Adèle ISAAC

 

 

 

Adèle Victorine ISAAC dite Adèle ISAAC

 

soprano français

(57 rue Royale, Calais, Pas-de-Calais, 08 janvier 1854* – 134 rue Blomet, Paris 15e, 21 octobre 1915*)

 

Fille d'Armand Constant Joseph ISAAC (Tourcoing, Nord, 28 juillet 1825 – Saint-Mandé, Seine [auj. Val-de-Marne], 22 décembre 1894*), dessinateur [fils de François Pierre ISAAC (Wervik, Belgique, 29 avril 1786 – 1851), menuisier], et de Victorine SALADIN (Calais, 12 novembre 1833 – Paris 16e, 01 mars 1919), mariés à Calais le 07 janvier 1851.

Cousine d'Alfred Charles ISAAC (Paris ancien 6e, 08 mai 1850* Paris 9e, 03 février 1917*), artiste lyrique, directeur du café-concert Parisiana en 1901 [épouse à Rochefort-sur-Mer, Charente-Inférieure [auj. Charente-Maritime], le 27 mars 1888* Marie Louise Georgette LAINÉ (Auzouville-sur-Riz, Loire-Inférieure [auj. Loire-Atlantique], 05 décembre 1868 Paris 9e, 09 janvier 1914*) ; parents de Paul Charles ISAAC (Rochefort-sur-Mer, 27 janvier 1888* – Clichy-la-Garenne, Hauts-de-Seine, 06 avril 1960), agent théâtral].

Epouse à Paris 9e le 25 novembre 1887* Auguste Charles Marie LELONG (Paris ancien 6e, 04 avril 1849* – Paris 16e, 01 juillet 1921), négociant.

Parents de Suzanne LELONG (Paris 10e, 13 janvier 1897* – Paris 16e, 10 mars 1929).

 

 

Elève de l'école de Duprez, elle débuta au cours d'un gala de bienfaisance organisé au théâtre Montmartre durant le siège de Paris dans les Noces de Jeannette (Jeannette). La guerre finie, elle fut engagée à Liège, puis en septembre 1872 au théâtre de la Monnaie de Bruxelles. Douée d'une voix qu'elle savait conduire avec goût, elle eut du succès dans : le Pré-aux-Clercs, le Domino noir, les Mousquetaires de la reine, Giralda, et fut appelée l'année suivante à l'Opéra-Comique, où elle débuta dans la Fille du régiment. Elle y resta peu de temps, fut engagée à Liège, puis à Lyon, et rentra à l'Opéra-Comique dans l'Etoile du Nord le 16 avril 1878. Sa réputation de cantatrice s'établit alors solidement, et son succès, très franc dans : Haydée, Galatée, Roméo et Juliette, le Caïd, Mignon, les Noces de Figaro, fut brillant et complet dans sa création des Contes d'Hoffmann. Elle sauva un jour la recette chez Pasdeloup en chantant à la fois, dans le Déluge, le rôle de Villaret et le sien. Elle passa alors en 1883 à l’Opéra, s'y montra successivement dans Faust, Hamlet, Guillaume Tell, Robert le Diable ; puis, en septembre 1885, reparut à l'Opéra-Comique pour y faire deux créations importantes dans Egmont et le Roi malgré lui. Elle resta encore trois ans à ce théâtre, le quitta en 1888 pour aller donner une série de représentations, et abandonna ensuite le théâtre vers 1890. Elle avait su s'imposer par la sûreté de ses vocalises et la pureté de son style.

En 1887, elle habitait 14 rue Choron à Paris 9e ; en 1895, 76 boulevard Magenta à Paris 10e ; en 1905, 19 rue Mozart à Paris 16e. Elle est décédée en 1915 à soixante-et-un ans, domiciliée 27 avenue Mozart à Paris 16e.

 

 

 

Sa carrière à l'Opéra-Comique

 

Elle y débuta le 01 juillet 1873 dans la Fille du régiment (Marie).

 

Elle y créa le 10 février 1881 les Contes d'Hoffmann (Stella, Olympia et Antonia) de Jacques Offenbach ; le 06 décembre 1886 Egmont (Claire) de Gaston Salvayre ; le 18 mai 1887 le Roi malgré lui (Minka) d'Emmanuel Chabrier.

 

Elle y chanta Richard Cœur de Lion (Laurette, 1873-74) ; Joconde (Edile, 1873-74) ; la Dame blanche (Anna, 1873-74) ; l'Etoile du Nord (Catherine, 16 avril 1878, 1885) ; Haydée (Haydée, 1878) ; Galathée (Galathée, 1878) ; Roméo et Juliette (Juliette, 1879) ; le Caïd (Virginie, 1879) ; Mignon (Philine, 1879) ; le Domino noir (Angèle, 1880) ; les Noces de Figaro (Suzanne, 1882, 1892) ; Carmen (Carmen, 1883) ; le Songe d'une nuit d'été (Elisabeth, 1886) ; la Fille du régiment (Marie, 1888).

Sa carrière à l'Opéra de Paris

 

Elle y débuta le 05 avril 1883 au cours d'un Gala, dans Mefistofele (Marguerite) et Rigoletto (Gilda).

 

Elle y chanta Hamlet (Ophélie, 24 septembre 1883) ; Faust (Marguerite, 19 octobre 1883) ; le Comte Ory (la Comtesse, 19 décembre 1883) ; Don Juan (Zerline, 04 février 1884) ; les Huguenots (Marguerite, 18 février 1884) ; Robert le Diable (Isabelle, 05 mars 1884) ; Françoise de Rimini (Françoise, 12 novembre 1884) ; Guillaume Tell (Mathilde, 05 janvier 1885) ; le Tribut de Zamora (Xaïma, 13 mars 1885).

