Marthe CHENAL
Louise Anthelmine CHENAL dite Marthe CHENAL
soprano français
(59 [auj. 108] avenue de Gravelle, Saint-Maurice, Seine [auj. Val-de-Marne], 24 août 1881* – Paris 8e, 28 janvier 1947*)
Fille de Gaspard Lucien CHENAL (Aime, Savoie, 12 février 1841* – Maisons-Alfort, Seine [auj. Val-de-Marne], 29 juillet 1919*), chef de brigade au ministère des postes et télégraphes puis directeur des Postes [fils de François Joseph CHENAL (Granier, Savoie, 08 juillet 1794 –), propriétaire laboureur], et de Désirée Augustine Mathilde VASSE (Graville-l’Eure [auj. dans Le Havre], Seine-Inférieure [auj. Seine-Maritime], 22 mai 1844* – 12 rue des Écoles, Charenton-le-Pont, Seine [auj. Val-de-Marne], 13 septembre 1896*), couturière, mariés à Paris 11e le 18 janvier 1876*.
Soeur de Lucien Paul CHENAL (Paris 2e, 08 décembre 1869* – 1943), employé de commerce [épouse à Paris 12e le 20 mars 1909* Marie Cécile Angèle MOUGEL (Vagney, Vosges, 08 décembre 1859* –), modiste], et de Louise Marie CHENAL (Saint-Maurice, 09 février 1879* – Paris 16e, 23 avril 1911*) [épouse à Paris 12e le 04 janvier 1908* Paul Albert Désiré MOUGEL (Champigneulles, Meurthe-et-Moselle, 23 avril 1880* –), inspecteur du service de la sûreté, fils naturel de Marie Cécile Angèle MOUGEL (voir ci-dessus)].
Une des plus brillantes cantatrices du début du XXe siècle, une des plus dynamiques aussi. C'était une personnalité fantasque aux caprices inattendus et aux colères redoutées. Soprano dramatique au timbre prenant, elle a excellé dans de grands rôles du répertoire lyrique (Carmen, le Roi d’Ys, la Tosca). Elle entra au Conservatoire en 1901, y obtint en 1904 une 2e médaille de solfège des chanteurs (élève de Mme Vinot), puis en 1905 les premiers prix de chant (élève d'Auguste de Martini) et d'opéra (élève de Léon Melchissédec) à l'unanimité, et débuta à l'Opéra le 13 décembre de la même année. En 1908, elle entra à l'Opéra-Comique dans Aphrodite. Elle y créa Sanga, On ne badine pas avec l'amour, la Sorcière et le Roi Candaule, mais y fut surtout l'interprète étonnante de Carmen, Tosca, Margared et Jean, du Jongleur de Notre-Dame. Elle s’engagea comme infirmière dès les premiers jours d’août 1914. Rappelée à l’Opéra-Comique dès sa réouverture, elle alla souvent chanter sur le front et donna son concours à toutes les œuvres de bienfaisance qui le lui demandaient pour venir en aide aux soldats et aux blessés. Le 14 février 1915, aux Concerts Colonne-Lamoureux, elle participa à la première audition de Paris, ode patriotique de César Franck. Le soir de l'armistice, 11 novembre 1918, elle chanta la Marseillaise drapée dans les trois couleurs, sur le péristyle du Palais Garnier face à la place de l’Opéra, devant une foule immense. Elle la chanta également à Strasbourg le 22 novembre suivant, jour de l’entrée des troupes françaises dans cette ville. Après la Première Guerre mondiale, elle poursuivit sa carrière sur les deux scènes lyriques nationales, et parut à la Gaîté-Lyrique dans les opérettes Boccace (Boccace, 1921) et la Fille de Madame Angot (Mademoiselle Lange, 1924). Le 10 décembre 1925, elle fut choisie pour chanter salle Favart le 50e anniversaire de Carmen. Elle fit des tournées à l’étranger et obtint de vifs succès à New York. Elle prit sa retraite en 1934. Titulaire des palmes académiques et de la Médaille de la Reconnaissance française, elle fut nommée chevalier de la Légion d’honneur le 20 novembre 1937.
