Marie HEILBRONN

 

Marie Heilbronn en 1873 [photo Nadar]

 

 

Maria HEILBRON dite Marie HEILBRONN

 

soprano français

(Anvers, Belgique, 05 mai 1851* – Grand Hôtel de Cimiez, Nice, Alpes-Maritimes, 31 mars 1886*)

 

Fille d'Heiman Hermann HEILBRON (Rotterdam, Hollande, 1826 – Paris 18e, 06 février 1907*), et d'Hanna MENDELS (La Haye, Hollande, 1829 – Paris 9e, 04 avril 1903*).

Epouse à Paris 8e le 02 février 1881* Félix Charles Edmond, vicomte de LA PANOUSE (Paris ancien 1er, 23 mai 1845* – Clans, Alpes-Maritimes, 25 juillet 1918*), lieutenant de vaisseau [remarié avec Fanny PEARSON], fils de César Armand Anatole, comte de LA PANOUSE (Ham, Somme, 30 novembre 1809 – Paris 8e, 29 juin 1879), inspecteur général des Chemins de fer, et de Delphine Céleste Marie de ROUGÉ (Paris, 04 juin 1820 – Paris, 15 septembre 1852).

 

 

Elle est née de parents hollandais israélites. Fort jolie, douée d'une voix charmante et d'une rare intelligence scénique, elle fut élève au Conservatoire de Bruxelles, puis elle se fit admettre au Conservatoire de Paris, qu'elle ne fit que traverser, et le 03 avril 1867 débutait à l'Opéra-Comique dans la Grand'Tante, le premier ouvrage de Jules Massenet. Après quelques mois seulement passés à ce théâtre, elle partit pour la province, puis se produisit à Bruxelles, à La Haye et à Londres, d'où elle revint à Paris pour entrer aux Variétés, en 1873. Elle se montra à ce théâtre dans les Brigands, y créa la Veuve du malabar (Cocorilla) d'Hervé, ainsi que le rôle principal des Braconniers d'Offenbach, et, emportée par sa nature fantastique et capricieuse, le quitta de nouveau pour se rendre à Monte-Carlo. Peu de mois après elle entrait au Théâtre-Italien, allait faire ensuite la saison italienne de Londres, revenait au théâtre Ventadour, partait pour la Russie, puis s'en allait faire une grande tournée en Amérique. De retour en France en 1877, elle entrait à l'Opéra-National-Lyrique (la Gaîté), y créait le 18 avril le Bravo (Violetta Tiepolo) de Gaston Salvayre, y reprenait le rôle de Virginie dans Paul et Virginie, rentrait un instant à l'Opéra-Comique pour la reprise de Psyché, créait le 12 octobre 1878 les Amants de Vérone (Juliette) de Paul de Richard d'Ivry au théâtre Ventadour, et repartait pour la Russie. Fin 1879 elle était de nouveau en France, et était engagée à l'Opéra, où elle jouait successivement Faust, Don Juan et Hamlet. Elle résiliait bientôt son engagement, épousait le vicomte de La Panouse, et annonçait l'intention de quitter le théâtre. Cependant, elle rentra à l'Opéra-Comique pour y faire deux nouvelles créations importantes, l'une dans Manon (Manon) de Massenet, l'autre dans Une Nuit de Cléopâtre (Cléopâtre) de Victor Massé, puis reprit Roméo et Juliette. C'est alors qu'elle fut atteinte d'une maladie qui la conduisit rapidement au tombeau. Elle mourut à Nice le 31 mars 1886, à l'âge de trente-quatre ans, et ses obsèques eurent lieu à Paris le 05 avril suivant.

En 1881, elle habitait 32 rue de Monceau à Paris 8e. Elle est enterrée au cimetière Montparnasse (30e division).

 

 

 

Sa carrière à l'Opéra-Comique

 

Elle y débuta le 03 avril 1867 en créant la Grand'Tante (Alice de Kerdrel) de Jules Massenet.

 

Elle y créa le 15 août 1868 la cantate la Bonne moisson d'Auguste Charlot ; le 28 novembre 1868 le Corricolo de Ferdinand Poise ; le 26 juillet 1870 le Kobold d'Ernest Guiraud ; le 19 janvier 1884 Manon (Manon) de Jules Massenet ; le 25 avril 1885 Une nuit de Cléopâtre (Cléopâtre) de Victor Massé.

