Charles BATTAILLE
Charles Battaille par Eugène Battaille (1817-1882), en 1850
Charles Amable BATTAILLE dit Charles BATTAILLE
basse et professeur de chant français
(Nantes, Loire-Inférieure [auj. Loire-Atlantique], 30 septembre 1822* – Paris 10e, 02 mai 1872*)
Fils de Louis BATTAILLE (1798 – ap. 1868), chirurgien, et de Rose LEPAUVRE.
Epouse à Paris 9e le 14 novembre 1861* Louise Catherine Albertine DELAPRÉ (Lyon, Rhône, 08 février 1840 – ap. 1905).
Parents de Jean-Louis BATTAILLE (Paris 1er, 07 février 1863* –), poète et chansonnier [épouse 1. à Paris 1er le 21 novembre 1895 Marie Honorine RÉGNARD ; épouse 2. à Paris 9e le 09 octobre 1920 Jeanne Marie DION] ; et de Louis Aristide dit Louis-Charles BATTAILLE (Nantes, 3e canton, 17 septembre 1866* – 15 rue des Perchamps, Paris 16e, 05 octobre 1937*), chanteur, professeur de chant et critique musical [épouse à Paris 17e le 26 septembre 1905* Aimée Marie MICLOS dite Marie ROGER-MICLOS (Toulouse, Haute-Garonne, 01 mai 1860* – Paris 16e, 19 mai 1951*), pianiste].
Il était déjà docteur en médecine lorsqu'il abandonna la science pour l’art. Sorti du Conservatoire de Paris avec les trois premiers prix de chant, d'opéra et d'opéra-comique, il débuta à l'Opéra-Comique en 1848. Sa belle voix de basse chantante et son intelligence scénique le mirent bientôt en évidence. Il chanta également aux Concerts du Conservatoire (sociétaire du 31 octobre 1848 au 15 janvier 1849, puis soliste). Le 10 décembre 1854, il créa salle Herz, l'Enfance du Christ (Hérode ; le Père de famille) d'Hector Berlioz sous la direction du compositeur. La fatigue de sa voix l'obligea à renoncer au théâtre et à se borner aux soins de la classe de chant qu'on lui avait confiée au Conservatoire depuis le 1er février 1851. On lui doit un traité, De l’enseignement du chant : I. Nouvelles recherches sur la phonation, II. De la physiologie appliquée à l'étude du mécanisme vocal (Paris, 1861, 1863). Après le 4 septembre 1870, Battaille fut nommé sous-préfet d'Ancenis, fonctions qu’il a rempli non sans mérite, de septembre 1870 au 13 juillet 1871.
En 1861, il habitait 44 rue de Luxembourg [auj. rue Cambon] à Paris 1er. Il est décédé en 1872 à quarante-neuf ans, en son domicile 23 rue d’Hauteville à Paris 10e.
=> Nouvelles recherches sur la phonation, par Charles Battaille (1861)
=> De la physiologie appliquée à l'étude du mécanisme vocal, par Charles Battaille (1863)
Sa carrière à l'Opéra-Comique
Il y débuta le 22 juin 1848 dans la Fille du régiment (Sulpice).
Il y créa le 11 novembre 1848 le Val d'Andorre (Jacques Sincère) de Fromental Halévy ; le 18 mai 1849 le Toréador (Belflor) d'Adolphe Adam ; le 01 octobre 1849 la Fée aux roses (Atalmuc) de Fromental Halévy ; le 20 avril 1850 le Songe d'une nuit d'été (Falstaff) d'Ambroise Thomas ; le 28 décembre 1850 la Dame de pique (André Roskaw) de Fromental Halévy ; le 20 février 1852 le Carillonneur de Bruges (Matthéus Claës) d'Albert Grisar ; le 07 septembre 1852 le Père Gaillard (le Père Gaillard) d'Henri Reber ; le 16 novembre 1852 la Fête des Arts (un Africain) d'Adolphe Adam ; le 21 décembre 1852 Marco Spada (le Baron de Torrida) d'Esprit Auber ; le 16 février 1854 l'Etoile du Nord (Peters Michaeloff) de Giacomo Meyerbeer ; le 11 avril 1855 la Cour de Célimène (le Commandeur de Beaupré) d'Ambroise Thomas ; le 17 octobre 1855 le Houzard de Berchini (Gédéon) d'Adolphe Adam ; le 22 décembre 1855 les Saisons (Nicolas) de Victor Massé ; le 26 avril 1856 Valentine d'Aubigny (Gilbert) de Fromental Halévy ; le 26 janvier 1857 Psyché (Mercure) d'Ambroise Thomas. |
Sa carrière au Théâtre-Lyrique
Il y débuta le 11 mai 1859 en participant à la première de l'Enlèvement au sérail (Osmin) de Mozart [version française de Prosper Pascal].
