Jeanne MYRTALE
Jeanne Myrtale en 1925 [photo Paul Nadar]
Justine Antoinette GOYET dite Jeanne MYRTALE
soprano français
(Saint-Étienne, Loire, 05 mai 1892* – Grasse, Alpes-Maritimes, 12 mars 1931*)
Fille de Jean GOYET (Saint-Étienne, 08 avril 1864* – Paris 13e, 17 avril 1935*), teinturier chimiste [fils de Victor GOYET (1837–), teinturier], et de Magdeleine Célestine ROCHETIN (Yssingeaux, Haute-Loire, 22 septembre 1870* – Paris 13e, 11 septembre 1953*).
Au Conservatoire de Paris, elle obtint un second prix de chant (classe de M. Berton) et un premier prix d'opéra (classe de M. Cornubert) en juillet 1920, puis un premier prix de chant le 29 juin 1921. Elle débuta à l'Opéra-Comique l'année suivante. Elle se produisit ensuite sur de nombreuses scènes de province et à la Monnaie de Bruxelles. Elle fut la dernière muse du ténor Jean Mouliérat, qui fut très affecté par sa mort prématurée. On doit à Pierre-Barthélemy Gheusi et Thomas Salignac, un livre, Jeanne Myrtale, Jean Mouliérat (1933).
Elle est décédée en 1931, célibataire, à trente-huit ans, domiciliée 41 avenue des Gobelins à Paris 13e. Elle est enterrée au cimetière du Montparnasse (25e division).
Sa carrière à l'Opéra-Comique
Elle y débuta le 01 mars 1922 dans Manon (Manon).
Elle y créa le 06 novembre 1922 les Uns et les autres (Chloris) de Max d'Ollone.
Elle y chanta également le Roi d’Ys (Rosenn) et Louise (Louise). |
Jeanne Myrtale en 1922 [photo Jules Sabourin]
Nous avons appris avec regret la mort de Mlle Jane Myrtale, décédée à Grasse à la suite d'une opération. C'est en pleine jeunesse et en plein épanouissement de son talent que vient de disparaître cette excellente artiste. (le Ménestrel, 20 mars 1931)
Les obsèques de la regrettée jeune artiste Jeanne Myrtale, de l'Opéra-Comique, ont eu lieu à l'Eglise Saint-Jacques-du-Haut-Bas, au milieu d'une nombreuse assistance d'admirateurs et d'amis, parmi lesquels on reconnaissait de hautes personnalités de la musique et des théâtres, qui avaient voulu rendre un dernier hommage, un affectueux adieu à celle qui fut une si belle artiste, une si sympathique camarade. Nous nous réservons de dire, dans notre prochain numéro, ce que fut la carrière de Jeanne Myrtale si courte mais si brillante. (Lyrica, mars 1931)
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Il y a six ans, j'ouvrais à cette même place une rubrique consacrée aux jeunes artistes qui pointaient vers le firmament de la Gloire ; celles ou ceux qui, ayant dépassé le stade des espérances, entraient, toutes voiles déployées, dans la période fertile des réalisations, et je l'intitulais « Le Blé qui lève ». Quoi de plus émouvant que cette poussée de sève continue, qui d'une graine fait une fleur, qui d'un noyau fait un arbre, d'une chrysalide un papillon et d'une débutante timide et rougissante fait une artiste véritable que l'on voit peu à peu, à chaque rôle, se dégager davantage de sa gangue et prendre possession de son art et de sa personnalité. J'avoue que, pour ma part, la joie que j'en éprouve est d'une nature plus profonde que celle que me donne, par exemple, un grand artiste arrivé au faîte de son art. Malgré tout leur talent, les artistes dans la maturité ne peuvent conserver ce charme de juvénilité, fait à la fois de naïveté et de retenue. Que de débutantes hésitent à se livrer « devant le public ». « Se livrer », rien que ce terme n'est-il pas de nature à faire se cabrer la pudeur et la délicatesse d'une jeune fille ? Et c'est cette discrétion, ce frémissement d'ailes, ces palpitations de petite fauvette apeurée que l'on devine à travers leurs naïves audaces, qui donnent aux jeunes artistes ouvrant des yeux émerveillés devant leur jeune gloire naissante, ce charme d'une qualité si délicieuse.
