Nadia BOULANGER

 

Nadia Boulanger [photo Harcourt]

 

 

Juliette Nadia BOULANGER dite Nadia BOULANGER

 

professeur, compositrice, pianiste et chef d'orchestre français

(35 rue de Maubeuge, Paris 9e, 16 septembre 1887* – Paris 9e, 22 octobre 1979*)

 

Fille d'Ernest BOULANGER, compositeur, et de Raïssa, princesse MISCHETZKY ; sœur aînée de Lili BOULANGER, compositrice.

 

 

2e second grand prix de Rome en 1908 avec la cantate la Sirène, elle est l’auteur d’une Rapsodie pour piano et orchestre, d’un cycle de mélodies en collaboration avec Raoul Pugno sur les vers de Verhaeren : les Heures claires (1909-1912) ; elle a terminé en 1913 la Ville morte, opéra inachevé de Raoul Pugno d’après un drame de D’Annunzio. Elle s’est surtout consacrée à l’enseignement. Professeur d’histoire de la musique, de composition, de direction d’orchestre et de chœur, d’abord à l’Ecole normale de musique de Paris (1920-1939), puis aux États-Unis, titulaire de la classe d’accompagnement au Conservatoire de Paris (1945-1957), elle professa au Conservatoire américain de Fontainebleau de 1921 à 1950, et dirigea cette institution de 1949 à sa mort. Elle a réintégré en 1957 l’Ecole normale de musique. Parmi ses élèves les plus doués, citons Jean Françaix et Igor Markevitch. Elle était maître de chapelle du prince de Monaco. Chef d’orchestre, chef de chœur, elle a ressuscité de nombreuses œuvres de Monteverdi, de Bach. Elle a été nommée officier, grand officier (1977), puis commandeur de la Légion d'honneur.

En 1904, elle habitait 36 rue Ballu à Paris 9e. Elle est décédée en 1979, célibataire, à quatre-vingt-douze ans en son domicile, 3 place Lili-Boulanger à Paris 9e. Elle est enterrée au cimetière de Montmartre (33e division).

 

 

 

œuvres lyriques

 

la Ville morte, opéra, livret de Gabriele D'Annunzio, d'après son drame la Città morta (1898), musique de Raoul Pugno et Nadia Boulanger, terminé par Nadia Boulanger (1910-1913)

 

mélodies

 

les Heures claires, cycle, poèmes d'Emile Verhaeren, composé avec Raoul Pugno (1909)

 

 

 

Nadia Boulanger en 1910 [photo Manuel]

 

 

 

Plus hospitalière aux musiciens vivants qu'elle ne l'avait été durant les saisons précédentes, l'Association des Concerts du Châtelet a, cet hiver, inscrit régulièrement une œuvre inédite à chacun des programmes de ses séances dominicales. Il y a là un progrès considérable dont il convient de louer hautement la généreuse initiative du regretté Edouard Colonne et celle de son comité consultatif. Sans doute la subvention accordée par l'Etat à cette artistique compagnie — sous condition de satisfaire à certaines obligations au profit de l'École française — entrait-elle pour une part dans ces libérales résolutions. Mais pourquoi suspecter l'intention ? Mieux vaut enregistrer le résultat et saluer sans commentaires l'ère nouvelle qui se lève.

Cette constatation m'amène tout naturellement à reparler du concert du 13 mars dont l'intérêt très vif,. suscité déjà par la symphonie magistrale de M. André Gédalge, s'augmentait de la première audition d'une scène lyrique signée Nadia Boulanger.

Personne dans le public n'ignore, n'a le droit d'ignorer le nom de cette jeune fille compositeur que ses dons extraordinaires aussi bien que des succès précoces ont placée en un rang que pourraient lui envier bon nombre de confrères masculins. Admise tout enfant au Conservatoire, Mlle Boulanger y remportait successivement et de haute main les récompenses les plus recherchées : 1er prix d'harmonie, 1er prix de fugue, 1er prix d'orgue... j'en passe peut-être ! Bref, la musique semblait n'avoir point de secrets pour cette fillette de quinze ans !

Un règlement récent ayant autorisé les femmes à prendre part aux concours de l'Institut, Nadia Boulanger en subit victorieusement les épreuves préparatoires, et en 1908 elle obtint le second prix de Rome ; tout la désignait donc pour le premier, l'année suivante, et l'on escomptait fermement l'installation d'une pensionnaire à la Villa Médicis. Trompant la logique de ces prévisions, l’Académie des Beaux-Arts en décida autrement.

Est-ce pour en appeler de ce verdict que les artistes du Châtelet ont eu l'heureuse pensée de faire connaître à leurs habitués l'œuvre non favorisée de la talentueuse concurrente ? On est en droit de le supposer. En tout cas, le geste était élégant d'offrir cette solennelle compensation à une vaincue, et le succès que son œuvre obtint devant le grand public dut promptement faire oublier à Mlle Boulanger sa déconvenue d'antan.