 

 

 

 

 

Adèle Isaac dans Manon Lescaut d'Auber, plâtre teinté d'Auguste Rodin (1882), musée de Dijon [photo ALF, 2011]

 

 

 

 

Née à Calais, fut élève de MM. Duprez père et fils, et débuta, en 1870, dans les Noces de Jeannette. Elle fut engagée au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles en 1871 ; puis à l'Opéra-Comique, où elle débuta dans la Fille du régiment. Elle repartit ensuite à Bruxelles, passa à Lyon et fut réengagée en 1878 à l’Opéra-Comique par M. Carvalho, pour remplacer Cécile Ritter dans l'Étoile du Nord. Elle joua ensuite dans Haydée, Roméo et Juliette, le Caïd, Galathée, Mignon et le Domino noir et créa en 1881 le triple rôle d'Antonia, d'Olympia et de Stella dans les Contes d'Hoffmann. Elle est sans conteste au premier plan sur la scène de l'Opéra-Comique.

(Journal spécial du Théâtre de l’Opéra-Comique, 17 décembre 1881)

 

 

Son père, modeste graveur sans fortune, frappé de ses dispositions musicales, vint s'installer à Paris et l'enfant, qui n'avait pas encore quatorze ans, entra à l'école Duprez. Elle y était en 1870, pendant le siège, lorsqu'elle parut pour la première fois en public, à Montmartre, dans une représentation patriotique. Une fois sûre de son talent, elle accepta, en 1872, un engagement au théâtre de la Monnaie de Bruxelles. Elle débuta dans le Pré-aux-Clercs, et joua le petit pâtre du Tannhäuser. Appelée par M. Du Locle, alors directeur de l'Opéra-Comique, à venir continuer ses débuts à Paris, elle se fit entendre le 1er juillet 1873 dans la Fille du Régiment. Divers rôles légers, Joconde entre autres, lui furent confiés ; mais, malgré l'accueil sympathique du public, le directeur ne renouvela pas son engagement. C'est alors qu'elle retourna en Belgique, à Liège, où elle se montra tour à tour chanteuse légère et chanteuse de grand opéra (la Reine Topaze, la Fanchonnette, Hamlet, Roméo et Juliette, Faust, Lucie, Rigoletto). Mlle Isaac fit une saison à Lyon. Elle gagna si bien la faveur des Lyonnais que, grâce à son talent, les fameux démêlés du directeur du Grand-Théâtre et du public furent apaisés. Enfin, après huit mois d'attente, elle reparut à Paris au théâtre de l'Opéra-Comique (1er juillet 1878), arrivant juste à point pour sauver la reprise de l'Etoile du Nord d'un désastre causé par l'insuffisance de Mlle Cécile Ritter, dans le rôle de Catherine. Elle-même, au contraire, y obtint un grand succès. Depuis cette époque, Mlle Isaac a trouvé dans chacun de ses rôles l'occasion d'un triomphe. Citons : Haydée ; Galatée ; le Caïd ; Philine, de Mignon ; Angèle, du Domino noir ; Carmen ; et surtout les Contes d'Hoffmann, où elle joua le triple rôle de Stella, d'Antonia et de l'automate Olympia avec un grand talent de comédienne et de chanteuse. En 1883, Mlle Isaac entrait à l'Opéra et débutait, le 24 septembre, dans l'Ophélie d'Ambroise Thomas. Son succès devint colossal à l'acte de la folie. La justesse et la sûreté de ses vocalises, la pureté de son style, le charme poétique qu'elle sut mettre dans ce rôle lui méritèrent des rappels enthousiastes. Après Ophélie, Mlle Isaac aborda plusieurs opéras du répertoire (Faust, Guillaume Tell, Robert le Diable) ; Gounod la prit pour sa Xaïma dans le Tribut de Zamora ; mais, en septembre 1885, elle revint à l'Opéra-Comique, où elle occupa le premier rang sans conteste et créa les rôles de Claire dans Egmont, l'opéra de M. Salvayre, et de Minka dans le Roi malgré lui, de Chabrier. En 1888, elle quitta l'Opéra-Comique et alla donner des représentation en province. Mlle Adèle Isaac a épousé, en novembre 1887, M. Charles Lelong, commissionnaire en marchandises.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 2e supplément, 1888)

 

 

 

 

Emile-Alexandre Taskin (docteur Miracle) et Adèle Isaac (Antonia) dans les Contes d'Hoffmann en 1881

 

 

 

Quand Mlle Adèle Isaac a repris tout dernièrement la succession de Cécile Ritter, dans l'Etoile du Nord, à l'Opéra-Comique, ce n'était pas une inconnue pour les habitués de la salle Favart.

Nous nous souvenions tous l'avoir entendue, il y a quelques années, dans la Fille du Régiment, où elle portait crânement le bonnet sur l'oreille et jouait avec autant d'espièglerie et de cœur qu'elle chantait avec brio et émotion. Je la vois encore, toute gracieuse dans sa robe blanche, lutinant son professeur dans la fameuse leçon de chant, au second acte du chef-d'œuvre de Donizetti ; c'était l'épanouissement de la jeunesse, aussi bien comme fraîcheur de voix que comme grâce féminine.

Son succès fut retentissant ; il n'y a donc rien d'étonnant si, à sa rentrée, la jeune cantatrice, fortifiée par l'âge, l'étude et l'habitude de la scène, s'est retrouvée, dès le premier soir, en possession du public.

Née à Calais, Mlle Adèle Isaac a été élevée à Paris. Contrairement à ce qui arrive pour la plupart des enfants qui montrent dans leur bas âge des dispositions pour un art quelconque, le père de notre jeune chanteuse, loin de contrarier la vocation de sa fille, mit tous ses soins à la favoriser. Lui reconnaissant de la voix et du goût, il la présenta à Duprez, qui lui trouva des dons naturels précieux et répondit de son avenir.

Mlle Isaac entra donc dans l'Ecole de MM. Duprez père et fils pour y faire ses études de chant et se préparer au théâtre. Elle y était en 1870, au moment de la guerre, et ce fut à cette époque qu'elle parut pour la première fois en public dans une représentation donnée au profil d'une bonne œuvre. Les Noces de Jeannette, qu'elle y interpréta, lui permirent de se faire connaître à la fois comme chanteuse et comme comédienne, et son succès fut assez grand pour lui créer un danger, si elle n'avait pas été assez raisonnable pour ne point s'engouer des applaudissements de la foule qui saluait ses dispositions et sa jeunesse tout autant que son talent.