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Jeanne Myrtale avait été la première nommée, l'inauguratrice de cette rubrique qui me tenait tant au cœur, « Le Blé qui lève » ! Elle en a été la plus brillante consécration, ayant dans cette courte période de six années brûlé les étapes si rudes, si escarpées qui, d'une jeune artiste admirablement douée, ont fait une cantatrice de tout premier plan, une étoile brillante parmi les plus brillantes dans le ciel artistique. Dès ses premiers pas au Conservatoire, cette charmante jeune femme, comme si elle avait eu le pressentiment que sa destinée était comptée et qu'elle devait plus vite qu'une autre se réaliser, dévoua à la carrière dont elle avait la vocation profonde, sa vie tout entière, sa volonté et sa foi. Se distinguant en cela de la majorité de ses camarades, rien d'équivoque ne se mêlait à ses aspirations. Le chant pour elle n'était pas un métier, c'était plus qu'un art, c'était un culte, un sacerdoce. Dans les temps antiques, elle eut été l'une des prêtresses d'Apollon. Elle gardait de ses tendances mystiques un goût prononcé pour le classique dont elle fit le pain quotidien de sa formation musicale et, de ce fait, elle marqua d'avance de style et de noblesse toutes les héroïnes qu'elle devait représenter. Les dieux lui avaient distribué le don suprême d'une voix magnifique, ample, longue, de soprano demi-caractère, d'une souplesse telle qu'elle se prêtait aussi bien aux larges phrases de Thaïs ou de Lohengrin qu'aux virtuosités de Faust, et de Manon. Tout cela sans le moindre effort et sans amoindrir la suavité d'un timbre unique qui, dans toute l'étendue de l'échelle, sous toutes les nuances, des pianos les plus subtils aux fortes les plus éclatants, ne se durcissait jamais et gardait, à l'image de son âme, sa pureté immaculée. De telles voix sont extrêmement rares : encore moins les voit-on associées avec des natures d'élite comme celle de Jeanne Myrtale, chez qui se trouvait réunie par miracle cette trinité exceptionnelle : une voix adorable, un corps de statue et une grande âme d'artiste. C'est pourquoi je la veux glorifier ici comme un exemple de ce que pourraient être nos chanteuses françaises, dans cette période de crise, où les artistes et les théâtres, ballottés comme des épaves au milieu d'une tempête sans précédent, ne savent plus où ils vont. Une carrière comme celle de Jeanne Myrtale comporte un enseignement, par la noblesse de sa vie et la continuité de son ascension artistique, qui l'avaient amenée aux succès les plus retentissants sur nos plus grandes scènes, sans qu'elle eut jamais fait la moindre démarche pour se faire valoir. Dès son premier Concours du Conservatoire, elle remporte un second prix de chant à l'unanimité et un premier prix d'opéra, dans la magnifique scène d'Iphigénie en Tauride. Cette récompense lui permettait de concourir pour le Prix Osiris. Elle se présente et l'enlève, tout en restant élève au Conservatoire, ce qui constitue un cas unique. L'année suivante, elle en sortait avec son premier prix de chant dans le grand air du Freischütz, où elle étonna les plus difficiles. M. Albert Carré l'engagea le jour même à l'Opéra-Comique. Elle y débutait avec un brillant succès dans Manon, succès auquel s'associa la critique tout entière. On lui confia successivement les grands rôles du répertoire : Rozenn du Roi d'Ys, Louise et Suzanne des Noces de Figaro ; dans tous ces ouvrages, elle confirma les espérances de ses premiers débuts. C'est à ce moment qu'elle créa Chloris dans les Uns et les Autres, du compositeur Max d'Ollone. La roue directoriale tourna sur ces entrefaites. Les nouveaux directeurs ne surent pas retenir une artiste aussi précieuse pour leur maison ; c'était regrettable pour l'Opéra-Comique, mais ce fut un bien pour Jeanne Myrtale qui en profita pour se faire connaître aux grands publics de la province : Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Nice, etc., ainsi qu'à Bruxelles et Liège. Elle y gagna la possibilité d'ajouter au répertoire de l'Opéra-Comique, malgré tout un peu restreint pour les ressources de sa voix, les rôles d'opéra de demi-caractère, tels que Marguerite de Faust, Thaïs, Elisabeth de Tannhäuser et Elsa de Lohengrin, dont elle était la personnification même. Son répertoire s'enrichissait d'autre part de Salomé d'Hérodiade, de