Marcelin LAFONT

 

 

 

Léger LAFONT dit Marcelin LAFONT

 

ténor français

(Bordeaux, Gironde, 19 mai 1800 [29 floréal an VIII]* Paris ancien 2e, 15 août 1838*)

 

Fils de François LAFONT (– Paris ancien 1er, 21 juin 1827*) et de Marguerite PARTHAIX (– ap. 1848).

Frère de Pierre dit Pierre-Chéri LAFONT (Bordeaux, 16 mai 1797 [27 floréal an V]* Paris 9e, 18 avril 1873*), acteur [épouse 1. à Gretna-Green, Ecosse, en 1824 (annulation judiciaire en 1825) Jenny COLON, soprano ; épouse 2. à Paris ancien 2e le 12 juillet 1848* Pauline LEROUX, danseuse de l'Opéra].

Epouse à Paris ancien 3e le 06 juillet 1833* Marie Geneviève Joséphine TRIPIER (Paris ancien 12e, 14 juillet 1804 [25 messidor an XII]* – ap. 1838).

 

 

Il remplissait le poste de lieutenant de douanes à Bordeaux, lorsque des succès de salon lui suggérèrent la pensée de travailler en vue du théâtre. La nature l'avait doué d'une voix superbe, fraîche et sympathique, en même temps que d'un physique opulent et magnifique. Il vint à Paris en 1821, avec son compatriote Ferdinand Prévost, qui, ainsi que lui, devait appartenir plus tard à l'Opéra, et tous deux entrèrent au Conservatoire. Le 09 mai 1823, Lafont débutait sur notre première scène lyrique dans le rôle de Polynice d'Œdipe à Colone ; quoique très bien reçu par le public, il comprit qu'il avait beaucoup à faire encore au point de vue de la pratique de la scène, et, avec modestie, il prit le parti de quitter momentanément Paris et d'aller faire en province son apprentissage de comédien. C'est ainsi qu'en 1826 et 1827 il tenait au Grand-Théâtre de Marseille l'emploi de premier ténor d'opéra et d'opéra-comique.

Lorsqu'il fut plus sûr de lui, il songea à rentrer à l'Opéra, et reparut en effet à ce théâtre, avec un très réel succès, le 24 octobre 1828, dans le rôle de Masaniello de la Muette de Portici, que Nourrit venait de créer avec tant de succès. Engagé pour doubler cet artiste, il se montra dans plusieurs rôles du répertoire, où sa belle voix, ses qualités physiques et son talent de chanteur lui attirèrent toutes les sympathies. Il ne fut pas moins bien reçu lorsqu'il créa ceux de Raimbaut dans Robert le Diable, de Léopold dans la Juive et de Don Ottavio dans l'adaptation de Don Juan. Il promettait de fournir une carrière brillante, et s'apprêtait à partir en congé pour Bordeaux, où il devait donner avec Levasseur une série de représentations, lorsqu'il fut enlevé rapidement par une maladie qui ne présentait d'abord aucun symptôme alarmant ; il n'avait que trente-huit ans.

Il chanta également aux Concerts du Conservatoire (sociétaire soliste le 25 janvier 1833).

Contemporain d'Adolphe Nourrit et de Cornélie Falcon, il en a partagé les triomphes. On peut dire que la vie artistique de Lafont, tout honorable qu'elle fut, n'a pas été ce qu'elle aurait dû être s'il s'était produit dans des circonstances plus favorables. S'il avait eu un chef d'emploi moins admirable que Nourrit, et si la mort ne l'avait frappé sitôt, il aurait certainement fourni une carrière brillante et son nom ne serait pas oublié.

En 1833 il habitait 40 rue d'Enghien à Paris. Il est décédé en 1838 à trente-huit ans en son domicile, 2 boulevard des Italiens à Paris 2e.

 

 

 

Sa carrière à l'Opéra de Paris

 

Il y débuta le 09 mai 1823 dans Œdipe à Colone (Polynice) d'Antonio Sacchini.

 

Il y fit sa rentrée le 24 octobre 1828 dans la Muette de Portici (Masaniello) d'Esprit Auber.