Il y participa aux premières suivantes : le 18 février 1860 de Philémon et Baucis (Jupiter) de Charles Gounod ; le 05 mai 1860 de Fidelio (Rocco) de Beethoven ; le 15 octobre 1860 le Val d'Andorre (Jacques Sincère) de Fromental Halévy.
Il y créa le 08 mai 1861 Au travers du mur (Thomassini) de Joseph Poniatowski ; le 30 octobre 1862 Hymne à la musique de Charles Gounod ; le 07 janvier 1863 Ondine (Fraisondin) de Théodore Semet. |
Charles Battaille
Né d'un père médecin, qui le destina de bonne heure à suivre la même carrière que lui. Il étudia la médecine à Nantes pendant cinq ans, fut reçu interne au concours de cette ville, et pendant quatre ans exerça les fonctions de prosecteur d'anatomie. Il fut reçu bachelier ès sciences à Caen, et passa à Paris ses quatre premiers examens cour le doctorat. Cependant un penchant irrésistible l'entraînait vers le théâtre ; il se destina d'abord au drame et à la tragédie, mais, encouragé par le célèbre professeur Garcia, il se fit recevoir au Conservatoire, où il emporta, après deux ans d'études, les trois premiers prix de chant, d'opéra et d'opéra-comique, succès presque sans précédent au Conservatoire.
Basset, alors directeur de l'Opéra-Comique, devina le jeune artiste et l'engagea à de brillantes conditions. Son début eut lieu le 22 juin 1848 dans le rôle de Sulpice de la Fille du régiment, opéra de Donizetti ; malheureusement, les tristes journées de juin commencèrent le lendemain de cette représentation, et les chants cessèrent... M. Battaille avait été remarqué, et se signala à la fin de cette funeste année 1848, en créant, d'une façon magistrale, le rôle du vieux chevrier du Val d'Andorre, d'Halévy. Il obtint ensuite les plus brillants succès dans le Carillonneur de Bruges, la Fée aux roses, le Toréador, le Songe d'une nuit d'été, Marco Spada, etc. ; sa plus belle création fut celle de Pierre le Grand, dans l'Etoile du Nord, opéra de Meyerbeer, ouvrage dans lequel il déploya, en même temps qu'une grande science de chant, son art de comédien, auquel il dut toujours la moitié de ses succès.
Après s’être éloigné quelque temps de la scène, M. Battaille reparut au Théâtre-Lyrique, où il se fit de nouveau applaudir dans divers rôles, entre autres celui d'Osmin de l'Enlèvement au sérail, de Mozart. Il y reprit aussi le rôle du chevrier dans le Val d'Andorre, son premier triomphe. M. Battaille s'est depuis quelque temps retiré définitivement du théâtre, et se consacre entièrement au professorat. Il est, depuis 1851, professeur de chant au Conservatoire, et on lui doit un mémoire intitulé : Nouvelles recherches sur la phonation (1861, in-8°), suivi d'un second qui le complète : De l'enseignement du chant ; deuxième partie : De la physiologie appliquée à l'étude du mécanisme vocal (1863, in-8°). Ces différents ouvrages, ainsi que ses savantes créations, ont valu à M. Battaille diverses décorations étrangères, entre autres celle de Saints-Maurice et Lazare. Ses études sur la phonation lui ont valu aussi un prix de physiologie de l'Académie des sciences. La voix de M. Battaille est celle de la basse-taille, elle est d'une agilité merveilleuse et d'une gravité vraiment exceptionnelle ; on a pu l’entendre, dans l'Etoile du Nord, donner le contre-mi bémol grave avec beaucoup de puissance, et dans l'Enlèvement au sérail le contre-ré grave ; ce ne sont là, sans doute, que des curiosités vocales ; mais unies à cette science et à ce tempérament d'artiste qui distinguent M. Battaille, elles constituent un ensemble rare de qualités précieuses.