 

Elle y chanta Psyché (Psyché) d'Ambroise Thomas, lors de la première de la version en 4 actes, le 21 mai 1878 ; Roméo et Juliette (Juliette, 1885).

Sa carrière à l'Opéra de Paris

 

Elle y débuta le 03 novembre 1879 dans Faust (Marguerite).

 

Elle y chanta Don Juan (Zerline, 1880) ; Hamlet (Ophélie, 1880).

 

 

 

 

Marie Heilbronn en 1867 [photo Nadar]

 

 

 

 

 

 

Née à Anvers en 1849, d'une famille originaire des bords du Rhin. Elle débuta, bien jeune encore, au théâtre de Bruges et se fit remarquer dans la Fille bien gardée. Admise au conservatoire de Bruxelles, dans la classe de Cornélis, elle obtint au concours le premier prix de piano et de chant. Venue à Paris, elle acheva ses études avec Duprez et entra à l'Opéra-Comique, où elle parut, le 3 avril 1867, dans la Grand'Tante, de Massenet, et l'année suivante dans le Corricolo, de Poise. Elle alla jouer, en 1869, à Ems et de là au Théâtre-Français de La Haye, où elle fut très applaudie. Revenue à la salle Favart, elle interpréta d'une façon brillante la Fille du régiment et le Pré-aux-Clercs, puis créa, le 26 juillet 1870, Catherine de Kobold, de Guiraud. Elle se destinait à la carrière italienne, lorsque M. Bertrand, le nouveau directeur des Variétés, lui demanda de remplacer Mlle Van Ghell. Elle apprit rapidement le rôle de Bibletta des Braconniers, d'Offenbach, et le joua avec beaucoup de brio le 20 janvier 1873 ; elle interpréta encore la Veuve du Malabar, d'Hervé. Engagée déjà comme soprano, aux Italiens, elle aborda le répertoire de Verdi, d'abord sous la direction de Strakosch et ensuite sous celle d'Escudier en 1877. Elle créa la même année, au Théâtre-Lyrique, avec infiniment de charme, Violetta Tiepolo du Bravo, de Salvayre, et reprit, après Mlle Ritter, Paul et Virginie, de Massé. Pendant une saison, elle chanta à Saint-Pétersbourg et à Moscou. A son retour, M. Ambroise Thomas la désigna pour reprendre Psyché, à l'Opéra-Comique, et il n'eut pas lieu de se repentir de son choix. Capoul ayant loué la salle Ventadour, Mlle Heilbron joua avec lui les Amants de Vérone, du marquis d'Ivry (1878). Juliette triompha autant que Roméo, par sa voix chaude et pénétrante, sa grâce et sa beauté. Elle donna au mois de décembre quelques représentations au théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Appelée par Mme Albani, pour la remplacer à Londres en 1879 au théâtre de Covent-Garden, elle chanta Ophélie d'Hamlet, la Traviata, les Amants de Vérone et Lohengrin, à côté de Capoul et de Gayarre. Elle débuta à notre Grand Opéra, dans Marguerite de Faust, et, ne s'entendant pas avec M. Vaucorbeil, elle offrit sa démission, qui fut acceptée, après avoir chanté Zerline de Don Juan. Elle épousa, au commencement de l'année 1881, M. le vicomte de La Panouse, lieutenant de vaisseau, qui perdit sa fortune lors du « krach » de 1882 et partit pour le cap de Bonne-Espérance. Vivant désormais séparée de son mari, de corps et de biens, elle contracta un nouvel engagement à l'Opéra-Comique. Elle y reprit, avec le plus vif succès, Roméo et Juliette et termina sa carrière artistique par deux de ses plus belles créations : Manon, de Massenet (1884) et Une nuit de Cléopâtre, de Massé (1885). Un an après elle mourut laissant, dit-on, plus de deux millions.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 2e supplément, 1888)

 

 

 

 

 

Marie Heilbronn dans Roméo et Juliette (Juliette)

 

 

 

Marie Heilbronn dans Manon (Manon) lors de la création

 

 

Marie Heilbron est une enfant gâtée de la nature qui lui a donné, tout à la fois, l’intelligence et la beauté. Elle est jolie et paraît inconsciente du charme qu'elle répand. Sa grâce mutine n'a point d'apprêt, la vivacité de son œil noir velouté donne à sa physionomie une finesse adorable. C'est ainsi que Beaumarchais dût rêver Rosine et Suzanne, la jeunesse espiègle ayant ses heures de passion.