Si la réussite fut complète, la mise en train de l'exécution ne laissa pas de rencontrer tout d'abord quelques obstacles imprévus ; l'éditeur, plus encore que l'auteur de la cantate primée par nos immortels, crut pouvoir s'opposer à la production de la partition rivale. Il y eut menace de constat, de papier timbré, de procès, que sais-je ! Le spectre menaçant d'un huissier se tenait au seuil de la salle des répétitions...

Plutôt que de courir les chances d'une prohibition judiciaire, mieux valait tourner la difficulté en modifiant le texte et jusqu'au titre du canevas littéraire proposé jadis aux candidats du concours. Un jeune littérateur au talent plein de promesses, M. Georges Delaquys, s'offrit pour coopérer à cet avatar d'un genre spécial, et en quelques nuits de labeur, la Roussalka inspirée d'une légende petite-russienne de Pouchkine, devint la Dnégouchka, que nous applaudîmes le 13 mars.

De la donnée primitive offerte par l'écrivain slave, que reste-t-il aujourd'hui ? Peu de chose, évidemment ; mais tel est l'avantage de cette littérature d'un ordre spécial, vulgairement dénommée « cantate », qu'on peut la travestir, la disloquer, la démolir de fond en comble, sans qu'il en résulte pour elle grand dommage ; l'ardent Yégor, jeune seigneur sans profession jadis, embrassera la carrière de Poète ; l'ex-pope dissimulera sa personnalité officielle en se faisant modestement appeler Le Sage ;  qu'importe ! C'est de la musique que l'on se soucie uniquement, et sa belle tenue suffira à retenir notre attention charmée.

 

***

 

Dès le début de la courte introduction évoquant le paysage fantastique où va se dérouler la scène, — je n'ose dire « l'action » — on est captivé par ce rythme persistant de la même note pédale en octaves lentement arpégées, sous laquelle évolue la plaintive mélodie qui servira de leitmotiv aux meilleures pages de la partition. Seule une musicienne de race pouvait développer symphoniquement de pareille manière cette ambiance septentrionale, et, en quelques touches, peindre de couleurs aussi délicates le décor idéal proposé à son imagination. L'apparition de la Fée ajoutera encore, si c'est possible, à l'effet de cette fantasmagorie initiale par le charme qui se dégage de son murmure chromatique. Tout cela est d'un exquis sentiment.

Peu à peu la voix enchanteresse se rapproche ; à l'appel du poète qui clame sa passion, le chimère prend une forme réelle : c'est la femme espérée qui vient s'offrir aux désirs de l'amant. Et les deux voix s'unissent, se confondent maintenant dans un ensemble d'une suavité délicieuse. Pourquoi faut-il que ce rêve soit si brusquement interrompu par l'intervention du fâcheux Raisonneur qui, sous prétexte de prêcher la sagesse, vient rappeler les deux jeunes gens à la prosaïque réalité ? J'avoue avoir beaucoup moins apprécié les accents de rudesse grondeuse confiés à ce troisième personnage qui, par son manque de précision théâtrale ne pouvait qu'entraver l'essor imaginatif du compositeur. Par bonheur, tout s'arrange au mieux dans les cantates : cédant aux objurgations de l'Homme sage, la Fée-sirène regagnera sans rancune son sublime empyrée où le jour levant la rappelle, et elle disparaît, non sans avoir mélodiquement adjuré les roseaux de laisser flotter le doux murmure de leurs frissons.

 

***

 

Me demandera-t-on maintenant à quelle école appartient Mlle Nadia Boulanger ? Il serait plus aisé d'indiquer celle dont elle ne se recommande pas. Chose invraisemblable ! le Debussysme semble bien ne pas la tenter le moins du monde. La construction solide, le développement logique de sa phrase musicale autant que la robustesse harmonique qui lui sert d'assise, dévoileraient chez le compositeur bien plutôt une certaine hantise de œuvre wagnérienne, et, sans vouloir en aucune façon le désobliger, on pourrait lui signaler çà et là certains procédés chromatiques qui, trahissant sa religion, ne sont pas sans quelque parenté avec tel passage de Parsifal. Mais qui n'a jamais péché aura seul le droit de lui en faire grief, et le colosse de Bayreuth s'est vu plagier parfois de bien autre façon. A l'âge enviable qu'a aujourd'hui Mlle Boulanger, on est autorisé à chercher encore sa voie ; au surplus, de charmantes mélodies écrites par elle, Cantique, Prière, pour ne citer que les plus récemment applaudies, nous sont un sûr garant de sa réelle personnalité.

Ce qu'il y a lieu de retenir dès à présent, c'est cette manifestation de féminisme « créateur », manifestation unique dans les annales de l'histoire musicale. Aussi serait-ce prophétiser à coup sûr que de prédire à l'auteur de Dnégouchka le plus brillant avenir. Et il m'est particulièrement doux de penser que j'aurai été ce devin.

 

(Paul Hillemacher, Comœdia illustré, 01 juin 1910)

 

 

 

 

 

Nadia Boulanger

 

 

 

le Comité de la S.M.I.C. [Société Internationale pour la Musique Contemporaine] chez Albert Roussel à Dieppe en 1936

(de g. à dr. Arthur Honegger, Nadia Boulanger, Arthur Hoérée, Albert Roussel, Henry Prunières, Darius Milhaud)

 

 

 

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