Louise GRANDJEAN
Louise Grandjean dans les Maîtres chanteurs de Nuremberg (Magdalaine) en 1898
Louise Léonie GRANDJEAN dite Louise GRANDJEAN
soprano français
(2 boulevard de Courcelles, Paris 17e, 27 septembre 1870* – Paris 17e, 18 mai 1934*)
Fille de Théodore François GRANDJEAN (Arcueil, Seine [auj. Val-de-Marne], 04 juin 1841 – Paris 17e, 05 février 1916), dessinateur, et de Louise Geneviève VINCENT (Arcueil, 1844 – Paris 17e, 18 novembre 1904), blanchisseuse, mariés.
Elle était professeur dans les écoles de la ville de Paris depuis 1888, lorsqu'elle se fit admettre au Conservatoire, où elle obtint un premier accessit de chant en 1892, un second prix d'opéra et un premier prix d'opéra-comique en 1893 (élève de MM. Mangin, Crosti, Achard et Giraudet). Engagée aussitôt à l'Opéra-Comique, elle y débuta en 1893, et y fit tout de suite apprécier sa voix étendue et moelleuse dans le Pré-aux-Clercs, joua ensuite Mignon et obtint un succès très mérité en créant, dans Falstaff, le rôle d'Alice Ford. De l'Opéra-Comique elle passa, en 1895, à l'Opéra, où elle se montra dans : Aïda, Sigurd, Lohengrin, Don Juan, le Prophète, Tannhäuser, Patrie !, le Cid, Henri VIII, Othello, l'Etranger, le Trouvère, et créa les Maîtres chanteurs de Nuremberg, Astarté, Tristan et Isolde, etc. Elle fut la première Française invitée à Bayreuth à l'initiative de Cosima Wagner ; elle y chanta Tannhäuser (Vénus) en 1904 (en allemand). Le 11 novembre 1909, elle succéda à Rose Caron comme professeur de chant au Conservatoire de Paris, poste qu'elle occupa jusqu'à sa mort. Elle fut faite chevalier de la Légion d'honneur.
En 1895, elle habitait 15 avenue Victoria à Paris 4e. Elle est décédée en 1934, célibataire, à soixante-trois ans, en son domicile, 20 rue Alphonse de Neuville à Paris 17e. Elle est enterrée au cimetière de Cachan (Val-de-Marne).
Louise Grandjean en 1905
Sa carrière à l'Opéra-Comique
Elle y débuta le 09 décembre 1893 dans le Pré-aux-Clercs (Isabelle).
Elle y participa à la première le 18 avril 1894 de Falstaff (Alice Ford) de Giuseppe Verdi [version française de Paul Solanges et Arrigo Boito].
Elle y chanta Mignon (Philine) et Grisélidis (Bertrade). |
Sa carrière à l'Opéra de Paris
Elle y débuta le 13 mai 1895 dans Tannhäuser (un Page).
Elle y chanta : Aïda (Aïda, 1895) ; Sigurd (Brunehilde, 1896) ; Lohengrin (Elsa, 1896) ; Don Juan (Anna, 1897) ; le Prophète (Berthe, 1899) ; le Bourgeois gentilhomme (Intermède, 1899) ; Tannhäuser (Vénus, 1899) ; Patrie ! (Dolorès, 1900) ; le Cid (Chimène, 1900) ; les Huguenots (Valentine, 1902) ; Henry VIII (Catherine, 1903) ; Othello (Desdémone, 1903) ; l’Etranger (Vita, 1904) ; le Trouvère (Léonore, 1904) ; la Walkyrie (Brunnhilde, 1905) ; le Freischütz (Agathe, 1905) ; la Damnation de Faust (Marguerite, 1910).
Elle y participa à la première le 10 novembre 1897 des Maîtres chanteurs de Nuremberg (Magdelaine) de Wagner [version française d'Alfred Ernst] ; le 31 décembre 1901 de Siegfried (Brunnhilde) de Wagner [version française d'Alfred Ernst] ; le 11 décembre 1904 de Tristan et Isolde (Isolde) de Wagner [version française d'Alfred Ernst] ; le 23 octobre 1908 du Crépuscule des dieux (Brunnhilde) de Wagner [version française d'Alfred Ernst].