(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1866-1876)
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Etudiant en médecine avant de se faire chanteur, Battaille a appris son art à la grande école de Garcia, qu'il remplace aujourd'hui au Conservatoire. Lauréat de 1847, il débuta à l'Opéra-Comique, au mois de juin 1848, dans la Fille du régiment. Le vieux sorcier du sempiternel Val d'Andorre, qu'il joua au mois de décembre de la même année, consacra son talent et fonda sa réputation. Egaiement heureux dans les deux genres, le sérieux et le bouffe, le jeune comédien n'a peut-être qu'un seul défaut, celui de trop creuser un rôle, d'en mettre un saillie jusqu'aux moindres détails et de jouer parfois avec les nerfs, — à l'exemple de Bouffé, dont il reproduit certains tics dramatiques, volontairement ou à son insu. Pierre le Grand est, sans contredit, sa création la plus savamment travaillée ; mais Falstaff est son meilleur rôle. Dans le débit, l'organe de Bataille a l'accent incisif et goguenard du timbre de Régnier ; mais lorsqu'elle chante, la voix de l'artiste, un peu étroite sur les notes élevées, acquiert dans les cordes graves, et pour peu que la mélodie soit soutenue, une ampleur pénétrante et moelleuse. Cette sonorité-là n'a rien de commun avec le bruit de porte roulant sur des gonds rouillés, qui fait ressembler certains chanteurs à un homme en train de descendre son larynx dans ses bottes pour s'y livrer à la pêche des notes souterraines. Battaille est myope à ce point qu'on pourrait lui appliquer cette joyeuse exclamation de Grassol : « Je lis avec le numéro 3 ; le numéro au-dessous est pour les aveugles ! » — Ses camarades lui apparaissent dans un nuage de chairs flottantes ; mais quant au chef d'orchestre, il le voit comme Moïse voyait la terre promise ; comme M. Leverrier distingue sa fameuse planète, — avec les yeux de la foi. Battaille est engagé pour trois années ; il touche 30.000 francs par an. Le Songe d'une nuit d'été. — le Toréador. — le Val d'Andorre. — la Fée aux Roses. — le Carillonneur. — l'Etoile du Nord. — Marco Spada. (H. de Villemessant et B. Jouvin, Figaro, 22 octobre 1854)
M. Eugène Bataille débute à l'Opéra-Comique dans le Caïd. L'ancien Battaille est, dit-on furieux de voir paraître un nouveau Bataille qui n'est ni son parent ni son élève... Il voulait le forcer à changer de nom. Mais Eugène Bataille n'est pas un nom de guerre, et le jeune chanteur débute avec le nom qu'il a reçu de son père. Il y aurait un moyen de distinguer l'un de l'autre ces deux artistes ; ce serait de les appeler, à l'instar des deux Sax, l'un Battaille aîné, et l'autre Bataille junior. (le Tintamarre, 06 septembre 1863)
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Charles Battaille dans l'Etoile du Nord (Peters Michaeloff), dessin d'Eustache Lorsay lithographié par Alexandre-Désiré Collette
Battaille de l'Opéra-Comique.
Père et fils, ou les deux Bretons. — Molière est un sot. — Le médecin mélomane. — Le docteur sentimental. — La gentille Yvonne. — Le chanteur de la Madeleine. — Qui prouve comment les professeurs du Conservatoire peuvent avoir tort. — Garcia oracle. — Battaille le 24 février 1848. — Battaille le 22 juin 1848. — Comment Battaille devint victoire. — Le chevrier du Val d'Andorre. — Le Carillonneur de Bruges. — La Dame de pique. — La Fée aux roses. — Marco Spada et l'Étoile du Nord.