Comme Céline Montaland dont je vous parlais dernièrement à cette même page, Marie Heilbron débuta à l'âge de huit ans dans la Fille bien gardée. Mais, si l'enfant précoce du Palais-Royal n'a point tenu la promesse qu'elle faisait à cet âge, le petit prodige du théâtre de Bruges est déjà digne d'occuper avec honneur une place élevée sur le premier théâtre italien du monde, où son brillant début dans la Traviata, a fixé sur elle l'attention générale.

Marie Heilbron est née à Anvers. Elle joua au théâtre de Bruges, dès l'âge de huit ans, comme je viens de le dire. Les journaux de la localité de ce temps-là ne tarissent pas l'éloge sur son espièglerie et sa verve enfantine.

Douée d'un organe juste et sympathique, elle entre au conservatoire de Bruxelles, dans la classe de Cornelis. Elle y obtient le 1er prix de piano et le 1er prix de chant.

Forte de ces succès, Marie Heilbron arrive à Paris et se présente chez Duprez. Là, son talent se développe sous les admirables leçons du maître. M. De Leuven ayant eu l'occasion de l'entendre, l'engagea aussitôt à l'Opéra-Comique.

Elle y débuta en 1868. Ses progrès y furent constants. Déjà remarquée dans Alcine, du Docteur Mirobolan, elle fixa sur elle l'attention des connaisseurs dans Nicette du Pré-aux-Clercs ; dans la Fille du Régiment ; créa à Paris, avec une grâce ravissante : le Café du Roi, de Delibes (joué à Ems, en 1861), puis le Corricolo, de Poise, le 28 novembre 1868.

En 1869, elle fit partie de la troupe française engagée à Ems pour donner des représentions, lors de l'entrevue de l'empereur de Russie et du roi de Prusse. Elle y obtint un grand succès notamment dans le Toréador et Galathée.

En 1869, Mlle Heilbron succéda à Mlle Meseray, comme première chanteuse légère du théâtre royal de La Haye.

D'octobre 1869 à fin avril 1870. voici le répertoire qu'elle joua : — On va voir par cette nomenclature, comment, s'explique son triomphe aux Italiens de Paris, dès le soir de son début. La plupart des critiques de la presse parisienne, et principalement les reporters des grands journaux, pour qui le monde n'existe pas en dehors des boulevards, ont pu être étonnés de ce début, eux qui avaient oublié l'artiste de l'Opéra-Comique et ne se souvenaient que de la comédienne des Variétés ; mais ceux que le mouvement général de l'art intéresse aussi bien à l'étranger qu'à Paris, ont trouvé ce succès tout naturel.

A partir d'octobre 1869, Mlle Heilbron joua donc successivement :

Mignon, rôle de Philine ;

Le Songe d'une nuit d'été, rôle d'Elisabeth ;

Les Huguenots, rôle de Marguerite ;

Robert-le-Diable, rôle d'Isabelle ;

Guillaume Tell, rôle de Mathilde ;

La Traviata, rôle de Violetta ;

L'Ambassadrice, rôle d'Henriette ;

Mireille, rôle de Mireille ;

La Juive, rôle d'Eudoxie ;

La Muette, rôle d'Elvire ;

Lucie de Lammermoor, rôle de Lucie ;

L'Etoile du Nord, rôle de Catherine ;

Faust, rôle de Marguerite ;

La chatte merveilleuse, rôle de Féline.

Elle obtint dans tous ces rôles, le plus grand succès.

M. Du Locle ayant été l'entendre à La Haye, lui fit signer, à de brillantes conditions, un engagement ; mais la guerre annula le traité. La jeune virtuose se retira à Londres jusqu'à la fin de la Commune. Mettant à profit sa liberté, elle prit des leçons de Wartel qui, une fois la paix conclue, lui fit avoir une audition à l'Opéra. La voix de Mlle Heilbron ne parut point assez puissante pour affronter l'immense vaisseau de la rue Le Peletier.