En 1906, elle habitait 6 cité Pigalle à Paris 9e ; en 1907, 42 rue de la Bienfaisance à Paris 8e. En 1922, elle donnait des cours de chant 14 avenue Emile-Deschanel à Paris 16e. De 1921 à sa mort, elle posséda un hôtel particulier au 94 rue de Courcelles à Paris 8e, où une plaque de marbre commémorative rappelle qu’elle chanta la Marseillaise au balcon de l’Opéra le 11 novembre 1918. Elle a également possédé la villa « Le Cloître » à Villers-sur-Mer (Calvados). Elle est décédée en 1947, célibataire, à soixante-cinq ans, dans son hôtel particulier. Elle est enterrée au cimetière de Maisons-Alfort.
=> coupures de presse recueillies par Marthe Chenal
=> album photo de Marthe Chenal
=> la Marseillaise vivante, par Michel Defaye
bottin mondain de 1942
Sa carrière à l'Opéra de Paris
Elle y débuta le 13 décembre 1905 dans Sigurd (Brunehild).
Elle y créa le 30 décembre 1910 le Miracle (Alix-la-Courtisane) de Georges Hüe ; le 19 décembre 1911 Icare (la Nymphe des Bois) d’Henry Deutsch de la Meurthe ; le 05 février 1916 la Forêt sacrée (Bellone) de Charles Pons ; le 01 avril 1919 Intermède (la Reine de Paris) ; le 14 juillet 1919 Fête triomphale (la Gloire) de Reynaldo Hahn ; le 30 janvier 1922 la Mégère apprivoisée (Catharina) de Charles Silver.
Elle y participa à la première le 06 avril 1916 de Graziella (Graziella) de Jules Mazellier [2e acte, 2e tableau] ; le 24 novembre 1917 de Jeanne d’Arc (Jeanne d’Arc) de Raymond Rôze ; le 17 décembre 1919 de Goyescas (Rosario) d’Enrique Granados.
Elle y chanta le Freischütz (Annette, 1906) ; Tannhäuser (Elisabeth, 1906) ; Ariane (Ariane, 1907) ; Faust (Marguerite, 1907) ; Armide (Armide, 1910) de Gluck ; Iphigénie en Tauride (Iphigénie, 1916) ; Thaïs (Thaïs, 1917) ; la Damnation de Faust (Marguerite, 1917) ; Monna Vanna (Monna Vanna, 1918) ; Salammbô (Salammbô, 1919). Le soir du 11 novembre 1918, elle chanta la Marseillaise sur le péristyle du théâtre, avec les Chœurs de l’Opéra, accompagnée au piano. Le lendemain, elle chanta la Marseillaise dans la salle en début de spectacle, puis à l’issue du spectacle à nouveau sur le péristyle, accompagnée les deux fois par les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra sous la direction de Gabriel Grovlez. |
Sa carrière à l'Opéra-Comique
Elle y débuta le 11 février 1908 dans Aphrodite (Chrysis).
Elle y créa le 30 mai 1910 On ne badine pas avec l'amour (Camille) de Gabriel Pierné ; le 18 décembre 1912 la Sorcière (Zoraya) de Camille Erlanger ; le 25 février 1915 les Soldats de France, épisode lyrique où elle chanta la Marseillaise ; le 13 avril 1915 Sur le front (la Marseillaise), épisode lyrique où elle chanta la Marseillaise ; le 20 janvier 1916 le Tambour d’Alfred Bruneau ; le 01 décembre 1920 le Roi Candaule (la Reine Tudo) d’Alfred Bruneau.
Elle y participa à la première le 09 décembre 1908 de Sanga (Sanga) d’Isidore de Lara ; le 28 décembre 1918 de la Fille de Madame Angot (Mademoiselle Lange) de Charles Lecocq.
Elle y chanta la Tosca (Floria Tosca, 1908) ; le Roi d'Ys (Margared, 200e en 1909 ; 400e en 1926) ; Carmen (Carmen, 1911) ; le Vaisseau fantôme (Senta, 1911) ; Don Juan (Dona Anna, 1912) ; le Rêve (Angélique, 1914) ; le Jongleur de Notre-Dame (Jean, 1915) ; Sapho (Fanny Legrand, 1916).