 

Il y créa le 21 novembre 1831 Robert le Diable (Raimbaut) de Giacomo Meyerbeer ; le 23 février 1835 la Juive (Léopold) de Fromental Halévy.

 

Il y participa à la première le 10 mars 1834 de Don Juan (Don Ottavio) de Mozart [version française de Castil-Blaze et Deschamps].

 

Il y chanta Iphigénie en Aulide (Achille) de Gluck ; le Dieu et la Bayadère (l'Inconnu) d'Esprit Auber ; Gustave III (Gustave III) d'Esprit Auber ; le Philtre (Guillaume) d'Esprit Auber.

Sa carrière à l'Opéra-Comique

 

Il y débuta vers 1826 dans la Dame blanche (Georges Brown) de Boieldieu.

 

 

 

 

Marcelin Lafont dans la Muette de Portici (Masaniello), dessin d'Alexandre Lacauchie

 

 

 

Lafont est sans contredit en possession d'un des plus beaux emplois de l'Opéra, il est chargé de doubler Nourrit et de nous consoler lorsque notre admirable chanteur est éloigné de la scène par une quinte de toux ou par une partie de plaisirs. On devrait en vérité se faire un scrupule de s'amuser lorsqu'on sait que par son plaisir on afflige à la fois 6.000 personnes ; c'est un reproche que Nourrit ne nous met pas d'ordinaire dans la nécessité de lui adresser, et nous l'en remercions ; il joue souvent mais jamais assez à notre gré, du moins lorsqu'il est forcé de s'absenter, il trouve en Lafont un homme digne de le remplacer et de dédommager un peu les spectateurs de son éloignement. Lafont n'est pas seulement un fort bel homme ; il a une voix magnifique, mais dont il n'est pas toujours maître ; il ne sait pas assez harmonier ses sons, en un mot il laisse quelque chose à désirer ; c'est que nous avons Nourrit et que la comparaison abaisse celui qu'elle n'élève pas.

Lafont est un enfant de Bordeaux, et bien loin d’être de ravis de ceux qui le renvoient à la province, je crois que c'est une bonne acquisition que Paris à faite, un vol heureux aux plaisirs des Bordelais. Il ne faut pas, parce qu'on a un chanteur comme Nourrit, dédaigner tout ce qui n'est pas Nourrit, surtout lorsque ce qui n'est pas Nourrit est Lafont.

Dès son enfance il montra d'heureuses dispositions pour la musique et travailla studieusement à les développer ; cependant il ne tournait pas encore ses regards vers la capitale, il se contentait modestement de la province ; avant de penser à briller à l'Opéra, il se faisait remarquer dans les concerts. Dabadie l'ayant entendu, comprit tout le talent de ce jeune homme et l'engagea à se rendre à Paris ; Lafont suivit ses conseils et fut admis au Conservatoire en 1821 ; il eut le bonheur d'être placé dans la classe de Ponchard, et cet excellent professeur, plus capable que bien d'autres de faire des élèves distingués, sut par ses bonnes leçons mener à bien le jeune talent qui lui était confié. Après deux ans d'études au Conservatoire, Lafont fut jugé digne de faire son premier pas sur le grand théâtre. En 1823 il fit ses débuts à l'Opéra dans le rôle de Polynice et dans celui d'Achille ; c'étaient deux emplois de Nourrit ; il s'en acquitta fort bien, mais il y eut la terrible comparaison, et je ne dirai pas avec Gros René :

 

Et nous aimons bien mieux, nous autres gens d'étude,

Une comparaison qu'une similitude.