Restée sans engagement, elle chanta dans divers grands salons de Paris et entr'autres chez un de nos plus gros bonnets de la finance qui, conservant les traditions du règne Louis XV, la complimenta très chaudement sur sa grâce et son talent, lui affirmant qu'il ne lui manquait plus, pour être parfaite à ses yeux que de venir le voir... sans sa mère. L'anecdote est authentique, et tous mes lecteurs ont sur les lèvres le nom de ce banquier qui faisait ici fausse route.

En 1872, elle chanta au Cercle des Mirlitons le rôle de Juliette, dans le Roméo et Juliette du marquis d'Ivry.

M. Du Locle lui fit alors de nouvelles offres pour l'Opéra-Comique, mais les conditions d'argent posées par l'artiste ne furent point agréés par le directeur, qui refusa également de lui concéder la création du rôle principal dans le Roi l'a dit, de Léo Delibes.

C'est ainsi que, fatiguée d'être si longtemps éloignée du théâtre, Mlle Heilbron consentit à accepter un engagement pressant de M. Bertrand pour jouer les Braconniers d'Offenbach aux Variétés, en remplacement de Mlle Vanghell, en février 1873.

Cette musique dont les allures lui convenaient si peu, aurait pu avoir une fatale influence sur son talent, mais, heureusement, chez elle la nature prit vite le dessus ; elle sortit presque aussitôt de cette impasse, et oublia promptement le genre de comédie détestable auquel elle n'avait pas eu le temps de s'habituer.

Elle songea depuis à prendre la carrière italienne ; partit en Italie pour se façonner au génie de la langue et, après trois mois, revint à Paris, où elle prit un professeur dont elle suit encore les leçons.

M. Strakosch, l'ayant entendue à une soirée chez M. le comte d'Osmont, n'hésita pas à l'engager dans la troupe qu'il formait avec tant de peine pour ouvrir le Théâtre-Italien.

Elle débuta à la salle Ventadour au commencement de ce mois, dans la Traviata. Son succès eut un retentissement considérable. D'un bout à l'autre de son rôle elle sût tenir la scène en comédienne accomplie. Le charme et la sûreté de la voix, l'excellence de sa méthode, la grâce parfaite et la distinction de son jeu lui attirèrent la sympathie générale. Ce n'est point exagérer que de dire que son début fut une véritable révélation.

Sa seconde apparition, quinze jours après, dans la Zerline de Don Juan, nous l'a fait voir sous un autre aspect. Sémillante, accorte, elle a su rendre en virtuose accomplie, la délicatesse exquise de cette musique adorable.

Le théâtre Italien la possède pour trois années, et M. Strakosch se propose de nous la faire entendre le plus souvent possible.

En ce moment, Mlle Heilbron répète activement Lucie de Lammermoor, qui passera très probablement la semaine prochaine. Puis elle étudie les Astuzie femminili de Cimarosa, et la Suzanne de Nozze di Figaro, de Mozart.

De même qu'Adelina Patti avec laquelle elle a plus d'un rapport comme femme, et dont elle semble la miniature comme chanteuse, Mlle Heilbron peut briller à la fois dans le répertoire dramatique et dans les ouvrages bouffes. Son talent de comédienne a une rare souplesse ; elle est excellente musicienne et son organe sympathique se prête aussi bien à exprimer les sentiments de l'âme qu'à rendre les finesses de l'esprit. Elle possède, en outre, le don de charmer, ce qui est peut-être la suprême qualité de l'artiste. Il se dégage de toute sa personne un rayonnement enchanteur, qui naît de l'équilibre parfait de tous les avantages qu'elle a reçus de la nature, avantages dont elle a su tirer un parti exceptionnel grâce à des études intelligentes et aux leçons des savants professeurs auxquels elle s'est confiée.

 

(Félix Jahyer, Paris-Théâtre, 27 novembre 1873)

 

 

 

Marie Heilbronn dans Manon (Manon) lors de la création [photo Benque]

 

 

« C'était elle, mais plus brillante que je ne l'avais jamais vue. Ses charmes dépassaient tout ce qu'on peut décrire ; c'était un air si fin, si doux, si engageant ! L'air de l'amour même. Toute sa figure me parut un enchantement. »

Telle se montra au trop faible Des Grieux, dans le parloir de Saint-Sulpice, l'infidèle Manon, telle la diva, infidèle a son art pour une vicomté, est réapparue hier aux délicats de Paris ressaisis, eux aussi, par l'enchantement de cette voix et de cette grâce.