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Marthe Chenal dans Aphrodite (Aphrodite) en 1908 [photo Nadar]
Marthe Chenal dans Aphrodite (Aphrodite) en 1908
13 décembre 1905. — Début de Mlle Chenal dans le rôle de Brunehild de Sigurd. — Aux concours du Conservatoire du mois de juillet dernier, Mlle Chenal fut la grande révélation de la journée du chant des élèves femmes. Nous nous rappelons encore avec quelle incontestable autorité elle posa le récitatif de l'air d'Alceste, avec quelle noble simplicité elle interpréta la vigoureuse musique de Gluck dont elle sut nous faire comprendre les sereines beautés et comme elle nous apparut alors très théâtrale et merveilleusement taillée pour la scène. A son premier prix de chant elle ajoutait, quelques jours après, un premier prix d'opéra qui la faisait immédiatement engager par M. Gailhard. Mlle Chenal était décidément la noble interprète de Gluck. Elle avait triomphé, nous venons de le dire, dans l'air d'Alceste ; c'est avec la même pureté de style, la même aisance et la même autorité que, tenant à elle seule toute la scène, elle déclamait le cinquième acte d'Armide : véritable tour de force, puisque rôle si tendre n'était pas écrit dans la tessiture de sa voix. Et c'est avec plaisir que nous la retrouvions ensuite faisant sonner ses belles notes de mezzo dans l'Odette de Charles VI, où elle montrait toute l'adresse et toute la souplesse de son talent de comédienne. Mlle Chenal a justifié, fort heureusement, toutes les jolies espérances que nous avions mises en elle. C'est d'une belle voix, généreuse et dramatique, qu'elle a chanté le rôle de Brunehild de Sigurd, et la carrière de la débutante s'annonce déjà comme extrêmement brillante. Ajoutons que l'interprétation de l'ouvrage de M. Reyer était excellente avec MM. Affre, Noté et Gresse, et que la soirée — qui doit être marquée d'un blanc caillou — fut, de tout point, digne de l'Opéra. (Edmond Stoullig, les Annales du Théâtre et de la Musique - année 1905, 1906)
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Marthe Chenal dans Carmen (Carmen)
Marthe Chenal en 1911 [photo Paul Berger]
Marthe Chenal en 1912
Marthe Chenal en 1912 [photo Reutlinger]
Marthe Chenal dans la Sorcière (Zoraya) lors de la création en 1912 [photo Félix]
Grande, très belle, d'une beauté de noblesse et de charme, Mlle Chenal fut la triomphatrice des concours du Conservatoire de 1905 et la seule qui remporta brillamment les deux premiers prix de chant et d'opéra ; elle fut la révélation de la journée dans ces deux épreuves. A son concours de chant elle interpréta le grand air d'Alceste avec un beau tempérament, avec de l'autorité, avec du style, de la chaleur et une fort belle voix ample, superbe et bien posée ; elle concourut, pour l'opéra, dans le 5e acte d'Armide, où, avec de beaux gestes, avec une noblesse d'expression, avec une intelligence scénique étonnante, elle montra un admirable tempérament de théâtre et pour tous, l'avenir de Mlle Chenal apparut très glorieux. Mlle Anthelmine-Marthe Chenal est née à Saint-Maurice, près de Paris, en août 1881 ; elle est la fille de M. Chenal, directeur des postes en retraite et conseiller municipal à Charenton. Elevée au couvent du Sacré-Cœur de Conflans, elle termina ses études à l'école laïque qu'elle quitta après avoir remporté tous ses brevets. Possédant une très jolie voix, elle fut admise en octobre 1901 au Conservatoire où elle entra, pour le chant, dans la classe de M. de Martini et, pour l'opéra, dans celle de Melchissédec ; elle sortit, triomphante, en août 1905, de notre Ecole nationale munie d'un premier