Butterfly, la Bohème, la Tosca, le Rêve et la princesse Saamchedine de Maroûf. Ses succès s'accentuaient d'année en année, et sa renommée s'étendait victorieuse de Liège à Nice et Alger, en passant par Vichy et Aix-les-Bains et Biarritz. L'on peut affirmer que partout ou existait un théâtre d'opéra ou d'opéra-comique, Jeanne Myrtale y fut acclamée. Dans l'intervalle de ses « saisons » — et c'est ce qui la caractérise toute — elle se remettait au travail ; à un travail minutieux, technique et artistique, sous les conseils attentifs de son maître dévoué, le célèbre ténor Jean Mouliérat. Et son talent montait toujours, son style s'amplifiait, son jeu se perfectionnait. L'on s'en aperçut le jour où, au Théâtre Royal de Liège, elle fit deux créations sensationnelles : la pure Angélique du Rêve d'Alfred Bruneau et la Katoucha de Résurrection, le célèbre opéra d'Alfano, rôle redoutable entre tous, exigeant les qualités les plus variées : maîtrise complète de la voix, talent de tragédienne et de comédienne hors ligne, bref, tout ce qui constitue la perfection de l'Art lyrique. C'est à la suite de ces deux créations, que le Comité du Théâtre Royal de Liège lui décerna la médaille d'or avec inscription : « A Jeanne Myrtale en témoignage d'admiration. » Ce fut pour Jeanne Myrtale comme une consécration définitive. La presse ne trouvait pas de termes assez dithyrambiques pour dire son admiration. Ce triomphe se renouvela à Alger où elle alla créer le même rôle, sur la demande du compositeur lui-même. Depuis, la jeune artiste devenue une étoile de première grandeur, vola de succès en succès, jusqu'au jour néfaste où, en décembre dernier, venant de terminer à Lyon une série de représentations triomphales, elle fut saisie par le mal mystérieux et impitoyable qui devait en si peu de temps l'emporter, laissant atterrés tous ses admirateurs, laissant inconsolés tous ceux qui l'aimaient, c'est-à-dire tous ses camarades, car Jeanne Myrtale n'avait pas d'ennemis, malgré ses grands succès, tant elle émanait de la douceur et de la bienveillance. Jamais on ne l'entendit critiquer une chanteuse ; c'est assez rare et cela explique l'atmosphère de sympathie qui l'entourait dans les milieux de théâtre. Succédant aux fleurs fraîches qui embaumaient ses funérailles, l'hommage et l'admiration des directeurs et des critiques continuent de se manifester sous forme de lettres ou d'articles, comme une éclosion d'immortelles, et c'est à la profondeur, à l'étrange résonance des regrets exprimés, que l'on peut mesurer la force de l'impression extraordinaire qu'elle laisse à tous ceux qui l'ont entendue. M. Guillaume Danvers, dans l'Indépendance Artistique de Nice, lui dédie ces lignes émues : « Comme disait le poète, Jeanne Myrtale n'est plus qu'une de ces « voix chères qui se sont tues » et si, dans une profonde désolation sa Mère lui tend encore ses bras, si sa famille éplorée, ses amis attristés la pleurent, l'Art la regrette, car il a perdu en elle une de ses plus émouvantes prêtresses. Charnellement, Jeanne Myrtale est morte. Jeanne Myrtale est, psychiquement, ressuscitée ! » Et de M. Wanten, ces belles paroles : « Et voilà... ce grand cœur, tant de sensibilité, d'émotion, a cessé de battre. Sans doute, s’est-il usé plus vite d'avoir vibré trop intensément pour cet art lyrique qui était sa principale raison de vivre ! » Enfin, et comme dernière citation, voici ce qu'écrivait Gustave Charpentier, de l'Institut, le génial compositeur de Louise, au professeur de Jeanne Myrtale : « Mon cher Ami, je vous remets la partition de Louise, pour Mlle Jeanne Myrtale. J'y ai mis un mot qui voudrait exprimer l'inexprimable émotion que l'audition de l'autre soir m'a causée et qui dure encore !... » Sur la partition, il avait écrit : « A Mademoiselle Jeanne Myrtale, de l'Opéra-Comique, Louise magnifique, inoubliable. En admiration. — Gustave Charpentier. » Qu'ajouter à de telles paroles ? Je les joindrai comme des fleurs plus rares, à la gerbe des souvenirs que je viens d'évoquer et que j'offre en hommage affectueux et admiratif à Jeanne Myrtale. « Quoi de plus émouvant », disais-je en commençant, que le blé qui lève ? Hélas ! c'est de le voir mourir avant d'avoir accompli toute sa destinée !
(E. Thomas-Salignac, Lyrica, avril 1931)
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Jeanne Myrtale en 1930