Si Mme Heilbron est superstitieuse — et quelle est la jolie femme qui ne mette pas peu ou prou le hasard dans son jeu, l'accusant des déveines et le remerciant des chances heureuses ? — sa confiance devait être entière le soir de la première représentation de Manon. N'est-ce pas dans la Grand'Tante, un petit acte, le premier, d'un jeune compositeur encore inconnu, M. Jules Massenet, qu'elle fit son début, le 3 avril 1867, sur la scène de l'Opéra‑Comique ?

C'était son entrée au théâtre. Sa rentrée se fait avec un nouvel ouvrage du même auteur. Tous deux, interprète et compositeur, sont en pleine possession l'une de sa beauté et de son talent, l'autre de sa renommée et de son incontestable génie musical.

Sous quels meilleurs auspices Mme Heilbron eut-elle pu reprendre la carrière où elle retrouvera ses succès d'autrefois plus complets, plus affermis encore, puisque se sont complétés et affermis ses dons de femme et ses qualités de virtuose ?

 

***

 

Il est bien entendu que je ne m'occuperai ici que de l'artiste.

Des incidents étrangers à l'art lyrique ont mêlé, il y a quelques années, le nom de Mme Marie Heilbron aux chroniques du « high-life ». Par un caprice de jolie femme, elle a voulu échanger sa royauté de théâtre contre une vicomté mondaine. D'origine juive, il lui souriait, sans doute, de descendre de ses planches pour entrer dans une famille catholique et légitimiste. C'était sa revanche des croisades.

La débâcle de l’Union Générale vint malheureusement jeter quelque amertume dans la coupe blasonnée où elle savourait son nouveau triomphe. Bravement avec une résolution et une probité qui n'eurent pas assez d’imitateurs, surtout parmi les gens de finance et de spéculation,

Mme la vicomtesse de la Panouse fit tête à l'effondrement qui n'était pas son œuvre. Le titre de cinquante mille livres de rente, qui constituait sa dot, elle le vendit. L'hôtel dont elle était propriétaire avant son mariage, elle le vendit de même. La couronne de vicomtesse, elle la remit dans l'écrin, et elle redevint Marie Heilbron, comme devant.

Cet exemple prouverait aux jeunes filles de toutes les conditions, si pareille vérité était encore à démontrer, qu’un métier quelconque, qu'un art exercé avec un talent réel, vaut mieux que tous les titres, que toutes les dots et que toutes les fortunes. C'est un placement certain, dont on peut, pendant des années, négliger les intérêts, mais dont le capital demeure intact et prêt à fructifier.

 

***

 

Mme Marie Heilbron est Hollandaise d'origine comme Mmes Fidès et Jeanne Devriès, comme Mlle Van Zandt. Elle est née en France, à Lyon, en 1852 [en réalité, elle est née à Anvers en 1851]. Pourquoi cacherai-je cette date puisqu'aussi bien, comme le dit un madrigal connu, de ses années elle n'a pris que les printemps ?

De bonne heure, la gentille Marie montra sa vocation pour la musique. Son professeur, M. Lebourdais-Durocher devina l'avenir. Il s'appliqua à développer ces heureuses dispositions. Dès que sa jeune élève put affronter une épreuve publique, il l'emmena avec lui dans une de ces tournées lyriques qu'il organisait chaque année dans les principales villes de France. L'artiste précoce avait à peine quinze ans. Son succès fit quelque bruit et c'est au retour de ces tournées qu'elle fut engagée à l'Opéra-Comique.

Elle était bien jeune et ne sortait pas du Conservatoire. Il lui fallut donc se contenter des rôles secondaires du répertoire courant. Elle ne s'en contenta pas longtemps, deux ans à peine. Autant qu'artiste elle était déjà ambitieuse.

Avec cette confiance en soi qui est estime de soi, elle sentait bien que l'obscurité relative où elle végétait sur le théâtre subventionné était une injustice. Très belle, de la pure beauté juive, elle se disait que si on ne la remarquait pas c'est qu'on ne la voyait pas ou, ce qui est pis, qu'on la voyait mal.

Un beau jour, elle quitte la salle Favart et, en veine de gaîté, elle remonte le boulevard jusqu'au petit temple du rire, les Variétés. Elle tombait bien. Offenbach venait de donner les Brigands et confia à la jolie transfuge le rôle de Pierrolla.