prix de chant (première nommée), d'un premier prix d'opéra (première nommée) et d'une médaille de solfège. Engagée à l'Opéra, ses débuts y eurent lieu, avec un plein succès, le 13 décembre 1905, dans le rôle de Brunehild de Sigurd. Sa belle prestance, la fraîcheur et la souplesse de sa voix, sa déclamation très sûre lui ont valu de vifs applaudissements qu'ont partagés avec elle MM. Affre, Noté et Mlle Yvonne Dubel (dans le rôle de Hilda). Merveilleusement douée, la jeune artiste, en plus du théâtre, fait très gentiment de l'aquarelle et du dessin d'après nature ; Mlle Anthelmine Chenal est, en outre, enthousiaste de tous les sports : le cheval, le yacht, l'escrime, le billard, etc., la passionnent !! (Annuaire des Artistes, 1906)
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Marthe Chenal
Marthe Chenal dans la Tosca (Floria Tosca) en 1916
Liège. — Théâtre Royal — Carmen fut chantée samedi par Mlle Chenal devant une salle comble : la location, pour cette représentation, était fermée depuis quinze jours. L'artiste parisienne est bien décidément l'idole du public liégeois, et ce n'est pas un mince mérite, pour M. Vilette, de s'être fait applaudir auprès d'elle, et pour le ténor Marny, de s'être vu bisser la romance du second acte. Du reste, le jeu de ces deux artistes a admirablement secondé celui, si spontané, de Mlle Chenal, qui donne à Carmen une caractéristique d'insouciante gaîté, devenant, logiquement, dans la suite, une insouciante froideur. Que de vérité, au dernier acte, dans sa physionomie lassée, reflétant la conviction de l'inéluctable fatalité, le dégoût de l'ancien amant, le farouche dédain du mensonge libérateur ! L'artiste fut rappelée indéfiniment ; nous la reverrons ici le 22 courant. (C. Bernard, le Guide musical, dimanche 11 janvier 1914)
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Croquis d'artistes — Marthe Chenal
Grande, élancée, des yeux d'un noir
profond, sous d'ardents cheveux bruns, un teint éblouissant, une beauté
énergique et comme frémissante de vie, une voix au timbre chaud et
rayonnant, un geste éloquent par la personnalité d'expression qu'il
souligne, enfin une volonté forte, une volonté combative, audacieuse,
entêtée, joyeuse... ; telle apparaît Anthelmine-Marthe Chenal à qui veut
en « croquer » sur le papier les traits essentiels. Née sur les rives de la Seine, aux portes de Paris, c'est au cours d'une éducation très complète, au Sacré-Cœur de Conflans, qu'elle développa son goût pour les arts et donna le premier essor à sa voix. Mais il ne lui suffit bientôt plus de charmer le maître de musique du couvent, ou même d'approfondir l'enseignement que lui donna ensuite Mme de Lausnay, la mère du pianiste. Elle voulut le Conservatoire. Telle n'était pas du tout l'idée de ses parents ; mais elle le voulait : donc elle l'eut. Je m'explique : elle se présenta, sans rien dire, fut reçue, et força ainsi la main à son père, qui céda. Cette première victoire, cependant, n'était rien. L'enseignement du Conservatoire est souvent une bonne « épreuve » pour les jeunes enthousiasmes. Lorsque arriva l'heure des concours, Mlle Chenal n'obtint même pas de paraître en « opéra », tout son rêve ; et si on lui laissa le « chant » (elle appartenait à la classe de M. de Martini), ce fut pour l'oublier totalement au scrutin des récompenses. Beaucoup s'en étonnèrent. C'était en 1904, et je retrouve dans mes notes ces indications précises : voix puissante, intentions dramatiques, vraie personnalité. Un encouragement s'imposait. Voici celui qu'elle eut : « Vous n'avez qu'une chose à faire, lui dit très sérieusement un