La jeune artiste pensa fort judicieusement qu'elle devait travailler encore avant de se produire définitivement sur la scène ; elle resta un an de plus chez les Duprez, pour achever son éducation musicale et dramatique si heureusement commencée.

Alors, une fois assurée de son talent, Mlle Isaac accepta un engagement au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, où elle fut accueillie par la sympathie générale au point que le bruit de ses succès fut entendu du directeur de l'Opéra-Comique de Paris, qui lui fit des offres qu'elle s'empressa d'accepter.

Ses débuts à la salle Favart eurent lieu, comme je l'ai dit plus haut, dans la Fille du Régiment, et se continuèrent avec bonheur dans les pièces alors au répertoire.

Très aimée à Paris, Mlle Isaac retourna cependant peu après à Bruxelles. Là, elle ne se contenta plus, cette fois, du répertoire de l'Opéra-Comique ; elle aborda le grand répertoire, et fut tour à tour chanteuse légère et chanteuse de grand opéra.

Ophélie d'Hamlet, Juliette, de Roméo et Juliette, Marguerite de Faust, Lucie de Lucie de Lammermoor, Gilda de Rigoletto, lui valurent d'aussi éclatants succès que les héroïnes plus vulgaires, mais non moins favorites du public, de la Reine Topaze ou de la Fanchonnette.

De Bruxelles, Mlle Adèle Isaac passa à Lyon, au moment où régnait entre le directeur du théâtre et le public, une animosité qui dura toute une année, et dont l'éclat retentit jusque chez nous. Mais, grâce à la faveur dont jouit bientôt la charmante artiste, les recettes ne se ressentirent pas de cette lutte malencontreuse, car, chaque fois que le nom de la nouvelle étoile était sur l'affiche, la salle se remplissait aussitôt, tant étaient nombreux les admirateurs de son talent.

Revenue à l’Opéra-Comique, il y a quelques mois, Mlle Isaac a fait sa rentrée dans le rôle de Catherine de l'Étoile du Nord, si redoutable au double point de vue du chant et du jeu.

Douée d'une voix longue et bien timbrée, possédait à fond le mécanisme de son art, elle sait vaincre les plus grandes difficultés sans en faire sentir le péril. Sa voix bien assise, pose et soutient le son aussi bien qu'elle bat le trille et égrène la vocalise. Quand elle chante, on ne sent pas la fatigue et on n'a point à en redouter les conséquences ; ce qui permet d'écouter sans préoccupation, et de jouir plus complètement des beautés de l'ouvrage.

La comédienne vaut la chanteuse. La diction est nette, la parole porte loin, les allures sont en situation, le geste est juste. Elle a la gaieté et aussi l'émotion ; c'est un talent vraiment complet et dont la place est bien parmi nous.

Dans peu de jours, Mlle Adèle Isaac va continuer ses débuts dans Haydée. Elle a toute l'élégance et la chaleur voulue pour rendre cette figure poétique. Quant à la partie musicale, — comme, qui peut plus peut moins, — celle qui a su traduire avec tant d'éclat, et en même temps de délicatesse les grandes lignes de Meyerbeer, et les difficultés dont il a hérissé sa partition de l'Étoile du Nord, ne peut manquer de donner tout le relief désirable aux chants mélodieux de notre Auber, si aimable toujours, et si coloré dans sa partition d'Haydée.

 

(Félix Jahyer, Paris-Théâtre, 01 août 1878)

 

 

 

 

Adèle Isaac dans Hamlet (Ophélie) en 1883 [photo Benque]

 

 

 

Une artiste rare, d'une valeur indiscutée, qui dans sa carrière, déjà si pleine, ne compte pas une défaillance et à qui il n'a pas fallu moins de cinq années de succès répétés pour vaincre, sinon les préventions, au moins l'indifférence de cette foule, prompte aux engouements, qui distribue le bruit et consacre les célébrités.

Ah ! si Mlle Isaac eût zézayé ses rôles en charabia, au lieu de les chanter avec sa nette et pure diction française ; si, au lieu de l'harmonie des mouvements d'une jeune femme bien équilibrée, elle eût apporté sur la scène les gestes étriqués et gauches d'une fillette exotique ; — si, loin de fermer sa vie privée aux indiscrétions banales, elle eût fait publier mille excentricités dans les gazettes spéciales ; — si elle se fût fait appeler Isaaca, la renommée ne se fût pas fait attendre. Il y a belle lurette que la nouvelle pensionnaire de l'Opéra eût été proclamée étoile, que les grandes oisives de la finance l'eussent promenée dans leurs jupes, comme une chatte familière, et que les chroniqueuses, qui énumèrent tour à tour les quartiers de noblesse du monde « la Croix » et les quartiers de millions du monde des « Trente Deniers », eussent célébré ses gentillesses, ses caprices, ses bouderies, et distribué la réclame de leurs sourires et de leur complaisante indulgence à l’ « enfant gâtée », au « rossignol », au petit joujou chéri, qui semble tout frais éclos dans la boutique du « Paradis des Enfants ».

Mais Mlle Isaac est une artiste sérieuse. Dès ses débuts, elle eut le grand et méritoire courage de se garder du charlatanisme. Modeste, au contraire, autant que courageuse, elle ne s'est pas contentée de se servir de ses merveilleux dons naturels, elle les a développés, agrandis par un travail constant. La perfection qu'elle a atteinte la rendait digne de tenir une des premières places à l'Académie nationale de musique. Elle y est aujourd'hui. Son entrée est la légitime consécration de son talent, et son exemple un des plus puissants encouragements qui se puissent offrir aux débutantes.

 

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Mlle Adèle Isaac est née à Calais, le 8 janvier 1854. Cette date, ma courtoisie l'écrit sans remords, puisque si mes éloges sont confirmés par toute la carrière de l'artiste, la date, quoique très voisine de nous, est démentie par le visage de la femme.

Son père, dessinateur, était lui aussi un artiste et aussi artiste modeste. Malheureusement, la fortune de la famille était comme l'artiste. On quitta Calais après quelques années, et on vint s'installer à Paris.

