nombre d'artistes qui viennent prendre une leçon de bon goût », dit Paul Millet. Délicieux dans les Rendez-vous bourgeois, il est « le meilleur Lorenzo de cette époque dans Fra Diavolo ».
Il prend possession de Ramir dans Cendrillon ; de Georges dans l'Eclair. Il crée Walter des Amoureux de Catherine, Lélio des Surprises de l'Amour, rôle dans lequel la critique est unanime à louer son chant et sa grâce de comédien, puis Richard de Suzanne. « Nicot prend la première place. S'il n'a qu'un filet de voix, ce filet est de pur cristal et il l'utilise avec un art exquis, une science consommée ». Ce n'est pas un petit éloge de dire que Nicot « est à la mode » car il a, pour concurrents, Capoul, Talazac, Morlet, etc. Pas de grandes cérémonies religieuses sans un solo chanté par Nicot. Les concerts le réclament ainsi que les grands théâtres de province. Lorsque Carvalho, en 1877, renouvelait l'engagement de Nicot (2), le Monde Artiste écrivait : « Carvalho a su réunir dans sa troupe quatre ténors remarquables chacun dans son genre, Nicot, Engel, Dereins, Stéphane, mais... il n'a pas de véritables cantatrices ». Bientôt, l'heureux directeur allait lancer Juliette Bilbaut-Vauchelet.
(2) Au chiffre de 20.000 francs-or pour dix mois, c'est-à-dire de nos jours 100.000 francs.
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La méthode.
M. et Mme Nicot avaient quitté le théâtre en pleine possession de leur talent. Mes Maîtres jouissaient alors de la grande expérience obligatoire dans l'enseignement. Aussi furent-ils bien vite entourés de nombreux élèves. Leurs leçons si vivantes, dans lesquelles ils se livraient généreusement à leurs disciples, semblaient une mission plus qu'un devoir.
Tous deux possédaient à un degré peu commun le principal des dons qui font le véritable professeur de chant : la sensibilité de l'oreille, non seulement pour le contrôle de la justesse du son, mais aussi pour la qualité du timbre, celui-ci étant un des meilleurs moyens de juger le fonctionnement dus organes vocaux. Forts de leurs perceptions auditives, qu'aucun appareil ne peut encore suppléer, ces véritables amoureux du « beau son » n'encombraient pas leurs leçons d'insuffisantes preuves mécaniques. Pourtant, s'ils dépistaient, à l'oreille, le moindre trouble vocal, Mme Nicot, armée du laryngoscope qu'elle maniait adroitement, faisait un premier examen du sujet qui, en cas de besoin, était adressé à un laryngologiste. Ces bons chanteurs n'ignoraient pas la physiologie vocale et savaient qu'il y a beaucoup de manières de mal se servir des appareils vocaux et respiratoires, mais qu'il n'existe qu'une bonne méthode rationnelle, non moins française qu'étrangère, avec laquelle les meilleures équations deviennent inutiles.
Il fallait entendre de quelle flamme ils animaient le moindre petit filet de voix du plus amateur des amateurs, avec quelle sévérité ils traquaient nos défauts ! Leur science, étayée de patience, rétablit bien des voix précédemment endommagées par de mauvais principes.
Poser la voix, trouver de jolis sons sur une bonne respiration naturelle, apprendre à bien prononcer puis à dire avec expression, telles étaient leurs justes maximes (3). On parlait moins du « coup de glotte » que de nos jours, mais on l'exécutait peut-être mieux. Attaquer un son sur une voyelle, sans dureté, avec une grande netteté, donnait aux disciples des Nicot une justesse, une pureté de la note toujours appréciées des musiciens et qui faisait dire à un de nos meilleurs laryngologistes : « Je reconnais les élèves de Mme Nicot rien qu'à leur bonne attaque du son. »
(3) J'ai tâché à les développer dans un ouvrage de vulgarisation : « Initiation à l'Art du chant » Collection Baudry de Saunier que M. J. Heugel eut l'amabilité de présenter dans le Ménestrel il y a une quinzaine d'années.
Les articles cités plus haut sont la preuve de leur réputation de merveilleux vocalistes et vraiment nous ne pouvons que sourire lorsque L. Kerst, intelligent critique musical pourtant, nous donne l'occasion d'admirer ses connaissances anatomiques et vocales en demandant à Mlle Bilbaut-Vauchelet — à propos de la Reine de la Nuit — de « supprimer l'émission des amygdales qui donnera bientôt à sa voix des sons de cailloux ». Prédiction qui n'eut pas de réalisation, ce qui permit au même journaliste, quelques années plus tard, de s'unir à ses confrères pour célébrer la « pureté du timbre » de la cantatrice que la presse avait surnommée la reine des vocalises et des notes piquées. En effet, la sûreté de son mécanisme plaçant chacune des notes d'un trait dans toute sa justesse comme sur un échelon spécial à chaque son était l'antithèse magnifique des glissades musicalement informes que l'on peut reprocher à tant de chanteurs. « Placer chaque son » même dans la plus grande rapidité était le secret des Nicot, ainsi que le bon exemple oral qui nous venait, gardé vivant à travers les siècles, par les vrais chanteurs.