autre de ses professeurs. Vous voyez qu'ici l'on ne veut pas de vous. Tenez-vous-en là ! On cherche en ce moment une commère pour la Revue du Moulin-Rouge. J'en fais mon affaire. C'est une occasion superbe ; ne la manquez pas ! » Marthe Chenal se le tint pour dit... mais pas de la façon qu'on lui conseillait. « Ah ! on ne veut pas de moi au Conservatoire ? s'écria-t-elle... Ah ! on me conseille des rôles de revue ?... Eh bien, on va voir ! » Et l'on vit ceci. Au bout de l'année, aux deux concours de chant et d'opéra, elle obtenait les deux premiers prix, mais éclatants, mais d'une supériorité absolue sur tous les autres. Et le piquant, c'est que personne ne s'y attendait le moins du monde, pas plus les élèves que les professeurs. La maligne avait, toute l'année, caché son jeu, ménagé ses effets, dissimulé ses progrès... Qui se fût douté du travail énorme auquel elle s'était livrée seule, écoutant, observant, développant de toute façon cette personnalité latente, déjà remarquable ? C'est sous les auspices de Gluck qu'elle avait vaincu : le dernier air d'Alceste et la scène finale d'Armide, qui exige tant d'éclat et de puissance, avaient affirmé un tempérament tout à fait rare. Immédiatement engagée à l'Opéra, elle débuta, le 13 décembre de cette même année 1905, dans ce fier et poétique rôle de Brunehild, de Sigurd, que Mme Rose Caron a empreint d'un style si rarement évoqué depuis elle. L'apparition de la nouvelle héroïne fut l'une des dernières joies du vieux maître Reyer, qui déclara qu'il ne voulait plus d'autre interprète que celle-là. Le fait est que Marthe Chenal avait tout pour elle : l'éclat de la jeunesse et la fermeté du geste, la souplesse de la voix et l'autorité de l'accent, la simplicité naturelle et l'accent dominateur. Toute sa conception du rôle offrait un intérêt constant, parce qu'elle était variée comme la vie. Cette impression de variété est caractéristique chez elle. On sent que l'origine en est dans une joie intense de composition, au don d'assimilation très développé et très rapide. Ce sont les marques de toute vraie vocation. Mlle Chenal est de ces interprètes qui ne connaissent pas que leur rôle, et qui pourraient au besoin jouer tous les autres, parce qu'elles ont commencé par se pénétrer de l'ensemble de l'œuvre. Ne pas se spécialiser, c'est son plus cher désir, — et elle vient encore d'en donner la preuve ; — être vraiment éprise de chacun de ses personnages, c'est son but, auquel elle atteint sans effort. Car il importe d'aimer fortement un rôle, pour le bien rendre ; et elle déclare qu'elle les « préfère » tous. Chacun d'eux lui représente une étude spéciale, une conception originale. Les nommer successivement, c'est souligner les étapes d'un assouplissement continu et fécond. — Voici l'exquise Annette du Freischütz et la pure Elisabeth de Tannhäuser, qui firent autant d'honneur à son goût qu'à son style. Voilà la Marguerite de Faust, où elle fut vraie et simple au possible, sous l'humble costume qui lui convient (chose presque nouvelle alors), et la douloureuse Ariane, au pénétrant caractère. C'est, pour son entrée à l'Opéra-Comique, en février 1908, la plastique et somptueuse Chrysis d'Aphrodite, et depuis, la vibrante Tosca, la sauvage et passionnée Sanga, création incomparable de couleur, ou la sombre Margared du Roi d'Ys, d'un style si ferme, ou la fière Camille dans On ne badine pas avec l'amour.... C'est aussi, à Bordeaux, la belle apothéose de Bacchus triomphant, où il fallait vraiment une voix de lumière, comme la sienne ; à Monte-Carlo (en 1909 et 1910) le double rôle de Marguerite et d'Hélène dans