Déjà la petite Adèle dépensait sa gaîté d'enfant en roulades, qui n'avaient point encore été soumises aux règles du solfège. Cependant l'enchantement qu'apportait au ménage le mignon oiseau domestique alla grandissant et inspira, un jour, à la tendresse paternelle l'idée de présenter Mlle Adèle, qui frisait sa quatorzième année, à Gilbert Duprez, le père.

L'excellent professeur, ravi des promesses de ce jeune gosier et de la grâce un peu grave de la fillette, lui ouvrit sa classe. L'application, l'intelligence de la « nouvelle » ne purent qu'affermir Duprez dans ses bonnes dispositions. Il ne cessa de la traiter, — et plus tard son fils l'imita, — en élève favorite. Il fondait sur elle les plus grandes espérances.

En attendant la réalisation, quels sacrifices durent s'imposer les parents afin de subvenir aux frais d'une éducation musicale qui, pour être complète, devait être longue ! Ils les firent volontiers, ces sacrifices, et en acceptèrent les privations. Ils connaissaient le cœur de l'enfant qui venait d'eux et savaient d'avance qu'il ne pouvait être ingrat.

 

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Pas plus ingrat pour sa famille que pour son pays.

La première fois que l'élève préférée de Duprez paraît sur un théâtre, c'est pendant l'hiver de l'Année terrible. Théâtre lointain, celui de Montmartre, ouvert ce soir-là à une représentation patriotique au bénéfice de la Grande assiégée — qui, avec la recette, fortifierait ses murailles d'un canon encore. Toute mince, l'aspect naïf et doux que conserve en sa fleur le séjour du foyer, Mlle Adèle chanta, sous l'œil du maître qui voulait l'aguerrir, les Noces de Jeannette.

Ne semble-t-il pas que ces premiers applaudissements qui, en saluant l'aurore de son talent, remerciaient la jeune fille de son concours à cette bonne œuvre, aient porté chance à l'artiste ? Depuis, la carrière, inaugurée au profit de la patrie, n'a compté que des succès. L'impression première de cette soirée, d'un théâtre où l'accueil reçu était si bien fait pour lui donner quelque vanité, ne réussit pas à rendre présomptueuse la sage et pondérée Mlle Isaac. Les bravos l'encouragèrent et ne la grisèrent pas. Elle continua de travailler avec une énergie et une persévérance nouvelles.

 

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Ses efforts ont eu leur récompense.

Très sage, en effet, elle ne poursuivit pas le chimérique espoir et l'honneur périlleux d'un début sur une des grandes scènes parisiennes. Cependant l'occasion cherchée ne tarda guère.

En 1873, un engagement lui est offert au théâtre royal de la Monnaie à Bruxelles. Elle débuta dans le Pré-aux-Clercs, joua le Petit Pâtre du Tannhäuser, etc. Les éloges des journaux belges intéressèrent M. Du Locle, alors directeur de l'Opéra-Comique et il engagea Mlle Isaac.

C'est dans la Fille du Régiment qu'elle se fit entendre, le 1er juillet 1873, aux habitués de la salle Favart. Elle chanta et joua avec tant d'espièglerie, de crânerie et d'émotion. Dans le courant de l'année, elle eut quelques rôles légers du répertoire courant : Joconde entre autres. Bien que sa pensionnaire fut très appréciée du public parisien, M. Du Locle ne jugea pas à propos de renouveler son engagement.

 

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Immédiatement, la Belgique s'empressa de reprendre Mlle Isaac, mais cette fois comme première chanteuse. Sauf l'éloignement de Paris, toujours pénible, cet exil fut tout gain pour l'artiste. Il servit à la fois ses intérêts pécuniaires et son talent.

Il lui fallut assouplir et étendre sa voix, assurer sa méthode, accentuer et varier son sentiment dramatique pour être tour à tour la cantatrice de la Reine Topaze, de la Fanchonnette et incarner Gilda, Marguerite, Ophélie. Campagne ardue que celle-là, mais triomphante et éclatante et qui lui valut le rapatriement.

 

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Le directeur du théâtre de Lyon était en guerre avec le public. Il avait la main malheureuse dans le choix de ses premiers sujets. Les représentations étaient tumultueuses et le spectacle se partageait entre les violences et les stériles efforts de la scène. Un miracle était nécessaire pour rétablir, non pas même l'harmonie, mais l'ordre seulement.

Ce miracle, Mlle Isaac l'accomplit. A peine eût-elle lancé au milieu des combattants les premiers sons de sa voix si riche et si mélodieuse, qu'une trêve se fit. Son nom sur l'affiche ramena les recettes dans la caisse et les dilettanti au théâtre.

« Les lyonnais — raconte M. Bénédict (Jouvin) du Figaro, qui n'est pas suspect de madrigalisme outré — jonchaient de tant de fleurs la scène du théâtre des Terreaux, qu'Ophélie ne pouvait réussir à prolonger assez la poétique agonie, qui lui permit de les recueillir toutes. Plus elle en ramassait, plus il en naissait autour d'elle... »

Son engagement terminé, elle revint à Paris, et pendant huit mois, attendit vainement celui qu'elle espérait à l'Opéra-Comique.

 

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C'est au lendemain d’une ovation que lui avaient faite les connaisseurs du concert Pasdeloup dans la Damnation de Faust (avril 1878) que M. Carvalho fort empêché par l'insuffisance de Mlle Cécile Ritter à l'intention de laquelle il avait repris l'Étoile du Nord, s'avisa de recourir à Mlle Isaac pour sauver cette reprise.

Le 16 avril, dix jours après le concert, elle reparaît enfin sur la scène de l’Opéra-Comique. Les nombreux habitués qui ont gardé son souvenir, constatent que la svelte jeune fille de 1873 a pris de l'embonpoint et que sa voix a heureusement suivi la même progression.

Cette fois le rôle de Catherine ne pèse plus sur de trop frêles épaules. Le soprano de la débutante étonne la critique par ses qualités de premier ordre. L'éclat du timbre puissant, métallique, s'adoucit et charme dans les accents de tendresse. Elle se surpasse et conquiert, ce soir-là même, la place chaque année plus importante qu'elle se fera sur notre seconde scène lyrique.

La série de triomphes ne s'interrompt pas.