— Par la corbleu ! vous serez médecin, mon beau damoiseau, qui passez votre temps à lire des sottises ou à conter des sornettes ! — Dire qu'on lit des sottises quand on lit Molière ! fit celui à qui s'adressait cette sortie paternelle en haussant légèrement les épaules et évitant de répondre aux deux autres parties de la mercuriale, sujet bien dangereux à traiter, car l'une était sa haine, et l'autre avait trait à son amour. — Vous avez beau lever les épaules avec dédain, monsieur le grand chanteur, reprit le cher homme plus brusquement encore, votre Molière n'était qu'un sot, dont je ne donnerais pas une obole ; et vous feriez bien mieux d'apprendre comment on devient médecin que de voir comment les imbéciles s'en moquent. Car vous le deviendrez, ou j'y perdrai mon nom. — Mais, mon père, je ne me sens aucune vocation pour cet état, bien noble et bien honorable, j'en conviens, mais pour lequel il faut avoir en soi quelque entraînement si l'on veut réussir, répondit le jeune homme, qui, se voyant acculé, prit le parti d'entrer résolument au cœur même de la question. — Ta ! ta ! ta ! tout ça sont des paroles. Travaillez, je vous le dis, et vous sentirez ce que vous devez sentir ; c'est-à-dire qu'on devient un honnête homme, un bon fils, un bon père, enfin, un citoyen respectable, quand on est un bon médecin ; tandis qu'un comédien n'est et ne sera jamais qu'un méchant histrion !... On comprend que, commençant ainsi entre deux hommes à idées bien arrêtées, car tous deux étaient Bretons, cette conversation ne pouvait pas s'achever paisiblement. Aussi vint-il un moment où le père, exaspéré, allait lancer sur son fils le plus cruel des anathèmes, quand, la porte ayant laissé passage à une femme jeune encore, une petite main blanche et potelée se posa vivement sur la bouche déjà ouverte pour maudire. — Pour l'amour de Dieu, tais-toi, je t'en conjure ! s'écria-t-elle d'une voix émue. Et ne sais-tu-donc pas que la malédiction d'un père retombe aussi bien sur sa tête que sur celle de son fils ?... Celui à qui elle s'adressait, tout honteux d'être surpris ainsi en délit de colère, car il était excellent homme au demeurant et adorait son fils, murmura quelques paroles ; puis, sortant brusquement, il laissa la mère et le fils en présence. Alors celle-ci employa toute sa douceur, toute sa bonté aimable, pour assouplir la volonté de son enfant et ses efforts furent couronnés d'un plein succès ; car le soir même elle eut le triomphe glorieux de le conduire à la diligence qui l'emportait vers Caen, ville où il devait recevoir le baptême doctoral et devenir médecin. Il le devint... il eut des malades... et tout cela le conduisit à un immense succès... sur les planches du théâtre de l'Opéra-Comique... Car ce défenseur chaleureux de notre grand Molière, cet antagoniste des Diafoirus et des Purgons, ce Breton si entier dans ses volontés, enfin, n'était autre que notre comédien Battaille, celui qui, il y a quelques jours à peine, partageait avec Caroline Duprez le triomphe de Meyerbeer dans l'Etoile du Nord ; celui enfin que, dans le rôle de Pierre le Grand, toute l'élite de la société élégante et artistique de Paris vient de saluer un grand artiste ! Battaille est né à Nantes, où son père était et est encore un médecin aussi honorable que distingué, ce qui explique comment il voulait voir passer comme héritage son talent et sa clientèle à son fils. Mais celui-ci visait plus haut ; il sentait en lui le feu sacré, et il lui fallait de l'espace, un nombreux public et de la gloire ! Ne croyez pas toutefois que notre héros sauta ainsi du logis paternel sur les planches de l'antique Favart, et passa des reproches aux bravos, sans peine, sans encombre et sans entraves, car vous vous tromperiez fort ! Et, fut-ce pour éprouver sa vocation, ou par la pente naturelle des choses, le ciel se montra pendant bien longtemps contraire à tous ses projets. D'abord les études sérieuses de la médecine éloignent plus qu'elles ne conduisent aux arts ; puis, hélas ! le pauvre garçon, qui basait sur sa voix tous ses projets d'avenir, voyait jusqu'à ses amis les plus intimes se moquer de cet espoir et ne reconnaître dans son gosier qu'une voix de chaudron des plus désagréables, disaient-ils. Une seule personne partagerait les illusions de notre artiste en herbe ; c'était une jeune et gentille fillette, la blonde Yvonne, qui l'écoutait chanter avec tant de plaisir, tant de bonheur, qu'elle relevait toujours sa confiance ébranlée ; aussi payait-il en amour tendre et dévoué l'admiration de la pauvre fille ! Pourtant, ainsi que nous l'avons dit plus haut, malgré tous ses désirs et tous ses vœux d'être comédien, Battaille obéit à son père et alla à Caen pour étudier et se faire recevoir