Mefistofele, chanté en italien ainsi que la Tosca, Fedora, la Roussalka ; puis une superbe reprise de Proserpine. L'Opéra, cependant, regrettait fort une aussi précieuse interprète. Pour la reprendre il lui offrit Armide, qu'elle incarna en effet avec une joie visible, une beauté d'art comme épanouie, et le Miracle, dont elle fut l'inoubliable héroïne, enveloppante et fière. Mais, dès l'année suivante, en 1911, la poétique Senta, du Vaisseau fantôme, aux accents si inspirés, la rappelait à l'Opéra-Comique, et aussi Carmen, où elle sut être originale et d'une souplesse féline ; et, sauf à Rouen (en 1912), l'Aube rouge, nouvelle création, frémissante de fièvre, c'est toujours sur cette scène que nous venons de l'applaudir dans Donna Anna, de Don Juan, évoquée avec une sobriété distinguée qui laissait transparaître, mais à peine, la flamme intérieure ; dans la Sorcière, la plus belle peut-être, de ses créations, pathétique et simple, et tendre, et pénétrante... ; dans la pure Angélique du Rêve enfin, qui en semble si loin, et où pourtant elle est toujours si vraie. Mais qu'ai-je besoin d'insister sur des évocations aussi présentes encore à l'esprit de tous ? Marthe Chenal a si bien fait qu'avec elle, les rôles les plus écrasants n'étonnent pas plus que ce contraste incessant où elle se plaît, entre les caractères, les personnalités, les races mêmes. Aussi bien, il faut la voir quand elle porte en elle quelque œuvre nouvelle : elle en frémit de joie. Vivre longuement, entièrement, avec une héroïne qui sera un instant elle-même ; en évoquer l'image, en surprendre la pensée, s'en assimiler l’âme, telle est la passion maîtresse de cette ardente artiste ; et cette séduction même, dont elle est pénétrée la première, est tout le secret de celle qu'elle exerce ensuite sur nous. N'est-ce pas là proprement ce qu'on nomme la « création » de l'interprète ? Il est épris de tout ce qui est beau, mais en même temps il observe ; et il sent vivement, mais en même temps il est tellement maître de sa technique et de ses procédés qu'il arrive à ne laisser paraître, et par suite à communiquer, que l'impression spontanée qu'il a reçue. Marthe Chenal, sur la scène, crée vraiment de la vie. (Henri de Curzon, le Guide musical, 10 et 17 mai 1914)
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la Marseillaise
La réouverture des théâtres de Paris : une grande artiste, Mlle Chenal, incarne et chante l'hymne national à l'Opéra-Comique. (dessin de Georges Scott)
C'est aux accents de la Marseillaise que les théâtres ont fait leur réouverture dimanche dernier. Paris, qui s'était dressé silencieux et rassemblant son énergie devant l'invasion qui le menaçait, a retrouvé sa confiance, son besoin d'animation, toute sa santé. Il a eu le désir de retourner au théâtre. Mais ce n'étaient pas des spectacles légers qu'il demandait. Il voulait principalement se réunir, s'épanouir, se fortifier dans les saines leçons des classiques, dans les rêves de la musique.
Dans cet esprit, deux théâtres subventionnés ont donné et organisent des matinées qui obtiennent le plus grand succès. A la Comédie-Française, on jouait Horace, dimanche dernier, et à la fin du spectacle M. Mounet-Sully déclama la Marseillaise, comme aux matinées officielles du 14 Juillet. A l'Opéra-Comique, après la plus heureuse reprise de la Fille du régiment et une superbe interprétation du Chant du départ, un public enthousiaste vit apparaître Mlle Marthe Chenal qui chanta l'hymne national de sa voix si prenante et vibrante et, étendant ses bras, déploya un drapeau au centre duquel elle apparut comme la vivante victoire.