Elle reprend Haydée, Galathée, la science du chant, sa sûreté de vocalisation s'affirment ; les plus difficiles des critiques s'associent dans leurs feuilletons hebdomadaires aux ovations que le public ne ménage pas à Mlle Isaac.

Une épreuve plus difficile lui était réservée : reprendre le rôle de Juliette sur le théâtre même ou Mme Carvalho chantait encore. Si elle ne montre pas encore la virtuosité de sa devancière, la nouvelle venue se révèle tragédienne lyrique, et s'approche davantage avec son accent passionné de la conception de Shakespeare, un peu alanguie semble-t-il, par Mme Miolan-Carvalho.

Cette interprétation seyait mieux d'ailleurs à la taille de Mlle Isaac. Quelques censeurs la trouvaient trop florissante pour une taille de jeune fille. Il y a des esprits mal faits, avares et étroits que l'exubérance et la richesse d'autrui irritent à l'égal d'une prodigalité. Un critique d'esprit répondit congrûment : « cette façon de « juger » une cantatrice équivaut à la « jauger », et avant de se demander, comme dans un cabinet de physique, quel volume d'air elle déplace, il y a cent questions plus séantes à se faire. » Notre confrère eut pu ajouter que l'exercice de la voix développe la poitrine aussi bien chez les femmes que chez les hommes et que Mlle Isaac possède tous les droits du monde à cet épanouissement, fort agréable à l’œil.

 

***

 

Le 26 avril 1879, elle devient la grisette Virginie du Caïd et s'y montre aussi spirituelle comédienne que cantatrice rompue à toutes les difficultés de son art.

L'entrain et le brio qu'elle déploie là, elle les aura encore en octobre 1879 quand elle roucoulera au milieu d'une véritable ovation les coquetteries de la Philine de Mignon, et surtout, le 22 mai 1880, lorsqu'elle devient l'Angèle du Domino noir. Elle stupéfie une fois encore les critiques, qui épuisent toutes les formules de l'éloge, par la hardiesse de ses vocalises et plus encore par l'étendue de sa voix.

M. Jouvin s'écrie : « La jeune cantatrice a assoupli sa voix vibrante et l'a rendue obéissante au point de la lancer, sans témérité aucune, sur les sommets, en apparence inaccessibles, d'une gamme affolée ; elle s'y tient et y éclate. Dans la cadence de son air, Angèle a attaqué à toute volée un ré naturel au-dessus des lignes et a cloué un son métallique à cette note scabreuse ! »

Un autre jour : « Elle sait, avec une égale aisance, vocaliser, chanter et même soupirer sur la clé d'ut première ligne ! »

M. Octave Fouque, de la République Française : « Elle a trouvé le moyen de faire entendre dans le duo du premier acte, un la au-dessous des lignes, alors que dans le boléro du second, elle exécutait une gamme qui ne s'arrête qu'au fa dièse au-dessus, c'est-à-dire, à une distance de deux octaves à une sixte majeure. »

 

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C'est cette étendue de la voix qui lui permit un jour de sauver M. Pasdeloup d'un cas fort embarrassant. On devait donner le Déluge, de M. Saint-Saëns : Mlle Isaac, MM. Villaret et Lorain étaient chargés des soli. On comptait avant tout sur l'effet d'un duo entre le soprano et le ténor.

Au moment de l'exécution, plus de ténor. M. Villaret ne pouvait pas venir !

— Sauvez-nous, s'écrie M. Pasdeloup (qui eut pu ajouter : Sauvez la recette !), en se tournant vers Mlle Isaac, chantez le rôle de Villaret.

Elle accepte et commence. Les applaudissements la soutiennent. Mais, nouvel embarras ! Voici le duo. Cantatrice et chef d'orchestre se regardent avec stupeur. Impossible de reculer pourtant. Bravement, elle attaque la phrase du ténor que va reprendre le soprano, improvisant la liaison des deux phrases. Le succès couronna cette tentative nouvelle et hardie, où une science profonde était au service d'une obligeance toujours prête.

 

***

 

M. Victorien Joncières concluait ainsi un de ses feuilletons : « Vienne maintenant une belle création pour cette excellente chanteuse, et elle prendra la place qui lui est due parmi les étoiles les plus brillantes de nos scènes musicales. »

Le compositeur-critique est assez compétent pour être bon prophète. Il le fut ce jour-là.

La belle création qu'il réclamait, Offenbach la confia à Mlle Isaac. Choix flatteur de la part du maestro, car les Contes d'Hoffmann étaient son œuvre préférée, et le rôle de Coppélia le plus ardu en sa triple incarnation d'Antonia, de Stella et d'Olympia.

Elle sentait le péril de cet honneur. Aussi apporta-t-elle à cette création toute sa volonté et toute sa puissance de travail. Le rôle de l'automate, de la poupée de Nuremberg inquiétait la comédienne. Le hasard, aidé de la musique, la tira d'inquiétude. Un orgue, justement baptisé « de Barbarie », venait moudre trop souvent, à son gré, la « Valse des Roses » sous ses fenêtres.

Un jour, légèrement impatientée, elle entrouvre son rideau. Surprise ! Joie ! La Providence (?) lui envoyait son modèle, suspendu aux épaules d'un Auvergnat. Deux poupées se démenaient sur l'orgue des « Roses ». Les sous pleuvent. L'Auvergnat, ravi de l'aubaine, prolonge et multiplie ses stations, qui sont scrupuleusement utilisées par Mlle Isaac. La future Olympia prenait ainsi, par la fenêtre, et payait ses leçons d'automate.

La soirée du 10 février 1881 qui fut en quelque sorte l'apothéose d'Offenbach, mort trop tôt, fut un véritable triomphe pour la créatrice de Olympia. Comédienne et cantatrice furent également applaudies et rappelées. « Depuis longtemps, au dire d'un témoin, on n'avait autant ri et autant applaudi à l'Opéra-Comique. »

Christine Nilsson était dans l'avant‑scène avec Mme Carvalho. « Les deux grandes artistes se mêlaient ardemment aux ovations qui ont salué Mlle Isaac dans cette belle et émouvante soirée... non-seulement, on l'a acclamée dans ses couplets de l'automate, mais quand elle s'est enfuie, avec la marche rapide et les mouvements secs d'une poupée qu'on a trop remontée, la salle entière l'a forcée à revenir et à recommencer sa sortie. Jamais à l'Opéra-Comique une chanteuse n'a eu autant de succès en marchant. »

Ce succès triple d'esprit, de voix et de talent plaça, sans contestation possible désormais, Mlle Isaac parmi les artistes hors de pair.