Elle y créa le 15 février 1901 Astarté (Déjanire) de Xavier Leroux ; le 06 juin 1906 la Gloire de Corneille (Camille) de Camille Saint-Saëns ; le 31 octobre 1906 Ariane (Phèdre) de Jules Massenet ; le 24 mai 1907 la Catalane (Anita) de Fernand Le Borne ; le 13 février 1910 la Forêt (Némorosa) d'Augustin Savart ; le 09 décembre 1911 Icare (le Génie de la Science) de Deutsch de la Meurthe. |
Louise Grandjean dans Othello de Verdi (Desdémone) à l'Opéra en 1903
Louise Grandjean dans Othello de Verdi (Desdémone) à l'Opéra en 1903
Louise Grandjean dans sa loge à l'Opéra en 1904
Louise Grandjean en 1910 [photo Reutlinger]
Louise Grandjean dans une publicité de 1912
Dès sa sortie du Conservatoire, chanta à l'Opéra-Comique dans le Pré-aux-Clercs, dans Mignon et créa Alice Ford, dans Falstaff. Chante maintenant le grand opéra. C'est dans le rôle d'Aïda qu'elle a fait un excellent début sur notre première scène lyrique et conquis, d'emblée, les faveurs marquées du public. Elle a chanté ensuite Brunehilde, de Sigurd ; Elsa, de Lohengrin ; Dona Anna, de Don Juan. Voix souple et vibrante ; style correct, instinct musical ; grande et belle, visage expressif. (Adrien Laroque, Acteurs et actrices de Paris, juillet 1899)
Fit toutes ses études musicales au Conservatoire. Elle fut l'élève pour le chant de M. Crosti, pour l'opéra-comique de M. Achard, et pour la déclamation lyrique de M. Giraudet. Elle remporta, en 1893, le premier accessit de chant, à l'unanimité : le 2e prix d'opéra et le premier prix d'opéra-comique. Engagée d'office, la même année, au théâtre de l'Opéra-Comique, elle y débuta dans le rôle d'Isabelle du Pré-aux-Clercs avec un éclatant succès ; elle crée ensuite le rôle d'Alice Ford dans Falstaff de Verdi : elle remporta encore une victoire et fut très acclamée à côté de Maurel ; elle chanta aussi le rôle de Philine de Mignon, où elle souleva l'enthousiasme. Après ces grands succès, Mlle Louise Grandjean passa à l'Opéra où elle occupe une situation prépondérante. La délicieuse artiste débuta dans le rôle d'Aïda et chanta successivement Brunehilde de Sigurd ; Vénus de Tannhäuser ; Elsa de Lohengrin ; Marguerite de la Damnation de Faust ; Bertha du Prophète ; Donna Anna de Don Juan. Elle a créé Magdalena des Maîtres Chanteurs de Nuremberg, Dolorès de Patrie !, Chimène dans le Cid, Déjanire dans Astarté et Brunnhilde dans Siegfried. Et dans tous ces rôles ont a toujours vivement applaudi la superbe voix, le grand style et la beauté de la jeune artiste. Mlle Louise Grandjean est une des plus belles et des plus précieuses pensionnaires de l'Opéra. Elle est officier d'Académie. (Annuaire des Artistes, 1902)
Une des meilleures cantatrices de l'Opéra, elle l'a prouvé quand aux côtés de Jean de Reszké elle a paru dans Siegfried. Après sa sortie du Conservatoire, et un court passage à l'Opéra-Comique où notamment elle créa le rôle d'Alice dans Falstaff, elle fut engagée par M. Gailhard qui lui confia les rôles les plus importants du répertoire ; elle s'y est montrée toujours digne de l'estime que son talent lui a conquise. (Participation de L. Grandjean à la matinée de gala donnée au Trocadéro le 21 avril 1903 avec la Patti au bénéfice de la Maison de retraite des vieux comédiens, Paris qui chante n°17, 17 mai 1903)
M. Alvarez et Mlle Grandjean tiennent leurs rôles avec autorité, en grands artistes, pour qui chaque création nouvelle est l'occasion d'un nouveau succès. (Reprise du Trouvère à l'Opéra, Paris qui chante n°78, 17 juillet 1904)
Mademoiselle Louise Grandjean, qui a été avec succès, à notre Académie nationale de musique, Desdemona, d'Otello, Valentine, des Huguenots, Elsa, de Lohengrin, Madeleine, des Maîtres chanteurs, etc., est la première cantatrice française qui aura été admise à l'honneur de chanter à Bayreuth. Elle y interprète Vénus, de Tannhäuser, rôle qu'elle a déjà chanté à Paris. La France ne pouvait à coup sûr être représentée au grand festival allemand par une artiste plus imposante et plus consciencieuse. (Musica n°23, août 1904)