(12 décembre 1914)
Marthe Chenal en 1915, avec la coiffe alsacienne et le drapeau tricolore [photo Henri Manuel]
Externe au Sacré-Cœur de Conflans, Mlle Chenal fait de fortes études littéraires. Son père, ancien directeur des Postes, et sa mère, lui font suivre des cours de musique, et tandis qu'elle va prendre une leçon, elle rencontre dans le tramway « Clignancourt-Bastille », un professeur de chant, ami de sa famille, qui lui conseille de travailler pour le théâtre. Ses parents s'opposant à la carrière lyrique, sans les prévenir elle se présente au Conservatoire, y est reçue en novembre 1901, dans les classes de MM. Martini et Melchissédec et, en 1905, elle en sort avec les deux premiers prix de chant et d'opéra, ce dernier remporté dans Armide. Engagée à l'Opéra, elle y débute en 1905 dans Sigurd (Brunehilde), puis elle y chante le Freischütz, Tannhäuser (Elisabeth), Faust (Marguerite), Ariane. En 1908, elle passe à l'Opéra-Comique pour reprendre Aphrodite (Chrysis), chante la Tosca, le Roi d'Ys, et elle y fait les créations de Sanga (1909), et On ne badine pas avec l'amour (1910). Après avoir interprété pour la première fois à Bordeaux en 1909 Bacchus triomphant, elle signe de nouveau avec la direction de l'Opéra en 1910 où elle chante Armide et où elle crée le Miracle. En 1912, elle fait les créations de la Sorcière (à l'Opéra-Comique), l’Aube Rouge à Rouen et elle chante ensuite Icare à l'Opéra. Dès le début des hostilités, elle est infirmière à Deauville, et, dès novembre 1914, elle chante d'une incomparable voix la Marseillaise. Pendant et depuis la guerre, elle crée le Tambour (Opéra-Comique), le Triomphe et les Goyescas (Opéra), les Trois Mousquetaires (Cannes). Son répertoire est nombreux et varié, il comprend entre autres pièces : Armide, Don Juan (Dona Anna), la Damnation de Faust, le Freischütz, Proserpine, Lohengrin, Tannhäuser, les Maîtres Chanteurs, le Vaisseau fantôme, Salammbô, Sigurd, Faust, Carmen, Aïda, la Tosca, Cavalleria rusticana, Fédora, Mefistofele, les Goyescas, le Jongleur de Notre-Dame, Thaïs, Sapho, Werther, la Navarraise, Ariane, Grisélidis, Aphrodite, la Sorcière, l'Aube Rouge, Bacchus Triomphant, le Roi d'Ys, Louise, Monna Vanna, Gismonda, le Roi Candaule, le Rêve, le Tambour, le Miracle, Icare, On ne badine pas avec l'amour, le Triomphe, Sanga, les Trois Mousquetaires, la Grande-Duchesse, la Fille de Madame Angot, la Belle Hélène, Boccace, etc. De retour à l'Opéra en 1922 elle y crée la Mégère apprivoisée. (Nos vedettes, 1922)
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Marthe Chenal dans Boccace (Boccace) à la Gaîté-Lyrique en 1921 [photo Gilbert-René]
Marthe Chenal [photo Henri Manuel]
Marthe Chenal n’est plus. Marthe Chenal, pour beaucoup, restera d'abord la sculpturale cantatrice qui, enrobée dans les plis d'un drapeau tricolore, chanta la Marseillaise au balcon de l'Opéra, le 11 novembre 1918. Elle était, en fait, l'une des plus éminentes interprètes du répertoire. Sa puissance vocale lui avait valu de débuter, dès après sa sortie du Conservatoire, en 1905, dans Sigurd, à l'Opéra, et sa beauté avait fait d'elle l'interprète idéale d'Aphrodite, mais l'étendue de son registre et ses dons de comédienne lui avaient aussi bien permis d'interpréter l'opérette comme en témoignèrent ses succès dans la Fille de Madame Angot et dans Boccace. Chevalier de la Légion d'honneur, Marthe Chenal était membre du jury du Conservatoire. (le Franc-tireur, 30 janvier 1947)
Les obsèques de Mlle Marthe Chenal. Les obsèques de Mlle Marthe Chenal, de l'Opéra et de l'Opéra-Comique, ont été célébrées hier matin en l'église Saint-Charles-de-Monceau. De nombreuses personnalités du théâtre, des arts et des lettres assistaient à la cérémonie à l'issue de laquelle M. Henri Malherbe, directeur de l'Opéra-Comique, a prononcé l'éloge funèbre de la défunte. L'inhumation a eu lieu au cimetière de Maisons-Alfort. (l’Aurore, 02 février 1947)
Un diamant de 30 millions de francs a disparu de la succession de Marthe Chenal. C'était un des cadeaux, offert par Henri de Rothschild, en 1920, à la célèbre cantatrice. Les héritiers qui ont été découverts avec beaucoup de peine par des généalogistes, envisagent, paraît-il, l'ouverture du cercueil. L'enquête semble très difficile. (le Franc-tireur, 13 mai 1947)