médecin ; puis il revint professer dans ville natale, et là une autre douleur lui fut réservée encore : celle de voir la science impuissante devant la mort ! Jamais son cœur tendre et généreux ne put supporter cette épreuve ; et un jour qu'un pauvre enfant mourut du croup entre ses mains, le désespoir de la mère lui parut si affreux, sentit au-dessus de ses forces d'assister jamais à un pareil spectacle. Aussi, les cheveux en désordre, les traits bouleversés, il s'en alla rejoindre son père pour lui rendre ses malades et pour lui faire ses adieux. Car, disait-il, il partait pour Paris, où sa destinée devait s'accomplir. Nous n'avons pas besoin de vous dire la nouvelle discussion qui s'éleva entre eux. Mais cette fois la volonté du fils fit ployer celle du père ; seulement il fut convenu que, de même que l'enfant prodigue, Battaille quittait le toit paternel sans pouvoir compter en rien sur l'appui de sa famille jusqu'au jour où, la misère le chassant de Paris, il reviendrait à Nantes manger le veau gras qui serait tué pour le recevoir. Voilà donc, un beau matin, notre jeune homme, léger d'argent, mais gonflé d'espérances, débarqué sur le pavé de la capitale, où sa belle figure, ses manières aisées, et aussi pourtant quelques louis qu'au moment de son départ sa bonne mère avait trouvé le moyen de glisser dans sa poche, lui firent promptement des camarades. Pourtant ce ne fut pas grâce à eux, mais presque malgré eux, que le hasard le fit entrer comme chanteur soliste à l'église de la Madeleine. Sa voix plut au public ; il sut qu'on venait exprès pour l'entendre, et son espoir et sa confiance en redoublèrent. — Mon Dieu ! si Yvonne et moi nous avions raison !... et si mes camarades se trompaient quand ils se moquent de ma voix !... se demandait le pauvre Battaille, non moins malheureux à Paris qu'à Nantes à l'endroit de ses amis, car ici également on riait de ses prétentions au chant, et on l’engageait à se faire tout simplement comédien, s'il avait une vocation si déterminée pour le théâtre. Mais, voulant connaître enfin la vérité du fait, un assez vilain jour de novembre 1845, notre jeune homme se présente résolument comme élève au Conservatoire. Il est interrogé, puis entendu par les professeurs préposés à découvrir le talent dans l'avenir, et... refusé à l'unanimité. Quel coup de foudre pour notre héros ! Tout autre se fût tenu pour battu à jamais... mais Battaille était Breton, et un Breton ne cède pas si vite ; aussi, avant de prendre son parti d'être médecin et de rejoindre son père, il s'en alla trouver Garcia, cet oracle de l’art. — Monsieur, lui dit-il, je viens d'être refusé au Conservatoire comme sans talent et sans avenir, mes amis prétendent que j'ai une voix de chaudron... Eh bien ! je sens là, et il porta la main sur sa poitrine et sur son cœur, je sens que je suis né artiste. Daignez m'écouter ; jugez entre nous, et votre avis sera un oracle... Vous le voyez, monsieur, mon avenir est entre vos mains. Garcia, attendri, le fit chanter, et écouta attentivement celui qui déjà, sans qu'il le connût, lui inspirait un vif intérêt. Quand il eut fini : — Vous prendrez votre revanche, lui dit-il, car vous deviendrez un grand artiste ! Et Garcia fut encore un oracle. Battaille prit une éclatante revanche ; car, après avoir été refusé comme élève du Conservatoire en 1845, il y entra comme professeur en 1851, c'est-à-dire à vingt-huit ans, et devint comme maître l'égal de ceux qui l'avaient évincé à vingt-deux ans comme écolier. Il serait trop long de raconter ici toutes les vicissitudes qui attendaient encore le pauvre Battaille avant le moment de son triomphe ; ainsi, après mille péripéties, il est admis comme débutant à l'Opéra-Comique. Le jour de l'audition est choisi : c'est le 24 février 1848... Vous ne savez que trop ce qui l'empêcha de paraître !... Les émeutes, les clubs, et en un mot l'inquiétude, donnaient peu de temps pour penser aux arts ; Battaille se vit donc reculé de quelque temps encore. Mais la tranquillité semble renaitre ; ses débuts sont repris : il doit jouer dans la Fille du régiment le 22 juin… et, le 22 juin, vous le savez encore, tout Paris était sous les armes ! Enfin, le grand jour arrive pour lui ; il débute dans le chevrier du Val d’Andorre, et le public donne raison à Garcia en nommant son protégé un grand artiste ! Après le Val d'Andorre, Battaille a créé le Toréador, la Fée aux roses, le Songe d'une nuit d'été, la Dame de Pique, le Carillonneur de Bruges, Marco Spada, et enfin, toujours travaillant, toujours grandissant, il vient de mettre le comble à sa réputation et à sa gloire en créant avec tant d'art le superbe rôle que Meyerbeer, qui se connaît en chanteurs, lui a donné dans l'Etoile du Nord.