Mlle Grandjean qui, depuis les dernières années, aborde successivement les rôles les plus difficiles et les plus différents, nous a donné une dona Anna d'une émotion troublante. (Reprise de Don Juan à l'Opéra, Paris qui chante n° 95, 13 novembre 1904)
Mlle Louise Grandjean a fait du rôle d'Isolde une création inoubliable. Elle n'a pas été seulement une cantatrice de grand style, mais encore une tragédienne parfaite. (Première de Tristan et Isolde à l'Opéra, Paris qui chante n°102, 01 janvier 1905)
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Louise Grandjean dans Siegfried (Brunehilde) en 1904
Louise Grandjean dans le Crépuscule des dieux (Brunnhilde) en 1910 [photo Bert]
Louise Grandjean dans le Crépuscule des dieux (Brunnhilde)
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Louise Grandjean dans Tristan et Isolde (Isolde)
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Louise Grandjean dans Don Juan (Dona Anna) à l'Opéra en 1904
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Louise Grandjean dans les Huguenots (Valentine) à l'Opéra en 1904 |
Louise Grandjean dans le Freischütz (Agathe) à l'Opéra en 1905
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Louise Grandjean dans Lohengrin (Elsa) à l'Opéra en 1905 |
Louise Grandjean dans Astarté (Déjanire) à l'Opéra en 1901 |
Louise Grandjean dans le Trouvère (Eléonore) à l'Opéra en 1904 |
A ses obsèques, célébrées en l'église Saint-François-de-Sales le 22 mai, Henri Rabaud, directeur du Conservatoire, où elle était encore professeur de l'une des classes de chant, n'a pas eu de peine à retracer la noblesse de sa belle carrière lyrique. Nous n'en avons pas vu de plus entièrement consacrée à son art. Musicienne-née, ses dons lyriques l'avaient, dès l'enfance, conduite à étudier la voix et ses ressources. Déjà elle enseignait dans les écoles de la ville de Paris (1888), quand l'idée lui vint de suivre elle-même une vocation trop évidente. Elle se présenta au Conservatoire, suivit les diverses classes de Mangin, Crosti, Achard, Giraudet, et en sortit en 1893 avec le premier prix d'opéra-comique et le second d'opéra. Elle fut donc aussitôt engagée à l'Opéra-Comique. Mais ce n'était qu'un essai, un stage propre à lui ouvrir les yeux sur son véritable « emploi » lyrique. Car on la croyait d'abord chanteuse légère : elle débuta, le 9 décembre de cette même année, dans le rôle de virtuosité élégante d'Isabelle, du Pré-aux-Clercs, et, peu après, dans celui de Philine, de Mignon. Sa verve de comédienne avait de quoi se mettre en relief et charma de même lorsqu'il lui fut donné de créer l'aimable rôle d'Alice, l'épouse irréprochable et malicieuse de Ford, dans le Falstaff de Verdi, si puissamment incarné par Victor Maurel (1894). Mais l'ampleur de la voix de Louise Grandjean, sa haute taille, ses goûts artistiques, tout devait la conduire à l'Opéra. Elle y entra l'année suivante et ne le quitta plus. Ses débuts sur cette grande scène eurent lieu le 21 décembre 1895, dans Aïda. Tout de suite elle s'imposa par la sûreté impeccable de sa méthode vocale, par la beauté, la richesse de sa voix, par le souci manifeste de composition de son personnage. Ce dernier mérite est, à mon avis, celui qui domine sa carrière. Elle n'était pas de celles dont le « tempérament », comme on dit, domine et emporte toute l'interprétation. Mais il ne lui suffisait pas d'être une cantatrice : elle étudiait à fond son personnage et l'incarnait avec une conscience, une attention, une volonté de perfection que l'on trouvait rarement chez des artistes d'ailleurs plus spontanées. Après Aïda, en 1896, elle fut Brunehilde de Sigurd et Elsa de Lohengrin. Cette dernière figure, si pure, si fière, était son premier essai dans le répertoire wagnérien, qui