On a vivement reproché aux professeurs de chant, souvent avec juste raison, leur ignorance des sciences qui régissent les organes phonétiques, les divergences de leurs méthodes. Mais ne pourrions-nous pas, à notre tour, déplorer la diversité des théories présentées par certains physiciens et certains physiologistes spécialisés dans les recherches sur la voix humaine, ne pouvant entre eux réaliser l'unité des lois du mécanisme vocal et créant chacun leur propre méthode ? D'ailleurs s'il suffisait de connaître scientifiquement le mécanisme des organes vocaux pour savoir chanter, tous les laryngologistes devraient être de bons chanteurs. Il n'en peut être ainsi car l'éducation de la voix n'est pas seulement une science mais aussi un art composé d'instincts naturels, de dons spéciaux et souvent spécieux, impondérables. Les plus intransigeants scientistes les constatent... sans pouvoir les analyser.
Ne proclamons pas, cependant, la faillite de la science et prenons, parmi les observations consciencieusement faites, ce qui peut servir à l'amélioration de chaque voix, selon les variations naturelles que présente chaque organisme vivant. Mme Nicot disait très justement que l'on ne pouvait écrire une méthode de chant « omnibus » (4).
(4) J'ai signalé le défaut d'une pareille base dans « Initiation à l'Art du chant ».
Les professeurs intelligents et sérieux qu'étaient mes maîtres avaient pesé longuement les expériences des savants — qu'ils discutaient entre eux et avec leurs disciples déjà formés — mais ils considéraient comme dangereuse pour l'élève, cette orientation scientifique difficile et variable qui peut détourner le débutant de l'éducation de son oreille et de ses sensations, faute de quoi il ne chantera jamais bien. Il leur semblait préférable que, tout en connaissant théoriquement les organes dont il doit se servir, l'apprenti chanteur ne soit pas initié trop vite aux divergences, aux détails et aux expériences de laboratoire qui encombreraient son éducation vocale.
De nos jours, certains maîtres, émus par le charlatanisme ou l'ignorance dont font preuve tant de faux professeurs de chant, semblent, par réaction, donner une importance exagérée à l'étude si complexe des sciences. D'autres — l'avenir nous dira s'ils ont raison — insistent longuement sur les exercices physiques dits « pré-vocaux », excellents en eux-mêmes s'ils ne surchargent pas les études de l'élève, s'ils sont réglés selon chaque tempérament d'après les aptitudes intellectuelles et surtout — ainsi que le disaient mes maîtres — s'ils ne détournent pas l'attention du chanteur de la recherche du son dans sa meilleure qualité avec toutes les variétés de timbre qui font du clavier vocal — lorsque l'artiste en est maître absolu, — une palette sur laquelle il choisit les couleurs et les demi-teintes qui donnent à son chant la totale valeur expressive.
Les jeunes générations croient trop facilement trouver des exemples de technique vocale dans la musique mécanique et même des corrections pour leurs défauts dans des contrôles mécaniques. Non pas que nous devions renier les services que nous rendent la T. S. F., les bons disques ou la cinématographie de la voix. Cependant, au point de vue de l'éducation vocale, ces moyens ne sont pas encore d'assez subtils reproducteurs pour que nous puissions baser sur eux nos observations. Sans leur secours, mes maîtres — et combien d'autres des siècles écoulés — formèrent de beaux chanteurs dont, pour eux, la meilleure preuve est la carrière de leur fille.
Pour les Nicot, la technique, servante obligatoire du chanteur, occupait sa vraie place ; mais ils ne perdaient pas de vue le but réel : l'art du chant.
Dès le début des études, le style musical d'une œuvre leur servait à nous inculquer cette technique du « beau chant » dénommé « bel canto » par les Italiens, c'est-à-dire l'art de lier les sons entre eux, de les soutenir, de les rendre animés et nuancés, art qui fut d'abord français du XVe au XVIIe siècle. Une phrase devait être polie, équilibrée par l'élève jusqu'à satisfaction. De là, dans les études, leur prédilection pour Mozart, les classiques et ces airs, vocaux par excellence — quoique parfois discutables musicalement — de la fin du XVIIIe siècle et du commencement du XIXe, dans lesquels ils avaient obtenu tant d'éclatants succès.
Enfin, lorsqu'il s'agissait du répertoire des théâtres lyriques les Nicot déployaient tous leurs dons de chanteurs et d'acteurs ; l'intensité de leur vie semblait redoubler. Ch. Nicot, en dix minutes, s'assimilait successivement les caractères les plus divers. Il était Des Grieux, puis Lescaut, puis un inénarrable Brétigny devant lequel on oubliait d'être Manon. Alors, redevenant Nicot, l'artiste nous accablait d'une grêle d'épithètes sarcastiques mais exactes qui déchaînait un rire général — et je souris encore au souvenir de ses brusques et amicales bourrades.
Tous deux chantèrent et enseignèrent jusqu'à leurs derniers moments. Trois heures avant de mourir, Ch. Nicot interprétait L'heure du Mystère de Schumann devant quelques élèves qui restèrent saisis par l'expression intense donnée à ces pages par notre maître... c'était, hélas, le chant du cygne, Mars 1899. Mme Nicot fit un dernier cours avant de s'aliter pour ne plus se relever.
Ainsi, ni la maladie, ni l'âge ne purent faire vaciller la flamme dont ces admirables prêtres de l'Art du Chant illuminèrent les âmes de leurs disciples. Puissent ceux-ci, à leur tour, perpétuer les bons principes de génération en génération.
(Jane Arger, le Ménestrel, juillet-août 1934)
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