(Paul Le Brun, les Théâtres de Paris, Galerie illustrée des célébrités contemporaines, 1854)
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Charles Battaille, lithographie de Firmin Gillot d'après Emile Bayard, parue dans l'album du Gaulois (1865)
Son père était médecin à Nantes, et résolut de lui faire embrasser la même profession. Après avoir été faire ses études à Caen et s'y être fait recevoir docteur, Battaille revint donc s'établir dans sa ville natale. Mais la clientèle n'arrivant pas assez vite à son gré, il résista aux nouvelles instances de son père, qui avait toujours contrarié son goût pour le théâtre, et s'en vint tenter la fortune à Paris. Un biographe contemporain affirme qu'il fut refusé à l'unanimité, en novembre 1845, aux examens d'admission du Conservatoire. Ceci est évidemment inexact puisque, dès le concours de 1846, Battaille obtenait un accessit de chant. En 1847, il remportait simultanément les trois premiers prix de chant, d'opéra et d'opéra-comique, et se voyait couronner en même temps que Balanqué, Meillet et M. Gueymard, et en compagnie d'une jeune fille appelée à devenir l'une des premières artistes de son temps, Mlle Félix-Miolan, aujourd'hui Mme Carvalho. Au Conservatoire, Battaille avait été l'élève de Manuel Garcia.
Il fut engagé presque aussitôt à l'Opéra-Comique, où ses débuts, qui devaient avoir lieu le 23 février 1848, furent retardés par les événements. Ce n'est que le 22 juin suivant qu'il fit son apparition sur la scène Favart, où il se montra pour la première fois dans un rôle secondaire, celui de Sulpice de la Fille du Régiment. Mais sa voix de basse chantante était belle, guidée avec un goût remarquable, il montrait déjà de l'intelligence comme comédien, et Halévy, qui se connaissait en artistes et qui s'apprêtait à donner son Val d'Andorre, n'hésita pas à lui confier la création d'un des rôles les plus importants de cet ouvrage, monté d'une façon presque exceptionnelle, et qui était joué, pour les autres personnages, par MM. Audran, Jourdan, Mocker, Mlles Lavoye, Darcier et Révilly.
Le succès de Battaille fut complet dans ce rôle de Jacques Sincère, le vieux chevrier, dont il sut faire un type, et dans lequel il déploya des qualités dramatiques vraiment remarquables. Bientôt il montra toute la souplesse et la flexibilité de son talent, en en jouant un autre d'un caractère tout opposé, celui de don Belflor dans le Toréador, d'Adolphe Adam. Ici, Battaille fut plein de rondeur, de bonhomie, de gaîté, fit voir qu'au point de vue du chant il comprenait aussi bien le genre bouffe que le genre dramatique, et réunit tous les suffrages. Je ne ferai que donner les titres de ses autres créations, qui sont les suivantes : la Fée aux Roses (Atalmuc), le Songe d'une nuit d'été (Falstaff), la Dame de pique (Roskaw), le Carillonneur de Bruges (Mathéus), le Père Gaillard (Gaillard), Marco Spada (Torrida), l'Étoile du Nord (Pierre), la Cour de Célimène (le Commandeur), le Hussard de Berchini (Gédéon), les Saisons (Nicolas), Valentine d'Aubigny (Gilbert), et Psyché (Mercure).
Il faut avoir vu jouer à Battaille le Toréador et l'Étoile du Nord pour se rendre bien compte de la souplesse de son jeu comme comédien ; il faut lui avoir entendu chanter la cavatine de don Belflor : Oui, la vie n'est jolie... et l’admirable romance du czar Pierre : Pour fuir ton souvenir, qui semble me poursuivre, pour comprendre quelle était son intelligence des divers styles musicaux et avec quelle aisance, quelle facilité, quelle sûreté il passait de l'un à l’autre. Sa belle voix de basso cantante, ronde, pleine, bien timbrée, flatteuse et caressante parfois, énergique et puissante en d'autres cas, faisait merveille dans les genres les plus opposés.