Les habitués de ce théâtre, fins appréciateurs, ne dissimulèrent pas l'impression fort vive que leur produisirent les grâces et le brio de la nouvelle venue. Dans les Brigands, qu'elle chanta plus de cent fois, et ensuite dans la Veuve du Malabar le succès mit enfin la femme et l'artiste en lumière.

Mais j'ai dit qu'elle était ambitieuse. Ce succès lui sembla trop mélangé. La femme, pensait-elle, y a peut-être, plus de part que l'artiste. Loin de la satisfaire cette division l'inquiéta.

 

***

 

Subitement, comme elle avait quitté l'Opéra-Comique, elle quitta les Variétés. Mais cette fois, sans dire où elle allait. La nouvelle étoile disparut. Ce fut une éclipse complète pendant de longs mois. Qu'était-elle devenue ? Vers quels cieux nouveaux avait-elle émigré ? Nul ne le savait et n'était en état de renseigner la curiosité des dilettanti.

Vint l'Exposition Universelle. Les « Italiens » se rouvraient. Entre autres étonnements apportés par la grande fête internationale, il en était un réservé aux Parisiens qui, déjà, oubliaient Marie Heilbron. Les affiches des Italiens annoncèrent la Traviata et avec quelle Violetta ? — Marie Heilbron. Elle était retrouvée.

Ses longs mois d'éclipse avaient été employés à des études sérieuses. Cette retraite mystérieuse, attribuée à quelque caprice plus futile ou plus tendre, n'avait eu d'autre but que de ménager à la belle ambitieuse un fécond tête à tête avec le grand art. L'agréable chanteuse d'opérette avait voulu devenir une cantatrice. Grande fut la surprise ; la curiosité ne le fut pas moins.

Paris, sous sa raillerie apparente, sous son rire sceptique, est, au fond, un philosophe de bonne humeur, qui distingue, avec un sens très net, les défauts et les mérites de chacun. Une jolie femme, qui ne se contente pas de sa seule beauté pour séduire les spectateurs et s'astreint à un travail souvent stérile toujours ardu, c'était là un mérite. Paris en sut gré à Mlle Heilbron et accourut tout prêt à l'encouragement.

 

***

 

La surprise fut plus complète encore qu'on ne l'attendait. D'indulgence, d'encouragement, il n'était pas besoin. L'artiste était sûre de soi et en pleine possession du rôle. Ce fut une révélation et une conquête : le public lui appartenait.

Elle a été, depuis, fêtée sur nombre de scènes, elle a connu d'autres ovations, je suis persuadé qu'aucune soirée n'a laissé dans l’esprit de Mlle Heilbron un souvenir plus durable et plus précieux que celui-là. Elle triomphait.

Le succès retentissant, qu'elle avait cherché et qui avait jusqu'alors quelque peu fui devant elle, elle l'avait poursuivi avec une telle persévérance qu'elle le tenait enfin ! Il ne se déroberait plus. Dès ce premier soir, elle le connut, le succès, avec toute son ivresse fleurie, avec les bouquets jonchant la scène, avec les bravos, les rappels, les acclamations de spectateurs en proie à la contagion des applaudissements, et qui ne savent plus comment traduire leur enthousiasme.

Elle était sacrée étoile.

C'était justice. Grâce au travail incessant auquel elle s'était livrée, elle avait développé l'étendue et l'éclat de sa voix, l'ampleur de son jeu et son intelligence scénique. Les progrès étaient considérables et étonnants. On le constata avec non moins de plaisir en l'applaudissant de nouveau dans Il Trovatore, Otello et Lucia.

 

***

 

Elle avait eu l'ambition du succès, le succès était atteint. Elle eut l'ambition des dollars. Paris lui avait donné la consécration de l'artiste. Elle alla demander à l'Amérique la consécration de l'argent. Le nouveau monde ne lui suffit pas. Elle parcourut l'Europe entière, partout fêtée, acclamée, avec le gai spectacle de sa jeune renommée, arrosée de la pluie d'or qui lui permit de venir s'épanouir à Paris, dans un cadre digne d'elle, dans le coquet hôtel Renaissance de la rue de Monceau.

Mais l'occasion lui est offerte de créer un opéra nouveau. Le théâtre Lyrique monte le Bravo de Salvayre. Elle sort de son repos, si bien gagné, elle reparaît, aux yeux de Paris ébloui, plus belle que jamais.