commençait à peine à s'ouvrir pour nous. Bien qu'elle eût devant elle Rose Caron et Lucienne Bréval, Louise Grandjean s'y fit une place de choix, et nous la verrons y trouver le plus réel triomphe de sa carrière. Après Donna Anna, de Don Juan, en 1897, elle créa le piquant personnage de Magdaleine, la suivante d'Eva, dans les Maîtres chanteurs : on y retrouva avec plaisir les qualités de comédienne laissées naguère à l'Opéra-Comique. C'est elle encore qui fut la première Marguerite de la Damnation de Faust. En 1897, l'occasion ne lui en était donnée que parce que des concerts y avaient été organisés ; mais lorsqu'en 1910, c'est-à-dire dans ses dernières années de carrière, l'œuvre de Berlioz fut réellement mise en scène, nous la verrons, et avec une plus émouvante maturité, sous l'aspect de l'héroïne infortunée de Goethe. En 1899, après la douce Bertha du Prophète, voici, dans Tannhäuser, la rayonnante figure de Vénus : elle ne paraît qu'au début, mais elle doit s'imposer, et Louise Grandjean en donna si bien le caractère que, disons-le tout de suite, elle lui dut, cinq ans plus tard, la faveur insigne (et sans précédent pour une Française) d'être appelée à Bayreuth lorsque Tannhäuser y fut enfin représenté, en 1904. — Mais revenons à l'Opéra. Toujours à la suite de ses aînées, voici Louise Grandjean dans la vibrante Dolorès de Patrie et dans la noble Chimène du Cid (1900). Puis, une création : Déjanire, dans l'Astarté de Xavier Leroux (1901), où elle causa même une vraie surprise par sa grandeur tragique. En 1902, nouvelle figure wagnérienne : Brunehilde enfin ; mais celle de Siegfried, dont le réveil est la dernière scène de l'œuvre. Puis viennent (1903) la reine Catherine d'Henry VIII, la poignante Desdémone d'Othello (à la reprise avec Alvarez) ; Léonore du Trouvère (1904) ; enfin Tristan et Isolde (même année). La création d'Isolde reste je plus impérissable souvenir de Louise Grandjean : sa voix y était plus belle et plus puissante que jamais, et la composition de son rôle, la souplesse de son jeu, fier et tendre, la sûreté de sa diction, la chaleur de son émotion... retenaient constamment l'attention. — En 1905, ce fut la Brunehilde de la Walkyrie, à son tour, et la noble Agathe du Freischütz. En 1906, le personnage de Camille dans la cantate de Saint-Saëns A la gloire de Corneille, et une nouvelle création : Phèdre, dans l'Ariane de Massenet ; composition peu commode, où Louise Grandjean marqua fortement les contrastes de la sincérité et de la traîtrise, de la passion et de la fierté farouche. En 1907, autre création : Anita, de la Catalane de Le Borne. En 1908, nouveau triomphe wagnérien : la Brunehilde du Crépuscule des dieux, lourde charge, qu'elle soutint avec une rare vaillance et dont elle eut ainsi l'honneur de la première apparition. A cette époque, nulle chanteuse wagnérienne n'était plus chaudement appréciée, soit sur la scène, soit dans les concerts du Conservatoire, de Colonne, de Lamoureux (1908-1910). A l'Opéra, elle reparut dans Lohengrin et dans Sigurd pour les débuts de Franz, dans la Walkyrie et dans Tristan aux côtés de l'incomparable Van Dyck... Sa dernière création fut dans la belle composition symbolique de Savard : la Forêt, où elle était la cruelle et alanguie Nemorosa, chargée d'égarer l'esprit du bûcheron Delmas (1910). — Mais déjà, le 11 novembre 1909, Louise Grandjean avait été nommée professeur au Conservatoire de la classe de chant abandonnée par Rose Caron : elle résolut de s'y dévouer entièrement. Professeur dans l'âme, avec passion, elle est morte en quelque sorte à la peine, pendant sa vingt-cinquième année d'enseignement. La croix de la Légion d'honneur avait très justement consacré son dévouement et ses succès. (Henri de Curzon, Larousse mensuel n°333, novembre 1934).
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Louise Grandjean dans Tannhäuser (Vénus)