 

Nous aurions désiré qu'il y eût un peu plus de similitude entre Lafont et Nourrit ;1a comparaison lui eût été alors plus favorable. Cependant il resta au théâtre, il le méritait. Ce ne fut qu'en 1827 qu'il s'éloigna de Paris pour aller fortifier son talent par les voyages ; et comme sur les théâtres de province il n'est pas toujours facile de monter un opéra qui exige d'abord des chanteurs, ensuite des musiciens, ensuite des décors, Lafont descendit à l'Opéra-Comique. Polynice changea d'habit avec Georges de la Dame Blanche et Lafont fut très applaudi ; il joua pendant quelque temps à Rouen, et la sévérité de cette ville pour les artistes est devenue un proverbe ; rarement on trouve grâce devant les yeux des Rouennais ; d'où cela vient-il ? je l'ignore ; sont-ils éclairés par une profonde connaissance de l'art, sont-ils aveuglés par l'esprit mercantile et commercial ? je l'ignore aussi ; mais la sévérité de ces juges est très redoutée par les premiers artistes de la capitale qui souvent ont senti tressaillir au bruit des sifflets de Rouen leurs oreilles habituées aux murmures flatteurs des bravos de Paris. Enfin Lafont chanta à Rouen et fut aimé, il chanta la Dame Blanche et Masaniello. De Rouen il fut à Marseille, puis à Bordeaux ; c'est une dette de reconnaissance qu'ils payait à sa ville natale ; elle lui en sut bon gré et l'encouragea par de justes applaudissements.

En 1829 il revint à l'Opéra remplir la place dont il était digne. Nourrit avait été superbe dans la Muette de Portici, eh bien Lafont ne trembla pas d'aborder ce rôle périlleux, et ce qu'il fit de mieux ce fut de réussir ; je ne sais s'il emprunta ses inspirations à son illustre devancier ou s'il eut le talent de créer après le créateur, mais il s'acquitta fort bien de son nouvel emploi ; sa magnifique stature prêtait aussi beaucoup à l'illusion ; il représentait au naturel le pêcheur révolutionnaire, sa voix se trouva en harmonie avec ses membres musculeux ; enfin il fut presque sublime au cinquième acte. On doit encore surtout le féliciter du bonheur avec lequel il créa le rôle de Raimbault dans Robert le Diable ; cette fois il marchait derrière Nourrit presque à ses côtés : il sut après lui se faire remarquer et applaudir ; c'était beaucoup. Lafont n'est pas aussi bien placé dans le Philtre, il est trop grand, trop fort et trop lourd pour ce rôle de joyeux paysan ; nous lui conseillons de se renfermer exclusivement dans le genre noble qui convient le plus à sa taille et à ses moyens.

Si Lafont est destiné à recueillir l'héritage de Nourrit, puisse-t-il l'attendre longtemps, dans son intérêt et dans le nôtre. Plus il se sera formé à l'école du grand maître, plus il se sera façonné sur ce beau modèle, et plus il se trouvera un jour habile à lui succéder ; quant à nous, plus nous aurons possédé Nourrit, plus nous nous estimerons heureux, plus nous nous serons fait une habitude de son admirable talent, plus nous serons difficiles pour son successeur. Du courage, M. Lafont, à vous la chance !

(Galerie Théâtrale, 1831)

 

 

 

 

 