Un diamant de 22 carats ayant appartenu à Marthe Chenal a disparu. Un diamant de 22 carats ayant disparu de l'appartement de Marthe Chenal, rue de Courcelles, une des héritières de l'artiste, sa nièce, Mme veuve Ludovic Mathieu, porta plainte contre X... en vol et se constitua partie civile. L'inspecteur Julliot, de la brigade criminelle de la police judiciaire, apprenant que l'appartement allait être occupé par un nouveau locataire, a demandé à M. Devise, juge d'instruction chargé de l'affaire, une commission rogatoire pour faire apposer les scellés en vue de pratiquer une perquisition avant le déménagement. Le policier veut rechercher si le joyau ne se trouve pas dans une cachette. (l’Aurore, 13 mai 1947)
A l’Hôtel Drouot. La vente Marthe Chenal. Maîtres Charpentier et Hoebaux avec l'expert René Berthéol ont vendu hier, à l'Hôtel Drouot, les meubles, objets d'art, tapis et tableaux ayant appartenu à Marthe Chenal la célèbre cantatrice de l'Opéra et de 1'Opéra-Comique, morte récemment. La vente a produit 3 millions et demi. (l’Aurore, 12 juin 1947)
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la villa « Le Cloître » à Villers-sur-Mer (Calvados), propriété de Marthe Chenal
Discographie Pathé saphir 90 tours
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Air des Larmes extrait de l'acte III de Werther de Massenet Marthe Chenal (Charlotte) et Orchestre dir François Rühlmann Pathé saphir 80t n° 49, mat. 1869, enr. en 1915
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Air "Il est doux, il est bon" extrait de l'acte I d'Hérodiade de Massenet Marthe Chenal (Salomé) et Orchestre dir. François Rühlmann Pathé saphir 90t n° 1900, réédité sur 80t n° 50, enr. en 1915
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Habanera "L'amour est un oiseau rebelle" extrait de l'acte I de Carmen de Bizet Marthe Chenal (Carmen) et Orchestre dir François Rühlmann Pathé saphir 80 tours n° 49, mat. 1871, enr. en 1915
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"Salut, splendeur du jour" extrait de l'acte II de Sigurd de Reyer Marthe Chenal (Brunehild) et Orchestre dir. François Rühlmann Pathé saphir 90 tours n° 1872, réédité sur 80 tours n° 50, enr. en 1915
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Prière "D'art et d'amour" extrait de l'acte III de la Tosca de Puccini [version fr. de Paul Ferrier] Marthe Chenal (Floria Tosca) et Orchestre dir. François Rühlmann Pathé saphir 90 tours n° 1941, réédité sur 80 tours n° 51 et 481, enr. en 1915
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Duo "Jours fortunés de notre enfance" extrait de l'acte II de la Fille de Madame Angot de Lecocq Marthe Chenal (Mademoiselle Lange), Jeanne Tiphaine (Clairette) et Orchestre dir. François Rühlmann Pathé saphir 90 tours n° 1952, réédité sur 80 tours n° 2504, enr. en 1915
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Invocation à Vénus "On me nomme Hélène la blonde" extrait de l'acte II de la Belle Hélène d'Offenbach Marthe Chenal (Hélène) et Orchestre dir. François Rühlmann Pathé saphir 90 tours n° 1964, réédité sur 80 tours n° 2006 et 481, enr. en 1915
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Duo "C'est une chanson d'amour" extrait de l'acte IV des Contes d'Hoffmann d'Offenbach Marthe Chenal (Antonia), Léon Beyle (Hoffmann) et Orchestre dir. François Rühlmann Pathé saphir 90 tours n° 1973, réédité sur 80 tours n° 2504, enr. en 1915
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(Charles Gounod) Marthe Chenal et Orchestre dir François Rühlmann Pathé saphir 80 tours n° 51, mat. 1966, enr. en 1915
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le Chant du départ (Chénier / Méhul) Marthe Chenal et Orchestre dir. François Rühlmann Pathé saphir 90 tours n° 2314, réédité sur 80 tours n° 52, enr. en décembre 1915
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la Marseillaise (Rouget de Lisle) Marthe Chenal et Orchestre dir. François Rühlmann Pathé saphir 90 tours n° 2319, réédité sur 80 tours n° 52, enr. en décembre 1915
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