 

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Depuis, chaque fois qu'elle a repris un rôle nouveau sa renommée a grandi, car chaque fois son talent s'est montré sous une face nouvelle et égal à lui-même.

Ainsi du rôle de Manon Lescaut dont elle joua le troisième acte au centenaire d'Auber. Dans cette longue scène d'agonie de la courtisane, elle se montra pathétique avec la plus touchante simplicité, sans accuser son geste, sans rien demander à sa voix qu'un murmure pour y endormir son âme, rachetée par l'amour. Le public ressuscite Manon pour la féliciter par un double rappel.

Ainsi de Suzanne dans les Noces de Figaro, à qui elle prête son jeu discret, gai et spirituel. Elle exprime la rêverie, la malice, la passion avec une force et une grâce incomparables « avec le cristal des notes aiguës venant de fondre dans les teintes chaudes du médium. »

Ainsi de Carmen, qu'elle chante tel qu'il a été écrit pour le mezzo-soprano de Mme Galli-Marié. C'est sa dernière reprise à l'Opéra-Comique. Elle révèle aux amies et aux adversaires de Bizet la musique du jeune maître, qui passait au second plan derrière les cigarettes, les ébauchements, et les brutalités d'attitude réalistes de sa devancières, dont les œillades et les éclats de rire distrayaient trop les yeux pour permettre aux oreilles de demeurer maîtresses de toute l'attention que mérite l'inspiration de Bizet.

 

***

 

De la première place à l'Opéra-Comique Mlle Isaac passa à l'Opéra, le 25 septembre dernier. C'est sa plus grosse partie. Elle l'a gagnée.

Le souvenir en est trop récent pour que j'aie besoin de rappeler cette nouvelle victoire.

A l'Opéra, Mlle Isaac conservera le rang qu'elle avait rue Favart. Je suis, en effet, de l'avis de ceux qui disent que, comme perfection, Mme Krauss peut seule lui être comparée.

 

***

 

Telle est cette vie d'artiste si courte encore et si honorablement remplie par des succès inattaquables à la jalousie puisqu'ils sont tous le fruit et la récompense d'un travail qui ne s'est pas ralenti et non d'une réclame ou d'un engouement passagers.

Aujourd'hui, comme à ses débuts, Mlle Adèle Isaac vit entre son père et sa mère, dans le modeste appartement de la rue de Maubeuge et je gage que les 70 ou 80,000 francs qu'elle va gagner par an ne la sépareront pas de ceux qu'elle aime.

N'avais-je pas raison, en commençant, de vous dire que cette vie austère à la ville et si brillante à la scène était d'un salutaire enseignement ? Elle prouve d'une victorieuse façon cette vérité, trop souvent niée, que l'honnêteté est parfaitement compatible avec le vrai talent.

 

(Albert Clennes, Paris-Artiste, 27 octobre 1883)

 

 

 

 

 

 

 

Adèle Isaac [photo Mulnier]

 

 

 

J’ai suivi Mme Isaac pendant bien des soirs, nous disait un jour, dans la salle de la place Favart, un vieil habitué de l'Opéra-Comique, — jamais, au grand jamais, je n'ai surpris chez elle la moindre intonation douteuse, le moindre accroc aux plus laborieuses vocalises. — Mme Isaac, en effet, était la correction et l'impeccabilité mêmes : ces qualités n'empêchaient pas le charme exquis ou l'ampleur de sa voix, ni le brio qu'elle savait lui donner à l'occasion ; elles les assuraient seulement comme sur une base inébranlable. On était tranquille avec elle, au milieu des pires casse-cou, comme on ne l'est pas souvent avec les nouvelles venues, dans les rôles parfois si ardus du répertoire.

 

C'était une chanteuse accomplie, une vraie virtuose, mais avec une simplicité, un goût, une absence de prétention qu'on ne rencontre qu'assez rarement chez les virtuoses. Peut-être au contraire se défiait-elle trop de la facilité avec laquelle une interprète, supérieurement douée et qui sait toujours dominer ses rôles au lieu d'en être dominée, est entraînée à sortir de son personnage au profit d'un succès personnel. Le souci de la perfection exclut parfois la fantaisie et cette gracieuse spontanéité qui a tant de prix chez une jeune artiste. Mme Isaac ne s'abandonnait jamais, et jusque dans la verve la plus spirituelle, la réserve de son jeu si sûr, si crâne même, pouvait souvent passer pour de la froideur. Pourtant, qui fut plus adroite comédienne que la créatrice d'Olympia des Contes d'Hoffmann, l'interprète de l'Étoile du Nord, ou du Domino noir, de Suzanne des Noces de Figaro ou de la Comtesse du Comte Ory ?

 

Mme Adèle Isaac, — aujourd'hui Mme Lelong, — est née à Calais, en 1854, mais son éducation fut parisienne, et lorsque ses aptitudes lyriques prirent un caractère décisif, c'est à l'école de Duprez qu'elle fut confiée. Elle y resta d'assez longues années : à peine une apparition de circonstance, dans une représentation charitable, en 1870, put montrer au public quelles espérances il était en droit de fonder sur elle.

 

C'est en 1872 qu'elle débuta sérieusement, mais non à Paris : à Bruxelles, qui se trouva ainsi avoir la primeur de son beau talent. On a noté son passage dans le Pré-aux-Clercs et dans Tannhäuser, où elle eut à créer le modeste mais délicat personnage du pâtre ; dans le Domino noir, qui devait rester un de ses succès les plus fréquents ; dans Giralda, dans Don Juan, dans les Mousquetaires de la Reine. Ses succès ne manquèrent pas d'attirer l'attention du directeur de notre Opéra-Comique, qui se hâta de l'engager. On peut dire cependant que Mme Isaac ne fit alors que toucher barre à Paris. On l'entendit, au cours de l'année 1873-74, dans divers rôles du répertoire, dans la Dame blanche, et dans la Fille du régiment surtout, où elle fut tout à fait remarquable, pleine de verve et d'esprit comme jeu, de grâce et d'émotion comme voix. Mais c'est en Belgique qu'elle revint gagner décidément sa réputation de première chanteuse.