Elle remplace Mlle Ritter dans Paul et Virginie avec Capoul. Elle s'y montre si poétiquement dramatique et si merveilleusement virtuose que Capoul devenu directeur de la salle Ventadour pour y monter les Amants de de Vérone du marquis d'Ivry, enlève sa camarade pour en faire la Juliette rêvée.

On n'a pas oublié le succès de ce couple charmant. Il fut tel qu'il força devant Mlle Heilbron les portes de l'Opéra.

L'idéale Juliette était au comble de son ambition. M. Vaucorbeil, directeur de l'Académie nationale de musique, conclut avec elle un traité de trois ans, aux appointements que voici : 80.000 francs la première année, 96.000 francs la seconde et 116.000 francs la troisième.

 

***

 

Elle débuta dans le rôle de Marguerite de Faust. Ce fut le seul qu'elle aborda sur notre première scène lyrique.

A force de jouer les amoureuses, les douces héroïnes, elle chanta un beau soir pour son propre compte :

 

     ... Quel était ce jeune homme ?.....

     Les grands seigneurs ont seuls des airs si résolus.

 

Elle était prise, la pauvrette !

Peut-être n'était-elle pas fâchée d'être prise. Ayant été étoile comme la Patti, il ne lui déplaisait pas de pousser l'imitation jusqu'au bout, de devenir grande dame, elle aussi, et de rehausser de quelques perles héraldiques la verdure de ses lauriers. Expérience faite, marquise et vicomtesse ne chantent-elles pas à l'unisson aujourd'hui, sur l'air d'un vieux pont neuf qui ne manquait pas de sagesse :

 

     Les parchemins ne font pas le bonheur !

 

Quoiqu'il en dût advenir, la diva ne prévoyait pas les lendemains du bonheur. Elle résilia son engagement avec l'Opéra pour l'engagement irrésiliable du mariage.

J'ai dit avec quel courage elle a supporté la mauvaise fortune, et comment les millions évanouis au jeu de la Bourse, elle s'est mise résolument à les reconquérir sur la scène.

Après avoir chanté à Monte-Carlo, à la Scala de Milan, elle nous est revenue et elle a réalisé de la façon la plus exquise le personnage complexe de Manon, qui sied si bien aux contrastes de sa nature. Elle a, quand elle le veut, le charme espiègle de la grisette, la séduction de la folle enfant dont l'amour et le caprice, furent les seuls guides, en même temps que la grâce savante et onduleuse de la grande dame. La délicatesse et la flexibilité de sa voix s'accordent avec les souplesses de sa taille et l'harmonie de ses attitudes.

La voir et l'entendre sont un double régal que l'égoïsme parisien souhaite de prolonger. N'était la sympathie que Mme Heilbron lui inspire, il remercierait volontiers la mauvaise chance qui, en atteignant l'artiste, lui a ménagé, à lui, cette bonne fortune.

 

(Albert Clennes, Paris-Artiste, 08 mars 1884)

 

 

 

Marie Heilbronn dans Manon (Manon) lors de la création

 

 

Massenet et Marie Heilbronn avaient débuté ensemble au théâtre en 1869 à l'Opéra-Comique. Le musicien faisait représenter son premier ouvrage : la Grand'Tante ; l'artiste qui devait tenir le principal rôle, Marie Roze, lui ayant été retirée au dernier moment, fut remplacée par une jeune débutante de dix-sept ans, Marie Heilbronn.

Quinze ans plus tard Massenet rencontre par hasard, au cours d'une soirée, Marie Heilbronn, qui s'était retirée du théâtre, ayant épousé entre temps un homme fort riche ; mais elle brûlait de remonter sur les planches. Massenet lui dit qu'il est en train de terminer une Manon :

— Quoi, Manon Lescaut ? demande Heilbronn.

— Non, Manon tout court : cela suffit.

Le compositeur va chercher sa partition, rejoint Heilbronn chez elle, dans son appartement des Champs-Élysées et passe le restant de la nuit à lui chanter Manon. Heilbronn, attendrie jusqu'aux larmes, disait en soupirant à travers ses pleurs : « Mais c'est ma vie, tout cela ! »

 

 

 

Marie Heilbronn dans Manon (Manon)

 

 

 

 

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