Vers la fin de 1857, je crois, l'excellent artiste, atteint d'une grave affection de larynx, se crut obligé de renoncer à une carrière dans laquelle il n'avait rencontré que des succès. Pourtant, après avoir pris quelque repos, il entra en 1860 au Théâtre-Lyrique, y reprit son rôle de Jacques Sincère du Val d'Andorre, fit une de ses plus importantes créations dans Philémon et Baucis, de M. Gounod, puis retourna pour un instant sur la scène de ses premiers succès. Mais bientôt il abandonnait définitivement le théâtre, bornant son action artistique au professorat qu'il exerçait au Conservatoire depuis le 1er février 1851.
Battaille s'était occupé d'études sur la construction, la nature et les facultés de l'appareil vocal. Il publia sur ce sujet une brochure importante, dont voici le titre complet : « Nouvelles recherches sur la phonation, Mémoire présenté et lu à l'Académie des sciences le 15 avril 1861, par Ch. Battaille, ex-interne des hôpitaux, ex-prosecteur d'anatomie à l'École de médecine de Nantes, professeur de chant au Conservatoire impérial de musique et de déclamation (Paris, V. Masson, 1861, in-8° avec planches) ». Ces recherches constituaient, comme il le disait lui-même dans le dernier chapitre, « la première partie d'un ouvrage ayant pour titre : De l'enseignement du chant, lequel sera publié incessamment en entier. » Deux ans après, en effet, il lançait une nouvelle publication : « De l'enseignement du chant, 2e partie. De la physiologie appliquée à l'étude du mécanisme vocal. » Mais tout cela ne formait pas un corps d'ouvrage complet. Je ne sache pas pourtant que Battaille ait terminé cette publication.
Battaille aimait beaucoup à parler en public. Sa belle tête, fière, fine et intelligente, couverte de cheveux noirs, abondants et ondulés, son regard fixe et scrutateur, bien qu'atteint de myopie, sa parole élégante, facile et ornée, sa grande habitude du public, lui donnait sur son auditoire une autorité véritable. En 1865, 1866 et 1867, il fit, tantôt dans les salons de la rue de la Paix ou dans ceux du Grand-Orient, tantôt dans l'Amphithéâtre de l'École de médecine ou à l'Association philotechnique, un certain nombre de conférences, qui furent remarquées : sur la musique et ses transformations, sur le Don Juan de Mozart, sur le Pré-aux-Clercs d'Herold, etc. Le texte d'un de ces entretiens fut même publié, dans les Conférences de l'Association philotechnique, année 1865 (Paris, V. Masson, 1866, in-12).
En réalité, Battaille fut un artiste extrêmement distingué, auquel la perte précoce de sa voix ne laissa pas le temps d'arriver à la célébrité, ni même peut-être d'atteindre à l'apogée de son talent, mais qui a laissé un nom honorable sous tous les rapports, et qui a été à la fois chanteur remarquable, comédien bien doué, professeur accompli et théoricien distingué.
Une particularité de sa vie est assez curieuse : Battaille, à la suite des événements du 4 septembre 1870, avait été nommé sous-préfet d'une petite ville du département de la Loire-Inférieure, Ancenis. Il professait d'ailleurs des opinions libérales, et prit au sérieux son nouveau rôle, mettant toute son intelligence au service de ses fonctions et déployant beaucoup de zèle et d'activité dans l'organisation et l'armement des corps levés dans son district. Il se signala même d'une façon toute particulière, dans des circonstances exceptionnelles : la petite vérole s'étant déclarée dans une commune des environs, qui se trouvait cruellement ravagée par le fléau, Battaille se souvint qu'il était médecin, se joignit à ses confrères, et s'en allait chaque soir porter ses soins aux malades, après avoir passé sa journée à gérer les affaires de sa sous-préfecture.
Battaille est mort à Paris le 2 mai 1872, enlevé en trois jours par une fièvre muqueuse.
(François-Joseph Fétis, Biographie universelle des musiciens, suppl. d’Arthur Pougin, 1878-1880)
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