 

Sur la scène de Liège, comme celle de Bruxelles, si éclectique et si favorable au développement artistique des interprètes, Mme Isaac put, en variant ses études, atteindre également, dans l'opéra et dans l'opéra-comique, la plénitude de son talent. Le Songe d'une nuit d'été lui servit de début, et que de fois n'a-t-elle pas brillé depuis dans l'intéressant rôle d'Élisabeth ! Puis, ce furent le Barbier de Séville et les Diamants de la couronne, Hamlet et Faust, Lucie et Rigoletto ; puis l'Ombre et Martha, Zampa et la Philine de Mignon ; puis la Reine Topaze et la Fanchonnette... C'était, en l'étendant, tout le répertoire de Mme Miolan-Carvalho dont elle se rendait maîtresse, et même avec une voix plus puissante, un style, d'ailleurs, et un sentiment dramatique tout personnels.

 

A cette époque, 1875, un nouvel engagement la conduisit à Lyon, où le Grand-Théâtre subissait une crise assez grave, et où il y avait une situation à sauver. Mme Isaac y fit deux saisons, avec un plein succès, et le talent souverain qu'elle déploya dans son répertoire ordinaire releva à tous les points de vue l'état de choses compromis. Outre tout ce que nous venons d'énumérer, dans les deux genres de l'opéra et de l'opéra comique, elle créa sur cette scène les rôles de Jaguarita et de Carmen, et pour la première fois aborda Roméo et Juliette, où elle devait trouver un de ses plus beaux triomphes. Le Grand-Théâtre de Lyon peut conserver avec reconnaissance le souvenir de l'étoile brillante et modeste qui, sans plaindre un instant sa peine, a répandu deux ans de suite sur son public le varié et prestigieux bouquet d'un aussi riche répertoire.

 

Tout présageait donc pour Mme Isaac un début éclatant à Paris, dès qu'on saurait l'y fixer. M. Carvalho le fit, en 1878, et pour un rôle digne d'elle, celui de Catherine dans l'Étoile du Nord. On était loin du gracieux début de 1873. L'artiste, que précédait cette sûre renommé, revenait éprouvée et mûrie : la première place était à peu près libre à l'Opéra-Comique ; elle sut la prendre et la garder. — Chose singulière, pourtant, sa belle carrière compte à peine une ou deux vraies créations ! Il y a de ces hasards-là. La période de l'histoire de l'Opéra-Comique où parut Mme Isaac renferma plus de pièces légères ou de courte haleine que d'œuvres de caractère, parmi ses nouveautés, et en somme peu de rôles vraiment faits pour l'artiste. Peut-être en trouverait-elle davantage aujourd'hui, si elle était restée ; mais à cette époque, c'est l'ancien répertoire qui lui apporta le meilleur de ses triomphes.

 

Haydée, d'abord, où elle fit son second début, avec Talazac (qui sortait à peine du Conservatoire), et où elle donna à ce joli personnage une couleur et une poésie qu'on n'y retrouvait pas depuis longtemps. C'est du reste un des rôles qui ont le plus mis en relief l'autorité de l'artiste, et Mme Isaac lui est demeurée fidèle jusqu'à la fin. Galathée vint ensuite, avec plus de largeur et plus de style encore ; puis Roméo et Juliette, et ce rôle idéal de Juliette, que tant de chanteuses ont abordé sans en réaliser la juste image, et où Mme Isaac sut mettre autant d'élévation que de noblesse. Elle le chantait encore en 1887, toujours avec Talazac, qui, lui aussi, avait rencontré là un de ses triomphes.

 

Mais après cela, ce sont de vrais personnages de comédie que nous trouvons dans le répertoire de Mme Isaac. Outre cette voix incomparable de sûreté et d'élégance, c'est une verve spirituelle et délicate que nous avons pu applaudir (1879-1880) dans Virginie du Caïd, Philine de Mignon, et cette Angèle du Domino noir, longtemps abandonné, elle partie, et où nulle ne l'a fait oublier un instant. La triple création des Contes d'Hoffmann arriva à son tour (1881) : c'est la période triomphale de Mme Isaac. L'aimable Stella, l'étonnante poupée Olympia, la touchante Antonia vinrent tour à tour charmer, amuser, séduire dans la même soirée un public qui se renouvela jusqu'à cent treize fois de suite. Que ne nous a-t-on rendu depuis, avec sa créatrice, cette triple figure, au lieu de la sacrifier dans les misérables représentations d'un Lyrique manqué, voici quatre ans ! — Peut-être serait-il temps encore ?

 

Mme Isaac était mûre pour le délicieux rôle de Suzanne, des Noces de Figaro, qu'elle n'avait, croyons-nous, jamais chanté. Elle ne contribua pas peu, on s'en souvient, par la perfection de son art tour à tour enjoué, avec le comte ou Figaro, et si poétique, dans l'air du parc, au succès de cette belle reprise de 1882, qui nous rendait Mme Carvalho auprès de Mlle Van Zandt, de Fugère et de Taskin. Aussi était-elle encore tout indiquée quand, par une heureuse inspiration, on imagina en 1883 de reprendre Carmen, qu'elle avait, d'ailleurs, nous l'avons vu, jouée à Lyon. On sait le triomphe de l'œuvre de Bizet : il détermina la créatrice du rôle, Mme Galli-Marié, à s'y montrer de nouveau quand Mme Isaac dut le quitter pour entrer à l'Opéra. La comparaison amena de naturelles discussions, mais Mme Isaac n'y perdit pas tant qu'on le pensait. Sans doute, le personnage en lui-même, avec son côté canaille et désordonné, ne lui convenait guère ; mais nulle ne l'a chanté comme elle, et quand on voit entre quelles mains il est tombé aujourd'hui, on a peine à comprendre les critiques dont l'impeccable artiste fut alors, auprès de quelques-uns, l'objet.