Une grande perte a signalé la journée d'hier. Lafont, de l'Académie royale de musique, est décédé, après une maladie de quinze jours, car il avait pris le lit le premier de ce mois. Son mal ne présentait pas, d'abord, un caractère sérieux ; il a commencé par une vive douleur rhumatismale au côté et qui s'est ensuite fixée à l'estomac. Une consultation eut lieu, il y a deux jours, dans laquelle Lafont fut à peu près condamné. Cependant on ne put se défendre d'un peu d'espérance fondée sur l'âge et la bonne constitution du malade. Avant-hier au soir, le mieux que nous avons annoncé ne s'est pas soutenu et, hier, de grand matin, le délire, précurseur d'une catastrophe, a jeté l'effroi dans l'âme des assistants. A neuf heures, Lafont avait cessé d'exister !.... Il a rendu le dernier soupir entre les bras de sa femme, qui depuis quinze jours n'a pas pris un instant de sommeil, et de son frère, l'artiste du Vaudeville, dont la douleur s'est manifestée par une violente crise nerveuse. Lafont n'avait que 38 ans. Né à Bordeaux, où il remplissait, en 1821 , la place de Lieutenant de douanes, il vint à Paris vers cette époque, avec son compatriote Ferdinand-Prévost. Tous deux entrèrent au Conservatoire et ce fut en 1823 que Lafont parut, pour la première fois, à l'Opéra. Il joua le rôle de Polynice, dans Œdipe à Colonne et obtint un grand succès. La beauté de son extérieur, le charme, la légèreté, le timbre délicieux de sa voix, firent aisément excuser une complète inexpérience de la scène. On espéra beaucoup de cet artiste. Quelques années après, un découragement sans motifs porta Lafont à quitter l'Opéra. Il y revint au bout d'environ cinq années, qui retardèrent d'autant ses droits à la pension. Depuis lors, il doubla et remplaça Nourrit avec plus de talent que de bon­heur ; c'est le sort de tous les comédiens de mérite qui n'occupent pas le premier rang. Toutefois, celui-ci fut remarqué dans Robert le Diable, dans Don Juan dont il chantait quelquefois admirablement l'air d'Octavio, dans la Muette de Portici, Gustave, le Philtre, etc. A la dernière répétition du chef-d'œuvre de Mozart, libre de l'extrême frayeur qu'il éprouvait à chacune de ses apparitions sur la scène, Lafont fit entendre, dans l'air que nous venons de désigner, des sons d'une suavité, d'une justesse extraordinaire… Hélas ! c'était le chant du Cygne !... A titre d’homme privé, nul ne le cédait à Lafont en bonté, en indulgence et en dévouement dans les rapports de famille. La justice que nous lui rendons ici ne sera que du bonheur pour d'autres, elle est pour nous un devoir, car nous nous sommes vus de près avec cet artiste, un jour qu'un malentendu nécessita une rencontre entre Lafont et le directeur du Courrier des Théâtres. Il s'y comporta fort honorablement, avec l'émotion d'un homme qui avait quelque chose à perdre et n'en fit pas moins essuyer son feu à l'adversaire avec une grande sûreté. Ce n'est pas à nous de rappeler ce qui s'ensuivit aussitôt ; mais ce que nous ne pouvons taire c'est que, depuis ce moment, une estime mutuelle s'établit entre nous et qu’aujourd'hui, personne n'éprouve plus de regrets que le rédacteur de cette note, écrite en sortant de consoler une veuve si légitimement affligée. — Demain, à 9 heures du matin, les obsèques de Lafont auront lieu. On se réunira à son domicile, boulevard de l'Opéra, n° 2, et le service se fera à l'église Saint-Roch.

— Les médecins ayant désiré, dans le double intérêt de la science et de la famille, que l'on fit l'autopsie du corps de Lafont, la permission en a été donnée et c'est ce matin qu'on y procède.

— Ferdinand-Prévost a éprouvé tant de chagrin de la mort de son ami Lafont, qu'il n'a pas pu jouer, hier, dans le Philtre. Il a été suppléé par Massol, toujours disposé à se faire applaudir.

(Courrier des Théâtres, 16 août 1838)

 

 

M. Lafont, de l'Opéra, vient de mourir des suites d'une maladie de poitrine, qui avait pris depuis quelques jours un caractère de gravité alarmante. Tous les artistes regretteront l'homme estimable enlevé si prématurément à l'art qu'il honorait. Lafont n'avait que trente-huit ans. Sans être tout à fait hors de ligne et sans avoir innové dans sa profession, Lafont n'en était pas moins un des artistes les plus remarquables de la scène française. Il seconda pendant longtemps Nourrit avec beaucoup de bonheur, et se fit surtout remarquer dans Robert le Diable, le Dieu et la Bayadère, enfin dans Don Juan, où le rôle d'Ottavio lui valait des applaudissements justement mérités.

(le Ménestrel, 19 août 1838)

 

 

Lafont de l'Opéra serait la chose est sûre,

Le plus merveilleux des ténors,

S'il avait dans la voix reçu de la nature,

Autant d'ampleur que dans le corps.

 

 

Caricature de Marcelin Lafont dans le rôle du Serment (1840)

 

 

 

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