 

Mme Isaac eut-elle raison, à ce moment, d'aller passer ces deux années (1883-1884 et 1884-1885) à l'Opéra ? Oui, si nous en jugeons par les œuvres jouées à l'Opéra-Comique pendant cette période, qui ne lui auraient fourni aucun rôle nouveau. Et puis, quoi de plus naturel à elle, que d'avoir voulu montrer à notre public parisien combien, dans ce répertoire, qui lui avait valu tant de succès à Lyon, elle possédait de brio et de véritable autorité ? Elle débuta dans Hamlet et dans Faust, deux figures assez différentes en somme, où son style si pur et sa délicate virtuosité furent hautement appréciés. Le Comte Ory lui fournit ensuite l'occasion de montrer plus spécialement ses qualités d'enjouement et d'esprit, et elle y fut, comme dans Zerline de Don Juan, qui suivit, tout à fait charmante.

 

Une autre reprise, à la fin de l'année, nous la fit voir dans le gracieux personnage de Françoise de Rimini ; mais elle prit également les rôles classiques de la Reine, dans les Huguenots, d'Isabelle, dans Robert le Diable, et de Mathilde, dans Guillaume Tell, et s'y montra des plus distinguées. Après cela, nous ne trouvons plus à noter qu'une éphémère reprise du Tribut de Zamora, où Mme Isaac remplit le rôle de Xaïma... La même année, elle rentrait à l'Opéra-Comique, dans le même personnage qui lui avait servi de début, sept ans auparavant, dans l'Étoile du Nord.

 

1886 lui rendit alors enfin un de ses rôles les plus achevés, Élisabeth du Songe d'une nuit d'été, auprès de Maurel. Il devait lui tarder de le reprendre, car il semblait spécialement fait pour elle, — de l'esprit, de la noblesse, de la virtuosité, c'est tout le rôle. Mme Isaac, à sa verve de jadis, ajouta toute son autorité nouvelle et fut parfaite. Elle eut moins de bonheur avec les deux créations qui lui échurent par la suite ; non pas qu'elle leur prêtât moins de talent, mais Egmont était glacial et vécut à peine quelques soirées, et le Roi malgré lui, interrompu d'abord, comme on sait, par le sinistre de 1887, ne fut pas accueilli avec beaucoup plus de faveur. C'est plutôt dans le répertoire, les Noces de Figaro ou Roméo et Juliette, qu'on put applaudir Mme Isaac, jusqu'à son départ, qui eut lieu en 1889.

 

Ce départ était malheureusement comme une retraite, qui, toute prématurée qu'elle soit, paraît définitive aujourd'hui. A peine avons-nous revu Mme Isaac quelques soirées, dans la reprise des Noces de Figaro, que l'on fit en 1892 et où elle fut si médiocrement entourée ; et un instant, à l'occasion de la millième de Mignon, il y a deux ans... L'éminente artiste laisse du moins des souvenirs qui ne s'éteindront pas. Cet ensemble de qualités, de dons variés, où doit exceller la « première chanteuse », dans le répertoire de l'Opéra-Comique, a toujours été difficile à rencontrer dans son épanouissement, et rares sont les noms (Caroline Duprez, Faure-Lefebvre, Ugalde, Carvalho...) qu'on peut citer avant Mme Isaac. Depuis elle, en connaissez-vous ?

 

 

***

Voici le tableau de sa carrière artistique :

 

BRUXELLES

1872-73

le Pré-aux-Clercs (Isabelle), début.

les Noces de Jeannette (Jeannette).

le Domino noir (Angèle).

Giralda (Giralda).

Don Juan (Zerline).

Lara (la Comtesse).

les Mousquetaires de la Reine (Athénaïs).

Tannhäuser (le pâtre), création.

PARIS

 

1873-74

OPÉRA-COMIQUE

la Fille du régiment (Marie), début.

Richard Cœur de Lion (Laurette).

Joconde (Edile).

la Dame blanche (Anna).

3° LIÈGE

1874-75

le Songe d'une nuit d'été (Élisabeth), début.

Faust (Marguerite).

le Barbier de Séville (Rosine).

les Diamants de la couronne (Catarina).

Rigoletto (Gilda).

Hamlet (Ophélie).

Lucie de Lammermoor (Lucie).

la Traviata (Violetta).

la Reine Topaze (Topaze).

la Fanchonnette (Fanchonnette).

le Docteur Crispin (Annette).

l'Ombre (Jeanne).

Martha (Martha).

Mignon (Philine).

Zampa (Camille).

Manon Lescaut (Manon).

(Et le répertoire précédent.)

LYON

1875-77

le Songe d'une nuit d'été (Élisabeth), début.

Jaguarita l'Indienne (Jaguarita).

Carmen (Carmen).

Roméo et Juliette (Juliette).

(Et le répertoire précédent.)

PARIS

1878

 

 

 

1879

 

 

1880

1881

1882

1883

 

1883

 

 

1884

 

 

 

1885

 

 

1885

1886

 

1887

1892

OPÉRA-COMIQUE

l'Étoile du Nord (Catherine), rentrée.

Haydée (Haydée).

Galathée (Galathée).

Roméo et Juliette (Juliette).

le Caïd (Virginie).

Mignon (Philine).

le Domino noir (Angèle).

les Contes d'Hoffmann (Stella, Olympia, Antonia), création.

les Noces de Figaro (Suzanne).

Carmen (Carmen).

OPÉRA

Hamlet (Ophélie), début.

Faust (Marguerite).

le Comte Ory (la Comtesse).

Don Juan (Zerline).

les Huguenots (la Reine).

Robert le Diable (Isabelle).

Françoise de Rimini (Francesca).

Guillaume Tell (Mathilde).

le Tribut de Zamora (Xaïma).

OPÉRA-COMIQUE

l'Étoile du Nord (Catherine), rentrée.

le Songe d’une nuit d'été (Élisabeth).

Egmont (Claire), création.

le Roi malgré lui (Minka), création.

les Noces de Figaro (Suzanne).

CONCERTS

 

LYON. — Gallia.

PARIS. — la Damnation de Faust, Rédemption, etc.

 

(Henri de Curzon, Croquis d’artistes, 1898)

 

 

 

 

 

 

 

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